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Décisions

TUE, 4e ch. élargie, 30 mars 2022, n° T-323/17

TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Martinair Holland NV

Défendeur :

Commission européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Kanninen (rapporteur)

Juges :

M. Schwarcz, M. Iliopoulos, M. Spielmann, Mme Reine

Avocat :

Me Smeets

Comm. eur., du 9 nov. 2010

9 novembre 2010

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie),

I. Antécédents du litige

1 La requérante, Martinair Holland NV, est une compagnie de transport aérien active sur le marché des services de fret aérien (ci-après le « fret »).

2 Dans le secteur du fret, des compagnies aériennes assurent le transport de cargaisons par voie aérienne (ci-après les « transporteurs »). En règle générale, les transporteurs fournissent des services de fret aux transitaires, qui organisent l’acheminement de ces cargaisons au nom des expéditeurs. En contrepartie, ces transitaires s’acquittent auprès des transporteurs d’un prix qui se compose, d’une part, de tarifs calculés au kilogramme et négociés soit pour une période longue (généralement une saison, c’est-à-dire six mois), soit de façon ponctuelle, et, d’autre part, de diverses surtaxes, qui visent à couvrir certains coûts.

3 Quatre types de transporteurs se distinguent : premièrement, ceux qui exploitent exclusivement des avions tout cargo, deuxièmement, ceux qui, sur leurs vols destinés aux passagers, réservent une partie de la soute de l’avion au transport de marchandises, troisièmement, ceux qui disposent à la fois d’avions-cargos et d’un espace réservé pour le fret dans la soute d’avions de transport de passagers (compagnies aériennes mixtes) et, quatrièmement, les intégrateurs, qui disposent d’avions-cargos fournissant à la fois des services de livraison express intégrés et des services de fret généraux.

4 Aucun transporteur n’étant en mesure de desservir, dans le monde, toutes les destinations majeures de fret à des fréquences suffisantes, la conclusion d’accords entre eux pour augmenter leur couverture du réseau ou améliorer leurs horaires s’est développée, y compris dans le cadre d’alliances commerciales plus vastes entre transporteurs. Parmi ces alliances figurait notamment, à l’époque des faits, l’alliance WOW, qui réunissait Deutsche Lufthansa AG (ci-après « Lufthansa »), SAS Cargo Group A/S (ci‑après « SAS Cargo »), Singapore Airlines Cargo Pte Ltd (ci-après « SAC ») et Japan Airlines International Co. Ltd (ci-après « Japan Airlines »).

A. Procédure administrative

5 Le 7 décembre 2005, la Commission des Communautés européennes a reçu, au titre de sa communication sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3), une demande d’immunité introduite par Lufthansa et ses filiales, Lufthansa Cargo AG et Swiss International Air Lines AG (ci-après « Swiss »). Selon cette demande, des contacts anticoncurrentiels intensifs existaient entre plusieurs transporteurs, portant, notamment, sur :

– la surtaxe carburant (ci-après la « STC »), qui aurait été introduite pour faire face au coût croissant du carburant ;

– la surtaxe sécurité (ci-après la « STS »), qui aurait été introduite pour faire face au coût de certaines mesures de sécurité imposées après les attaques terroristes du 11 septembre 2001.

6 Les 14 et 15 février 2006, la Commission a procédé à des inspections inopinées dans les locaux de plusieurs transporteurs, conformément à l’article 20 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1).

7 Après les inspections, plusieurs transporteurs, dont la requérante, ont introduit une demande au titre de la communication de 2002 mentionnée au point 5 ci-dessus.

8 Le 19 décembre 2007, après avoir envoyé plusieurs demandes de renseignements, la Commission a adressé une communication des griefs à 27 transporteurs, dont la requérante (ci-après la « communication des griefs »). Elle a indiqué que ces transporteurs avaient enfreint l’article 101 TFUE, l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) et l’article 8 de l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur le transport aérien (ci-après l’« accord CE-Suisse sur le transport aérien »), en participant à une entente portant, notamment, sur la STC, la STS et un refus de paiement de commissions sur les surtaxes (ci-après le « refus de paiement de commissions »).

9 En réponse à la communication des griefs, ses destinataires ont soumis des observations écrites.

10 Une audition s’est tenue du 30 juin au 4 juillet 2008.

B. Décision du 9 novembre 2010

11 Le 9 novembre 2010, la Commission a adopté la décision C(2010) 7694 final, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord [CE-Suisse sur le transport aérien] (affaire COMP/39258 – Fret aérien) (ci-après la « décision du 9 novembre 2010 »). Cette décision a pour destinataires 21 transporteurs (ci-après les « transporteurs incriminés par la décision du 9 novembre 2010 »), à savoir :

– Air Canada ;

– Air France-KLM (ci-après « AF-KLM ») ;

– Société Air France (ci-après « AF ») ;

– Koninklijke Luchtvaart Maatschappij NV (ci-après « KLM ») ;

– British Airways plc ;

– Cargolux Airlines International SA (ci-après « Cargolux ») ;

– Cathay Pacific Airways Ltd (ci-après « CPA ») ;

– Japan Airlines Corp. ;

– Japan Airlines ;

– Lan Airlines SA ;

– Lan Cargo SA ;

– Lufthansa Cargo ;

– Lufthansa ;

– Swiss ;

– la requérante ;

– Qantas Airways Ltd ;

– SAS AB ;

– SAS Cargo ;

– Scandinavian Airlines System Denmark-Norway-Sweden (ci-après « SAS Consortium ») ;

– SAC ;

– Singapore Airlines Ltd (ci-après « SIA »).

12 Les griefs retenus provisoirement à l’égard des autres destinataires de la communication des griefs ont été abandonnés (ci-après les « transporteurs non incriminés »).

13 La décision du 9 novembre 2010 décrivait, dans ses motifs, une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE, à l’article 53 de l’accord EEE et à l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien, couvrant le territoire de l’EEE et de la Suisse, par laquelle les transporteurs incriminés par la décision du 9 novembre 2010 auraient coordonné leur comportement en matière de tarification pour la fourniture de services de fret.

14 Le dispositif de la décision du 9 novembre 2010, pour autant qu’il concernait la requérante, se lisait comme suit :

« Article premier

Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 101 du TFUE et l’article 53 de l’accord EEE en participant à une infraction se composant à la fois d’accords et de pratiques concertées par lesquels elles ont coordonné divers éléments de prix à porter en compte pour des services de [fret] sur des liaisons entre des aéroports situés à l’intérieur de l’EEE, pendant les périodes suivantes :

[…]

i) [la requérante], du 22 janvier 2001 au 14 février 2006 ;

[…]

Article 2

Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 101 du TFUE en participant à une infraction se composant à la fois d’accords et de pratiques concertées par lesquels elles ont [coordonné] divers éléments de prix à porter en compte pour des services de [fret] sur des liaisons entre des aéroports situés à l’intérieur de l’Union européenne et des aéroports situés en dehors de l’EEE, pendant les périodes suivantes :

[…]

o) [la requérante], du 1er mai 2004 au 14 février 2006 ;

[…]

Article 3

Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 53 de l’accord EEE en participant à une infraction se composant à la fois d’accords et de pratiques concertées par lesquels elles ont coordonné divers éléments de prix à porter en compte pour des services de [fret] sur des liaisons entre des aéroports situés dans des pays qui sont des parties contractantes à l’accord EEE, mais ne sont pas des États membres, et des pays tiers, pendant les périodes suivantes :

[…]

m) [la requérante], du 19 mai 2005 au 14 février 2006 ;

[…]

Article 4

Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 8 de l’accord [CE-Suisse] sur le transport aérien en participant à une infraction se composant à la fois d’accords et de pratiques concertées par lesquels elles ont coordonné divers éléments de prix à porter en compte pour des services de [fret] sur des liaisons entre des aéroports situés à l’intérieur de l’Union européenne et des aéroports situés en Suisse, pendant les périodes suivantes :

[…]

i) [la requérante], du 1er juin 2002 au 14 février 2006 ;

[…]

Article 5

Les amendes suivantes sont infligées pour les infractions visées aux articles 1er à 4 [de la décision du 9 novembre 2010] :

[…]

m) [la requérante] : 29 500 000 EUR ;

[…]

Article 6

Les entreprises visées aux articles 1er à 4 mettent immédiatement fin aux infractions visées auxdits articles, dans la mesure où elles ne l’ont pas encore fait.

Elles s’abstiennent dorénavant de tout acte ou comportement visés aux articles 1er à 4, ainsi que de tout acte ou comportement ayant un objet ou un effet identique ou similaire. »

C. Recours contre la décision du 9 novembre 2010 devant le Tribunal

15 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 janvier 2011, la requérante a introduit un recours tendant à l’annulation des articles 1er à 7 de la décision du 9 novembre 2010, en tant qu’ils la concernaient, ou, à tout le moins, à la réduction du montant de l’amende qui lui avait été infligée. Les autres transporteurs incriminés par la décision du 9 novembre 2010, à l’exception de Qantas Airways, ont également introduit devant le Tribunal des recours contre cette décision.

16 Par arrêts du 16 décembre 2015, Air Canada/Commission (T‑9/11, non publié, EU:T:2015:994), Koninklijke Luchtvaart Maatschappij/Commission (T‑28/11, non publié, EU:T:2015:995), Japan Airlines/Commission (T‑36/11, non publié, EU:T:2015:992), Cathay Pacific Airways/Commission (T‑38/11, non publié, EU:T:2015:985), Cargolux Airlines/Commission (T‑39/11, non publié, EU:T:2015:991), Latam Airlines Group et Lan Cargo/Commission (T‑40/11, non publié, EU:T:2015:986), Singapore Airlines et Singapore Airlines Cargo Pte/Commission (T‑43/11, non publié, EU:T:2015:989), Deutsche Lufthansa e.a./Commission (T‑46/11, non publié, EU:T:2015:987), British Airways/Commission (T‑48/11, non publié, EU:T:2015:988), SAS Cargo Group e.a./Commission (T‑56/11, non publié, EU:T:2015:990), Air France-KLM/Commission (T‑62/11, non publié, EU:T:2015:996), Air France/Commission (T‑63/11, non publié, EU:T:2015:993), et Martinair Holland/Commission (T‑67/11, EU:T:2015:984), le Tribunal a annulé, en tout ou en partie, la décision du 9 novembre 2010 pour autant qu’elle visait, respectivement, Air Canada, KLM, Japan Airlines et Japan Airlines Corp., CPA, Cargolux, Latam Airlines Group SA (anciennement Lan Airlines) et Lan Cargo, SAC et SIA, Lufthansa, Lufthansa Cargo et Swiss, British Airways, SAS Cargo, SAS Consortium et SAS, AF-KLM, AF et la requérante. Le Tribunal a estimé que cette décision était entachée d’un vice de motivation.

17 À cet égard, en premier lieu, le Tribunal a constaté que la décision du 9 novembre 2010 était entachée de contradictions entre ses motifs et son dispositif. Les motifs de cette décision décrivaient une seule infraction unique et continue, relative à toutes les liaisons couvertes par l’entente, à laquelle les transporteurs incriminés par la décision du 9 novembre 2010 auraient participé. En revanche, le dispositif de ladite décision identifiait soit quatre infractions uniques et continues distinctes, soit une seule infraction unique et continue dont la responsabilité ne serait imputée qu’aux transporteurs qui, sur les liaisons visées par les articles 1er à 4 de la même décision, auraient directement participé aux comportements infractionnels visés par chacun desdits articles ou auraient eu connaissance d’une collusion sur ces liaisons, dont ils acceptaient le risque. Or, aucune de ces deux lectures du dispositif de la décision en question n’était conforme à ses motifs.

18 Le Tribunal a aussi rejeté comme étant incompatible avec les motifs de la décision du 9 novembre 2010 la lecture alternative de son dispositif proposée par la Commission, consistant à considérer que l’absence de mention de certains des transporteurs incriminés par la décision du 9 novembre 2010 dans les articles 1er, 3 et 4 de cette décision pouvait s’expliquer, sans qu’il soit besoin de considérer que ces articles constataient des infractions uniques et continues distinctes, par le fait que lesdits transporteurs n’assuraient pas les liaisons couvertes par ces dispositions.

19 En deuxième lieu, le Tribunal a considéré que les motifs de la décision du 9 novembre 2010 contenaient d’importantes contradictions internes.

20 En troisième lieu, après avoir relevé qu’aucune des deux lectures possibles du dispositif de la décision du 9 novembre 2010 n’était conforme à ses motifs, le Tribunal a examiné si, dans le cadre d’au moins l’une de ces deux lectures possibles, les contradictions internes à ladite décision étaient de nature à porter atteinte aux droits de la défense de la requérante et à empêcher le Tribunal d’exercer son contrôle. S’agissant de la première lecture, retenant l’existence de quatre infractions uniques et continues distinctes, premièrement, il a jugé que la requérante n’avait pas été en situation de comprendre dans quelle mesure les éléments de preuve exposés dans les motifs, liés à l’existence d’une infraction unique et continue, étaient susceptibles d’établir l’existence des quatre infractions distinctes constatées dans le dispositif et qu’elle n’avait donc pas davantage été en situation de pouvoir contester leur suffisance. Deuxièmement, il a jugé que la requérante s’était trouvée dans l’impossibilité de comprendre la logique qui avait conduit la Commission à la considérer comme responsable d’une infraction, y compris pour des liaisons non assurées à l’intérieur du périmètre défini par chaque article de la décision du 9 novembre 2010.

D. Décision attaquée

21 Le 20 mai 2016, à la suite de l’annulation prononcée par le Tribunal, la Commission a adressé une lettre aux transporteurs incriminés par la décision du 9 novembre 2010 ayant introduit un recours contre cette dernière devant le Tribunal, les informant que sa direction générale (DG) de la concurrence entendait lui proposer d’adopter une nouvelle décision concluant qu’ils avaient participé à une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE, à l’article 53 de l’accord EEE et à l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien sur toutes les liaisons mentionnées dans cette décision.

22 Les destinataires de la lettre de la Commission mentionnée au point 21 ci-dessus ont été invités à faire part de leur point de vue sur la proposition de la DG de la concurrence de la Commission dans un délai d’un mois. Tous, y compris la requérante, ont fait usage de cette possibilité.

23 Le 17 mars 2017, la Commission a adopté la décision C(2017) 1742 final, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord [CE-Suisse sur le transport aérien] (affaire AT.39258 – Fret aérien) (ci-après la « décision attaquée »). Ladite décision a pour destinataires 19 transporteurs (ci-après les « transporteurs incriminés »), à savoir :

– Air Canada ;

– AF-KLM ;

– AF ;

– KLM ;

– British Airways ;

– Cargolux ;

– CPA ;

– Japan Airlines ;

– Latam Airlines Group ;

– Lan Cargo ;

– Lufthansa Cargo ;

– Lufthansa ;

– Swiss ;

– la requérante ;

– SAS ;

– SAS Cargo ;

– SAS Consortium ;

– SAC ;

– SIA.

24 La décision attaquée ne retient pas de griefs à l’encontre des autres destinataires de la communication des griefs.

25 La décision attaquée décrit, dans ses motifs, une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE, à l’article 53 de l’accord EEE et à l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien, par laquelle les transporteurs incriminés auraient coordonné leur comportement en matière de tarification pour la fourniture de services de fret dans le monde entier par le biais de la STC, de la STS et du paiement d’une commission sur les surtaxes.

26 En premier lieu, au point 4.1 de la décision attaquée, la Commission a décrit les « [p]rincipes de base et [la] structure de l’entente ». Aux considérants 107 et 108 de cette décision, elle a indiqué que l’enquête avait révélé une entente d’ampleur mondiale fondée sur un réseau de contacts bilatéraux et multilatéraux entretenus sur une longue période entre les concurrents, concernant le comportement qu’ils avaient décidé, prévu ou envisagé d’adopter en rapport avec divers éléments du prix des services de fret, à savoir la STC, la STS et le refus de paiement de commissions. Elle a souligné que ce réseau de contacts avait pour objectif commun de coordonner le comportement des concurrents en matière de tarification ou de réduire l’incertitude en ce qui concerne leur politique de prix (ci-après l’« entente litigieuse »).

27 Selon le considérant 109 de la décision attaquée, l’application coordonnée de la STC avait pour but de s’assurer que les transporteurs du monde entier imposent une surtaxe forfaitaire par kilo pour tous les envois concernés. Un réseau complexe de contacts, principalement bilatéraux, entre transporteurs aurait été institué dans le but de coordonner et de surveiller l’application de la STC, la date précise d’application étant souvent, selon la Commission, décidée au niveau local, le principal transporteur local prenant généralement la direction et les autres suivant. Cette approche coordonnée aurait été étendue à la STS, tout comme au refus de paiement de commissions, si bien que ces dernières seraient devenues des revenus nets pour les transporteurs et auraient constitué une mesure d’encouragement supplémentaire pour amener ceux-ci à suivre la coordination relative aux surtaxes.

