CJUE, 5e ch., 24 mars 2022, n° C-723/20
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Galapagos BidCo. (Sàrl)
Défendeur :
Hauck Aufhäuser Fund Services (SA), Prime Capital (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Regan
Juges :
M. Jarukaitis, M. Ilešič, M. Gratsias, M. Csehi
Avocat général :
M. Richard de la Tour
Avocats :
Me Nassall, Me van de Sande, Me Hall
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, du règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 2015, relatif aux procédures d’insolvabilité (JO 2015, L 141, p. 19).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Galapagos BidCo. Sàrl à DE, en sa qualité de liquidateur de Galapagos SA, à Hauck Aufhäuser Fund Services SA et à Prime Capital SA au sujet d’une demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité en Allemagne visant Galapagos.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
L’accord sur le retrait
3 L’article 67, paragraphe 3, de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2020, L 29, p. 7, ci-après l’« accord de retrait ») dispose :
« Au Royaume-Uni [de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord], ainsi que dans les États membres en cas de situations impliquant le Royaume-Uni, les dispositions suivantes s’appliquent comme suit :
[...]
c) le [règlement 2015/848] s’applique aux procédures d’insolvabilité et aux actions visées à l’article 6, paragraphe 1, dudit règlement, à condition que la procédure principale ait été ouverte avant la fin de la période de transition ;
[...] »
4 L’article 126 de l’accord de retrait prévoit :
« Une période de transition ou de mise en œuvre est fixée, laquelle commence à la date d’entrée en vigueur du présent accord et se termine le 31 décembre 2020. »
Le règlement (CE) n° 1346/2000
5 L’article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité (JO 2000, L 160, p. 1), abrogé par le règlement 2015/848, prévoyait :
« Les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d’insolvabilité. Pour les sociétés et les personnes morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu’à preuve contraire, être le lieu du siège statutaire. »
Le règlement 2015/848
6 Les considérants 1, 3, 5, 8, 23, 27, 29, 33 et 65 du règlement 2015/848 énoncent :
« (1) Le 12 décembre 2012, la Commission [européenne] a adopté un rapport sur l’application du [règlement n° 1346/2000]. Dans son rapport, la Commission conclut que le règlement fonctionne bien en règle générale, mais qu’il conviendrait d’améliorer l’application de certaines de ses dispositions afin de renforcer l’efficacité de la gestion des procédures d’insolvabilité transfrontalières. Étant donné que ce règlement a été modifié à plusieurs reprises et que de nouvelles modifications s’imposent, il convient, dans un souci de clarté, de procéder à une refonte dudit règlement.
[...]
(3) Le bon fonctionnement du marché intérieur exige que les procédures d’insolvabilité transfrontalières fonctionnent de manière efficace et effective. [...]
[...]
(5) Il est nécessaire, pour assurer le bon fonctionnement du marché intérieur, d’éviter que les parties ne soient incitées à déplacer des avoirs ou des procédures judiciaires d’un État membre à un autre en vue d’améliorer leur situation juridique au détriment de la masse des créanciers (“forum shopping”).
[...]
(8) Pour atteindre l’objectif visant à améliorer et à accélérer les procédures d’insolvabilité ayant des effets transfrontaliers, il paraît nécessaire et approprié que les dispositions relatives à la compétence, à la reconnaissance et au droit applicable dans ce domaine soient contenues dans un acte de l’Union qui soit obligatoire et directement applicable dans tout État membre.
[...]
(23) Le présent règlement permet d’ouvrir la procédure d’insolvabilité principale dans l’État membre où se situe le centre des intérêts principaux du débiteur. Cette procédure a une portée universelle et vise à inclure tous les actifs du débiteur. [...]
[...]
(27) Avant d’ouvrir une procédure d’insolvabilité, la juridiction compétente devrait examiner d’office si le centre des intérêts principaux ou l’établissement du débiteur est réellement situé dans son ressort.
[...]
(29) Le présent règlement devrait contenir un certain nombre de garanties visant à empêcher la recherche frauduleuse ou abusive de la juridiction la plus favorable.
[...]
(33) Lorsque la juridiction saisie d’une demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité constate que le centre des intérêts principaux n’est pas situé sur le territoire de l’État dont elle relève, elle ne devrait pas ouvrir de procédure principale d’insolvabilité.
