CJUE, gr. ch., 18 juillet 2013, n° C-414/11
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
Question préjudicielle
PARTIES
Demandeur :
Daiichi Sankyo Co. Ltd (Sté), Sanofi-Aventis Deutschland GmbH (Sté)
Défendeur :
DEMO Anonymos Viomichaniki kai Emporiki Etairia Farmakon (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Skouris
Présidents de chambre :
M. Rosas, M. Jarasiunas
Vice-président :
M. Lenaerts
Juges :
M. Lohmus, M. Bonichot, M. Arabadijev, Mme Prechal, M. Fernlund
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 27 et 70 de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ci-après l’«accord ADPIC»), qui constitue l’annexe 1 C de l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), signé à Marrakech le 15 avril 1994 et approuvé par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994) (JO L 336, p. 1, ci-après l’«accord instituant l’OMC»).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Daiichi Sankyo Co. Ltd (ci-après «Daiichi Sankyo») et Sanofi‑Aventis Deutschland GmbH (ci‑après «Sanofi-Aventis») à DEMO Anonymos Viomichaniki kai Emporiki Etairia Farmakon (ci-après «DEMO») au sujet de la commercialisation par cette dernière d’un médicament générique ayant comme principe actif une substance prétendument protégée par des droits de brevet de Daiichi Sankyo.
Le cadre juridique
L’accord ADPIC
3 Aux termes du préambule de l’accord ADPIC, celui-ci vise à «réduire les distorsions et les entraves en ce qui concerne le commerce international» et énonce, dans ce cadre, «la nécessité de promouvoir une protection efficace et suffisante des droits de propriété intellectuelle».
4 À la section 5, intitulée «Brevets», de la Partie II dudit accord, intitulée «Normes concernant l’existence, la portée et l’exercice des droits de propriété intellectuelle», l’article 27, lui-même intitulé «Objet brevetable», dispose:
«1. Sous réserve des dispositions des paragraphes 2 et 3, un brevet pourra être obtenu pour toute invention, de produit ou de procédé, dans tous les domaines technologiques, à condition qu’elle soit nouvelle, qu’elle implique une activité inventive et qu’elle soit susceptible d’application industrielle [...]. Sous réserve des dispositions [...] du paragraphe 8 de l’article 70 et du paragraphe 3 du présent article, des brevets pourront être obtenus et il sera possible de jouir de droits de brevet sans discrimination quant au lieu d’origine de l’invention, au domaine technologique et au fait que les produits sont importés ou sont d’origine nationale.
2. Les Membres pourront exclure de la brevetabilité les inventions dont il est nécessaire d’empêcher l’exploitation commerciale sur leur territoire pour protéger l’ordre public ou la moralité, y compris pour protéger la santé et la vie des personnes et des animaux ou préserver les végétaux, ou pour éviter de graves atteintes à l’environnement, à condition que cette exclusion ne tienne pas uniquement au fait que l’exploitation est interdite par leur législation.
3. Les Membres pourront aussi exclure de la brevetabilité:
a) les méthodes diagnostiques, thérapeutiques et chirurgicales pour le traitement des personnes ou des animaux;
b) les végétaux et les animaux autres que les micro-organismes, et les procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux ou d’animaux, autres que les procédés non biologiques et microbiologiques. [...]»
5À la Partie VII de l’accord ADPIC, intitulée «Dispositions institutionnelles; dispositions finales», l’article 70, intitulé «Protection des objets existants», énonce:
«1. Le présent accord ne crée pas d’obligations pour ce qui est des actes qui ont été accomplis avant sa date d’application pour le Membre en question.
2. Sauf disposition contraire du présent accord, celui-ci crée des obligations pour ce qui est de tous les objets existant à sa date d’application pour le Membre en question, et qui sont protégés dans ce Membre à cette date, ou qui satisfont ou viennent ultérieurement à satisfaire aux critères de protection définis dans le présent accord. [...]
[...]
8. Dans les cas où un Membre n’accorde pas, à la date d’entrée en vigueur de [l’accord instituant l’OMC], pour les produits pharmaceutiques et les produits chimiques pour l’agriculture, la possibilité de bénéficier de la protection conférée par un brevet correspondant à ses obligations au titre de l’article 27, ce Membre:
a) nonobstant les dispositions de la Partie VI, offrira, à compter de la date d’entrée en vigueur de [l’accord instituant l’OMC], un moyen de déposer des demandes de brevet pour de telles inventions;
b) appliquera à ces demandes, à compter de la date d’application du présent accord, les critères de brevetabilité énoncés dans le présent accord comme s’ils étaient appliqués à la date de dépôt de la demande dans ce Membre ou, dans les cas où une priorité peut être obtenue et est revendiquée, à la date de priorité de la demande; et
c) accordera la protection conférée par un brevet conformément aux dispositions du présent accord à compter de la délivrance du brevet et pour le reste de la durée de validité du brevet fixée à partir de la date de dépôt de la demande conformément à l’article 33 du présent accord, pour celles de ces demandes qui satisfont aux critères de protection visés à l’alinéa b).
[...]»
6 La Partie VI de l’accord ADPIC, à laquelle se réfère ledit article 70, comprend les articles 65 à 67 de cet accord. L’article 65, paragraphe 1, dudit accord énonce qu’«aucun Membre n’aura l’obligation d’appliquer les dispositions du présent accord avant l’expiration d’une période générale d’un an après la date d’entrée en vigueur de [l’accord instituant l’OMC]».
