TUE, 4e ch. élargie, 30 mars 2022, n° T-324/17
TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
SAS Cargo Group A/S, Scandinavian Airlines System Denmark-Norway-Sweden, SAS AB
Défendeur :
Commission européenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Kanninen (rapporteur)
Juges :
M. Schwarcz, M. Iliopoulos, M. Spielmann, Mme Reine
Avocats :
Me Creve, Me Kofmann, Me Killick, Me Forwood
LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie),
I. Antécédents du litige
1 Les requérantes, SAS Cargo Group A/S (ci-après « SAS Cargo »), Scandinavian Airlines System Denmark-Norway-Sweden (ci-après « SAS Consortium ») et SAS AB, sont actives sur le marché du fret aérien (ci-après le « fret »). SAS Cargo, qui offre des services de fret, est une filiale en propriété exclusive indirecte de SAS. Jusqu’au 1er juin 2001, SAS Cargo n’était pas une entité juridique distincte, mais constituait une unité commerciale de SAS Consortium. SAS Consortium appartient à SAS.
2 Dans le secteur du fret, des compagnies aériennes assurent le transport de cargaisons par voie aérienne (ci-après les « transporteurs »). En règle générale, les transporteurs fournissent des services de fret aux transitaires, qui organisent l’acheminement de ces cargaisons au nom des expéditeurs. En contrepartie, ces transitaires s’acquittent auprès des transporteurs d’un prix qui se compose, d’une part, de tarifs calculés au kilogramme et négociés soit pour une période longue (généralement une saison, c’est-à-dire six mois), soit de façon ponctuelle, et, d’autre part, de diverses surtaxes, qui visent à couvrir certains coûts.
3 Quatre types de transporteurs se distinguent : premièrement, ceux qui exploitent exclusivement des avions tout cargo, deuxièmement, ceux qui, sur leurs vols destinés aux passagers, réservent une partie de la soute de l’avion au transport de marchandises, troisièmement, ceux qui disposent à la fois d’avions-cargos et d’un espace réservé pour le fret dans la soute d’avions de transport de passagers (compagnies aériennes mixtes) et, quatrièmement, les intégrateurs, qui disposent d’avions-cargos fournissant à la fois des services de livraison express intégrés et des services de fret généraux.
4 Aucun transporteur n’étant en mesure de desservir, dans le monde, toutes les destinations majeures de fret à des fréquences suffisantes, la conclusion d’accords entre eux pour augmenter leur couverture du réseau ou améliorer leurs horaires s’est développée, y compris dans le cadre d’alliances commerciales plus vastes entre transporteurs. Parmi ces alliances figurait notamment, à l’époque des faits, l’alliance WOW, qui réunissait Deutsche Lufthansa AG (ci-après « Lufthansa »), SAS Cargo, Singapore Airlines Cargo Pte Ltd (ci-après « SAC ») et Japan Airlines International Co. Ltd (ci-après « Japan Airlines »).
A. Procédure administrative
5 Le 7 décembre 2005, la Commission des Communautés européennes a reçu, au titre de sa communication sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3), une demande d’immunité introduite par Lufthansa et ses filiales, Lufthansa Cargo AG et Swiss International Air Lines AG (ci-après « Swiss »). Selon cette demande, des contacts anticoncurrentiels intensifs existaient entre plusieurs transporteurs, portant, notamment, sur :
– la surtaxe carburant (ci-après la « STC »), qui aurait été introduite pour faire face au coût croissant du carburant ;
– la surtaxe sécurité (ci-après la « STS »), qui aurait été introduite pour faire face au coût de certaines mesures de sécurité imposées après les attaques terroristes du 11 septembre 2001.
6 Les 14 et 15 février 2006, la Commission a procédé à des inspections inopinées dans les locaux de plusieurs transporteurs, conformément à l’article 20 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1).
7 Après les inspections, plusieurs transporteurs, dont SAS Cargo et SAS Consortium, ont introduit une demande au titre de la communication de 2002 mentionnée au point 5 ci-dessus.
8 Le 19 décembre 2007, après avoir envoyé plusieurs demandes de renseignements, la Commission a adressé une communication des griefs à 27 transporteurs, dont les requérantes (ci-après la « communication des griefs »). Elle a indiqué que ces transporteurs avaient enfreint l’article 101 TFUE, l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) et l’article 8 de l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur le transport aérien (ci‑après l’« accord CE-Suisse sur le transport aérien »), en participant à une entente portant, notamment, sur la STC, la STS et un refus de paiement de commissions sur les surtaxes (ci‑après le « refus de paiement de commissions »).
9 En réponse à la communication des griefs, ses destinataires ont soumis des observations écrites.
10 Une audition s’est tenue du 30 juin au 4 juillet 2008.
B. Décision du 9 novembre 2010
11 Le 9 novembre 2010, la Commission a adopté la décision C(2010) 7694 final, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord [CE-Suisse sur le transport aérien] (affaire COMP/39258 – Fret aérien) (ci-après la « décision du 9 novembre 2010 »). Cette décision a pour destinataires 21 transporteurs (ci-après les « transporteurs incriminés par la décision du 9 novembre 2010 »), à savoir :
– Air Canada ;
– Air France-KLM (ci-après « AF-KLM ») ;
– Société Air France (ci-après « AF ») ;
– Koninklijke Luchtvaart Maatschappij NV (ci-après « KLM ») ;
– British Airways plc ;
– Cargolux Airlines International SA (ci‑après « Cargolux ») ;
– Cathay Pacific Airways Ltd (ci‑après « CPA ») ;
– Japan Airlines Corp. ;
– Japan Airlines ;
– Lan Airlines SA ;
– Lan Cargo SA ;
– Lufthansa Cargo ;
– Lufthansa ;
– Swiss ;
– Martinair Holland NV (ci-après « Martinair ») ;
– Qantas Airways Ltd (ci‑après « Qantas ») ;
– SAS ;
– SAS Cargo ;
– SAS Consortium ;
– SAC ;
– Singapore Airlines Ltd (ci-après « SIA »).
12 Les griefs retenus provisoirement à l’égard des autres destinataires de la communication des griefs ont été abandonnés (ci-après les « transporteurs non incriminés »).
13 La décision du 9 novembre 2010 décrivait, dans ses motifs, une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE, à l’article 53 de l’accord EEE et à l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien, couvrant le territoire de l’EEE et de la Suisse, par laquelle les transporteurs incriminés par la décision du 9 novembre 2010 auraient coordonné leur comportement en matière de tarification pour la fourniture de services de fret.
14 Le dispositif de la décision du 9 novembre 2010, pour autant qu’il concernait les requérantes, se lisait comme suit :
« Article premier
Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 101 du TFUE et l’article 53 de l’accord EEE en participant à une infraction se composant à la fois d’accords et de pratiques concertées par lesquels elles ont coordonné divers éléments de prix à porter en compte pour des services de [fret] sur des liaisons entre des aéroports situés à l’intérieur de l’EEE, pendant les périodes suivantes :
[…]
j) SAS […], du 17 août 2001 au 14 février 2006 ;
k) [SAS Cargo], du 1er juin 2001 au 14 février 2006 ;
l) [SAS Consortium], du 13 décembre 1999 au 28 décembre 2003 ;
[…]
Article 2
Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 101 du TFUE en participant à une infraction se composant à la fois d’accords et de pratiques concertées par lesquels elles ont coordonné divers éléments de prix à porter en compte pour des services de [fret] sur des liaisons entre des aéroports situés à l’intérieur de l’Union européenne et des aéroports situés en dehors de l’EEE, pendant les périodes suivantes :
[…]
q) SAS […], du 1er mai 2004 au 14 février 2006 ;
r) [SAS Cargo], du 1er mai 2004 au 14 février 2006 ;
[…]
Article 3
Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 53 de l’accord EEE en participant à une infraction se composant à la fois d’accords et de pratiques concertées par lesquels elles ont coordonné divers éléments de prix à porter en compte pour des services de [fret] sur des liaisons entre des aéroports situés dans des pays qui sont des parties contractantes à l’accord EEE, mais ne sont pas des États membres, et des pays tiers, pendant les périodes suivantes :
[…]
o) SAS […], du 19 mai 2005 au 14 février 2006 ;
p) [SAS Cargo], du 19 mai 2005 au 14 février 2006 ;
[…]
Article 4
Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 8 de l’accord [CE-Suisse] sur le transport aérien en participant à une infraction se composant à la fois d’accords et de pratiques concertées par lesquels elles ont coordonné divers éléments de prix à porter en compte pour des services de [fret] sur des liaisons entre des aéroports situés à l’intérieur de l’Union européenne et des aéroports situés en Suisse, pendant les périodes suivantes :
[…]
j) SAS […], du 1er juin 2002 au 14 février 2006 ;
k) [SAS Cargo], du 1er juin 2002 au 14 février 2006 ;
l) [SAS Consortium], du 1er juin 2002 au 28 décembre 2003.
[…]
Article 5
Les amendes suivantes sont infligées pour les infractions visées aux articles 1er à 4 [de la décision du 9 novembre 2010] :
[…]
o) [SAS Consortium] : 5 355 000 EUR ;
p) [SAS Cargo] et [SAS Consortium] conjointement et solidairement : 4 254 250 EUR ;
q) [les requérantes] conjointement et solidairement : 5 265 750 EUR ;
r) [SAS Cargo] et SAS […] conjointement et solidairement : 32 984 250 EUR ;
s) [SAS Cargo] : 22 308 250 EUR ;
[…]
Article 6
Les entreprises visées aux articles 1er à 4 mettent immédiatement fin aux infractions visées auxdits articles, dans la mesure où elles ne l’ont pas encore fait.
Elles s’abstiennent dorénavant de tout acte ou comportement visés aux articles 1er à 4, ainsi que de tout acte ou comportement ayant un objet ou un effet identique ou similaire. »
C. Recours contre la décision du 9 novembre 2010 devant le Tribunal
15 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 janvier 2011, les requérantes ont introduit un recours tendant à l’annulation de la décision du 9 novembre 2010, en tant qu’elle les concernait, ainsi que, à titre subsidiaire, à la réduction du montant des amendes qui leur avaient été infligées. Les autres transporteurs incriminés par la décision du 9 novembre 2010, à l’exception de Qantas, ont également introduit devant le Tribunal des recours contre cette décision.
16 Par arrêts du 16 décembre 2015, Air Canada/Commission (T‑9/11, non publié, EU:T:2015:994), Koninklijke Luchtvaart Maatschappij/Commission (T‑28/11, non publié, EU:T:2015:995), Japan Airlines/Commission (T‑36/11, non publié, EU:T:2015:992), Cathay Pacific Airways/Commission (T‑38/11, non publié, EU:T:2015:985), Cargolux Airlines/Commission (T‑39/11, non publié, EU:T:2015:991), Latam Airlines Group et Lan Cargo/Commission (T‑40/11, non publié, EU:T:2015:986), Singapore Airlines et Singapore Airlines Cargo Pte/Commission (T‑43/11, non publié, EU:T:2015:989), Deutsche Lufthansa e.a./Commission (T‑46/11, non publié, EU:T:2015:987), British Airways/Commission (T‑48/11, non publié, EU:T:2015:988), SAS Cargo Group e.a./Commission (T‑56/11, non publié, EU:T:2015:990), Air France-KLM/Commission (T‑62/11, non publié, EU:T:2015:996), Air France/Commission (T‑63/11, non publié, EU:T:2015:993), et Martinair Holland/Commission (T‑67/11, EU:T:2015:984), le Tribunal a annulé, en tout ou en partie, la décision du 9 novembre 2010 pour autant qu’elle visait, respectivement, Air Canada, KLM, Japan Airlines et Japan Airlines Corp., CPA, Cargolux, Latam Airlines Group SA (anciennement Lan Airlines) et Lan Cargo, SAC et SIA, Lufthansa, Lufthansa Cargo et Swiss, British Airways, les requérantes, AF-KLM, AF et Martinair. Le Tribunal a estimé que cette décision était entachée d’un vice de motivation.
17 À cet égard, en premier lieu, le Tribunal a constaté que la décision du 9 novembre 2010 était entachée de contradictions entre ses motifs et son dispositif. Les motifs de cette décision décrivaient une seule infraction unique et continue, relative à toutes les liaisons couvertes par l’entente, à laquelle les transporteurs incriminés par la décision du 9 novembre 2010 auraient participé. En revanche, le dispositif de ladite décision identifiait soit quatre infractions uniques et continues distinctes, soit une seule infraction unique et continue dont la responsabilité ne serait imputée qu’aux transporteurs qui, sur les liaisons visées par les articles 1er à 4 de la même décision, auraient directement participé aux comportements infractionnels visés par chacun desdits articles ou auraient eu connaissance d’une collusion sur ces liaisons, dont ils acceptaient le risque. Or, aucune de ces deux lectures du dispositif de la décision en question n’était conforme à ses motifs.
18 Le Tribunal a aussi rejeté comme étant incompatible avec les motifs de la décision du 9 novembre 2010 la lecture alternative de son dispositif proposée par la Commission, consistant à considérer que l’absence de mention de certains des transporteurs incriminés par la décision du 9 novembre 2010 dans les articles 1er, 3 et 4 de cette décision pouvait s’expliquer, sans qu’il soit besoin de considérer que ces articles constataient des infractions uniques et continues distinctes, par le fait que lesdits transporteurs n’assuraient pas les liaisons couvertes par ces dispositions.
19 En deuxième lieu, le Tribunal a considéré que les motifs de la décision du 9 novembre 2010 contenaient d’importantes contradictions internes.
20 En troisième lieu, après avoir relevé qu’aucune des deux lectures possibles du dispositif de la décision du 9 novembre 2010 n’était conforme à ses motifs, le Tribunal a examiné si, dans le cadre d’au moins l’une de ces deux lectures possibles, les contradictions internes à ladite décision étaient de nature à porter atteinte aux droits de la défense des requérantes et à empêcher le Tribunal d’exercer son contrôle. S’agissant de la première lecture, retenant l’existence de quatre infractions uniques et continues distinctes, premièrement, il a jugé que les requérantes n’avaient pas été en situation de comprendre dans quelle mesure les éléments de preuve exposés dans les motifs, liés à l’existence d’une infraction unique et continue, étaient susceptibles d’établir l’existence des quatre infractions distinctes constatées dans le dispositif et qu’elles n’avaient donc pas davantage été en situation de pouvoir contester leur suffisance. Deuxièmement, il a jugé que les requérantes s’étaient trouvées dans l’impossibilité de comprendre la logique qui avait conduit la Commission à les considérer comme responsables d’une infraction, y compris pour des liaisons non assurées à l’intérieur du périmètre défini par chaque article de la décision du 9 novembre 2010.
D. Décision attaquée
21 Le 20 mai 2016, à la suite de l’annulation prononcée par le Tribunal, la Commission a adressé une lettre aux transporteurs incriminés par la décision du 9 novembre 2010 ayant introduit un recours contre cette dernière devant le Tribunal, les informant que sa direction générale (DG) de la concurrence entendait lui proposer d’adopter une nouvelle décision concluant qu’ils avaient participé à une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE, à l’article 53 de l’accord EEE et à l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien sur toutes les liaisons mentionnées dans cette décision.
22 Les destinataires de la lettre de la Commission mentionnée au point 21 ci-dessus ont été invités à faire part de leur point de vue sur la proposition de la DG de la concurrence de la Commission dans un délai d’un mois. Tous, y compris les requérantes, ont fait usage de cette possibilité.
23 Le 17 mars 2017, la Commission a adopté la décision C(2017) 1742 final, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord [CE-Suisse sur le transport aérien] (affaire AT.39258 – Fret aérien) (ci-après la « décision attaquée »). Ladite décision a pour destinataires 19 transporteurs (ci-après les « transporteurs incriminés »), à savoir :
– Air Canada ;
– AF-KLM ;
– AF ;
– KLM ;
– British Airways ;
– Cargolux ;
– CPA ;
– Japan Airlines ;
– Latam Airlines Group ;
– Lan Cargo ;
– Lufthansa Cargo ;
– Lufthansa ;
– Swiss ;
– Martinair ;
– SAS ;
– SAS Cargo ;
– SAS Consortium ;
– SAC ;
– SIA.
24 La décision attaquée ne retient pas de griefs à l’encontre des autres destinataires de la communication des griefs.
25 La décision attaquée décrit, dans ses motifs, une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE, à l’article 53 de l’accord EEE et à l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien, par laquelle les transporteurs incriminés auraient coordonné leur comportement en matière de tarification pour la fourniture de services de fret dans le monde entier par le biais de la STC, de la STS et du paiement d’une commission sur les surtaxes.
26 En premier lieu, au point 4.1 de la décision attaquée, la Commission a décrit les « [p]rincipes de base et [la] structure de l’entente ». Aux considérants 107 et 108 de cette décision, elle a indiqué que l’enquête avait révélé une entente d’ampleur mondiale fondée sur un réseau de contacts bilatéraux et multilatéraux entretenus sur une longue période entre les concurrents, concernant le comportement qu’ils avaient décidé, prévu ou envisagé d’adopter en rapport avec divers éléments du prix des services de fret, à savoir la STC, la STS et le refus de paiement de commissions. Elle a souligné que ce réseau de contacts avait pour objectif commun de coordonner le comportement des concurrents en matière de tarification ou de réduire l’incertitude en ce qui concerne leur politique de prix (ci-après l’« entente litigieuse »).
27 Selon le considérant 109 de la décision attaquée, l’application coordonnée de la STC avait pour but de s’assurer que les transporteurs du monde entier imposent une surtaxe forfaitaire par kilo pour tous les envois concernés. Un réseau complexe de contacts, principalement bilatéraux, entre transporteurs aurait été institué dans le but de coordonner et de surveiller l’application de la STC, la date précise d’application étant souvent, selon la Commission, décidée au niveau local, le principal transporteur local prenant généralement la direction et les autres suivant. Cette approche coordonnée aurait été étendue à la STS, tout comme au refus de paiement de commissions, si bien que ces dernières seraient devenues des revenus nets pour les transporteurs et auraient constitué une mesure d’encouragement supplémentaire pour amener ceux-ci à suivre la coordination relative aux surtaxes.
28 Selon le considérant 110 de la décision attaquée, la direction générale du siège de plusieurs transporteurs aurait été soit directement impliquée dans les contacts avec les concurrents, soit régulièrement informée de ceux-ci. Dans le cas des surtaxes, les employés responsables du siège auraient été en contact mutuel lorsqu’un changement de niveau de la surtaxe était imminent. Le refus de paiement de commissions aurait également été confirmé à plusieurs reprises lors de contacts se tenant au niveau de l’administration centrale. Des contacts fréquents auraient également eu lieu au niveau local dans le but, d’une part, de mieux exécuter les instructions données par les administrations centrales et de les adapter aux conditions de marché locales et, d’autre part, de coordonner et de mettre en œuvre les initiatives locales. Dans ce dernier cas, les sièges des transporteurs auraient généralement autorisé l’action proposée ou en auraient été informés.
29 Selon le considérant 111 de la décision attaquée, les transporteurs auraient pris contact les uns avec les autres, soit de manière bilatérale, soit en petits groupes, soit, dans certains cas, en grands forums multilatéraux. Les associations locales de représentants de transporteurs auraient été utilisées, notamment à Hong Kong et en Suisse, pour discuter de mesures d’amélioration du rendement et pour coordonner les surtaxes. Des réunions d’alliances telles que l’alliance WOW auraient également été exploitées à ces fins.
30 En deuxième lieu, aux points 4.3, 4.4 et 4.5 de la décision attaquée, la Commission a décrit les contacts concernant, respectivement, la STC, la STS et le refus de paiement de commissions (ci-après les « contacts litigieux »).
31 Ainsi, premièrement, aux considérants 118 à 120 de la décision attaquée, la Commission a résumé les contacts relatifs à la STC comme suit :
« (118) Un réseau de contacts bilatéraux, impliquant plusieurs compagnies aériennes, a été institué fin 1999-début 2000, permettant un partage d’informations sur les actions des entreprises par les participants entre tous les membres du réseau. Les transporteurs prenaient régulièrement contact les uns avec les autres afin de discuter de toute question se posant en rapport avec la STC, notamment les modifications du mécanisme, les changements du niveau de la STC, l’application cohérente du mécanisme et les situations dans lesquelles certaines compagnies aériennes ne suivaient pas le système.
(119) Pour la mise en œuvre des STC au niveau local, un système par lequel les compagnies aériennes dominantes sur certaines liaisons ou dans certains pays annonçaient en premier le changement et étaient ensuite suivies par les autres, a souvent été appliqué […]
(120) La coordination anticoncurrentielle concernant la STC se déroulait principalement dans quatre contextes : en rapport avec l’introduction des STC au début 2000, la réintroduction d’un mécanisme de STC après l’annulation du mécanisme prévu par l’[Association du transport aérien international (IATA)], l’introduction de nouveaux seuils de déclenchement (augmentant le niveau maximal de la STC) et surtout le moment où les indices de carburant approchaient le seuil auquel une augmentation ou une diminution de la STC allait être déclenchée. »
32 Deuxièmement, au considérant 579 de la décision attaquée, la Commission a résumé les contacts relatifs à la STS comme suit :
« Plusieurs [transporteurs incriminés] ont discuté, entre autres, de leurs intentions d’introduire une STS […] De plus, le montant de la surtaxe et le calendrier d’introduction ont également été discutés. Les [transporteurs incriminés] ont en outre partagé des idées sur la justification à donner à leurs clients. Des contacts ponctuels concernant la mise en œuvre de la STS ont eu lieu pendant toute la période couvrant les années 2002 à 2006. La coordination illicite a eu lieu à la fois au niveau des administrations centrales et au niveau local. »
33 Troisièmement, au considérant 676 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que les transporteurs incriminés avaient « continué à refuser de payer une commission sur les surtaxes et s[’étaient] confirmé mutuellement leur intention dans ce domaine lors de nombreux contacts ».
34 En troisième lieu, au point 4.6 de la décision attaquée, la Commission a procédé à l’appréciation des contacts litigieux. L’appréciation de ceux retenus contre les requérantes figure aux considérants 790 à 792 de cette décision.
35 En quatrième lieu, au point 5 de la décision attaquée, la Commission a procédé à l’application aux faits de l’espèce de l’article 101 TFUE, tout en précisant, à la note en bas de page no 1289 de cette décision, que les considérations retenues valaient également pour l’article 53 de l’accord EEE et l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien. Ainsi, premièrement, au considérant 846 de ladite décision, elle a retenu que les transporteurs incriminés avaient coordonné leur comportement ou influencé la tarification, « ce qui rev[enai]t en définitive à une fixation de prix en rapport avec » la STC, la STS et le paiement d’une commission sur les surtaxes. Au considérant 861 de la même décision, elle a qualifié le « système général de coordination du comportement de tarification pour des services de fret » dont son enquête avait révélé l’existence d’« infraction complexe se composant de diverses actions qui [pouvaient] être qualifiées soit d’accord, soit de pratique concertée dans le cadre desquels les concurrents [avaie]nt sciemment substitué la coopération pratique entre eux aux risques de la concurrence ».
36 Deuxièmement, au considérant 869 de la décision attaquée, la Commission a retenu que le « comportement en cause constitu[ait] une infraction unique et continue à l’article 101 du TFUE ». Elle a ainsi considéré que les arrangements en cause poursuivaient un objectif anticoncurrentiel unique consistant à entraver la concurrence dans le secteur du fret au sein de l’EEE, y compris lorsque la coordination s’était déroulée au niveau local et avait connu des variations locales (considérants 872 à 876), portaient sur un « [p]roduit/services unique », à savoir « la fourniture de services de fret […] et leur tarification » (considérant 877), concernaient les mêmes entreprises (considérant 878), revêtaient une nature unique (considérant 879) et portaient sur trois composantes, à savoir la STC, la STS et le refus de paiement de commissions, qui ont « fréquemment été discuté[e]s conjointement au cours du même contact avec les concurrents » (considérant 880).
37 Au considérant 882 de la décision attaquée, la Commission a ajouté que les requérantes étaient impliquées dans deux des trois composantes de l’infraction unique, c’est-à-dire la STC et la STS, mais que, « compte tenu de leur implication dans les autres éléments de l’infraction, elles auraient raisonnablement pu prévoir des échanges entre les parties au sujet d’une telle matière connexe que le paiement d’une commission sur les surtaxes, et étaient disposées à en assumer le risque ».
38 Troisièmement, au considérant 884 de la décision attaquée, la Commission a conclu au caractère continu de l’infraction en cause.
39 Quatrièmement, aux considérants 885 à 890 de la décision attaquée, la Commission a examiné la pertinence des contacts intervenus dans des pays tiers et des contacts concernant des liaisons que les transporteurs n’avaient jamais desservies ou qu’ils n’auraient pas pu légalement desservir. Elle a estimé que, au regard du caractère mondial de l’entente litigieuse, ces contacts étaient pertinents pour établir l’existence de l’infraction unique et continue. En particulier, d’une part, elle a relevé que les surtaxes étaient des mesures d’application générale qui n’étaient pas spécifiques à une liaison, mais avaient pour but d’être appliquées à toutes les liaisons, au niveau mondial, y compris sur les liaisons au départ et à destination de l’EEE et de la Suisse. Elle a indiqué que le refus de paiement de commissions revêtait également un caractère général. D’autre part, elle a considéré qu’aucune barrière insurmontable n’empêchait les transporteurs de fournir des services de fret sur les liaisons qu’ils n’avaient jamais desservies ou qu’ils n’auraient pas pu légalement desservir, notamment grâce aux accords qu’ils étaient en mesure de conclure entre eux.
