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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 23 mars 2022, n° 21/11474

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Initial (SAS)

Défendeur :

MAT (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, Mme Lignières

Avocats :

Me Lahaye-Migaud , Me Rouhette

T. com. Evry, du 8 juin 2021, n° 2019F00…

8 juin 2021

La société S.A.S. Initial (ci-après « Initial ») est une société spécialisée dans la location et l'entretien des vêtements professionnels.

La société S.A.R.L. Société MAT (ci-après « MAT ») est une société qui exerce une activité de boucherie, boulangerie et alimentation générale.

Le 26 mai 2005, les sociétés Initial et MAT ont conclu un contrat de location et d'entretien de vêtements professionnels pour une durée de trois ans renouvelables par tacite reconduction pour des périodes égales.

Au cours de l'été 2018, la société MAT sollicitait la renégociation des tarifs et l'établissement d'un devis, un devis a été transmis par la société Initial le 10 août 2018.

A partir de juillet 2018, la société MAT a cessé de régler les échéances prévues par le contrat.

Le 7 février 2019, la société Initial a envoyé une lettre de mise en demeure à la société MAT l'informant qu'à défaut de règlement des factures, le contrat serait résilié de plein droit.

Par une lettre recommandée avec accusé de réception du 30 juillet 2019, la société Initial demandait une résolution à l'amiable du litige et notamment le paiement des sommes dont MAT lui était redevable.

Le 6 septembre 2019, la société Initial a obtenu du tribunal de commerce d'Evry une ordonnance d'injonction de payer qui condamne la société MAT à payer à Initial :

Principal 7.119,78 €

Clause pénale 1.067,97 €

Art. 700 CPC 720,00 €

Indemnité forfaitaire 200,00 €

Frais accessoires 5,02 €

Le 8 octobre 2019, l'injonction de payer a été signifiée à la société MAT.

Le 5 novembre 2019, la société MAT a fait opposition à l'injonction de payer par un courrier recommandé avec accusé de réception.

C'est dans ces conditions que l'affaire a été enrôlée par devant le tribunal de commerce d'Evry.

Par jugement du 8 juin 202, le tribunal de commerce d'Evry a :

« Sur la recevabilité,

Dit l'opposition à l'injonction de payer recevable en la forme.

- Sur le mérite.

Constaté que la présente affaire relève de la compétence du tribunal de commerce de Paris.

En conséquence,

Désigné le tribunal de commerce de Paris pour connaître du litige au fond et renvoie les parties à se pourvoir devant ladite juridiction conformément aux dispositions de l'article 81 alinéa 2 du Code de procédure civile.

Dit que faute par les parties de présenter une déclaration d'appel dans le délai de 15 jours à compter de la notification du jugement conformément aux dispositions de l'article 83 du Code de procédure civile, le dossier de l'affaire sera renvoyé devant la juridiction désignée et fera l'objet d'une transmission par le greffe, avec copie de la décision de renvoi en application de la règle de l'article 82 du Code de procédure civile.

Dit à Monsieur le Greffier du tribunal de procéder à la notification du présent jugement aux parties et aux avocats constitués par lettre recommandée avec demande d'avis de réception conformément aux dispositions de l'article 84 du Code de procédure civile et, le cas échéant, par lettre simple à leurs représentants.

Condamné la S.A.S. Initial à payer à la S.A.R.L. Société MAT la somme de 1.000,00 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et la déboutera du surplus de sa demande.

Condamné la S.A.S. Initial aux entiers dépens, en ce compris les frais de greffe liquidés à la somme de 154,85 € TTC. »

Le 22 juin 2021, la société Initial a interjeté appel de cette décision et a déposé une requête auprès du Premier Président de la cour d'appel de Paris pour obtenir une ordonnance aux fins d'être autorisée à assigner à jour fixe.

Le 3 août 2021, la société Initial a assigné à jour fixe la société MAT.

Vu les dernières conclusions de la société Initial, appelante, déposées et notifiées le 18 janvier 2022 par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu les articles 81 et suivants et L. 122 du code de procédure civile,

Vu le jugement rendu par le Tribunal de Commerce d'EVRY en date du 10.06.2021,

Vu les pièces versées aux débats,

Dire la société INITIAL recevable et bien fondée en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

EN CONSEQUENCE,

Infirmer le jugement rendu par le Tribunal de Commerce d'EVRY en date du 10.06.2021 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a déclaré l'opposition de la société MAT recevable en la forme.

ET LE REFORMANT,

Dire la société MAT irrecevable en ses demandes et moyens fondés sur l'article L. 442-6 du code de commerce devant le Tribunal de Commerce d'EVRY.

Renvoyer l'affaire devant le Tribunal de Commerce d'EVRY afin qu'il statue sur la présente affaire dans la limite de son pouvoir juridictionnel.