La convention sur le brevet européen
7 La convention sur la délivrance de brevets européens, signée à Munich le 5 octobre 1973 et entrée en vigueur le 7 octobre 1977, dans sa version en vigueur lors de l’obtention du brevet en cause dans l’affaire au principal (ci-après la «CBE»), réglemente certains aspects en matière de brevets au sein des États européens qui y ont adhéré. Parmi ses objectifs figure la normalisation des règles relatives à la durée du brevet, à la notion d’invention et aux exigences en matière de brevetabilité.
8 L’article 167 de la CBE, intitulé «Réserves», disposait:
«[...]
(2) Tout État contractant peut se réserver la faculté de prévoir:
a) que les brevets européens, dans la mesure où ils confèrent la protection à des produits chimiques, pharmaceutiques ou alimentaires en tant que tels, sont sans effet ou peuvent être annulés conformément aux dispositions en vigueur pour les brevets nationaux; cette réserve n’affecte pas la protection conférée par le brevet dans la mesure où il concerne soit un procédé de fabrication ou d’utilisation d’un produit chimique, soit un procédé de fabrication d’un produit pharmaceutique ou alimentaire;
[...]
(3) Toute réserve faite par un État contractant produit ses effets pendant une période de dix ans au maximum à compter de l’entrée en vigueur de la présente convention. Toutefois, lorsqu’un État contractant a fait des réserves visées au paragraphe 2, lettres a) et b), le Conseil d’administration peut, en ce qui concerne ledit État, étendre cette période de cinq ans au plus [...]
[...]
(5) Toute réserve faite en vertu du paragraphe 2, lettres a), b) ou c), s’étend aux brevets européens délivrés sur la base de demandes de brevet européen déposées pendant la période au cours de laquelle la réserve produit ses effets. Les effets de cette réserve subsistent pendant toute la durée de ces brevets.
(6) Sans préjudice des dispositions des paragraphes 4 et 5, toute réserve cesse de produire ses effets à l’expiration de la période visée au paragraphe 3, première phrase, ou, si cette période a été étendue, au terme de la période d’extension.»
Le règlement (CEE) nº 1768/92
9 L’article 2 du règlement (CEE) nº 1768/92 du Conseil, du 18 juin 1992, concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour les médicaments (JO L 182, p. 1), disposait:
«Tout produit protégé par un brevet sur le territoire d’un État membre et soumis, en tant que médicament, préalablement à sa mise sur le marché, à une procédure d’autorisation administrative [...] peut, dans les conditions et selon les modalités prévues par le présent règlement, faire l’objet d’un certificat [complémentaire de protection (ci‑après le ‘CCP’)].»
10 L’article 1er du règlement nº 1768/92 précisait que les notions de «médicament» et de «produit» portent, respectivement, sur «toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies» et sur «le principe actif ou la composition de principes actifs d’un médicament».
11 Aux termes de l’article 4 dudit règlement, «[d]ans les limites de la protection conférée par le brevet de base, la protection conférée par le [CCP] s’étend au seul produit couvert par l’autorisation de mise sur le marché du médicament correspondant, pour toute utilisation du produit, en tant que médicament, qui a été autorisée avant l’expiration du [CCP]». L’article 5 du même règlement précisait que, «[s]ous réserve de l’article 4, le [CCP] confère les mêmes droits que ceux qui sont conférés par le brevet de base et est soumis aux mêmes limitations et aux mêmes obligations».
12 La notion de «brevet de base» porte, ainsi que l’énonçait l’article 1er du règlement nº 1768/92, sur «un brevet qui protège un produit [...] en tant que tel, un procédé d’obtention d’un produit ou une application d’un produit et qui est désigné par son titulaire aux fins de la procédure d’obtention d’un certificat».
13 L’article 13 du règlement nº 1768/92 disposait:
«1. Le [CCP] produit effet au terme légal du brevet de base pour une durée égale à la période écoulée entre la date du dépôt de la demande du brevet de base et la date de la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté, réduite d’une période de cinq ans.
2. Nonobstant le paragraphe 1, la durée du [CCP] ne peut être supérieure à cinq ans à compter de la date à laquelle il produit effet.»
14 Le règlement nº 1768/92 a été abrogé et remplacé par le règlement (CE) nº 469/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 6 mai 2009, concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments (JO L 152, p. 1), qui est entré en vigueur le 6 juillet 2009. Les dispositions du règlement nº 1768/92 citées ci-dessus ont, pour l’essentiel, été reprises dans le règlement nº 469/2009.
La réglementation hellénique en matière de brevets
15 La République hellénique a ratifié la CBE au cours de l’année 1986, tout en émettant, s’agissant des produits pharmaceutiques, une réserve au sens de l’article 167, paragraphe 2, sous a), de cette convention. Conformément au paragraphe 3 dudit article 167, ladite réserve a expiré le 7 octobre 1992.
16 Quant à l’accord ADPIC, la République hellénique l’a ratifié avec effet au 9 février 1995.
17 Le domaine des brevets est également régi, en Grèce, par la loi 1733/1987 relative au transfert de technologies, aux inventions, à l’innovation technologique et à l’institution d’une commission pour l’énergie atomique, qui est entrée en vigueur le 22 avril 1987.
18 L’article 5 de la loi 1733/1987 énonce qu’une invention brevetable peut consister en un produit, en un procédé ou en une application industrielle, l’article 7 de la même loi précisant qu’il incombe au demandeur du brevet, au moyen de revendications, d’indiquer quel est l’objet de la protection qu’il sollicite.
19 L’article 11 de la loi 1733/1987 dispose que la durée de protection conférée par un brevet est de 20 ans et débute le lendemain du jour du dépôt de la demande de brevet.
20 Aux termes de l’article 25, paragraphe 3, de la loi 1733/1987, «[t]ant qu’est maintenue la réserve formulée par la Grèce, en vertu de l’article 167, paragraphe 2, [sous a), de la CBE, l’Organismos Viomichanikis Idioktisias (Office de la propriété industrielle)] ne délivre pas de brevets pour des produits pharmaceutiques».
