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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 23 mars 2022, n° 20/06439

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

UAB Isabalt (Sté)

Défendeur :

Hubbard (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, Mme Lignières

Avocats :

Me Bernabe, Me Domain, Me Callet , Me Monod

T. com. Rennes, du 10 mars 2020, n° 2018…

10 mars 2020

Faits et procédure

La SAS Hubbard (ci-après « la société Hubbard ») est une société de droit français dont l'objet social est la sélection d'espèces animales afin de les vendre à des distributeurs en vue de la production d'animaux de consommation.

La société UAB Isabalt (ci-après « la société Isabalt ») est une société de droit lituanien dont l'objet est d'importer des coqs et des poules génétiquement sélectionnés.

En 1997, la société Hubbard a absorbé la société ISA, et est ainsi devenue la société-mère de la société Isabalt.

Le 5 février 2002, la société Hubbard a cédé le capital de la société Isabalt à M. X, ancien salarié de la société Isabalt. Dans le même temps, les sociétés Hubbard et Isabalt ont conclu un premier contrat de distribution et de licence de marque ce même 5 février 2002, puis un second contrat de distribution, semblable au premier, le 21 janvier 2007 à effet au 1er janvier 2007. Ce second contrat a fait l'objet d'avenants les 18 janvier 2008, 16 janvier 2014, puis 5 mai 2015.

Au titre du second contrat, la société Isabalt était le distributeur exclusif en Russie, dans les pays de la communauté des Etats indépendants, en Georgie et dans trois Etats baltes : Lettonie, Estonie et Lituanie, de poulets reproducteurs produits par la société Hubbard. Ces poulets, selon l'annexe A du contrat étaient de trois espèces distinctes : "Hubbard F15", "Hubbard Flex" et "Hubbard U-Y", et dits "standards à croissance rapide", par opposition aux poulets dit "label à croissance lente" autre gamme plus qualitative sur le marché des poulets.

Ce contrat de distribution consistait pour la société Isabalt à importer dans ces territoires, des poulets "grand-parents" pour créer des générations de "poulets parents" et les commercialiser sur ces territoires auprès de producteurs de poulets destinés à la consommation. Les poulets étaient livrés directement en Russie à la société Baltisa filiale de la société Isabalt.

Depuis 2007, la société Isabalt a été régulièrement en retard dans ses règlements à l'exception des années 2011 et 2012.

Le 12 janvier 2018, la société Hubbard a adressé une mise en demeure à la société Isabalt de lui payer sous trente jours la somme échue de 1.517.727,64 € et évoquait l'application des conditions contractuelles.

Les 26 janvier et 8 mars 2018, des rencontres ont eu lieu entre les sociétés Isabalt et Hubbard afin de traiter du plan d'apurement de la dette de la société Isabalt. Des courriers électroniques ont également été échangés.

Le 20 mars 2018, en l'absence de règlement, une seconde mise en demeure est adressée à la société Isabalt pour un montant s'élevant à 1.804.314,89 €.

Le 18 mai 2018, la société Hubbard a notifié à la société Isabalt la rupture du contrat au titre de la section XVI-B "Durée et Résiliation" relatif au manquement des obligations, et de la section V et son annexe C du fait du manquement à l'obligation d'acquisition de la quantité minimale contractuelle et ce à effet au 22 avril 2018.

Par lettre du 6 juin 2018, la société Isabalt a pris acte de la résiliation.

Le 19 juin 2018, la société Hubbard a assigné la société Isabalt devant le Tribunal de commerce de Saint-Brieuc aux fins d'obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 2 065 933,34 euros au titre des factures impayées.

Le 14 septembre 2018, la société Isabalt a assigné la société Hubbard devant le Tribunal de commerce de Rennes sur le fondement des articles L. 442-5-6, I, 2 et D. 442-3 du code de commerce.

Le 29 octobre 2018, le Tribunal de commerce de Saint-Brieuc a ordonné, par jugement, le renvoi de l'affaire devant le Tribunal de commerce de Rennes qui a ordonné la jonction des deux instances.

