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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 23 mars 2022, n° 21/12848

PARIS

Ordonnance

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

ITM Alimentaire International (Sasu)

Défendeur :

Ministre de l'Économie et des Finances

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme L'Eleu de La Simone, Mme Lignières

Avocats :

Me Guerre , Me Utzschneider

Paris, JME, du 29 juin 2021, n° 20/09585…

29 juin 2021

La société ITM alimentaire international (ci-après « ITM AI ») est une société qui anime le groupe de distribution formé par des commerçants indépendants sous les enseignes Intermarché (dans la distribution alimentaire), Bricomarché et Bricocash (dans le domaine du bricolage), Poivre rouge (dans le domaine de la restauration) et Roady (dans le domaine de la réparation mécanique).

Le 25 avril 2013, l'Association Nationale des Industries Alimentaires (ANIA) écrivait à Monsieur X en sa qualité de Président d'ITM, pour lui reprocher une pratique visant à différer systématiquement la date de mise en œuvre effective des tarifs négociés par ITM avec ses fournisseurs dans le cadre de la négociation annuelle, retardant de ce fait de 5 à 7 mois la date effective de mise en œuvre des accords tarifaires.

C'est dans ces circonstances que les services de la DGCCRF, mis en copie du courrier, ont initié une enquête visant à vérifier la réalité des pratiques dénoncées.

Considérant que les pratiques constatées lors d'une enquête réalisée auprès de 7 fournisseurs seraient constitutives d'une infraction aux dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce, le Ministre de l'Economie et des Finances a initié, par acte extrajudiciaire du 16 avril 2015, une procédure à l'effet de faire sanctionner des pratiques d'application différée du prix convenu dans la négociation commerciale annuelle.

Par jugement du 3 juillet 2017, le tribunal de commerce de Paris a :

Débouté la SAS ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL de sa demande de communication de pièces.

Par jugement du 2 juin 2020, le tribunal de commerce de Paris a :

- Débouté la société ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL de sa demande de nullité de la procédure.

- Dit que le Monsieur le Ministre de l'Economie et des Finances a apporté la démonstration que la société ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL s'est rendue coupable d'une soumission créant un déséquilibre significatif dans ses relations avec ses fournisseurs et que sa responsabilité est engagée au regard des dispositions de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce.

- Enjoint à la société ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL de cesser ses pratiques visant à retarder l'application des accords tarifaires négociés avec ses partenaires commerciaux.

- Condamné la société ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL à verser au Trésor Public une amende civile d'un montant de 300.000 EUR.

- Débouté le Monsieur le Ministre de l'Economie et des Finances de sa demande de publication du présent jugement.

- Condamné la société ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL à verser la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile.

- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples et contraires.

- Condamné la société ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 160,44 € dont 26 52 € de TVA.

Par déclaration d'appel du 16 juillet 2020, la société ITM AI a interjeté appel de ces jugements devant la Cour d'appel de Paris.

Par conclusions d'incident en date du 20 avril 2021, la société ITM AI a sollicité du conseiller de la mise en état qu'il déclare irrecevables les conclusions sur le fond du Ministre de l'Economie du 20 janvier 2021 et, par suite, qu'il tienne irrecevables toutes conclusions de sa part.

Par ordonnance du 29 juin 2021, le magistrat chargé de la mise en état a constaté la caducité de la déclaration d'appel de la société ITM Alimentaire International et condamné celle-ci aux dépens.

Le 13 juillet 2021, la société ITM AI a déposé une requête en déféré à l'encontre de cette ordonnance.

Vu les dernières conclusions de la société ITM AI déposées et signifiées le 2 février 2022, par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu l'article 916 du Code de procédure civile,

Vu notamment les articles 902, 903 et suivants, 908, 911 et suivants du Code de procédure civile,

Vu encore les article 672 et 673 du Code de procédure civile,

Vu également les articles R. 442-1 du Code de commerce dans sa version antérieure au décret n° 2021-211 du 24 février 2021, et L. 490-8 du même Code,

Vu l'article 6§1 de la CEDH et les principes premiers du contradictoire et de loyauté des débats du Code de procédure civile.