21 Ainsi, en vertu de la même loi telle qu’interprétée par les juridictions helléniques, il était interdit audit office de délivrer des brevets nationaux pour des produits pharmaceutiques, seule étant autorisée la délivrance de brevets protégeant l’invention d’un procédé de fabrication d’un produit pharmaceutique.
22 L’impossibilité de délivrer des brevets européens et nationaux pour des produits pharmaceutiques a, au demeurant, également existé dans la période comprise entre l’entrée en vigueur de la CBE pour la République hellénique et l’entrée en vigueur de la loi 1733/1987. En effet, conformément à la primauté des accords internationaux sur les lois internes prévue à l’article 28 de la Constitution, la portée de la loi 2527/1920 relative aux brevets, qui précédait la loi 1733/1987, était, pour ce qui concerne ladite période, interprétée comme étant limitée par la réserve formulée dans le cadre de la CBE.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
23 Daiichi Sankyo a été titulaire, en Grèce, d’un brevet national délivré le 21 octobre 1986 et relatif au composé chimique lévofloxacine hémihydrate. Ce composé est utilisé comme principe actif dans des traitements antibiotiques.
24 La demande en vue de l’obtention de ce brevet avait été déposée le 20 juin 1986 et contenait une revendication de protection tant pour la lévofloxacine hémihydrate prise en tant que telle que pour son procédé de fabrication.
25 La protection offerte par ledit brevet, laquelle allait expirer le 20 juin 2006, a été prolongée par un CCP en vertu du règlement nº 1768/92. Conformément à l’article 13 de ce règlement, la durée de validité de ce CCP ne pouvait être supérieure à cinq ans. La jouissance par Daiichi Sankyo du brevet en cause a donc pris fin au cours de l’année 2011.
26 La lévofloxacine hémihydrate figure comme principe actif dans un médicament original dénommé «Tavanic». Ce médicament est distribué en Grèce par Sanofi‑Aventis, cette dernière y disposant d’une licence accordée par Daiichi Sankyo pour la commercialisation des produits pharmaceutiques originaux ayant comme principe actif la lévofloxacine hémihydrate. L’autorisation de mise sur le marché du Tavanic a été donnée par l’autorité hellénique compétente le 17 février 1999.
27 La même autorité a, les 22 septembre 2008 et 22 juillet 2009, octroyé à DEMO des autorisations de mise sur le marché de médicaments génériques ayant comme principe actif la lévofloxacine hémihydrate. DEMO s’apprêtait à commercialiser un tel produit sous la dénomination «Talerin».
28 Le 23 septembre 2009, Daiichi Sankyo et Sanofi-Aventis ont introduit un recours contre DEMO devant le Polymeles Protodikeio Athinon (tribunal de grande instance d’Athènes) visant, notamment, la cessation de toute commercialisation par DEMO de Talerin ou de tout autre médicament ayant comme principe actif la lévofloxacine hémihydrate, le paiement d’une astreinte par conditionnement d’un tel médicament, l’autorisation de faire saisir et détruire tout produit portant atteinte au brevet en cause se trouvant en possession de DEMO ou d’un tiers ainsi que l’accès aux données relatives à la fabrication et à la vente de Talerin ou de tout autre médicament générique ayant le même principe actif.
29 Ladite juridiction expose que le résultat du litige dont elle est saisie dépend de la question de savoir si le CCP de Daiichi Sankyo a porté, uniquement, sur un procédé de fabrication du principe actif lévofloxacine hémihydrate ou, aussi, sur ce principe actif en tant que tel. En cas de protection du «produit» au sens du règlement nº 1768/92, il suffirait pour Daiichi Sankyo, afin de faire constater que DEMO a porté atteinte à ses droits de brevet, de prouver que le Tavanic et le Talerin ont le même principe actif. Si, en revanche, la protection conférée par ce CCP ne s’est étendue qu’au procédé de fabrication, la circonstance que le Tavanic et le Talerin ont le même principe actif ne conduirait qu’à une présomption que le médicament générique a été fabriqué sur la base du procédé protégé par ledit CCP. Il suffirait, dans ce cas, à DEMO de renverser cette présomption en démontrant que ledit médicament a été fabriqué selon un procédé différent.
30 La juridiction de renvoi explique que, en raison de la non-brevetabilité de produits pharmaceutiques en Grèce jusqu’au 7 octobre 1992, le brevet de Daiichi Sankyo, demandé le 20 juin 1986 et délivré le 21 octobre 1986, ne protégeait pas, initialement, le principe actif lévofloxacine hémihydrate pris en tant que tel. Ladite juridiction n’exclut toutefois pas que la brevetabilité de produits pharmaceutiques imposée par l’article 27 de l’accord ADPIC a, au regard des règles énoncées à l’article 70 dudit accord, pour conséquence que les droits de brevet de Daiichi Sankyo s’étendent, depuis l’entrée en vigueur de l’accord ADPIC, audit principe actif. Les juridictions helléniques seraient divisées sur la portée de ces dispositions de l’accord ADPIC.
31 Le Polymeles Protodikeio Athinon se demande, au demeurant, s’il appartient à lui-même ou, au contraire, à la Cour d’interpréter l’article 27 de l’accord ADPIC. Cette question de compétence serait liée à celle de savoir si ladite disposition relève d’un domaine pour lequel les États membres continuent à être compétents à titre principal.