40 Cinquièmement, au considérant 903 de la décision attaquée, la Commission a retenu que le comportement litigieux avait pour objet de restreindre la concurrence « au moins au sein de l’U[nion], dans l’EEE et en Suisse ». Au considérant 917 de cette décision, elle a, en substance, ajouté qu’il n’était, dès lors, pas nécessaire de prendre en considération les « effets concrets » de ce comportement.
41 Sixièmement, aux considérants 922 à 971 de la décision attaquée, la Commission s’est penchée sur l’alliance WOW. Au considérant 971 de cette décision, elle a conclu ce qui suit :
« Étant donné la teneur de l’accord d’alliance WOW et sa mise en œuvre, la Commission considère que la coordination des surtaxes entre les membres de l[’alliance] WOW s’est déroulée en dehors du cadre légitime de l’alliance, qui ne la justifie pas. Les membres avaient en réalité connaissance de l’illicéité d’une telle coordination. Ils étaient en outre au courant que la coordination des surtaxes impliquait plusieurs [transporteurs] qui ne participaient pas à l[’alliance] WOW. La Commission estime donc que les éléments probants concernant des contacts entre les membres de l[’alliance] WOW […] constituent la preuve de leur participation à l’infraction à l’article 101 du TFUE telle qu’elle est décrite dans la présente décision. »
42 Septièmement, aux considérants 972 à 1021 de la décision attaquée, la Commission a examiné la réglementation de sept pays tiers, dont plusieurs transporteurs incriminés soutenaient qu’elle leur imposait de se concerter sur les surtaxes, faisant ainsi obstacle à l’application des règles de concurrence pertinentes. La Commission a considéré que ces transporteurs étaient restés en défaut de prouver qu’ils avaient agi sous la contrainte desdits pays tiers.
43 Huitièmement, aux considérants 1024 à 1035 de la décision attaquée, la Commission a retenu que l’infraction unique et continue était susceptible d’affecter de manière sensible les échanges entre États membres, entre les parties contractantes à l’accord EEE et entre les parties contractantes à l’accord CE-Suisse sur le transport aérien.
44 Neuvièmement, la Commission a examiné les limites de sa compétence territoriale et temporelle pour constater et sanctionner une infraction aux règles de concurrence dans le cas d’espèce. D’une part, aux considérants 822 à 832 de la décision attaquée, sous le titre « Compétence de la Commission », elle a, en substance, retenu qu’elle n’appliquerait pas, tout d’abord, l’article 101 TFUE aux accords et pratiques antérieurs au 1er mai 2004 concernant les liaisons entre des aéroports au sein de l’Union européenne et des aéroports situés en dehors de l’EEE (ci-après les « liaisons Union-pays tiers »), ensuite, l’article 53 de l’accord EEE aux accords et pratiques antérieurs au 19 mai 2005 concernant les liaisons Union-pays tiers et les liaisons entre des aéroports situés dans des pays qui sont parties contractantes à l’accord EEE et qui ne sont pas membres de l’Union et des aéroports situés dans des pays tiers (ci-après les « liaisons EEE sauf Union-pays tiers » et, conjointement avec les liaisons Union-pays tiers, les « liaisons EEE-pays tiers ») et, enfin, l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien aux accords et pratiques antérieurs au 1er juin 2002 concernant les liaisons entre des aéroports au sein de l’Union et des aéroports suisses (ci-après les « liaisons Union-Suisse »). Elle a aussi précisé que la décision attaquée n’avait « nullement la prétention de révéler une quelconque infraction à l’article 8 de l’accord [CE-Suisse sur le transport aérien] concernant les services de fret [entre] la Suisse [et] des pays tiers ».
45 D’autre part, aux considérants 1036 à 1046 de la décision attaquée, sous le titre « L’applicabilité de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE aux liaisons entrantes », la Commission a rejeté les arguments de différents transporteurs incriminés selon lesquels elle outrepassait les limites de sa compétence territoriale au regard des règles de droit international public en constatant et en sanctionnant une infraction à ces deux dispositions sur les liaisons au départ de pays tiers et à destination de l’EEE (ci-après les « liaisons entrantes » et, s’agissant des services de fret offerts sur ces liaisons, les « services de fret entrants »). En particulier, au considérant 1042 de cette décision, elle a rappelé comme suit les critères qu’elle estimait applicables :
« En ce qui concerne l’application extraterritoriale de l’article 101 du TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE, ces dispositions sont applicables aux accords qui sont mis en œuvre au sein de l’U[nion] (théorie de la mise en œuvre) ou qui ont des effets immédiats, substantiels et prévisibles au sein de l’U[nion] (théorie des effets). »
46 Aux considérants 1043 à 1046 de la décision attaquée, la Commission a appliqué les critères en question aux faits de l’espèce :
« (1043) Dans le cas des services de fret [entrants], l’article 101 du TFUE et l’article 53 de l’accord EEE sont applicables parce que le service lui-même, qui fait l’objet de l’infraction en matière de fixation de prix, doit être rendu et est en effet rendu en partie sur le territoire de l’EEE. De plus, de nombreux contacts par lesquels les destinataires ont coordonné les surtaxes et le [refus de] paiement de commissions ont eu lieu à l’intérieur de l’EEE ou ont impliqué des participants se trouvant dans l’EEE.
(1044) […] l’exemple cité dans la communication [consolidée sur la compétence de la Commission en vertu du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2008, C 95, p. 1 et rectificatif JO 2009, C 43, p. 10)] n’est pas pertinent ici. La[dite] communication se rapporte à la répartition géographique du chiffre d’affaires entre les entreprises aux fins de déterminer si les seuils de chiffre d’affaires de l’article 1er du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises [(JO 2004, L 24, p. 1)] sont atteints.
(1045) En outre, les pratiques anticoncurrentielles dans les pays tiers en ce qui concerne le transport du fret […] vers l’Union et l’EEE sont susceptibles d’avoir des effets immédiats, substantiels et prévisibles au sein de l’Union et de l’EEE, étant donné que les coûts accrus du transport aérien vers l’EEE et donc les prix plus élevés des marchandises importées sont, de par leur nature, susceptibles d’avoir des effets sur les consommateurs au sein de l’EEE. En l’espèce, les pratiques anticoncurrentielles éliminant la concurrence entre les transporteurs qui offrent des services de fret [entrants] étaient susceptibles d’avoir de tels effets également sur la fourniture de services de [fret] par d’autres transporteurs au sein de l’EEE, entre les plateformes de correspondance (“hubs”) dans l’EEE utilisées par les transporteurs de pays tiers et les aéroports de destination de ces envois dans l’EEE qui ne sont pas desservis par le transporteur du pays tiers.
(1046) Enfin, il convient de souligner que la Commission a découvert une entente au niveau mondial. L’entente a été mise en œuvre mondialement et les arrangements de l’entente concernant les liaisons entrantes faisaient partie intégrante de l’infraction unique et continue à l’article 101 du TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE. Les arrangements de l’entente étaient, dans de nombreux cas, organisés au niveau central et le personnel local ne faisait que les appliquer. L’application uniforme des surtaxes à une échelle mondiale était un élément clé de l’entente. »
47 En cinquième lieu, au considérant 1146 de la décision attaquée, la Commission a retenu que l’entente litigieuse avait débuté le 7 décembre 1999 et duré jusqu’au 14 février 2006. Au même considérant, elle a précisé que cette entente avait enfreint :
– l’article 101 TFUE, du 7 décembre 1999 au 14 février 2006, en ce qui concernait le transport aérien entre des aéroports au sein de l’Union ;
– l’article 101 TFUE, du 1er mai 2004 au 14 février 2006, en ce qui concernait le transport aérien sur les liaisons Union-pays tiers ;
– l’article 53 de l’accord EEE, du 7 décembre 1999 au 14 février 2006, en ce qui concernait le transport aérien entre les aéroports au sein de l’EEE (ci-après les « liaisons intra-EEE ») ;
– l’article 53 de l’accord EEE, du 19 mai 2005 au 14 février 2006, en ce qui concernait le transport aérien sur les liaisons EEE sauf Union-pays tiers ;
– l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien, du 1er juin 2002 au 14 février 2006, en ce qui concernait le transport aérien sur les liaisons Union-Suisse.
48 En ce qui concerne les requérantes, la Commission a retenu que la durée de l’infraction s’étendait du 13 décembre 1999 au 14 février 2006.
49 En sixième lieu, au point 8 de la décision attaquée, la Commission s’est penchée sur les mesures correctives à prendre et les amendes à infliger.
50 S’agissant, en particulier, de la détermination du montant des amendes, la Commission a indiqué avoir pris en compte la gravité et la durée de l’infraction unique et continue ainsi que les éventuelles circonstances aggravantes ou atténuantes. Elle s’est référée à cet égard aux lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les « lignes directrices de 2006 »).
51 Aux considérants 1184 et 1185 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que le montant de base de l’amende se composait d’une proportion pouvant aller jusqu’à 30 % de la valeur des ventes de l’entreprise, déterminée en fonction de la gravité de l’infraction, multipliée par le nombre d’années de participation de l’entreprise à l’infraction, à laquelle s’ajoutait un montant additionnel compris entre 15 et 25 % de la valeur des ventes (ci-après le « montant additionnel »).
52 Au considérant 1197 de la décision attaquée, la Commission a déterminé la valeur des ventes en additionnant, sur l’année 2005, qui était la dernière année complète avant la fin de l’infraction unique et continue, le chiffre d’affaires lié aux vols dans les deux sens sur les liaisons intra-EEE, sur les liaisons Union-pays tiers, sur les liaisons Union-Suisse ainsi que sur les liaisons EEE sauf Union-pays tiers. Elle a également tenu compte de l’adhésion à l’Union de nouveaux États membres en 2004.
53 Aux considérants 1198 à 1212 de la décision attaquée, tenant compte de la nature de l’infraction (accords horizontaux de fixation de prix), de la part de marché cumulée des transporteurs incriminés (34 % au niveau mondial et au moins autant sur les liaisons intra-EEE et EEE-pays tiers), de l’étendue géographique de l’entente litigieuse (mondiale) et de sa mise en œuvre effective, la Commission a fixé le coefficient de gravité à 16 %.
54 Aux considérants 1214 à 1217 de la décision attaquée, la Commission a déterminé la durée de la participation des requérantes à l’infraction unique et continue comme suit, en fonction des liaisons concernées :
– en ce qui concernait les liaisons intra-EEE, pour SAS, SAS Cargo et SAS Consortium, respectivement : du 17 août 2001 au 14 février 2006, du 1er juin 2001 au 14 février 2006 et du 13 décembre 1999 au 28 décembre 2003, évaluée, en nombre d’années et de mois, respectivement, à quatre ans et cinq mois, à quatre ans et huit mois et à quatre ans, et un facteur de multiplication, respectivement, de 4 et 5/12, de 4 et 8/12 et de 4 ;
– en ce qui concernait les liaisons Union-pays tiers, pour SAS et SAS Cargo : du 1er mai 2004 au 14 février 2006, évaluée, en nombre d’années et de mois, à un an et neuf mois, et un facteur de multiplication de 1 et 9/12 ;
– en ce qui concernait les liaisons Union-Suisse, pour SAS, SAS Cargo et SAS Consortium, respectivement : du 1er juin 2002 au 14 février 2006, du 1er juin 2002 au 14 février 2006 et du 1er juin 2002 au 28 décembre 2003, évaluée, en nombre d’années et de mois, respectivement, à trois ans et huit mois, à trois ans et huit mois et à un an et six mois, et un facteur de multiplication, respectivement, de 3 et 8/12, de 3 et 8/12 et de 1 et 6/12 ;
– en ce qui concernait les liaisons EEE sauf Union-pays tiers, pour SAS et SAS Cargo : du 19 mai 2005 au 14 février 2006, évaluée, en nombre de mois, à huit mois, et un facteur de multiplication de 8/12.
55 Au considérant 1219 de la décision attaquée, la Commission a retenu que, au regard des circonstances spécifiques de l’affaire et des critères exposés au point 53 ci-dessus, le montant additionnel devait correspondre à 16 % de la valeur des ventes. Aux considérants 1221, 1223 et 1227 à 1229 de cette décision, la Commission a précisé que ce montant additionnel devait être réparti entre SAS, SAS Cargo et SAS Consortium de manière à refléter la durée de participation de chacune de ces entités à l’infraction unique et continue.
56 En conséquence, aux considérants 1240 à 1242 de la décision attaquée, le montant de base évalué pour SAS, SAS Cargo et SAS Consortium, respectivement, à 106 000 000 euros, à 108 000 000 euros et à 14 000 000 euros a été arrêté, respectivement, à 60 000 000 euros, à 61 000 000 euros et à 14 000 000 euros, après application d’une réduction de 50 % fondée sur le paragraphe 37 des lignes directrices de 2006 (ci-après la « réduction générale de 50 % ») et liée au fait qu’une partie des services relatifs aux liaisons entrantes et aux liaisons au départ de l’EEE et à destination de pays tiers (ci-après les « liaisons sortantes ») était fournie hors du territoire couvert par l’accord EEE et qu’une part du préjudice était donc susceptible de se produire en dehors dudit territoire.
57 Aux considérants 1243 à 1245 de la décision attaquée, en application du paragraphe 28 des lignes directrices de 2006, la Commission a imposé à SAS Cargo et à SAS Consortium une augmentation de 50 % du montant de base de l’amende pour cause de récidive.
58 Aux considérants 1258 et 1259 de la décision attaquée, en application du paragraphe 29 des lignes directrices de 2006, motif pris de leur participation limitée à l’infraction unique et continue, la Commission a accordé aux requérantes, au titre des circonstances atténuantes, une réduction de 10 % du montant de base de l’amende.
59 Aux considérants 1264 et 1265 de la décision attaquée, en application du paragraphe 29 des lignes directrices de 2006, la Commission a octroyé aux transporteurs incriminés une réduction supplémentaire du montant de base de l’amende de 15 % (ci-après la « réduction générale de 15 % »), au motif que certains régimes réglementaires avaient encouragé l’entente litigieuse.
60 En revanche, aux considérants 1268 et 1271 de la décision attaquée, la Commission a rejeté l’argument des requérantes selon lequel elles pouvaient tirer une confiance légitime quant aux limites de sa compétence territoriale pour constater une infraction aux règles de concurrence d’une décision de l’autorité de concurrence danoise de 2002.
61 En conséquence, au considérant 1293 de la décision attaquée, la Commission a fixé le montant de base des amendes de SAS, de SAS Cargo et de SAS Consortium après ajustement, respectivement, à 45 000 000 euros, à 76 250 000 euros et à 17 500 000 euros.
62 Aux considérants 1347 à 1354 de la décision attaquée, la Commission a tenu compte de la contribution des requérantes dans le cadre de leur demande de clémence en appliquant une réduction de 15 % à l’amende, de sorte que, comme il est indiqué au considérant 1404 de la décision attaquée, le montant des amendes infligées à SAS, à SAS Cargo et à SAS Consortium a été fixé, respectivement, à 38 250 000 euros, à 64 812 500 euros et à 14 875 000 euros.
63 Le dispositif de la décision attaquée, pour autant qu’il concerne le présent litige, se lit comme suit :
« Article premier
En coordonnant leur comportement en matière de tarification pour la fourniture de services de [fret] dans le monde entier en ce qui concerne la [STC], la [STS] et le paiement d’une commission sur les surtaxes, les entreprises suivantes ont commis l’infraction unique et continue suivante à l’article 101 [TFUE], à l’article 53 de [l’accord EEE] et à l’article 8 de [l’accord CE-Suisse sur le transport aérien] en ce qui concerne les liaisons suivantes et pendant les périodes suivantes.
1) Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 101 du TFUE et l’article 53 de l’accord EEE en ce qui concerne les liaisons [intra-EEE], pendant les périodes suivantes :
[…]
o) SAS […], du 17 août 2001 au 14 février 2006 ;
p) [SAS Cargo], du 1er juin 2001 au 14 février 2006 ;
q) [SAS Consortium], du 13 décembre 1999 au 28 décembre 2003 ;
[…]
2) Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 101 du TFUE en ce qui concerne les liaisons [Union-pays tiers], pendant les périodes suivantes :
[…]
o) SAS […], du 1er mai 2004 au 14 février 2006 ;
p) [SAS Cargo], du 1er mai 2004 au 14 février 2006 ;
[…]
3) Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 53 de l’accord EEE en ce qui concerne les liaisons [EEE sauf Union-pays tiers], pendant les périodes suivantes :
[…]
o) SAS […], du 19 mai 2005 au 14 février 2006 ;
p) [SAS Cargo], du 19 mai 2005 au 14 février 2006 ;
[…]
4) Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 8 de l’accord [CE-Suisse] sur le transport aérien en ce qui concerne les liaisons [Union-Suisse], pendant les périodes suivantes :
[…]
o) SAS […], du 1er juin 2002 au 14 février 2006 ;
p) [SAS Cargo], du 1er juin 2002 au 14 février 2006 ;
q) [SAS Consortium], du 1er juin 2002 au 28 décembre 2003 ;
[…]
Article 2
La décision […] du 9 novembre 2010 est modifiée comme suit :
à l’article 5, les [sous] j), k) et l) sont abrogés.
Article 3
Les amendes suivantes sont infligées pour l’infraction unique et continue visée à l’article 1er de la présente décision et en ce qui concerne British Airways […], également pour les aspects des articles 1er à 4 de la décision […] du 9 novembre 2010 qui sont devenus définitifs :
[…]
n) [SAS Consortium] : 5 355 000 EUR ;
o) [SAS Cargo et SAS Consortium] conjointement et solidairement : 4 254 250 EUR ;
p) [les requérantes] conjointement et solidairement : 5 265 750 EUR ;
q) [SAS Cargo] et SAS […] conjointement et solidairement : 32 984 250 EUR ;
r) [SAS Cargo] : 22 308 250 EUR
[…]
Article 4
Les entreprises visées à l’article 1er mettent immédiatement fin à l’infraction unique et continue visée audit article, dans la mesure où elles ne l’ont pas encore fait.
Elles s’abstiennent également de tout acte ou comportement ayant un objet ou un effet identique ou similaire.
Article 5
Sont destinataires de la présente décision :
[…]
[les requérantes]
[…] »
II. Procédure et conclusions des parties
64 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 mai 2017, les requérantes ont introduit le présent recours.
65 La Commission a déposé le mémoire en défense au greffe du Tribunal le 29 septembre 2017.
66 Les requérantes ont déposé la réplique au greffe du Tribunal le 8 janvier 2018.
67 La Commission a déposé la duplique au greffe du Tribunal le 1er mars 2018.
68 Le 24 avril 2019, sur proposition de la quatrième chambre, le Tribunal a décidé, en application de l’article 28 de son règlement de procédure, de renvoyer la présente affaire devant une formation de jugement élargie.
69 Le 25 juin 2019, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, le Tribunal a posé des questions écrites aux parties. Ces dernières ont répondu dans le délai imparti.
70 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 11 juillet 2019. Les requérantes ont été invitées à produire, après l’audience, l’accord relatif à l’alliance WOW ainsi qu’un accord relatif aux services aériens (ci-après un « ASA »). Elles ont déféré à cette demande dans le délai imparti.
71 La phase orale de la procédure a été close le 18 juillet 2019.
72 Par ordonnance du 7 janvier 2021, le Tribunal (quatrième chambre élargie), considérant qu’il était insuffisamment éclairé et qu’il y avait lieu d’inviter les parties à présenter leurs observations concernant un argument sur lequel elles n’avaient pas débattu, a ordonné la réouverture de la phase orale de la procédure en application de l’article 113 du règlement de procédure.
73 La Commission a, dans le délai imparti, répondu à une série de questions posées par le Tribunal les 12 janvier, 2 mars et 12 avril 2021. Les requérantes ont soumis leurs observations sur les réponses de la Commission le 14 mai 2021.
74 Par décision du 26 juillet 2021, le Tribunal a clos de nouveau la phase orale de la procédure.
75 Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– prendre les mesures d’organisation de la procédure ou les mesures d’instruction ordonnant à la Commission de leur donner accès à la totalité du dossier de l’affaire devant elle ou toute autre mesure que le Tribunal juge nécessaire ;
– annuler en tout ou en partie la décision attaquée, en tant qu’elle les concerne ;
– à titre subsidiaire, réduire le montant de l’amende qui leur a été infligée dans la décision attaquée ;
– condamner la Commission aux dépens.
76 La Commission conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– modifier le montant de l’amende infligée aux requérantes en leur retirant le bénéfice de la réduction générale de 50 % et de la réduction générale de 15 % dans l’hypothèse où le Tribunal jugerait que le chiffre d’affaires provenant de la vente de services de fret entrants ne pouvait pas être inclus dans la valeur des ventes ;
– condamner les requérantes aux dépens.
III. En droit
77 Dans le cadre de leur recours, les requérantes formulent tant des conclusions en annulation de la décision attaquée que des conclusions tendant à la réduction du montant de l’amende qui leur a été infligée. Quant à la Commission, elle a formulé une demande tendant, en substance, à la modification du montant de l’amende infligée aux requérantes dans l’hypothèse où le Tribunal jugerait que le chiffre d’affaires provenant de la vente de services de fret entrants ne pouvait pas être inclus dans la valeur des ventes.
A. Sur les conclusions en annulation
78 Les requérantes invoquent cinq moyens à l’appui de leurs conclusions en annulation. Ces moyens sont tirés :
– le premier, d’une violation des droits de la défense et du principe de l’égalité des armes, du fait d’un refus d’accès à des éléments de preuve à charge et à décharge ;
– le deuxième, d’une violation du droit d’être entendu et d’un défaut de compétence de la Commission, d’une part, pour appliquer l’article 101 TFUE et l’article 53 de l’accord EEE aux services de fret entrants et, d’autre part, pour appliquer l’article 53 de l’accord EEE aux services de fret fournis sur les liaisons entre la Suisse et les trois pays membres de l’EEE n’appartenant pas à l’Union, à savoir l’Islande, la Principauté de Liechtenstein et le Royaume de Norvège (ci-après les « liaisons EEE sauf Union-Suisse ») ;
– le troisième, d’une erreur d’appréciation des comportements dans lesquels les requérantes étaient impliquées et de ce que ceux-ci prouvaient leur participation à l’infraction unique et continue ou leur connaissance de cette dernière ;
– le quatrième, d’une violation de l’article 266 TFUE, de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE et de l’article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), au motif que la décision attaquée serait entachée d’incohérences internes ;
– le cinquième, présenté à titre subsidiaire, d’erreurs dans la détermination du montant de l’amende infligée aux requérantes.
1. Sur le premier moyen, tiré d’une violation des droits de la défense et du principe de l’égalité des armes du fait d’un refus d’accès à des éléments de preuve à charge et à décharge
79 Les requérantes soutiennent que la Commission a violé leurs droits de la défense et le principe de l’égalité des armes en leur refusant l’accès à des éléments de preuve pertinents, notamment ceux que la Commission aurait reçus après l’envoi de la communication des griefs. Il s’agirait d’éléments de preuve à charge et à décharge qui figureraient, premièrement, dans les réponses d’autres destinataires de la communication des griefs et dans des documents les accompagnant, deuxièmement, dans les observations communiquées au Tribunal par d’autres transporteurs à l’occasion de leurs recours contre la décision du 9 novembre 2010 et, troisièmement, dans les documents sous-tendant la déclaration de la Commission au sujet de l’alliance WOW dans sa décision du 4 juillet 2005 dans l’affaire COMP/M.3770 – Lufthansa/Swiss.
80 S’agissant des éléments de preuve à charge qui ne leur auraient pas été communiqués et sur lesquels la Commission se serait appuyée dans la décision attaquée, les requérantes estiment qu’ils doivent être écartés comme moyens de preuve. Il s’agirait notamment de certains documents concernant le cadre réglementaire applicable à Hong Kong, au Japon, en Inde, en Thaïlande, à Singapour, en Corée du Sud et au Brésil.
81 Quant aux éléments de preuve à décharge, les requérantes soutiennent que les documents que la Commission a obtenus après la communication des griefs sont probablement à décharge, puisqu’ils ont objectivement un lien avec les griefs retenus contre elles et auraient donc pu être utiles à leur défense. Ayant été privées d’accès à ces documents, les requérantes seraient dans l’impossibilité d’en connaître la teneur. Elles identifient néanmoins certains aspects de l’affaire auxquels ces éléments de preuve auraient trait. Il s’agirait de leur comportement dans le cadre d’alliances, des relations verticales de réservation de capacités entre Lufthansa, d’une part, et d’autres transporteurs, d’autre part, des comportements dans des pays tiers qui impliquaient les requérantes, des spéculations internes d’autres transporteurs concernant des informations publiques sur les requérantes, de divers comportements locaux en cause et des comportements en cause qui n’impliquaient pas les requérantes.
