Cass. com., 29 novembre 2011, n° 10-24.786
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Avocats :
Me Spinosi, SCP Hémery et Thomas-Raquin
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 juin 2010), que la société Biogaran, titulaire d'autorisations de mise sur le marché pour les médicaments anti-arthrosiques Diacérine SET 50 mg gélules et Diacérine REF 50 mg gélules, ayant reçu de la société Laboratoires Negma une lettre d'avertissement selon laquelle ces deux produits étaient des génériques de l'ART 50, couvert par le brevet EP 520 414, déposé le 24 juin 1992 et publié le 13 mars 1996, dont elle est licenciée exclusive et qu'elle exploite sur le marché français, a assigné cette société, ainsi que la société Laboratoires Médidom, titulaire du brevet invoqué, en nullité de la revendication 14 de celui-ci concernant le produit pharmaceutique en cause ;
Attendu que la société Laboratoires Negma fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement du 31 mars 2010 en ce qu'il a dit que cette revendication 14 était nulle pour défaut de nouveauté, alors, selon le moyen :
1°) que pour être comprise dans l'état de la technique et être privée de nouveauté, l'invention doit s'y trouver tout entière dans une seule antériorité au caractère certain, avec les éléments qui la constituent dans la même forme, le même agencement, le même fonctionnement en vue du même résultat technique ; que l'antériorité qui ne vise pas un degré de pureté particulier n'est pas complète lorsque l'invention en diffère, sinon par la fonction de la composition -traiter l'arthrose- du moins par son résultat -traiter l'arthrose sans effet génotoxique ; qu'en relevant que le brevet Friedmann Proter (US4 244 968) ne comportait aucune mention de la présence ou non de constituants de type aloémodine indésirables et indiquait seulement à l'homme du métier du domaine considéré d'utiliser comme matière première des sennosides A et B obtenus par exemple à partir d'extraits de séné feuilles ou fruits, sans exclure un autre moyen de les obtenir, la cour d'appel, qui a reconnu que le brevet Friedmann ne visait pas un degré de pureté particulier à la différence du brevet litigieux qui en fait le moyen de parvenir à un résultat différent, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard des articles L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle et 52, 54 et 138 de la Convention de Munich sur le brevet européen en jugeant néanmoins que le brevet Friedmann constituait une antériorité privant de nouveauté le brevet litigieux ;
2°) que pour être comprise dans l'état de la technique et être privée de nouveauté, l'invention doit s'y trouver tout entière dans une seule antériorité au caractère certain, avec les éléments qui la constituent dans la même forme, le même agencement, le même fonctionnement en vue du même résultat technique ; que l'antériorité qui ne vise pas un degré de pureté particulier n'est pas complète lorsque l'invention en diffère, sinon par la fonction de la composition -traiter l'arthrose- du moins par son résultat -traiter l'arthrose sans effet génotoxique ; qu'en retenant qu'il ressortait de l'analyse de Mme Y... que l'homme du métier pouvait obtenir et caractériser des sennosides A et B, ou les purifier si nécessaire, en utilisant les connaissances générales dans le domaine considéré à l'époque, quand il lui fallait constater que le brevet Friedmann Proter (US4 244 968) invitait l'homme du métier à utiliser des sennosides A et B à l'état pur pour obtenir un médicament dépourvu de la génotoxicité des préparations déjà connues, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants et a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle, ensemble des articles 52, 54 et 138 de la Convention de Munich sur le brevet européen ;
3°) que l'antériorité destructrice de nouveauté doit être certaine quant à son existence, sa date et quant à son contenu ; que la société Laboratoires Negma faisait valoir que l'antériorité n'était pas en l'occurrence certaine dans la mesure où, les matières premières de haute pureté n'étant pas accessibles au public à la date de priorité du brevet, elles ne pouvaient être obtenues en utilisant les connaissances générales de l'homme du métier dans le domaine considéré à cette date à un degré de pureté équivalent à celui des matières premières utilisées par Mme Y... pour son analyse technique ; qu'en se bornant à retenir que l'homme du métier pouvait obtenir et caractériser des sennosides A et B ou les purifier si nécessaire en utilisant les connaissances générales dans le domaine considéré à l'époque sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'homme du métier pouvait les obtenir ou les purifier à la date de priorité du brevet à un niveau de pureté équivalent à celui des sennosides utilisés lors de son expertise par Mme Y..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle, ensemble des articles 52, 54 et 138 de la Convention de Munich sur le brevet européen ;
