CJUE, 7e ch., 24 mars 2022, n° C-656/20 P
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Hermann Albers e.K.
Défendeur :
Commission européenne, République fédérale d’Allemagne, Land Niedersachsen (Allemagne)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Arabadjiev
Juges :
M. von Danwitz, M. Kumin
Avocat général :
M. Rantos
1 Par son pourvoi, Hermann Albers e.K. demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 5 octobre 2020, Hermann Albers/Commission (T‑597/18, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2020:467), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision C(2018) 4385 final de la Commission européenne, du 12 juillet 2018, de ne pas soulever d’objections concernant la mesure adoptée par le Land Niedersachsen en vertu de l’article 7a du Niedersächsisches Nahverkehrsgesetz [affaire SA.46697 (2017/NN)] (JO 2018, C 292, p. 1, ci-après la « décision litigieuse »).
Le cadre juridique
2 Aux termes du considérant 35 du règlement (CE) no 1370/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2007, relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route, et abrogeant les règlements (CEE) no 1191/69 et (CEE) no 1107/70 du Conseil (JO 2007, L 315, p. 1) :
« Les compensations accordées par les autorités compétentes en conformité avec les dispositions du présent règlement peuvent, par conséquent, être exemptées de la notification préalable de l’exigence prévue à l’article [108], paragraphe 3, [TFUE]. »
3 L’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, de ce règlement prévoit que celui-ci a pour objet de « définir comment, dans le respect des règles du droit [de l’Union], les autorités compétentes peuvent intervenir dans le domaine des transports publics de voyageurs pour garantir la fourniture de services d’intérêt général qui soient notamment plus nombreux, plus sûrs, de meilleure qualité ou meilleur marché que ceux que le simple jeu du marché aurait permis de fournir ».
4 L’article 3 dudit règlement dispose :
« 1. Lorsqu’une autorité compétente décide d’octroyer à l’opérateur de son choix un droit exclusif et/ou une compensation, quelle qu’en soit la nature, en contrepartie de la réalisation d’obligations de service public, elle le fait dans le cadre d’un contrat de service public.
2. Par dérogation au paragraphe 1, les obligations de service public qui visent à établir des tarifs maximaux pour l’ensemble des voyageurs ou pour certaines catégories de voyageurs peuvent aussi faire l’objet de règles générales. Conformément aux principes énoncés à l’article 4, à l’article 6 et à l’annexe, l’autorité compétente octroie aux opérateurs de services publics une compensation pour l’incidence financière nette, positive ou négative, sur les coûts et les recettes occasionnés par le respect des obligations tarifaires établies au travers de règles générales, de manière à éviter toute surcompensation, et ce nonobstant le droit qu’ont les autorités compétentes d’intégrer des obligations de service public fixant des tarifs maximaux dans les contrats de service public.
3. Sans préjudice des dispositions des articles [93, 106, 107 et 108 TFUE], les États membres peuvent exclure du champ d’application du présent règlement les règles générales relatives aux compensations financières accordées pour les obligations de service public qui établissent des tarifs maximaux pour les élèves, les étudiants, les apprentis et les personnes à mobilité réduite. Ces règles générales sont notifiées conformément à l’article [108 TFUE]. Une telle notification comporte des renseignements complets sur la mesure concernée et, notamment, des informations détaillées sur la méthode de calcul. »
5 L’article 9 du règlement no 1370/2007 énonce, à son paragraphe 1 :
« La compensation de service public au titre de l’exploitation de services publics de transport de voyageurs ou du respect des obligations tarifaires établies au travers de règles générales versée conformément au présent règlement est compatible avec le marché [intérieur]. Cette compensation est exonérée de l’obligation de la notification préalable visée à l’article [108], paragraphe 3, [TFUE]. »
Les antécédents du litige et la décision litigieuse
6 Les antécédents du litige figurent aux points 2 à 10 et 25 à 28 de l’arrêt attaqué et peuvent, pour les besoins de la présente procédure, être résumés de la manière suivante.
7 En Allemagne, l’article 8, paragraphe 4, troisième phrase, du Personenbeförderungsgesetz (loi fédérale relative au transport de personnes, ci-après le “PBefG”) exclut du champ d’application du règlement no 1370/2007 les compensations financières pour le transport de voyageurs munis d’abonnements dans le cadre de déplacements liés à leur formation, prévues à l’article 45a de cette loi, conformément à l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 1370/2007.