Par jugement du 10 mars 2020, le tribunal de commerce de Rennes a :

Débouté la société Isabalt de toutes ses demandes, fins et conclusions.

Condamné la société Isabalt à payer à la société Hubbard la somme de 2.218.485,34 € assortie des intérêts de retard contractuels.

Condamné la société Isabalt au paiement de la somme de 50.000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Condamné la société Isabalt aux entiers dépens.

Débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Liquidé les frais de greffe à la somme de 127,66 euros tels que prévu aux articles 695 et 701 du Code de procédure civile.

Le 18 mai 2020, la société Isabalt a interjeté appel par déclaration reçue au greffe le 18 mai 2020.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 12 janvier 2022, la société Isabalt demande à la Cour de :

Vu l'article L. 442-1 du Code de Commerce,

Vu l'article 1348 du Code Civil, "moyen nouveau",

Vu l'article L. 330.1 du Code de Commerce "moyen nouveau",

Réformer le jugement du Tribunal de Commerce de Rennes du 10 mars 2020 en ce qu'il a débouté Isabalt de toutes ses demandes, fins, moyens et conclusions à l'encontre de la société Hubbard ;

Statuant à nouveau, dire et juger que la société Hubbard a :

a- Soumis la société UAB Isabalt à des obligations créant au préjudice de celle-ci, des déséquilibres significatifs dans les droits et obligations des parties ;

b- Résilié abusivement et brutalement le contrat du 21 janvier 2007 conclu entre les parties ;

En conséquence :

a- Condamner Hubbard à verser à UAB Isabalt deux millions deux cent dix-huit mille quatre cent quatre-vingt-cinq euros et trente-quatre centimes (2 218 485,34 €) à titre de dommages et intérêts outre le montant de tout intérêt pouvant s'ajouter à la créance d'Hubbard du chef de ses factures impayées et ordonner la compensation entre les dommages et intérêts dus à UAB Isabalt et la créance d'Hubbard tirée de ses factures ;

b- Condamner Hubbard à verser à UAB Isabalt neuf millions cinq cent quatre-vingt-dix-huit mille trois cent vingt-sept euros et soixante-deux centimes (9 598 327,62 €) en réparation du préjudice d'UAB Isabalt, ressortissant de la disparition de son fonds de commerce ;

c- Condamner Hubbard à verser à UAB Isabalt huit millions huit cent trente-neuf mille cent quarante euros et soixante-seize centimes (8 839 140,76 €) à titre d'indemnité de préavis de rupture ;

Débouter la société Hubbard de :

a- Ses demandes en condamnation d'UAB Isabalt à lui verser (i) des intérêts sur le montant de sa créance alléguée de deux millions deux cent dix-huit mille quatre cent quatre-vingt-cinq euros et trente-quatre centimes (ii) cent mille euros à titre de procédure abusive (iii) cent mille euros à titre d'appel abusif et (iv) cinquante mille euros du chef de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

b- Toutes ses autres demandes, fins, moyens et conclusions ;

Condamner en outre la société Hubbard à verser à la société UAB Isabalt, une somme de cinquante mille euros du chef des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens de première instance et d'appel.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 17 janvier 2022, la société Hubbart demande à la Cour de :

Vu le jugement déféré du Tribunal de commerce de Rennes du 10 mars 2020 ;

Vu les articles L. 442-1 2° et L. 442-2 II du Code de commerce (ex-articles L. 442-6.I.2 et L. 442-6 I 5° du même Code) et l'article D. 442-3 du Code de commerce.

