CA Grenoble, ch. com., 13 février 2008, n° 06/04343
GRENOBLE
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Mme EXERTIER
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. URAN
Conseillers :
M. BERNAUD, Mme CUNY
Avoués :
SCP GRIMAUD, SCP JEAN CALAS
Avocats :
Me LACHAT, Me GIRARD
La SARL HOTEL BRISTOL est locataire d'un bâtiment à usage d'hôtel situé à [...] et de la [...]), appartenant à Madame Jeanne EXERTIER veuve BOLLON, selon bail initial du 02 Juillet 1987 renouvelé par acte du 10 Juillet 1997 pour neuf années à compter du 06 Janvier 1996.
Le loyer a été fixé à la somme de 135 260 F indexée par avenant du 08 Février 2000.
Par acte du 02 Juillet 2004 la bailleresse a fait délivrer congé avec offre de renouvellement pour l'échéance du 05 Janvier 2005 moyennant un nouveau loyer de 23 178,68 € correspondant au loyer antérieur actualisé sur la variation de l'indice du coût de la construction.
Cette proposition a été acceptée le 02 Juillet 2004.
Par acte d'huissier du 04 Octobre 2004 la SARL HOTEL BRISTOL a sollicité une déspécialisation plénière en demandant l'autorisation de substituer à l'activité d'hôtellerie celle de location de chambres meublées.
La bailleresse a accepté le 22 Novembre 2004 cette déspécialisation sous diverses conditions tenant notamment à la détermination préalable des travaux de transformation envisagés et à la modification du prix du bail en application des dispositions de l'article L. 145-50 du Code de commerce.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 1er décembre 2004, la SARL HOTEL BRISTOL a fait connaître à la bailleresse qu'elle considérait comme prématurée la demande de modification du prix compte-tenu des travaux de mise en conformité à effectuer.
Après avoir demandé en vain en référé l'instauration d'une mesure d'expertise aux fins notamment de détermination de la valeur locative découlant de la despécialisation plénière, Madame EXERTIER a saisi le juge des loyers commerciaux du Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE d'une demande en fixation du nouveau loyer à la somme annuelle de 40 000 €.
Par jugement du 20 Novembre 2006, cette juridiction a fixé le loyer des locaux donnés à bail à la Société HOTEL BRISTOL à la somme de 24 247,88 € H.T. et hors charges à compter du 05 Janvier 2005 après avoir écarté l'application de l'article L. 145-50 du Code de commerce.
Madame Jeanne EXERTIER a relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 28 Novembre 2006.
Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 24 Octobre 2007 par Madame EXERTIER qui demande à la Cour, par voie d'infirmation, de fixer le nouveau loyer à compter du 15 Février 2006 à la somme annuelle de 40 000 € HT et hors charges sauf à parfaire à dire d'expert, d'ordonner à ses frais avancés une mesure d'expertise aux fins de détermination de la valeur locative issue de la déspécialisation plénière et de condamner la Société HOTEL BRISTOL à lui payer une indemnité de procédure de 3 000 € aux motifs que l'offre de loyer de renouvellement du 02 Juillet 2004 est antérieure à la demande de déspécialisation, et ne peut donc faire obstacle à l'application des dispositions dérogatoires de l'article L 145-50 alinéa 2 du Code de commerce, que contrairement à l'opinion du premier juge la demande de déspécialisation n'a pas régularisé une situation existante alors que selon le rapport AMOUROUX du 14 Mai 1997 seules 23 chambres sur 43 étaient louées en meublé, que par son courrier du 09 Janvier 2006 elle s'est bornée à actualiser le calcul d'indexation au 05 Janvier 2005 sans renoncer au loyer de déspécialisation qui n'est exigible qu'au jour de la transformation effective des lieux, que l'exploitation exclusive de l'immeuble en chambres meublées modifie la rentabilité du commerce et a donc une incidence certaine sur la valeur locative.
Vu les conclusions récapitulatives signifiées et déposées le 26 Novembre 2007 par la SARL HOTEL BRISTOL qui sollicite la confirmation du jugement et la condamnation de l'appelante à lui payer une indemnité de 3 000 € pour frais irrépétibles aux motifs que postérieurement à la demande de déspécialisation la bailleresse, par courrier du 09 Janvier 2006, a proposé que le loyer plafonné de renouvellement fût fixé à la somme de 24 247,88 €, qu'il a ainsi été renoncé à l'application de l'article L. 145-50 du Code de commerce, qu'en tout état de cause la transformation de l'hôtel en résidence hôtelière est ancienne puisque déjà en 1997 l'expert AMOUROUX avait constaté que 24 chambres sur 46 étaient louées en meublé avec l'accord du propriétaire, que la transformation litigieuse est compatible avec la destination et la situation de l'immeuble et rendue nécessaire par la conjoncture économique, qu'en charge de tous les travaux d'entretien et de réparation qui ont valorisé l'immeuble elle doit pouvoir aujourd'hui développer son activité.