8 L’article 45a du PBefG confère aux entreprises un droit direct à la compensation à l’égard du Land sur le territoire duquel le transport est effectué.
9 En application de l’article 64a du PBefG, qui autorise les Länder à substituer à l’article 45a du PBefG leurs propres règles, le Land de Basse-Saxe a adopté l’article 7a du Niedersächsisches Nahverkehrsgesetz (loi sur le transport local du Land de Basse-Saxe, ci‑après le « NNVG »), entré en vigueur le 1er janvier 2017, qui dispose que les autorités organisatrices des transports au niveau municipal (ci‑après les « AOT municipales ») sont tenues de garantir un service de transport suffisant aux personnes munies d’abonnements pour les transports publics routiers locaux dans le cadre de leur formation professionnelle, accompagné d’une obligation de réduire d’au moins 25 % le tarif des abonnements de transports par route des personnes en formation par rapport aux abonnements normaux comparables. Les AOT municipales doivent fournir des compensations adéquates aux entreprises de transport sur la base des aides financières que le Land leur a versées.
10 Le 28 septembre 2016, une première plainte a été introduite auprès de la Commission concernant la mesure prévue par le projet d’article 7a du NNVG. Le 21 octobre 2016, Hermann Albers, une entreprise privée de transport qui exerce ses activités en Basse-Saxe, a introduit une seconde plainte auprès de la Commission concernant cette même mesure.
11 Le 12 juillet 2018, la Commission a adopté la décision litigieuse, par laquelle elle a conclu à l’absence d’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
12 Dans cette décision, la Commission a retenu que, conformément à l’article 7a, paragraphe 1, du NNVG, les AOT municipales étaient chargées de garantir des services de transport public suffisants aux voyageurs munis d’un abonnement dans le cadre de leur formation professionnelle, et que, au titre de l’article 7a, paragraphe 2, de cette loi, les autorités de Basse-Saxe étaient tenues d’accorder aux AOT municipales une dotation financière annuelle, que ces dernières reverseraient ensuite aux entreprises de transport public de ce Land, en contrepartie de leur obligation de garantir, notamment, une réduction de 25 % pour les déplacements liés à la formation professionnelle.
13 La Commission a ainsi estimé que l’article 7a du NNVG avait, en remplaçant l’article 45a du PBefG, conduit à un transfert de ressources financières entre les autorités de Basse-Saxe et les AOT municipales, sans que de telles ressources aient cependant quitté la sphère publique. Le fait que, aux termes de l’article 7a du NNVG, les AOT municipales soient désormais compétentes pour octroyer des compensations financières aux bénéficiaires finaux, alors que, avant l’entrée en vigueur de cette disposition, seul le Land pouvait octroyer de telles compensations, ne permettait pas, selon la Commission, de conclure à l’existence d’une aide au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
14 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 1er octobre 2018, Hermann Albers a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.
15 Par ordonnance du 23 mai 2019, le Tribunal a admis l’intervention du Land Niedersachsen (Land de Basse-Saxe, Allemagne) au soutien des conclusions de la Commission.
16 À l’appui de son recours, Hermann Albers a soulevé, en substance, deux moyens. Par le premier moyen, elle soutenait que la décision litigieuse, en écartant la qualification d’aide d’État, a méconnu l’article 107 TFUE. Par le second moyen, elle faisait valoir que la décision litigieuse, en ne reconnaissant pas que la République fédérale d’Allemagne était tenue de notifier la mesure prévue à l’article 7a de la NNVG, a enfreint l’article 108 TFUE.
17 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours de Hermann Albers.
La procédure devant la Cour et les conclusions des parties
18 Par son pourvoi, Hermann Albers demande à la Cour :
– d’annuler les points 1 et 2 du dispositif de l’arrêt attaqué ;
– d’annuler la décision litigieuse, et
– de condamner la Commission aux dépens.
19 La Commission demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi comme étant irrecevable ;
– à titre subsidiaire, de rejeter le pourvoi comme étant non fondé, et
– de condamner Hermann Albers aux dépens.