4°) qu'une antériorité opposée à un brevet ne peut être retenue que pour ce qu'elle décrit ; que si les juges peuvent se référer à l'exemple de mode de réalisation de l'invention donné par la partie descriptive du brevet opposé à titre d'antériorité, ils ne peuvent retenir, considérant qu'il ne s'agit que d'un exemple, la possibilité d'autres modes de réalisation de l'invention non décrits pour apprécier l'existence de l'antériorité ; que le brevet Friedmann Proter indiquant d'utiliser comme matière première des sennosides A et B obtenus par exemple à partir d'extraits de séné feuilles ou fruits, la cour d'appel ne pouvait déduire de ce qu'il s'agissait d'un exemple l'existence d'autres modes de production de sennosides A et B ; qu'en décidant que le brevet Friedmann Proter, en visant les sennosides obtenus par exemple à partir de séné, n'excluait pas un autre moyen de les obtenir, elle a, ajoutant à ce qui était décrit dans l'antériorité, violé les articles L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle et 52, 54 et 138 de la Convention de Munich sur le brevet européen ;
5°) que la nouveauté d'une composition pharmaceutique peut résider dans le degré de pureté particulier de cette composition si ce degré de pureté apporte un élément nouveau à l'état de la technique en fonction du contexte particulier ; qu'en jugeant que la substance diacétylrhéine présentée dans la revendication du brevet EP 520 414 a une composition et des vertus thérapeutiques déjà connues et qu'un produit n'acquiert pas la nouveauté simplement du fait qu'il est préparé sous une forme plus pure, quand la nouveauté résultait en l'occurrence de ce que le produit, comportant un degré de pureté supprimant un effet toxique, différait par son résultat de l'antériorité portant sur le principe actif pour le traitement de la même maladie sans cependant indiquer de moyen d'élimination de l'effet indésirable, la cour d'appel a violé l'article L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle, ensemble les articles 52, 54 et 138 de la Convention de Munich sur le brevet européen ;
6°) que faisant siens les motifs du jugement selon lesquels la revendication 14 du brevet litigieux n'a pas pour objet de résoudre un problème technique spécifique lié à la génotoxicité, caractérisé et identifié par le brevet, mais d'avoir un composé pharmaceutique aussi pur que possible, la cour d'appel, en se fondant sur une interprétation restrictive de la description sans rechercher la finalité de l'invention, laquelle, portant sur l'obtention d'une composition exempte de composés de type aloémodine, visait à obtenir un médicament sans l'effet indésirable des préparations déjà connues, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle, ensemble des articles 52, 54 et 138 de la Convention de Munich sur le brevet européen ;
Mais attendu que, par motifs propres et adoptés, l'arrêt retient que la revendication 14 du brevet européen n° 05 204 14 "Produit pharmaceutique contenant de la diacétylrhéine qui comporte moins de 20 ppm de constituants de type aloémodine avec des supports et produits auxiliaires pharmaceutiques classiques" est antériorisée de toutes pièces par le brevet américain Friedmann Proter n° 4 244 968 qui divulgue le composé dans tous les degrés de pureté, l'aloémodine ne constituant qu'une impureté ne faisant pas partie de la structure chimique du composé déjà divulguée et a pour finalité le composé pharmaceutique antériorisé aussi pur que possible ; qu'il relève dans la description de ce brevet américain plusieurs procédés pour préparer la diacétylrhéine, notamment à partir de sennosides A et B extraits de feuilles et de fruits de séné ; qu'il retient encore que la synthèse de la diacétylrhéine, à partir d'un mélange d'autres sennosides A et B très purs , opérée par l'expert en suivant strictement les enseignements notamment des exemples américains 1 et 13 et en utilisant les connaissances générales de l'homme du métier considéré à la date du brevet européen, conduit à une diacétylrhéine telle que définie dans la revendication 14 ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a vérifié que l'aloémodine ne pouvait être prise en considération pour déterminer la nouveauté, a, sans ajouter à la description du brevet américain, légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.