[...]
(65) Le présent règlement devrait prévoir la reconnaissance immédiate des décisions relatives à l’ouverture, au déroulement et à la clôture d’une procédure d’insolvabilité qui relève de son champ d’application, ainsi que des décisions qui ont un lien direct avec cette procédure d’insolvabilité. La reconnaissance automatique devrait dès lors entraîner l’extension à tous les autres États membres des effets attribués à cette procédure par la loi de l’État membre d’ouverture de la procédure. La reconnaissance des décisions rendues par les juridictions des États membres devrait reposer sur le principe de la confiance mutuelle. À cet égard, les motifs de non-reconnaissance devraient être réduits au minimum nécessaire. Ce principe devrait également prévaloir lors de la résolution d’un conflit lorsque les juridictions de deux États membres se considèrent toutes deux compétentes pour ouvrir la procédure d’insolvabilité principale. La décision de la juridiction qui ouvre la première la procédure devrait être reconnue dans tous les autres États membres, sans que ceux-ci aient la faculté de soumettre la décision de cette juridiction à un contrôle. »
7 Selon l’article 2, point 7, de ce règlement, on entend, aux fins de ce dernier, la « décision d’ouverture de la procédure d’insolvabilité » comme étant une décision qui comprend la décision de toute juridiction d’ouvrir une procédure d’insolvabilité ou de confirmer l’ouverture d’une telle procédure et la décision d’une juridiction de désigner un praticien de l’insolvabilité.
8 L’article 3 dudit règlement, intitulé « Compétence internationale », dispose :
« 1. Les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d’insolvabilité (ci-après dénommée “procédure d’insolvabilité principale”). Le centre des intérêts principaux correspond au lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts et qui est vérifiable par des tiers.
Pour les sociétés et les personnes morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu’à preuve du contraire, être le lieu du siège statutaire. [...]
2. Lorsque le centre des intérêts principaux du débiteur est situé sur le territoire d’un État membre, les juridictions d’un autre État membre ne sont compétentes pour ouvrir une procédure d’insolvabilité à l’égard de ce débiteur que si celui-ci possède un établissement sur le territoire de cet autre État membre. Les effets de cette procédure sont limités aux biens du débiteur se trouvant sur ce dernier territoire.
3. Lorsqu’une procédure d’insolvabilité a été ouverte en application du paragraphe 1, toute procédure ouverte ultérieurement en application du paragraphe 2 est une procédure d’insolvabilité secondaire.
[...] »
9 L’article 4 du même règlement, intitulé « Vérification de la compétence », prévoit, à son paragraphe 1 :
« La juridiction saisie d’une demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité examine d’office si elle est compétente en vertu de l’article 3. Dans sa décision d’ouverture de la procédure d’insolvabilité, la juridiction indique les fondements de sa compétence, et précise notamment si sa compétence est fondée sur le paragraphe 1 ou 2 de l’article 3. »
10 L’article 19, paragraphe 1, du règlement 2015/848 dispose :
« Toute décision ouvrant une procédure d’insolvabilité rendue par une juridiction d’un État membre compétente en vertu de l’article 3 est reconnue dans tous les autres États membres dès qu’elle produit ses effets dans l’État d’ouverture. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
11 Galapagos est une société holding ayant son siège statutaire au Luxembourg. Au mois de juin 2019, elle a décidé de transférer son administration centrale à Fareham (Royaume-Uni). Ses administrateurs désignés le 13 juin 2019 ont demandé, le 22 août 2019, auprès de la High Court of Justice (England and Wales), Chancery Division (Business and Property Courts, Insolvency and Companies list) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (tribunaux de commerce et de la propriété, Registre de l’insolvabilité et des sociétés), Royaume-Uni] (ci-après la « High Court »)], l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité. Le jour suivant, ces administrateurs ont cependant été révoqués à l’instigation d’un groupe de créanciers disposant d’un nantissement d’actions et ont été remplacés par un nouvel administrateur. Ce dernier a établi, pour Galapagos, un bureau à Düsseldorf (Allemagne) et a donné instruction aux avocats représentant celle-ci de retirer la demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité. Toutefois, ce retrait n’est pas intervenu car un groupe de créanciers s’est joint à cette demande. La High Court n’avait pas encore statué sur celle-ci le 17 décembre 2020, date à laquelle la demande de décision préjudicielle a été introduite.