20 Le Land de Basse-Saxe demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner Hermann Albers aux dépens.
Sur le pourvoi
21 À l’appui de son pourvoi, Hermann Albers soulève deux moyens. Le premier moyen est tiré d’une erreur de droit que le Tribunal aurait commise en considérant que la mesure prévue à l’article 7a du NNVG ne constitue pas une aide d’État au sens de l’article 107 TFUE. Le second moyen est tiré d’une erreur de droit que le Tribunal aurait commise en jugeant que la mesure prévue à l’article 7a du NNVG ne devait pas être notifiée à la Commission conformément à l’article 108 TFUE.
Sur la décision du Tribunal de statuer sur le fond du recours sans se prononcer sur sa recevabilité
22 Dans son mémoire en défense, la Commission souligne, à titre liminaire, que les moyens du pourvoi sont irrecevables en raison de l’absence de qualité pour agir de Hermann Albers déjà constatée en première instance. Cette entreprise, qui n’est pas le destinataire de la décision litigieuse, n’aurait pas établi être individuellement concernée par celle-ci en démontrant que sa position sur le marché a été substantiellement affectée par la mesure faisant l’objet de cette décision. En conséquence, la Commission invite la Cour à examiner d’office si les conditions de recevabilité énoncées à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE sont réunies.
23 La Commission réitère ainsi les arguments qu’elle a développés en première instance, par lesquels, sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, elle soutenait que le recours de Hermann Albers était irrecevable faute de qualité pour agir. Cette argumentation de la Commission vise donc non pas à remettre en cause la recevabilité du pourvoi, mais à contester le choix du Tribunal de rejeter le recours sur le fond sans statuer sur les motifs d’irrecevabilité qu’elle avait invoqués, la Commission n’ayant toutefois pas introduit de pourvoi ni formé de pourvoi incident.
24 Or, il appartenait au Tribunal d’apprécier, comme il l’a fait, si une bonne administration de la justice justifiait, dans les circonstances de l’espèce, de rejeter au fond le recours dans cette affaire sans statuer sur les motifs d’irrecevabilité soulevés par la Commission, ce qui ne peut être regardé comme faisant grief à cette dernière (arrêt du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C‑23/00 P, EU:C:2002:118, point 52).
25 C’est ainsi que le Tribunal, aux points 20 et 21 de l’arrêt attaqué, a, dans un souci d’économie de la procédure, estimé qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur la recevabilité du recours de Hermann Albers, avant de le rejeter au fond. L’affirmation de la Commission selon laquelle l’absence de qualité pour agir de Hermann Albers aurait déjà été constatée en première instance procède donc d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué.
26 En tout état de cause, dès lors que les arguments de la Commission ne visent pas à remettre en cause le dispositif de l’arrêt attaqué, ils doivent être considérés comme inopérants et, partant, peuvent être écartés comme tels (arrêt du 25 mars 2010, Sviluppo Italia Basilicata/Commission, C‑414/08 P, EU:C:2010:165, point 52).
Sur le premier moyen du pourvoi
Sur la première branche du premier moyen
– Argumentation des parties
27 Hermann Albers fait valoir que la mesure prévue à l’article 7a du NNVG constitue une aide d’État au sens de l’article 107 TFUE, car elle confère directement aux entreprises publiques de transport un avantage sélectif.
28 Hermann Albers soutient avoir démontré devant le Tribunal que, en Basse–Saxe, une grande part des contrats pour les services de transport public est directement attribuée ou exécutée par des entreprises de transport contrôlées par les communes. En raison de ce contrôle, ces entreprises bénéficieraient d’un avantage économique sélectif, avant même qu’elles ne perçoivent une compensation financière au titre de ces contrats. Par conséquent, le Tribunal aurait considéré à tort, au point 40 de l’arrêt attaqué, que le transfert de dotations opéré par le Land de Basse-Saxe conformément aux dispositions de l’article 7a du NNVG vers les AOT municipales nécessitait un acte d’exécution subséquent.