Vu les jurisprudences afférentes à ces textes,

Vu les éléments du dossier,

REFORMER l'ordonnance rendue le 29 juin 2021 par le Conseiller de la mise en état en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau,

JUGER que le Ministre était irrecevable à soulever une demande, un incident ou moyen de défense devant le conseiller de la mise en état ;

JUGER que le conseiller de la mise en état ne pouvait se prononcer comme il l'a fait alors que le Ministre était irrecevable à conclure ;

JUGER n'y avoir lieu à une quelconque caducité de la déclaration d'appel de la société ITM AI en date du 16 juillet 2020 ;

RENVOYER à la mise en état ladite procédure ;

JUGER par ailleurs irrecevables toutes les conclusions et pièces du Ministre de l'Economie et des Finances et notamment les conclusions et pièces en date du 20 janvier 2021 ; les écarter des débats ;

JUGER irrecevable à conclure le Ministre de l'Economie et des Finances, sur le fond et au titre d'un quelconque incident ;

Vu les dernières conclusions du Ministre de l'Économie, des Finances et de la Relance notifiées et déposées le 19 janvier 2022 tendant à voir,

Vu les articles 908 et 911 du code de procédure civile,

Vu les articles 961, 672 et 673 du code de procédure civile,

Vu les articles L. 442-4, L. 490-8 et R. 442-1 du code de commerce,

Vu l'arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 18 septembre 2017 (n° 16-21.881),

A titre principal,

Confirmer dans toutes ses dispositions l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 29 juin 2021 relevant d'office la caducité de la déclaration d'appel de la société ITM AI en date du 16 juillet 2020 pour défaut de notification par ses soins de ses conclusions d'appelante au Ministre de l'Economie dans le délai de trois mois prévu par les articles 908 et 911 du code de procédure civile.

A titre subsidiaire,

Si par extraordinaire, la Cour devait réformer l'ordonnance du 29 juin 2021, il lui est demandé de :

- Constater que la notification des conclusions par le Ministre à l'avocat plaidant d'ITM AI le 20 janvier 2021 ne constitue qu'une erreur matérielle qui ne fait nullement grief aux droits de la défense d'ITM AI.

- Constater que le Ministre chargé de l'Economie a, de bonne foi, régularisé l'erreur matérielle susvisée en notifiant ses conclusions à l'avocat postulant d'ITM AI le 23 avril 2021.

- En conséquence, déclarer recevables les conclusions du Ministre chargé de l'Economie notifiées le 20 janvier 2021 et le 23 avril 2021.

- Débouter la société ITM AI de ses demandes d'irrecevabilité des conclusions du Ministre en date du 20 janvier 2021, et d'irrecevabilité du Ministre à conclure ;

SUR CE, LA COUR Sur l'irrecevabilité du Ministre à soulever une demande, un incident ou moyen de défense devant le conseiller de la mise en état.

ITM AI soutient que le conseiller de la mise en état ne pouvait se prononcer sur une demande faite par une partie qui n'était pas intervenue régulièrement à la procédure et n'était plus recevable à soulever une demande ou un moyen de défense.

Elle fait valoir qu'en l'espèce, elle a relevé la première que les écritures du ministre chargé de l'économie étaient irrecevables à défaut de notification à l'avocat constitué, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'examiner une demande de caducité de la part d'une partie irrecevable.

Mais, l'irrecevabilité invoquée par ITM AI des conclusions du ministre chargé de l'économie non signifiées à l'avocat constitué dans le délai de trois mois de l'article 909 du code de procédure civile ne pourra être examinée que si son appel n'est pas caduc.

La Cour observe à cet égard, ainsi que le fait valoir le ministre, que le défaut de notification par l'appelante de ses conclusions aux avocats des parties dans le délai de leur remise au greffe de la cour est sanctionné par la caducité de l'appel, "relevée d'office" ainsi qu'il résulte de la combinaison des articles 908 et 911 du code précité.

Il s'ensuit que le conseiller de la mise en état a justement examiné préalablement la caducité de l'appel interjeté par ITM.

Sur la caducité de la déclaration d'appel,

La société ITM AI soutient que la solution retenue par le conseiller de la mise en état qui a considéré qu'elle aurait dû notifier ses conclusions au ministre chargé de l'économie dans les formes prévues pour les notifications entre avocats, procède d'une interprétation erronée de l'article R. 442-1 du code de commerce en ce que la dispense de représentation par avocat dont bénéficie le ministre lorsqu'il exerce l'action prévue par l'ancien article L. 442-6 du Code de commerce n'est qu'une simple faculté, ne le dispensant pas de respecter les règles prévues par le code de procédure civile auxquelles il demeure tenu comme tout justiciable lors d'un litige civil.

Elle considère que le conseiller de la mise en état ne pouvait retenir que le délai de trois mois prévus par l'article 911 du code de procédure civile pour la remise des conclusions d'appel s'appliquait au ministre de l'économie lorsque celui-ci est partie à l'instance d'appel, alors que la seule dérogation concernant celui-ci est d'être "dispensé de constituer avocat" et de "pouvoir" s'il le souhaite.

Elle fait valoir qu'en vertu de l'article 911 du code de procédure civile, à défaut de notification valable au représentant de l'appelant, elle disposait d'un délai d'un mois supplémentaire pour notifier ses conclusions à l'intimé, aucun texte ne dispensant le ministre des obligations procédurales résultant notamment de l'article 903 du code de procédure civile. Une autre solution, au vu des conséquences irréversibles qu'elle aurait, la priverait d'un procès loyal et équitable.