12 Le 23 août 2019, Galapagos a introduit une autre demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité auprès de l’Amtsgericht Düsseldorf (tribunal de district de Düsseldorf, Allemagne), qui, par une ordonnance prononcée le même jour, a désigné DE comme administrateur judiciaire provisoire et a ordonné des mesures conservatoires. Cependant, le 6 septembre 2019, cette juridiction, saisie par des créanciers d’un recours immédiat, a révoqué son ordonnance et a rejeté comme étant irrecevable la demande de Galapagos, au motif qu’elle n’était pas compétente.
13 Le 6 septembre 2019, Hauck Aufhäuser Fund Services et Prime Capital, deux autres sociétés créancières de Galapagos, ont saisi l’Amtsgericht Düsseldorf (tribunal de district de Düsseldorf) d’une autre demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité. Par ordonnance du 9 septembre 2019, cette juridiction a de nouveau désigné DE comme administrateur judiciaire provisoire et a ordonné des mesures provisoires, en considérant que le centre des intérêts principaux de Galapagos se trouvait à Düsseldorf lorsque cette demande a été introduite.
14 Galapagos BidCo., qui est à la fois une filiale et une créancière de Galapagos, a, en cette dernière qualité, saisi le Landgericht Düsseldorf (tribunal régional de Düsseldorf, Allemagne) d’un recours immédiat aux fins d’obtenir l’annulation de l’ordonnance du 9 septembre 2019, en faisant valoir que l’Amtsgericht Düsseldorf (tribunal de district de Düsseldorf) n’était pas internationalement compétent, dès lors que l’administration centrale de Galapagos avait été transférée à Fareham au mois de juin 2019. Ce recours ayant été rejeté par une ordonnance du 30 octobre 2019, Galapagos BidCo. a saisi le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne), la juridiction de renvoi.
15 Cette juridiction expose que la juridiction d’appel a considéré que c’était à bon droit que l’Amtsgericht Düsseldorf (tribunal de district de Düsseldorf) avait admis sa compétence internationale en considérant que le centre des intérêts principaux de Galapagos se situait en Allemagne à la date du 9 septembre 2019. Cette juridiction d’appel a estimé, en outre, que la demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité introduite auprès de la High Court ne faisait pas obstacle à cette compétence, le principe selon lequel la compétence internationale d’une juridiction ne peut être écartée par le transfert, entre la demande et l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, du centre des intérêts principaux dans un autre État membre ne concernant, selon elle, que le maintien de la compétence de la juridiction initialement saisie et n’ayant aucune incidence sur la compétence d’autres juridictions ultérieurement saisies.
16 La juridiction de renvoi indique que l’issue du pourvoi dont elle est saisie dépend de l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, du règlement 2015/848. En effet, en premier lieu, la juridiction d’appel a, selon elle, commis une erreur de droit en jugeant que le centre des intérêts principaux de Galapagos se situait en Allemagne, si l’article 3, paragraphe 1, de ce règlement doit être interprété en ce sens qu’une société, qui a son siège statutaire dans un premier État membre, doit être considérée comme n’ayant pas le centre de ses intérêts principaux dans un deuxième État membre sur le territoire duquel se trouve son administration centrale lorsque cette société a transféré son administration centrale d’un troisième État membre vers ce deuxième État membre alors qu’une demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité a été antérieurement introduite dans ce troisième État membre et qu’il n’a pas encore été statué sur cette demande.
17 Elle relève, à cet égard, que l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, deuxième phrase, du règlement 2015/848 énonce que le centre des intérêts principaux correspond au lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts et qui est vérifiable par les tiers. Elle observe que, dans sa jurisprudence relative au règlement n° 1346/2000, la Cour a considéré qu’il convenait de privilégier le lieu identifiable de l’administration centrale de la société concernée. Dès lors, elle estime qu’il y aurait lieu d’entériner le constat de la juridiction d’appel selon lequel Galapagos avait le centre de ses intérêts principaux en Allemagne au début du mois de septembre 2019.