82 Les requérantes ajoutent que c’est à elles, et non à la Commission, qu’il appartient de décider si une information donnée est ou non susceptible d’être utile à leur défense.
83 À l’appui de leur moyen, les requérantes invoquent notamment les arrêts du 25 octobre 2011, Solvay/Commission (C‑109/10 P, EU:C:2011:686), et du 29 juin 1995, Solvay/Commission (T‑30/91, EU:T:1995:115), ainsi que les articles 41 et 47 de la Charte et l’article 6, paragraphe 1, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »). Dans leurs observations sur les réponses de la Commission aux questions écrites du Tribunal du 12 avril 2021, elles invoquent également l’arrêt du 25 juillet 2019 de la Cour européenne des droits de l’homme, Rook c. Allemagne (CE:ECHR:2019:0725JUD000158615, points 58 et 59). Selon elles, cet arrêt réaffirme le principe de l’égalité des armes tel qu’issu de l’arrêt du 29 juin 1995, Solvay/Commission (T‑30/91, EU:T:1995:115), et confirme que toute limitation à la divulgation de pièces susceptibles d’être pertinentes doit être strictement nécessaire pour préserver les droits fondamentaux d’un tiers ou pour garantir un intérêt public important.
84 Par ailleurs, les requérantes invitent le Tribunal à adopter une mesure d’organisation de la procédure ou une mesure d’instruction ordonnant à la Commission de leur donner accès à l’intégralité du dossier. Lors de l’audience, les requérantes ont adapté leur demande, d’une part, en en limitant la portée aux réponses à la communication des griefs et à leurs annexes et, d’autre part, en l’étendant aux observations et aux pièces soumises devant le Tribunal par les autres transporteurs incriminés dans le cadre de leurs recours respectifs contre la décision du 9 novembre 2010.
85 La Commission conteste les arguments des requérantes.
86 La Commission fait valoir que les requérantes ont pu consulter tous les éléments de preuve auxquels elles ont le droit d’avoir accès et que leurs allégations relatives à l’existence d’autres preuves à décharge dans son dossier ne sont que pure spéculation.
87 La Commission avance, en outre, qu’elle a soigneusement examiné les demandes d’accès aux documents formulées par les requérantes. Ces dernières n’auraient pas le droit d’accéder à toutes les réponses d’autres transporteurs à la communication des griefs. La Commission ne serait tenue de divulguer ces documents aux requérantes que s’il s’avérait qu’ils contenaient de nouveaux éléments à charge ou à décharge ou qu’ils étaient essentiels pour leur permettre de contester les chiffres qu’elle a utilisés dans la communication des griefs.
88 Quant aux allégations des requérantes sur les aspects du litige au sujet desquels l’accès à des éléments de preuve à décharge leur aurait été refusé, la Commission les conteste.
89 Par ailleurs, la Commission s’oppose à la demande de mesures d’organisation de la procédure ou d’instruction des requérantes. La Commission l’estime disproportionnée, au motif, notamment, que les requérantes restent en défaut de fournir ne fût-ce qu’un minimum d’éléments accréditant l’utilité des documents demandés pour les besoins de l’instance.
90 À cet égard, il y a lieu de rappeler que le respect des droits de la défense exige que l’entreprise intéressée ait été mise en mesure, au cours de la procédure administrative, de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et des circonstances allégués ainsi que sur les documents retenus par la Commission à l’appui de son allégation de l’existence d’une infraction au traité (arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 66).
91 Corollaire du principe du respect des droits de la défense, le droit d’accès au dossier implique que la Commission doit donner à l’entreprise concernée la possibilité de procéder à un examen de la totalité des documents figurant au dossier d’instruction qui sont susceptibles d’être pertinents pour sa défense. Ceux-ci comprennent tant les pièces à conviction que celles à décharge, sous réserve des secrets d’affaires d’autres entreprises, des documents internes de la Commission et d’autres informations confidentielles (arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 68).
92 À cet égard, il y a lieu de relever que ce n’est qu’au début de la phase contradictoire administrative que l’entreprise concernée est informée, moyennant la communication des griefs, de tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure et que cette entreprise dispose d’un droit d’accès au dossier afin de garantir l’exercice effectif de ses droits de la défense. Par conséquent, la réponse des autres parties à la communication des griefs n’est pas, en principe, comprise dans l’ensemble des documents du dossier d’instruction que peuvent consulter les parties (arrêt du 30 septembre 2009, Hoechst/Commission, T‑161/05, EU:T:2009:366, point 163).
93 Toutefois, si la Commission entend se fonder sur un passage d’une réponse à une communication des griefs ou sur un document annexé à une telle réponse pour établir l’existence d’une infraction dans une procédure d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, les autres parties impliquées dans cette procédure doivent être mises en mesure de se prononcer sur un tel élément de preuve. Dans de telles circonstances, le passage en question ou le document qui y est annexé constitue, en effet, un élément à charge à l’encontre des différentes parties qui auraient participé à l’infraction (voir arrêt du 30 septembre 2009, Hoechst/Commission, T‑161/05, EU:T:2009:366, point 164 et jurisprudence citée).
94 Selon la jurisprudence, des extraits de réponses à la communication des griefs constituent des éléments à charge dès lors que la Commission les utilise dans la décision attaquée pour corroborer un grief qu’elle met à la charge de l’entreprise concernée (voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 2008, BPB/Commission, T‑53/03, EU:T:2008:254, point 54).
95 À l’inverse, des extraits des réponses à la communication des griefs que la Commission cite dans la décision attaquée dans le but de résumer et de répondre à un argument développé par un destinataire de la communication des griefs au cours de la procédure administrative ne peuvent être considérés comme des éléments à charge (voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, EU:T:2000:77, point 391).
96 Il incombe à l’entreprise concernée, le cas échéant, de démontrer que le résultat auquel la Commission est parvenue dans sa décision aurait pu être différent si devait être écarté comme moyen de preuve à charge un document non communiqué sur lequel la Commission s’est fondée pour incriminer cette entreprise (voir, en ce sens, arrêt du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission, C‑99/17 P, EU:C:2018:773, points 78 et 79 ; voir, également, arrêt du 30 septembre 2009, Hoechst/Commission, T‑161/05, EU:T:2009:366, point 165 et jurisprudence citée).
97 S’agissant de l’absence de communication d’un document à décharge, il est de jurisprudence constante que l’entreprise concernée doit seulement établir que sa non-divulgation a pu influencer, au détriment de cette dernière, le déroulement de la procédure et le contenu de la décision de la Commission (voir arrêt du 30 septembre 2009, Hoechst/Commission, T‑161/05, EU:T:2009:366, point 166 et jurisprudence citée), ou encore qu’elle a pu nuire ou rendre plus difficile la défense des intérêts de cette entreprise au cours de la procédure administrative (arrêt du 19 décembre 2013, Siemens e.a./Commission, C‑239/11 P, C‑489/11 P et C‑498/11 P, non publié, EU:C:2013:866, point 368).
98 Constitue, à cet égard, un élément à décharge un passage d’une réponse à une communication des griefs ou un document annexé à une telle réponse qui est susceptible d’être pertinent pour la défense d’une entreprise en ce qu’il permet à celle-ci d’invoquer des éléments qui ne concordent pas avec les déductions opérées à ce stade par la Commission (arrêt du 12 juillet 2011, Hitachi e.a./Commission, T‑112/07, EU:T:2011:342, point 34).
99 En revanche, le simple fait que d’autres entreprises ont invoqué les mêmes arguments que l’entreprise concernée et qu’elles ont, le cas échéant, employé plus de ressources pour leur défense ne suffit pas pour considérer ces arguments comme des éléments à décharge (voir arrêt du 12 juillet 2011, Hitachi e.a./Commission, T‑112/07, EU:T:2011:342, point 35 et jurisprudence citée).
100 S’agissant de documents que la Commission n’est pas, en règle générale, tenue de divulguer de sa propre initiative, il y a lieu de relever que les entreprises concernées ne sauraient, en principe, valablement invoquer un défaut de communication de prétendus éléments à décharge contenus dans les réponses à une communication des griefs, dès lors qu’elles n’ont pas sollicité l’accès à ces réponses au cours de la procédure administrative (voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2011, FMC Foret/Commission, T‑191/06, EU:T:2011:277, point 292).
101 Il convient également de rappeler qu’il appartient à l’entreprise invoquant une violation de ses droits de la défense de fournir un premier indice de l’utilité, pour sa défense, des documents qui ne lui ont pas été communiqués par la Commission (arrêt du 12 juillet 2018, Brugg Kabel et Kabelwerke Brugg/Commission, T‑441/14, EU:T:2018:453, point 80).
102 En l’espèce, il convient de distinguer entre les prétendus éléments de preuve à charge et les prétendus éléments de preuve à décharge dont les requérantes contestent la non-divulgation.
a) Sur les prétendus éléments de preuve à charge
103 Les prétendus éléments de preuve à charge auxquels les requérantes n’auraient pas eu accès ont tous trait à la description et à l’analyse, figurant aux considérants 976 à 989 et 998 à 1012 de la décision attaquée, du cadre normatif et de la pratique administrative applicables à l’établissement des tarifs des transporteurs dans certains pays tiers. Les requérantes visent, à cet égard, tout d’abord, les références directes de la Commission aux réponses de CPA, de British Airways, de Cargolux, d’un autre transporteur et de Japan Airlines à la communication des griefs, ensuite, les éléments qui renverraient implicitement auxdites réponses et, enfin, des documents non divulgués sur lesquels la Commission se serait appuyée sans que ces derniers n’émanent nécessairement d’autres transporteurs destinataires de la communication des griefs.
104 Tout d’abord, pour ce qui est des références directes aux réponses à la communication des griefs figurant dans la décision attaquée, il convient d’observer que, pour l’essentiel, il ne s’agit pas de simples résumés d’un argument développé par un destinataire de la communication des griefs, au sens de la jurisprudence visée au point 95 ci-dessus.
105 D’une part, cela vaut s’agissant des affirmations de Japan Airlines et d’un autre transporteur reprises aux considérants 1003, 1005 et 1006 de la décision attaquée, selon lesquelles, premièrement, les autorités japonaises n’exigeaient pas, jusqu’en 2006, de référence à l’accord avec les transporteurs désignés par l’ASA applicable dans le cadre du dépôt d’une demande d’autorisation de surtaxes et, deuxièmement, aucune obligation de coordination sur les vols entre le Japon et le Royaume-Uni n’était imposée.
106 Ainsi que le font valoir les requérantes, il ressort de la décision attaquée que la Commission s’est fondée sur ces déclarations pour étayer le constat d’une absence de pratique administrative qui aurait contraint les transporteurs incriminés à se coordonner sur les surtaxes durant la période infractionnelle et, ainsi, corroborer sa thèse selon laquelle les comportements mis en œuvre au Japon relevaient du champ d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE. En effet, dans la partie de la décision attaquée intitulée « Analyse du système régulateur japonais », aux considérants 1005 et 1006 de la décision attaquée, la Commission s’appuie sur lesdites déclarations pour établir les deux constats suivants. Premièrement, les ASA conclus entre le Japon et les États parties à l’accord EEE n’obligeaient pas en pratique les transporteurs à se mettre d’accord sur les tarifs, dans la mesure où il leur suffisait, pour faire échec à une telle obligation, de faire référence, dans leur demande relative à la STC, à un prétendu accord au sein de l’IATA. Deuxièmement, les autorités japonaises n’imposaient aucune obligation de coordination en ce qui concerne les vols entre le Japon et le Royaume-Uni.
107 D’autre part, cela vaut aussi s’agissant des affirmations de CPA, de Cargolux et de British Airways mentionnées aux considérants 977 à 979 de la décision attaquée, par lesquelles ces trois transporteurs reconnaissent que le dépôt de demandes individuelles d’approbation de surtaxes à Hong Kong était possible, en particulier en vue d’un montant fixe de STC. Ces affirmations figurent, certes, dans une partie de la décision attaquée intitulée « Arguments des transporteurs ». Toutefois, comme le relèvent à juste titre les requérantes, au considérant 987 de la décision attaquée, dans le cadre de l’analyse de la pratique administrative qui a cours à Hong Kong, la Commission fait état de ce qui suit :
« D’autres parties réfutent l’existence possible d’une exigence [de discussion des tarifs et de soumission d’une demande collective au département de l’aviation civile de Hong Kong (ci-après le « DAC »)], certains argumentant que le DAC a encouragé et non requis la concertation. »
108 Or, cette affirmation de la Commission ne peut se comprendre que comme visant les déclarations de CPA, de Cargolux et de British Airways mentionnées aux considérants 977 à 979 de la décision attaquée.
109 En revanche, les déclarations de CPA reprises au considérant 1004 de la décision attaquée ne sauraient être qualifiées d’éléments de preuve à charge, dès lors qu’il ne ressort pas de la décision attaquée que la Commission se serait appuyée sur celles-ci pour établir l’infraction unique et continue.
110 Ensuite, s’agissant des éléments qui renverraient implicitement auxdites réponses, contrairement à ce que les requérantes avancent, il ne ressort pas du passage du considérant 1012 de la décision attaquée, selon lequel « il n’est pas prétendu que les parties avaient l’obligation de se concerter sur la STS ou sur le paiement de commissions sur les surtaxes », que la Commission se serait appuyée sur des éléments à charge non divulgués. En effet, par ce constat, la Commission se contente d’observer qu’aucun élément attestant d’une telle obligation n’a été apporté en réponse à la communication des griefs.
111 Enfin, s’agissant des documents non divulgués sur lesquels la Commission se serait appuyée sans que ces derniers n’émanent nécessairement d’autres transporteurs destinataires de la communication des griefs, les requérantes mentionnent les documents qui auraient servi à l’analyse de la législation japonaise et des ASA applicables dans des pays tiers autres que Hong Kong et le Japon figurant aux considérants 998 à 1001, 1009, 1010 et 1013 à 1019 de la décision attaquée.
112 Or, il y a lieu de constater que ces considérants ne renvoient à aucune pièce du dossier d’instruction, que celle-ci ait été produite avant ou après l’envoi de la communication des griefs. Auxdits considérants, la Commission se borne à décrire les dispositions applicables de la législation japonaise et des ASA auxquels sont parties les pays tiers concernés et à constater qu’il n’est pas démontré qu’elles exigent des transporteurs qu’ils mettent en œuvre une coordination tarifaire. Les dispositions en cause sont celles auxquelles font référence certains des transporteurs destinataires de la communication des griefs dans leur argumentation en réponse à celle-ci, ainsi que cela ressort des considérants 1002, 1003 et 1013 de la décision attaquée.
113 Les requérantes restent en défaut d’expliquer en quoi les passages en cause de la décision attaquée révéleraient l’existence d’un ou de plusieurs documents à charge non divulgués sur lesquels la Commission s’appuierait.
114 À supposer même que les requérantes entendent ici faire grief à la Commission de ne pas leur avoir donné accès au texte des dispositions juridiques en cause, il y a lieu de relever que le cadre juridique applicable au Japon et dans les autres pays tiers concernés en matière de surtaxes ne saurait constituer, en soi, un élément à charge et que, en tout état de cause, cette information est en principe publique et accessible (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2006, Jungbunzlauer/Commission, T‑43/02, EU:T:2006:270, point 354). Au demeurant, le point 139 de la communication des griefs faisait état de ce que, au Japon, « la coordination de [la] mise en œuvre [de la STC] entre [transporteurs] n’[étai]t en rien obligatoire » et son considérant 1439 contenait une analyse des clauses de fixation conjointe de prix figurant, le cas échéant, dans un ASA. Les requérantes avaient dès lors été mises en mesure, durant la procédure administrative, de faire connaître utilement leur point de vue sur les dispositions juridiques en cause.
115 Au regard de ce qui précède, il y a lieu de constater que la Commission a commis une erreur en refusant aux requérantes l’accès aux passages des réponses à la communication des griefs évoqués aux considérants 977 à 979, 1003, 1005 et 1006 de la décision attaquée et décrits aux points 105 à 108 ci-dessus.
b) Sur les prétendus éléments de preuve à décharge
116 En l’espèce, il y a d’abord lieu de noter qu’il est constant entre les parties que les documents dans lesquels figureraient, selon les requérantes, des éléments à décharge ont fait l’objet de la part de ces dernières de demandes d’accès au cours de la procédure administrative.
117 Il y a ensuite lieu de relever que les requérantes se bornent dans une large mesure à se prévaloir du fait que certains transporteurs incriminés ou destinataires de la communication des griefs ont invoqué les mêmes arguments qu’elles dans leurs réponses à la communication des griefs ou dans leurs observations devant le Tribunal. Or, de telles considérations sont impropres à caractériser l’existence d’éléments à décharge (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2011, Hitachi e.a./Commission, T‑112/07, EU:T:2011:342, points 43 et 44).
118 Par ailleurs, dans la mesure où les requérantes spéculent sur l’existence de documents à décharge fournis par les autres transporteurs, elles ne fournissent pas de commencement de preuve de leur utilité pour les besoins de la présente instance (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2012, Koninklijke Wegenbouw Stevin/Commission, T‑357/06, EU:T:2012:488, point 164). Au demeurant, faire droit aux allégations des requérantes nonobstant leur généralité aurait pour conséquence de leur faire bénéficier des efforts et des ressources plus importants consentis, le cas échéant, par les autres transporteurs, en contradiction avec la jurisprudence rappelée au point 99 ci-dessus.
119 S’agissant spécifiquement des documents sous-tendant la déclaration de la Commission au sujet de l’alliance WOW dans sa décision du 4 juillet 2005 dans l’affaire COMP/M.3770 – Lufthansa/Swiss, il y a lieu d’observer que la Commission ne s’est pas appuyée sur ceux-ci dans le cadre de la procédure ayant abouti à la décision attaquée et que la référence faite à cette décision dans la note en bas de page no 1386 de la décision attaquée ne repose, comme le relève la Commission, que sur des informations publiques.
120 Quant aux éléments censés attester de l’existence d’accords de capacités entre Lufthansa et les destinataires de plusieurs courriels envoyés par celui-ci au sujet d’une adaptation de son niveau de STC, et qui contribueraient ainsi à étayer une explication alternative plausible à ces envois, à savoir une information légitime communiquée par un fournisseur à ses clients, il y a lieu de relever, premièrement, que les requérantes ont, comme le souligne la Commission, déjà soulevé dans leur réponse à la communication des griefs l’argument selon lequel les destinataires des courriels en cause étaient des clients de Lufthansa, deuxièmement, qu’elles disposaient déjà, par le biais d’éléments figurant dans le dossier d’instruction, d’une énumération des transporteurs parties à un accord d’achat de capacités avec Lufthansa, comme elles l’ont elles-mêmes admis lors de l’audience, et, troisièmement, que la Commission a rejeté leur argument dans la décision attaquée en soulignant, au considérant 797, que les annonces avaient fait prendre conscience aux requérantes que Lufthansa était engagée dans des tractations avec d’autres transporteurs. Il s’ensuit que les requérantes restent en défaut de démontrer que la communication de ces éléments aurait pu leur être utile dans le cadre de leur défense.
121 S’agissant des éléments qui auraient été produits par les transporteurs non incriminés, les requérantes, en faisant valoir que lesdits éléments auraient pu être produits à décharge pour leur défense, dès lors que les transporteurs non incriminés étaient concernés par des contacts litigieux qui ont été opposés aux requérantes dans le cadre de la décision attaquée, procèdent par conjectures extrêmement générales. Or, par sa généralité, l’hypothèse formulée par les requérantes ne saurait constituer une indication suffisamment précise de l’existence d’éléments à décharge dans les réponses desdits transporteurs (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2012, Koninklijke Wegenbouw Stevin/Commission, T‑357/06, EU:T:2012:488, point 164).
122 Il en est de même de l’argument des requérantes par lequel elles font valoir que, leurs salariés n’ayant participé qu’à « une part minime » des comportements en cause, les éléments justificatifs afférents à la majorité desdits comportements seraient entre les mains des autres transporteurs incriminés.
123 Enfin, c’est en vain que les requérantes se prévalent de l’arrêt du 29 juin 1995, Solvay/Commission (T‑30/91, EU:T:1995:115), dans lequel le Tribunal a indiqué qu’il n’appartenait pas à la Commission de décider seule si les documents saisis dans le cadre de l’instruction étaient de nature à disculper les entreprises concernées, dans la mesure où dans cette affaire étaient en cause des documents qui relevaient du dossier d’instruction proprement dit. Or, le Tribunal a déjà eu l’occasion de préciser que la considération selon laquelle il ne saurait appartenir à la seule Commission de déterminer les documents utiles à la défense de l’entreprise concernée était relative aux documents relevant du dossier de la Commission et ne saurait s’appliquer à des réponses données par d’autres parties concernées aux griefs communiqués par la Commission (arrêt du 16 juin 2011, Heineken Nederland et Heineken/Commission, T‑240/07, EU:T:2011:284, point 254).
c) Conclusion
124 Il y a lieu de conclure que c’est à tort que la Commission a refusé aux requérantes l’accès aux passages des réponses à la communication des griefs évoqués aux considérants 977 à 979, 1003, 1005 et 1006 de la décision attaquée. Conformément à la jurisprudence citée au point 96 ci-dessus, il sera apprécié ci-après (voir point 550 ci-dessous), dans le cadre de l’examen du bien-fondé des appréciations de la Commission concernant la participation des requérantes à l’infraction unique et continue, si le résultat auquel elle est parvenue aurait pu être différent si ces passages devaient être écartés comme moyens de preuve à charge.
125 S’agissant des demandes des requérantes tendant à l’adoption de mesures d’organisation de la procédure ou d’instruction afin d’obtenir la production des réponses des destinataires de la communication des griefs et de leurs annexes ainsi que des observations et des pièces soumises devant le Tribunal par les autres transporteurs dans le cadre de leurs recours respectifs contre la décision du 9 novembre 2010, celles-ci font valoir que leur production leur permettrait d’établir que ces documents étaient utiles à leur défense et, partant, que leur non-divulgation constituait une violation de leurs droits.
126 À cet égard, il suffit de relever que le Tribunal a été en mesure de statuer sur le bien-fondé du premier moyen sur la base des éléments produits devant lui et qu’il est le seul juge de la nécessité éventuelle de compléter les éléments d’information dont il dispose sur les affaires dont il est saisi en prenant les mesures demandées en l’espèce, lesquelles ne sauraient avoir pour objet de suppléer la carence des requérantes dans l’administration de la preuve (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2009, SELEX Sistemi Integrati/Commission, C‑481/07 P, non publié, EU:C:2009:461, point 44). Il s’ensuit que les demandes des requérantes doivent être rejetées, tant en ce qu’elles portent sur les réponses à la communication des griefs qu’en ce qu’elles portent sur les observations soumises devant le Tribunal dans le cadre du recours contre la décision du 9 novembre 2010.
2. Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation du droit d’être entendu et d’un défaut de compétence
127 Les requérantes articulent le présent moyen en deux branches, prises, la première, d’une violation du droit d’être entendu et du défaut de compétence de la Commission pour appliquer l’article 101 TFUE et l’article 53 de l’accord EEE aux services de fret entrants et, la seconde, du défaut de compétence de la Commission pour appliquer l’article 53 de l’accord EEE aux liaisons EEE sauf Union-Suisse.
a) Sur la première branche du deuxième moyen, prise d’une violation du droit d’être entendu et de l’incompétence de la Commission pour appliquer l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons entrantes
128 Les requérantes soutiennent, en substance, que la Commission a violé leur droit d’être entendues et a outrepassé les limites de sa compétence en constatant et en sanctionnant une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons entrantes, ce que la Commission conteste.
129 Il convient de rappeler que, s’agissant d’un comportement adopté en dehors du territoire de l’EEE, la compétence de la Commission au regard du droit international public pour constater et sanctionner une violation de l’article 101 TFUE ou de l’article 53 de l’accord EEE peut être établie au regard du critère de la mise en œuvre ou au regard du critère des effets qualifiés (voir, en ce sens, arrêts du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, points 40 à 47, et du 12 juillet 2018, Brugg Kabel et Kabelwerke Brugg/Commission, T‑441/14, EU:T:2018:453, points 95 à 97).
130 Ces critères sont alternatifs et non cumulatifs (arrêt du 12 juillet 2018, Brugg Kabel et Kabelwerke Brugg/Commission, T‑441/14, EU:T:2018:453, point 98 ; voir également, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, points 62 à 64).
131 Aux considérants 1043 à 1046 de la décision attaquée, la Commission s’est fondée tant sur le critère de la mise en œuvre que sur le critère des effets qualifiés pour établir au regard du droit international public sa compétence pour constater et sanctionner une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons entrantes.
