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Décisions

CA Aix-en-Provence, 1re et 3e ch., 5 mars 2020, n° 17/19895

AIX-EN-PROVENCE

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Création Concept Optique (Sarl)

Défendeur :

Bli-Dbp (Sarl)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Calloch

Conseillers :

M. Fohlen, M. Prieur

TGI de Marseille, du 21 sept. 2017, n° 1…

21 septembre 2017

FAITS ET PROCÉDURE

La société BLI-BDP a déposé le 10 avril 2009 auprès de l'Institut National de la Propriétés Industrielle sous le numéro 091721 un modèle de lunettes commercialisées sous la référence JF 2257.

Considérant que le modèle commercialisé par la société CREATION CONCEPT OPTIQUE (ci-après CCO) sur son site internet www.lunettes-paprika.com sous la dénomination ALMOND reprenait les caractéristiques essentielles de son propre modèle déposé, la société BLI-BDP a fait dresser un procès-verbal d'huissier concernant le site le 2 février 2016 puis un constat d'achat après commande passée à la société CCO les 15 et 16 février 2016.

Par acte en date du 13 avril 2016, la société BLI-BDP a fait assigner la société CCO devant le tribunal de grande instance de MARSEILLE afin de la faire juger avoir commis des actes de contrefaçon de modèle, de contrefaçon de droits d'auteur et de concurrence déloyale et obtenir, outre l'interdiction de commercialiser les modèles litigieux, sa condamnation au paiement des sommes de 100 000 € et 50 000 € de dommages intérêts, le jugement à intervenir étant publié aux frais de la défenderesse.

Suivant jugement en date du 21 septembre 2017, le tribunal a dit que la société CCO avait commis des actes de contrefaçon du modèle JF 2267 et de contrefaçon des droits d'auteur, a fait interdiction à la société CCO de commercialiser tout modèle contrefaisant sous astreinte de 500 € par infraction constatée, l'a condamnée à verser une somme de 53 075 € au titre de dommages intérêts outre 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, a ordonné la publication de la décision et son exécution provisoire.

La société CCO a interjeté appel de ce jugement par déclaration enregistrée au greffe le 3 novembre 2017.

Le conseiller de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction par ordonnance en date du 6 janvier 2020 et a renvoyé l'examen du dossier au 27 janvier 2020.

A l'appui de son appel, par conclusions déposées le 3 janvier 2020, la société CCO soulève en premier lieu la déchéance du modèle JF 2267 sur le fondement de l'article L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle pour défaut d'usage sérieux et pour défaut de renouvellement du dépôt. En second lieu, la société CCO soulève la nullité de la marque modèle pour défaut d'originalité et se réfère à un modèle BORDA antérieur, dont le modèle JF 2267 reprendrait les caractéristiques. Elle conteste en outre le caractère nouveau et propre du dit modèle, rappelant que le modèle BORDA a été par elle commercialisé et donc divulgué dès 2008. En troisième lieu, la société CCO conteste tout risque de confusion entre les modèles en procédant à une comparaison prenant en compte tant l'aspect visuel que fonctionnel. Elle verse sur ce point plusieurs attestations d'opticiens et retient notamment que son modèle est destiné à des enfants de moins de douze ans tandis que le modèle déposé est lui destiné à des adultes.

Sur la contrefaçon de droits d'auteur, la société CCO soutient que la société BLI-BDP ne démontre pas en quoi son propre modèle serait original au sens du Code de la propriété intellectuelle et soutient que les caractéristiques du dit modèle existaient déjà sur le marché antérieurement à son dépôt.

La société CCO conclut à la confirmation de la décision ayant rejeté les demandes formées au titre des actes de concurrence déloyale et parasitaire en raison de l'absence de faits distinctifs de ceux allégués au titre des contrefaçons et soutient à titre subsidiaire qu'aucune concurrence déloyale ne peut en l'espèce être caractérisée en raison de l'absence de risque de confusion entre les modèles, précision étant donnée qu'en outre les préjudices ne seraient pas établis par les pièces produites.