Vu les articles 1231-1 et 1240 du Code civil ;

Vu l'article 599 du Code de procédure civile ;

Vu la jurisprudence ;

Vu les pièces ;

Vu les écritures adverses,

Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Rennes du 10 mars 2020 en ce qu'il a :

- Débouté Isabalt de l'ensemble de ses demandes en paiement, fins et conclusions à l'encontre d'Hubbard ci-après listées sur le fondement des déséquilibres significatifs dans les droits et obligations des parties au titre du contrat de distribution les liant (cf article L. 442-1-I 2° du Code de commerce (ex-article L. 442-6-I 2° du même Code) et de sa résiliation abusive ultérieure :

* Condamnation d'Hubbard à lui verser la somme de 2 218 485,34 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice ressortissant de sa dette envers elle ;

* Condamnation d'Hubbard à lui verser la somme de 9 598 327,62 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice ressortissant de la disparition de son fonds de commerce ;

* Condamnation d'Hubbard à lui verser la somme de 8 839 140,76 € à titre d'indemnité de préavis de rupture ;

* Condamnation d'Hubbard à lui verser la somme de 50 000 € au titre des frais de procédure (cf article 700 du Code de Procédure Civile) outre les entiers dépens de l'instance.

- Condamné, ce faisant, Isabalt au paiement à Hubbard des sommes suivantes :

- 2 218 485,34 € en principal assortie des intérêts de retard contractuels au titre de ses 23 factures échues suivantes :

Facture n° Montant EURDate de la factureEchéance
n° 803460832.642,50 €08/03/2017échéance 13/06/2017
n° 803460999.910,00 €15/03/2017échéance 20/06/2017
n° 8035071268.590,00 €16/05/2017échéance16/06/2017
n° 803483490.630,00 €18/04/2017échéance 17/07/2017
n° 803491644.275,50 €04/05/2017échéance 02/08/2017
n° 8035553293.041,13 €07/08/2017échéance 07/09/2017
n° 8035955 55.837,75 €13/11/2017échéance 23/10/2017
n° 803599655.837,75 €21/11/2017échéance 31/10/2017
n° 803599847.337,75 €28/11/2017échéance 07/11/2017
n° 8036031236.412,01 €13/11/2017échéance 13/12/2017
n° 803619355.837,75 €09/01/2018échéance 19/12/2017
n° 803619440.537,75 €17/01/2018échéance 27/12/2017
n° 803619516.837,75 €24/01/2018échéance 03/01/2018
n° 803595555.837,75 €13/11/2017échéance 11/02/2018
n° 803599655.837,75 €21/11/2017échéance 21/02/2018
n° 8035998 47.337,75 €28/11/2017échéance 28/02/2018
n° 8036443247.574,00 €09/02/2018échéance 09/03/2018
n° 803619355.837,75 €09/01/2018échéance 09/04/2018
n° 803619440.537,75 €17/01/2018échéance 17/04/2018
n° 803619516.837,75 €24/01/2018échéance 24/04/2018
n° 8036971208.405,20 €07/05/2018échéance 06/06/2018
n° 803741864.244,00 €13/08/2018échéance 13/09/2018
n° 8037811 73.124,00 € 14/11/2018échéance 14/12/2018
n° 803808215.184,00 €15/01/2019échéance 15/02/2019

TOTAL 2.218.485,34 €

50 000 € au titre des frais de procédure (article 700 du Code de procédure civile) outre les entiers dépens de l'instance.

Déclarer recevable et bien fondée la société Hubbard en son appel incident.

Y faisant droit :

Réformer le jugement du Tribunal de commerce de Rennes du 10 mars 2020 en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en paiement par la société Isabalt d'une somme de 100 000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive (cf article 32-1 du code de procédure civile) au titre de l'instance initiale ;

Statuant à nouveau,

Dire et juger que la présente procédure d'appel d'Isabalt est abusive et infondée.

En conséquence,

Condamner Isabalt à payer à la société HUBBALT la somme de 100.000 € au titre du caractère abusif du présent appel (cf article 559 du Code de procédure civile) ;

En tout état de cause :

Condamner Isabalt à payer à la société HUBBALT la somme de 50.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure civile.

Condamner Isabalt aux entiers dépens.

La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

Sur les demandes de dommages-intérêts et compensation de la société Isabalt.

La société Isabalt s'oppose à la demande en paiement de la société Hubbard de la somme de 2 218 485,34 euros au titre de 23 factures échues du 8 mars 2017 au 15 janvier 2019, au motif que son défaut de paiement desdites factures est la conséquence du manquement de la société Hubbard aux dispositions de l'article L. 442-1, I et II du code de commerce.