132 Les requérantes invoquant une erreur dans l’application de chacun de ces deux critères, le Tribunal estime qu’il est opportun d’examiner d’abord si la Commission était fondée à se prévaloir du critère des effets qualifiés. À cette fin, le Tribunal analysera si les requérantes sont fondées, d’une part, à se prévaloir d’une violation de leur droit d’être entendues au sujet de l’application de ce critère et, d’autre part, à soutenir que la Commission a commis des erreurs dans l’application de celui-ci. Conformément à la jurisprudence citée au point 130 ci-dessus, ce n’est que si au moins l’un de ces deux griefs est fondé qu’il conviendra de vérifier si la Commission pouvait s’appuyer sur le critère de la mise en œuvre.
1) Sur le droit d’être entendu
133 Les requérantes reprochent à la Commission de les avoir privées de la possibilité de s’exprimer au sujet de l’application du critère des effets qualifiés lors de la procédure administrative. La Commission serait, en effet, restée en défaut d’indiquer dans la communication des griefs qu’elle entendait se prévaloir du critère des effets qualifiés. Elle n’aurait pas non plus indiqué dans cette communication les motifs sur lesquels elle s’est appuyée dans la décision attaquée pour conclure que le critère des effets qualifiés était satisfait.
134 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
135 À cet égard, il convient de rappeler que la communication des griefs constitue la garantie procédurale appliquant le principe fondamental du droit de l’Union qui exige le respect des droits de la défense dans toute procédure (arrêt du 3 septembre 2009, Papierfabrik August Koehler e.a./Commission, C‑322/07 P, C‑327/07 P et C‑338/07 P, EU:C:2009:500, point 35).
136 Ce principe exige notamment que la communication des griefs adressée par la Commission à une entreprise à l’encontre de laquelle elle envisage d’infliger une sanction pour violation des règles de concurrence contienne les éléments essentiels retenus à l’encontre de cette entreprise, tels que les faits reprochés, la qualification qui leur est donnée et les éléments de preuve sur lesquels la Commission se fonde, afin que cette entreprise soit en mesure de faire valoir utilement ses arguments dans le cadre de la procédure administrative engagée à son encontre (arrêt du 3 septembre 2009, Papierfabrik August Koehler e.a./Commission, C‑322/07 P, C‑327/07 P et C‑338/07 P, EU:C:2009:500, point 36).
137 L’article 27, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 et l’article 11, paragraphe 2, du règlement (CE) no 773/2004, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101 TFUE] et [102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18), qui font application de ce principe, prescrivent à la Commission de ne retenir dans sa décision finale que les griefs au sujet desquels les entreprises et associations d’entreprises intéressées ont eu l’occasion de faire connaître leur point de vue.
138 Il doit être tenu compte dans le même temps de la nature provisoire de la communication des griefs qui implique que l’existence de différences entre ce dernier document et la décision finale est non seulement possible, mais licite, dans la mesure où la décision finale reflète l’ensemble des éléments produits et discutés durant la procédure administrative, y compris après l’envoi de la communication des griefs (voir, en ce sens, arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 67).
139 Ce n’est que si la décision finale met à la charge des entreprises concernées des infractions différentes de celles visées dans la communication des griefs ou retient des faits différents qu’une violation des droits de la défense doit être constatée (voir arrêt du 14 mars 2013, Fresh Del Monte Produce/Commission, T‑587/08, EU:T:2013:129, point 706 et jurisprudence citée). Selon la jurisprudence, tel n’est pas le cas lorsque les différences alléguées entre la communication des griefs et la décision attaquée ne portent pas sur des comportements autres que ceux sur lesquels les parties requérantes se sont déjà expliquées et qui, partant, sont étrangers à tout nouveau grief (arrêt du 29 mars 2012, Telefónica et Telefónica de España/Commission, T‑336/07, EU:T:2012:172, points 84 et 85).
140 Il est constant entre les parties que, à la différence de la décision attaquée, la communication des griefs ne fait pas référence au critère des effets qualifiés. Il convient cependant de constater que, en se prévalant dans cette décision du critère des effets qualifiés pour fonder au regard du droit international public sa compétence pour constater et sanctionner une infraction à l’article 101 TFUE et l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons entrantes, la Commission n’a pas mis à la charge des requérantes de nouveaux griefs ni modifié le contenu de ceux qu’elle avait retenus à titre provisoire dans la communication des griefs.
141 La Commission avait en effet déjà indiqué dans la communication des griefs qu’elle entendait constater une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons entrantes. Au considérant 129 de la communication des griefs, la Commission a ainsi observé que l’« infraction couvrait les services de fret […] à l’intérieur de l’U[nion]/EEE et de la Suisse et sur les liaisons entre les aéroports de l’U[nion]/EEE et de pays tiers dans le monde entier, dans les deux sens ». De même, au considérant 1430 de la communication des griefs, la Commission a relevé que « toutes les activités anti-concurrentielles impliquant chacun des participants s’intégraient dans un objectif global, à savoir de s’accorder sur le prix ou à tout le moins d’éliminer l’incertitude sur les prix dans le marché du fret de l’EEE, y compris sur les liaisons entre les aéroports de l’EEE et les pays tiers ».
142 La Commission a également justifié sa compétence pour constater une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons entrantes dès le stade de la communication des griefs. Au considérant 1390 de cette communication, la Commission a ainsi relevé qu’elle était « compétente pour appliquer l’article [101 TFUE] aux arrangements concernant le transport aérien entre les aéroports de l[’Union] et les pays tiers qui étaient susceptibles d’avoir affecté le commerce entre États membres ». Au considérant 1394 de ladite communication, la Commission a ajouté qu’elle était également « compétente pour appliquer l’article 53 de l’accord EEE […] aux arrangements relatifs au transport aérien entre les aéroports de l[’EEE] et les pays tiers qui sont susceptibles d’avoir affecté le commerce entre les États membres et des parties contractantes à l’accord EEE ou entre des parties contractantes de l’accord EEE ».
143 Dans leurs réponses à la communication des griefs, les requérantes ont d’ailleurs expressément contesté ces appréciations. La section 11 de la réponse de SAS Cargo à la communication des griefs et la section 6 de la réponse de SAS Consortium à la communication des griefs sont ainsi tout entières consacrées à l’examen de la compétence de la Commission pour constater une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons entrantes.
144 Aux considérants 1042 à 1046 de la décision attaquée, la Commission s’est contentée de répondre à ces arguments, conformément à la possibilité qui lui est reconnue, au vu de la procédure administrative, de réviser ou d’ajouter des arguments de fait ou de droit à l’appui des griefs qu’elle a formulés (voir, en ce sens, arrêt du 29 mars 2012, Telefónica et Telefónica de España/Commission, T‑336/07, EU:T:2012:172, point 82).
145 Dans ces conditions, la circonstance que le critère des effets qualifiés n’a pas été spécifiquement débattu lors de la procédure administrative est indifférente aux fins de l’appréciation du respect des droits de la défense des requérantes.
146 Il s’ensuit que les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la Commission a violé leurs droits de la défense en invoquant le critère des effets qualifiés pour la première fois dans la décision attaquée.
147 Les requérantes ne sont pas davantage fondées à soutenir que l’application du critère des effets qualifiés aux considérants 1045 et 1046 de la décision attaquée se fonde sur des faits que la Commission n’avait pas retenus dans la communication des griefs. Les éléments de fait sur lesquels se fondent ces considérants figurent, en effet, tous dans la communication des griefs. Ainsi, le motif visé au considérant 1045 de la décision attaquée et tenant à l’effet du comportement litigieux sur les consommateurs de l’EEE s’appuie sur les considérations relatives à la structure des prix des services de fret, au rôle d’intermédiaire des transitaires entre les transporteurs et les expéditeurs et à la nature de l’infraction unique et continue (y compris sa qualification de restriction de concurrence « par objet »), qui figuraient déjà aux points 7, 104, 1396 à 1411 et 1434 à 1438 de la communication des griefs. De même, le motif tenant aux effets sur la concurrence des services interlignes repris au même considérant se fonde sur les considérations relatives au fonctionnement du secteur du fret visées aux points 7, 9, 102 et 105 de la communication des griefs. Quant à la portée géographique de l’entente litigieuse et à l’inclusion des services de fret entrants dans l’infraction unique et continue visées au considérant 1046 de la décision attaquée, elles sont abordées aux points 3, 125, 129, 1045, 1390, 1394 et 1430 de la communication des griefs.
148 Il s’ensuit que les requérantes sont restées en défaut de démontrer que leur droit d’être entendues avait été violé à cet égard.
2) Sur l’application du critère des effets qualifiés
149 Dans la requête, les requérantes contestaient l’applicabilité du critère des effets qualifiés, dont elles soutenaient, en substance, qu’il n’était pas reconnu en droit de l’Union et qu’il avait été invoqué en violation du principe de non-rétroactivité. Cependant, dans la réplique, elles ont indiqué renoncer à ces arguments au vu de l’arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C‑413/14 P, EU:C:2017:632).
150 Les requérantes maintiennent, en revanche, que la Commission a commis des erreurs dans l’application du critère des effets qualifiés. La Commission aurait renversé la charge de la preuve et se serait appuyée sur des considérations erronées et contraires au droit international public pour conclure que ce critère était satisfait.
151 Selon les requérantes, il découle de l’arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C‑413/14 P, EU:C:2017:632, points 49 à 51), que les effets de l’accord litigieux ou de la pratique litigieuse doivent se faire sentir spécifiquement sur la concurrence à l’intérieur du marché intérieur. Ces effets devraient être immédiats, substantiels et prévisibles et revêtir un caractère probable.
152 En l’espèce, d’une part, la Commission aurait retenu que les surtaxes étaient répercutées au niveau de la chaîne de production et de distribution et affectaient les consommateurs au sein de l’EEE sous la forme d’une augmentation des prix des marchandises importées. Or, de tels effets ne seraient ni immédiats ni prévisibles. Ils ne seraient pas non plus étayés, mais, au contraire, purement spéculatifs. S’agissant, en particulier, du refus de paiement de commissions, il n’aurait eu d’effets que sur les transitaires.
153 La Commission serait également restée en défaut de prouver le caractère substantiel des effets du comportement incriminé sur les consommateurs dans l’EEE. Ce comportement n’aurait concerné que deux surtaxes, qui représentaient une fraction du prix final. Or, sur le plan de la théorie économique, la coordination d’une petite partie d’un prix n’aurait pas d’incidence sur le caractère concurrentiel du prix total. Par ailleurs, l’effet des comportements dans lesquels les requérantes ont été impliquées dans des pays tiers ne pourrait qu’avoir amélioré, et non restreint, la compétitivité des produits importés dans l’EEE. Ces comportements auraient, en effet, débouché sur une baisse des surtaxes aux États-Unis, à Hong Kong, au Japon et en Thaïlande.
154 D’autre part, la Commission aurait fait référence aux effets sur la concurrence des services interlignes, que les transporteurs de pays tiers qui ne desservent pas l’aéroport de destination finale situé dans l’EEE achètent à d’autres transporteurs. Or, dans la décision attaquée, la Commission aurait décrit ces effets de manière peu claire et insuffisante. La Commission n’aurait pas non plus apporté de preuve à l’appui de son raisonnement et il serait douteux que de telles preuves existent.
155 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
156 Dans la décision attaquée, la Commission s’est, en substance, appuyée sur trois motifs autonomes pour retenir que le critère des effets qualifiés était satisfait en l’espèce.
157 Les deux premiers motifs figurent au considérant 1045 de la décision attaquée. Ainsi que la Commission l’a confirmé en réponse aux questions écrites et orales du Tribunal, ces motifs portent sur les effets de la coordination relative aux services de fret entrants prise isolément. Le premier motif tient à ce que les « coûts accrus du transport aérien vers l’EEE et donc les prix plus élevés des marchandises importées [étaie]nt, de par leur nature, susceptibles d’avoir des effets sur les consommateurs au sein de l’EEE ». Le deuxième motif concerne les effets de la coordination relative aux services de fret entrants « également sur la fourniture de services de [fret] par d’autres transporteurs au sein de l’EEE, entre les plateformes de correspondance (“hubs”) dans l’EEE utilisées par les transporteurs de pays tiers et les aéroports de destination de ces envois dans l’EEE qui ne sont pas desservis par le transporteur du pays tiers ».
158 Le troisième motif figure au considérant 1046 de la décision attaquée et concerne, comme il ressort des réponses de la Commission aux questions écrites et orales du Tribunal, les effets de l’infraction unique et continue prise dans son ensemble.
159 Le Tribunal estime qu’il est opportun d’examiner tant les effets de la coordination relative aux services de fret entrants prise isolément que ceux de l’infraction unique et continue prise dans son ensemble, en commençant par les premiers.
i) Sur les effets de la coordination relative aux services de fret entrants prise isolément
160 Il convient d’examiner d’abord le bien-fondé du premier motif sur lequel se fonde la conclusion de la Commission selon laquelle le critère des effets qualifiés est satisfait en l’espèce (ci-après l’« effet en cause »).
161 À cet égard, il convient de rappeler que, comme il ressort du considérant 1042 de la décision attaquée, le critère des effets qualifiés permet de justifier l’application des règles de concurrence de l’Union et de l’EEE au regard du droit international public lorsqu’il est prévisible que le comportement litigieux produise un effet immédiat et substantiel dans le marché intérieur ou au sein de l’EEE (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 49 ; voir également, en ce sens, arrêt du 25 mars 1999, Gencor/Commission, T‑102/96, EU:T:1999:65, point 90).
162 En l’espèce, les requérantes contestent tant la pertinence de l’effet en cause (voir points 163 à 179 ci-après) que son caractère prévisible (voir points 183 à 200 ci-après), son caractère substantiel (voir points 201 à 216 ci-après) et son caractère immédiat (voir points 217 à 226 ci-après).
– Sur la pertinence de l’effet en cause
163 Il ressort de la jurisprudence que le fait pour une entreprise participant à un accord ou à une pratique concertée d’être située dans un État tiers ne fait pas obstacle à l’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE, dès lors que cet accord ou cette pratique produit ses effets, respectivement, dans le marché intérieur ou au sein de l’EEE (voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 1971, Béguelin Import, 22/71, EU:C:1971:113, point 11).
164 L’application du critère des effets qualifiés a précisément pour objectif d’appréhender des comportements qui n’ont, certes, pas été adoptés sur le territoire de l’EEE, mais dont les effets anticoncurrentiels sont susceptibles de se faire sentir dans le marché intérieur ou au sein de l’EEE (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 45).
165 Ce critère n’exige pas d’établir que le comportement litigieux a produit des effets qui se sont effectivement matérialisés dans le marché intérieur ou au sein de l’EEE. Au contraire, selon la jurisprudence, il suffit de tenir compte de l’effet probable de ce comportement sur la concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 51).
166 Il incombe, en effet, à la Commission d’assurer la protection de la concurrence dans le marché intérieur ou au sein de l’EEE contre les menaces à son fonctionnement effectif.
167 En présence d’un comportement dont la Commission a, comme en l’espèce, considéré qu’il révélait un degré de nocivité à l’égard de la concurrence dans le marché intérieur ou au sein de l’EEE tel qu’il pouvait être qualifié de restriction de concurrence « par objet » au sens de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE, l’application du critère des effets qualifiés ne saurait, comme en conviennent au demeurant les requérantes, pas non plus exiger la démonstration des effets concrets que suppose la qualification d’un comportement de restriction de concurrence « par effet » au sens de ces dispositions.
168 À cet égard, il convient de rappeler, à l’instar des requérantes, que le critère des effets qualifiés est ancré dans le libellé de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE, qui tendent à appréhender les accords et les pratiques qui limitent le jeu de la concurrence, respectivement, dans le marché intérieur et au sein de l’EEE. Ces dispositions interdisent, en effet, les accords et les pratiques des entreprises qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, respectivement, « à l’intérieur du marché intérieur » et « à l’intérieur du territoire couvert par [l’accord EEE] » (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 42).
169 Or, il est de jurisprudence constante que l’objet et l’effet anticoncurrentiel sont des conditions non pas cumulatives, mais alternatives pour apprécier si un comportement relève des interdictions énoncées aux articles 101 TFUE et 53 de l’accord EEE (voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a., C‑8/08, EU:C:2009:343, point 28 et jurisprudence citée).
170 Il en résulte que, comme l’a relevé la Commission au considérant 917 de la décision attaquée, la prise en considération des effets concrets du comportement litigieux est superflue, dès lors que l’objet anticoncurrentiel de ce dernier est établi (voir, en ce sens, arrêts du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56/64 et 58/64, EU:C:1966:41, p. 496, et du 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline Services e.a./Commission e.a., C‑501/06 P, C‑513/06 P, C‑515/06 P et C‑519/06 P, EU:C:2009:610, point 55).
171 Dans ces conditions, interpréter le critère des effets qualifiés en ce sens qu’il exigerait la preuve des effets concrets du comportement litigieux même en présence d’une restriction de concurrence « par objet », reviendrait à assujettir la compétence de la Commission pour constater et sanctionner une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE à une condition qui ne trouve pas de fondement dans le texte de ces dispositions.
172 Les requérantes ne sauraient, au demeurant, reprocher à la Commission d’être restée en défaut d’analyser à suffisance l’effet en cause.
173 En effet, au considérant 1045 de la décision attaquée, la Commission a considéré, en substance, que l’infraction unique et continue, en tant qu’elle portait sur les liaisons entrantes, était susceptible d’accroître le montant des surtaxes et, en conséquence, le prix total des services de fret entrants et que les transitaires avaient répercuté ce surcoût sur les expéditeurs implantés dans l’EEE, qui avaient dû payer pour les marchandises qu’ils avaient achetées un prix plus élevé que celui qui leur aurait été facturé en l’absence de ladite infraction.
174 Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il ne saurait être considéré que cet effet est dénué de pertinence aux fins de l’application du critère des effets qualifiés au motif qu’il ne se fait pas sentir spécifiquement sur la concurrence dans le marché intérieur.
175 À cet égard, en premier lieu, il convient de constater que les requérantes restent en défaut d’expliquer ce qu’elles entendent par un tel argument.
176 En second lieu, à supposer que l’argumentation des requérantes doive être interprétée en ce sens que le comportement litigieux, en tant qu’il portait sur les liaisons entrantes, n’était pas susceptible de restreindre la concurrence dans l’EEE, au motif que celle-ci ne s’exerçait que dans les pays tiers où sont établis les transitaires qui s’approvisionnaient en services de fret entrants auprès des transporteurs incriminés, il y a lieu d’observer qu’elles se méprennent.
177 À cet égard, il convient de relever que l’application du critère des effets qualifiés doit s’effectuer au regard du contexte économique et juridique dans lequel s’inscrit le comportement en cause (voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 1971, Béguelin Import, 22/71, EU:C:1971:113, point 13).
178 En l’espèce, il ressort des considérants 14, 17 et 70 de la décision attaquée et des réponses des parties aux mesures d’organisation de la procédure du Tribunal que les transporteurs vendent exclusivement ou presque leurs services de fret à des transitaires. Or, s’agissant des services de fret entrants, la quasi-totalité de ces ventes s’effectue au point d’origine des liaisons en cause, à l’extérieur de l’EEE, où sont établis lesdits transitaires. Il ressort, en effet, de la requête que, entre le 1er mai 2004 et le 14 février 2006, les requérantes n’ont réalisé qu’une proportion négligeable de leurs ventes de services de fret entrants auprès de clients implantés dans l’EEE.
179 Il convient, cependant, d’observer que, si les transitaires achètent ces services, c’est notamment en qualité d’intermédiaires, pour les consolider dans un lot de services dont l’objet est, par définition, d’organiser le transport intégré de marchandises vers le territoire de l’EEE au nom d’expéditeurs. Ainsi qu’il ressort du considérant 70 de la décision attaquée, ces derniers peuvent notamment être les acheteurs ou les propriétaires des marchandises transportées. Il est donc à tout le moins vraisemblable qu’ils soient établis dans l’EEE.
180 Il s’ensuit que, pour peu que les transitaires répercutent sur le prix de leurs lots de services l’éventuel surcoût résultant de l’entente litigieuse, c’est notamment sur la concurrence que se livrent les transitaires pour capter la clientèle de ces expéditeurs que l’infraction unique et continue, en tant qu’elle concerne les liaisons entrantes, est susceptible d’avoir une incidence et, par suite, c’est dans le marché intérieur ou au sein de l’EEE que l’effet en cause est susceptible de se matérialiser.
181 En conséquence, le surcoût dont les expéditeurs sont susceptibles d’avoir dû s’acquitter et le renchérissement des marchandises importées dans l’EEE qui peut en avoir résulté comptent parmi les effets produits par le comportement litigieux sur lesquels la Commission était fondée à s’appuyer aux fins de l’application du critère des effets qualifiés.
182 Conformément à la jurisprudence citée au point 161 ci-dessus, la question est donc de savoir si cet effet présente le caractère prévisible, substantiel et immédiat requis.
– Sur le caractère prévisible de l’effet en cause
183 L’exigence de prévisibilité vise à assurer la sécurité juridique en garantissant que les entreprises concernées ne puissent être sanctionnées du fait d’effets qui résulteraient, certes, de leur comportement, mais dont elles ne pouvaient pas raisonnablement s’attendre à ce qu’ils surviennent (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Otis Gesellschaft e.a., C‑435/18, EU:C:2019:651, point 83).
184 Satisfont ainsi à l’exigence de prévisibilité les effets dont les parties à l’entente en cause doivent raisonnablement savoir, dans les limites des choses généralement connues, qu’ils surviendront, par opposition aux effets qui procèdent d’un déroulement parfaitement inhabituel de circonstances et, de ce fait, d’un enchaînement atypique de causes (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Kone e.a., C‑557/12, EU:C:2014:45, point 42).
185 Or, il ressort des considérants 846, 909, 1199 et 1208 de la décision attaquée qu’il est, en l’espèce, question d’un comportement collusoire de fixation horizontale des prix, dont l’expérience montre qu’il entraîne notamment des hausses de prix, aboutissant à une mauvaise répartition des ressources au détriment, en particulier, des consommateurs (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 51).
186 Il ressort également des considérants 846, 909, 1199 et 1208 de la décision attaquée que ce comportement se rapportait à la STC, à la STS et au refus de paiement de commissions.
187 En l’espèce, il était donc prévisible pour les transporteurs incriminés que la fixation horizontale de la STC et de la STS entraînerait l’augmentation du niveau de celles-ci. Comme il ressort des considérants 874, 879 et 899 de la décision attaquée, le refus de paiement de commissions était de nature à renforcer une telle augmentation. Il s’analysait, en effet, en un refus concerté d’octroyer aux transitaires des ristournes sur les surtaxes et tendait ainsi à permettre aux transporteurs incriminés de « maintenir sous contrôle l’incertitude en matière de tarification que la concurrence sur le paiement de commissions [dans le cadre des négociations avec les transitaires] aurait pu créer » (considérant 874 de ladite décision) et de soustraire ainsi les surtaxes au jeu de la concurrence (considérant 879 de cette décision).
188 Or, il ressort du considérant 17 de la décision attaquée que le prix des services de fret se compose des tarifs et de surtaxes, dont la STC et la STS. Sauf à considérer qu’une augmentation de la STC et de la STS serait, par un effet de vases communicants suffisamment probable, compensée par une baisse correspondante des tarifs et d’autres surtaxes, une telle augmentation était, en principe, de nature à entraîner une augmentation du prix total des services de fret entrants.
189 Or, les requérantes sont restées en défaut de démontrer qu’un effet de vases communicants était probable au point de rendre imprévisible l’effet en cause.
190 Les requérantes se contentent, en effet, d’un vague renvoi à la « théorie économique » et d’une référence, dans le cadre de la troisième branche du cinquième moyen, à la déclaration orale d’un expert lors de l’audition devant la Commission. Or, premièrement, cette déclaration n’est pas accompagnée de l’étude sur laquelle elle se fonde, ni des données brutes sous-jacentes qui auraient pu permettre au Tribunal d’en vérifier la plausibilité. Deuxièmement, ladite déclaration se fonde sur une méthodologie qui s’accommode mal de la portée de l’infraction unique et continue telle qu’elle est définie dans la décision attaquée. La méthode « de différence en différence » sur laquelle se fonde ladite déclaration compare, en effet, l’évolution des prix facturés sur les liaisons « potentiellement affectées par les discussions et sur les liaisons dont il est su qu’elles n’ont été affectées par aucune discussion », qu’elle reste, au demeurant, en défaut d’identifier. À l’inverse, au considérant 889 de la décision attaquée, la Commission a retenu que la STC et la STS étaient des « mesures d’application générale qui n[’étaient] pas spécifiques à une liaison » et qui « avaient pour but d’être appliquées à toutes les liaisons, au niveau mondial, y compris sur les liaisons […] à destination de l’EEE ». Troisièmement, il convient de constater que ladite déclaration concerne AF et, dans une moindre mesure, KLM. Or, si la déclaration en cause conclut à l’existence d’un effet de vases communicants dans le cas d’espèce, ce n’est qu’au motif que les tarifs facturés par AF et KLM étaient suffisamment flexibles et pouvaient baisser de manière suffisamment rapide pour neutraliser toute hausse de la STC et de la STS. À l’inverse, les requérantes ont relevé que les « tarifs du fret aérien [étaient] fixés à l’avance pour au moins six mois [et que] les transporteurs compens[aient] les coûts accrus en carburant par une taxe supplémentaire (la STC) qui peut être adaptée plus rapidement, de façon à refléter les fluctuations du prix du carburant ».