28 Selon le considérant 110 de la décision attaquée, la direction générale du siège de plusieurs transporteurs aurait été soit directement impliquée dans les contacts avec les concurrents, soit régulièrement informée de ceux-ci. Dans le cas des surtaxes, les employés responsables du siège auraient été en contact mutuel lorsqu’un changement de niveau de la surtaxe était imminent. Le refus de paiement de commissions aurait également été confirmé à plusieurs reprises lors de contacts se tenant au niveau de l’administration centrale. Des contacts fréquents auraient également eu lieu au niveau local dans le but, d’une part, de mieux exécuter les instructions données par les administrations centrales et de les adapter aux conditions de marché locales et, d’autre part, de coordonner et de mettre en œuvre les initiatives locales. Dans ce dernier cas, les sièges des transporteurs auraient généralement autorisé l’action proposée ou en auraient été informés.

29 Selon le considérant 111 de la décision attaquée, les transporteurs auraient pris contact les uns avec les autres, soit de manière bilatérale, soit en petits groupes, soit, dans certains cas, en grands forums multilatéraux. Les associations locales de représentants de transporteurs auraient été utilisées, notamment à Hong Kong et en Suisse, pour discuter de mesures d’amélioration du rendement et pour coordonner les surtaxes. Des réunions d’alliances telles que l’alliance WOW auraient également été exploitées à ces fins.

30 En deuxième lieu, aux points 4.3, 4.4 et 4.5 de la décision attaquée, la Commission a décrit les contacts concernant, respectivement, la STC, la STS et le refus de paiement de commissions (ci-après les « contacts litigieux »).

31 Ainsi, premièrement, aux considérants 118 à 120 de la décision attaquée, la Commission a résumé les contacts relatifs à la STC comme suit :

« (118) Un réseau de contacts bilatéraux, impliquant plusieurs compagnies aériennes, a été institué fin 1999-début 2000, permettant un partage d’informations sur les actions des entreprises par les participants entre tous les membres du réseau. Les transporteurs prenaient régulièrement contact les uns avec les autres afin de discuter de toute question se posant en rapport avec la STC, notamment les modifications du mécanisme, les changements du niveau de la STC, l’application cohérente du mécanisme et les situations dans lesquelles certaines compagnies aériennes ne suivaient pas le système.

(119) Pour la mise en œuvre des STC au niveau local, un système par lequel les compagnies aériennes dominantes sur certaines liaisons ou dans certains pays annonçaient en premier le changement et étaient ensuite suivies par les autres, a souvent été appliqué […]

(120) La coordination anticoncurrentielle concernant la STC se déroulait principalement dans quatre contextes : en rapport avec l’introduction des STC au début 2000, la réintroduction d’un mécanisme de STC après l’annulation du mécanisme prévu par l’[Association du transport aérien international (IATA)], l’introduction de nouveaux seuils de déclenchement (augmentant le niveau maximal de la STC) et surtout le moment où les indices de carburant approchaient le seuil auquel une augmentation ou une diminution de la STC allait être déclenchée. »

32 Deuxièmement, au considérant 579 de la décision attaquée, la Commission a résumé les contacts relatifs à la STS comme suit :

« Plusieurs [transporteurs incriminés] ont discuté, entre autres, de leurs intentions d’introduire une STS […] De plus, le montant de la surtaxe et le calendrier d’introduction ont également été discutés. Les [transporteurs incriminés] ont en outre partagé des idées sur la justification à donner à leurs clients. Des contacts ponctuels concernant la mise en œuvre de la STS ont eu lieu pendant toute la période couvrant les années 2002 à 2006. La coordination illicite a eu lieu à la fois au niveau des administrations centrales et au niveau local. »

33 Troisièmement, au considérant 676 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que les transporteurs incriminés avaient « continué à refuser de payer une commission sur les surtaxes et s[’étaient] confirmé mutuellement leur intention dans ce domaine lors de nombreux contacts ».

34 En troisième lieu, au point 4.6 de la décision attaquée, la Commission a procédé à l’appréciation des contacts litigieux. L’appréciation de ceux retenus contre la requérante figure aux considérants 785 à 788 de cette décision.

35 En quatrième lieu, au point 5 de la décision attaquée, la Commission a procédé à l’application aux faits de l’espèce de l’article 101 TFUE, tout en précisant, à la note en bas de page no 1289 de cette décision, que les considérations retenues valaient également pour l’article 53 de l’accord EEE et l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien. Ainsi, premièrement, au considérant 846 de ladite décision, elle a retenu que les transporteurs incriminés avaient coordonné leur comportement ou influencé la tarification, « ce qui rev[enai]t en définitive à une fixation de prix en rapport avec » la STC, la STS et le paiement d’une commission sur les surtaxes. Au considérant 861 de la même décision, elle a qualifié le « système général de coordination du comportement de tarification pour des services de fret » dont son enquête avait révélé l’existence d’« infraction complexe se composant de diverses actions qui [pouvaient] être qualifiées soit d’accord, soit de pratique concertée dans le cadre desquels les concurrents [avaie]nt sciemment substitué la coopération pratique entre eux aux risques de la concurrence ».

36 Deuxièmement, au considérant 869 de la décision attaquée, la Commission a retenu que le « comportement en cause constitu[ait] une infraction unique et continue à l’article 101 du TFUE ». Elle a ainsi considéré que les arrangements en cause poursuivaient un objectif anticoncurrentiel unique consistant à entraver la concurrence dans le secteur du fret au sein de l’EEE, y compris lorsque la coordination s’était déroulée au niveau local et avait connu des variations locales (considérants 872 à 876), portaient sur un « [p]roduit/services unique », à savoir « la fourniture de services de fret […] et leur tarification » (considérant 877), concernaient les mêmes entreprises (considérant 878), revêtaient une nature unique (considérant 879) et portaient sur trois composantes, à savoir la STC, la STS et le refus de paiement de commissions, qui ont « fréquemment été discuté[e]s conjointement au cours du même contact avec les concurrents » (considérant 880).

37 Au considérant 881 de la décision attaquée, la Commission a ajouté que « la majorité des parties », dont la requérante, étaient impliquées dans les trois composantes de l’infraction unique.

38 Troisièmement, au considérant 884 de la décision attaquée, la Commission a conclu au caractère continu de l’infraction en cause.

39 Quatrièmement, au considérant 903 de la décision attaquée, la Commission a retenu que le comportement litigieux avait pour objet de restreindre la concurrence « au moins au sein de l’U[nion], dans l’EEE et en Suisse ». Au considérant 917 de cette décision, elle a, en substance, ajouté qu’il n’était, dès lors, pas nécessaire de prendre en considération les « effets concrets » de ce comportement.

40 Cinquièmement, aux considérants 1024 à 1035 de la décision attaquée, la Commission a retenu que l’infraction unique et continue était susceptible d’affecter de manière sensible les échanges entre États membres, entre les parties contractantes à l’accord EEE et entre les parties contractantes à l’accord CE-Suisse sur le transport aérien.

41 Sixièmement, la Commission a examiné les limites de sa compétence territoriale et temporelle pour constater et sanctionner une infraction aux règles de concurrence dans le cas d’espèce. D’une part, aux considérants 822 à 832 de la décision attaquée, sous le titre « Compétence de la Commission », elle a, en substance, retenu qu’elle n’appliquerait pas, tout d’abord, l’article 101 TFUE aux accords et pratiques antérieurs au 1er mai 2004 concernant les liaisons entre des aéroports au sein de l’Union européenne et des aéroports situés en dehors de l’EEE (ci-après les « liaisons Union-pays tiers »), ensuite, l’article 53 de l’accord EEE aux accords et pratiques antérieurs au 19 mai 2005 concernant les liaisons Union-pays tiers et les liaisons entre des aéroports situés dans des pays qui sont parties contractantes à l’accord EEE et qui ne sont pas membres de l’Union et des aéroports situés dans des pays tiers (ci-après les « liaisons EEE sauf Union-pays tiers » et, conjointement avec les liaisons Union-pays tiers, les « liaisons EEE-pays tiers ») et, enfin, l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien aux accords et pratiques antérieurs au 1er juin 2002 concernant les liaisons entre des aéroports au sein de l’Union et des aéroports suisses (ci-après les « liaisons Union-Suisse »). Elle a aussi précisé que la décision attaquée n’avait « nullement la prétention de révéler une quelconque infraction à l’article 8 de l’accord [CE-Suisse sur le transport aérien] concernant les services de fret [entre] la Suisse [et] des pays tiers ».

42 D’autre part, aux considérants 1036 à 1046 de la décision attaquée, sous le titre « L’applicabilité de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE aux liaisons entrantes », la Commission a rejeté les arguments de différents transporteurs incriminés selon lesquels elle outrepassait les limites de sa compétence territoriale au regard des règles de droit international public en constatant et en sanctionnant une infraction à ces deux dispositions sur les liaisons au départ de pays tiers et à destination de l’EEE (ci-après les « liaisons entrantes » et, s’agissant des services de fret offerts sur ces liaisons, les « services de fret entrants »). En particulier, au considérant 1042 de cette décision, elle a rappelé comme suit les critères qu’elle estimait applicables :

« En ce qui concerne l’application extraterritoriale de l’article 101 du TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE, ces dispositions sont applicables aux accords qui sont mis en œuvre au sein de l’U[nion] (théorie de la mise en œuvre) ou qui ont des effets immédiats, substantiels et prévisibles au sein de l’U[nion] (théorie des effets). »

43 Aux considérants 1043 à 1046 de la décision attaquée, la Commission a appliqué les critères en question aux faits de l’espèce :

« (1043) Dans le cas des services de fret [entrants], l’article 101 du TFUE et l’article 53 de l’accord EEE sont applicables parce que le service lui-même, qui fait l’objet de l’infraction en matière de fixation de prix, doit être rendu et est en effet rendu en partie sur le territoire de l’EEE. De plus, de nombreux contacts par lesquels les destinataires ont coordonné les surtaxes et le [refus de] paiement de commissions ont eu lieu à l’intérieur de l’EEE ou ont impliqué des participants se trouvant dans l’EEE.

(1044) […] l’exemple cité dans la communication [consolidée sur la compétence de la Commission en vertu du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2008, C 95, p. 1 et rectificatif JO 2009, C 43, p. 10)] n’est pas pertinent ici. La[dite] communication se rapporte à la répartition géographique du chiffre d’affaires entre les entreprises aux fins de déterminer si les seuils de chiffre d’affaires de l’article 1er du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises [(JO 2004, L 24, p. 1)] sont atteints.

(1045) En outre, les pratiques anticoncurrentielles dans les pays tiers en ce qui concerne le transport du fret […] vers l’Union et l’EEE sont susceptibles d’avoir des effets immédiats, substantiels et prévisibles au sein de l’Union et de l’EEE, étant donné que les coûts accrus du transport aérien vers l’EEE et donc les prix plus élevés des marchandises importées sont, de par leur nature, susceptibles d’avoir des effets sur les consommateurs au sein de l’EEE. En l’espèce, les pratiques anticoncurrentielles éliminant la concurrence entre les transporteurs qui offrent des services de fret [entrants] étaient susceptibles d’avoir de tels effets également sur la fourniture de services de [fret] par d’autres transporteurs au sein de l’EEE, entre les plateformes de correspondance (“hubs”) dans l’EEE utilisées par les transporteurs de pays tiers et les aéroports de destination de ces envois dans l’EEE qui ne sont pas desservis par le transporteur du pays tiers.

(1046) Enfin, il convient de souligner que la Commission a découvert une entente au niveau mondial. L’entente a été mise en œuvre mondialement et les arrangements de l’entente concernant les liaisons entrantes faisaient partie intégrante de l’infraction unique et continue à l’article 101 du TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE. Les arrangements de l’entente étaient, dans de nombreux cas, organisés au niveau central et le personnel local ne faisait que les appliquer. L’application uniforme des surtaxes à une échelle mondiale était un élément clé de l’entente. »

44 En cinquième lieu, au considérant 1146 de la décision attaquée, la Commission a retenu que l’entente litigieuse avait débuté le 7 décembre 1999 et duré jusqu’au 14 février 2006. Au même considérant, elle a précisé que cette entente avait enfreint :

– l’article 101 TFUE, du 7 décembre 1999 au 14 février 2006, en ce qui concernait le transport aérien entre des aéroports au sein de l’Union ;

– l’article 101 TFUE, du 1er mai 2004 au 14 février 2006, en ce qui concernait le transport aérien sur les liaisons Union-pays tiers ;

– l’article 53 de l’accord EEE, du 7 décembre 1999 au 14 février 2006, en ce qui concernait le transport aérien entre les aéroports au sein de l’EEE (ci-après les « liaisons intra-EEE ») ;

– l’article 53 de l’accord EEE, du 19 mai 2005 au 14 février 2006, en ce qui concernait le transport aérien sur les liaisons EEE sauf Union-pays tiers ;

– l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien, du 1er juin 2002 au 14 février 2006, en ce qui concernait le transport aérien sur les liaisons Union-Suisse.

45 En ce qui concerne la requérante, la Commission a retenu que la durée de l’infraction s’étendait du 22 janvier 2001 au 14 février 2006.

46 En sixième lieu, au considérant 1404 de la décision attaquée, le montant de l’amende infligée à la requérante a été fixé à 15 400 000 euros.

47 Le dispositif de la décision attaquée, pour autant qu’il concerne le présent litige, se lit comme suit :

« Article premier

En coordonnant leur comportement en matière de tarification pour la fourniture de services de [fret] dans le monde entier en ce qui concerne la [STC], la [STS] et le paiement d’une commission sur les surtaxes, les entreprises suivantes ont commis l’infraction unique et continue suivante à l’article 101 [TFUE], à l’article 53 de [l’accord EEE] et à l’article 8 de [l’accord CE-Suisse sur le transport aérien] en ce qui concerne les liaisons suivantes et pendant les périodes suivantes.

1) Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 101 du TFUE et l’article 53 de l’accord EEE en ce qui concerne les liaisons [intra-EEE], pendant les périodes suivantes :

[…]

n) [la requérante], du 22 janvier 2001 au 14 février 2006 ;

[…]

2) Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 101 du TFUE en ce qui concerne les liaisons [Union-pays tiers], pendant les périodes suivantes :

[…]

n) [la requérante], du 1er mai 2004 au 14 février 2006 ;

[…]

3) Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 53 de l’accord EEE en ce qui concerne les liaisons [EEE sauf Union-pays tiers], pendant les périodes suivantes :

[…]

n) [la requérante], du 19 mai 2005 au 14 février 2006 ;

[…]

4) Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 8 de l’accord [CE-Suisse] sur le transport aérien en ce qui concerne les liaisons [Union-Suisse], pendant les périodes suivantes :

[…]

n) [la requérante], du 1er juin 2002 au 14 février 2006 ;

[…]

Article 2

La décision […] du 9 novembre 2010 est modifiée comme suit :

à l’article 5, les [sous] j), k) et l) sont abrogés.

Article 3

Les amendes suivantes sont infligées pour l’infraction unique et continue visée à l’article 1er de la présente décision et en ce qui concerne British Airways […], également pour les aspects des articles 1er à 4 de la décision […] du 9 novembre 2010 qui sont devenus définitifs :

[…]

m) [la requérante] : 15 400 000 EUR ;

[…]

Article 4

Les entreprises visées à l’article 1er mettent immédiatement fin à l’infraction unique et continue visée audit article, dans la mesure où elles ne l’ont pas encore fait.

Elles s’abstiennent également de tout acte ou comportement ayant un objet ou un effet identique ou similaire.

Article 5

Sont destinataires de la présente décision :

[…]

[la requérante]

[…] »

II. Procédure et conclusions des parties

48 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 mai 2017, la requérante a introduit le présent recours.

49 La Commission a déposé le mémoire en défense au greffe du Tribunal le 29 septembre 2017.

50 La requérante a déposé la réplique au greffe du Tribunal le 2 janvier 2018.

51 La Commission a déposé la duplique au greffe du Tribunal le 1er mars 2018.

52 Le 24 avril 2019, sur proposition de la quatrième chambre, le Tribunal a décidé, en application de l’article 28 de son règlement de procédure, de renvoyer la présente affaire devant une formation de jugement élargie.

53 Le 14 juin 2019, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, le Tribunal a posé des questions écrites aux parties. Ces dernières ont répondu dans le délai imparti.

54 Par lettre du 27 juin 2019, les parties ont été invitées à présenter des observations sur une éventuelle jonction de la présente affaire à l’affaire T‑325/17, KLM/Commission, aux fins de la phase orale de la procédure. Les parties ont répondu ne pas avoir d’objections à une telle jonction.

55 Par décision du 1er juillet 2019, la présente affaire et l’affaire T‑325/17, KLM/Commission, ont été jointes aux fins de la phase orale de la procédure.

56 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 2 juillet 2019.

57 Par ordonnance du 13 juillet 2020, le Tribunal (quatrième chambre élargie), considérant qu’il était insuffisamment éclairé et qu’il y avait lieu d’inviter les parties à présenter leurs observations concernant un argument sur lequel elles n’avaient pas débattu, a ordonné la réouverture de la phase orale de la procédure en application de l’article 113 du règlement de procédure.

58 Les parties ont, dans le délai imparti, répondu à une série de questions posées par le Tribunal le 15 juillet 2020, puis soumis des observations sur leurs réponses respectives.