Au terme de ses écritures, la société CCO conclut à la confirmation du jugement sur la concurrence déloyale et à l'infirmation pour le surplus, demandant à la cour d'ordonner la déchéance ou à défaut la nullité de la marque déposée sous le modèle JF2267 (sic) et subsidiairement de débouter la société BLI-BDP du surplus de ses demandes en la condamnant à lui verser la somme de 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société BLI-BDP, par conclusions déposées le 5 avril 2019, soutient que l'appelante a opéré une confusion entre le droit des marques et le droit des modèles dans sa demande en déchéance, et fait observer que les actes de contrefaçon sont antérieurs au 1er avril 2014, date à partir de laquelle son modèle n'était plus protégé du fait du non-renouvellement de l'enregistrement. Elle maintient que comme l'ont décidé les premiers juges son modèle présente le caractère de nouveauté requis et conteste sur ce point les antériorités proposées par la société CCO. Reprenant la comparaison entre le modèle déposé et le modèle litigieux, elle affirme que celle-ci révèle des différences entre les deux paires de lunettes très légères, ce qui établirait les faits de contrefaçon de modèle, mais aussi de droits d'auteur. A titre subsidiaire, elle invoque des actes de concurrence déloyale, la confusion entre les deux modèles étant parfaitement établie, mais aussi de parasitisme, la société CCO ayant tenté de profiter du succès commercial du modèle déposé. Elle chiffre son préjudice en prenant pour base une masse contrefaisante minimale de 500 pièces et une marge par modèle de 72 € 30 et fait valoir un préjudice moral lié à l'avilissement de son modèle et au détournement de ses efforts de création et de ses investissements. Elle demande sur ce point à la cour d'infirmer la décision des premiers juges en portant à la somme de 100 000 € le montant des dommages intérêts devant lui être versés. Au terme de ses conclusions, elle demande à la cour de confirmer le jugement du tribunal de grande instance en ce qu'il a :

DIT que la S.A.R.L. CREATION CONCEPT OPTIQUE a commis des actes de contrefaçon du modèle JF 2267 enregistré à l'lNPI le 10 avril 2009 sous le n°091721 en application de l'article L. 513-4 du Code de la propriété intellectuelle ainsi que des droits d'auteur dont la société BLI-BDP est titulaire sur cette création, en application de l'article L. 335~2 du même Code ;

FAIT interdiction à la S.A.R.L. CREATION CONCEPT OPTIQUE d'importer, offrir à la vente, promouvoir et/ou commercialiser, de quelque façon que ce soit, des montures de lunettes qui reproduisent le modèle JF 2267 déposé sous le n°091721 (modèle 842290), et ce, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée ;

ORDONNÉ la publication du dispositif du jugement dans trois journaux ou revues au choix de la société BLI-BDP et aux frais de la S.A.R.L. CREATION CONCEPT OPTIQUE sans que le coût global de chacune des insertions ne puisse excéder, à la charge de celle-ci, la somme de 3 500 euros HT ;

CONDAMNÉ la S.A.R.L. CREATION CONCEPT OPTIQUE à payer à la société BLI-BDP une somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

Mais :

INFIRMER le jugement en ce qu'il a évalué le montant des dommages et intérêts dû à la société BLI-BDP à la somme de 53 075 euros et statuant à nouveau,

CONDAMNER la société CREATION CONCEPT OPTIQUE à verser à la société BLI- BDP, la somme de 100 000 à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon commis à son encontre ;

SUBSIDIAIREMENT, DIRE ET JUGER, qu'en offrant à la vente et en commercialisent en France des lunettes reprenant à l'identique tes caractéristiques du modèle précité de la société BLI-BDP, sans que cela soit justifié par une quelconque nécessité technique ou autre, la société CREATION CONCEPT OPTIQUE a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire

SUBSIDIAIREMENT, CONDAMNER la société CREATION CONCEPT OPTIQUE à verser à la société BLI-BDP, la somme de 50 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire commis à son encontre ;

CONDAMNER la société CREATION CONCEPT OPTIQUE au paiement de la somme de 15 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile, en ce compris notamment les frais d'huissiers relatifs aux procès-verbaux précités ;

CONDAMNER la société CREATION CONCEPT OPTIQUE aux entiers dépens de la procédure dont distraction au profit de Maître Paul M. conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la validité du modèle déposé le 10 avril 2009 sous le numéro 091721

Il résulte de la lecture de l'acte de dépôt lui-même que la société BLI-BDP a déposé auprès de l'Institut National de la Propriété Industrielle le 10 avril 2009 un modèle au sens du livre V du Code de la propriété intellectuelle, et non une marque tridimensionnelle ; le moyen soulevé par la société CCO sur le fondement de la déchéance prévue par l'article L 714-5 du Code de la propriété intellectuel, moyens concernant le droit des marques, apparaît de ce fait totalement inapproprié et sera écarté.