29 À la différence des entreprises de transport privées, les entreprises publiques de transport profiteraient directement des versements effectués en application de l’article 7a du NNVG en raison du contrôle exercé par les AOT municipales. Ces dernières exerceraient une activité économique sur le marché des services de transport, sur lequel elles seraient en position dominante, et utiliseraient les ressources financières du Land aux fins de l’exercice de cette activité. En effet, les AOT municipales utiliseraient la majeure partie des fonds versés par le Land pour exécuter des contrats de service public existants. Les ressources du Land ne seraient donc plus disponibles pour être allouées à des entreprises privées. L’article 7a du NNVG conférerait donc un avantage sélectif aux entreprises publiques de transport.
30 Hermann Albers soutient que, selon la jurisprudence de la Cour, l’existence d’un transfert de ressources d’État peut être constaté aux fins de la qualification d’une mesure d’aide d’État non seulement après un tel transfert, mais également dès que la mesure étatique en question a modifié les conditions économiques du marché concerné. Les entreprises publiques de transport contrôlées par les AOT municipales bénéficieraient d’un avantage économique dès que les services de transport public leur sont attribués, que ce soit en interne ou par des procédures de passation de marchés. Il ressortirait en effet de la jurisprudence de la Cour que, lorsqu’une entreprise est assimilée à un « service propre », elle bénéficie simultanément de l’avantage dont bénéficie l’entité exerçant le contrôle sur cette entreprise.
31 Hermann Albers allègue que les règles de l’Union relatives aux marchés publics ne s’appliquent pas lorsqu’une autorité attribue un contrat de service public à une entreprise qu’elle détient ou sur laquelle elle exerce un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services. En outre, il résulterait de la jurisprudence de la Cour en matière d’aides d’État qu’une entité qui exerce effectivement un contrôle sur une entreprise et s’immisce directement ou indirectement dans la gestion de celle-ci doit être considérée comme prenant part à l’activité économique exercée par cette entreprise.
32 Les règles relatives aux marchés publics et celles relatives aux aides d’État poursuivraient le même objectif, à savoir celui visant à assurer que la concurrence ne soit pas faussée. Dès lors, il serait contradictoire, d’une part, de considérer que, du point de vue des règles relatives aux marchés publics, la concurrence n’est pas affectée dans le cas d’une entreprise de transport contrôlée par une AOT municipale et que, partant, il est permis que cette dernière attribue de manière directe un marché à cette entreprise et, d’autre part, d’estimer que, du point de vue des règles relatives aux aides d’État, le transfert de fonds servant à financer l’activité de « service propre » de cette AOT nécessite une étape supplémentaire pour sa mise en œuvre et que, partant, ladite entreprise ne bénéficie d’aucun avantage.
33 La Commission et le Land de Basse-Saxe soutiennent, à titre principal, que la première branche du premier moyen est irrecevable. En effet, en alléguant que certaines entreprises sont directement et sélectivement favorisées par la mesure prévue à l’article 7a du NNVG, Hermann Albers ne dénoncerait ni une erreur de droit ni une dénaturation commise par le Tribunal. À l’exception d’un renvoi au point 40 de l’arrêt attaqué, Hermann Albers n’identifierait pas les parties de cet arrêt dont l’annulation est demandée. En outre, le pourvoi reprendrait mot pour mot de larges parties de la requête en première instance. La première branche du premier moyen viserait également à inviter la Cour à vérifier si le Tribunal a correctement constaté les faits. L’argumentation de Hermann Albers concernant un parallélisme entre le droit des marchés publics et les règles relatives aux aides d’État constituerait un moyen entièrement nouveau qui n’a pas été soulevé sous cette forme en première instance.
34 À titre subsidiaire, la Commission et le Land de Basse-Saxe considèrent que le premier moyen est non fondé.
– Appréciation de la Cour
35 Il résulte de l’article 256 TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que de l’article 168, paragraphe 1, sous d), et de l’article 169 du règlement de procédure de la Cour qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt ou de l’ordonnance dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande. Selon la jurisprudence constante de la Cour, ne répond pas à cette exigence le pourvoi qui se limite à reproduire les moyens et les arguments déjà présentés devant le Tribunal. En effet, un tel pourvoi constitue en réalité une demande visant à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant le Tribunal, ce qui échappe à la compétence de la Cour (arrêt du 9 décembre 2020, Groupe Canal +/Commission, C‑132/19 P, EU:C:2020:1007, point 18 et jurisprudence citée).