59 Par décision du 30 octobre 2020, le Tribunal a clos de nouveau la phase orale de la procédure.

60 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler l’intégralité de la décision attaquée en tant qu’elle la concerne ;

– à titre subsidiaire, annuler l’article 1er, paragraphe 2, sous n), et paragraphe 3, sous n), de la décision attaquée, en tant que la Commission a tenu la requérante pour responsable d’une infraction sur les liaisons entrantes ;

– annuler l’article 1er et l’article 1er, paragraphe 1, sous n), paragraphe 2, sous n), paragraphe 3, sous n), et paragraphe 4, sous n), de la décision attaquée en tant que la Commission a retenu que l’infraction unique et continue incluait le refus de paiement de commissions ;

– condamner la Commission aux dépens.

61 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours ;

– condamner la requérante aux dépens.

III. En droit

62 Avant d’exposer les moyens qu’elle soulève formellement à l’appui du présent recours, la requérante formule des observations quant à l’exécution de l’arrêt du 16 décembre 2015, Martinair Holland/Commission (T‑67/11, EU:T:2015:984), par l’adoption de la décision attaquée. Le Tribunal estime qu’il est opportun de se pencher sur ces observations (voir points 63 à 78 ci-après) avant d’examiner, notamment, les moyens invoqués à l’appui des conclusions en annulation (voir points 79 à 286 ci-après).

A. Sur les observations quant à l’exécution de l’arrêt du 16 décembre 2015, Martinair Holland/Commission (T‑67/11)

63 À titre liminaire, la requérante formule plusieurs observations quant à l’exécution de l’arrêt du 16 décembre 2015, Martinair Holland/Commission (T‑67/11, EU:T:2015:984), par le biais de l’adoption de la décision attaquée.

64 La requérante relève que, dans les motifs de la décision attaquée, la Commission ne se limite pas à présenter les faits relatifs aux quatre ensembles de liaisons qui composent l’infraction unique et continue sanctionnée dans le dispositif de ladite décision. Cela soulèverait deux questions. La première question serait de savoir comment la « délimitation des compétences » dans ce dispositif pourrait se concilier avec les descriptions factuelles plus larges dans ces motifs, et en particulier avec les références à une « entente mondiale ». Lesdits motifs indiqueraient que cette décision n’avait pas pour objet de constater des infractions aux règles de concurrence autres que celles relatives aux liaisons et aux périodes visées à l’article 1er de la décision attaquée. Sauf à entacher cette dernière de contradiction, ces références ne pourraient donc être comprises que comme une description purement factuelle du comportement des transporteurs incriminés, qui ne serait mentionnée qu’à l’appui de l’infraction unique et continue de portée géographique plus restreinte constatée audit article. Il ressortirait d’ailleurs de la version néerlandaise du dispositif de la décision attaquée que le terme « mondial » (wereldwijd) renvoie moins à la coordination entre les destinataires de la décision attaquée qu’à la « fourniture de services de fret ». Ce libellé soulignerait que la dimension mondiale de l’affaire résulterait principalement du fait que la STC et la STS ne seraient pas, en principe, propres à une liaison.

65 La requérante souligne que la première question revêt une importance majeure au vu des actions en dommages et intérêts introduites devant les juridictions nationales et fondées sur la décision attaquée (ci-après les « actions en dommages et intérêts »). L’exposition de la requérante au titre de ces actions augmenterait, en effet, considérablement s’il devait être jugé que la décision attaquée couvrait également des liaisons et des périodes autres que celles visées à son article 1er. Or, l’appréciation de l’incidence de cette décision sur lesdites actions relèverait du contrôle que devrait exercer le Tribunal.

66 La seconde question serait de savoir si, dans la mesure où le dispositif de la décision attaquée n’établirait plus de distinction entre la responsabilité des destinataires concernant les liaisons (ou ensembles de liaisons) pour lesquelles ils seraient tenus pour responsables, la notion de dommages et intérêts fondés sur l’existence d’un prix de protection pourrait s’appliquer à tous au-delà des liaisons (ou ensembles de liaisons) spécifiques mentionnées dans ce dispositif. À cet égard, la requérante indique que le présent recours se fonde sur une lecture de la décision attaquée selon laquelle la portée de cette dernière est strictement limitée aux liaisons et aux périodes à l’égard desquelles il a été constaté, à l’article 1er de ce dispositif, qu’elles faisaient l’objet d’une infraction unique et continue aux règles de concurrence. Ladite décision et les références à la dimension mondiale de l’entente litigieuse ne pourraient être interprétées en ce sens que des infractions relatives à d’autres liaisons ou périodes sont imputables à la requérante et ne justifieraient pas l’octroi de dommages et intérêts fondés sur l’existence d’un prix de protection au titre de telles liaisons.

67 La Commission répond que les observations de la requérante quant à l’exécution de l’arrêt du 16 décembre 2015, Martinair Holland/Commission (T‑67/11, EU:T:2015:984), ne sont liées à aucun moyen ou argument juridique. Dans la duplique, elle ajoute que la requérante veut, en réalité, débattre du lien entre les motifs et le dispositif de la décision attaquée aux fins d’améliorer sa situation dans le cadre des actions en dommages et intérêts. Toutefois, il n’appartiendrait pas au Tribunal, dans le cadre d’un recours en annulation, d’interpréter l’acte attaqué en vue de fournir des orientations aux juridictions nationales saisies de ces actions. Ces juridictions pourraient, le cas échéant, adresser une question préjudicielle à la Cour.

68 À cet égard, d’une part, pour autant que, dans ses observations quant à l’exécution de l’arrêt du 16 décembre 2015, Martinair Holland/Commission (T‑67/11, EU:T:2015:984), la requérante expose son point de vue quant à la portée de la décision attaquée, il convient de relever qu’elle ne tire aucune conséquence de ces observations pour les besoins du contrôle de la légalité de la décision attaquée. Elle reste en défaut d’expliquer comment lesdites observations se rattachent aux moyens et aux griefs qu’elle invoque à l’appui de son recours. Il y aurait alors lieu de rejeter les observations en cause comme étant irrecevables.

69 En tout état de cause, le Tribunal ne saurait fournir, dans un arrêt déclaratoire, des clarifications quant à la portée de la décision attaquée. Il convient, en effet, de rappeler que le contentieux de l’Union ne connaît pas de voie de droit permettant au juge de prendre position de cette manière (voir, en ce sens, arrêts du 15 décembre 2005, Infront WM/Commission, T‑33/01, EU:T:2005:461, point 171 et jurisprudence citée, et du 21 mars 2012, Fulmen et Mahmoudian/Conseil, T‑439/10 et T‑440/10, EU:T:2012:142, point 41 et jurisprudence citée).

70 L’argument de la requérante selon lequel « l’incidence de la décision attaquée sur [les actions en dommages et intérêts] relève du contrôle juridictionnel [du Tribunal] » ne modifie pas cette conclusion. Il convient, en effet, de rappeler, à l’instar de la Commission, que la présente procédure se fonde sur l’article 263 TFUE, et n’a donc pas pour objet d’apporter à la requérante des précisions qu’elle jugerait utiles en vue de se défendre dans le cadre des actions en dommages et intérêts, mais uniquement de contrôler la légalité de la décision attaquée (voir, en ce sens, ordonnance du 25 octobre 2011, Air France/Commission, T‑63/11, non publiée, EU:T:2011:629, point 27).

71 D’autre part, pour autant que, par ses observations quant à l’exécution de l’arrêt du 16 décembre 2015, Martinair Holland/Commission (T‑67/11, EU:T:2015:984), la requérante se prévaut, en substance, d’une contradiction entre les motifs de la décision attaquée et l’article 1er de ladite décision, il convient de rappeler que le principe de protection juridictionnelle effective est un principe général du droit de l’Union aujourd’hui exprimé à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). Ce principe, qui correspond, dans le droit de l’Union, à l’article 6, paragraphe 1, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, exige que le dispositif d’une décision par laquelle la Commission constate des violations aux règles de concurrence soit particulièrement clair et précis et que les entreprises tenues pour responsables et sanctionnées soient en mesure de comprendre et de contester l’attribution de cette responsabilité et l’imposition de ces sanctions, telles qu’elles ressortent des termes dudit dispositif (voir arrêt du 16 décembre 2015, Martinair Holland/Commission, T‑67/11, EU:T:2015:984, point 31 et jurisprudence citée).

72 C’est, en effet, par le dispositif de ses décisions que la Commission indique la nature et l’étendue des infractions qu’elle sanctionne. S’agissant précisément de la portée et de la nature des infractions sanctionnées, c’est ainsi en principe le dispositif, et non les motifs, qui importe. C’est uniquement dans le cas d’un manque de clarté des termes utilisés dans le dispositif qu’il convient de l’interpréter en ayant recours aux motifs de la décision (voir arrêt du 16 décembre 2015, Martinair Holland/Commission, T‑67/11, EU:T:2015:984, point 32 et jurisprudence citée).

73 En l’espèce, il y a d’emblée lieu d’observer que, contrairement à ce que prétend la requérante, la Commission n’a pas conclu, dans le dispositif de la décision attaquée, à l’existence d’une infraction de dimension mondiale. La référence à la coordination du comportement des transporteurs incriminés « en matière de tarification pour la fourniture de services de fret […] dans le monde entier » dans le paragraphe introductif de l’article 1er de cette décision n’est qu’un constat de faits que la Commission a qualifiés aux paragraphes 1 à 4 du même article d’infraction aux règles de concurrence applicables sur les liaisons dont elle a estimé qu’elles relevaient, aux périodes en cause, de sa compétence. Il s’agit des liaisons intra-EEE entre le 7 décembre 1999 et le 14 février 2006 (paragraphe 1), des liaisons Union-pays tiers entre le 1er mai 2004 et le 14 février 2006 (paragraphe 2), des liaisons EEE sauf Union-pays tiers entre le 19 mai 2005 et le 14 février 2006 (paragraphe 3) et des liaisons Union-Suisse entre le 1er juin 2002 et le 14 février 2006 (paragraphe 4).

74 Il s’ensuit que le dispositif de la décision attaquée n’est entaché ni d’une contradiction ni d’un manque de clarté ou de précision.

75 Le dispositif de la décision attaquée ne prêtant pas au doute, c’est donc uniquement à titre surabondant que le Tribunal ajoute que les motifs de la décision attaquée confortent cette conclusion. Ces motifs font ainsi référence, d’une part, à une infraction aux règles de concurrence applicables dont la portée géographique est limitée à des types de liaisons déterminés (considérants 1146 et 1187) et, d’autre part, à une « entente mondiale » (considérants 74, 112, 832 et 1300), de « caractère mondial » (considérant 887) ou « mise en œuvre mondialement » (considérant 1046).

76 Le considérant 1210 de la décision attaquée déroge, il est vrai, à la règle, en ce qu’il fait référence à « la portée géographique de l’infraction [qui] était mondiale ». Il y a cependant lieu de constater que le contexte dans lequel s’inscrit cette référence isolée à une infraction mondiale tend à démontrer qu’il s’agit d’une simple erreur de plume et qu’il faut lire « la portée géographique de l’entente [litigieuse] était mondiale ». En effet, ladite référence est suivie des phrases suivantes :

« Aux fins de déterminer la gravité de l’infraction, cela signifie que l’entente [litigieuse] couvrait l’ensemble de l’EEE et la Suisse. Cela inclut les services de fret […] sur les liaisons dans les deux directions entre des aéroports situés dans l’EEE, entre des aéroports situés dans l’Union et des aéroports situés en dehors de l’EEE, entre des aéroports situés dans l’Union et des aéroports situés en Suisse et entre des aéroports situés sur le territoire de parties contractantes à l’EEE qui ne sont pas des États membres et des aéroports situés dans des pays tiers. »

77 En conséquence, loin d’être contradictoire avec la motivation de la décision attaquée, le constat tenant à l’existence d’une coordination tarifaire pour la fourniture de services de fret dans le monde entier reflète la position exprimée par la Commission, tout au long de la décision attaquée, sur la portée géographique de l’entente litigieuse.

78 Les présentes observations doivent donc, en toute hypothèse, être écartées.

B. Sur les conclusions en annulation

79 La requérante invoque formellement trois moyens à l’appui de ses conclusions en annulation. Ces moyens sont tirés :

– le premier, de la violation de l’« interdiction de l’arbitraire des pouvoirs publics », du principe d’égalité de traitement et de l’obligation de motivation ;

– le deuxième, d’un défaut de compétence de la Commission pour appliquer l’article 101 TFUE et l’article 53 de l’accord EEE aux services de fret entrants ;

– le troisième, d’un défaut de motivation et d’une erreur manifeste d’appréciation.

80 Le Tribunal estime opportun d’examiner, tout d’abord, le deuxième moyen, ensuite, le moyen relevé d’office, tiré de l’incompétence de la Commission au regard de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien pour constater et sanctionner une infraction sur les liaisons entre des aéroports situés dans des pays qui sont parties contractantes à l’accord EEE et qui ne sont pas membres de l’Union et des aéroports situés en Suisse (ci-après les « liaisons EEE sauf Union-Suisse »), et, enfin, les premier et troisième moyens successivement.

1. Sur le deuxième moyen, tiré du défaut de compétence de la Commission pour appliquer l’article 101 TFUE et l’article 53 de l’accord EEE aux services de fret entrants

81 Le présent moyen, par lequel la requérante soutient que la Commission n’était pas compétente pour appliquer l’article 101 TFUE et l’article 53 de l’accord EEE aux services de fret entrants, s’articule, en substance, en trois branches. Elles sont prises, la première, de l’interprétation erronée du règlement (CE) no 411/2004 du Conseil, du 26 février 2004, abrogeant le règlement (CEE) no 3975/87 et modifiant le règlement (CEE) no 3976/87 ainsi que le règlement no 1/2003, en ce qui concerne les transports aériens entre la Communauté et les pays tiers (JO 2004, L 68, p. 1), la deuxième, de l’application erronée du critère de la mise en œuvre et, la troisième, de l’application erronée du critère des effets qualifiés.

a) Sur la première branche, prise d’une erreur dans l’interprétation du règlement no 411/2004

82 La requérante soutient que l’interprétation de la Commission selon laquelle il ressort du règlement no 411/2004 que l’article 101 TFUE s’applique aux pratiques anticoncurrentielles aux vols sur les liaisons entrantes et sortantes est « loin d’être évidente ». Selon elle, d’une part, la référence aux « transports aériens entre [l’Union] et les pays tiers » dans ce règlement ne comprendrait pas nécessairement les vols sur les liaisons entrantes. D’autre part et en tout état de cause, la Commission ne se verrait pas accorder de compétence par voie de règlement, mais uniquement par les dispositions du traité FUE et du droit international public.

83 La Commission conteste l’argumentation de la requérante.

84 À titre liminaire, il convient de rappeler que l’article 103, paragraphe 1, TFUE investit le Conseil de l’Union européenne de la compétence d’arrêter les règlements ou directives utiles en vue de l’application des principes figurant aux articles 101 et 102 TFUE.

85 En l’absence d’une telle réglementation, les articles 104 et 105 TFUE s’appliquent et imposent, en substance, aux autorités des États membres l’obligation d’appliquer les articles 101 et 102 TFUE et limitent les pouvoirs de la Commission en la matière à la faculté d’instruire, sur demande d’un État membre ou d’office, et en liaison avec les autorités compétentes des États membres qui lui prêtent leur assistance, les cas d’infraction présumée aux principes fixés par ces dispositions et, le cas échéant, de proposer les moyens propres à y mettre fin (arrêt du 30 avril 1986, Asjes e.a., 209/84 à 213/84, EU:C:1986:188, points 52 à 54 et 58).

86 Le 6 février 1962, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article [103 TFUE], le règlement no 17, premier règlement d’application des articles [101] et [102 TFUE] (JO 1962, 13, p. 204).

87 Toutefois, le règlement no 141 du Conseil, du 26 novembre 1962, portant non-application du règlement no 17 du Conseil au secteur des transports (JO 1962, 124, p. 2751), a soustrait l’ensemble du secteur des transports à l’application du règlement no 17 (arrêt du 11 mars 1997, Commission/UIC, C‑264/95 P, EU:C:1997:143, point 44). Dans ces conditions, en l’absence d’une réglementation telle que celle prévue à l’article 103, paragraphe 1, TFUE, les articles 104 et 105 TFUE sont initialement demeurés applicables aux transports aériens (arrêt du 30 avril 1986, Asjes e.a., 209/84 à 213/84, EU:C:1986:188, points 51 et 52).

88 La conséquence en a été une répartition des compétences entre les États membres et la Commission pour l’application des articles 101 et 102 TFUE telle que celle décrite au point 85 ci-dessus.

89 Ce n’est qu’en 1987 que le Conseil a adopté un règlement concernant le transport aérien au titre de l’article 103, paragraphe 1, TFUE. Il s’agit du règlement (CEE) no 3975/87 du Conseil, du 14 décembre 1987, déterminant les modalités d’application des règles de concurrence applicables aux entreprises de transports aériens (JO 1987, L 374, p. 1), qui a conféré à la Commission le pouvoir d’appliquer les articles 101 et 102 TFUE aux transports aériens internationaux entre des aéroports au sein de l’Union, à l’exclusion des transports aériens internationaux entre les aéroports d’un État membre et ceux d’un pays tiers (arrêt du 11 avril 1989, Saeed Flugreisen et Silver Line Reisebüro, 66/86, EU:C:1989:140, point 11). Ces derniers sont demeurés assujettis aux articles 104 et 105 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2000, Aéroports de Paris/Commission, T‑128/98, EU:T:2000:290, point 55).