L'article L. 511-2 du Code de la propriété intellectuelle pose comme condition de protection d'un modèle la double condition de nouveauté et de caractère propre ; la nouveauté est caractérisée par l'article L 511-3 par le constat qu'à la date de dépôt de la demande d'enregistrement, aucun modèle identique n'avait été divulgué, les modèles étant considérés comme identiques lorsque leurs caractéristiques ne différent que par des détails insignifiants ; en l'espèce, il résulte de l'examen de l'ensemble des photocopies versées par la société CCO qu'il n'existe aucun modèle présenté dont la date certaine est antérieure au 10 avril 2009 constituant une antériorité de toute pièce, c'est à dire reprenant les caractéristiques de la forme des verres, des tenons et des branches telles que pertinemment rappelées par les premiers juges en la page 6 du jugement, caractéristiques arbitraires à visée esthétique et non dictées par les contraintes techniques ; c'est sur ce point à tort que la société CCO invoque comme antériorité le modèle BORDA, les différences d'aspect entre les deux modèles étant évidentes et nombreuses, notamment en ce qui concerne la présence ou non d'un support inférieur pour les verres, la forme de la monture au-dessus de l'arête du nez, la forme des branches et tout particulièrement le nombre de lignes horizontales ; de même, le modèle JF 2257 tel que déposé produit un caractère propre incontestable, l'impression visuelle d'ensemble, suggérant un univers de modernité et de légèreté, ne se retrouvant pas dans les antériorités proposées par la société CCO, et ce là encore notamment en comparaison du modèle BORDA, plus classique et plus massif en sa partie frontale ; cette impression générale est d'autant plus sensible pour un observateur averti, opticien ou consommateur particulièrement vigilant, au sens de l'article L 511-4 dès lors que les formes possibles pour les montures de lunettes sont de toute évidence limitées par les contraintes fonctionnelles ; enfin, à supposer ce critère applicable en matière de modèle, la recherche esthétique ayant présidé à l'élaboration du modèle JF 2257, et notamment le soin apporté à l'allégement de la monture, traduisent la personnalité de l'auteur du dessin et confère à ce modèle un caractère original ; il y a lieu en conséquence de rejeter la demande en nullité formée à l'encontre du modèle JF 2257.

Sur l'existence d'un droit d'auteurs de la société BLI-BDP sur le modèle JF 2267

Comme l'ont rappelé à juste titre les premiers juges, tout créateur d'un modèle est fondé en application de la théorie de l'unité de l'art à invoquer cumulativement la protection offerte par le livre V et celle offerte par le livre I du Code de la propriété intellectuelle ; il doit en matière de droit d'auteur établir l'originalité de son oeuvre ; en l'espèce, ainsi qu'il a été relevé plus haut, le modèle de lunettes JF 2267 présente par le choix de l'agencement des différentes parties des lunettes et par les caractéristiques stylistiques très particulières de la monture dans sa partie au-dessus de l'arête du nez, par la jonction entre le verre et les branches, et par le dessin même des branches constituées de plusieurs lignes se rejoignant un aspect très distinctif reflétant la personnalité du créateur ; c'est donc à bon droit que la société BLI-BDP revendique la protection offerte par le livre I du Code de la propriété intellectuelle.

Sur la contrefaçon du modèle déposé et des droits d'auteur

Le modèle JF 2267 ayant été déposé par la société BLI-BDP le 10 avril 2009, et l'enregistrement n'ayant pas fait l'objet d'une demande de renouvellement, la protection par lui conférée a cessé en application de l'article L. 513-1 du Code de la propriété intellectuelle au 10 avril 2014 ; la société CCO reconnaît elle-même dans ses écritures avoir commercialisé le modèle argué de contrefaçon, soit le modèle ALMOND, en 2013 ; il apparaît en conséquence que la société BLI-BDP, si elle ne peut invoquer de protection au titre du modèle déposé postérieurement au 10 avril 2014, reste fondée à se prévaloir d'une éventuelle contrefaçon pour la période de 2013 à avril 2014.