32 Dans ces conditions, le Polymeles Protodikeio Athinon a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) L’article 27 de l’accord ADPIC, qui détermine le cadre de la protection des brevets, relève-t-il ou non d’un domaine pour lequel les États membres continuent à être compétents à titre principal et, en cas de réponse affirmative, les États membres eux-mêmes peuvent-ils reconnaître ou non un effet direct à la disposition précitée et la juridiction nationale peut-elle ou non appliquer directement, dans les conditions prévues par le droit national, ladite disposition?
2) Au sens de l’article 27 de l’accord ADPIC, les produits chimiques et pharmaceutiques peuvent-ils ou non faire l’objet d’un brevet dès lors qu’ils remplissent les conditions de brevetabilité et, en cas de réponse affirmative, quelle est l’étendue de la protection dont ils bénéficient?
3) Au sens des articles 27 et 70 de l’accord ADPIC, les brevets qui relèvent de la réserve de l’article 167, paragraphe 2, de la [CBE], qui avaient été délivrés avant le 7 février 1992, soit avant l’entrée en vigueur de l’accord précité, et qui portaient sur des inventions de produits pharmaceutiques, mais qui, en raison de la réserve précitée, avaient été délivrés uniquement pour protéger leur procédé de fabrication, relèvent-ils de la protection prévue pour tous les brevets, en application des dispositions de l’accord ADPIC et, en cas de réponse affirmative, quelle est l’étendue et le contenu de cette protection? En d’autres termes, après l’entrée en vigueur de l’accord précité, faut-il considérer que les produits pharmaceutiques eux-mêmes sont également protégés ou bien que seule la protection du procédé de fabrication continue à être applicable; ou bien faut-il opérer une distinction, en fonction du contenu de la demande de brevet, pour savoir si, par le biais de la description de l’invention et des revendications qui y figurent, seule la protection du produit a été demandée à l’origine, ou bien celle du procédé ou bien les deux?»
33 Par lettre du 20 juin 2012, parvenue à la Cour après la fin des procédures écrite et orale, Sanofi-Aventis et DEMO ont fait savoir que, à la suite de la conclusion d’un accord extrajudiciaire, Sanofi‑Aventis s’est désistée de sa participation au recours formé avec Daiichi Sankyo contre DEMO. Dans la même lettre, elles indiquent que ce désistement est sans incidence sur les droits et demandes que Daiichi Sankyo et DEMO conservent l’une à l’égard de l’autre.
Sur les questions préjudicielles
Sur la recevabilité
34 DEMO déclare dans ses observations écrites que la demande de décision préjudicielle est dépourvue de pertinence, le brevet de base et le CCP de Daiichi Sankyo ayant expiré.
35 Selon une jurisprudence constante, le rejet par la Cour d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêts du 13 mars 2001, PreussenElektra, C‑379/98, Rec. p. I‑2099, point 39; du 5 décembre 2006, Cipolla e.a., C‑94/04 et C‑202/04, Rec. p. I‑11421, point 25, ainsi que du 15 novembre 2012, Bericap Záródástechnikai, C‑180/11, point 58).
36 En l’occurrence, la juridiction de renvoi sollicite, par ses deuxième et troisième questions, une interprétation des articles 27 et 70 de l’accord ADPIC qui, selon elle, est indispensable pour examiner les affirmations de Daiichi Sankyo au sujet de la prétendue atteinte portée à ses droits de brevet par DEMO.
37 Contrairement à ce que suggère DEMO, il n’apparaît pas de manière manifeste que l’objet du litige au principal ait disparu et que, de cette manière, l’interprétation sollicitée ne présente aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal.
38 En effet, rien dans la décision de renvoi, laquelle a été adoptée peu avant l’expiration du CCP dont Daiichi Sankyo était titulaire, ne laisse entendre que le litige deviendrait sans objet dès cette expiration. Il apparaît, au contraire, que certaines des demandes introduites par Daiichi Sankyo pourraient toujours être utilement accueillies par la juridiction de renvoi si celle-ci devait conclure que DEMO a porté atteinte à la protection conférée par ce CCP. Il en est ainsi, en particulier, pour la demande d’accès aux données relatives à la fabrication et à la vente de Talerin ainsi que pour la demande de saisie et de destruction de conditionnements de Talerin, certains de ceux-ci ayant pu être fabriqués et mis en vente avant l’expiration dudit CCP et se trouver toujours en possession de DEMO ou de tiers.
39 Dans ces conditions, la demande de décision préjudicielle doit être considérée comme étant recevable.
Sur la première question
40 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 27 de l’accord ADPIC relève d’un domaine pour lequel les États membres sont compétents à titre principal et, en cas de réponse affirmative, si les juridictions nationales peuvent reconnaître un effet direct à cette disposition, dans les conditions prévues par le droit national.
41 L’accord ADPIC a été conclu par la Communauté et ses États membres en vertu d’une compétence partagée (arrêts du 14 décembre 2000, Dior e.a., C‑300/98 et C‑392/98, Rec. p. I‑11307, point 33, ainsi que du 11 septembre 2007, Merck Genéricos – Produtos Farmacêuticos, C‑431/05, Rec. p. I‑7001, point 33). Dans ces conditions, les parties au principal et les gouvernements ayant déposé des observations soutiennent que, pour répondre à la première question posée, il convient d’examiner si, au stade actuel de l’évolution du droit, l’Union européenne a exercé ses compétences dans le domaine des brevets ou, plus précisément, de la brevetabilité.
42 À cet égard, ils invoquent la jurisprudence en matière d’accords mixtes selon laquelle, pour établir la ligne de partage entre les obligations que l’Union assume et celles qui demeurent à la charge des États membres, il y a lieu de déterminer si, dans le domaine couvert par l’article en cause de l’accord concerné, l’Union a exercé ses compétences et adopté des dispositions portant sur l’exécution des obligations qui en découlent (arrêt du 8 mars 2011, Lesoochranárske zoskupenie, C‑240/09, Rec. p. I‑1255, points 31 et 32 ainsi que jurisprudence citée).