La société Isabalt soutient que la société Hubbard l'a soumise à des obligations créant à son préjudice des déséquilibres significatifs dans les droits et obligations et que la société Hubbard a résilié abusivement et brutalement le contrat du 21 janvier 2007 conclu entre les parties. En conséquence, la société Isabalt réclame la condamnation de la société Hubbard à lui payer :

- La somme de 2 218 485,34 euros à titre de dommages-intérêts et d'ordonner la compensation avec la créance de la société d'Hubbard tirée de ses factures.

- La somme de 9 598 327,62 euros en réparation du préjudice d'Isabalt résultant de la disparition de son fonds de commerce.

- La somme de 8 839 140,76 euros à titre d'indemnité de préavis de rupture.

* Sur le déséquilibre significatif.

La société Isabalt fait valoir que le second contrat conclu entre les parties a organisé un déséquilibre significatif au bénéficie de Hubbard et au préjudice d'Isabalt, au regard de :

- La clause exclusive d'approvisionnement et de distribution entre les parties : cette obligation pesait sur Isabalt alors que le contrat stipulait pour une grande partie du territoire une exception au droit de distribution exclusive au profit de Hubbard, cette clause d'exclusivité renforçait la dépendance d'Isabalt notamment par sa durée dépassant les dix années, en contrepartie Hubbard pouvait modifier à tout moment les prix, avait un droit de contrôle complet sur l'activité Isabalt qui elle avait une obligation d'acquisition annuelle minima de 95 385 poulets grands-parents sans mise en œuvre préalable d'une étude concrète du marché qui aurait permis d'évaluer le potentiel de vente de clients finaux dans les zones d'exclusivité.

- Les produits standard de Hubbard n'étaient pas économiquement viables en raison de leur moindre qualité que leur concurrent Aviagen et de l'effort insuffisant de recherche et de développement de la part d'Hubbard relevé par les autorités de la concurrence espagnole et portugaise.

- Cette insuffisance de développement sérieux des produits Hubbard a mis Isabalt dans l'impossibilité de commercialiser les produits d'Hubbard sur le marché nonobstant la qualité de ses prestations et ce aggravé par le caractère disproportionné et irréaliste des obligations d'acquisition pesant sur Isabalt, la société Hubbard tirant par ailleurs un avantage exorbitant de l'absence de toute responsabilité lui incombant du chef de la qualité de ses produits.

- A l'issue de l'année 2013, Isabalt n'a pu effectuer tous ses règlements en raison de la mauvaise qualité des produits d'Hubbard, d'une tension sur les prix de l'alimentation des poulets, de la mauvaise imputation des paiements par Hubbard et l'effondrement du rouble par rapport à l'euro, malgré les efforts de paiement d'Isabalt, Hubbard a unilatéralement modifié ses prix et adoptait une politique des prix discriminatoire entre ses différents distributeurs.

- La société Hubbard a transformé ses pouvoirs de contrôle et de direction en lien de subordination et s'est imposée dans la gestion de la société Isabalt.

La société Hubbard considère qu'il n'y a pas de déséquilibre significatif du contrat puisque ce-dit contrat a été négocié avec Isabalt en amont sans qu’il ne soumette quoi que ce soit à Isabalt. La société Hubbard rappelle que la société Isabalt est une entreprise spécialisée dans ce domaine qui n'est pas une entité néophyte, puisqu'elle est un acteur incontournable pour la distribution des produits Hubbard en Russie et dans les États Baltes, et enfin que le contrat de distribution en cause a été conclu sur la base d'un contrat préexistant datant de 2002, lui-même reposant sur un contrat de 1994. De plus, la société Hubbard soutient que l'exécution du contrat n'a pas révélé d'abus ou de fautes imputables à Hubbard pendant les 25 années de la relation.

Selon la société Hubbard, la société Isabalt essaye de tenter par tout moyen d'obtenir l'indemnisation de préjudices qu'elle s'est elle-même créée par sa propre incompétence. La société Hubbard avance que la société Isabalt :

- N'a pas su gérer de manière professionnelle et responsable les problèmes sanitaires relevant de sa propre responsabilité d'éleveur.