36 Cependant, dès lors qu’un requérant conteste l’interprétation ou l’application du droit de l’Union faite par le Tribunal, les points de droit examinés en première instance peuvent être à nouveau discutés au cours d’un pourvoi. En effet, si un requérant ne pouvait pas fonder de la sorte son pourvoi sur des moyens et des arguments déjà utilisés devant le Tribunal, la procédure de pourvoi serait privée d’une partie de son sens (arrêt du 9 décembre 2020, Groupe Canal +/Commission, C‑132/19 P, EU:C:2020:1007, point 19 et jurisprudence citée).
37 En l’espèce, s’il est vrai que plusieurs des arguments avancés par Hermann Albers dans le cadre de la première branche du premier moyen du pourvoi, pris isolément, sont analogues à des arguments soulevés devant le Tribunal, il n’en reste pas moins que Hermann Albers allègue une erreur de droit commise par le Tribunal au point 40 de l’arrêt attaqué.
38 Ensuite, force est de constater que, par cette première branche du premier moyen, Hermann Albers vise non pas à contester les constatations factuelles auxquelles s’est livré le Tribunal, mais soutient que celui-ci n’a pas appliqué correctement la notion d’aide d’État aux faits en cause.
39 Enfin, l’argument de Hermann Albers, tiré du parallélisme entre les règles relatives aux marchés publics et celles concernant les aides d’État, doit être considéré comme l’ampliation recevable du premier moyen d’annulation formulé dans la requête, en particulier de l’argumentation de Hermann Albers selon laquelle les AOT municipales doivent être qualifiées elles-mêmes d’« entreprises » en raison de la détention de participations dans des entreprises de transport (voir, par analogie, arrêt du 9 décembre 2020, Groupe Canal +/Commission, C‑132/19 P, EU:C:2020:1007, points 28 et 29).
40 Il découle de ces éléments que la première branche du premier moyen est recevable.
41 Sur le fond, il importe de relever que c’est à juste titre que le Tribunal a, en substance, rappelé, au point 38 de l’arrêt attaqué, que l’activité économique d’une entité doit être distinguée de son activité non économique. Selon une jurisprudence constante, une entité publique peut être considérée comme une entreprise uniquement en ce qui concerne les activités qui doivent être qualifiées d’activités économiques et pour autant que ces activités peuvent être dissociées de l’exercice des prérogatives de puissance publique (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2012, Compass-Datenbank, C‑138/11, EU:C:2012:449, points 37 et 38 ainsi que jurisprudence citée).
42 En l’occurrence, Hermann Albers ne conteste pas l’appréciation du Tribunal, au point 39 de l’arrêt attaqué, selon laquelle, dans l’exercice du rôle d’« autorités compétentes » au sens du règlement no 1370/2007, les AOT municipales ne se livrent à aucune activité économique.
43 Ainsi, à supposer même que, au regard de son activité économique, une AOT municipale et les entreprises de transport qu’elle contrôle pourraient être considérées comme formant une unité économique, il n’en reste pas moins que, lorsqu’elle accorde des compensations à ces entreprises en application de l’article 7a du NNVG, cette autorité agit précisément en tant qu’autorité compétente, au sens du règlement no 1370/2007, et donc en dehors de son activité économique.
44 Par ailleurs, il résulte du point 41 de l’arrêt attaqué que les AOT municipales ne disposent pas d’un pouvoir discrétionnaire pour gérer les fonds transférés par le Land. Ces autorités doivent en outre respecter les dispositions du règlement no 1370/2007 et les dispositions pertinentes du droit de l’Union en matière d’aides d’État.
45 Dès lors, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en considérant, au point 40 de l’arrêt attaqué, en substance, que le versement par les AOT municipales des compensations financières à des entreprises publiques de transport relevait d’une étape distincte de celle du transfert des fonds par le Land à ces autorités et que ce transfert ne confère pas, en lui-même, un avantage à ces entreprises.
Sur la seconde branche du premier moyen
– Argumentation des parties
46 Hermann Albers soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que l’article 7a du NNVG ne confère aucun avantage économique indirect aux entreprises publiques de transport.