43 La Commission européenne soutient, à l’inverse, que ladite jurisprudence n’est plus pertinente pour l’accord ADPIC dès lors qu’elle s’applique uniquement aux accords qui relèvent d’une compétence partagée entre l’Union et les États membres et non pas à ceux pour lesquels l’Union a une compétence exclusive. La Commission fait valoir à cet égard que l’ensemble de l’accord ADPIC porte sur des «aspects commerciaux de la propriété intellectuelle» au sens de l’article 207, paragraphe 1, TFUE. Par conséquent, ledit accord relèverait désormais dans sa totalité du domaine de la politique commerciale commune.
44 Il convient d’examiner d’emblée cette thèse de la Commission, sur laquelle a, par ailleurs, spécifiquement porté la procédure orale devant la Cour. Lors de cette procédure, les gouvernements y participant ont répondu à ladite thèse que la plupart des normes de l’accord ADPIC, telles que celles sur la brevetabilité figurant à l’article 27 de celui-ci, ne touchent qu’indirectement aux échanges internationaux et ne relèvent donc pas du domaine de la politique commerciale commune. Le sujet de la brevetabilité relèverait des compétences partagées dans le domaine du marché intérieur.
Considérations liminaires
45 Aux termes de l’article 207, paragraphe 1, TFUE, «[l]a politique commerciale commune est fondée sur des principes uniformes, notamment en ce qui concerne les modifications tarifaires, la conclusion d’accords tarifaires et commerciaux relatifs aux échanges de marchandises et de services, et les aspects commerciaux de la propriété intellectuelle, les investissements étrangers directs, l’uniformisation des mesures de libéralisation, la politique d’exportation, ainsi que les mesures de défense commerciale [...]. La politique commerciale commune est menée dans le cadre des principes et objectifs de l’action extérieure de l’Union».
46 Ladite disposition, qui est entrée en vigueur le 1er décembre 2009, diffère sensiblement des dispositions qu’elle a pour l’essentiel remplacées, notamment celles qui étaient contenues à l’article 133, paragraphes 1, 5, premier alinéa, 6, deuxième alinéa, et 7, CE.
47 Elle diffère encore davantage de la disposition qui était en vigueur lorsque l’accord ADPIC a été conclu, à savoir l’article 113 du traité CE (devenu, après modification, article 133 CE). Cet article énonçait, à son paragraphe 1, que «[l]a politique commerciale commune est fondée sur des principes uniformes, notamment en ce qui concerne les modifications tarifaires, la conclusion d’accords tarifaires et commerciaux, l’uniformisation des mesures de libéralisation, la politique d’exportation, ainsi que les mesures de défense commerciale». Les aspects commerciaux de la propriété intellectuelle n’étaient mentionnés ni dans ce paragraphe ni dans un autre paragraphe dudit article 113.
48 Compte tenu de cette évolution significative du droit primaire, la question de la répartition des compétences de l’Union et de celles des États membres doit être examinée sur le fondement du traité actuellement en vigueur (voir, par analogie, avis 1/08, du 30 novembre 2009, Rec. p. I‑11129, point 116). Dès lors, ni l’avis 1/94, du 15 novembre 1994 (Rec. p. I‑5267), dans lequel la Cour a établi au regard de l’article 113 du traité CE quelles dispositions de l’accord ADPIC relevaient de la politique commerciale commune et donc de la compétence exclusive de la Communauté, ni l’arrêt Merck Genéricos – Produtos Farmacêuticos, précité, fixant, à une date à laquelle l’article 133 CE était en vigueur, la ligne de partage entre les obligations découlant de l’accord ADPIC que l’Union assumait et celles qui demeuraient à la charge des États membres, ne sont pertinents pour déterminer dans quelle mesure l’accord ADPIC relève, à compter de l’entrée en vigueur du traité FUE, de la compétence exclusive de l’Union en matière de politique commerciale commune.
Sur la notion d’ «aspects commerciaux de la propriété intellectuelle»
49 Il ressort de l’article 207, paragraphe 1, TFUE que la politique commerciale commune, qui, conformément à l’article 3, paragraphe 1, sous e), TFUE, relève de la compétence exclusive de l’Union, porte, notamment, sur les «aspects commerciaux de la propriété intellectuelle».
50 Ainsi qu’il résulte de la même disposition, et en particulier de sa seconde phrase aux termes de laquelle la politique commerciale commune s’inscrit dans «l’action extérieure de l’Union», ladite politique est relative aux échanges commerciaux avec les États tiers et non aux échanges sur le marché intérieur.
51 Il est également constant que la seule circonstance qu’un acte de l’Union, tel qu’un accord conclu par celle-ci, est susceptible d’avoir certaines implications sur les échanges internationaux ne suffit pas pour conclure que cet acte doit être rangé dans la catégorie de ceux qui relèvent de la politique commerciale commune. En revanche, un acte de l’Union relève de la politique commerciale commune s’il porte spécifiquement sur les échanges internationaux en ce qu’il est essentiellement destiné à promouvoir, à faciliter ou à régir ces échanges et a des effets directs et immédiats sur ceux-ci (avis 2/00, du 6 décembre 2001, Rec. p. I‑9713, point 40; arrêts du 12 mai 2005, Regione autonoma Friuli-Venezia Giulia et ERSA, C‑347/03, Rec. p. I‑3785, point 75, ainsi que du 8 septembre 2009, Commission/Parlement et Conseil, C‑411/06, Rec. p. I‑7585, point 71).