- A cruellement manqué de vision stratégique et commerciale faute de connaissance de son propre marché et de son évolution au cours des dernières années.

- A unilatéralement pris des mauvaises décisions de gestion et de commercialisation allant à l'encontre de toute logique commerciale et des préconisations et alertes de Hubbard,

- S'est délibérément affranchie des standards de qualité et d'hygiène de Hubbard applicables à l'élevage des poulets.

- S'est abstenue de mettre en place des actions de développement commercial pour asseoir sa visibilité et se distinguer de la concurrence.

- N'a jamais démontré une quelconque envie d'investir dans des actifs propres répondant aux besoins de l'industrie et que Isabalt a toujours préféré louer sans se soucier de leur manifeste inadéquation à l'activité et aux normes et exigences sanitaires.

Sur les droits et obligations des parties au contrat, la société Hubbard fait notamment valoir que :

- La société Isabalt ne démontre pas et n'apporte aucune preuve quant à la transformation d'un pouvoir de contrôle et de direction en un lien de subordination et quant à l'immixation de Hubbard dans la gestion des affaires de Isabalt.

- La société Isabalt n'apporte aucun élément de preuve d'une carence de Hubbard en matière de recherche et développement impactant la qualité de ses produits.

- Elle ne s'est jamais défaussée d'une quelconque obligation de suivi de la qualité des produits vendus à Isabalt.

- Les dispositions contractuelles prévoyaient des augmentations de tarifs annuels du prix du poussin d'un jour, or Hubbard n'a pratiqué des augmentations uniquement en 2009, en 2014 et en 2015 au moment du passage à l'euro et ces hausses ont toujours fait l'objet d'un avenant écrit et signé entre les parties et qu'à aucun moment elles n'ont été imposées à Isabalt.

- Aucune clause d'approvisionnement exclusif au-delà de sa durée de licéité n'a été imposée à Isabalt et les dispositions contractuelles n'ont jamais fait l'objet d'une quelconque contestation, réserve ou demande de révision par Isabalt pendant toute la durée du contrat ; et que ce n'est que 15 ans plus tard que Isabalt invoque ce moyen.

L'obligation d'acquisition minimale était très atteignable puisque durant près de 10 ans la société Isabalt a systématiquement commandé à Hubbard entre 130.000 et 230.000 poulets par an, soit bien plus que les 95.385 de l'obligation. La société Hubbard considère que si en 2017 Isabalt a connu des difficultés, ces dernières sont liées à l'incapacité d'Isabalt de distribuer de manière satisfaisante les poulets et non du fait que ce nombre était trop élevé.

Sur ce,

Aux termes de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige et devenue l'article L. 442-1, I : « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : [...] 2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».

Les deux éléments constitutifs de cette pratique restrictive de concurrence sont, en premier lieu, la soumission ou la tentative de soumission et, en second lieu, l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif.

Concernant la soumission ou la tentative de soumission, cette condition implique de démontrer l'absence de négociation effective des clauses incriminées ou l'usage de menaces ou de mesures de rétorsion visant à forcer l'acceptation.

L'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d'une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d'une disproportion importante entre les obligations respectives des parties.

C'est par de justes motifs, non utilement contredits à hauteur d'appel par la société Isabalt et que la Cour adopte, que le tribunal a retenu d'une part que le contrat de distribution avait été librement conclu entre les parties en janvier 2002 et chacune des parties avait la possibilité de le résilier et d'autre part, que ce contrat ne prévoyait pas de déséquilibre entre les droits et obligations des parties, et notamment que :

- La quantité minimale d'achat n'a pas de caractère disproportionné et qu'elle est manifestement réaliste lors de la signature du contrat de distribution de 2007.

- Il n'y a pas de disposition contractuelle imposant des augmentations unilatérales et que les mises en œuvre pratiques de ces hausses tarifaires ont fait l'objet d'un accord mutuel dûment signé par les parties.