47 Hermann Albers fait valoir que les notions d’« aide » et d’« avantage », au sens de l’article 107 TFUE, doivent faire l’objet d’une interprétation large. Cet article s’appliquerait non seulement aux avantages directs, mais également aux avantages indirects, tels que les garanties. La compensation des coûts associés à l’accomplissement d’obligations de service public étant prévue par la loi, en l’occurrence la NNVG, la circonstance que cette compensation atteigne son bénéficiaire effectif non pas directement, mais indirectement après avoir transité d’abord par les AOT municipales, serait donc dénuée de pertinence pour identifier l’existence d’un avantage au sens de l’article 107 TFUE.
48 À cet égard, Hermann Albers souligne que l’article 13, paragraphe 2a, cinquième phrase, du PBefG exige que toute restriction apportée par l’État au pouvoir tarifaire des entreprises de transport soit compensée. Selon Hermann Albers, cette disposition aurait dû être prise en considération car elle garantirait aux entreprises de bénéficier d’une compensation lorsque les AOT municipales sont tenues d’octroyer des tarifs réduits à certains usagers. Les entreprises publiques de transport profiteraient de cette situation, qui leur permet, tout en recevant des fonds de la part des AOT municipales, d’appliquer des tarifs moins élevés sur un marché sur lequel règne la concurrence intermodale, notamment par rapport à la circulation des véhicules à moteur utilisés par les particuliers.
49 Hermann Albers allègue qu’une entreprise peut recevoir un avantage économique, même sans bénéficier d’un transfert de fonds. Le fait qu’un avantage soit directement conféré à une entité qui n’exerce pas une activité économique, excluant ainsi que l’un des critères énoncés à l’article 107, paragraphe 1, TFUE soit satisfait à son égard, n’exclurait nullement que cet avantage puisse indirectement bénéficier à un tiers.
50 Hermann Albers soutient que tel est le cas en l’espèce, pour autant qu’il soit admis que les AOT municipales n’exercent pas d’activité économique. L’article 7a du NNVG et l’article 13, paragraphe 2a, cinquième phrase, du PBefG auraient eu pour effet conjoint de limiter, voire de supprimer, toute marge d’appréciation pour les AOT municipales en ce qui concerne l’octroi d’une compensation pour les tarifs réduits destinés aux élèves et aux apprentis. Ces dernières ne seraient qu’un point de passage pour les flux d’argent indirectement destinés aux entreprises de transport bénéficiaires. Or, les entreprises de transport privées ne pouvant pas bénéficier de ces ressources financières seraient confrontées à une difficulté accrue, voire à l’impossibilité, d’accéder au marché. Ces entreprises ne bénéficieraient d’aucune compensation pour les coûts supplémentaires qu’elles subissent et ne pourraient pas couvrir ces coûts en appliquant des prix de marché.
51 La Commission et le Land de Basse-Saxe soutiennent, à titre principal, que la seconde branche du premier moyen est irrecevable aux motifs qu’elle n’identifie pas les parties de l’arrêt attaqué dont l’annulation est demandée, qu’elle constitue une répétition de certaines parties de la requête en première instance et qu’elle vise à contester l’appréciation portée par le Tribunal sur les faits. À titre subsidiaire, la Commission et le Land de Basse-Saxe considèrent que cette branche du premier moyen est non fondée.
– Appréciation de la Cour
52 En vertu de l’article 256 TFUE et de l’article 58 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi est limité aux questions de droit. Ainsi, le Tribunal est seul compétent, d’une part, pour constater les faits et, d’autre part, pour apprécier ces faits. Ce n’est que dans l’hypothèse où l’inexactitude matérielle de la constatation desdits faits, effectuée par le Tribunal, ressort des pièces du dossier qui lui ont été soumises ou en cas de dénaturation des éléments de preuve retenus à l’appui des mêmes faits que cette constatation et l’appréciation de ces éléments de preuve constituent des questions de droit soumises au contrôle de la Cour dans le cadre du pourvoi (arrêt du 9 décembre 2020, Groupe Canal +/Commission, C‑132/19 P, EU:C:2020:1007, point 68 et jurisprudence citée).
53 Au point 32 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a exposé l’argumentation de Hermann Albers relative à l’existence d’un avantage indirect.