18 La juridiction de renvoi se demande toutefois si, après la refonte du règlement n° 1346/2000 opérée par le règlement 2015/848, il y a lieu, lors de la détermination du centre des intérêts principaux d’une société débitrice et afin de prévenir un comportement abusif dans des circonstances telles que celles du litige dont elle est saisie, d’imposer des exigences spécifiques pour considérer qu’un transfert du centre des intérêts principaux vers un autre État membre doit être pris en compte.
19 En second lieu, la juridiction d’appel a, selon la juridiction de renvoi, commis une erreur de droit en considérant que la compétence internationale des juridictions allemandes découle du fait que le centre des intérêts principaux de Galapagos était situé sur le territoire allemand au mois de septembre 2019, si l’article 3, paragraphe 1, du règlement 2015/848 doit être interprété en ce sens que, d’une part, les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur lors de l’introduction d’une demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité demeurent compétentes au niveau international pour ouvrir cette procédure lorsque le débiteur déplace le centre de ses intérêts principaux sur le territoire d’un autre État membre après l’introduction de cette demande, mais avant l’intervention de l’ouverture de ladite procédure et, d’autre part, le maintien de la compétence internationale des juridictions d’un État membre initialement saisies exclut la compétence des juridictions d’un autre État membre pour connaître de nouvelles demandes d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité principale.
20 À cet égard, la juridiction de renvoi fait observer, tout d’abord, que la Cour, dans l’arrêt du 17 janvier 2006, Staubitz-Schreiber (C‑1/04, EU:C:2006:39), a interprété l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1346/2000 en ce sens que la juridiction de l’État membre sur le territoire duquel était situé le centre des intérêts principaux du débiteur lors de l’introduction de la demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité par le débiteur demeure compétente pour ouvrir ladite procédure lorsque ledit débiteur a déplacé le centre de ses intérêts principaux sur le territoire d’un autre État membre après l’introduction de cette demande, mais avant l’ouverture de la procédure. Elle se demande, toutefois, si, compte tenu de la refonte de ce règlement opérée par le règlement 2015/848, cette jurisprudence est encore pertinente.
21 Ensuite, la juridiction de renvoi relève qu’il ressort du règlement 2015/848 et de la jurisprudence de la Cour qu’une seule procédure d’insolvabilité principale peut être ouverte et que tous les États membres sont liés par la décision ouvrant une telle procédure, de sorte que la compétence internationale prévue à l’article 3, paragraphe 1, de ce règlement est censée constituer une compétence exclusive. Or, selon cette juridiction, si le maintien de la compétence de la juridiction initialement saisie n’excluait pas la compétence internationale des juridictions d’un autre État membre pour connaître de nouvelles demandes d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, une telle juridiction saisie ultérieurement pourrait ouvrir la procédure d’insolvabilité principale par une décision qui lierait la juridiction initialement saisie, de telle sorte que cette dernière ne pourrait plus ouvrir de procédure d’insolvabilité principale, ce qui pourrait priver d’effet utile le maintien de la compétence internationale exclusive qui résulte de l’article 3 du règlement 2015/848 et de la jurisprudence de la Cour.
22 Enfin, la juridiction de renvoi indique que, dans le cadre du recours dont elle est saisie, elle doit partir du principe que, à la date à laquelle la demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité a été introduite devant la High Court, la compétence internationale des juridictions du Royaume-Uni pour ouvrir une procédure d’insolvabilité principale était établie en vertu de l’article 3, paragraphe 1, du règlement 2015/848, dès lors que, selon les faits qui sous-tendent ce recours, le centre des intérêts principaux de Galapagos se situait à cette date au Royaume-Uni.
23 C’est dans ces conditions que le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 3, paragraphe 1, du [règlement 2015/848] doit-il être interprété en ce sens qu’une société débitrice dont le siège social statutaire est situé dans un État membre n’a pas le centre de ses intérêts principaux dans un deuxième État membre dans lequel se trouve le lieu de son administration centrale, tel que ce lieu peut être déterminé sur la base d’éléments objectifs et vérifiables par des tiers, lorsque, dans des circonstances telles que celles de la procédure au principal, cette société a transféré ce lieu d’administration centrale d’un troisième État membre vers ce deuxième État membre, alors qu’une demande d’ouverture de la procédure d’insolvabilité principale relative aux actifs de ladite société avait été introduite dans ce troisième État membre, demande sur laquelle il n’a pas encore été statué ?