La protection conférée par le dépôt d'un modèle s'étend à tout modèle qui ne produit pas sur l'observateur averti une impression visuelle d'ensemble différente, comme l'édicte l'article L. 513-5 du Code de la propriété intellectuelle ; en application de ce texte, la contrefaçon d'un modèle ne nécessite pas de constater l'existence d'un risque de confusion, notion applicable en

matière de marque ou de concurrence déloyale, mais de constater que les caractéristiques visuelles d'un modèle sont reproduites de manière suffisamment proches pour qu'un observateur averti ressente en les comparant une impression visuelle semblable ; sur ce point, la comparaison entre le modèle déposé et les modèles reproduits dans le procès-verbal d'huissier du 2 février 2016 et dans le procès-verbal d'achat des 15 et 16 février 2016, soit les modèles ALMOND, met en évidence une quasi similitude entre les deux montures, que ce soit dans la forme de la pièce supportant les verres, dans le dessin des branches ou l'agencement entre ces branches et le tenon ; les seules différences constatables, notamment concernant le nombre de lignes dessinant les branches sont minimes, fut-ce pour un observateur averti, et n'altèrent pas l'impression générale esthétique de similitude ; il sera fait observer sur ce point que la société CCO entretien une confusion entre son modèle BORDA et son modèle ALMOND, présentant le second comme la réplique du premier, alors que les dessins de ses deux modèles sont très différents et que l'impression globale est parfaitement distincte ; cette confusion se retrouve dans les attestations versées par la société CCO et rédigées par plusieurs opticiens, ces témoignages étant fondés sur une comparaison entre le modèle de la société BLI-BDP et le modèle BORDA, et non entre le modèle de la société BLI-BDP ; c'est dès lors à bon droit que les premiers juges ont constaté l'existence d'actes de contrefaçon du fait de la commercialisation du modèle ALMOND, et ce entre 2013 et avril 2014.

Sur la contrefaçon de droits d'auteur.

Comme l'ont rappelé les premiers juges, le cumul entre la protection offerte par le livre 1 du Code de la propriété intellectuelle et le livre 5 est possible en application de la théorie de l'unité de l'art ; là encore, la comparaison entre le modèle JF 2267 et le modèle ALMOND met en évidence l'existence d'une reproduction quasi servile, les quelques dissemblances de détail entre les deux objets étant minimes et insusceptibles d'occulter la ressemblance globale entre les deux montures ; l'atteinte aux droits d'auteur du créateur est en conséquence établie et le jugement sera confirmé.

Sur le préjudice subi.

Concernant le calcul du gain manqué occasionné par les actes de contrefaçon, il convient de retenir, conformément aux pièces versées aux débats et aux écritures même de l'intimée, que le nombre de montures contrefaisant vendues ou en stock s'élève à 500 unités ; comme l'a fait remarquer le premier juge, la perte subie ne peut cependant être calculée sur ce nombre, la perte devant s'apprécier en tenant compte des ventes perdues du seul fait de l'existence de produits contrefaisant ; le chiffre de 250, soit la moitié de la masse contrefaisante, apparaît une bonne évaluation, rappel étant fait que les produits sont soumis à un phénomène de mode important et que la concurrence est en ce domaine pléthorique ; l'évaluation de la perte à la somme de 18 075 €, sur la base d'une marge de 72, 30 € par monture, apparaît dès lors justifiée.

L'évaluation des pertes dues notamment à la banalisation du produit et aux frais de promotion engagés, soit 20 000 €, apparaît là encore justifiée en tenant compte de la soumission des produits au phénomène de mode et au caractère concurrentiel du secteur ; de même, l'évaluation du préjudice moral à hauteur de la somme de 15 000 € apparaît satisfactoire, la société BLI-BDP justifiant par les pièces produites de ses efforts pour fidéliser sa clientèle en mettant en avant le caractère esthétique et sophistiqué des produits proposés.

Sur la concurrence déloyale.

La société BLI-BDP formant sa demande au titre de la concurrence déloyale de manière subsidiaire, il n'y a pas lieu d'examiner ses prétentions sur ce point, observation étant faite que les éléments avancés au soutien de celles ci ne se distinguent pas de ceux avancés au titre des actes de contrefaçon.

Sur les demandes accessoires

Les mesures d'interdiction et de publication ordonnées par le tribunal sont conformes à la nature des faits reprochés et nécessaires pour faire respecter les droits de la partie demanderesse.

La société CCO succombant en son appel, elle devra verser une somme de 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

- CONFIRME le jugement du tribunal de grande instance de MARSEILLE en date du 21 septembre 2017 dans l'intégralité de ses dispositions,

Y ajoutant,

- DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes.

- CONDAMNE la société CREATION CONCEPT OPTIQUE à verser à la société BLI-BDP la somme de 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.