191 Dans ces conditions, les parties à l’entente litigieuse auraient raisonnablement pu prévoir que l’infraction unique et continue aurait pour effet, en tant qu’elle concernait les services de fret entrants, une augmentation du prix des services de fret sur les liaisons entrantes.
192 La question est donc de savoir s’il était prévisible pour les transporteurs incriminés que les transitaires répercuteraient un tel surcoût sur leurs propres clients, à savoir les expéditeurs.
193 À cet égard, il ressort des considérants 14 et 70 de la décision attaquée que le prix des services de fret constitue un intrant pour les transitaires. Il s’agit là d’un coût variable, dont l’accroissement a, en principe, pour effet d’augmenter le coût marginal au regard duquel les transitaires définissent leurs propres prix.
194 Les requérantes n’apportent aucun élément démontrant que les circonstances de l’espèce étaient peu propices à la répercussion en aval, sur les expéditeurs, du surcoût résultant de l’infraction unique et continue sur les liaisons entrantes.
195 Dans ces conditions, il était raisonnablement prévisible pour les transporteurs incriminés que les transitaires répercuteraient un tel surcoût sur les expéditeurs par le truchement d’une augmentation du prix des services de transit.
196 Or, comme il ressort des considérants 70 et 1031 de la décision attaquée, le coût des marchandises dont les transitaires organisent généralement le transport intégré au nom des expéditeurs intègre le prix des services de transit et notamment celui des services de fret, qui en sont un élément constitutif.
197 Au regard de ce qui précède, il était donc prévisible pour les transporteurs incriminés que l’infraction unique et continue aurait pour effet, en tant qu’elle portait sur les liaisons entrantes, une augmentation du prix des marchandises importées.
198 Pour les motifs retenus au point 179 ci-dessus, il était tout aussi prévisible pour les transporteurs incriminés que, comme il ressort du considérant 1045 de la décision attaquée, cet effet se produise dans l’EEE.
199 L’effet en cause ayant relevé du cours normal des choses et de la rationalité économique, il n’était, au demeurant, nullement nécessaire pour elles d’opérer sur le marché de l’importation de marchandises ou de leur revente en aval pour pouvoir le prévoir.
200 Il y a donc lieu de conclure que la Commission a établi à suffisance que l’effet en cause revêtait le caractère prévisible requis.
– Sur le caractère substantiel de l’effet en cause
201 L’appréciation du caractère substantiel des effets produits par le comportement litigieux doit s’effectuer au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes de l’espèce. Parmi ces circonstances figurent notamment la durée, la nature et la portée de l’infraction. D’autres circonstances, telles que l’importance des entreprises ayant participé à ce comportement, peuvent aussi être pertinentes (voir, en ce sens, arrêts du 9 septembre 2015, Toshiba/Commission, T‑104/13, EU:T:2015:610, point 159, et du 12 juillet 2018, Brugg Kabel et Kabelwerke Brugg/Commission, T‑441/14, EU:T:2018:453, point 112).
202 Lorsque l’effet examiné tient à une augmentation du prix d’un bien ou d’un service fini dérivé du service cartellisé ou qui le contient, la proportion du prix du bien ou du service fini que représente le service cartellisé peut également entrer en ligne de compte.
203 En l’espèce, au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes, il convient de considérer que l’effet en cause, tenant à l’accroissement du prix des marchandises importées dans l’EEE, présente un caractère substantiel.
204 En effet, en premier lieu, il ressort du considérant 1146 de la décision attaquée que la durée de l’infraction unique et continue s’élève à 21 mois pour autant qu’elle concernait les liaisons Union-pays tiers et à 8 mois pour autant qu’elle concernait les liaisons EEE sauf Union-pays tiers. Il ressort des considérants 1215 et 1217 de cette décision que telle était aussi la durée de la participation de l’ensemble des transporteurs incriminés, à l’exception de Lufthansa Cargo et de Swiss.
205 En deuxième lieu, s’agissant de la portée de l’infraction, il ressort du considérant 889 de la décision attaquée que la STC et la STS étaient des « mesures d’application générale qui n[’étaient] pas spécifiques à une liaison » et qui « avaient pour but d’être appliquées à toutes les liaisons, au niveau mondial, y compris sur les liaisons […] à destination de l’EEE ».
206 En troisième lieu, s’agissant de la nature de l’infraction, il ressort du considérant 1030 de la décision attaquée que l’infraction unique et continue avait pour objet de restreindre la concurrence entre les transporteurs incriminés, notamment sur des liaisons EEE-pays tiers. Au considérant 1208 de ladite décision, la Commission a conclu que la « fixation de divers éléments du prix, y compris certaines surtaxes, constitu[ait] l’une des restrictions à la concurrence les plus graves » et a, en conséquence, retenu que l’infraction unique et continue méritait l’application d’un coefficient de gravité situé « en haut de l’échelle » prévue par les lignes directrices de 2006.
207 À titre surabondant, s’agissant de la proportion du prix du service cartellisé dans le bien ou le service qui en est dérivé ou le contient, il convient d’observer que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, les surtaxes représentaient pendant la période infractionnelle une proportion importante du prix total des services de fret.
208 Il ressort ainsi d’une lettre du 8 juillet 2005 de la Hong Kong Association of Freight Forwarding & Logistics (Association de Hong Kong du transit et de la logistique) au président du sous-comité cargo (ci-après le « SCC ») du Board of Airline Representatives (Association des représentants des compagnies aériennes, ci-après le « BAR ») à Hong Kong que les surtaxes représentent une « part très conséquente » du prix total des lettres de transport aérien dont devaient s’acquitter les transitaires. De même, dans leurs écritures devant le Tribunal, les requérantes ont indiqué que les surtaxes représentaient entre 5 et 30 % du prix des services de fret. Comme il ressort des tableaux et du graphique présentés à l’annexe A.109 de la requête, cette proportion a atteint son niveau le plus élevé au cours de la période pendant laquelle la Commission a constaté une violation des articles 101 TFUE et 53 de l’accord EEE sur les liaisons entrantes, à savoir 21,7 % en 2004 et 29,8 % en 2005.
209 Or, comme il ressort du considérant 1031 de la décision attaquée, le prix des services de fret constituait lui-même un « élément important du coût des marchandises transportées, qui a un impact sur leur vente ».
210 Toujours à titre surabondant, s’agissant de l’importance des entreprises ayant participé au comportement litigieux, il ressort du considérant 1209 de la décision attaquée que la part de marché cumulée des transporteurs incriminés sur le « marché mondial » s’élevait à 34 % en 2005 et était « au moins aussi grande pour les services de fret […] fournis […] sur des liaisons [EEE-pays tiers] », lesquelles comprennent à la fois les liaisons sortantes et les liaisons entrantes. Les requérantes elles-mêmes réalisaient d’ailleurs pendant la période infractionnelle un chiffre d’affaires important sur les liaisons entrantes, d’un montant de plus de 119 000 000 euros en 2005.
211 Les requérantes n’avancent aucun argument qui soit susceptible de jeter le doute quant au caractère substantiel de l’effet envisagé.
212 Premièrement, l’argument des requérantes tiré de la théorie des vases communicants a déjà été rejeté aux points 188 et 190 ci-dessus.
213 Deuxièmement, s’agissant de l’argument des requérantes selon lequel les transporteurs incriminés ont fixé la STC et la STS sur les liaisons au départ de Hong Kong, de la Thaïlande, du Japon et des États-Unis à un niveau infraconcurrentiel, de manière à améliorer plutôt qu’à restreindre la compétitivité des produits importés dans l’EEE, il convient de rappeler qu’il incombe en principe à la personne qui allègue des faits au soutien d’une demande d’apporter la preuve de leur réalité [ordonnance du 25 janvier 2008, Provincia di Ascoli Piceno et Comune di Monte Urano/Apache Footwear e.a., C‑464/07 P(I), non publiée, EU:C:2008:49, point 9 ; voir également, en ce sens, arrêt du 6 mars 2001, Connolly/Commission, C‑274/99 P, EU:C:2001:127, point 113].
214 Or, les requérantes sont restées en défaut d’apporter le moindre élément de preuve tendant à démontrer que les transporteurs incriminés avaient fixé à un niveau infraconcurrentiel la STC et la STS sur les liaisons au départ de Hong Kong, de la Thaïlande et du Japon. Pour ce qui est des liaisons au départ des États-Unis, les requérantes se contentent de soutenir que les contacts auxquels elles ont participé « ont maintenu un taux de conversion de 1:1 entre l’euro et le dollar américain pour la STC, ce qui a eu pour conséquence une réduction de 17 %, compte tenu de la dépréciation du dollar par rapport à l’euro ». Toutefois, les requérantes ne démontrent aucunement que le niveau de STC qui en a résulté était infraconcurrentiel.
215 Il ne saurait donc être considéré qu’il était probable que les transporteurs incriminés fixent la STC et la STS sur les liaisons au départ de Hong Kong, de la Thaïlande, du Japon et des États-Unis à un niveau infraconcurrentiel, de manière à améliorer plutôt qu’à restreindre la compétitivité des produits importés dans l’EEE.
216 Il y a donc lieu de conclure que la Commission a établi à suffisance que l’effet en cause présentait le caractère substantiel requis.
– Sur le caractère immédiat de l’effet en cause
217 L’exigence d’immédiateté des effets produits par le comportement litigieux vise le lien de causalité entre le comportement en cause et l’effet examiné. Cette exigence a pour objet d’assurer que la Commission ne puisse, pour justifier sa compétence pour constater et sanctionner une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE, se prévaloir de tous les effets possibles, ni des effets très éloignés qui pourraient résulter de ce comportement à titre de conditio sine qua non (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Kone e.a., C‑557/12, EU:C:2014:45, points 33 et 34).
218 La causalité immédiate ne saurait toutefois se confondre avec une causalité unique qui exigerait de constater de manière systématique et absolue la rupture du lien de causalité lorsqu’un tiers a contribué à la survenance des effets en cause (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Kone e.a., C‑557/12, EU:C:2014:45, points 36 et 37).
219 En l’espèce, l’intervention des transitaires, dont il était prévisible que, en toute autonomie, ils répercuteraient sur les expéditeurs le surcoût dont ils avaient dû s’acquitter, est, certes, de nature à avoir contribué à la survenance de l’effet en cause. Toutefois, cette intervention n’était pas, à elle seule, de nature à rompre la chaîne de causalité entre le comportement litigieux et ledit effet et, ainsi, à le priver de son caractère immédiat.
220 Au contraire, lorsqu’elle n’est pas fautive, mais découle objectivement de l’entente en cause, selon le fonctionnement normal du marché, une telle intervention ne rompt pas la chaîne de causalité (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2005, CD Cartondruck/Conseil et Commission, T‑320/00, non publié, EU:T:2005:452, points 172 à 182), mais la poursuit (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Kone e.a., C‑557/12, EU:C:2014:45, point 37).
221 Or, en l’espèce, les requérantes n’établissent, ni même n’allèguent que la prévisible répercussion du surcoût sur les expéditeurs implantés dans l’EEE serait fautive ou étrangère au fonctionnement normal du marché.
222 Il s’ensuit que l’effet en cause présente le caractère immédiat requis.
223 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument des requérantes, invoqué lors de l’audience, selon lequel, pour affecter les « consommateurs au sein de l’EEE », auxquels la Commission fait référence au considérant 1045 de la décision attaquée, ce surcoût devait passer par une « longue chaîne d’intermédiaires », dont les expéditeurs, les transitaires et les importateurs. Cet argument procède, en effet, de deux prémisses erronées.
224 La première des prémisses en cause est que les « consommateurs au sein de l’EEE » visés au considérant 1045 de la décision attaquée sont les consommateurs finals, c’est-à-dire des personnes physiques agissant à des fins étrangères à leur activité professionnelle ou commerciale. La notion de consommateur en droit de la concurrence ne vise pas les seuls consommateurs finals, mais l’ensemble des utilisateurs, directs ou indirects, des produits ou des services ayant fait l’objet du comportement litigieux (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire MasterCard e.a./Commission, C‑382/12 P, EU:C:2014:42, point 156).
225 Il ressort du considérant 70 de la décision attaquée, dont les requérantes n’ont pas utilement contesté le bien-fondé, que les « expéditeurs peuvent être les acheteurs ou les vendeurs de marchandises faisant l’objet d’échanges commerciaux ou les propriétaires de marchandises qui doivent être acheminées rapidement sur des distances relativement longues ». Dans ses écritures, la Commission a précisé que ces marchandises pouvaient être importées pour leur consommation directe ou en tant qu’intrants pour la production d’autres produits. Or, s’agissant de services de fret entrants, ces expéditeurs peuvent, comme le relève à juste titre la Commission, être implantés dans l’EEE. Il y a donc lieu d’interpréter la référence aux « consommateurs au sein de l’EEE » figurant au considérant 1045 de la décision attaquée en ce sens qu’elle inclut des expéditeurs.
226 La seconde des prémisses en cause est que, quand bien même la référence aux « consommateurs au sein de l’EEE » au considérant 1045 de la décision attaquée n’engloberait que les consommateurs finals, ces derniers ne pourraient acquérir les marchandises importées qu’au terme de l’intervention d’une « longue chaîne d’intermédiaires ». Or, les consommateurs finals sont également susceptibles d’acquérir ces marchandises directement auprès de l’expéditeur.
227 Il résulte de ce qui précède que l’effet en cause présente le caractère prévisible, substantiel et immédiat requis et que le premier motif sur lequel la Commission s’est appuyée pour conclure que le critère des effets qualifiés était satisfait est fondé. Il y a donc lieu de constater que la Commission pouvait, sans commettre d’erreur, retenir que ledit critère était satisfait s’agissant de la coordination relative aux services de fret entrants prise isolément, sans qu’il soit besoin d’examiner le bien-fondé du second motif retenu au considérant 1045 de la décision attaquée.
ii) Sur les effets de l’infraction unique et continue prise dans son ensemble
228 Il convient d’emblée de rappeler que, contrairement à ce que laissent entendre les requérantes dans la réplique, rien n’interdit d’apprécier si la Commission dispose de la compétence nécessaire pour appliquer, dans chaque cas, le droit de la concurrence de l’Union au regard du comportement de l’entreprise ou des entreprises en cause, pris dans son ensemble (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 50).
229 Selon la jurisprudence, l’article 101 TFUE est susceptible de s’appliquer à des pratiques et à des accords servant un même objectif anticoncurrentiel, dès lors qu’il est prévisible que, pris ensemble, ils auront des effets immédiats et substantiels dans le marché intérieur. Il ne saurait en effet être permis aux entreprises de se soustraire à l’application des règles de concurrence de l’Union en combinant plusieurs comportements poursuivant un objectif identique, dont chacun, pris isolément, n’est pas susceptible de produire un effet immédiat et substantiel dans ledit marché, mais qui, pris ensemble, sont susceptibles de produire un tel effet (arrêt du 12 juillet 2018, Brugg Kabel et Kabelwerke Brugg/Commission, T‑441/14, EU:T:2018:453, point 106).
230 La Commission peut ainsi fonder sa compétence pour appliquer l’article 101 TFUE à une infraction unique et continue telle qu’elle a été constatée dans la décision litigieuse sur les effets prévisibles, immédiats et substantiels de celle-ci dans le marché intérieur (arrêt du 12 juillet 2018, Brugg Kabel et Kabelwerke Brugg/Commission, T‑441/14, EU:T:2018:453, point 105).
231 Ces considérations valent, mutatis mutandis, pour l’article 53 de l’accord EEE.
232 Or, au considérant 869 de la décision attaquée, la Commission a qualifié le comportement litigieux d’infraction unique et continue, y compris en tant qu’il concernait les services de fret entrants. Dans la mesure où les requérantes contestent cette qualification en général et le constat de l’existence d’un objectif anticoncurrentiel unique tendant à entraver la concurrence au sein de l’EEE sur laquelle elle se fonde, leurs arguments seront examinés dans le cadre du troisième moyen, qui se rapporte à cette question.
233 Au considérant 1046 de la décision attaquée, la Commission a, comme il ressort de ses réponses aux questions écrites et orales du Tribunal, examiné les effets de cette infraction prise dans son ensemble. Elle a ainsi notamment retenu que son enquête avait révélé une « entente mise en œuvre mondialement », dont les « arrangements […] concernant les liaisons entrantes faisaient partie intégrante de l’infraction unique et continue à l’article 101 du TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE ». Elle a ajouté que l’« application uniforme des surtaxes à une échelle mondiale était un élément clé de l’entente [litigieuse] ». Comme l’a indiqué la Commission en réponse aux questions écrites du Tribunal, l’application uniforme des surtaxes s’intégrait dans une stratégie d’ensemble visant à neutraliser le risque que les transitaires puissent contourner les effets de cette entente en optant pour des liaisons indirectes qui ne seraient pas assujetties à des surtaxes coordonnées pour acheminer des marchandises du point d’origine au point de destination. La raison en est, comme il ressort du considérant 72 de la décision attaquée, que le « facteur temps est moins important pour le transport de [fret] que pour le transport de passagers », si bien que le fret « peut être acheminé avec un nombre d’escales plus élevé » et que les liaisons indirectes peuvent, en conséquence, se substituer aux liaisons directes.
234 Dans ces conditions, c’est à juste titre que la Commission fait valoir que lui interdire d’appliquer le critère des effets qualifiés au comportement litigieux pris dans son ensemble risquerait de conduire à une fragmentation artificielle d’un comportement anticoncurrentiel global, susceptible d’affecter la structure du marché au sein de l’EEE, en une série de comportements distincts susceptibles d’échapper, en tout ou en partie, à la compétence de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 57).Il y a donc lieu de considérer que la Commission pouvait, au considérant 1046 de la décision attaquée, examiner les effets de l’infraction unique et continue prise dans son ensemble.
235 Or, s’agissant d’accords et de pratiques, premièrement, qui avaient pour objet de restreindre la concurrence au moins au sein de l’Union, dans l’EEE et en Suisse (considérant 903 de cette décision), deuxièmement, qui réunissaient des transporteurs aux parts de marchés importantes (considérant 1209 de ladite décision) et, troisièmement, dont une partie significative a porté sur des liaisons intra-EEE pendant une période de plus de six ans (considérant 1146 de la même décision), il ne fait guère de doute qu’il était prévisible que, prise dans son ensemble, l’infraction unique et continue produise des effets immédiats et substantiels dans le marché intérieur ou au sein de l’EEE.
236 Il s’ensuit que la Commission était également fondée à retenir, au considérant 1046 de la décision attaquée, que le critère des effets qualifiés était satisfait s’agissant de l’infraction unique et continue prise dans son ensemble.
237 La Commission ayant ainsi établi à suffisance qu’il était prévisible que le comportement litigieux produirait un effet substantiel et immédiat dans l’EEE, il convient de rejeter le présent grief et, en conséquence, la présente branche dans son ensemble, sans qu’il soit besoin d’examiner le grief pris d’erreurs dans l’application du critère de la mise en œuvre.
b) Sur la seconde branche du deuxième moyen, relative aux liaisons EEE sauf Union-Suisse
238 Les requérantes font valoir que l’article 11, paragraphe 2, de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien réserve aux autorités suisses la compétence pour constater et sanctionner une violation des règles de concurrence sur les liaisons EEE sauf Union-Suisse.
239 Or, à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée, la Commission aurait constaté une violation de l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons EEE sauf Union-pays tiers. N’étant pas partie à l’accord EEE, la Confédération suisse serait nécessairement un « pays tiers » au sens de cet article. L’article 1er, paragraphe 3, du dispositif de la décision attaquée serait donc entaché d’une illégalité consistant en une violation de l’article 11, paragraphe 2, de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien.
240 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
241 Il y a lieu de déterminer si, comme le soutiennent les requérantes, la Commission a constaté une violation de l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons EEE sauf Union-Suisse à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée et, le cas échéant, si elle a ainsi outrepassé les limites de la compétence dont elle est investie au titre de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien.
242 À cet égard, il convient de rappeler que le principe de protection juridictionnelle effective est un principe général du droit de l’Union aujourd’hui exprimé à l’article 47 de la Charte. Ce principe, qui correspond, dans le droit de l’Union, à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, exige que le dispositif d’une décision par laquelle la Commission constate des violations aux règles de concurrence soit particulièrement clair et précis et que les entreprises tenues pour responsables et sanctionnées soient en mesure de comprendre et de contester l’attribution de cette responsabilité et l’imposition de ces sanctions, telles qu’elles ressortent des termes dudit dispositif (voir arrêt du 16 décembre 2015, Martinair Holland/Commission, T‑67/11, EU:T:2015:984, point 31 et jurisprudence citée).
243 C’est, en effet, par le dispositif de ses décisions que la Commission indique la nature et l’étendue des infractions qu’elle sanctionne. S’agissant précisément de la portée et de la nature des infractions sanctionnées, c’est ainsi en principe le dispositif, et non les motifs, qui importe. C’est uniquement dans le cas d’un manque de clarté des termes utilisés dans le dispositif qu’il convient de l’interpréter en ayant recours aux motifs de la décision (voir arrêt du 16 décembre 2015, Martinair Holland/Commission, T‑67/11, EU:T:2015:984, point 32 et jurisprudence citée).
244 À l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée, la Commission a constaté que SAS et SAS Cargo avaient « enfreint l’article 53 de l’accord EEE en ce qui concerne les liaisons entre aéroports situés dans des pays qui sont des parties contractantes à l’accord EEE, mais ne sont pas des États membres, et des aéroports situés dans des pays tiers » du 19 mai 2005 au 14 février 2006. Elle n’a pas expressément inclus dans ces liaisons les liaisons EEE sauf Union-Suisse, ni ne les en a expressément exclues.
245 Il convient donc de vérifier si la Confédération suisse relève des « pays tiers » visés à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée.
246 À cet égard, il convient d’observer que l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée distingue les « pays qui sont des parties contractantes à l’accord EEE, mais ne sont pas des États membres » et les pays tiers. Il est vrai que, comme le relèvent les requérantes, la Confédération suisse n’est pas partie à l’accord EEE et compte donc parmi les pays tiers à celui-ci.
247 Il convient, cependant, de rappeler que, compte tenu des exigences d’unité et de cohérence de l’ordre juridique de l’Union, les mêmes termes employés dans un même acte doivent être présumés avoir la même signification.
248 Or, à l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée, la Commission a retenu une infraction à l’article 101 TFUE sur les « liaisons entre des aéroports situés à l’intérieur de l’Union européenne et des aéroports situés en dehors de l’EEE ». Cette notion n’inclut pas les aéroports situés en Suisse, alors même que la Confédération suisse n’est pas partie à l’accord EEE et que ses aéroports doivent dès lors formellement être considérés comme étant « situés en dehors de l’EEE » ou, autrement dit, dans un pays tiers à cet accord. Ces aéroports font l’objet de l’article 1er, paragraphe 4, de la décision attaquée, qui retient une infraction à l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien sur les « liaisons entre des aéroports situés à l’intérieur de l’Union européenne et des aéroports situés en Suisse ».
249 Conformément au principe rappelé au point 247 ci-dessus, il doit donc être présumé que les termes « aéroports situés dans des pays tiers » employés à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée ont la même signification que les termes « aéroports situés en dehors de l’EEE » employés au paragraphe 2 de cet article et excluent, par suite, les aéroports situés en Suisse.
250 En l’absence de la moindre indication dans le dispositif de la décision attaquée que la Commission aurait entendu donner une signification différente à la notion de « pays tiers » visée à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée, il convient de conclure que la notion de « pays tiers » visée à son article 1er, paragraphe 3, exclut la Confédération suisse.
251 Il ne saurait donc être considéré que la Commission a tenu les requérantes pour responsables d’une infraction à l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons EEE sauf Union-Suisse à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée.
252 Le dispositif de la décision attaquée ne prêtant pas au doute, c’est donc uniquement à titre surabondant que le Tribunal ajoute que ses motifs ne contredisent pas cette conclusion.
253 Au considérant 1146 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que les « arrangements anticoncurrentiels » qu’elle avait décrits enfreignaient l’article 101 TFUE du 1er mai 2004 au 14 février 2006 « en ce qui concerne le transport aérien entre des aéroports au sein de l’U[nion] et des aéroports situés en dehors de l’EEE ». Dans la note en bas de page afférente (no 1514), la Commission a précisé ce qui suit : « Aux fins de la présente décision, les “aéroports situés en dehors de l’EEE” désignent les aéroports situés dans des pays autres que la [Confédération s]uisse et les parties contractantes à l’accord EEE ».