2) Si la réponse à la première question est négative, l’article 3, paragraphe 1, du règlement 2015/848 doit-il être interprété en ce sens :
a) que les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur lors de l’introduction d’une demande d’ouverture de la procédure d’insolvabilité demeurent compétentes au niveau international pour ouvrir cette procédure lorsque le débiteur déplace le centre de ses intérêts principaux sur le territoire d’un autre État membre après l’introduction de la demande mais avant l’intervention de l’ouverture de la procédure, et
b) qu’un tel maintien de la compétence internationale des juridictions d’un État membre exclut la compétence des juridictions d’un autre État membre à l’égard de nouvelles demandes d’ouverture de la procédure d’insolvabilité principale qui parviennent à une juridiction d’un autre État membre postérieurement au transfert du centre des intérêts principaux du débiteur dans cet autre État membre ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la seconde question
24 Par sa seconde question, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, du règlement 2015/848 doit être interprété en ce sens que la juridiction d’un État membre saisie d’une demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité principale conserve une compétence exclusive pour ouvrir une telle procédure lorsque le centre des intérêts principaux du débiteur est transféré vers un autre État membre après l’introduction de cette demande, mais avant que cette juridiction n’ait statué sur celle-ci.
25 À titre liminaire, il convient de relever que la Cour n’est pas interrogée sur la qualification ou sur les conséquences, aux fins de l’application de l’article 3, paragraphe 1, du règlement 2015/848, du transfert du centre des intérêts principaux d’un débiteur avant le dépôt d’une première demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité qui avait eu lieu à un moment proche de ce dépôt. En effet, la juridiction de renvoi a indiqué, ainsi qu’il est rappelé au point 22 du présent arrêt, qu’elle doit, en substance, pour des raisons procédurales, partir du principe que, à la date à laquelle la demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité visant Galapagos a été introduite devant la High Court, ce centre se situait au Royaume-Uni.
26 La juridiction de renvoi s’interrogeant, dans le cadre de cette question, plus précisément sur le point de savoir si la jurisprudence de la Cour relative à l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1346/2000 et, spécialement, l’interprétation de ce règlement donnée par la Cour dans l’arrêt du 17 janvier 2006, Staubitz-Schreiber (C‑1/04, EU:C:2006:39), sont pertinentes pour interpréter l’article 3, paragraphe 1, du règlement 2015/848, il convient de commencer par constater que, ainsi qu’il ressort du considérant 1 de ce dernier règlement, celui-ci procède d’une refonte du règlement n° 1346/2000 qui avait été modifié à plusieurs reprises. Or, d’une part, tout comme ce dernier, le règlement 2015/848 vise notamment, ainsi que cela ressort de son considérant 8, à améliorer et à accélérer les procédures d’insolvabilité ayant des effets transfrontaliers en contenant, dans un acte obligatoire et directement applicable dans tous les États membres, des dispositions relatives à la compétence, à la reconnaissance et au droit applicable dans ce domaine.
27 En outre, à l’instar du règlement n° 1346/2000, le règlement 2015/848 poursuit notamment l’objectif, énoncé à son considérant 5, d’éviter, pour assurer le bon fonctionnement du marché intérieur, que les parties ne soient incitées à déplacer des avoirs ou des procédures judiciaires d’un État membre à un autre en vue d’améliorer leur situation juridique au détriment de la masse des créanciers (forum shopping). À cette fin, il vise en particulier, ainsi qu’il ressort de son considérant 29, à établir des garanties visant à empêcher la recherche frauduleuse ou abusive de la juridiction la plus favorable.
28 D’autre part, l’article 3, paragraphe 1, du règlement 2015/848 prévoit, comme l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1346/2000, que les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d’insolvabilité.
29 Par conséquent, la jurisprudence de la Cour relative à l’interprétation des règles établies par le règlement n° 1346/2000 en matière de compétence internationale demeure pertinente pour interpréter l’article 3, paragraphe 1, du règlement 2015/848 (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2020, Novo Banco, C‑253/19, EU:C:2020:585, point 20).