52 Il s’ensuit que, parmi les normes adoptées par l’Union en matière de propriété intellectuelle, seules celles qui présentent un lien spécifique avec les échanges commerciaux internationaux sont susceptibles de relever de la notion d’«aspects commerciaux de la propriété intellectuelle» visée à l’article 207, paragraphe 1, TFUE et, dès lors, du domaine de la politique commerciale commune.
53 Tel est le cas des normes contenues dans l’accord ADPIC. Même si ces normes ne portent pas sur les modalités, douanières ou autres, des opérations de commerce international prises en tant que telles, elles présentent un lien spécifique avec les échanges internationaux. En effet, ledit accord fait partie intégrante du régime de l’OMC et constitue l’un des accords multilatéraux principaux sur lesquels ce régime est fondé.
54 Cette spécificité du lien avec les échanges internationaux est notamment illustrée par le fait que le mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends, qui constitue l’annexe 2 de l’accord instituant l’OMC et s’applique à l’accord ADPIC, autorise, en vertu de son article 22, paragraphe 3, la suspension de concessions de manière croisée entre cet accord et les autres accords multilatéraux principaux dont l’accord instituant l’OMC est composé.
55 Par ailleurs, en prévoyant, à l’article 207, paragraphe 1, TFUE, que les «aspects commerciaux de la propriété intellectuelle» relèvent désormais pleinement de la politique commerciale commune, les auteurs du traité FUE n’ont pas pu ignorer que les termes ainsi insérés dans ladite disposition correspondent quasi littéralement au titre même de l’accord ADPIC.
56 L’existence d’un lien spécifique entre l’accord ADPIC et les échanges internationaux justifiant de conclure que cet accord relève du domaine de la politique commerciale commune, n’est pas infirmée par l’argumentation des gouvernements ayant participé à la procédure orale selon laquelle, à tout le moins, les dispositions de la Partie II de l’accord ADPIC, relative aux normes concernant l’existence, la portée et l’exercice des droits de propriété intellectuelle, parmi lesquelles figure l’article 27 dudit accord, relèvent du domaine du marché intérieur en vertu, notamment, des articles 114 TFUE et 118 TFUE.
57 En effet, cette argumentation ne tient pas suffisamment compte de l’objectif de l’accord ADPIC en général et de sa Partie II en particulier.
58 L’objectif premier de l’accord ADPIC est de renforcer et d’harmoniser la protection de la propriété intellectuelle à l’échelle mondiale (arrêt du 13 septembre 2001, Schieving-Nijstad e.a., C‑89/99, Rec. p. I‑5851, point 36). Ainsi qu’il ressort de son préambule, l’accord ADPIC a pour objectif de réduire les distorsions du commerce international en garantissant, sur le territoire de chacun des membres de l’OMC, une protection efficace et suffisante des droits de propriété intellectuelle. La Partie II de cet accord contribue à la réalisation de cet objectif en énonçant, pour chacune des principales catégories de droits de propriété intellectuelle, des normes qui doivent être appliquées par chaque membre de l’OMC.
59 Certes, il reste, après l’entrée en vigueur du traité FUE, entièrement loisible à l’Union de légiférer, au sujet des droits de propriété intellectuelle, en vertu des compétences relevant du domaine du marché intérieur. Toutefois, les actes adoptés sur ce fondement et destinés à valoir spécifiquement pour l’Union devront respecter les normes concernant l’existence, la portée et l’exercice des droits de propriété intellectuelle contenues dans l’accord ADPIC, ces normes restant, comme auparavant, destinées à uniformiser certaines règles en la matière au niveau mondial et à faciliter ainsi les échanges internationaux.
60 Dès lors, ainsi que la Commission l’a observé, le fait de considérer les normes contenues à l’article 27 de l’accord ADPIC au sujet de l’objet brevetable comme relevant du domaine de la politique commerciale commune et non du domaine du marché intérieur traduit correctement le fait que ces normes s’inscrivent dans le cadre de la libéralisation des échanges internationaux et non dans celui de l’harmonisation des législations des États membres de l’Union.
61 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première partie de la première question posée que l’article 27 de l’accord ADPIC relève du domaine de la politique commerciale commune.
62 Compte tenu de la réponse à la première partie de ladite question, il n’y a pas lieu d’examiner la seconde partie de celle-ci.
Sur la deuxième question
63 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’invention d’un produit pharmaceutique, tel que le composé chimique actif d’un médicament, est un objet brevetable au sens de l’article 27 de l’accord ADPIC et, en cas de réponse affirmative, quelle est l’étendue de la protection conférée par un brevet relatif à un tel produit.
64 DEMO n’a pas spécifiquement pris position sur cette question. Daiichi Sankyo, les gouvernements ayant déposé des observations écrites et la Commission estiment tous qu’il découle du libellé même de l’accord ADPIC que les inventions de produits pharmaceutiques sont brevetables.
65 Cette thèse doit être accueillie. En effet, l’article 27, paragraphe 1, de l’accord ADPIC énonce que toute invention, de produit ou de procédé, qui est nouvelle, qui implique une activité inventive et qui est susceptible d’application industrielle est brevetable, pourvu seulement qu’elle relève d’un domaine technologique.
66 S’agissant de cette dernière condition, force est de constater que la pharmacologie est considérée, par les parties contractantes de l’accord ADPIC, comme un domaine technologique au sens dudit article 27, paragraphe 1. Cela ressort notamment, ainsi que l’ont observé le gouvernement italien et la Commission, de l’article 70, paragraphe 8, de l’accord ADPIC, qui est une disposition transitoire visant «les cas où un Membre n’accorde pas, à la date d’entrée en vigueur de l’[accord instituant l’OMC], pour les produits pharmaceutiques [...], la possibilité de bénéficier de la protection conférée par un brevet correspondant à ses obligations au titre de l’article 27» et qui dispose que, dans ces cas, le membre de l’OMC concerné doit à tout le moins offrir, à compter de ladite date, «un moyen de déposer des demandes de brevet pour de telles inventions». Ainsi qu’il découle du libellé de cette disposition, l’article 27 de l’accord ADPIC inclut l’obligation de rendre brevetables les inventions de produits pharmaceutiques.