EN TOUT ETAT DE CAUSE

Condamner la société MAT à payer à la société INITIAL la somme de 2.000 Euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Condamner la société MAT aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions de la société MAT, intimée, déposées et notifiées le 3 janvier 2022 par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu les articles L. 442-6, D. 442-3 du Code de Commerce et 122 du Code de Procédure Civile en leur rédaction applicable en la cause,

CONFIRMER le jugement du Tribunal de Commerce d'Evry-Courcouronnes du 8 juin 2021, sauf à juger que le renvoi de l'affaire auprès du Tribunal de Commerce de Paris découle d'une fin de non-recevoir et non d'une exception d'incompétence.

CONDAMNER la société Initial aux dépens, dont distraction au profit du Cabinet Signature Litigation AARPI, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.

CONDAMNER la société Initial à payer à la société MAT la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, en sus de l'indemnité allouée sur le même fondement en première instance à hauteur de 1.000 euros.

SUR CE, LA COUR,

Sur l'incompétence constatée par le tribunal de commerce d'Evry concernant la prétention relative aux pratiques restrictives de concurrence.

La société Initial reproche aux premiers juges d'avoir retenu une exception d'incompétence et renvoyé l'affaire devant le tribunal de commerce de Paris en contradiction avec les textes légaux. A cet effet, l'appelante soutient que :

- Les articles L. 442-6 III° et D. 442-3 du code de commerce permettent de désigner la juridiction compétente pour statuer sur les pratiques restrictives de concurrence, ils ne permettent pas à une juridiction de renvoyer l'affaire devant une autre juridiction.

- L'article 82 du code de procédure civile concerne uniquement les exceptions d'incompétence et non le défaut de pouvoir juridictionnel, or, la fin de non-recevoir n'est pas une exception d'incompétence selon l'article 73 du code de procédure civile, mais une irrégularité qui touche au droit d'agir et à l'action elle-même selon l'article 122 du même code.

La société Initial en déduit qu'il n'existe aucun fondement légal permettant à une juridiction de renvoyer l'affaire en raison d'une fin de non-recevoir, et prétend que le tribunal de commerce d'Evry ne pouvait pas renvoyer l'affaire devant le tribunal de commerce de Paris.

En réplique, la société MAT considère qu'une fin de non-recevoir tirée du défaut de pouvoir juridictionnel des premiers juges aurait abouti au même résultat qu'une exception d'incompétence, à savoir, le renvoi du litige devant le tribunal de commerce de Paris. Elle demande de confirmer le jugement du tribunal de commerce d'Evry en son dispositif, tout en ajoutant que c'est par suite d'une fin de non-recevoir et non d'une exception d'incompétence que l'affaire doit être renvoyée au tribunal de commerce de Paris.

Sur ce ;

Conformément au III de l'ancien article L. 442-6 du code de commerce, dans sa rédaction applicable à l'espèce, les litiges relatifs à l'application de cet article sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret ; conformément à l'article D. 442-3 du même code et au tableau figurant sous l'annexe 4-2-1, le tribunal de commerce de Paris est compétent pour connaître des contentieux relevant des tribunaux dont le ressort est situé dans les cours d'appel de Bourges, Paris, Orléans, Saint-Denis de la Réunion et Versailles, la cour d'appel compétente étant la cour d'appel de Paris pour connaître des décisions rendues par les juridictions spécialisées visées par ce texte.

Ces dispositions définissent ainsi le pouvoir juridictionnel des juridictions qu'elles désignent.

En l'espèce, la société MAT, pour s'opposer à la demande en paiement de la société Initial, a fait valoir en défense devant le tribunal que celle-ci était responsable d'un déséquilibre significatif dans leurs relations contractuelles et qu'elle avait par conséquent subi un préjudice devant être réparé par l'octroi de dommages et intérêts.

Il est constant que le tribunal de commerce d'Evry, qui ne fait pas partie des juridictions spécialisées désignées par les textes précités, ne dispose pas du pouvoir juridictionnel pour statuer sur la défense de la société MAT fondée sur les dispositions de l'ancien article L. 442-6 I, 2° du code de commerce et donc que les premiers juges n'avaient pas le pouvoir juridictionnel d'apprécier si la relation contractuelle liant les parties contenait des déséquilibres significatifs.

Il convient donc d'infirmer le jugement en ce qu'il s'est dit incompétent et a renvoyé l'affaire devant le tribunal de commerce de Paris, et de déclarer la société MAT irrecevable en sa demande indemnitaire formée en première instance devant le tribunal de commerce d'Evry fondée sur l'allégation d'un déséquilibre significatif au sens de l'ancien article L. 442-6 I, 2° du code de commerce, il appartiendra à cette dernière le cas échéant de saisir la juridiction spécialisée de cette question.