54 Le Tribunal a constaté, au point 36 de l’arrêt attaqué, que le régime introduit en Basse-Saxe par l’article 7a du NNVG ne réglemente pas en détail la manière dont les AOT municipales sont censées garantir une réduction tarifaire pour les abonnements de transport destinés aux élèves et aux apprentis, et régler la question de la compensation à verser aux transporteurs, ces autorités étant libres de choisir comment réaliser cet objectif.
55 Le Tribunal a ainsi, en substance, confirmé l’appréciation de la Commission exposée aux considérants 20 et 52 de la décision litigieuse, selon laquelle l’article 7a du NNVG n’oblige pas les entreprises de transport à réduire les tarifs qu’ils proposent aux élèves et aux apprentis, mais laisse aux AOT municipales le libre choix des moyens pour assurer que ces voyageurs bénéficient de tarifs réduits.
56 Par ces motifs, le Tribunal a considéré, aux points 37 et 41 de l’arrêt attaqué, que l’article 7a du NNVG n’entraîne aucun transfert direct ou indirect de ressources d’État aux entreprises de transport et que cette mesure ne comporte pas, en elle-même, de risque que certaines entreprises soient favorisées par rapport à d’autres.
57 Par la seconde branche du premier moyen, laquelle est fondée sur l’allégation selon laquelle le régime introduit en Basse-Saxe par l’article 7a du NNVG impose aux entreprises de transport d’adopter un comportement tarifaire particulier sur le marché s’agissant de certaines catégories de voyageurs et, partant, prévoit, nécessairement l’octroi de compensations pour ces entreprises, Hermann Albers vise en réalité à remettre en cause les constatations factuelles effectuées par le Tribunal quant au contenu de ce régime, rappelées aux points 54 et 55 du présent arrêt, sans toutefois invoquer une dénaturation.
58 Par conséquent, la seconde branche du premier moyen doit être rejetée comme étant irrecevable.
59 Au regard des considérations qui précèdent, il convient de rejeter le premier moyen comme étant, en partie, non fondé et, en partie, irrecevable.
Sur le second moyen du pourvoi
Argumentation des parties
60 Hermann Albers soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, au point 51 de l’arrêt attaqué, que la mesure prévue à l’article 7a du NNVG ne constitue pas une d’aide d’État. Cette erreur l’aurait conduit à considérer, à tort, au point 52 de l’arrêt attaqué, que la République fédérale d’Allemagne n’était pas tenue de notifier cette mesure à la Commission au titre de l’article 108 TFUE. Hermann Albers fait valoir que, l’article 7a du NNVG constituant une aide d’État, la République fédérale d’Allemagne avait l’obligation de notifier cette mesure conformément à l’article 108 TFUE.
61 L’article 3, paragraphe 3, du règlement no 1370/2007 imposait également à la République fédérale d’Allemagne de notifier ladite mesure.
62 En effet, cet État membre aurait exclu tous les versements effectués en application de l’article 45a, paragraphe 3, du PBefG du champ d’application de ce règlement. Le Land de Basse-Saxe aurait exercé la compétence dont il dispose en vertu de l’article 64a du PBefG et aurait remplacé ledit article 45a par la mesure prévue à l’article 7a du NNVG. Toutefois, ce Land serait lié par ce choix législatif d’exclure du champ d’application du règlement no 1370/2007 les règles générales relatives aux compensations financières accordées pour les obligations de service public concernant les tarifs du transport des élèves, des étudiants, des apprentis et des personnes à mobilité réduite. L’article 7a du NNVG devrait donc être examiné selon les mêmes critères que l’article 45a du PBefG.
63 Le Land de Basse-Saxe aurait donc été tenu d’appliquer l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 1370/2007 à la mesure prévue à l’article 7a du NNVG. Hermann Albers considère que, par conséquent, à supposer même que le Tribunal ait eu raison de considérer que cette mesure ne constitue pas une aide d’État, il aurait dû constater la violation de l’obligation de notification prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE et, par conséquent, interdire la mise en œuvre de ladite mesure.
64 La Commission et le Land de Basse-Saxe soutiennent, à titre principal, que le second moyen est irrecevable. En effet, Hermann Albers répéterait simplement son argumentation développée en première instance relative à l’exclusion de l’article 45a du PBefG du champ d’application du règlement no 1370/2007. L’argumentation de Hermann Albers ne permettrait pas d’identifier l’interprétation du droit de l’Union par le Tribunal qu’elle remet en cause ni l’erreur de droit qu’aurait commise le Tribunal dans l’arrêt attaqué.