30 Dès lors, il convient de constater que l’article 3, paragraphe 1, du règlement 2015/848 confère, pour l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité principale, une compétence exclusive aux juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le débiteur a le centre de ses intérêts principaux (voir, par analogie, arrêts du 15 décembre 2011, Rastelli Davide et C., C‑191/10, EU:C:2011:838, point 27, ainsi que du 14 novembre 2018, Wiemer & Trachte, C‑296/17, EU:C:2018:902, point 23).
31 En outre, ainsi que la juridiction de renvoi le relève, la Cour a jugé, dans l’arrêt du 17 janvier 2006, Staubitz-Schreiber (C‑1/04, EU:C:2006:39), que la juridiction de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur lors de l’introduction de la demande d’ouverture de la procédure d’insolvabilité par le débiteur demeure compétente pour ouvrir ladite procédure lorsque ledit débiteur déplace le centre de ses intérêts principaux sur le territoire d’un autre État membre après l’introduction de la demande, mais avant l’intervention de l’ouverture de la procédure.
32 À cet égard, la Cour a notamment rappelé, au point 25 de cet arrêt, l’objectif du règlement n° 1346/2000, identique à celui dorénavant poursuivi par le règlement 2015/848, consistant à éviter que les parties à la procédure ne soient incitées à déplacer des avoirs ou des procédures judiciaires d’un État membre à un autre, en vue d’améliorer leur situation juridique, et a considéré que cet objectif ne serait pas atteint si le débiteur pouvait déplacer le centre de ses intérêts principaux dans un autre État membre entre l’introduction de la demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité et l’intervention de la décision d’ouverture de cette procédure et déterminer, de cette manière, la juridiction compétente ainsi que le droit applicable. La Cour a relevé, au point 26 dudit arrêt, qu’un tel transfert de compétence serait également contraire à l’objectif, désormais énoncé aux considérants 3 et 8 du règlement 2015/848, d’un fonctionnement efficace, amélioré et accéléré des procédures transfrontalières, en ce qu’il obligerait les créanciers à poursuivre continuellement le débiteur là où il jugerait bon de s’établir de manière plus ou moins définitive et risquerait de se traduire souvent, en pratique, par un allongement de la procédure.
33 Quant à la question de savoir si le maintien de la compétence de la juridiction d’un État membre initialement saisie a pour conséquence d’exclure la compétence des juridictions d’un autre État membre pour connaître de nouvelles demandes d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité principale, il y a lieu de constater, tout d’abord, qu’il ressort de l’article 3 du règlement 2015/848 que seule une procédure principale peut être ouverte et que celle-ci produit ses effets dans tous les États membres dans lesquels ce règlement est applicable (voir, par analogie, arrêt du 2 mai 2006, Eurofood IFSC, C‑341/04, EU:C:2006:281, point 52).
34 Ensuite, conformément à l’article 4, paragraphe 1, du règlement 2015/848, lu à la lumière du considérant 27 de celui-ci, il appartient à la juridiction d’un État membre saisie d’une demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité principale d’examiner d’office si elle est compétente et, à cette fin, de vérifier que le centre des intérêts principaux du débiteur, au sens de l’article 3 de ce règlement, est situé dans cet État membre (voir, par analogie, arrêt du 2 mai 2006, Eurofood IFSC, C‑341/04, EU:C:2006:281, point 41). Le considérant 33 de ce règlement indique d’ailleurs que, lorsque la juridiction saisie d’une telle demande constate que le centre des intérêts principaux n’est pas situé sur le territoire de l’État dont elle relève, elle ne doit pas ouvrir de procédure principale d’insolvabilité.
35 Enfin, en vertu de l’article 19, paragraphe 1, du règlement 2015/848, toute décision ouvrant une procédure d’insolvabilité rendue par une juridiction d’un État membre compétente en vertu de l’article 3 de ce règlement est reconnue dans tous les autres États membres dès qu’elle produit ses effets dans l’État membre d’ouverture. Cette reconnaissance repose, ainsi que l’indique le considérant 65 dudit règlement, sur le principe de confiance mutuelle, lequel exige que les juridictions des autres États membres reconnaissent la décision ouvrant une telle procédure, sans pouvoir contrôler l’appréciation portée par la première juridiction sur sa compétence (voir, par analogie, arrêt du 2 mai 2006, Eurofood IFSC, C‑341/04, EU:C:2006:281, point 42).