67 Cette conclusion n’est, au demeurant, aucunement infirmée par les paragraphes 2 et 3 dudit article 27. La première de ces deux dispositions permet aux membres de l’OMC d’exclure de la brevetabilité les inventions dont il est nécessaire d’empêcher l’exploitation commerciale pour des raisons impérieuses d’intérêt général, tandis que la seconde les autorise à exclure de la brevetabilité certains produits et procédés, parmi lesquels figurent «les méthodes diagnostiques, thérapeutiques et chirurgicales pour le traitement des personnes ou des animaux». Or, sous peine de priver les articles 27, paragraphe 1, et 70, paragraphe 8, de l’accord ADPIC de leur effet utile, ces dérogations prévues par ledit article 27, paragraphes 2 et 3, ne sauraient être interprétées en ce sens qu’elles permettent de prévoir une exclusion générale pour les inventions de produits pharmaceutiques.
68 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la première partie de la deuxième question posée que l’article 27 de l’accord ADPIC doit être interprété en ce sens que l’invention d’un produit pharmaceutique, tel que le composé chimique actif d’un médicament, est, en l’absence d’une dérogation en vertu du paragraphe 2 ou 3 de cet article, susceptible de faire l’objet d’un brevet dans les conditions énoncées au paragraphe 1 dudit article.
69 Pour autant que la deuxième question posée porte également sur l’étendue de la protection conférée par un brevet relatif à un produit pharmaceutique, il suffit de relever, dans le cadre de la présente demande de décision préjudicielle, que l’article 27 de l’accord ADPIC concerne la brevetabilité et non la protection conférée par un brevet. Le sujet de la protection conférée par un brevet est régi, notamment, par les articles 28, intitulé «Droits conférés», 30, intitulé «Exceptions aux droits conférés», et 33, intitulé «Durée de la protection», de l’accord ADPIC. Dès lors qu’il ne ressort pas de la décision de renvoi qu’une interprétation de ces autres dispositions serait utile pour la solution du litige au principal, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde partie de la deuxième question posée.
Sur la troisième question
70 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si un brevet qui est obtenu à la suite d’une demande revendiquant l’invention tant du procédé de fabrication d’un produit pharmaceutique que de ce produit pharmaceutique en tant que tel, mais qui a été délivré uniquement pour ce qui concerne ce procédé de fabrication, doit néanmoins, en raison des règles énoncées aux articles 27 et 70 de l’accord ADPIC, être considéré, à partir de l’entrée en vigueur de cet accord, comme couvrant l’invention dudit produit pharmaceutique.
71 DEMO, les gouvernements hellénique, portugais et du Royaume-Uni, ainsi que la Commission, estiment qu’il convient de répondre à ladite question par la négative. Daiichi Sankyo et le gouvernement italien soutiennent la thèse inverse et fondent celle-ci, respectivement, sur le paragraphe 2 et sur le paragraphe 8 de l’article 70 de l’accord ADPIC.
72 Il convient de relever, tout d’abord, que la réponse à la troisième question ne saurait, dans le cadre de la présente demande de décision préjudicielle, être fondée sur l’article 70, paragraphe 8, de l’accord ADPIC.
73 Il est, en effet, constant que la République hellénique a reconnu la brevetabilité de produits pharmaceutiques à partir du 8 octobre 1992, à savoir bien avant l’entrée en vigueur de l’accord ADPIC. En outre, aucun élément du dossier soumis à la Cour ne donne à penser que la compatibilité entre les conditions de cette brevetabilité et celles énoncées à l’article 27 de l’accord ADPIC soit contestée. Dès lors, il y a lieu de considérer que la situation juridique de la République hellénique n’a jamais été celle, visée par ledit paragraphe 8, dans laquelle «un Membre n’accorde pas, à la date d’entrée en vigueur de l’[accord instituant l’OMC], pour les produits pharmaceutiques [...], la possibilité de bénéficier de la protection conférée par un brevet correspondant à ses obligations au titre de l’article 27».
74 Pour ce qui concerne, ensuite, la règle énoncée à l’article 70, paragraphe 2, de l’accord ADPIC selon laquelle cet accord «crée des obligations pour ce qui est de tous les objets existant à sa date d’application pour le Membre en question», il y a lieu d’examiner si celle-ci a, dans des conditions telles que celles de l’affaire au principal, une incidence sur l’interprétation du règlement nº 1768/92.
75 À cet égard, il importe de rappeler que le litige au principal a pour objet de déterminer si le CCP dont Daiichi Sankyo a été titulaire entre l’année 2006 et l’année 2011, à savoir dans la période pendant laquelle DEMO s’apprêtait à commercialiser des médicaments contenant le produit pharmaceutique lévofloxacine hémihydrate, couvrait l’invention de ce produit pharmaceutique ou, seulement, l’invention du procédé de fabrication de ce produit.
76 En vertu des articles 4 et 5 du règlement nº 1768/92, la protection conférée par ledit CCP était soumise aux mêmes limites que celles pesant sur la protection conférée par le brevet de base.