65 À titre subsidiaire, la Commission et le Land de Basse-Saxe considèrent que le second moyen est non fondé.
Appréciation de la Cour
66 Il est vrai que Hermann Albers reprend, dans le cadre du second moyen, une partie de ses arguments soulevés en première instance. Cependant, ce moyen vise à dénoncer une erreur de droit prétendument commise par le Tribunal et identifie avec précision les points contestés de l’arrêt attaqué. Dès lors, il convient de considérer, contrairement à ce que soutiennent la Commission et le Land de Basse-Saxe, que le second moyen est recevable.
67 S’agissant de l’allégation de Hermann Albers selon laquelle le Tribunal a jugé à tort, au point 51 de l’arrêt attaqué, que la mesure prévue à l’article 7a du NNVG ne constitue pas une aide d’État, il suffit de relever que, ainsi qu’il ressort de l’examen du premier moyen du pourvoi, cette entreprise n’a pas réussi à démontrer que le Tribunal a commis une erreur de droit à cet égard. Cette allégation doit, par conséquent, être rejetée comme étant non fondée.
68 Quant à l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 1370/2007, il prévoit que les règles générales relatives aux compensations financières accordées pour les obligations de service public qui établissent des tarifs maximaux pour les élèves, les étudiants, les apprentis et les personnes à mobilité réduite que les États membres excluent du champ d’application de ce règlement « sont notifiées conformément à l’article [108 TFUE] ». Cette disposition renvoie ainsi expressément à l’article 108 TFUE, y compris à l’obligation de notification prévue à son paragraphe 3.
69 Il ressort du libellé de l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 1370/2007, en particulier de l’emploi de l’expression « conformément à l’article [108 TFUE] » qui figure à la deuxième phrase de cette disposition, que ladite disposition n’établit pas une obligation de notification autonome, distincte de celle prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, mais rappelle simplement que cet article du traité FUE demeure d’application dans les situations qui ne relèvent pas du champ d’application de ce règlement.
70 Il ressort du contexte de l’article 3, paragraphe 3, deuxième phrase, du règlement no 1370/2007 que l’utilité d’un tel rappel se justifie au regard du fait que, aux termes du considérant 35 et de l’article 9, paragraphe 1, de ce règlement, les compensations accordées par les autorités compétentes en conformité avec les dispositions dudit règlement sont exemptées de l’obligation de notification prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE.
71 Il s’ensuit que, à supposer même que la mesure prévue à l’article 7a du NNVG ait pu relever des « règles générales relatives aux compensations financières accordées pour les obligations de service public qui établissent des tarifs maximaux pour les élèves, les étudiants, les apprentis et les personnes à mobilité réduite », au sens de l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 1370/2007, et soit ainsi exclue du champ d’application de ce règlement, elle n’aurait en tout état de cause pas été soumise à une obligation de notification distincte de celle prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE.
72 C’est donc sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a, aux points 44 à 54 de l’arrêt attaqué, répondu au second moyen du recours à la lumière de l’obligation de notification prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE.
73 Il résulte de ce qui précède que le second moyen du pourvoi doit être rejeté comme étant non fondé.
74 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le pourvoi dans son ensemble.
Sur les dépens
75 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.
76 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui‑ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Hermann Albers ayant succombé en ses moyens et la Commission ayant conclu à sa condamnation aux dépens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.
77 En vertu de l’article 184, paragraphe 4, du règlement de procédure de la Cour, lorsqu’elle n’a pas, elle-même, formé le pourvoi, une partie intervenante en première instance ne peut être condamnée aux dépens dans la procédure de pourvoi que si elle a participé à la phase écrite ou orale de la procédure devant la Cour. Lorsqu’une telle partie participe à la procédure, la Cour peut décider qu’elle supportera ses propres dépens.
78 Le Land de Basse-Saxe ayant participé à la procédure devant la Cour, il y a lieu de décider, dans les circonstances de l’espèce, qu’il supportera ses propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (septième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Hermann Albers eK est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.
3) Le Land Niedersachsen (Allemagne) supporte ses propres dépens.