90 L’entrée en vigueur, en 1994, du protocole 21 de l’accord EEE concernant la mise en œuvre des règles de concurrence applicables aux entreprises (JO 1994, L 1, p. 181) a étendu ce régime à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues par l’accord EEE, excluant ainsi que la Commission puisse appliquer les articles 53 et 54 de l’accord EEE aux transports aériens internationaux entre les aéroports des États parties à l’EEE qui ne sont pas membres de l’Union et ceux de pays tiers.

91 Le règlement no 1/2003 et la décision du Comité mixte de l’EEE no 130/2004, du 24 septembre 2004, modifiant l’annexe XIV (Concurrence), le protocole 21 (concernant la mise en œuvre des règles de concurrence applicables aux entreprises) et le protocole 23 (concernant la coopération entre les autorités de surveillance) de l’accord EEE (JO 2005, L 64, p. 57), qui a par la suite incorporé ce règlement à l’accord EEE, ont initialement laissé intact ce régime. L’article 32, sous c), dudit règlement prévoyait, en effet, que ce dernier « ne s’appliqu[ait] pas aux transports aériens entre les aéroports de [l’Union] et des pays tiers ».

92 Le règlement no 411/2004, dont l’article 1er a abrogé le règlement no 3975/87 et dont l’article 3 a supprimé l’article 32, sous c), du règlement no 1/2003, a conféré à la Commission le pouvoir d’appliquer les articles 101 et 102 TFUE aux liaisons Union-pays tiers à compter du 1er mai 2004.

93 La décision du Comité mixte de l’EEE no 40/2005, du 11 mars 2005, modifiant l’annexe XIII (Transports) et le protocole 21 (concernant la mise en œuvre des règles de concurrence applicables aux entreprises) de l’accord EEE (JO 2005, L 198, p. 38), a incorporé le règlement no 411/2004 à l’accord EEE, conférant à la Commission le pouvoir d’appliquer les articles 53 et 54 de l’accord EEE aux liaisons EEE sauf Union-pays tiers à compter du 19 mai 2005.

94 Dans la présente affaire, les parties s’opposent, en substance, sur la question de savoir si la portée du règlement no 411/2004 et de la décision du Comité mixte de l’EEE no 40/2005 s’étend aux services de fret entrants.

95 À cet égard, tout d’abord, il convient d’observer que, le règlement no 411/2004 ayant abrogé le règlement no 3975/87 et supprimé l’article 32, sous c), du règlement no 1/2003, il n’existe plus de base textuelle expresse qui serait de nature à justifier que les services de fret entrants demeurent exclus du régime institué par le règlement no 1/2003 et restent ainsi assujettis au régime prévu aux articles 104 et 105 TFUE.

96 Ensuite, rien dans le libellé ou l’économie générale du règlement no 411/2004 ne permet de considérer que le législateur aurait entendu maintenir l’exclusion des services de fret entrants du champ d’application du règlement no 1/2003. Au contraire, tant l’intitulé que les considérants 1 à 3, 6 et 7 du règlement no 411/2004 visent expressément les « transports aériens entre [l’Union] et les pays tiers » sans distinction selon, d’une part, qu’ils sont au départ ou à destination de l’Union ou, d’autre part, qu’ils concernent le fret ou le transport de passagers.

97 La finalité du règlement no 411/2004 plaide, elle aussi, en faveur de l’inclusion des services de fret entrants dans le champ d’application dudit règlement. Il ressort, en effet, du considérant 3 de ce règlement que l’extension du champ d’application du règlement no 1/2003 au transport aérien entre l’Union et les pays tiers procède d’un double constat. D’une part, « [l]es pratiques anticoncurrentielles dans le domaine des transports aériens entre [l’Union] et les pays tiers sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres ». D’autre part, « les mécanismes prévus par [ce dernier règlement] conviennent également à l’application des règles de concurrence aux transports aériens entre [l’Union] et les pays tiers ». Or, la requérante n’établit ni même n’allègue que les services de fret entrants soient, par leur nature même, insusceptibles d’affecter le commerce entre États membres ou ne se prêtent pas à la mise en œuvre des mécanismes prévus par le même règlement.

98 Enfin, les travaux préparatoires du règlement no 411/2004 confirment que le législateur de l’Union n’entendait établir de distinction ni entre les liaisons entrantes et les liaisons sortantes ni entre le fret et le transport de passagers. Il ressort ainsi du point 10 de l’exposé des motifs de la proposition de règlement du Conseil abrogeant le règlement no 3975/87 et modifiant le règlement (CEE) no 3976/87 ainsi que le règlement no 1/2003, en ce qui concerne les transports aériens entre [l’Union] et les pays tiers (COM/2003/0091 final – CNS 2003/0038), que, « [s]i les règles d’application du droit [de l’Union] de la concurrence régissaient également les transports aériens internationaux au départ et à destination de [l’Union], les [transporteurs] bénéficieraient d’un système commun d’application des règles de concurrence au niveau européen et, partant, d’une plus grande sécurité juridique quant à la légalité de leurs accords au regard de ces règles ». Au même point, il est fait référence à la volonté d’« offrir au secteur aérien des conditions de concurrence égales pour l’ensemble des activités de transport aérien ».

99 Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient la requérante, les services de fret entrants relèvent du champ d’application du règlement no 411/2004 et de la décision du Comité mixte de l’EEE no 40/2005. C’est donc sans commettre d’erreur que la Commission a retenu, au considérant 1041 de la décision attaquée, que l’article 101 TFUE était applicable au transport aérien entre l’Union et les pays tiers « dans les deux sens », les mêmes considérations valant pour l’article 53 de l’accord EEE s’agissant des liaisons EEE sauf Union-pays tiers.

100 Dès lors, la première branche du présent moyen doit être rejetée.

b) Sur la deuxième et la troisième branches, prises, respectivement, d’une erreur dans l’application du critère de la mise en œuvre et d’une erreur dans l’application du critère des effets qualifiés

101 Il convient d’observer, à l’instar de la requérante, que, s’agissant d’un comportement adopté en dehors du territoire de l’EEE, la seule existence de directives ou règlements visés à l’article 103, paragraphe 1, TFUE ne suffit pas à fonder la compétence de la Commission au regard du droit international public pour constater et sanctionner une violation de l’article 101 TFUE ou de l’article 53 de l’accord EEE.

102 Encore faut-il que la Commission puisse établir cette compétence au regard du critère de la mise en œuvre ou au regard du critère des effets qualifiés (voir, en ce sens, arrêts du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, points 40 à 47, et du 12 juillet 2018, Brugg Kabel et Kabelwerke Brugg/Commission, T‑441/14, EU:T:2018:453, points 95 à 97).

103 Ces critères sont alternatifs et non cumulatifs (arrêt du 12 juillet 2018, Brugg Kabel et Kabelwerke Brugg/Commission, T‑441/14, EU:T:2018:453, point 98 ; voir également, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, points 62 à 64).

104 Aux considérants 1043 à 1046 de la décision attaquée, la Commission s’est fondée tant sur le critère de la mise en œuvre que sur le critère des effets qualifiés pour établir au regard du droit international public sa compétence pour constater et sanctionner une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons entrantes.

105 La requérante invoquant une erreur dans l’application de chacun de ces deux critères, le Tribunal estime qu’il est opportun d’examiner d’abord si la Commission était fondée à se prévaloir du critère des effets qualifiés. Conformément à la jurisprudence citée au point 103 ci-dessus, ce n’est que dans la négative qu’il conviendra de vérifier si la Commission pouvait s’appuyer sur le critère de la mise en œuvre.

106 La requérante fait valoir que la décision attaquée repose sur la supposition erronée que l’infraction unique et continue, dans la mesure où elle concernait les services de fret entrants, a eu un effet substantiel, immédiat et prévisible sur la concurrence dans l’EEE.

107 Selon la requérante, la Commission a commis une erreur au considérant 1045 de la décision attaquée en retenant que les pratiques anticoncurrentielles portant sur les liaisons entrantes avaient, « de par leur nature », eu un effet sur la concurrence au sein de l’Union ou de l’EEE, au motif que les coûts de transport accrus résultant desdites pratiques avaient eu des effets sur le prix des marchandises transportées. D’une part, elle estime que la Commission, à qui incomberait la charge de la preuve, s’est appuyée sur une simple supposition qui n’était pas étayée et était en tout état de cause trop générale.

108 L’arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C‑413/14 P, EU:C:2017:632), ne remettrait pas en cause cette conclusion. Il ressortirait, en effet, de cet arrêt que, lorsque la Commission allègue que sa compétence se fonde sur certains effets, ces derniers doivent être « probables ». Or, au considérant 917 de la décision attaquée, la Commission aurait indiqué ne procéder à aucune appréciation des effets anticoncurrentiels des pratiques anticoncurrentielles en question.

109 D’autre part, la requérante soutient que la Commission a ignoré trois indices qui étaient de nature à remettre en cause ses conclusions. Premièrement, il ne pourrait être soutenu qu’une hausse des surtaxes conduit à une augmentation quasi automatique du prix des marchandises transportées, ni a fortiori qu’une telle augmentation en est une conséquence « naturelle ». En effet, l’infraction ne portant que sur la STC et la STS, les transitaires auraient conservé la possibilité d’exercer leur puissance d’achat sur les autres éléments du prix total. Or, il ressortirait d’une étude économique qu’il existerait une corrélation négative substantielle entre le niveau des surtaxes et le niveau des autres éléments du prix total, si bien que, lorsque les surtaxes augmentent, les tarifs diminueraient.

110 Deuxièmement, il serait loin d’être évident que, « de par sa nature », toute incidence sur le prix global du transport de fret causée par l’infraction sur les surtaxes était effectivement répercutée sur le prix facturé aux expéditeurs. Compte tenu des caractéristiques du marché en cause, une telle éventualité aurait exclusivement dépendu des transitaires, dont il apparaîtrait qu’ils s’écartent effectivement des éléments de prix de la requérante, en incluant des surtaxes plus élevées que celles facturées par cette dernière. Il ressortirait d’ailleurs de la décision C(2012) 1959 final de la Commission, du 28 mars 2012, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/39462 – Transit) (ci-après la « décision transit »), qu’au moins une partie des prix facturés par les transitaires aux expéditeurs pendant la période en cause résultait elle-même d’infractions aux règles de concurrence, si bien que le lien de causalité entre le comportement de la requérante et ses effets serait empreint d’incertitude. Selon la requérante, cela donne aussi à penser que les transitaires ont pu exercer une puissance d’achat sur elle par le biais d’autres éléments du prix.

111 Troisièmement, il serait loin d’être évident que les éventuels effets de l’infraction au sein de l’EEE aient revêtu un caractère substantiel. D’une part, selon la requérante, il existe une corrélation négative substantielle entre le niveau des surtaxes et le niveau des autres éléments du prix total. D’autre part, elle affirme que le total des surtaxes qu’elle a appliquées au cours de la période en cause a, en moyenne, été d’environ 20 % du prix total facturé aux transitaires et s’est inscrit dans un ensemble beaucoup plus vaste de services fournis par ces derniers.

112 Dans la réplique, la requérante relève également que l’argumentation de la Commission vise le fonctionnement d’un marché autre que celui que vise la décision attaquée et sur lequel elle commercialise ses services auprès de ses clients.

113 Toujours au stade de la réplique, la requérante ajoute que le Tribunal ne saurait, sans violer ses droits de la défense, admettre que la Commission était compétente pour les vols sur les liaisons entrantes au regard de la « théorie des effets » sur la base des observations formulées dans le mémoire en défense. Ces dernières ne figureraient, en effet, pas dans la communication des griefs. La décision transit n’aurait pas encore été rendue au moment de la procédure administrative.

114 Lors de l’audience, la requérante a également fait valoir que la Commission n’était pas fondée à considérer que le critère des effets qualifiés pouvait s’appliquer au regard du comportement litigieux pris dans son ensemble plutôt qu’au regard de la coordination relative aux services de fret entrants prise isolément. L’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C‑413/14 P, EU:C:2017:632), sur lequel se fonderait l’argumentation de la Commission, serait en effet différente de la présente espèce. Ainsi, cette affaire aurait concerné une stratégie de verrouillage, dont les clients de l’entreprise dominante auraient été les « vecteurs ». En outre, la requérante soutient que la pratique décisionnelle de la Commission ne permet pas de conclure à l’existence d’un marché mondial du fret et conteste la « logique globale de l’infraction mondiale ». Il n’y aurait d’ailleurs pas d’élément de preuve indiquant que les structures de la concurrence dans le marché de l’EEE auraient été modifiées en raison du comportement des transitaires en dehors de l’EEE.

115 La Commission conteste l’argumentation de la requérante.

116 À titre liminaire, il convient d’observer que la requérante n’est pas fondée à reprocher à la Commission de s’être appuyée dans le mémoire en défense sur des éléments qui ne figuraient pas dans la communication des griefs. En effet, le seul élément de cette nature auquel renvoie la requérante est la référence de la Commission à la décision transit dans ledit mémoire, que la requérante elle-même a invoquée dans la requête et que la Commission s’est contentée de citer dans ses écritures pour se défendre.

117 Ensuite, dans la décision attaquée, la Commission s’est, en substance, appuyée sur trois motifs autonomes pour retenir que le critère des effets qualifiés était satisfait en l’espèce.

118 Les deux premiers motifs figurent au considérant 1045 de la décision attaquée. Ainsi que la Commission l’a confirmé en réponse aux questions écrites et orales du Tribunal, ces motifs portent sur les effets de la coordination relative aux services de fret entrants prise isolément. Le premier motif tient à ce que les « coûts accrus du transport aérien vers l’EEE et donc les prix plus élevés des marchandises importées [étaie]nt, de par leur nature, susceptibles d’avoir des effets sur les consommateurs au sein de l’EEE ». Le deuxième motif concerne les effets de la coordination relative aux services de fret entrants « également sur la fourniture de services de [fret] par d’autres transporteurs au sein de l’EEE, entre les plateformes de correspondance (“hubs”) dans l’EEE utilisées par les transporteurs de pays tiers et les aéroports de destination de ces envois dans l’EEE qui ne sont pas desservis par le transporteur du pays tiers ».

119 Le troisième motif figure au considérant 1046 de la décision attaquée et concerne, comme il ressort des réponses de la Commission aux questions écrites et orales du Tribunal, les effets de l’infraction unique et continue prise dans son ensemble.

120 Le Tribunal estime qu’il est opportun d’examiner tant les effets de la coordination relative aux services de fret entrants prise isolément que ceux de l’infraction unique et continue prise dans son ensemble, en commençant par les premiers.

1) Sur les effets de la coordination relative aux services de fret entrants prise isolément

121 Il convient d’examiner d’abord le bien-fondé du premier motif sur lequel se fonde la conclusion de la Commission selon laquelle le critère des effets qualifiés est satisfait en l’espèce (ci-après l’« effet en cause »).

122 À cet égard, il convient de rappeler que, comme il ressort du considérant 1042 de la décision attaquée, le critère des effets qualifiés permet de justifier l’application des règles de concurrence de l’Union et de l’EEE au regard du droit international public lorsqu’il est prévisible que le comportement litigieux produise un effet immédiat et substantiel dans le marché intérieur ou au sein de l’EEE (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 49 ; voir également, en ce sens, arrêt du 25 mars 1999, Gencor/Commission, T‑102/96, EU:T:1999:65, point 90).

123 En l’espèce, la requérante conteste tant la pertinence de l’effet en cause (voir points 124 à 141 ci-après) que son caractère prévisible (voir points 144 à 163 ci-après), son caractère substantiel (voir points 164 à 174 ci-après) et son caractère immédiat (voir points 175 à 183 ci-après).

i) Sur la pertinence de l’effet en cause

124 Il ressort de la jurisprudence que le fait pour une entreprise participant à un accord ou à une pratique concertée d’être située dans un État tiers ne fait pas obstacle à l’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE, dès lors que cet accord ou cette pratique produit ses effets, respectivement, dans le marché intérieur ou au sein de l’EEE (voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 1971, Béguelin Import, 22/71, EU:C:1971:113, point 11).

125 L’application du critère des effets qualifiés a précisément pour objectif d’appréhender des comportements qui n’ont, certes, pas été adoptés sur le territoire de l’EEE, mais dont les effets anticoncurrentiels sont susceptibles de se faire sentir dans le marché intérieur ou au sein de l’EEE (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 45).

126 Contrairement à ce que soutient la requérante, ce critère n’exige pas d’établir que le comportement litigieux a produit des effets qui se sont effectivement matérialisés dans le marché intérieur ou au sein de l’EEE. Au contraire, selon la jurisprudence et comme le reconnaît la requérante dans la réplique, il suffit de tenir compte de l’effet probable de ce comportement sur la concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 51).

127 Il incombe, en effet, à la Commission d’assurer la protection de la concurrence dans le marché intérieur ou au sein de l’EEE contre les menaces à son fonctionnement effectif.