Elle indique qu'en l'espèce, elle a remis ses conclusions au greffe le 16 octobre 2020, dans le délai prévu par l'article 908 du code de procédure civile et que dans la mesure où à cette date le ministre chargé de l'économie n'était pas constitué, elle lui a fait signifier ses conclusions d'appel dans les conditions prévues par l'article 911, le 20 octobre 2020, alors que le délai pour ce faire n'expirait que le 16 novembre suivant. Elle fait observer n'avoir été informée de l'intervention du ministre et de son choix de représentation qu'en janvier 2021, au moment de la communication irrégulière des conclusions de celui-ci à l'avocat plaidant.

Elle ajoute que :

- La solution retenue est incohérente au regard de l'avis 902 du 24 août 2020 adressé par le greffe de la cour à son avocat postulant, lui imposant, sous peine de caducité relevée d'office de la déclaration d'appel, de procéder à la signification de la déclaration d'appel à l'intimé dans le mois suivant cet avis.

- Le ministre s'est fondé lui-même sur la date du 20 octobre 2020 pour le délai de remise de ses conclusions en réponse puisqu'il a notifié ses conclusions d'intimé le 20 janvier 2021, soit dans le délai de trois mois à compter du 20 octobre 2010 ;

- La nécessaire application du délai d'un mois supplémentaire s'explique par l'impossibilité de notifier au ministre ses conclusions d'appel via RPVA, faisant valoir que le ministre raisonne par analogie avec le Ministère public qui fait partie de la juridiction et bénéficie de l'accès au RPVA alors qu'il ne lui était pas possible de procéder à une notification dans les formes prévues pour les notifications entre avocats, du fait de l'impossibilité de notifier ses conclusions d'appel au ministre chargé de l'économie par RPVA.

Mais, ainsi que l'a justement retenu le conseiller de la mise en état, il résulte de la combinaison d'une part de l'article R. 442-1 du code de commerce, dans sa version antérieure au décret n° 2021-211 du 24 février 2021 qui dispose que lorsque le ministre chargé de l'économie exerce l'action prévue par l'article L. 442-6 et les voies de recours y afférentes, il est dispensé de représentation par un avocat et d'autre part de l'article L. 490-8 du même code qui précise que pour l'application du livre IV, le ministre chargé de l'économie ou son représentant peut, devant les juridictions civiles ou pénales, déposer des conclusions et les développer oralement à l'audience, que les notifications faites à l'égard du ministre chargé de l'économie, dispensé de constituer avocat, ont lieu dans les formes prévues pour les notifications entre avocats aux articles 672 et 673 du code de procédure civile.

Ainsi, le délai d'un mois supplémentaire de l'article 911 accordé à l'appelant lorsque l'intimé n'a pas constitué avocat, n'est pas applicable lorsque le ministre en charge de l'économie est intimé, peu important que cette notification ne puisse se faire par le RPVA alors que le ministre est aisément localisable, permettant une notification directe.

Et aucune conséquence ne peut être tirée de l'avis "902" adressé à ITM AI le 24 août 2020 par le greffe de la Cour, en vue de la signification de sa déclaration d'appel dans le délai d'un mois, faute de constitution du ministre chargé de de l'économie, ni davantage du fait que ce dernier ait pris pour point de départ du délai pour conclure la date de notification des conclusions de l'appelant s'agissant de l'application de l'article 909 du code de procédure civile.

Enfin, l'appelante qui se prévaut de la violation de l'article 6§1 de la CEDH, en raison des conséquences irréversibles pour l'autre partie d'une telle solution, n'indique pas en quoi son droit à un procès loyal et équitable aurait été méconnu alors que l'article R. 442-1 du code de commerce précise que lorsque le ministre chargé de l'économie exerce l'action prévue par l'article L. 442-6 du même code et les voies de recours y afférentes, il est dispensé de représentation par un avocat.

Il en résulte que l'appelante devait notifier au ministre chargé de l'économie, partie à l'instance d'appel et dispensé d'avocat, dans les formes prévues pour les notifications entre avocats, ses premières conclusions dans le délai de leur remise au greffe de la cour, à peine de caducité de la déclaration d'appel, conformément aux dispositions des articles 908 et 911 du code de procédure civile.

En l'espèce, la société ITM AI a signifié ses conclusions au ministre chargé de l'économie le 20 octobre 2020 alors que le délai de notification expirait trois mois après sa déclaration d'appel, soit le 16 octobre 2020.

En conséquence, l'ordonnance déférée est confirmée en ce qu'elle a constaté la caducité de la déclaration d'appel d'ITM AI.

PAR CES MOTIFS,

CONFIRME l'ordonnance du conseiller de la mise en état ;

CONDAMNE la société ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL aux dépens du déféré.