254 Il est vrai que, lorsqu’elle a décrit la portée de l’infraction à l’article 53 de l’accord EEE au considérant 1146 de la décision attaquée, la Commission n’a pas fait référence à la notion d’« aéroports situés en dehors de l’EEE », mais à celle d’« aéroports situés dans les pays tiers ». Il ne saurait cependant en être déduit que la Commission a entendu donner une signification différente à la notion d’« aéroports situés en dehors de l’EEE » aux fins de l’application de l’article 101 TFUE et à celle d’« aéroports situés dans des pays tiers » aux fins de l’application de l’article 53 de l’accord EEE. Au contraire, la Commission a utilisé ces deux expressions de manière interchangeable dans la décision attaquée. Ainsi, au considérant 824 de la décision attaquée, la Commission a indiqué qu’elle « n’appliquera[it] pas l’article 101 du TFUE aux accords et pratiques anticoncurrentiels concernant le transport aérien entre les aéroports de l’U[nion] et les aéroports de pays tiers qui ont eu lieu avant le 1er mai 2004 ». De même, au considérant 1222 de cette décision, s’agissant de la cessation de la participation de SAS Consortium à l’infraction unique et continue, la Commission a fait référence à sa compétence au titre de ces dispositions « pour les liaisons entre l’U[nion] et les pays tiers ainsi que les liaisons entre l’Islande, la Norvège et le Liechtenstein et les pays situés en dehors de l’EEE ».
255 Les motifs de la décision attaquée confirment donc que les notions d’« aéroports situés dans des pays tiers » et d’« aéroports situés en dehors de l’EEE » ont la même signification. Conformément à la clause de définition figurant à la note en bas de page no 1514, il convient dès lors de considérer que toutes deux excluent les aéroports situés en Suisse.
256 Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, les considérants 1194 et 1241 de la décision attaquée ne plaident pas pour une autre solution. Certes, au considérant 1194 de cette décision, la Commission a fait référence aux « liaisons entre l’EEE et les pays tiers, à l’exception des liaisons entre l’U[nion] et la Suisse ». De même, au considérant 1241 de cette décision, dans le cadre de la « détermination de la valeur des ventes sur les liaisons avec les pays tiers », la Commission a réduit de 50 % le montant de base pour les « liaisons EEE-pays tiers, à l’exception des liaisons entre l’U[nion] et la Suisse, pour lesquelles [elle] agit sous l’accord [CE-Suisse sur le transport aérien] ». Or, il pourrait être considéré que, comme le relèvent en substance les requérantes, si la Commission a pris le soin d’insérer dans ces considérants la mention « à l’exception des liaisons entre l’Union et la Suisse », c’est qu’elle considérait que la Confédération suisse relevait de la notion de « pays tiers » pour autant qu’il était question des liaisons EEE-pays tiers.
257 La Commission a d’ailleurs admis qu’elle avait inclus dans la valeur des ventes un montant de 262 084 euros au titre de ventes de services de fret que les requérantes avaient réalisées en 2005 sur les liaisons EEE sauf Union-Suisse. Selon elle, la raison en est qu’elle n’a « malheureusement » pas exclu ce montant des chiffres que lui ont fournis les requérantes.
258 Il y a néanmoins lieu de constater, à l’instar de la Commission, que ces éléments concernent exclusivement les recettes à prendre en compte aux fins du calcul du montant de base de l’amende, et non la définition du périmètre géographique de l’infraction unique et continue, dont il est question ici.
259 La seconde branche et, par suite, le présent moyen doivent donc être écartés.
3. Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur d’appréciation des comportements dans lesquels les requérantes étaient impliquées et de ce que ceux-ci prouvent leur participation à l’infraction unique et continue ou leur connaissance de celle-ci
260 Le présent moyen est tiré d’erreurs et d’un manque de rigueur dans l’appréciation des comportements dans lesquels les requérantes auraient été impliquées. Ce moyen s’articule en dix branches, prises, la première, d’erreurs dans l’appréciation du caractère mondial de l’infraction unique et continue, la deuxième, d’erreurs dans l’appréciation des comportements relevant de l’alliance bilatérale avec Lufthansa, la troisième, d’erreurs dans l’appréciation de l’échange de courriels de décembre 1999 dans le cadre de l’alliance Star Cargo, la quatrième, d’erreurs dans l’appréciation des comportements relevant de l’alliance WOW, la cinquième, d’erreurs tenant à l’inclusion dans l’infraction unique et continue d’accords de réservation de capacités, la sixième, d’erreurs dans l’appréciation de contacts intervenus dans des pays tiers, la septième, d’erreurs dans l’appréciation des spéculations d’autres transporteurs quant au comportement des requérantes, la huitième, d’erreurs tenant à l’inclusion dans l’infraction unique et continue d’événements locaux et disparates intervenus dans quelques pays, la neuvième, d’erreurs dans l’appréciation de la connaissance qu’avaient les requérantes du comportement des autres transporteurs incriminés et, la dixième, d’erreurs dans l’appréciation globale du faisceau d’indices invoqué par la Commission.
261 En l’espèce, le Tribunal estime qu’il est opportun d’examiner, d’abord, les première à quatrième branches du présent moyen, ensuite, la huitième branche du présent moyen et, enfin, les cinquième, sixième, septième, neuvième et dixième branches du présent moyen.
a) Sur la première branche, prise de plusieurs illégalités dans l’établissement d’une infraction unique et continue de portée mondiale
262 Dans le cadre de la présente branche, les requérantes font valoir que la Commission a commis plusieurs illégalités dans l’établissement de l’infraction unique et continue de portée mondiale. Elles soulèvent trois griefs au soutien de cette branche. Ces griefs sont déduits, le premier, d’une violation de l’obligation de motivation et de constatations erronées s’agissant du caractère mondial de l’infraction unique et continue, le deuxième, de constatations erronées s’agissant du caractère unique de l’infraction en cause, en dehors du « noyau » ou « groupe restreint » de l’entente litigieuse, et, le troisième, de constatations erronées s’agissant du caractère continu de l’infraction.
1) Sur le premier grief, déduit d’une violation de l’obligation de motivation et de constatations erronées s’agissant du caractère mondial de l’infraction unique et continue
263 Les requérantes font valoir que la Commission a commis une erreur en concluant que les pratiques décrites au point 4 de la décision attaquée ont une portée mondiale.
264 Tout d’abord, la conclusion figurant à l’article 1er de la décision attaquée, selon laquelle les pratiques en cause relèveraient d’une infraction mondiale, serait inconciliable avec le fait que la Commission a admis que certains pays ne sont pas couverts par ladite infraction, violant ainsi l’article 296 TFUE.
265 Ensuite, le simple fait que la STC et la STS sont des composantes habituelles du prix en matière de fret ne signifierait pas que le comportement en cause a affecté ces surtaxes dans tous les pays sans exception. La Commission ne saurait déduire d’un comportement affectant un nombre restreint de liaisons l’existence d’une entente mondiale sans disposer d’indices de comportements affectant toutes les autres liaisons. À cet égard, les requérantes critiquent la conclusion figurant au considérant 889 de la décision attaquée, selon laquelle les surtaxes sont des mesures d’application générale qui ne sont pas spécifiques à une liaison.
266 Enfin, contrairement à ce qui ressortirait du considérant 890 de la décision attaquée, le simple fait que des transporteurs aient pu conclure avec d’autres transporteurs des accords en matière de capacités, étendant leur réseau au-delà des liaisons qu’ils desservent eux-mêmes, ne prouverait pas qu’ils ont pris part à des comportements illicites sur toutes les liaisons dans le monde entier et, notamment, dans de nombreux pays qui ne sont pas des États membres.
267 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
268 En l’espèce, il y a d’emblée lieu d’observer que, contrairement à ce que prétendent les requérantes, la Commission n’a pas conclu, dans le dispositif de la décision attaquée, à l’existence d’une infraction de dimension mondiale. La référence à la coordination du comportement des transporteurs incriminés « en matière de tarification pour la fourniture de services de fret […] dans le monde entier » dans le paragraphe introductif de l’article 1er de cette décision n’est qu’un constat de faits que la Commission a qualifiés aux paragraphes 1 à 4 du même article d’infraction aux règles de concurrence applicables sur les liaisons dont elle a estimé qu’elles relevaient, aux périodes en cause, de sa compétence, à savoir, les liaisons intra-EEE entre le 7 décembre 1999 et le 14 février 2006 (paragraphe 1), les liaisons Union-pays tiers entre le 1er mai 2004 et le 14 février 2006 (paragraphe 2), les liaisons EEE sauf Union-pays tiers entre le 19 mai 2005 et le 14 février 2006 (paragraphe 3) et les liaisons Union-Suisse entre le 1er juin 2002 et le 14 février 2006 (paragraphe 4).
269 Le dispositif de la décision attaquée ne prêtant pas au doute, c’est donc uniquement à titre surabondant que le Tribunal ajoute que les motifs de la décision attaquée confortent cette conclusion. Ces motifs font ainsi référence, d’une part, à une infraction aux règles de concurrence applicables dont la portée géographique est limitée à des types de liaisons déterminés (considérants 1146 et 1187) et, d’autre part, à une « entente mondiale » (considérants 74, 112, 832 et 1300), de « caractère mondial » (considérant 887) ou « mise en œuvre mondialement » (considérant 1046).
270 Le considérant 1210 de la décision attaquée déroge, il est vrai, à la règle, en ce qu’il fait référence à « la portée géographique de l’infraction [qui] était mondiale ». Il y a cependant lieu de constater que le contexte dans lequel s’inscrit cette référence isolée à une infraction mondiale tend à démontrer qu’il s’agit d’une simple erreur de plume et qu’il faut lire « la portée géographique de l’entente [litigieuse] était mondiale ». En effet, ladite référence est suivie des phrases suivantes :
« Aux fins de déterminer la gravité de l’infraction, cela signifie que l’entente [litigieuse] couvrait l’ensemble de l’EEE et la Suisse. Cela inclut les services de fret […] sur les liaisons dans les deux directions entre des aéroports situés dans l’EEE, entre des aéroports situés dans l’Union et des aéroports situés en dehors de l’EEE, entre des aéroports situés dans l’Union et des aéroports situés en Suisse et entre des aéroports situés sur le territoire de parties contractantes à l’EEE qui ne sont pas des États membres et des aéroports situés dans des pays tiers. »
271 En conséquence, loin d’être contradictoire avec la motivation de la décision attaquée, le constat tenant à l’existence d’une coordination tarifaire pour la fourniture de services de fret dans le monde entier reflète la position exprimée par la Commission, tout au long de la décision attaquée, sur la portée géographique de l’entente litigieuse.
272 Les arguments des requérantes ne sauraient remettre en cause cette conclusion.
273 D’une part, dans la mesure où elles s’appuient non pas sur le contenu de la décision attaquée, mais sur les différences constatées entre celle-ci et la communication des griefs pour en déduire que certains pays ne seraient pas couverts par l’infraction unique et continue, il convient de rappeler que la Commission n’est pas tenue d’expliquer les différences éventuelles existant entre ses appréciations définitives et ses appréciations provisoires contenues dans la communication des griefs (arrêt du 27 février 2014, InnoLux/Commission, T‑91/11, EU:T:2014:92, point 96). Dans ces conditions, le silence de la Commission à l’égard de telles différences dans la décision attaquée ne saurait être interprété comme un renoncement implicite à caractériser l’entente litigieuse de mondiale. Quant à la circonstance que certains pays n’ont été mentionnés ni dans la communication des griefs ni dans la décision attaquée, elle ne contredit pas le constat, dans les motifs de la décision attaquée, du caractère mondial de l’entente litigieuse. En effet, dès lors qu’elle faisait référence, dans la décision attaquée, au caractère mondial de l’entente litigieuse, la Commission a pu faire l’économie d’une mention expresse de chaque pays concerné, sans que cette omission soit de nature à nuire à la compréhension des motifs de ladite décision.
274 D’autre part, les requérantes se prévalent du considérant 1375 de la décision attaquée, dans lequel la Commission a constaté qu’étaient dépourvues de valeur ajoutée significative les dépositions d’un autre transporteur incriminé dans le cadre de la procédure de clémence, au motif qu’elles concernaient des événements qui se sont déroulés à Dubaï (Émirats arabes unis) et qui ne font pas partie de la présente décision.
275 Les appréciations en cause figurent au point 8.6 de la décision attaquée, relatif à l’application de la procédure de clémence, et sont sous-jacentes à la détermination du taux de réduction du montant de base de l’amende qu’il convenait d’octroyer, selon la Commission, au bénéfice d’un transporteur incriminé.
276 À supposer même qu’il faille comprendre ces appréciations, à l’instar des requérantes, comme concluant que les comportements intervenus à Dubaï et mentionnés dans la communication des griefs ne relèvent pas de l’entente litigieuse, cela n’est pas, en tant que tel, contradictoire avec le constat d’une entente de portée mondiale.
277 En effet, la Commission a indiqué, au considérant 889 de la décision attaquée, que les surtaxes étaient des « mesures d’application générale », qui « avaient pour but d’être appliquées sur toutes les liaisons, au niveau mondial », et qu’il en était de même du refus de paiement de commissions, qui revêtait également « un caractère général ». Elle a précisé que la mise en œuvre des surtaxes s’opérait dans le cadre d’un système à plusieurs niveaux, central et local, décrit aux considérants 107, 1046 et 1300 de la décision attaquée. Or, dans ces conditions, l’exclusion du champ de l’entente litigieuse d’un comportement local ne contredit pas sa vocation mondiale.
278 Au regard de ce qui précède, il y a lieu d’exclure l’existence d’une violation de l’obligation de motivation découlant de prétendues incohérences internes affectant la décision attaquée.
279 En deuxième lieu, s’agissant de l’applicabilité générale des surtaxes et du refus de paiement de commissions, il convient d’observer que la Commission a fait état dans la décision attaquée de multiples éléments de preuve mentionnés, dont les requérantes restent, dans la présente branche, en défaut d’expliquer en quoi ils seraient insuffisamment probants.
280 Or, ces éléments de preuve, dont plusieurs sont cités à titre d’exemple à la note en bas de page no 1323 de la décision attaquée, étayent à suffisance la conclusion de la Commission tenant à l’applicabilité générale des surtaxes, « à toutes les liaisons, au niveau mondial ». Ainsi, s’agissant de la STC, il convient notamment de relever que le considérant 140 de la décision attaquée fait référence à un courriel interne de Swiss, dans lequel il est indiqué qu’AF « prélèvera, au niveau mondial, une [STC] de 0,10 EUR/0,10 USD par kg », que KLM « fera exactement la même chose » et que Lufthansa « va dans le même sens, mais n’a pas encore confirmé ce point à l’heure actuelle ». Aussi, au considérant 162 de cette décision, il est fait état d’un échange de courriels entre Lufthansa et Japan Airlines du 27 septembre 2000, dans lequel il est indiqué que Lufthansa Cargo compte appliquer un certain montant de STC « au niveau mondial », tandis que, au considérant 210 de cette décision, il est renvoyé à la déclaration de clémence de Martinair, selon laquelle cette dernière a eu des échanges avec plusieurs transporteurs sur la mise en œuvre d’une STC mondiale.
281 De même, dans la note en bas de page no 1323 de la décision attaquée, il est fait état d’annonces d’augmentation ou de diminution de la STC ou de la STS qui « faisaient référence à une application mondiale de ces surtaxes qui ne se limitait pas à une liaison spécifique ».
282 S’agissant de la STS, il convient de constater que, au considérant 608 de la décision attaquée, la Commission a mentionné un courriel dans lequel British Airways explique à Lufthansa vouloir introduire une « taxe de manutention exceptionnelle » dans le monde entier. Aussi, au considérant 666 de cette décision, la Commission a fait référence au compte rendu d’une réunion du 30 mars 2004 du comité exécutif du SCC du BAR à Hong Kong. Il ressort de ce compte rendu que le montant de la STS au départ de Hong Kong serait fondé sur l’« élément de référence mondial ».
283 Pour ce qui est du refus de paiement de commissions, il est vrai que la Commission n’a pas, dans la note en bas de page no 1323 de la décision attaquée, cité d’exemple spécifique d’éléments de preuve qui tendraient à étayer son applicabilité générale, « à toutes les liaisons, au niveau mondial ».
284 Cependant, d’une part, il convient de constater que, dans la mesure où les surtaxes étaient généralement applicables « à toutes les liaisons, au niveau mondial », il était vraisemblable que le refus de paiement de commissions l’était également. En effet, au considérant 879 de la décision attaquée, la Commission a retenu que le refus de paiement de commissions et les deux autres composantes de l’infraction unique et continue étaient complémentaires en ce qu’il avait « permis de soustraire les surtaxes à la concurrence liée à la négociation de commissions (en réalité des ristournes sur les surtaxes) avec les clients ».
285 D’autre part, il importe de souligner que la Commission a, ailleurs qu’à la note en bas de page no 1323 de la décision attaquée, fait état d’éléments de preuve tendant à étayer l’applicabilité du refus de paiement de commissions « à toutes les liaisons, au niveau mondial ». Ainsi, au considérant 679 de la décision attaquée, la Commission a fait état d’un courriel interne relatif au refus de paiement de commissions, dans lequel le responsable en chef du fret de Swiss a demandé à ses directeurs régionaux de « participer aux réunions locales du BAR chaque fois que cela apparai[ssai]t pertinent ». De même, au considérant 683 de la décision attaquée, la Commission mentionne un mémorandum interne adressé aux directeurs des ventes de fret de CPA, dans lequel il est indiqué que « tant que les conditions locales le permettent, C[PA] devrait adopter une approche et une réponse communes à la question [des demandes de commission sur les surtaxes] » et « devrait donc envisager de suivre tout rejet d’une telle demande ou d’une telle revendication de commission, ainsi que toute autre action y afférente pouvant être coordonnée par vos associations de [transporteurs] locales ».
286 La Commission a d’ailleurs apporté des éléments de preuve tendant à démontrer qu’une telle coordination s’était produite dans de nombreux pays à travers le monde, dont Hong Kong (considérant 503 de la décision attaquée), la Suisse (considérant 692 de ladite décision), l’Italie (considérants 694 à 698 de ladite décision), la France (considérant 699 de ladite décision), l’Espagne (considérant 700 de la même décision), l’Inde (considérant 701 de la décision en cause) et les États-Unis (considérant 702 de la décision en cause).
287 Quant à l’allégation des requérantes selon laquelle la Commission, par le caractère général de l’affirmation reprise au point 277 ci-dessus, procéderait par extrapolations non étayées, elle repose sur l’existence de comportements locaux qui seraient tributaires de réglementations locales. Or, il y a lieu de relever, comme les requérantes en conviennent d’ailleurs, que la Commission a précisé, dans la note en bas de page no 1323 de la décision attaquée, que la mise en œuvre des surtaxes s’opérait dans le cadre d’un système à plusieurs niveaux et que le taux des surtaxes pouvait varier et faisait l’objet de discussions distinctes « compte tenu des conditions ou de la réglementation des marchés locaux ». Il en ressort que la Commission n’a pas entendu affirmer, contrairement à ce que laissent entendre les requérantes, que les taux de surtaxe étaient appliqués de manière uniforme sur l’ensemble des liaisons dans le monde entier.
288 S’agissant en outre de la prétendue absence de tout lien entre ces comportements locaux et une entente de portée plus vaste, il convient de souligner que les requérantes se méprennent. Au considérant 832 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que l’entente litigieuse « fonctionnait sur une base mondiale ». La Commission a expliqué que l’entente litigieuse était fondée sur un réseau complexe de contacts, principalement bilatéraux, entretenus dans plusieurs endroits dans le monde et à divers niveaux au sein des entreprises concernées (considérants 109 et 1300 de ladite décision). Selon la Commission, les « arrangements de l’entente [litigieuse] étaient, dans de nombreux cas, organisés au niveau central » et appliqués localement par le personnel local (considérant 1046 de ladite décision). Il s’agissait, selon la Commission, de permettre au personnel local d’adapter aux conditions locales les mesures d’application générale, « à toutes les liaisons, au niveau mondial », qu’étaient les surtaxes et le refus de paiement de commissions (considérants 876, 889 et 890 et note en bas de page no 1323 de ladite décision).
289 D’une part, le personnel local recevait des instructions de son siège au sujet de la mise en œuvre des surtaxes et lui faisait rapport (voir considérants 171, 226, 233, 284, 381, 584 et 594). Il était d’ailleurs contraint par les décisions prises au niveau des sièges. Ainsi, au considérant 237 de la décision attaquée, il est fait état d’un courriel interne dans lequel un employé de Qantas a indiqué que presque tous les transporteurs à Hong Kong avaient fait part de leur intention de suivre CPA, mais que Qantas et plusieurs transporteurs incriminés, dont les requérantes, avaient fait savoir qu’ils devaient demander des instructions à leur administration centrale avant de faire de même. Au considérant 295 de la décision attaquée, il est fait référence au procès-verbal de la réunion du SCC du BAR du 23 janvier 2003 à Singapour, qui indique que les « transporteurs membres ont commenté l’augmentation de l’indice du carburant, mais n’ont pas reçu de leur siège d’instructions les amenant à augmenter la [STC] ». De même, au considérant 414 de la décision attaquée, il est fait référence à un courriel du gestionnaire local de CPA en Belgique, dont il ressort que SAC a « affirmé initialement qu’elle [augmenterait aussi la STC le 1er octobre 2004], mais [que,] par la suite, son administration centrale lui a rappelé qu’elle devait opter pour la date du 4 octobre [2004] », laquelle avait préalablement fait l’objet de plusieurs contacts antérieurs au niveau des sièges (considérants 406, 410 et 411).
290 D’autre part, il ressort de la décision attaquée que la coordination au niveau local faisait souvent immédiatement suite aux annonces faites au niveau des sièges. À titre d’illustration, à la suite de l’annonce de Lufthansa relative à l’introduction de la STC le 28 décembre 1999 (considérant 138), la question a été abordée à Hong Kong les 10, 13 et 19 janvier 2000 (considérants 147 à 149) et en Inde le même mois (considérants 151 et 152). Il en va de même de l’annonce de Lufthansa du 17 février 2003 (considérant 274), suivie le même jour de contacts au Canada (considérant 291) et en Thaïlande (considérant 298) ainsi qu’à Singapour le lendemain (considérant 296). C’est le cas aussi de l’annonce de Lufthansa du 21 septembre 2004 (considérants 409 à 411), suivie le même jour de contacts à Hong Kong (considérant 431) et en Suisse les 23 et 24 septembre 2004 (considérants 426 et 427).
291 Les requérantes répondent en renvoyant à leur argumentation, développée ailleurs dans le présent moyen, par laquelle elles contestent leur participation à l’infraction unique et continue. À cet égard, il importe de souligner que le constat de l’existence d’une infraction unique et de son étendue est distinct de la question de savoir si la responsabilité pour cette infraction est imputable, en tout ou en partie, à une entreprise. Par conséquent, à défaut pour les requérantes d’expliquer en quoi la démonstration qu’elles n’ont pas participé à l’infraction unique tendrait également à établir que le constat d’une organisation à plusieurs niveaux au sein de l’entente litigieuse est erroné, il y a lieu d’écarter comme inopérant le renvoi à cette argumentation.
292 En troisième lieu, quant au constat au considérant 890 de la décision attaquée de la possibilité, pour les transporteurs, de conclure des accords de capacités, il suffit de relever qu’il n’a pas l’objet que lui attribuent les requérantes. Il ressort tant du libellé de ce considérant que de son objectif et du contexte dans lequel il s’inscrit qu’il ne concerne pas la responsabilité des différents transporteurs incriminés pour l’infraction unique et continue, mais l’existence de cette dernière, que les requérantes ne contestent pas dans le cadre de la présente branche. En effet ledit considérant fait expressément référence à l’« existence de l’infraction unique et continue ». Quant aux considérants 112, 885 à 887 de ladite décision, ils indiquent qu’il s’agissait pour la Commission de démontrer que les contacts intervenus dans les pays tiers ou des contacts concernant des liaisons que des transporteurs incriminés ne desservaient pas et ne pouvaient directement desservir étaient pertinents pour établir l’existence de l’infraction unique et continue ou d’une entente de dimension mondiale.
293 En tout état de cause, la critique des requérantes est vouée au rejet dans la mesure où elle s’appuie exclusivement sur la circonstance que certaines autorités de concurrence de pays tiers n’auraient pas constaté que les requérantes avaient la possibilité de conclure des accords de capacités sur les liaisons à destination de leurs pays respectifs. En effet, lorsque la Commission sanctionne le comportement illicite d’une entreprise, même ayant son origine dans une entente à caractère international, elle vise à sauvegarder la libre concurrence à l’intérieur du marché intérieur. Or, par la spécificité du bien juridique ainsi protégé au niveau de l’Union, les appréciations opérées par la Commission, en vertu de ses compétences en la matière, peuvent diverger considérablement de celles effectuées par des autorités d’États tiers (arrêts du 29 juin 2006, Showa Denko/Commission, C‑289/04 P, EU:C:2006:431, point 55, et du 2 février 2012, Dow Chemical/Commission, T‑77/08, non publié, EU:T:2012:47, point 102). Par ailleurs, il n’existe pas de principe ni de convention de droit international public en vertu desquels la Commission pourrait se voir obligée, lors de l’imputation d’un comportement infractionnel en application du droit de la concurrence de l’Union, de tenir compte des appréciations portées par les autorités compétentes d’un État tiers en matière de droit de la concurrence (arrêt du 2 février 2012, Dow Chemical/Commission, T‑77/08, non publié, EU:T:2012:47, point 102).