128 En présence d’un comportement dont la Commission a, comme en l’espèce, considéré qu’il révélait un degré de nocivité à l’égard de la concurrence dans le marché intérieur ou au sein de l’EEE tel qu’il pouvait être qualifié de restriction de concurrence « par objet » au sens de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE, l’application du critère des effets qualifiés ne saurait pas non plus exiger la démonstration des effets concrets que suppose la qualification d’un comportement de restriction de concurrence « par effet » au sens de ces dispositions.

129 À cet égard, il convient de rappeler, à l’instar de la requérante, que le critère des effets qualifiés est ancré dans le libellé de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE, qui tendent à appréhender les accords et les pratiques qui limitent le jeu de la concurrence, respectivement, dans le marché intérieur et au sein de l’EEE. Ces dispositions interdisent, en effet, les accords et les pratiques des entreprises qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, respectivement, « à l’intérieur du marché intérieur » et « à l’intérieur du territoire couvert par [l’accord EEE] » (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 42).

130 Or, il est de jurisprudence constante que l’objet et l’effet anticoncurrentiel sont des conditions non pas cumulatives, mais alternatives pour apprécier si un comportement relève des interdictions énoncées aux articles 101 TFUE et 53 de l’accord EEE (voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2009, T‑Mobile Netherlands e.a., C‑8/08, EU:C:2009:343, point 28 et jurisprudence citée).

131 Il en résulte que, comme l’a relevé la Commission au considérant 917 de la décision attaquée, la prise en considération des effets concrets du comportement litigieux est superflue, dès lors que l’objet anticoncurrentiel de ce dernier est établi (voir, en ce sens, arrêts du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56/64 et 58/64, EU:C:1966:41, p. 496, et du 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline Services e.a./Commission e.a., C‑501/06 P, C‑513/06 P, C‑515/06 P et C‑519/06 P, EU:C:2009:610, point 55).

132 Dans ces conditions, interpréter le critère des effets qualifiés comme semble le préconiser la requérante, en ce sens qu’il exigerait la preuve des effets concrets du comportement litigieux même en présence d’une restriction de concurrence « par objet », reviendrait à assujettir la compétence de la Commission pour constater et sanctionner une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE à une condition qui ne trouve pas de fondement dans le texte de ces dispositions.

133 La requérante ne saurait par conséquent valablement reprocher à la Commission d’avoir commis une erreur en retenant que le critère des effets qualifiés était satisfait, alors même que celle-ci avait, aux considérants 917, 1190 et 1277 de la décision attaquée, indiqué ne pas être tenue de procéder à une appréciation des effets anticoncurrentiels du comportement litigieux au vu de l’objet anticoncurrentiel de ce dernier. Elle ne saurait pas davantage déduire de ces considérants que la Commission n’a effectué aucune analyse des effets produits par ledit comportement dans le marché intérieur ou au sein de l’EEE aux fins de l’application de ce critère.

134 En effet, au considérant 1045 de la décision attaquée, la Commission a considéré, en substance, que l’infraction unique et continue, en tant qu’elle portait sur les liaisons entrantes, était susceptible d’accroître le montant des surtaxes et, en conséquence, le prix total des services de fret entrants et que les transitaires avaient répercuté ce surcoût sur les expéditeurs implantés dans l’EEE, qui avaient dû payer pour les marchandises qu’ils avaient achetées un prix plus élevé que celui qui leur aurait été facturé en l’absence de ladite infraction.

135 Aucun des arguments de la requérante ne permet de considérer que l’effet en cause ne comptait pas parmi les effets produits par le comportement litigieux dont la Commission est fondée à tenir compte aux fins de l’application du critère des effets qualifiés.

136 En premier lieu, contrairement à ce que semble soutenir la requérante, rien dans le libellé, l’économie ou la finalité de l’article 101 TFUE ne permet de considérer que les effets pris en compte aux fins de l’application du critère des effets qualifiés doivent se produire sur le même marché que celui concerné par l’infraction en cause plutôt que sur un marché aval comme c’est le cas en l’espèce (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2015, Toshiba/Commission, T‑104/13, EU:T:2015:610, points 159 et 161).

137 En second lieu, c’est à tort que la requérante avance que le comportement litigieux, en tant qu’il portait sur les liaisons entrantes, n’était pas susceptible de restreindre la concurrence dans l’EEE, au motif que celle-ci ne s’exerçait que dans les pays tiers où sont établis les transitaires qui s’approvisionnaient en services de fret entrants auprès des transporteurs incriminés.

138 À cet égard, il convient de relever que l’application du critère des effets qualifiés doit s’effectuer au regard du contexte économique et juridique dans lequel s’inscrit le comportement en cause (voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 1971, Béguelin Import, 22/71, EU:C:1971:113, point 13).

139 En l’espèce, il ressort des considérants 14, 17 et 70 de la décision attaquée et des réponses des parties aux mesures d’organisation de la procédure du Tribunal que les transporteurs vendent exclusivement ou presque leurs services de fret à des transitaires. Or, s’agissant des services de fret entrants, la quasi-totalité de ces ventes s’effectue au point d’origine des liaisons en cause, à l’extérieur de l’EEE, où sont établis lesdits transitaires. Il ressort, en effet, des réponses de la requérante aux mesures d’organisation de la procédure du Tribunal que, entre le 1er mai 2004 et le 14 février 2006, elle n’a réalisé qu’une proportion négligeable de ses ventes de services de fret entrants auprès de clients implantés dans l’EEE.

140 Il convient, cependant, d’observer que, si les transitaires achètent ces services, c’est notamment en qualité d’intermédiaires, pour les consolider dans un lot de services dont l’objet est, par définition, d’organiser le transport intégré de marchandises vers le territoire de l’EEE au nom d’expéditeurs. Ainsi qu’il ressort du considérant 70 de la décision attaquée, ces derniers peuvent notamment être les acheteurs ou les propriétaires des marchandises transportées. Il est donc à tout le moins vraisemblable qu’ils soient établis dans l’EEE.

141 Il s’ensuit que, pour peu que les transitaires répercutent sur le prix de leurs lots de services l’éventuel surcoût résultant de l’entente litigieuse, c’est notamment sur la concurrence que se livrent les transitaires pour capter la clientèle de ces expéditeurs que l’infraction unique et continue, en tant qu’elle concerne les liaisons entrantes, est susceptible d’avoir une incidence et, par suite, c’est dans le marché intérieur ou au sein de l’EEE que l’effet en cause est susceptible de se matérialiser.

142 En conséquence, le surcoût dont les expéditeurs sont susceptibles d’avoir dû s’acquitter et le renchérissement des marchandises importées dans l’EEE qui peut en avoir résulté comptent parmi les effets produits par le comportement litigieux sur lesquels la Commission était fondée à s’appuyer aux fins de l’application du critère des effets qualifiés.

143 Conformément à la jurisprudence citée au point 122 ci-dessus, la question est donc de savoir si cet effet présente le caractère prévisible, substantiel et immédiat requis.

ii) Sur le caractère prévisible de l’effet en cause

144 L’exigence de prévisibilité vise à assurer la sécurité juridique en garantissant que les entreprises concernées ne puissent être sanctionnées du fait d’effets qui résulteraient, certes, de leur comportement, mais dont elles ne pouvaient pas raisonnablement s’attendre à ce qu’ils surviennent (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Otis Gesellschaft e.a., C‑435/18, EU:C:2019:651, point 83).

145 Satisfont ainsi à l’exigence de prévisibilité les effets dont les parties à l’entente en cause doivent raisonnablement savoir, dans les limites des choses généralement connues, qu’ils surviendront, par opposition aux effets qui procèdent d’un déroulement parfaitement inhabituel de circonstances et, de ce fait, d’un enchaînement atypique de causes (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Kone e.a., C‑557/12, EU:C:2014:45, point 42).

146 Or, il ressort des considérants 846, 909, 1199 et 1208 de la décision attaquée qu’il est, en l’espèce, question d’un comportement collusoire de fixation horizontale des prix, dont l’expérience montre qu’il entraîne notamment des hausses de prix, aboutissant à une mauvaise répartition des ressources au détriment, en particulier, des consommateurs (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 51).

147 Il ressort également des considérants 846, 909, 1199 et 1208 de la décision attaquée que ce comportement se rapportait à la STC, à la STS et au refus de paiement de commissions.

148 En l’espèce, il était donc prévisible pour les transporteurs incriminés que la fixation horizontale de la STC et de la STS entraînerait l’augmentation du niveau de celles-ci. Comme il ressort des considérants 874, 879 et 899 de la décision attaquée, le refus de paiement de commissions était de nature à renforcer une telle augmentation. Il s’analysait, en effet, en un refus concerté d’octroyer aux transitaires des ristournes sur les surtaxes et tendait ainsi à permettre aux transporteurs incriminés de « maintenir sous contrôle l’incertitude en matière de tarification que la concurrence sur le paiement de commissions [dans le cadre des négociations avec les transitaires] aurait pu créer » (considérant 874 de ladite décision) et de soustraire ainsi les surtaxes au jeu de la concurrence (considérant 879 de cette décision).

149 Or, il ressort du considérant 17 de la décision attaquée que le prix des services de fret se compose des tarifs et de surtaxes, dont la STC et la STS. Sauf à considérer qu’une augmentation de la STC et de la STS serait, par un effet de vases communicants suffisamment probable, compensée par une baisse correspondante des tarifs et d’autres surtaxes, une telle augmentation était, en principe, de nature à entraîner une augmentation du prix total des services de fret entrants. Or, la requérante est restée en défaut de démontrer qu’un effet de vases communicants était probable au point de rendre imprévisible l’effet en cause.

150 En l’espèce, la requérante déduit, certes, d’un rapport économique réalisé dans le cadre des actions en dommages et intérêts qu’il existe « une corrélation négative substantielle entre le niveau des surtaxes et le niveau des “tarifs”, si bien que, lorsque les surtaxes augmentent, les tarifs diminuent ».

151 Pour autant que la requérante entende ainsi soutenir qu’un effet de vases communicants était suffisamment probable pour rendre imprévisible l’effet en cause, il convient de relever que le rapport économique qu’elle invoque conclut, sur le fondement d’hypothèses quant au fonctionnement du secteur du fret, qu’il était théoriquement « probable » qu’un effet de vases communicants se matérialise en l’espèce.

152 Parmi les hypothèses sur lesquelles se fonde le rapport économique en cause figure notamment celle selon laquelle les tarifs étaient suffisamment « flexibles » pour compenser toute hausse supra-concurrentielle des surtaxes par une baisse correspondante. Selon ce rapport, il existe trois types de tarifs. Les tarifs du premier type seraient négociés de façon ponctuelle et déterminés quotidiennement. Ils pourraient donc faire l’objet d’ajustements immédiats. Les tarifs du deuxième et du troisième type, qui auraient représenté une importante majorité du chiffre d’affaires provenant de la vente de services de fret pendant la période infractionnelle, seraient, respectivement, ceux fondés sur les prix publiés deux fois par an et ceux négociés bilatéralement pour une période d’un à douze mois. Ce rapport reconnaît que ces types de tarifs ne peuvent pas faire l’objet d’ajustements immédiats, mais conclut que leur temps de réponse reste suffisamment faible pour donner lieu à un effet de vases communicants. Or, le même rapport ne comporte, au-delà d’affirmations vagues et générales, aucune donnée concrète qui serait de nature à étayer cette conclusion.

153 Dans ces conditions, les parties à l’entente litigieuse auraient raisonnablement pu prévoir que l’infraction unique et continue aurait pour effet, en tant qu’elle concernait les services de fret entrants, une augmentation du prix des services de fret sur les liaisons entrantes.

154 La question est donc de savoir s’il était prévisible pour les transporteurs incriminés que les transitaires répercuteraient un tel surcoût sur leurs propres clients, à savoir les expéditeurs.

155 À cet égard, il convient d’emblée d’observer que la requérante n’est pas fondée à reprocher à la Commission d’avoir considéré qu’un tel effet était « quasi automatique » ou s’apparentait à une « conséquence “naturelle” de l’infraction » unique et continue. Au considérant 1045 de la décision attaquée, la Commission s’est contentée d’observer que le comportement litigieux était « susceptible[] » d’avoir les effets requis au vu des « coûts accrus du transport aérien vers l’EEE et donc [d]es prix plus élevés des marchandises importées ». Quant à la référence à la « nature » du comportement litigieux qui figure au même considérant, elle vise uniquement à décrire la capacité du renchérissement des marchandises importées à affecter « les consommateurs au sein de l’EEE ».

156 Par ailleurs, il ressort des considérants 14 et 70 de la décision attaquée que le prix des services de fret constitue un intrant pour les transitaires. Il s’agit là d’un coût variable, dont l’accroissement a, en principe, pour effet d’augmenter le coût marginal au regard duquel les transitaires définissent leurs propres prix.

157 La requérante n’apporte aucun élément démontrant que les circonstances de l’espèce étaient peu propices à la répercussion en aval, sur les expéditeurs, du surcoût résultant de l’infraction unique et continue sur les liaisons entrantes.

158 Dans ces conditions, il était raisonnablement prévisible pour les transporteurs incriminés que les transitaires répercuteraient un tel surcoût sur les expéditeurs par le truchement d’une augmentation du prix des services de transit.

159 Or, comme il ressort des considérants 70 et 1031 de la décision attaquée, le coût des marchandises dont les transitaires organisent généralement le transport intégré au nom des expéditeurs intègre le prix des services de transit et notamment celui des services de fret, qui en sont un élément constitutif.

160 Au regard de ce qui précède, il était donc prévisible pour les transporteurs incriminés que l’infraction unique et continue aurait pour effet, en tant qu’elle portait sur les liaisons entrantes, une augmentation du prix des marchandises importées.

161 Pour les motifs retenus au point 139 ci-dessus, il était tout aussi prévisible pour les transporteurs incriminés que, comme il ressort du considérant 1045 de la décision attaquée, cet effet se produise dans l’EEE.

162 L’effet en cause ayant relevé du cours normal des choses et de la rationalité économique, il n’était, contrairement à ce qu’a soutenu la requérante lors de l’audience, nullement nécessaire pour elle d’avoir une connaissance exacte du fonctionnement des marchés avals pour pouvoir le prévoir.

163 Il y a donc lieu de conclure que la Commission a établi à suffisance que l’effet en cause revêtait le caractère prévisible requis.

iii) Sur le caractère substantiel de l’effet en cause

164 L’appréciation du caractère substantiel des effets produits par le comportement litigieux doit s’effectuer au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes de l’espèce. Parmi ces circonstances figurent notamment la durée, la nature et la portée de l’infraction. D’autres circonstances, telles que l’importance des entreprises ayant participé à ce comportement, peuvent aussi être pertinentes (voir, en ce sens, arrêts du 9 septembre 2015, Toshiba/Commission, T‑104/13, EU:T:2015:610, point 159, et du 12 juillet 2018, Brugg Kabel et Kabelwerke Brugg/Commission, T‑441/14, EU:T:2018:453, point 112).

165 Lorsque l’effet examiné tient à une augmentation du prix d’un bien ou d’un service fini dérivé du service cartellisé ou qui le contient, la proportion du prix du bien ou du service fini que représente le service cartellisé peut également entrer en ligne de compte.

166 En l’espèce, au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes, il convient de considérer que l’effet en cause, tenant à l’accroissement du prix des marchandises importées dans l’EEE, présente un caractère substantiel.

167 En effet, en premier lieu, il ressort du considérant 1146 de la décision attaquée que la durée de l’infraction unique et continue s’élève à 21 mois pour autant qu’elle concernait les liaisons Union-pays tiers et à 8 mois pour autant qu’elle concernait les liaisons EEE sauf Union-pays tiers. Il ressort des considérants 1215 et 1217 de cette décision que telle était aussi la durée de la participation de l’ensemble des transporteurs incriminés, à l’exception de Lufthansa Cargo et de Swiss.

168 En deuxième lieu, s’agissant de la portée de l’infraction, il ressort du considérant 889 de la décision attaquée que la STC et la STS étaient des « mesures d’application générale qui n[’étaient] pas spécifiques à une liaison » et qui « avaient pour but d’être appliquées à toutes les liaisons, au niveau mondial, y compris sur les liaisons […] à destination de l’EEE ».

169 En troisième lieu, s’agissant de la nature de l’infraction, il ressort du considérant 1030 de la décision attaquée que l’infraction unique et continue avait pour objet de restreindre la concurrence entre les transporteurs incriminés, notamment sur des liaisons EEE-pays tiers. Au considérant 1208 de ladite décision, la Commission a conclu que la « fixation de divers éléments du prix, y compris certaines surtaxes, constitu[ait] l’une des restrictions à la concurrence les plus graves » et a, en conséquence, retenu que l’infraction unique et continue méritait l’application d’un coefficient de gravité situé « en haut de l’échelle » prévue par les lignes directrices de 2006.

170 À titre surabondant, s’agissant de la proportion du prix du service cartellisé dans le bien ou le service qui en est dérivé ou le contient, il convient d’observer que, contrairement à ce que soutient la requérante, les surtaxes représentaient pendant la période infractionnelle une proportion importante du prix total des services de fret.