MOTIFS DE L'ARRET
C'est postérieurement au congé avec offre de renouvellement et de fixation d'un loyer plafonné que la société locataire a notifié à la bailleresse sa demande de déspécialisation plénière. Il ne peut donc être soutenu qu'il a été renoncé pour les neuf années à venir à toute modification du prix du bail.
Dans sa réponse du 22 Novembre 2004, Madame EXERTIER a au contraire expressément subordonné son acceptation de principe à la modification du loyer dans les conditions de l'article L 145-50 du Code de commerce, démontrant ainsi sa volonté d'obtenir une modification du prix en fonction de la valeur locative à compter de la transformation effective du commerce.
La renonciation à ce droit, dont elle s'est expressément prévalue postérieurement à son congé, ne peut résulter implicitement de son courrier du 09 Janvier 2006, qui ne contient, certes, aucune réserve sur l'application de l'article L 145-50 susvisé, mais qui a pour seul objet d'actualiser sa proposition de loyer de renouvellement exigible à compter du 06 Janvier 2005 en fonction du dernier indice publié.
S'il est par ailleurs certain que la bailleresse n'ignorait rien de la transformation partielle déjà ancienne de l'hôtel en résidence hôtelière, dont le rapport contradictoire de l'expert judiciaire AMOUROUX du 14 Mai 1997 fait état (il a été constaté à cette date que 23 chambres sur 40 étaient louées en meublé au mois), la tolérance de cette situation de fait ne peut valoir acceptation de la déspécialisation plénière, qui n'a été demandée dans les formes impératives de l'article L 145-49 du Code de commerce que le 04 Octobre 2004, et qui n'a donc pu modifier les obligations respectives des parties qu'à compter de cette date.
C'est par conséquent à bon droit qu'excipant des dispositions de l'article L. 145-50 alinéa 2 du Code de commerce, auxquelles elle a expressément subordonné son autorisation, Madame EXERTIER demande une modification du prix du bail en contrepartie de l'avantage procuré par la déspécialisation totale de l'activité exercée dans les lieux loués, laquelle modification, qui est exclusive de la procédure de révision triennale, peut intervenir à tout moment à compter de la transformation.
A défaut de tout élément permettant d'apprécier d'ores et déjà la valeur locative de l'immeuble telle qu'elle résulte de la nouvelle destination du bail, il y a lieu toutefois de recourir à une expertise.
Dans l'attente de l'exécution de cette mesure d'instruction le loyer sera fixé provisoirement au montant du loyer de renouvellement non contesté de 24 247,88 €.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant en audience publique, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a fixé à la somme annuelle de 24 247,88 € HT et hors charges le loyer de renouvellement exigible à compter du 05 Janvier 2005,
L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau :
Dit et juge que Madame EXERTIER veuve BOLLON est en droit d'exiger une modification du prix du bail à compter de la transformation de l'activité d'hôtel en location de chambres meublées,
Ordonne avant dire droit sur la fixation du loyer de déspécialisation une expertise confiée à :
Monsieur J. René AMOUROUX,
[...]
[...]
(tél. : [...])
avec mission de :
- entendre les parties et se faire remettre tous documents utiles,
- se rendre sur les lieux loués, [...] et les décrire,
- déterminer la date à laquelle la déspécialisation plénière est intervenue,
- déterminer la valeur locative des lieux loués en application de l'article L. 145-50 alinéa 2 du Code de commerce à compter de la transformation effective de l'activité,
Dit que Madame Jeanne EXERTIER veuve BOLLON consignera au greffe de la Cour la somme de 1 000 € dans le délai d'un mois à compter de ce jour,
Dit qu'à défaut de consignation à l'expiration de ce délai, la désignation de l'expert deviendra caduque,
Dit que lors de la première réunion, ou au plus tard de la deuxième réunion des parties, l'expert dressera un programme de ses investigations et évaluera d'une manière aussi précise que possible le montant prévisible de ses honoraires et de ses débours,
Dit qu'à l'issue de cette réunion l'expert fera connaître au juge et aux parties la somme globale qui lui paraît nécessaire pour garantir en totalité le recouvrement de ses honoraires et ses débours et sollicitera, le cas échéant, le versement d'une consignation complémentaire,
Dit que l'expert déposera au greffe de la Cour d'appel un rapport écrit de ses opérations dans le délai de trois mois à compter de l'avis de consignation et en fera tenir une copie à chacune des parties et à chacun de leurs avoués,
Dit que le Président chargé de la mise en état sera chargé du contrôle des opérations d'expertise,
Dit qu'il sera pourvu au remplacement de l'expert dans les cas, conditions et formes des articles 234 et 235 du Nouveau code de procédure civile,
Fixe provisoirement le loyer de déspécialisation à la somme de 24 247,88 € HT et hors charges,
Dit n'y avoir lieu en l'état à application de l'article 700 du NCPC,
Réserve les dépens.