36 Il découle de l’ensemble de ces considérations que la juridiction d’un État membre saisie d’une demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité principale conserve une compétence exclusive pour ouvrir une telle procédure lorsque le centre des intérêts principaux du débiteur est transféré vers un autre État membre après l’introduction de cette demande, mais avant que cette juridiction n’ait statué sur celle-ci, et que, en conséquence, lorsqu’une demande est introduite ultérieurement aux mêmes fins devant une juridiction d’un autre État membre, cette dernière ne saurait, en principe, se déclarer compétente pour ouvrir une telle procédure tant que la première juridiction n’a pas statué et décliné sa compétence.
37 Dans l’affaire au principal, il apparaît constant que, préalablement à la saisine de l’Amtsgericht Düsseldorf (tribunal de district de Düsseldorf), une demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité principale visant Galapagos avait été introduite devant la High Court. Dès lors, pour apprécier la validité de la décision de l’Amtsgericht Düsseldorf (tribunal de district de Düsseldorf) d’admettre sa compétence internationale, la juridiction de renvoi devra tenir compte des effets produits par l’introduction de cette demande devant la High Court, eu égard aux considérations exposées dans le présent arrêt.
38 Cela étant, il doit également être tenu compte de ce que, selon l’article 67, paragraphe 3, sous c), de l’accord de retrait, le règlement 2015/848 s’applique au Royaume-Uni, ainsi que dans les États membres en cas de situations impliquant le Royaume-Uni, aux procédures d’insolvabilité, à condition que la procédure principale ait été ouverte avant la fin de la période de transition prévue à l’article 126 de cet accord.
39 En conséquence, s’il devait être relevé, en l’occurrence, que, à la date d’expiration de cette période de transition, à savoir le 31 décembre 2020, la High Court n’avait toujours pas statué sur la demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité principale, il en découlerait que le règlement 2015/848 n’exigerait plus que, du fait de cette demande, une juridiction d’un État membre, sur le territoire duquel le centre des intérêts principaux de Galapagos serait situé, s’abstienne de se déclarer compétente aux fins de l’ouverture d’une telle procédure.
40 Eu égard à l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 3, paragraphe 1, du règlement 2015/848 doit être interprété en ce sens que la juridiction d’un État membre saisie d’une demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité principale conserve une compétence exclusive pour ouvrir une telle procédure lorsque le centre des intérêts principaux du débiteur est transféré vers un autre État membre après l’introduction de cette demande, mais avant que cette juridiction n’ait statué sur celle-ci. En conséquence, et pour autant que ce règlement demeure applicable à ladite demande, la juridiction d’un autre État membre ultérieurement saisie d’une demande introduite aux mêmes fins ne peut, en principe, se déclarer compétente pour ouvrir une procédure d’insolvabilité principale tant que la première juridiction n’a pas statué et décliné sa compétence.
Sur la première question
41 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, du règlement 2015/848 doit être interprété en ce sens qu’il peut être considéré que le centre des intérêts principaux du débiteur est situé dans l’État membre sur le territoire duquel se trouve son administration centrale, alors que cette dernière a été transférée à partir d’un autre État membre après l’introduction, dans ce dernier, d’une demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité principale et qu’il n’a pas encore été statué sur cette demande.
42 Or, il résulte de la réponse apportée à la seconde question que la juridiction d’un État membre saisie d’une demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité principale n’a pas, dans de telles circonstances, à examiner si le centre des intérêts principaux du débiteur se situe dans cet État membre.
43 Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de répondre à la première question.
Sur les dépens
44 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
L’article 3, paragraphe 1, du règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 2015, relatif aux procédures d’insolvabilité, doit être interprété en ce sens que la juridiction d’un État membre saisie d’une demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité principale conserve une compétence exclusive pour ouvrir une telle procédure lorsque le centre des intérêts principaux du débiteur est transféré vers un autre État membre après l’introduction de cette demande, mais avant que cette juridiction n’ait statué sur celle-ci. En conséquence, et pour autant que ce règlement demeure applicable à ladite demande, la juridiction d’un autre État membre ultérieurement saisie d’une demande introduite aux mêmes fins ne peut, en principe, se déclarer compétente pour ouvrir une procédure d’insolvabilité principale tant que la première juridiction n’a pas statué et décliné sa compétence.