294 Il résulte de ce qui précède que le présent grief doit être rejeté.
2) Sur le deuxième grief, déduit de constatations erronées s’agissant du caractère unique de l’infraction
295 Les requérantes soutiennent que les six facteurs mentionnés aux considérants 872 à 884 de la décision attaquée (à savoir, l’objectif anticoncurrentiel unique, le produit ou le service unique, les entreprises impliquées, la nature unique de l’infraction, les éléments discutés en parallèle et l’implication dans les éléments de l’infraction) ne sont pas suffisants pour établir un lien entre tous les comportements énumérés au point 4 de la décision attaquée, en dehors du « noyau » ou « groupe restreint » de l’entente litigieuse.
296 Il y a lieu de rappeler qu’une violation de l’interdiction de principe prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE peut résulter non seulement d’un acte isolé, mais également d’une série d’actes ou bien encore d’un comportement continu, quand bien même un ou plusieurs éléments de cette série d’actes ou de ce comportement continu pourraient également constituer en eux-mêmes et pris isolément une violation de ladite disposition. Ainsi, lorsque les différentes actions s’inscrivent dans un « plan d’ensemble », en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur, la Commission est en droit d’imputer la responsabilité de ces actions en fonction de la participation à l’infraction considérée dans son ensemble (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 41 et jurisprudence citée).
297 Lors de l’appréciation du caractère unique de l’infraction et de l’existence d’un plan d’ensemble, le fait que les différentes actions des entreprises s’inscrivent dans un « plan d’ensemble », en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur, revêt un caractère déterminant. Aux fins de cette appréciation, l’identité au moins partielle des entreprises concernées (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2013, Total Raffinage Marketing/Commission, T‑566/08, EU:T:2013:423, points 265 et 266 et jurisprudence citée), de même que les différents chevauchements matériels, géographiques et temporels entre les actes et les comportements en cause peuvent être pertinents.
298 Tel est notamment le cas de l’identité des produits et des services concernés, de l’identité des modalités de mise en œuvre, de l’identité des personnes physiques impliquées pour le compte des entreprises et de l’identité du champ d’application géographique des pratiques en cause (arrêt du 17 mai 2013, Trelleborg Industrie et Trelleborg/Commission, T‑147/09 et T‑148/09, EU:T:2013:259, point 60).
299 Selon la jurisprudence, ces éléments doivent faire l’objet d’une appréciation d’ensemble (arrêt du 16 septembre 2013, Masco e.a./Commission, T‑378/10, EU:T:2013:469, point 58).
300 En l’espèce, aux considérants 872 à 883 de la décision attaquée, la Commission a retenu six facteurs pour conclure que les comportements litigieux relevaient d’une infraction unique. Il s’agit, premièrement, de l’existence d’un objectif anticoncurrentiel unique (considérants 872 à 876), deuxièmement, du fait que ces comportements portaient sur un même service (considérant 877), troisièmement, de l’identité des entreprises impliquées dans les différents agissements en cause (considérant 878), quatrièmement, de la nature unique de l’infraction (considérant 879), cinquièmement, de la circonstance que les discussions auxquelles ont participé les transporteurs incriminés avaient lieu en parallèle (considérant 880) et, sixièmement, de l’implication de la majorité des transporteurs incriminés dans les trois composantes de l’infraction unique et continue (considérants 881 à 883).
301 Au considérant 900 de la décision attaquée, la Commission a ajouté à ces facteurs la circonstance que les mêmes personnes auraient été impliquées dans les différents agissements en cause.
302 En premier lieu, s’agissant de l’existence d’un objectif anticoncurrentiel unique, il ressort du considérant 872 de la décision attaquée que ledit objectif consistait, pour les transporteurs incriminés, « à entraver la concurrence dans le secteur du fret aérien au sein de l’EEE en coordonnant leur comportement en matière de tarification en ce qui concerne la fourniture de services de fret aérien en supprimant la concurrence concernant l’imposition, le montant et le calendrier des STC et STS et le [refus de paiement de commissions] ».
303 Dans le cadre du présent grief, les requérantes ne contestent qu’en partie cette appréciation. Elles font valoir que les contacts intervenus dans des pays tiers avaient pour seul objet de permettre aux transporteurs incriminés de se conformer à la réglementation locale. Elles soutiennent en outre que d’autres comportements auraient relevé de discussions intervenues dans le cadre d’accords de coopération légitimes tels que l’alliance bilatérale avec Lufthansa, l’alliance WOW ou l’alliance Star Cargo.
304 Il y a lieu de relever que les requérantes n’apportent aucun élément à l’appui de leur contestation et se bornent pour l’essentiel à renvoyer, de manière générale, à leur argumentation développée ailleurs dans le présent moyen par laquelle elles contestent leur participation à l’infraction unique et continue. Cette argumentation sera analysée dans le cadre de l’examen des autres branches du présent moyen.
305 En deuxième lieu, les requérantes font valoir qu’il n’existe pas un marché mondial pour tous les services de fret, mais une multitude de marchés pertinents.
306 À cet égard, il y a lieu de relever que, dans le cadre de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, c’est pour déterminer si un accord est susceptible d’affecter le commerce entre États membres et a pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence dans le marché intérieur qu’il faut définir le marché en cause. L’obligation d’opérer une délimitation du marché en cause dans une décision adoptée en application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE ne s’impose ainsi à la Commission que lorsque, sans une telle délimitation, il n’est pas possible de déterminer si l’accord, la décision d’association d’entreprises ou la pratique concertée en cause est susceptible d’affecter le commerce entre États membres et a pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence dans le marché intérieur (voir arrêt du 27 février 2014, InnoLux/Commission, T‑91/11, EU:T:2014:92, point 129 et jurisprudence citée).
307 Or, en l’espèce, les requérantes n’allèguent pas qu’il était impossible de déterminer si l’infraction unique et continue avait pour objet de restreindre et de fausser le jeu de la concurrence dans le marché intérieur et était susceptible d’affecter le commerce entre États membres sans définir au préalable le marché en cause.
308 Dans ces conditions, il ne saurait être considéré qu’il était nécessaire de définir le marché pertinent pour déterminer si l’infraction unique et continue était susceptible d’affecter le commerce entre États membres. C’est donc à bon droit que la Commission a retenu, au considérant 74 de la décision attaquée, qu’elle n’était pas tenue de délimiter ce marché et s’est, par suite, gardée de le faire.
309 C’est également à juste titre que, au considérant 877 de la décision attaquée, la Commission a néanmoins retenu que les « arrangements port[ai]ent sur la fourniture de services de fret aérien et leur tarification » et a fait référence à un « [p]roduit/services unique ».
310 En présence d’infractions à l’article 101 TFUE telles que celle dont il est question en l’espèce, ce sont, en effet, les accords et les activités de l’entente qui déterminent les marchés pertinents (voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2014, InnoLux/Commission, T‑91/11, EU:T:2014:92, point 131 et jurisprudence citée).
311 Or, comme il a été retenu aux points 205 et 288 ci-dessus, la Commission a conclu que les surtaxes étaient de mesures d’application générale qui avaient vocation à être appliquée « à toutes les liaisons, au niveau mondial » et que le refus de paiement de commissions « revêtait également un caractère général ».
312 Il s’ensuit que les membres de l’entente litigieuse ont eux-mêmes déterminé les produits ou les services faisant l’objet de leurs discussions et pratiques concertées en incluant dans leurs discussions les services de fret, sans distinction selon leur lieu de départ ou d’origine, si ce n’est pour procéder à des ajustements en fonction des conditions locales (note en bas de page no 1323 de la décision attaquée).
313 La Commission était donc fondée à qualifier de « service unique » la fourniture de services de fret, telle qu’elle les a décrits aux considérants 14 à 18 de la décision attaquée.
314 En troisième lieu, les requérantes soutiennent que, en dehors des contacts intervenus au sein du « groupe restreint » de l’entente litigieuse, la plupart des comportements litigieux concernaient des entreprises très différentes. Elles prennent pour exemple les contacts intervenus à Hong Kong et mentionnés dans la décision attaquée, qui auraient impliqué une cinquantaine d’entreprises, dont seules quatorze auraient été tenues pour responsables de l’infraction unique et continue.
315 À cet égard, il ressort du considérant 878 ainsi que des considérants 881 à 883 de la décision attaquée que la Commission a constaté l’existence d’un chevauchement significatif entre les entreprises ayant participé aux différentes composantes de l’infraction unique et continue. En effet, d’une part, tous les transporteurs incriminés auraient participé à la composante relative à la STC et, d’autre part, presque tous les transporteurs incriminés auraient participé aux deux autres composantes.
316 L’exemple des contacts intervenus à Hong Kong n’est pas de nature à renverser ce constat, dans la mesure où l’absence d’implication dans ceux-ci de certains transporteurs incriminés n’est pas contradictoire avec l’établissement de leur participation aux trois composantes de l’infraction unique et continue ou à plusieurs d’entre elles. Quant à l’argument selon lequel le nombre de transporteurs impliqués dans lesdits contacts – au-delà des seuls transporteurs incriminés – témoignerait de la diversité des participants aux agissements litigieux, il y a lieu de relever que, comme il ressort de la jurisprudence citée aux points 297 et 298 ci-dessus, l’identité des entreprises impliquées dans les différents agissements litigieux n’est pas une condition indispensable aux fins de qualifier ces derniers d’infraction unique et continue, mais uniquement un indice parmi d’autres devant être pris en considération par la Commission dans le cadre de la détermination de l’existence d’un plan d’ensemble (voir arrêt du 16 septembre 2013, Masco e.a./Commission, T‑378/10, EU:T:2013:469, point 32 et jurisprudence citée). De plus, il convient d’observer, à l’instar de la Commission, que cet argument ne s’oppose pas à ce que les agissements en cause des transporteurs incriminés aient eu vocation à mettre en œuvre au niveau local les décisions prises au niveau des sièges dans le cadre du système à plusieurs niveaux décrit aux considérants 107, 1046 et 1300 de la décision attaquée.
317 En quatrième lieu, les requérantes reprochent en substance à la Commission d’avoir ignoré, s’agissant de la nature de l’infraction unique et continue, les spécificités des coordinations qui auraient été rendues nécessaires par le contexte réglementaire local ou qui se seraient inscrites dans le cadre d’alliances légitimes. Ce faisant, les requérantes se bornent à réitérer les arguments déjà soulevés au soutien de leur critique de l’existence d’un objectif anticoncurrentiel unique. Il convient dès lors de les rejeter pour les mêmes motifs.
318 Les requérantes font valoir en outre que le refus de paiement de commissions se distingue des autres composantes de l’infraction unique par le fait qu’il est né d’un désaccord public entre les transporteurs et les transitaires au sujet de l’interprétation de clauses-types, par opposition à « la coordination secrète de [la STC et la STS] par une poignée de transporteurs ».
319 À cet égard, il ressort certes des considérants 675 à 702 de la décision attaquée que la question du paiement de commissions sur les surtaxes faisait l’objet d’interprétations juridiques divergentes entre les transporteurs et les transitaires. Ce désaccord portait notamment sur l’interprétation de certaines clauses-types censées consacrer une obligation de paiement de commissions. Cependant, les transporteurs incriminés ne se sont pas bornés à définir une position commune à ce sujet pour la défendre de manière coordonnée devant les juridictions compétentes ou la promouvoir collectivement auprès des autorités publiques et d’autres associations professionnelles. Au contraire, les transporteurs se sont concertés en convenant – à un niveau multilatéral – de refuser de négocier le paiement de commissions avec les transitaires et de leur octroyer des ristournes sur les surtaxes. Ainsi, au considérant 695 de la décision attaquée, la Commission s’est référée à un courriel du 19 mai 2005, dans lequel un gestionnaire régional de Swiss en Italie indique que « tous [les participants à une réunion tenue le 12 mai 2005 ont] confirmé [leur] volonté de ne pas accepter de rémunération STC/STS ». Au considérant 696 de la décision attaquée, il est fait état d’un courriel du 14 juillet 2005 dans lequel CPA indique que « tous [les participants à une réunion tenue la veille] ont reconfirmé leur ferme intention de ne pas accepter de négociation concernant » le paiement de commissions. De même, au considérant 700 de la même décision, la Commission a invoqué un courriel interne dans lequel une employée de Cargolux informait son administration centrale de la tenue d’une réunion « avec tou[s] les [transporteurs] opérant à l’aéroport de [Barcelone] » et indiquait que, « de l’avis général, nous ne devrions pas payer de commissions sur les surtaxes ».
320 Il ressort également de la décision attaquée que plusieurs transporteurs ont échangé des informations – à un niveau bilatéral – pour s’assurer mutuellement de leur adhésion continue au refus de paiement de commissions dont ils étaient convenus au préalable. À titre d’illustration, le considérant 688 de cette décision décrit une conversation téléphonique du 9 février 2006 au cours de laquelle Lufthansa a demandé à AF si sa position au sujet du refus de paiement de commissions restait inchangée.
321 Partant, l’objet du refus de paiement de commissions se détache du différend public d’ordre juridique visé par les requérantes. Or, comme il ressort des considérants 874 et 899 de la décision attaquée, le refus de paiement de commissions était de nature à renforcer la coordination relative aux surtaxes. Il s’analysait, en effet, selon la Commission, en un refus concerté d’octroyer aux transitaires des ristournes sur les surtaxes et tendait ainsi à permettre aux transporteurs incriminés de « maintenir sous contrôle l’incertitude en matière de tarification que la concurrence sur le paiement de commissions [dans le cadre des négociations avec les transitaires] aurait pu créer » (considérant 874) et de soustraire ainsi les surtaxes au jeu de la concurrence (considérant 879). L’argument des requérantes consistant à opposer le caractère public du refus de paiement de commissions au caractère secret de la coordination relative à la STC et à la STS manque donc en fait.
322 Il s’ensuit qu’il y a également lieu de rejeter la mesure d’organisation de la procédure demandée par les requérantes dans le cadre de la réplique visant à obtenir, au soutien du présent argument, la production des déclarations de clémence qui seraient sous-jacentes à la description d’un prétendu « noyau dur » dans la décision attaquée. En effet, il n’est pas nécessaire de compléter les éléments d’information dont dispose le Tribunal pour répondre aux arguments au moyen desquels les requérantes contestent la caractérisation, dans la décision attaquée, de la nature de l’infraction unique (voir point 126 ci-dessus).
323 En cinquième lieu, les requérantes font valoir qu’elles ne sont pas concernées par les exemples que la Commission donne, au considérant 880 de la décision attaquée, d’éléments de l’infraction discutés en parallèle. Cette allégation a trait à la participation des requérantes à l’infraction unique et continue, et non à l’existence d’une telle infraction. Partant, conformément aux considérations exposées au point 291 ci-dessus, elle est dénuée de pertinence dans le cadre du présent grief.
324 En sixième lieu, les requérantes font valoir que l’implication des transporteurs incriminés dans une ou plusieurs des composantes de l’infraction unique et continue ne démontre pas, en soi, que celles-ci sont liées. Il y a lieu de constater que cet argument est inopérant, dans la mesure où la Commission n’a pas fondé le constat de l’existence d’une infraction unique sur cette seule circonstance, mais sur un ensemble d’indices rappelés au point 300 ci-dessus, dont le caractère suffisant n’a pas été valablement remis en cause par les requérantes dans le cadre du présent grief.
325 Il résulte de ce qui précède que le présent grief doit être rejeté.
3) Sur le troisième grief, déduit de constatations erronées s’agissant du caractère continu de l’infraction
326 Les requérantes reprochent à la Commission de n’avoir pas étayé à suffisance le caractère continu de l’infraction. Les membres de l’entente litigieuse n’auraient ainsi participé qu’à des comportements isolés et sporadiques de dimension locale ou régionale.
327 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
328 Il y a lieu de constater que les requérantes se bornent, dans le cadre du présent grief, à réitérer leur argumentation relative à la portée géographique de l’entente litigieuse, qui a déjà été examinée et rejetée au titre du premier grief de la présente branche. En outre, alors qu’il ressort du point 4 de la décision attaquée que les contacts sur lesquels la Commission s’est appuyée pour établir l’existence de l’infraction unique et continue se sont produits tout au long de la période infractionnelle, et qu’ils concouraient à la poursuite d’un objectif anticoncurrentiel unique (voir points 302 à 304 ci-dessus et points 439 et 467 ci-après), les requérantes se contentent d’une référence générale au caractère sporadique et isolé des contacts litigieux et n’identifient aucune période durant laquelle l’infraction unique en cause aurait été interrompue.
329 Partant, il y a lieu de rejeter le présent grief et, par suite, la présente branche dans son ensemble.
b) Sur la deuxième branche, prise d’erreurs dans l’appréciation des comportements relevant de l’alliance bilatérale avec Lufthansa
330 Dans le cadre de la présente branche, les requérantes se fondent sur la décision 96/180/CE de la Commission, du 16 janvier 1996, relative à une procédure d’application de l’article [101 TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (IV/35.545 – LH/SAS) (JO 1996, L 54, p. 28, ci-après l’« exemption de 1996 »). Cette décision aurait exempté de l’interdiction énoncée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE l’accord général d’alliance par lequel Lufthansa et les requérantes seraient convenues d’une politique conjointe de tarification au niveau mondial et de l’intégration la plus large possible de leurs services de fret. Les requérantes soutiennent que, compte tenu de cette exemption, la Commission aurait dû écarter du faisceau d’indices retenu contre elles leurs contacts bilatéraux avec Lufthansa mentionnés aux considérants 223, 597, 618 à 620 et 673 de la décision attaquée.
331 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
332 Ainsi qu’il ressort tant des considérants 791 et 792 de la décision attaquée que des écritures de la Commission devant le Tribunal, les contacts bilatéraux entre Lufthansa et les requérantes n’ont pas été opposés à ces dernières en vue d’établir leur participation à l’infraction unique et continue, dans la mesure où ils étaient couverts par l’exemption de 1996. Comme il ressort des considérants 24 et 28 de cette exemption, l’alliance entre les requérantes et Lufthansa avait une large portée, « l’intention [des parties étant] de créer au niveau mondial un système de transport intégré impliquant […] une politique conjointe de tarification », notamment pour les services de fret. Il est, par ailleurs, constant entre les parties que les contacts bilatéraux entre Lufthansa et les requérantes en matière de STC et de STS relevaient de l’alliance exemptée.
333 Aux fins de répondre à la présente branche, il convient dès lors d’examiner si, comme il ressort des notes en bas de page nos 1251 et 1258 de la décision attaquée, les contacts visés aux considérants 223, 618 et 620 de la décision attaquée contribuent à établir l’existence d’un comportement qui excède le champ de l’exemption de 1996 en caractérisant la participation des requérantes à une coordination multilatérale au sein de l’alliance WOW ou, s’agissant du considérant 673, à des contacts anticoncurrentiels avec des concurrents autres que Lufthansa. En revanche, dans la mesure où la Commission ne s’appuie ni sur le contact du 2 octobre 2001, visé au considérant 597 de la décision attaquée, ni sur celui du 13 janvier 2003, mentionné au considérant 619 de cette décision, pour établir la participation des requérantes à l’infraction unique et continue, il y a lieu de rejeter comme inopérante leur argumentation à cet égard et de circonscrire l’analyse aux contacts visés aux considérants 223, 618, 620 et 673 de la décision attaquée.
334 En premier lieu, le considérant 223 de la décision attaquée fait état d’un échange de courriels interne de Lufthansa daté des 3 et 11 avril 2002. Dans cet échange, Lufthansa rapporte, d’une part, la position de SAC en défaveur de la réintroduction de la STC et, d’autre part, l’attitude comparativement coopérative des requérantes. La Commission considère, au considérant 791 de la décision attaquée, que cet élément contribue à étayer le constat de la participation des requérantes à une coordination au sein de l’alliance WOW s’agissant de la STC.
335 À cet égard, il convient de constater, à l’instar des requérantes, qu’il ne ressort pas de l’échange de courriels en cause qu’elles aient été en contact avec SAC au sujet de la STC. Il ne saurait par ailleurs être déduit, comme le fait la Commission dans sa réponse aux questions écrites du Tribunal, que Lufthansa, en comparant la coopération des requérantes et de SAC, certes toutes deux parties à l’alliance WOW, faisait nécessairement référence à la coopération des requérantes dans le cadre de ladite alliance plutôt que dans le cadre de l’alliance bénéficiant de l’exemption de 1996.
336 Contrairement à ce que semble soutenir également la Commission dans sa réponse aux questions écrites du Tribunal, la décision d’un grand nombre de transporteurs, dont les requérantes et Lufthansa, de réintroduire la STC en avril 2002 (considérants 209 et 210 de la décision attaquée) n’est pas de nature à conduire à une interprétation de l’échange de courriels différente de celle retenue au point 335 ci-dessus. D’une part, les requérantes ne figurent pas parmi les transporteurs mentionnés aux considérants 209 et 210 de la décision attaquée comme ayant pris part à une discussion sur la STC, et notamment sur sa réintroduction, au début de l’année 2002. D’autre part, il ne saurait être déduit de la circonstance que les requérantes ont également réintroduit la STC en avril 2002 qu’elles avaient eu immédiatement en amont des contacts avec Lufthansa qui excédaient le cadre de l’exemption de 1996, en particulier avec SAC dans le cadre de l’alliance WOW. Il convient d’ailleurs de noter que la Commission ne s’appuie pas, dans la décision attaquée, sur les éléments repris aux considérants 209 et 210 pour établir la participation des requérantes à l’infraction unique et continue.
337 Au regard de ce qui précède, il y a lieu de conclure que les éléments repris au considérant 223 de la décision attaquée ne tendent pas à établir la participation des requérantes à la coordination relative à la STC au sein de l’alliance WOW, mais étayent seulement l’existence de contacts entre ces dernières et Lufthansa au sujet de la STC. Compte tenu de la nature de ces contacts et de l’application, à la date des faits, de l’exemption de 1996, ces éléments doivent être considérés comme étant dénués de toute valeur probante.
338 En deuxième lieu, les considérants 618 et 620 de la décision attaquée font état notamment de plusieurs courriels internes de Lufthansa envoyés entre fin novembre 2002 et début mars 2003, concernant le niveau de STS applicable à Hong Kong. La Commission considère, au considérant 792 de la décision attaquée, que ces éléments contribuent à établir que les requérantes ont coordonné le niveau de la STS avec les membres de l’alliance WOW. Les requérantes contestent les appréciations de la Commission concernant deux courriels, envoyés le 5 décembre 2002 et le 5 mars 2003.
339 Le premier courriel, daté du 5 décembre 2002, émane du responsable de Lufthansa à Hong Kong et rapporte que, à l’occasion d’une récente réunion du SCC du BAR, la majorité des transporteurs ont indiqué qu’ils suivraient CPA et se joindraient à une demande d’autorisation de diminution du niveau de la STS. Ce responsable demande ensuite à son interlocuteur de « parler à ses homologues, en particulier chez [les requérantes], [AF] et [Japan Airlines], afin de voir si elles changeraient de point de vue et suivraient l’exemple de [Lufthansa] de ne pas abaisser la [STS] » et de « persuader [SAC] et [KLM], étant donné que les deux [transporteurs] n’avaient pas encore décidé si elles modifiaient ou non leur STS », en suggérant de le faire « dans le cadre de la réunion de [l’alliance] WOW de la semaine suivante » (voir considérant 618).
340 Il ressort de ce courriel que les requérantes ont participé à la réunion du SCC du BAR en question et qu’elles ont, à cette occasion, fait part aux autres transporteurs de leur position à l’égard de la proposition d’ajustement du niveau de la STS, ce qu’elles ne contestent d’ailleurs pas devant le Tribunal. Partant, cette pièce contribue à établir que les requérantes étaient impliquées dans une coordination relative à la fixation du niveau de la STS à Hong Kong avec d’autres transporteurs que Lufthansa, dans le cadre du SCC du BAR. Dans ce contexte, la suggestion de Lufthansa, formulée dans le même courriel, d’aborder la question du niveau de la STS à Hong Kong dans le cadre d’une prochaine réunion de l’alliance WOW doit se comprendre, au-delà de son libellé clair, à la lumière des contacts multilatéraux qui ont eu lieu sur cette question pendant la même période et auxquels tant Lufthansa que les requérantes ont pris part. Il s’ensuit que c’est sans commettre d’erreur que la Commission a retenu, au considérant 792 de la décision attaquée, que ledit courriel tendait à appuyer l’existence d’une coordination relative au niveau de la STS entre membres de l’alliance WOW.
341 Les requérantes répondent, certes, à juste titre qu’il n’existe pas de preuve que la réunion de l’alliance WOW sur ce sujet ait effectivement eu lieu, ni même qu’une proposition en ce sens ait été adressée par Lufthansa aux autres membres de ladite alliance. Toutefois, cela ne saurait empêcher la Commission de se prévaloir du courriel en cause comme élément à charge dans le cadre d’un faisceau d’indices plus large. En effet, le fait que Lufthansa entendait aborder ce sujet à l’occasion d’une réunion de l’alliance WOW constitue en lui-même un indice que la question du niveau de la STS était abordée entre les membres de ladite alliance (voir, en ce sens, arrêt du 29 juin 2012, GDF Suez/Commission, T‑370/09, EU:T:2012:333, point 226).