171 Il ressort ainsi d’une lettre du 8 juillet 2005 de la Hong Kong Association of Freight Forwarding & Logistics (Association de Hong Kong du transit et de la logistique) au président du sous-comité cargo du Board of Airline Representatives (Association des représentants des compagnies aériennes) à Hong Kong que les surtaxes représentent une « part très conséquente » du prix total des lettres de transport aérien dont devaient s’acquitter les transitaires. De même, dans la requête et dans ses annexes, il est indiqué que les surtaxes représentaient 22 % du prix des services de fret de la requérante pendant l’exercice 2004/2005.

172 Or, comme il ressort du considérant 1031 de la décision attaquée, le prix des services de fret constituait lui-même un « élément important du coût des marchandises transportées, qui a un impact sur leur vente ».

173 Toujours à titre surabondant, s’agissant de l’importance des entreprises ayant participé au comportement litigieux, il ressort du considérant 1209 de la décision attaquée que la part de marché cumulée des transporteurs incriminés sur le « marché mondial » s’élevait à 34 % en 2005 et était « au moins aussi grande pour les services de fret […] fournis […] sur des liaisons [EEE-pays tiers] », lesquelles comprennent à la fois les liaisons sortantes et les liaisons entrantes.

174 Il y a donc lieu de conclure que la Commission a établi à suffisance que l’effet en cause présentait le caractère substantiel requis.

iv) Sur le caractère immédiat de l’effet en cause

175 L’exigence d’immédiateté des effets produits par le comportement litigieux vise le lien de causalité entre le comportement en cause et l’effet examiné. Cette exigence a pour objet d’assurer que la Commission ne puisse, pour justifier sa compétence pour constater et sanctionner une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE, se prévaloir de tous les effets possibles, ni des effets très éloignés qui pourraient résulter de ce comportement à titre de conditio sine qua non (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Kone e.a., C‑557/12, EU:C:2014:45, points 33 et 34).

176 La causalité immédiate ne saurait toutefois se confondre avec une causalité unique qui exigerait de constater de manière systématique et absolue la rupture du lien de causalité lorsqu’un tiers a contribué à la survenance des effets en cause (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Kone e.a., C‑557/12, EU:C:2014:45, points 36 et 37).

177 En l’espèce, l’intervention des transitaires, dont il était prévisible que, en toute autonomie, ils répercuteraient sur les expéditeurs le surcoût dont ils avaient dû s’acquitter, est, certes, de nature à avoir contribué à la survenance de l’effet en cause. Toutefois, cette intervention n’était pas, à elle seule, de nature à rompre la chaîne de causalité entre le comportement litigieux et ledit effet et, ainsi, à le priver de son caractère immédiat.

178 Au contraire, lorsqu’elle n’est pas fautive, mais découle objectivement de l’entente en cause, selon le fonctionnement normal du marché, une telle intervention ne rompt pas la chaîne de causalité (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2005, CD Cartondruck/Conseil et Commission, T‑320/00, non publié, EU:T:2005:452, points 172 à 182), mais la poursuit (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Kone e.a., C‑557/12, EU:C:2014:45, point 37).

179 En l’espèce, la requérante soutient, certes, que les pratiques anticoncurrentielles pour lesquelles la Commission aurait sanctionné les transitaires font planer une « grande incertitude » sur le lien de causalité entre le comportement litigieux et l’effet en cause. Selon elle, il existe des « indices concrets qu’à tout le moins une partie des prix facturés par les transitaires aux expéditeurs pendant la période en cause étaient eux-mêmes le résultat [de ces pratiques] ». Il y a cependant lieu d’observer que la requérante n’établit ni même n’allègue que, dans le cadre desdites pratiques, les transitaires se seraient illicitement coordonnés pour répercuter sur les expéditeurs le surcoût dont ils ont dû s’acquitter. Elle ne démontre pas davantage que lesdites pratiques étaient de nature à faire obstacle à ce que les transitaires répercutent ce surcoût sur les expéditeurs.

180 L’argument de la requérante selon lequel le niveau des surtaxes que les transitaires facturaient aux expéditeurs excédait celui des surtaxes dont ils s’acquittaient auprès des transporteurs incriminés ne remet pas en cause cette conclusion. En effet, d’une part, la requérante est restée en défaut d’étayer cet argument, se contentant de renvoyer, sans davantage de précisions, aux éléments de preuve qui lui auraient été fournis dans le cadre des actions en dommages et intérêts. D’autre part, elle n’a pas expliqué pourquoi les transitaires n’auraient pas pu à la fois répercuter le surcoût résultant de l’infraction unique et continue sur les expéditeurs et facturer à ces derniers des surtaxes d’un montant total plus élevé que celui des surtaxes dont ils ont eux-mêmes dû s’acquitter auprès des transporteurs incriminés.

181 Il ne saurait donc être considéré que la prévisible répercussion du surcoût sur les expéditeurs implantés dans l’EEE résulterait des pratiques anticoncurrentielles pour lesquelles la Commission aurait sanctionné les transitaires et serait, par suite, fautive ou étrangère au fonctionnement normal du marché.

182 Quant à la « puissance d’achat » que les transitaires auraient exercée, la requérante reste en défaut d’en apporter la preuve et même d’expliquer en quoi elle était de nature à rompre la chaîne de causalité entre le comportement litigieux et la survenance de l’effet en cause.

183 Il s’ensuit que l’effet en cause présente le caractère immédiat requis.

184 Il résulte de ce qui précède que l’effet en cause présente le caractère prévisible, substantiel et immédiat requis et que le premier motif sur lequel la Commission s’est appuyée pour conclure que le critère des effets qualifiés était satisfait est fondé. Il y a donc lieu de constater que la Commission pouvait, sans commettre d’erreur, retenir que ledit critère était satisfait s’agissant de la coordination relative aux services de fret entrants prise isolément, sans qu’il soit besoin d’examiner le bien-fondé du second motif retenu au considérant 1045 de la décision attaquée.

2) Sur les effets de l’infraction unique et continue prise dans son ensemble

185 Il convient d’emblée de rappeler que rien n’interdit d’apprécier si la Commission dispose de la compétence nécessaire pour appliquer, dans chaque cas, le droit de la concurrence de l’Union au regard du comportement de l’entreprise ou des entreprises en cause, pris dans son ensemble (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 50).

186 Selon la jurisprudence, l’article 101 TFUE est susceptible de s’appliquer à des pratiques et à des accords servant un même objectif anticoncurrentiel, dès lors qu’il est prévisible que, pris ensemble, ils auront des effets immédiats et substantiels dans le marché intérieur. Il ne saurait en effet être permis aux entreprises de se soustraire à l’application des règles de concurrence de l’Union en combinant plusieurs comportements poursuivant un objectif identique, dont chacun, pris isolément, n’est pas susceptible de produire un effet immédiat et substantiel dans ledit marché, mais qui, pris ensemble, sont susceptibles de produire un tel effet (arrêt du 12 juillet 2018, Brugg Kabel et Kabelwerke Brugg/Commission, T‑441/14, EU:T:2018:453, point 106).

187 Contrairement à ce qu’a soutenu la requérante lors de l’audience, il n’est aucunement nécessaire que cet objectif relève spécifiquement d’une stratégie de « verrouillage » ou d’éviction, ni d’ailleurs qu’il s’appuie sur la participation délibérée des clients des participants à l’infraction en cause. Le Tribunal a, en effet, jugé que la Commission pouvait appliquer le critère des effets qualifiés au regard du comportement litigieux pris dans son ensemble dans une affaire de répartition de marchés entre concurrents (arrêt du 12 juillet 2018, Brugg Kabel et Kabelwerke Brugg/Commission, T‑441/14, EU:T:2018:453, point 108).

188 La Commission peut ainsi fonder sa compétence pour appliquer l’article 101 TFUE à une infraction unique et continue telle qu’elle a été constatée dans la décision litigieuse sur les effets prévisibles, immédiats et substantiels de celle-ci dans le marché intérieur (arrêt du 12 juillet 2018, Brugg Kabel et Kabelwerke Brugg/Commission, T‑441/14, EU:T:2018:453, point 105).

189 Ces considérations valent, mutatis mutandis, pour l’article 53 de l’accord EEE.

190 Or, au considérant 869 de la décision attaquée, la Commission a qualifié le comportement litigieux d’infraction unique et continue, y compris en tant qu’il concernait les services de fret entrants. La requérante ne conteste ni cette qualification en général, ni le constat de l’existence d’un objectif anticoncurrentiel unique tendant à entraver la concurrence au sein de l’EEE sur laquelle elle se fonde.

191 Au considérant 1046 de la décision attaquée, la Commission a, comme il ressort de ses réponses aux questions écrites et orales du Tribunal, examiné les effets de cette infraction prise dans son ensemble. Elle a ainsi notamment retenu que son enquête avait révélé une « entente mise en œuvre mondialement », dont les « arrangements […] concernant les liaisons entrantes faisaient partie intégrante de l’infraction unique et continue à l’article 101 du TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE ». Elle a ajouté que l’« application uniforme des surtaxes à une échelle mondiale était un élément clé de l’entente [litigieuse] ». Comme l’a indiqué la Commission en réponse aux questions écrites du Tribunal, l’application uniforme des surtaxes s’intégrait dans une stratégie d’ensemble visant à neutraliser le risque que les transitaires puissent contourner les effets de cette entente en optant pour des liaisons indirectes qui ne seraient pas assujetties à des surtaxes coordonnées pour acheminer des marchandises du point d’origine au point de destination. La raison n’en est pas, comme l’a laissé entendre la requérante lors de l’audience, l’hypothétique dimension mondiale du marché du fret, mais, comme il ressort du considérant 72 de la décision attaquée, que le « facteur temps est moins important pour le transport de [fret] que pour le transport de passagers », si bien que le fret « peut être acheminé avec un nombre d’escales plus élevé » et que les liaisons indirectes peuvent, en conséquence, se substituer aux liaisons directes.

192 La requérante a, certes, contesté l’existence d’une telle stratégie lors de l’audience. Elle s’est, cependant, contentée de procéder par affirmation.

193 Dans ces conditions, c’est à juste titre que la Commission fait valoir que lui interdire d’appliquer le critère des effets qualifiés au comportement litigieux pris dans son ensemble risquerait de conduire à une fragmentation artificielle d’un comportement anticoncurrentiel global, susceptible d’affecter la structure du marché au sein de l’EEE, en une série de comportements distincts susceptibles d’échapper, en tout ou en partie, à la compétence de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 57).

194 Il y a donc lieu de considérer que la Commission pouvait, au considérant 1046 de la décision attaquée, examiner les effets de l’infraction unique et continue prise dans son ensemble.

195 Or, s’agissant d’accords et de pratiques, premièrement, qui avaient pour objet de restreindre la concurrence au moins au sein de l’Union, dans l’EEE et en Suisse (considérant 903 de cette décision), deuxièmement, qui réunissaient des transporteurs aux parts de marchés importantes (considérant 1209 de ladite décision) et, troisièmement, dont une partie significative a porté sur des liaisons intra-EEE pendant une période de plus de six ans (considérant 1146 de la même décision), il ne fait guère de doute qu’il était prévisible que, prise dans son ensemble, l’infraction unique et continue produise des effets immédiats et substantiels dans le marché intérieur ou au sein de l’EEE.

196 Il s’ensuit que la Commission était également fondée à retenir, au considérant 1046 de la décision attaquée, que le critère des effets qualifiés était satisfait s’agissant de l’infraction unique et continue prise dans son ensemble.

197 La Commission ayant ainsi établi à suffisance qu’il était prévisible que le comportement litigieux produirait un effet substantiel et immédiat dans l’EEE, il convient de rejeter le présent grief et, en conséquence, le présent moyen dans son ensemble, sans qu’il soit besoin d’examiner sa deuxième branche, prise d’erreurs dans l’application du critère de la mise en œuvre.

2. Sur le moyen, relevé d’office, tiré d’un défaut de compétence de la Commission au regard de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien pour constater et sanctionner une violation de l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons EEE sauf Union-Suisse

198 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler qu’il appartient au juge de l’Union d’examiner d’office le moyen, qui est d’ordre public, tiré de l’incompétence de l’auteur de l’acte attaqué (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 2000, Salzgitter/Commission, C‑210/98 P, EU:C:2000:397, point 56).

199 De jurisprudence constante, le juge de l’Union ne peut, en principe, fonder sa décision sur un moyen de droit relevé d’office, fût-il d’ordre public, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations à ce sujet (voir arrêt du 17 décembre 2009, Réexamen M/EMEA, C‑197/09 RX‑II, EU:C:2009:804, point 57 et jurisprudence citée).

200 En l’espèce, le Tribunal estime qu’il lui appartient d’examiner d’office si la Commission a outrepassé les limites de sa propre compétence au titre de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien, s’agissant des liaisons EEE sauf Union-Suisse, en constatant, à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée, une violation de l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons EEE sauf Union-pays tiers et a invité les parties à présenter leurs observations à ce sujet dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure.

201 La requérante fait valoir que la référence aux « pays tiers » à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée inclut la Confédération suisse. Cette dernière serait, en effet, un pays tiers au sens de l’accord EEE, dont la violation est constatée audit article. La requérante en déduit que la Commission a, audit article, constaté une infraction à l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons EEE sauf Union-Suisse et a ainsi outrepassé les limites de sa compétence au titre de l’article 11, paragraphe 2, de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien.

202 La Commission répond que la référence, à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée, aux « liaisons entre aéroports situés dans des pays qui sont des parties contractantes à l’accord EEE, mais ne sont pas des États membres, et des aéroports situés dans des pays tiers » ne saurait être interprétée en ce sens qu’elle inclut les liaisons EEE sauf Union-Suisse. Selon elle, la notion de « pays tiers » au sens de cet article exclut la Confédération suisse.

203 La Commission ajoute que, s’il y avait lieu de considérer qu’elle a tenu la requérante pour responsable d’une infraction à l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons EEE sauf Union-Suisse à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée, elle aurait outrepassé les limites que l’article 11, paragraphe 2, de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien pose à sa compétence.

204 Il y a lieu de déterminer si, comme le soutient la requérante, la Commission a constaté une violation de l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons EEE sauf Union-Suisse à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée et, le cas échéant, si elle a ainsi outrepassé les limites de la compétence dont elle est investie au titre de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien.

205 À cet égard, il convient de rappeler que, comme il a été relevé au point 72 ci-dessus, c’est le dispositif, et non les motifs, d’une décision qui importe aux fins de déterminer la portée et la nature des infractions sanctionnées.

206 À l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée, la Commission a constaté que la requérante avait « enfreint l’article 53 de l’accord EEE en ce qui concerne les liaisons entre aéroports situés dans des pays qui sont des parties contractantes à l’accord EEE, mais ne sont pas des États membres, et des aéroports situés dans des pays tiers » du 19 mai 2005 au 14 février 2006. Elle n’a pas expressément inclus dans ces liaisons les liaisons EEE sauf Union-Suisse, ni ne les en a expressément exclues.

207 Il convient donc de vérifier si la Confédération suisse relève des « pays tiers » visés à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée.

208 À cet égard, il convient d’observer que l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée distingue les « pays qui sont des parties contractantes à l’accord EEE, mais ne sont pas des États membres » et les pays tiers. Il est vrai que, comme le relève la requérante, la Confédération suisse n’est pas partie à l’accord EEE et compte donc parmi les pays tiers à celui-ci.

209 Il convient, cependant, de rappeler que, compte tenu des exigences d’unité et de cohérence de l’ordre juridique de l’Union, les mêmes termes employés dans un même acte doivent être présumés avoir la même signification.

210 Or, à l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée, la Commission a retenu une infraction à l’article 101 TFUE sur les « liaisons entre des aéroports situés à l’intérieur de l’Union européenne et des aéroports situés en dehors de l’EEE ». Cette notion n’inclut pas les aéroports situés en Suisse, alors même que la Confédération suisse n’est pas partie à l’accord EEE et que ses aéroports doivent dès lors formellement être considérés comme étant « situés en dehors de l’EEE » ou, autrement dit, dans un pays tiers à cet accord. Ces aéroports font l’objet de l’article 1er, paragraphe 4, de la décision attaquée, qui retient une infraction à l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien sur les « liaisons entre des aéroports situés à l’intérieur de l’Union européenne et des aéroports situés en Suisse ».

211 Conformément au principe rappelé au point 209 ci-dessus, il doit donc être présumé que les termes « aéroports situés dans des pays tiers » employés à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée ont la même signification que les termes « aéroports situés en dehors de l’EEE » employés au paragraphe 2 de cet article et excluent, par suite, les aéroports situés en Suisse.

212 En l’absence de la moindre indication dans le dispositif de la décision attaquée que la Commission aurait entendu donner une signification différente à la notion de « pays tiers » visée à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée, il convient de conclure que la notion de « pays tiers » visée à son article 1er, paragraphe 3, exclut la Confédération suisse.

213 Il ne saurait donc être considéré que la Commission a tenu la requérante pour responsable d’une infraction à l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons EEE sauf Union-Suisse à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée.

214 Le dispositif de la décision attaquée ne prêtant pas au doute, c’est donc uniquement à titre surabondant que le Tribunal ajoute que ses motifs ne contredisent pas cette conclusion.