77 Ledit brevet de base ayant été délivré en 1986, la première partie de sa durée se trouvait en chevauchement avec la dernière partie de la durée de validité de la réserve émise par la République hellénique conformément à l’article 167, paragraphe 2, de la CBE. Si, certes, cette réserve ne s’appliquait pas formellement au brevet de Daiichi Sankyo, celui-ci étant un brevet national et non un brevet européen, il résulte néanmoins des explications fournies par la juridiction de renvoi et reprises aux points 20 et 21 du présent arrêt que, conformément à la loi 1733/1987, ladite réserve était appliquée par analogie aux brevets nationaux.
78 Quoiqu’il incombe à la juridiction de renvoi de le vérifier, il paraît ressortir des mêmes explications que la précision figurant à l’article 167, paragraphe 5, de la CBE, aux termes de laquelle «[l]es effets de [la réserve visée au paragraphe 2] subsistent pendant toute la durée [des brevets concernés]», était elle aussi applicable par analogie aux brevets nationaux, avec pour conséquence que le brevet national de Daiichi Sankyo ainsi que le CCP provenant de ce brevet étaient sans effet pour ce qui concerne l’invention du produit pharmaceutique, et ce malgré la brevetabilité de produits pharmaceutiques à partir du 8 octobre 1992.
79 Or, ainsi que l’ont observé notamment DEMO et le gouvernement du Royaume‑Uni, indépendamment de la portée exacte qui doit être octroyée à la règle énoncée à l’article 70, paragraphe 2, de l’accord ADPIC et de la mise en balance à opérer entre cette règle et celle, figurant au paragraphe 1 du même article, selon laquelle l’accord ADPIC «ne crée pas d’obligations pour ce qui est des actes qui ont été accomplis avant sa date d’application pour le Membre en question», il ne saurait être considéré que la protection des objets existants visée à l’article 70 de l’accord ADPIC puisse consister à attribuer à un brevet des effets que celui-ci n’a pas et n’a jamais eus.
80 Il résulte, certes, dudit article 70, paragraphe 2, lu conjointement avec l’article 65, paragraphe 1, de l’accord ADPIC, que tout membre de l’OMC est, à partir de l’entrée en vigueur de l’accord instituant l’OMC ou, au plus tard, à l’expiration d’un an après cette date, tenu de s’acquitter de toutes les obligations résultant de l’accord ADPIC pour ce qui est des objets existants (arrêt du 16 novembre 2004, Anheuser-Busch, C‑245/02, Rec. p. I‑10989, point 49). Ces objets existants incluent les inventions qui sont protégées par un brevet à ladite date sur le territoire du membre de l’OMC concerné [voir, en ce sens, rapport de l’organe d’appel institué au sein de l’OMC, rendu le 18 septembre 2000, Canada – Durée de la protection conférée par un brevet (AB-2000-7), WT/DS170/AB/R, points 65 et 66].
81 Toutefois, qualifier l’invention du produit pharmaceutique lévofloxacine hémihydrate comme étant protégée, en vertu du brevet de Daiichi Sankyo, à la date d’application pour la République hellénique de l’accord ADPIC, alors que cette invention n’était précisément pas protégée en vertu des règles qui régissaient jusque-là ce brevet, ne serait possible que si cet accord était interprété comme obligeant les membres de l’OMC à convertir, à l’occasion et du seul fait de l’entrée en vigueur dudit accord, des inventions revendiquées en inventions protégées. Une telle obligation ne peut cependant pas être déduite de l’accord ADPIC et dépasserait le sens habituel des termes «objets existants».
82 Une lecture conjointe des articles 27 et 70 de l’accord ADPIC ne mène pas à une autre conclusion. Il est vrai, ainsi qu’il ressort de l’examen de la deuxième question posée, que l’article 27 de l’accord ADPIC oblige les membres de l’OMC à prévoir la possibilité d’obtenir un brevet pour des inventions de produits pharmaceutiques. Cette obligation ne saurait toutefois être comprise en ce sens que les membres de l’OMC qui, dans une période située avant la date de l’entrée en vigueur dudit accord, excluaient la protection des inventions de produits pharmaceutiques revendiquées dans des brevets délivrés pour des inventions de procédés de fabrication de tels produits, doivent, à partir de cette date, considérer ces brevets comme couvrant lesdites inventions de produits pharmaceutiques.
83 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la troisième question qu’un brevet qui est obtenu à la suite d’une demande revendiquant l’invention tant du procédé de fabrication d’un produit pharmaceutique que de ce produit pharmaceutique en tant que tel, mais qui a été délivré uniquement pour ce qui concerne ce procédé de fabrication, ne doit pas, en raison des règles énoncées aux articles 27 et 70 de l’accord ADPIC, être considéré, à partir de l’entrée en vigueur de cet accord, comme couvrant l’invention dudit produit pharmaceutique.
Sur les dépens
84 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:
1) L’article 27 de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, qui constitue l’annexe 1 C de l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), signé à Marrakech le 15 avril 1994 et approuvé par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994), relève de la politique commerciale commune.
2) L’article 27 de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce doit être interprété en ce sens que l’invention d’un produit pharmaceutique, tel que le composé chimique actif d’un médicament, est, en l’absence d’une dérogation en vertu du paragraphe 2 ou 3 de cet article, susceptible de faire l’objet d’un brevet dans les conditions énoncées au paragraphe 1 dudit article.
3) Un brevet qui est obtenu à la suite d’une demande revendiquant l’invention tant du procédé de fabrication d’un produit pharmaceutique que de ce produit pharmaceutique en tant que tel, mais qui a été délivré uniquement pour ce qui concerne ce procédé de fabrication, ne doit pas, en raison des règles énoncées aux articles 27 et 70 de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, être considéré, à partir de l’entrée en vigueur de celui-ci, comme couvrant l’invention dudit produit pharmaceutique.