Sur l'obligation de la juridiction de statuer sur les demandes non fondées sur l'article L. 442-6 du Code de commerce

La société Initial considère que seuls les moyens de défense de la société MAT sont irrecevables et que par conséquent, le tribunal de commerce d'Evry ne devait relever son défaut de pouvoir juridictionnel uniquement sur les demandes de la société MAT. La société Initial soutient que la juridiction saisie conserve le pouvoir juridictionnel de trancher les autres demandes ne relevant pas de l'article L. 442-6 du code de commerce. La société Initial affirme que cette solution, admise par la Cour de cassation, n'est pas soumise à des conditions que les faits soient distincts et qu'une demande de disjonction soit possible. Elle ajoute qu'en tout état de cause, une disjonction aurait été possible puisque si l'article L. 442-6 du Code de commerce, sur lequel les demandes de la société MAT sont fondées, était applicable à la présente espèce, cela ne pourrait conduire qu'à engager la responsabilité de la société Initial et non à la débouter de ses demandes qui ne sont pas fondées sur l'article L. 442-6 du code de commerce.

Ainsi la société Initial soutient que le tribunal de commerce d'Evry devait examiner la recevabilité des demandes de la société Initial et celles de la société MAT ne relevant pas de l'article L. 442-6 du code de commerce et statuer dans les limites de son propre pouvoir juridictionnel.

En réplique, la société MAT soutient qu'en vertu de la compétence spéciale octroyée au tribunal de commerce de Paris par les articles L. 442-6 et D. 442-3 du code de commerce, l'ensemble du litige doit être renvoyé devant ladite juridiction. La société MAT soutient que cette solution doit être retenue au regard du respect des droits de la défense et du principe de bonne administration de la justice. De plus, la société MAT estime que l'examen de la demande en paiement de la société Initial implique nécessairement de se prononcer au préalable sur les arguments en défense fondés sur l'article L. 442-6 du code de commerce et notamment sur le caractère abusif des prix pratiqués par la société Initial, sur l'usage abusif de l'utilisation de la clause de fixation unilatérale du prix. La société MAT considère que le tribunal de commerce d'Evry n'aurait pas pu statuer sur les demandes en paiement de la société Initial sans examiner l'unique moyen de défense soulevé par la société MAT. Selon elle, confirmer l'injonction de payer, sans examiner la défense de MAT fondée sur le droit des pratiques restrictives de concurrence, reviendrait à donner effet à un contrat affecté d'un déséquilibre significatif et donc en contradiction avec le droit de la concurrence et à la priver de son moyen de défense.

Sur ce ;

La Cour relève que la recevabilité de l'opposition à l'injonction de payer n'est pas contestée.

Concernant le fond du litige, il n'est pas non plus contesté la réalité des prestations qui fondent les factures litigieuses établies par la société Initial à l'encontre de la société MAT, ni le fait que ces factures n'ont pas été payées par la société MAT.

La Cour relève également que l'indivisibilité du litige invoquée par la société MAT pour soutenir que l'entier litige relève de la compétence du tribunal de commerce de Paris n'est pas caractérisée en l'espèce puisque la société MAT ne demande pas une nullité des clauses du contrat sur le fondement du déséquilibre significatif invoqué mais une demande reconventionnelle tendant à la condamnation en dommages et intérêts d'Initial et une compensation de cette créance avec la condamnation en paiement de la facture litigieuse.

Il s'ensuit que sera infirmée l'exception d'incompétence retenue par le tribunal de commerce d'Evry concernant la demande en paiement de la facture litigieuse formée par la société Initial et que le tribunal devait se limiter à constater son défaut de pouvoir juridictionnel concernant la demande reconventionnelle de la société MAT tendant à la condamnation en dommages et intérêts d'Initial sur le fondement du déséquilibre significatif et une compensation de cette créance avec la condamnation en paiement de la facture litigieuse.

Sur les frais et dépens,

Le jugement étant infirmé sur l'exception d'incompétence, il sera également infirmé sur les chefs de condamnation de la société Initial aux dépens et frais irrépétibles.

Succombant dans ses prétentions en appel, la société MAT sera condamnée aux entiers dépens et à verser à la société Initial la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

CONFIRME le jugement en ce qu'il a dit recevable la société MAT dans son opposition à injonction de payer et l'infirme pour le surplus.

Statuant à nouveau,

DIT le tribunal de commerce d'Evry compétent sur la demande au principal de la société INITIAL en paiement des factures établies à l'encontre la société MAT.

DÉCLARE irrecevable la demande reconventionnelle de la société MAT en paiement de dommages et intérêts fondée sur le déséquilibre significatif prévu aux dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce et en compensation judiciaire entre les deux créances, du fait du défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal de commerce d'Evry ;

CONDAMNE la société MAT aux entiers dépens de première instance et d'appel et à verser la société INITIAL la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE toute autre demande.