215 Au considérant 1146 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que les « arrangements anticoncurrentiels » qu’elle avait décrits enfreignaient l’article 101 TFUE du 1er mai 2004 au 14 février 2006 « en ce qui concerne le transport aérien entre des aéroports au sein de l’U[nion] et des aéroports situés en dehors de l’EEE ». Dans la note en bas de page afférente (no 1514), la Commission a précisé ce qui suit : « Aux fins de la présente décision, les “aéroports situés en dehors de l’EEE” désignent les aéroports situés dans des pays autres que la [Confédération s]uisse et les parties contractantes à l’accord EEE ».

216 Il est vrai que, lorsqu’elle a décrit la portée de l’infraction à l’article 53 de l’accord EEE au considérant 1146 de la décision attaquée, la Commission n’a pas fait référence à la notion d’« aéroports situés en dehors de l’EEE », mais à celle d’« aéroports situés dans les pays tiers ». Il ne saurait cependant en être déduit que la Commission a entendu donner une signification différente à la notion d’« aéroports situés en dehors de l’EEE » aux fins de l’application de l’article 101 TFUE et à celle d’« aéroports situés dans des pays tiers » aux fins de l’application de l’article 53 de l’accord EEE. Au contraire, la Commission a utilisé ces deux expressions de manière interchangeable dans la décision attaquée. Ainsi, au considérant 824 de la décision attaquée, la Commission a indiqué qu’elle « n’appliquera[it] pas l’article 101 du TFUE aux accords et pratiques anticoncurrentiels concernant le transport aérien entre les aéroports de l’U[nion] et les aéroports de pays tiers qui ont eu lieu avant le 1er mai 2004 ». De même, au considérant 1222 de cette décision, s’agissant de la cessation de la participation de SAS Consortium à l’infraction unique et continue, la Commission a fait référence à sa compétence au titre de ces dispositions « pour les liaisons entre l’U[nion] et les pays tiers ainsi que les liaisons entre l’Islande, la Norvège et le Liechtenstein et les pays situés en dehors de l’EEE ».

217 Les motifs de la décision attaquée confirment donc que les notions d’« aéroports situés dans des pays tiers » et d’« aéroports situés en dehors de l’EEE » ont la même signification. Conformément à la clause de définition figurant à la note en bas de page no 1514, il convient dès lors de considérer que toutes deux excluent les aéroports situés en Suisse.

218 Contrairement à ce que soutient la requérante, les considérants 1194 et 1241 de la décision attaquée ne plaident pas pour une autre solution. Certes, au considérant 1194 de cette décision, la Commission a fait référence aux « liaisons entre l’EEE et les pays tiers, à l’exception des liaisons entre l’U[nion] et la Suisse ». De même, au considérant 1241 de cette décision, dans le cadre de la « détermination de la valeur des ventes sur les liaisons avec les pays tiers », la Commission a réduit de 50 % le montant de base pour les « liaisons EEE-pays tiers, à l’exception des liaisons entre l’U[nion] et la Suisse, pour lesquelles [elle] agit sous l’accord [CE-Suisse sur le transport aérien] ». Or, il pourrait être considéré que, comme le relève en substance la requérante, si la Commission a pris le soin d’insérer dans ces considérants la mention « à l’exception des liaisons entre l’Union et la Suisse », c’est qu’elle considérait que la Confédération suisse relevait de la notion de « pays tiers » pour autant qu’il était question des liaisons EEE-pays tiers.

219 La Commission a d’ailleurs admis qu’il était possible qu’elle ait « par inadvertance » inclus dans la valeur des ventes le chiffre d’affaires que certains transporteurs incriminés avaient réalisé sur les liaisons EEE sauf Union-Suisse pendant la période concernée. Selon elle, la raison en est que, dans une demande d’informations du 26 janvier 2009, concernant certains chiffres d’affaires, elle n’a pas avisé les transporteurs concernés qu’il y avait lieu d’exclure le chiffre d’affaires réalisé sur les liaisons EEE sauf Union-Suisse de la valeur des ventes réalisées sur les liaisons EEE sauf Union-pays tiers.

220 Il y a néanmoins lieu de constater, à l’instar de la Commission, que ces éléments concernent exclusivement les recettes à prendre en compte aux fins du calcul du montant de base de l’amende et non la définition du périmètre géographique de l’infraction unique et continue, dont il est question ici.

221 Le présent moyen doit donc être écarté.

3. Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’interdiction de l’arbitraire, du principe d’égalité de traitement et de l’obligation de motivation

222 La requérante reproche à la Commission d’avoir agi de manière arbitraire et d’avoir violé le principe d’égalité de traitement en la sanctionnant pour l’infraction unique et continue tout en s’abstenant d’en faire de même pour les transporteurs non incriminés ainsi que pour les 47 transporteurs qui n’étaient pas destinataires de la communication des griefs, mais qui sont mentionnés dans les motifs de la décision attaquée, alors même que ces transporteurs auraient également participé à l’entente litigieuse (ci-après les « 47 transporteurs »).

223 Les motifs de la décision attaquée contiendraient des références aux 47 transporteurs telles qu’elles laissent supposer que la Commission a pris position quant à leur responsabilité. Or, lesdits motifs ne permettraient pas de déceler de différence entre les actes de ces transporteurs et ceux des transporteurs incriminés. Ces motifs ne contiendraient pas non plus de justification objective quant aux conséquences juridiques différentes qu’emporte ladite décision pour ces deux catégories de transporteurs. La requérante souligne à cet égard les effets de ce traitement inégal en termes de risque d’un constat de récidive en cas de commission d’un comportement semblable, d’acquisition de la prescription et d’exposition à des actions en dommages et intérêts.

224 La requérante fait également valoir que la présente espèce diffère des affaires dans lesquelles les juridictions de l’Union ont considéré qu’aucune obligation ne pesait sur la Commission d’exposer les raisons pour lesquelles elle avait décidé d’adresser une décision à certaines entreprises et non à d’autres. Tout d’abord, l’exposé des faits et leur appréciation juridique dans les motifs de la décision attaquée soulèveraient des questions concernant sa « responsabilité relative » plutôt que ses allégations ou l’appréciation des éléments au dossier. Il serait aussi question de la responsabilité matérielle d’une infraction et non de la délimitation géographique d’une infraction de répartition de marché. Ensuite, au vu de l’expiration du délai de prescription applicable, il ne serait plus concevable que les 47 transporteurs se voient imposer une amende. Enfin, ainsi que le confirmerait l’arrêt du 16 décembre 2015, Koninklijke Luchtvaart Maatschappij/Commission (T‑28/11, non publié, EU:T:2015:995, point 44), la responsabilité civile encourue du fait de l’infraction aux règles de concurrence serait devenue un facteur pertinent aux fins de l’analyse de la « responsabilité relative ».

225 Au stade de la réplique, la requérante ajoute que le mémoire en défense présente des incohérences qui soulèvent la question de savoir si la différence de traitement alléguée ne relève pas d’un manquement à l’obligation de motivation. Ainsi, la Commission affirmerait qu’elle n’a pas statué sur la responsabilité des 47 transporteurs, tout en soutenant qu’elle a apprécié les éléments de preuve concernant ces transporteurs et est parvenue à la conclusion qu’il n’y avait pas lieu de les tenir pour responsables de leurs comportements.

226 La Commission conteste l’argumentation de la requérante.

227 Il y a lieu de rappeler que le principe d’égalité de traitement, qui constitue un principe général du droit de l’Union, consacré par l’article 20 de la Charte, exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt du 12 novembre 2014, Guardian Industries et Guardian Europe/Commission, C‑580/12 P, EU:C:2014:2363, point 51 et jurisprudence citée).

228 La violation du principe d’égalité de traitement du fait d’un traitement différencié présuppose ainsi que les situations visées soient comparables eu égard à l’ensemble des éléments qui les caractérisent. Les éléments qui caractérisent différentes situations et ainsi leur caractère comparable doivent, notamment, être déterminés et appréciés à la lumière de l’objet et du but de l’acte de l’Union qui institue la distinction en cause (voir arrêt du 20 mai 2015, Timab Industries et CFPR/Commission, T‑456/10, EU:T:2015:296, point 202 et jurisprudence citée).

229 En l’espèce, la requérante fait, en substance, valoir que la Commission a violé le principe d’égalité de traitement en la sanctionnant tout en s’abstenant de retenir la responsabilité des 47 transporteurs et de les sanctionner en conséquence.

230 Or, la requérante n’établit aucunement que les 47 transporteurs se trouvaient dans une situation semblable à la sienne. Elle se borne à affirmer qu’il n’y a « pas de différence (apparente) entre le[ur]s actions » et qu’il ne saurait lui être tenu rigueur d’avoir introduit une demande de clémence. En revanche, elle ne démontre pas que le faisceau d’indices dont la Commission disposait à l’encontre des transporteurs en cause était semblable à celui dont elle disposait à son égard.

231 Au surplus, quand bien même les 47 transporteurs seraient dans une situation semblable à celle de la requérante et même à supposer que la Commission ait commis une illégalité en ne retenant pas leur responsabilité, une telle illégalité, dont le Tribunal n’est pas saisi dans le cadre du présent recours, ne saurait en aucun cas l’amener à constater une discrimination et, partant, une illégalité à l’égard de la requérante. Il résulte, en effet, de la jurisprudence que le principe d’égalité de traitement doit se concilier avec le respect de la légalité, selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d’autrui (arrêt du 17 septembre 2015, Total Marketing Services/Commission, C‑634/13 P, EU:C:2015:614, point 55).

232 Contrairement à ce que soutient la requérante, la présente affaire ne présente aucune spécificité qui justifierait de ne pas faire application de cette jurisprudence. À cet égard, n’est aucunement particulière à la présente affaire la circonstance que la condamnation d’autres entreprises aurait, le cas échéant, un effet sur la « responsabilité relative » de la requérante pour l’infraction unique et continue ainsi que pour la réparation, dans le cadre d’actions en dommages et intérêts, du préjudice qui en aurait résulté pour les victimes. Quant à la circonstance que serait frappé de prescription l’exercice par la Commission de son pouvoir de sanction des transporteurs non incriminés, il ne ressort pas de la jurisprudence que la violation du principe d’égalité de traitement ne serait exclue que pour autant que la Commission conserve la possibilité de sanctionner ultérieurement les entreprises qu’elle n’a pas déjà tenues pour responsables de l’infraction en cause.

233 Le grief tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement doit donc être rejeté.

234 S’agissant du caractère prétendument arbitraire de l’intervention de la Commission, il ressort en particulier des considérants 785 à 788 de la décision attaquée que la Commission a dûment exposé les motifs pour lesquels elle a tenu la requérante pour responsable de l’infraction unique et continue et l’a sanctionnée à ce titre. Or, la requérante ne démontre ni même n’allègue que ces motifs seraient empreints d’arbitraire.

235 En ce qui concerne l’absence de constat d’infraction et de sanction à l’encontre des 47 transporteurs, il y a lieu de relever que, au considérant 716 de la décision attaquée, la Commission a indiqué qu’elle « n’accord[ait] pas forcément la même valeur à chaque considérant […] ni à chaque élément de preuve individuel qu’il contient » et que « [l]es considérants auxquels il [était] fait référence f[aisaient] plutôt partie de l’ensemble global de preuves sur lequel [elle] se fond[ait] et d[evaient] être appréciés dans ce contexte ».

236 Cette approche est conforme à la jurisprudence, dont la requérante n’invoque d’ailleurs aucunement le caractère arbitraire, selon laquelle la Commission est en droit de procéder par faisceau d’indices, apprécié globalement, pour arriver à la ferme conviction que l’entreprise en cause a pris part à l’infraction et explique que la Commission ait pu considérer, en l’espèce, qu’une appréciation d’ensemble des contacts litigieux retenus en ce qui concerne la requérante suffisait pour l’incriminer, tout en considérant qu’un faisceau d’indices suffisamment convaincant faisait défaut pour d’autres transporteurs concernés par certains des contacts cités dans la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du 26 janvier 2017, Commission/Keramag Keramische Werke e.a., C‑613/13 P, EU:C:2017:49, point 51).

237 Il s’ensuit que le grief tiré d’une violation de l’interdiction de l’arbitraire doit être rejeté.

238 Enfin, s’agissant de la prétendue violation de l’obligation de motivation, il y a lieu de rappeler que la Commission n’a aucune obligation d’exposer, dans une décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE, les raisons pour lesquelles d’autres entreprises n’ont pas été poursuivies ou sanctionnées. En effet, l’obligation de motivation d’un acte ne saurait englober une obligation pour l’institution qui en est l’auteur de motiver le fait de ne pas avoir adopté d’autres actes similaires adressés à des parties tierces (arrêt du 8 juillet 2004, JFE Engineering/Commission, T‑67/00, T‑68/00, T‑71/00 et T‑78/00, EU:T:2004:221, point 414).

239 Or, en l’espèce, la requérante se prévaut précisément de l’omission de la Commission d’expliquer pourquoi des entreprises qui se seraient trouvées dans une situation semblable à la sienne n’ont pas été tenues pour responsables de l’infraction unique et continue.

240 Il s’ensuit que le présent grief ne saurait prospérer.

241 Au regard de l’ensemble de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le présent moyen.

4. Sur le troisième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation et d’une erreur manifeste d’appréciation relatives à la qualification du refus de paiement de commissions de composante séparée de l’infraction unique et continue

242 Le présent moyen, par lequel la requérante fait grief à la Commission d’avoir qualifié le refus de paiement de commissions de composante de l’infraction unique et continue qui serait distincte de la STC et de la STS, s’articule en deux branches. Elles sont prises, la première, d’une contradiction de motifs et, la seconde, d’une erreur manifeste d’appréciation.

a) Sur la portée du troisième moyen

243 Dans la requête, la requérante souligne qu’elle soulève le troisième moyen « notamment parce qu’elle prévoit que la qualification exacte du [refus de paiement de commissions] jouera un rôle dans les actions [en dommages et intérêts] en cours ». Au stade de la réplique, elle précise toutefois que ledit moyen concerne directement le dispositif de la décision attaquée et expose des considérations liminaires sur l’interprétation qu’il convient de faire dudit dispositif en ce que celui-ci porte sur le refus de paiement de commissions. Il serait, en effet, possible de l’interpréter en ce sens qu’il y a eu une violation des règles de concurrence en ce qui concerne un tel refus indépendamment des territoires concernés. Les motifs de ladite décision n’indiqueraient pas non plus explicitement que la question du refus de paiement de commissions ne concerne que la STC et la STS, ni qu’il s’agit d’un élément de l’infraction qui n’est pas distinct, mais complémentaire, des accords et des pratiques concertées portant sur la STC et la STS. Il en ressortirait enfin que les commissions sur les surtaxes étaient exigibles.

244 Dans le mémoire en défense, la Commission soutient que le troisième moyen est invoqué dans la perspective des actions en dommages et intérêts. Or, telle ne serait pas la finalité d’un recours en annulation introduit devant le Tribunal. Dans la duplique, la Commission admet que la requérante a un intérêt légitime à soulever ledit moyen, mais fait valoir que l’interprétation du dispositif de la décision attaquée dont se prévaut la requérante est erronée et qu’elle n’est, en tout état de cause, entachée d’aucune erreur manifeste ni de violation de l’obligation de motivation.

245 Il y a lieu d’observer que, le présent moyen étant avancé à l’appui de conclusions en annulation, les considérations liminaires de la requérante sur l’interprétation qu’il convient de faire du dispositif de la décision attaquée en ce que celui-ci porte sur le refus de paiement de commissions, dès lors qu’elles ne viennent pas au soutien de l’une des deux branches du moyen, doivent être considérées comme irrecevables pour des motifs analogues à ceux retenus au point 68 ci-dessus. En tout état de cause, à supposer que de telles considérations puissent être interprétées comme invitant le Tribunal à prendre position sur la portée qu’il convient de donner à ce dispositif en ce que celui-ci porte sur ce refus, il s’agirait alors, pour la requérante, de chercher à obtenir un jugement déclaratoire, qui ne relève pas de la compétence du Tribunal (voir point 69 ci-dessus).

b) Sur la première branche, prise d’une contradiction de motifs

246 La requérante fait valoir que, pour qualifier le refus de paiement de commissions de composante de l’infraction unique et continue qui est distincte de l’instauration des surtaxes, la Commission s’est fondée sur deux suppositions contradictoires, à savoir, d’une part, que les commissions « auraient autrement dû être payées si elles avaient fait partie intégrante des tarifs » (considérant 879 de la décision attaquée) et, d’autre part, qu’elles sont en réalité des ristournes ou des remises sur les surtaxes (considérants 5 et 879 de ladite décision). Selon elle, à l’inverse de la seconde, la première supposition reposerait sur l’idée que les transitaires sont des agents fournissant un service spécifique en rapport avec les surtaxes, pour lequel ils sont rémunérés par des commissions convenues à l’avance. Il ressortirait au demeurant, en substance, d’un arrêt du Tribunale di Milano (tribunal de Milan, Italie) qu’il est erroné de soutenir que les commissions auraient été exigibles en l’absence d’infraction.