- La section IX du contrat relative au contrôle de la production et du développement des poulets grands-parents produits par Isabalt, n'impose pas de dispositions contractuelles qui soient excessives ou disproportionnées dans le cadre de la responsabilité de la société Isabalt pour le maintien et le contrôle de la qualité durant le cycle complet de production.

- La section X relative aux contraintes des inspections, n'impose pas de dispositions contractuelles qui soient excessives ou disproportionnées dans le cadre d'un contrat de licence de marque et de sécurité alimentaire.

- La section XIV relative à l'absence de responsabilité afférente à la qualité des poulets, n'impose pas de dispositions contractuelles qui soient excessives ou disproportionnées dans le cadre d'un contrat de distribution, que la société Isabalt n'apporte pas d'élément tangible au soutien d'un manque de qualité des produits, si tant est que la performance des produits vendus par la société Hubbard était considérée comme inadaptée depuis 2013 au marché comme invoqué par la société Isabalt, celle-ci avait toute liberté pour dénoncer le contrat ou d'adapter sa stratégie commerciale.

- Sur l'exclusivité territoriale, il n'est pas démontré que l'intervention de la société Suomen Broiler sur le territoire avait été imposée par la société Hubbard.

La Cour ajoute que la société Isabalt à l'appui de son moyen tiré de l'existence d'un déséquilibre significatif au contrat de distribution la liant à la société Hubbard, n'apporte aucune démonstration ni élément permettant d'établir que les clauses et pratiques litigieuses ont été imposées par cette dernière et qu'aucune négociation effective n'a pu avoir lieu.

Il n'est pas contesté par les parties qu'après la cession de la société Isabalt par la société Hubbard, à M. X ancien salarié d'Isabalt, un premier contrat de distribution a été signé le 5 février 2002, puis un second contrat de distribution a été signé le 21 janvier 2007. La société Isabalt ne donne aucun élément sur les circonstances de la signature de ce second contrat, notamment d'une éventuelle tentative de négociation des clauses litigieuses, étant observé que la société Isabalt, distributeur depuis 1994 des produits Hubbard, précise elle-même que ce second contrat était semblable au premier. La société Hubbard, n'est pas contredite, lorsqu'elle présente la société Isabalt comme un professionnel du secteur et un acteur incontournable pour la distribution des produits Hubbard en Russie et dans les Etats Baltes. Autrement dit, il ne ressort pas de l'historique des relations entre les deux sociétés, une situation d'influence dominante de la société Hubbard sur la société Isabalt, étant observé par ailleurs que la part de marché de la société Hubbard représentait 6 à 8 % du marché mondial des sélectionneurs de poulets grands-parents et 5 % des poulets standards sur le marché de l'Union européenne (Pièces Isabalt n° 66, 25 et 57).

De plus, il n'est produit aucun élément tangible à l'appui des allégations de la société Isabalt sur l'immixtion de la société Hubbard dans sa gestion pour établir « un lien de subordination », mais il ressort davantage des pièces versées un contrôle qualité et recommandations (Contrat article IX et X, et pièces 13 et 14 Isabalt) ou une aide technique d'Hubbard à la demande de la société Isabalt (pièce 19 Hubbard).

Le contrat de distribution de 2007 a été modifié à plusieurs reprises par avenants des 18 janvier 2008, 16 janvier 2014 et 15 mai 2015 (pièces Isabalt 9,10, 11). Ces avenants avaient pour objet la modification des tarifs, conformément à la faculté prévue dans le contrat à l'annexe G que « les prix peuvent être révisés sur une base annuelle et accordée mutuellement par écrit, prendant en compte le taux d'inflation dans le pays du sélectionneur. » Non seulement la société Hubbard ne s'est pas prévalue de sa faculté de modification annuelle des prix, mais les hausses de prix relevées ont bien fait l'objet d'avenants écrits et signés par les parties, sans qu'il soit établi une hausse disproportionnée au prix du marché et imposée par la société Hubbard sans possible négociation de la part de la société Isabalt. L'augmentation de 2018 n'a pas été mise en oeuvre compte tenu de la résiliation du contrat en avril 2018 et les pièces versées aux débats par la société Isabalt (pièces n° 33 et 34) sont insuffisantes pour établir une politique discriminatoire à son égard par la société Hubbard.

Par ailleurs, comme l'a relevé à juste titre le tribunal, à la section XVI-durée et résiliation- il est prévu la possibilité pour chacune des parties de résilier à tout moment le contrat après une période initiale de 5 ans avec un préavis de 12 mois, chacune des parties avait donc la possibilité de résilier le contrat à compter du 31 décembre 2011. Par exception, l'article XVI prévoyait en ses dispositions B.1 des modalités particulières de résiliation après mise en demeure de régulariser un manquement contractuel restée sans effet après 30 jours.

La société Isabalt prétend qu'à partir de 2013, les poulets parents issus des poulets grands-parents Hubbard ont subi un « effondrement de qualité » et sont devenus « invendables ». S'il ressort des pièces versées aux débats une baisse de compétitivité des produits Hubbard et une baisse de la ventes de poulets parents par Isabalt passées de 7 154 224 unités en 2016, à 5 911 701 unités en 2017 puis à 1 958 555 unités en 2018 (Pièces Isabalt tableaux des ventes A, B, C), il n'en demeure pas moins que la société Isabalt ne s'est pas prévalue pendant cette période de manquement contractuel précis de la part de la société Hubbard, ni n'a mise en œuvre les procédures contractuelles précitées pour mettre fin au contrat de distribution.

Enfin, la société Isabalt ne peut soutenir qu'elle était maintenue dans une situation de dépendance avec le quota minimum d'approvisionnement, alors qu'il n'est pas contesté qu'elle a commandé à Hubbard entre 130.000 et 230.000 poulets GP /par an, soit bien plus que les 95.385 de l'obligation. S'il apparaît qu'au cours des négociations ayant eu lieu entre les parties courant 2017, la société Isabalt a tenté d'obtenir la levée de ce quota minimum d'approvisionnement, il ressort néanmoins des échanges, que la société Hubbard s'est opposée à la levée de cette obligation tant que la société Isabalt ne proposait pas un plan cohérent d'apurement de sa dette, et qu'il n'est pas établi que les difficultés financières de la société Isabalt soit en lien direct avec cette obligation dont le caractère irréaliste n'est pas démontré. (Pièces Isabalt 21, Hubbard 7 et 8 bis).

Au regard de l'ensemble de ces éléments, la société Isabalt échoue à démontrer une soumission ou tentative de soumission de la part de la société Hubbard ni lors de la conclusion des contrats de distribution, ni dans la mise en œuvre des stipulations contractuelles.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a écarté tout déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

* Sur la rupture de la relation commerciale.

La société Isabalt prétend que la résiliation du second contrat par la société Hubbard le 18 mai 2018 est constitutive de manquements :

- A l'article L. 442-1, II du code de commerce, en ce qu'elle est intervenue sans préavis, et notamment au motif d'un manquement d'Isabalt à sa clause d'acquisitions minima alors que celle-ci ne lui était pas opposable en ce qu'elle n'était ni proportionnée ni réaliste.

- A l'article L. 442-1, I du code de commerce en ce que la situation à laquelle elle a mis fin était l'aboutissement d'un déséquilibre significatif mis en œuvre par Hubbard au préjudice d'Isabalt.

La société Hubbard réplique qu'elle a résilié le contrat de distribution moyennant le préavis contractuel de 30 jours en raison des multiples manquements anciens et patents de la société Isabalt. Elle relève que cette rupture du contrat n'est pas intervenue de manière brutale mais était au contraire prévisible et fondée au terme de plus de 3 ans de pourparlers vains et ininterrompus aux fins d'apurement d'une importante dette accumulée depuis 2015 qu'Isabalt était manifestement indisposée à régulariser malgré les relances vaines et réitérées de la part d'Hubbard.