247 La Commission conteste l’argumentation de la requérante.

248 À cet égard, il convient de rappeler que la motivation d’un acte doit être logique, ne présentant notamment pas de contradiction interne entravant la bonne compréhension des raisons sous-tendant cet acte (arrêt du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, EU:C:2011:620, point 151).

249 Une contradiction dans la motivation d’une décision constitue une violation de l’obligation de motivation, de nature à affecter la validité de l’acte en cause, s’il est établi que, en raison de cette contradiction, le destinataire de l’acte n’est pas en mesure de connaître les motifs réels de la décision, en tout ou en partie, et que, de ce fait, le dispositif de l’acte est, en tout ou en partie, dépourvu de tout support juridique (arrêts du 24 janvier 1995, Tremblay e.a./Commission, T‑5/93, EU:T:1995:12, point 42, et du 30 mars 2000, Kish Glass/Commission, T‑65/96, EU:T:2000:93, point 85).

250 Le considérant 5 de la décision attaquée se lit comme suit :

« […] En refusant de payer une commission, les transporteurs faisaient en sorte que les surtaxes ne soient pas soumises à la concurrence par des remises négociées avec leurs clients. »

251 De même, au considérant 879 de la décision attaquée, la Commission a considéré que les commissions étaient « en réalité » des ristournes sur les surtaxes, faisant ainsi apparaître qu’elle n’entérinait pas, par le biais de l’utilisation du terme « commissions », l’existence d’un modèle d’agence entre transporteurs et transitaires.

252 Il ressort de ces deux considérants que la Commission a analysé le refus de paiement de commissions comme une mesure de coordination tarifaire ayant pour objectif d’aligner le comportement des transporteurs incriminés devant répondre à des demandes de remises ou de ristournes de leurs clients transitaires.

253 Il est vrai que, au considérant 879 de la décision attaquée, la Commission a aussi indiqué que « les commissions sur les surtaxes […] auraient autrement dû être payées si [les surtaxes] avaient fait partie intégrante des tarifs ».

254 Toutefois, contrairement à ce que soutient la requérante, cette phrase ne contredit pas les passages de la décision attaquée cités aux points 250 et 251 ci-dessus.

255 En effet, d’une part, il ressort des considérants 675 à 702 de la décision attaquée que les ristournes demandées par les transitaires à partir de 2004 étaient présentées comme des commissions sur la perception des surtaxes auprès des expéditeurs et que les transporteurs eux-mêmes employaient, dans leurs contacts à ce sujet, les expressions « commission » ou « rémunération », comme en attestent notamment les considérants 681 à 683, 685, 695, 696, 698 et 700 de ladite décision.

256 Il s’ensuit que l’emploi du terme « commissions » par la Commission pour désigner les comportements couverts par la composante en cause de l’infraction unique et continue, loin de constituer une prise de position sur le modèle de relations commerciales alors en vigueur entre transporteurs et transitaires, ne faisait que refléter la manière dont ceux-ci désignaient les ristournes demandées par les transitaires à partir de 2004.

257 Il n’y a donc pas lieu de considérer que l’évocation de « commissions sur les surtaxes » au considérant 879 de la décision attaquée est contradictoire avec l’évocation, au même considérant et ailleurs dans ladite décision, de « ristournes sur les surtaxes ».

258 D’autre part, il importe de relever que la référence, au considérant 879 de la décision attaquée, au fait que des commissions auraient été dues si les surtaxes avaient fait partie intégrante des tarifs figure immédiatement après le constat que le refus de paiement de commissions a été facilité par le maintien des surtaxes « en tant qu’éléments séparés du prix global, distincts des tarifs ». Lue dans son contexte, ladite référence se comprend donc en ce sens que les transporteurs, en distinguant les surtaxes des tarifs dans leur facturation, évitaient l’application aux surtaxes des ristournes, ou « commissions », qui étaient applicables aux tarifs.

259 Ainsi, la référence en cause, qui ne concerne pas les ristournes sur les surtaxes, mais les ristournes sur les tarifs, ne porte pas, contrairement à ce que soutient la requérante, sur la nature des « commissions sur les surtaxes » et n’appuie pas en particulier la conclusion selon laquelle celles-ci étaient convenues à l’avance dans le cadre d’une relation d’agence.

260 Au regard de ce qui précède, il y a donc lieu de rejeter la présente branche.

c) Sur la seconde branche, prise d’une erreur manifeste d’appréciation

261 La requérante soutient que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que la composante de l’infraction unique et continue tenant au refus de paiement de commissions pouvait être distinguée de celle tenant à la STC et à la STS. Selon elle, aucun aspect spécifique de la composante de l’infraction unique et continue tenant au refus de paiement de commissions n’est suffisamment distinctif pour étayer cette conclusion. Ainsi, les trois composantes de l’infraction unique et continue auraient poursuivi un même objectif de coordination du prix effectif de la STC et de la STS et s’inscriraient, compte tenu de leurs périodes d’application, dans un « continuum ». Enfin, le contenu et les méthodes desdites composantes auraient été similaires.

262 La Commission soutient que la présente branche est irrecevable, au motif qu’elle n’est pas conforme aux exigences de l’article 76, sous d), du règlement de procédure. Elle conteste également le bien-fondé de l’argumentation de la requérante.

1) Sur la recevabilité de la présente branche

263 En vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal conformément à l’article 53, premier alinéa, du même statut, et de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, la requête doit, notamment, contenir l’objet du litige et un exposé sommaire des moyens invoqués. Ces éléments doivent être suffisamment clairs et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autres informations. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il est nécessaire, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (ordonnances du 28 avril 1993, De Hoe/Commission, T‑85/92, EU:T:1993:39, point 20, et du 21 mai 1999, Asia Motor France e.a./Commission, T‑154/98, EU:T:1999:109, point 49).

264 Or, il ressort de manière suffisamment claire et précise de l’argumentation de la requérante que cette dernière reproche à la Commission d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation, en considérant que la composante de l’infraction unique et continue tenant au refus de paiement de commissions pouvait être distinguée des deux autres composantes de cette infraction, alors même qu’elle n’aurait pas revêtu un caractère suffisamment distinctif. Les explications que la Commission a développées pour contester au fond le présent grief montrent, d’ailleurs, qu’elle a pu comprendre l’argumentation invoquée à son appui.

265 Il convient dès lors de rejeter la présente fin de non-recevoir.

266 Par ailleurs, bien que la Commission ait renoncé dans la duplique à l’invoquer (voir point 244 ci-dessus), il y a lieu d’examiner la fin de non-recevoir d’ordre public tirée du défaut d’intérêt de la requérante à soulever la présente branche.

267 Interrogée au sujet de cette fin de non-recevoir dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure du Tribunal, la requérante a fait valoir qu’elle disposait d’un intérêt à soulever la présente branche, dans la mesure où celle-ci venait au soutien de ses conclusions en annulation et était liée à la première branche du troisième moyen.

268 En particulier, la requérante soutient que, par les deux branches du troisième moyen, elle conteste l’inclusion du refus de paiement de commissions dans l’infraction unique et continue pour laquelle sa responsabilité a été retenue et cherche à obtenir la suppression de la mention, à l’article 1er de la décision attaquée, de cette composante de ladite infraction.

269 La requérante précise qu’elle tirerait à l’évidence un bénéfice de la suppression de la mention en cause dans le dispositif de la décision attaquée, dans la mesure où celui-ci cesserait de produire des effets de droit à l’égard des comportements afférents au refus de paiement de commissions, en particulier au titre de son article 4 portant injonction de s’abstenir, à l’avenir, de tout comportement similaire, et où sa « responsabilité relative » pour l’infraction unique et continue s’en trouverait diminuée, avec des conséquences notamment sur le montant de l’amende qu’il convient de lui imposer.

270 La requérante ajoute que la présente branche est liée à la première branche du troisième moyen, dans la mesure où, s’il était avéré qu’aucune commission n’était exigible, alors il n’existerait aucun fondement pour maintenir le constat d’une composante distincte tenant au refus de paiement de commissions. La présente branche ne se limiterait donc pas à la question du caractère distinct de ladite composante, mais tendrait à faire établir que celle-ci ne saurait être incluse dans le périmètre de l’infraction unique et continue.

271 Quant à la Commission, dans ses réponses aux questions écrites du Tribunal, elle soutient de nouveau que la requérante ne saurait invoquer un intérêt légitime à soulever la présente branche dans la seule perspective des actions en dommages et intérêts.

272 La Commission souligne, quant aux bénéfices que la requérante tirerait du fait de soulever la présente branche en ce qui concerne les effets de la décision attaquée, que l’article 4 de cette dernière revêt un caractère purement déclaratoire impropre à fonder un intérêt à obtenir l’annulation de ladite décision. Quant à l’argument tiré de l’impact sur le montant de l’amende, il revêtirait un caractère nouveau et tardif et devrait dès lors être rejeté comme étant irrecevable.

273 Il y a lieu de rappeler qu’un moyen d’annulation est irrecevable au motif que l’intérêt à agir fait défaut lorsque, à supposer même qu’il soit fondé, l’annulation de l’acte attaqué sur la base de ce moyen ne serait pas de nature à donner satisfaction à la partie requérante (arrêt du 9 juin 2011, Evropaïki Dynamiki/BCE, C‑401/09 P, EU:C:2011:370, point 49 ; voir, également, arrêt du 26 octobre 2010, CNOP et CCG/Commission, T‑23/09, EU:T:2010:452, points 25 et 26).

274 Selon la jurisprudence, l’intérêt à agir doit être né et actuel et s’apprécie au jour où le recours est formé. Une partie requérante ne saurait ainsi invoquer des situations futures et incertaines pour justifier son intérêt à demander l’annulation de l’acte attaqué (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2007, Salvat père & fils e.a./Commission, T‑136/05, EU:T:2007:295, points 34 et 47).

275 En l’espèce, il convient d’observer que la requérante, par son argumentation, ne remet pas en cause la matérialité des faits sous-tendant le refus de paiement de commissions ni le fait qu’ils revêtent un caractère anticoncurrentiel.

276 La requérante ne remet pas non plus en cause les constats que la Commission a opérés aux considérants 872 à 883 de la décision attaquée pour établir le caractère unique de l’infraction en cause. Ainsi, elle acquiesce, au point 79 de la requête, à la description de l’objectif anticoncurrentiel et de la nature uniques des comportements litigieux en ce qu’ils concourent tous à une coordination tarifaire en matière de fret (considérants 872 à 876 et 879 de ladite décision). Elle acquiesce également, aux points 80 et 81 de la requête, au constat de l’identité des entreprises (considérants 878 et 881 à 883 de cette décision) et des personnes (considérant 900 de la même décision) impliquées ainsi qu’au constat du parallélisme des discussions auxquelles celles-ci ont participé (considérant 880 de la décision en question).

277 Dans la mesure où la requérante fait valoir, en réponse aux questions écrites du Tribunal, que la composante tenant au refus de paiement de commissions ne saurait être incluse dans le périmètre de l’infraction unique et continue, il y a lieu d’observer qu’elle soulève un moyen nouveau dont l’irrecevabilité est manifeste au regard de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure, dans la mesure où il n’est pas une ampliation d’un moyen énoncé dans la requête et n’est pas justifié par la survenance d’éléments de droit ou de fait nouveaux. Il ne saurait, en effet, être considéré que ce moyen se confond avec la présente branche, qui porte non sur l’inclusion dans l’infraction unique et continue des comportements relatifs au refus de paiement de commissions, mais sur la question de savoir si ces comportements doivent être différenciés des composantes de l’infraction unique et continue tenant aux surtaxes. Il y a lieu d’ajouter que les questions écrites posées par le Tribunal après la réouverture de la phase orale avaient un objet précisément circonscrit, ainsi qu’il ressort des points 57 et 266 ci-dessus, qu’il n’appartient pas à la requérante d’ignorer dans les observations qu’elle produit en réponse.

278 Dans la mesure où la requérante soulève la question de la différenciation entre la composante de l’infraction unique et continue tenant au refus de paiement de commissions et ses composantes tenant aux surtaxes, elle ne conteste pas l’existence de l’infraction unique et continue ni sa qualification ou son périmètre. Elle conteste la manière dont la Commission a présenté ses différentes composantes à l’intérieur de ce périmètre. Elle vise à cet égard, par la présente branche, à ce que la référence au refus de paiement de commissions soit occultée du dispositif de la décision attaquée.

279 Or, à supposer que la référence au refus de paiement de commissions soit occultée du dispositif de la décision attaquée, les constats figurant dans ladite décision relatifs aux comportements qui sous-tendent l’établissement de cette composante de l’infraction unique et continue, à leur nature anticoncurrentielle et à leur inclusion dans le champ de ladite infraction seraient maintenus, aucun n’étant contesté. En d’autres termes, le contenu de cette décision serait inchangé, à la différence près que les comportements anticoncurrentiels couverts en l’état par les références, dans ledit dispositif, au refus de paiement de commissions seraient désormais couverts par les références à la STC et la STS lues à la lumière des motifs qui en sont le soutien nécessaire.

280 Ainsi, l’annulation partielle de la décision attaquée sur la base de la présente branche n’aurait pas d’incidence sur la responsabilité de la requérante pour l’infraction unique et continue ni sur la gravité ou la durée de cette dernière. Par voie de conséquence, cette annulation n’aurait pas non plus d’incidence sur le montant de l’amende infligée à la requérante ou sur la portée de l’injonction prononcée à l’article 4 de ladite décision. L’argumentation de la requérante à cet égard doit donc être écartée. Quant aux conséquences positives qui en résulteraient sur les actions en dommages et intérêts engagées à son égard en lien avec les comportements visés par la décision attaquée, il convient de rappeler qu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder un intérêt à soulever la présente branche (voir, en ce sens, point 70 ci-dessus). De plus, ces conséquences sont fondées sur l’hypothèse que le juge national interpréterait le dispositif de cette décision conformément aux conjectures exposées par la requérante (voir point 243 ci-dessus), hypothèse dont la requérante admet elle-même qu’elle n’est pas certaine et qui ne saurait donc fonder un intérêt né et actuel au jour où le recours a été formé. Au demeurant, ainsi qu’il a été constaté aux points 71 à 77 ci-dessus, il ressort de la décision en question que la portée géographique de ladite infraction, en ce compris celle de la composante tenant au refus de paiement de commissions, n’était pas de dimension mondiale, contrairement à l’interprétation avancée par la requérante, mais limitée aux liaisons que la Commission a estimé relever de sa compétence.

281 Au regard de ce qui précède, il y a lieu de conclure que l’annulation partielle de la décision attaquée sur la base de la présente branche ne procurerait pas de bénéfice à la requérante de nature à fonder son intérêt à agir.

282 Cette conclusion n’est pas remise en cause par la circonstance que la présente branche et la première branche du troisième moyen seraient liées. En effet, il convient de constater que ces branches sont distinctes, l’une reposant sur la violation d’une forme substantielle et l’autre reposant sur l’invocation d’une erreur manifeste d’appréciation. Or, la requérante n’allègue ni ne démontre que les effets susceptibles de découler de l’accueil de chacune de ces branches se confondraient au point que le constat de la recevabilité de l’une des branches devrait nécessairement entraîner celle de l’autre.

283 Au regard de ce qui précède, la présente branche doit être déclarée irrecevable. Ce n’est donc qu’à titre surabondant que le Tribunal examinera le bien-fondé de cette branche.

2) Sur le bien-fondé de la présente branche

284 Il ressort de la décision attaquée, et en particulier de ses considérants 675 à 702, que le refus de paiement de commissions se distingue des deux autres composantes de l’infraction unique et continue. Ainsi, une chose est, pour les transporteurs, de se coordonner directement sur l’application et la valeur de la STC et de la STS, une autre est pour eux de s’entendre pour refuser aux transitaires une ristourne sur le montant de ces surtaxes, une fois le principe de leur application et leur montant convenus.

285 Il s’ensuit que la présente branche doit être rejetée comme irrecevable et, en tout état de cause, comme n’étant pas fondée.

286 Partant, il y a lieu de rejeter le présent moyen et, par suite, le recours dans son ensemble.

IV. Sur les dépens

287 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

288 Aux termes de l’article 135, paragraphe 1, du règlement de procédure, lorsque l’équité l’exige, le Tribunal peut décider qu’une partie qui succombe supporte, outre ses propres dépens, uniquement une fraction des dépens de l’autre partie, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre. En outre, aux termes de l’article 135, paragraphe 2, du même règlement, le Tribunal peut condamner une partie, même gagnante, partiellement ou totalement aux dépens, si cela apparaît justifié en raison de son attitude, y compris avant l’introduction de l’instance, en particulier si elle a fait exposer à l’autre partie des frais que le Tribunal reconnaît comme frustratoires ou vexatoires.

289 En l’espèce, la requérante a succombé en ses conclusions et la Commission a expressément conclu à ce qu’elle soit condamnée aux dépens. Toutefois, le Tribunal estime que les circonstances de l’espèce justifient que la Commission supporte le tiers de ses propres dépens et que la requérante supporte ses propres dépens ainsi que les deux tiers de ceux de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) La Commission européenne supportera le tiers de ses dépens.

3) Martinair Holland NV supportera ses propres dépens ainsi que les deux tiers des dépens de la Commission.