Sur ce,

Par des motifs pertinents reprenant l'ensemble des échanges entre les parties depuis 2014, non utilement contredits par la société Isabalt à l'appui de son appel et que la Cour adopte, le tribunal a retenu que la rupture de la relation établie n'était ni abusive ni brutale, en ce que les retards de règlements perduraient depuis 2014, que la société Isabalt a manqué à son obligation contractuelle par le non-respect des échéances de paiement des factures dues à la société Hubbard, que la société Isabalt était informée depuis le 12 janvier 2018 des intentions de la société Hubbard de suspendre ses livraisons conformément aux dispositions contractuelles et qu'elle a disposé à compter du 20 mars 2018 d'un plus large délai de préavis de 30 jours défini contractuellement pour effectuer le règlement des factures échues, et que la clause de quantité minimale contractuelle n'est pas une clause abusive.

La Cour ajoute qu'il ressort des pièces produites par la société Hubbard (pièces n° 4, 5, 6, 7, 7bis, 8, 8bis, 9 à 15) que :

- Dès le mois de février 2014, la société Hubbard a initié des discussions et régulièrement organisé des réunions avec la société Isabalt visant à trouver une solution pérenne aux impayés persistants, notamment par des échéanciers de paiements.

- Qu'elle lui a régulièrement consenti des remises sur les ventes en cours.

- Que si en 2016, la société Isabalt a procédé à des paiements réduisant significativement l'arriéré, à partir de 2017, elle a cessé ses paiements réguliers augmentant ainsi sa dette à plus de 1,5M € à fin 2017, puis près de 2M € à début juin 2018, et n'a plus rempli son quota minimum d'approvisionnement.

- D'août 2017 à avril 2018, de nombreux échanges ont eu lieu entre les parties, des échéanciers ont été proposés, de nouvelles conditions de vente, ainsi qu'un projet de protocole transactionnel mais la société Isabalt n'a pas manifesté de réelles intentions d'honorer sa dette, autrement que par des paiements marginaux de 40 000 euros en janvier, février 2018 puis 30 000 euros en mai 2018.

- C'est dans ce contexte que la société Hubbard a adressé une première mise en demeure le 12 janvier 2018, puis une notification de la résiliation du contrat de distribution du 21 janvier 2007 à compter du 22 avril 2018 à ses torts exclusifs.

Il en résulte que la société Hubbard, non seulement a respecté les dispositions contractuelles pour résilier le contrat de distribution, mais que la persistance des manquements de la société Isabalt était suffisamment grave pour mettre fin à la relation commerciale établie dans les conditions du préavis contractuel.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a écarté toute résiliation abusive ou brutale de la relation commerciale entre les parties.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Isabalt de toutes ses demandes de dommages-intérêts et compensation.

Sur la demande en paiement des factures de la société Hubbard.

La société Isabalt ne conteste pas le principe de sa dette envers la société Hubbard à hauteur de 2 218 485,34 euros au titre des factures échues du 8 mars 2017 au 15 janvier 2019, mais s'oppose au paiement aux motifs d'un déséquilibre significatif et rupture brutale et abusive de la relation qu'elle échoue à démontrer.

Dès lors le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Isabalt à payer à la société Hubbard la somme de 2 218 485,34 euros avec intérêts de retard contractuels.

Sur la demande de la société Hubbard pour procédure abusive.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de l'intimée pour procédure abusive, dès lors que si la société Isabalt s'est méprise sur l'étendue de son droit, elle n'a pas fait dégénérer en abus l'exercice de son droit à agir en justice ni en première instance ni en appel.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Isabalt aux dépens de première instance et à payer la somme de 50 000 euros sur le fondement de l'article 700 de code de procédure civile.

La société Isabalt, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société Isabalt sera déboutée de sa demande et condamnée à verser à la société Hubbard la somme de 15 000 euros.

PAR CES MOTIFS

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions.

Y ajoutant

DÉBOUTE la société HUBBARD de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive en appel.

CONDAMNE la société UAB ISABALT aux dépens d'appel.

CONDAMNE la société UAB ISABALT à payer à la société HUBBARD la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civil en appel.

REJETTE toute autre demande.