342 Le second courriel, daté du 5 mars 2003, émane du responsable de Lufthansa à Hong Kong et informe son interlocuteur chez Lufthansa que « ses efforts concernant la STS auprès des partenaires de l[’alliance] WOW » ont été fructueux, en évoquant les dernières informations reçues des requérantes et de SAC à cet égard (considérant 620 de la décision attaquée). Ce responsable précise que les requérantes ont obtenu l’accord des autorités de Hong Kong et que la STS sera appliquée à compter du 14 mars 2003.
343 Il ressort de cette pièce que Lufthansa a pris contact avec SAC et les requérantes au sujet de la STS applicable à Hong Kong et qu’elle entendait situer ces contacts dans le cadre de l’alliance WOW.
344 Il y a, certes, lieu de relever que les modalités concrètes de cette prise de contact ne sont pas précisées, en particulier quant à son caractère multilatéral ou non. Toutefois, il est de jurisprudence constante que, si la Commission doit faire état de preuves précises et concordantes pour établir l’existence de l’infraction, chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre à ces critères pour chaque élément de l’infraction. Il s’ensuit que, si le courriel en cause ne prouve pas, par lui-même, que les requérantes étaient impliquées dans un contact multilatéral avec SAC et Lufthansa dans le cadre de l’alliance WOW, il importera néanmoins, conformément à une jurisprudence constante (voir arrêt du 1er juillet 2010, Knauf Gips/Commission, C‑407/08 P, EU:C:2010:389, point 47 et jurisprudence citée), d’examiner dans le cadre de la dixième branche du présent moyen si, conjointement avec d’autres éléments, ce courriel pouvait constituer un faisceau d’indices qui permettait à la Commission de conclure que tel était le cas.
345 En troisième lieu, le considérant 673 de la décision attaquée fait état d’un courriel interne d’un employé du bureau de Lufthansa à Tokyo daté du 30 octobre 2001 dans lequel il est déploré que Lufthansa soit « passé[e] à côté de l’occasion », en ne prenant pas l’initiative de déposer, en temps utile, une demande auprès des autorités japonaises portant sur la STS, entraînant « l’étiolement » de « l’alliance des transporteurs étrangers pour [la fixation de la STS à] à 0,10-0,15 euro par [kilo] » et le dépôt entretemps par les « poids lourds européens », à savoir AF, KLM, British Airways et les requérantes, d’une demande portant sur 500 à 600 yens japonais par lettre de transport. Ledit considérant rapporte ensuite que le destinataire de ce courriel l’a transféré en interne en indiquant qu’il demeurait favorable à ce que Lufthansa dépose une demande pour une STS à 0,15 euro par kilo et qu’il était « certain que les autres transporteurs européens suivr[aie]nt lorsque nous annoncerons que nous allons prendre les devants ».
346 Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, ces éléments ne se limitent pas à faire état des demandes déposées par d’autres transporteurs auprès des autorités japonaises et à manifester le désir de Lufthansa de s’écarter du montant de STS demandé, notamment, par les requérantes. Le premier courriel fait ainsi référence à une tentative de coordination entre « transporteurs étrangers » en vue d’aboutir à un certain montant de STS et fait implicitement le lien entre son échec et le dépôt, par plusieurs transporteurs européens, dont les requérantes, d’une demande portant sur un autre montant de STS. Le second courriel révèle l’intention de Lufthansa d’aviser lesdits transporteurs européens qu’elle allait prendre les devants en déposant une demande conforme à l’objectif initial de la coordination. Partant, les éléments repris au considérant 673 de la décision attaquée sont de nature à contribuer à établir l’existence de contacts anticoncurrentiels entre les requérantes et des transporteurs autres que Lufthansa.
347 Au regard de ce qui précède, d’une part, il y a lieu de conclure que les éléments repris au considérant 223 de la décision attaquée ne tendent qu’à établir l’existence de contacts entre les requérantes et Lufthansa au sujet de la STC, moyennant quoi, pour les motifs exposés au point 337 ci-dessus, il convient de les écarter du faisceau d’indices que les requérantes contestent dans son ensemble dans le cadre de la dixième branche du présent moyen. D’autre part, dans la mesure où le courriel visé au considérant 620 de cette décision n’établit pas, à lui seul, que les requérantes étaient impliquées dans un contact multilatéral avec SAC et Lufthansa dans le cadre de l’alliance WOW, il importera, conformément à la jurisprudence citée au point 344 ci-dessus, d’examiner dans le cadre de la dixième branche du présent moyen si, conjointement avec d’autres éléments, dont ceux décrits aux considérants 618 et 673 de ladite décision, il peut néanmoins être inclus dans un faisceau d’indices qui permettait à la Commission de conclure à la participation des requérantes à l’infraction unique et continue.
c) Sur la troisième branche, prise d’erreurs dans l’appréciation de l’échange de courriels de décembre 1999 dans le cadre de l’alliance Star Cargo
348 Les requérantes font valoir que c’est à tort que la Commission a inclus l’échange de courriels des 13 et 14 décembre 1999 entre les transporteurs de l’alliance Star Cargo, à savoir les requérantes, Lufthansa, trois autres transporteurs et Air Canada, dans le faisceau d’indices censé établir leur participation à l’infraction unique et continue ou leur connaissance de celle-ci.
349 Premièrement, les requérantes avancent qu’un contact invoqué pour établir le début de leur participation à l’infraction unique et continue doit nécessairement établir, par lui-même, l’existence d’une infraction et que c’est de manière erronée que la Commission considère, au considérant 921 de la décision attaquée, que l’échange en cause doit s’apprécier dans le cadre d’une appréciation globale du faisceau d’indices.
350 Deuxièmement, elles indiquent que l’échange en cause serait couvert par l’exemption de 1996, dès lors que l’infraction unique et continue ne porte que, pour cette période, sur les liaisons intra-EEE et qu’elles étaient avec Lufthansa les seuls transporteurs membres de l’alliance à desservir de telles liaisons. Au demeurant, un tel échange serait également justifié, selon les requérantes, par l’alliance Star Cargo et bénéficierait, en tout état de cause, de l’exemption par catégorie prévue par le règlement (CEE) no 3975/87 du Conseil, du 14 décembre 1987, déterminant les modalités d’application des règles de concurrence applicables aux entreprises de transports aériens (JO 1987, L 374, p. 1).
351 Troisièmement, elles soutiennent que ledit échange ne présente pas de lien objectif avec l’infraction unique et continue. Il en serait ainsi compte tenu du contexte de ces contacts, marqué par la résolution de l’IATA tendant à établir un mécanisme de STC, par le caractère isolé de l’échange en cause dans le cadre d’une alliance abandonnée peu de temps après et par le fait qu’elles étaient avec Lufthansa les seuls transporteurs impliqués dans cet échange à s’être vu opposer celui-ci dans la décision attaquée. Les requérantes ajoutent que l’employé de SAS Cargo impliqué dans l’échange en cause n’aurait pris part à aucun autre contact litigieux. Elles soulignent enfin que l’échange en cause révélerait tout au plus un accord avec un transporteur visant à ne pas introduire de STC, qu’elles n’ont au demeurant pas respecté, étant donné qu’elles ont suivi la position de Lufthansa qui leur a été communiquée postérieurement.
352 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
353 À titre liminaire, il convient de constater que, dans le cadre de la présente branche, les requérantes ne se contentent pas de contester la valeur probante de l’échange de courriels en cause. En effet, elles tendent à remettre en cause, plus largement, la date retenue par la Commission au considérant 1148 de la décision attaquée pour le début de leur participation à l’infraction unique et continue, qui est concomitante à celle du début dudit échange de courriels, en l’occurrence le 13 décembre 1999.
354 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, comme il ressort du point 344 ci-dessus, pour établir l’existence d’une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves sérieuses, précises et concordantes. Toutefois, chacune des preuves apportées par cette dernière ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqués par ladite institution, apprécié globalement, réponde à cette exigence (arrêt du 1er juillet 2010, Knauf Gips/Commission, C‑407/08 P, EU:C:2010:389, point 47). Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, ces principes s’appliquent également à la détermination du début de leur participation à l’infraction unique et continue (voir, en ce sens, arrêts du 21 mai 2014, Toshiba/Commission, T‑519/09, non publié, EU:T:2014:263, points 175 à 179, et du 12 décembre 2014, Hansen & Rosenthal et H&R Wax Company Vertrieb/Commission, T‑544/08, non publié, EU:T:2014:1075, points 166 à 179).
355 En l’espèce, l’échange en cause, cité au considérant 135 de la décision attaquée, débutait par un courriel des requérantes à l’attention de Lufthansa, de trois autres transporteurs et d’Air Canada. Dans ce courriel, les requérantes les interrogeaient, tout en faisant part de leurs hésitations, sur leur intention d’introduire une STC, dans la mesure où le cours du carburant avait franchi le seuil dit de déclenchement fixé par l’IATA dans un projet de résolution tendant à introduire une STC. En réponse, un transporteur fit part de son accord avec les requérantes, Lufthansa indiquant pour sa part ce qui suit :
« nous hésitons aussi à prendre l’initiative cette fois-ci. Si d’autres, parmi nos gros concurrents, décidaient de le faire, nous suivrions, mais de manière différente et moins centralisée. »
356 Il se déduit de cet échange que les requérantes ont pris l’initiative de contacter plusieurs transporteurs, dans un cadre multilatéral, pour les sonder sur leur intention d’introduire ou non une STC. Il en ressort aussi que les réponses du transporteur en cause et de Lufthansa informaient les requérantes et les autres destinataires de leurs intentions à l’égard de l’introduction de la STC. Les requérantes ne contestent d’ailleurs pas que, comme il ressort de la décision attaquée, ce contact était intervenu au niveau du siège des transporteurs impliqués.
357 Il y a également lieu de souligner que, dans les deux mois qui ont suivi ce premier contact, plusieurs autres contacts impliquant les requérantes, tant au niveau du siège qu’au niveau local, et attestant d’une volonté de coordonner la STC dans un cadre multilatéral, ont eu lieu en Finlande, en Suisse et à Singapour. Ces contacts sont visés aux considérants 144 à 146 de la décision attaquée et établis par des éléments de preuve dont la valeur probante ne saurait être déniée (voir points 438 à 467, 567 à 594 et 602 à 606 ci-après). Ces contacts impliquaient à la fois des transporteurs incriminés distincts de ceux parties à l’échange des 13 et 14 décembre 1999 ainsi que Lufthansa (considérants 145 et 146 de la décision attaquée) et Air Canada (considérant 145 de la décision attaquée).
358 Il s’ensuit que c’est sans commettre d’erreur que la Commission a considéré que l’échange de courriels en cause contribuait à établir la participation des requérantes à l’infraction unique et continue, en retenant en conséquence le 13 décembre 1999 comme la date de début de leur participation.
359 Aucun des arguments des requérantes n’est de nature à infirmer cette appréciation.
360 Premièrement, le contexte factuel invoqué par les requérantes et rappelé au point 351 ci-dessus ne remet pas en cause la nature et l’objet des contacts intervenus à l’occasion de l’échange de courriels en cause, attestant d’une volonté des parties à l’échange de se concerter, au niveau des sièges, quant à l’introduction d’une STC. En particulier, s’agissant de la circonstance que l’employé des requérantes impliqué dans l’échange en cause n’ait pas pris part à d’autres contacts anticoncurrentiels, il convient de relever que l’identité des personnes physiques impliquées dans les différents agissements litigieux n’est pas nécessaire à l’existence d’une infraction unique et continue.
361 En outre, il ressort des éléments rappelés au point 357 ci-dessus que, presque concomitamment à l’échange de courriels en cause, les requérantes ont été impliquées dans une série de contacts poursuivant le même objet avec d’autres transporteurs ainsi qu’avec Air Canada et Lufthansa, qui avaient aussi participé audit échange de courriels. Dans ces conditions, et contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il n’est pas vraisemblable que cet échange de courriels manifeste une volonté de concertation limitée, dans sa portée, à l’alliance Star Cargo.
362 Par ailleurs, s’agissant du projet de résolution de l’IATA, les requérantes admettent que celui-ci n’était pas applicable à la date de l’échange de courriels en cause. Par conséquent, le refus, certes postérieur, des autorités compétentes de l’approuver est sans incidence.
363 Enfin, s’agissant de la prétendue absence d’effets, sur le comportement des requérantes, de la concertation mise en œuvre dans le cadre de l’échange de courriels en cause, il convient de relever que l’absence d’effets concrets sur le comportement de l’entreprise concernée d’un agissement n’est pas, en tant que tel, de nature à faire obstacle à la conclusion qu’il s’inscrit dans une infraction unique et continue. De plus, il convient de rappeler que la divulgation d’informations sensibles telles que celles dont il est question aux considérants 144 et 584 de la décision attaquée élimine l’incertitude relative au comportement futur d’un concurrent et influence ainsi, directement ou indirectement, la stratégie du destinataire des informations (voir, en ce sens, arrêt du 24 mars 2011, Comap/Commission, T‑377/06, EU:T:2011:108, point 70 et jurisprudence citée). En outre, il y a lieu d’observer que, lorsqu’une entreprise reçoit de telles informations, sans se distancier publiquement de l’initiative en cause ou la dénoncer aux autorités administratives, elle encourage la continuation de l’infraction et compromet sa découverte (arrêt du 17 mai 2013, Trelleborg Industrie et Trelleborg/Commission, T‑147/09 et T‑148/09, EU:T:2013:259, point 68).
364 Deuxièmement, l’échange de courriels en cause n’est couvert ni par l’exemption de 1996 ni par l’exemption par catégorie prévue par le règlement no 3975/87.
365 À titre liminaire, il importe de rappeler que, compte tenu du principe général d’interdiction des ententes édicté à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, les dispositions à caractère dérogatoire, telles que celles figurant dans l’exemption de 1996 ou dans le règlement no 3975/87, ne sauraient faire l’objet d’une interprétation extensive et ne peuvent pas être interprétées de façon à étendre les effets des actes qui les contiennent au-delà de ce qui est nécessaire à la protection des intérêts qu’elles visent à garantir (voir, en ce sens, arrêt du 22 avril 1993, Peugeot/Commission, T‑9/92, EU:T:1993:38, point 37).
366 S’agissant, d’abord, de l’application de l’exemption de 1996, il y a lieu de relever que les requérantes sont en défaut d’expliquer en quoi la tentative de coordination sur la STC entre six transporteurs dont atteste l’échange de courriels en cause s’inscrivait dans le cadre de l’alliance objet de l’exemption de 1996 et de son objectif de créer au niveau mondial, entre les requérantes et Lufthansa, un système de transport intégré (voir point 332 ci-dessus). À cet égard, l’allégation selon laquelle l’alliance Star Cargo serait une simple extension de l’alliance visée par l’exemption de 1996 ne saurait, à la supposer avérée, entraîner l’extension au bénéfice de l’alliance Star Cargo de l’exemption de 1996, sous peine d’aboutir à une interprétation extensive de ladite exemption qui serait contraire à la jurisprudence rappelée au point précédent.
367 Quant à l’argument subsidiaire selon lequel la pratique décisionnelle de la Commission à l’égard des alliances conclues entre les requérantes et Lufthansa ainsi qu’entre ces dernières et un autre transporteur démontrerait qu’elle considérait, à l’époque, que les autres parties à l’échange de courriels en cause établies à l’extérieur de l’EEE n’étaient des concurrents ni actuels ni potentiels sur les liaisons intra-EEE, il convient de relever que la contestation de la dimension mondiale de l’entente litigieuse et du rapport de concurrence entre les transporteurs a déjà été examinée, et écartée, dans le cadre de l’examen du premier grief de la première branche du présent moyen (voir points 279 à 293 ci-dessus).
368 À supposer que, par leur référence à la pratique décisionnelle de la Commission les concernant, les requérantes entendent invoquer le principe de protection de la confiance légitime, il leur incombait d’établir que des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables, de nature à faire naître à l’égard des requérantes des espérances fondées (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2019, Eesti Pagar, C‑349/17, EU:C:2019:172, point 97). Or, le fait pour la Commission de ne pas avoir adopté de décision individuelle d’exemption à la suite de l’ouverture d’une procédure sur le fondement du règlement no 3975/87 à l’égard de l’alliance entre les requérantes, Lufthansa et un autre transporteur n’est pas susceptible de constituer, contrairement à ce que laissent entendre les requérantes, une prise de position ferme et définitive sur l’inapplicabilité de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, s’agissant de l’impact de ladite alliance sur les liaisons intra-EEE, ni a fortiori sur l’absence de rapport de concurrence entre les requérantes et Lufthansa, d’une part, et le transporteur en cause, d’autre part. Par ailleurs et en tout état de cause, dans la mesure où plusieurs membres de l’alliance Star Cargo n’étaient pas membres de l’alliance entre les requérantes, Lufthansa et le transporteur en cause, il y a lieu de considérer que la Commission n’avait pas été amenée à se prononcer, dans le cadre de la procédure ouverte sur le fondement du règlement no 3975/87, sur les éléments de fait qui font l’objet de l’échange de courriels en cause.
369 S’agissant, ensuite, de l’application de l’exemption par catégorie prévue par le règlement no 3975/87, les requérantes font valoir que l’échange de courriels en cause serait couvert par la disposition sous i) de l’annexe visée à l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 3975/87, dans la mesure où il y serait seulement question de « structure de prix ».
370 L’article 2, paragraphe 1, du règlement no 3975/87 est libellé comme suit :
« L’interdiction énoncée à l’article [101,] paragraphe 1[, TFUE] ne s’applique pas aux accords, décisions et pratiques concertées énumérés à l’annexe, dans la mesure où leur seul objet ou effet est d’apporter des améliorations ou d’instaurer une coopération sur le plan technique. Cette liste n’est pas exhaustive. »
371 La disposition sous i) de l’annexe visée à cet article est libellée, quant à elle, de la manière suivante :
« l’établissement ou l’application de règles uniformes concernant la structure et les conditions d’application des tarifs de transport, pour autant qu’elles ne fixent pas directement ou indirectement les prix et conditions de transport. »
372 Il ressort de ces dispositions que le bénéfice de l’exemption qu’elles prévoient est circonscrit aux comportements qui ont pour seul objet ou effet d’apporter des améliorations ou d’instaurer une coopération sur le plan technique. La circonstance qu’un comportement est visé à l’annexe du règlement no 3975/87 ne suffit dès lors pas pour qu’il soit dérogé au principe d’interdiction des ententes.
373 En l’espèce, il y a lieu de noter que les requérantes n’invoquent aucun objet ou effet consistant à apporter des améliorations ou à instaurer une coopération sur le plan technique qui se rattacherait aux contacts intervenus dans le cadre de l’échange de courriels en cause. Elles n’invoquent a fortiori aucun élément tendant à établir qu’un tel objet ou effet serait poursuivi de manière exclusive.
374 Par ailleurs, il ressort du point 355 ci-dessus que les requérantes, par leur courriel du 13 décembre 1999, cherchaient à sonder les autres transporteurs sur leur éventuelle intention d’introduire une STC. Il s’ensuit que, si cette prise de contact témoigne d’une volonté de se concerter avec d’autres transporteurs sur l’introduction de la STC, elle ne s’analyse pas, en revanche, en une tentative d’établir des règles uniformes sur la structure et sur les conditions d’application des tarifs de fret, au sens de la disposition sous i) de l’annexe visée à l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 3975/87.
375 Au regard de ce qui précède, il convient de rejeter l’invocation par les requérantes du bénéfice de l’exemption par catégorie prévue par l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 3975/87.
376 Troisièmement, il n’est pas établi que l’échange de courriels en cause pouvait être justifié par l’alliance Star Cargo.
377 En effet, les requérantes n’apportent pas de commencement de preuve que le fonctionnement concret de ladite alliance aurait impliqué que ses membres se coordonnent sur la STC. Elles relèvent elles-mêmes que, si elles ont tenté, avec Lufthansa, de former l’alliance Star Cargo, leurs tentatives ont tourné court en 2000. Si une déclaration réciproque d’intentions entre membres de l’alliance a bien été adoptée en avril 1999, ainsi qu’il ressort de la réponse des requérantes à la communication des griefs, ces dernières n’apportent aucun élément attestant d’un début ultérieur de mise en œuvre opérationnelle qui aurait justifié l’échange de courriels en cause.
378 Au regard de ce qui précède, il y a lieu de considérer que la Commission n’a pas commis d’erreur en considérant que l’échange de courriels en cause contribuait à établir la participation des requérantes à l’infraction unique et continue et en déterminant, sur la base dudit échange, la date de début de leur participation à ladite infraction.
379 Partant, la présente branche doit être rejetée.
d) Sur la quatrième branche, prise d’erreurs dans l’appréciation des comportements relevant de l’alliance WOW
380 La présente branche est tirée d’erreurs dans l’appréciation des comportements relevant de l’alliance WOW. Cette branche s’articule autour de trois griefs, déduits, le premier, d’erreurs dans le constat de l’illégitimité des contacts entre membres de l’alliance WOW, le deuxième, de l’omission fautive d’examiner la compatibilité des contacts au sein de l’alliance WOW avec l’article 101 TFUE et, le troisième, d’erreurs tenant à l’inclusion desdits contacts dans le champ de l’infraction unique et continue.
1) Sur le premier grief, déduit d’erreurs dans le constat de l’illégitimité des contacts entre membres de l’alliance WOW
381 Les requérantes observent que la décision attaquée se fonde sur 18 communications impliquant seulement des transporteurs de l’alliance WOW pour retenir leur participation à l’infraction unique et continue. Elles avancent que la Commission a eu tort de conclure, au considérant 971 de la décision attaquée, que ces contacts au sein de l’alliance WOW se situaient « en dehors du cadre légitime de l’alliance ».
382 En effet, les comportements dans le cadre de l’alliance WOW relèveraient en réalité de l’objet général de l’accord, tel qu’il est décrit aux considérants 928 à 931 de la décision attaquée, qui consistait pour ses membres à former un système de cargo intégré et à combiner leurs activités du segment cargo, y compris par l’établissement d’un réseau intégré, l’intégration des ventes et le partage des coûts et des recettes. Les requérantes estiment ainsi que la Commission a minimisé la mise en œuvre de la coopération dans le cadre de l’alliance WOW et a surévalué la portée des contacts concernant les surtaxes.
383 Les requérantes se plaignent également de ne pas avoir été entendues sur certains faits et conclusions de la Commission relatifs à l’étendue de la mise en œuvre de l’alliance et à la portée de la coordination des surtaxes en son sein.
384 Enfin, la Commission se serait fondée à tort sur les éléments rapportés aux considérants 950, 956 et 957 de la décision attaquée pour tenter de montrer que la nature illégitime des contacts au sein de l’alliance WOW était connue.
385 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
i) Sur la violation des droits de la défense
386 À titre liminaire, il convient d’examiner l’invocation par les requérantes de la violation de leurs droits de la défense, en ce que, d’une part, les conclusions de la Commission relatives à l’étendue de la mise en œuvre de l’alliance WOW et à la portée des contacts concernant les surtaxes au sein de l’alliance WOW ne figuraient pas dans la communication des griefs et, d’autre part, certains éléments autres que ceux mentionnés dans le cadre du premier moyen ont été utilisés à l’appui de ces conclusions sans leur avoir été communiqués au préalable.
387 S’agissant du premier reproche fait à la Commission, relatif à une divergence entre le contenu de la communication des griefs et celui de la décision attaquée, il y a lieu de rappeler que, comme il a été indiqué au point 136 ci-dessus, le respect des droits de la défense exige, notamment, que la communication des griefs contienne les éléments essentiels retenus à l’encontre de l’entreprise concernée, tels que les faits reprochés, la qualification qui leur est donnée et les éléments de preuve sur lesquels la Commission se fonde.
388 Toutefois, comme il ressort du point 138 ci-dessus, les appréciations de fait et de droit qui figurent dans la communication des griefs ont un caractère purement provisoire et la Commission n’est pas liée à leur maintien.
389 En l’espèce, il convient de noter que la communication des griefs faisait état, au point 1321, de l’ensemble des contacts attestant de la participation des requérantes à l’infraction unique et continue. Il était précisé, aux points 1325 et 1327 de cette communication, que les éléments de preuve de la participation des requérantes aux composantes de l’infraction unique et continue relatives à la STC et à la STS se rattachaient notamment à certaines réunions et discussions ayant eu lieu au sein de l’alliance WOW. Par ailleurs, les requérantes ne contestent pas que l’objectif de l’entente litigieuse consistant, pour les transporteurs incriminés, à coordonner leur comportement en matière de tarification pour la fourniture de services de fret dans le monde entier par le biais, en particulier, de la STC et de la STS était déjà indiqué dans la communication des griefs. Il s’ensuit que la portée des contacts au sein de l’alliance WOW concernant les surtaxes ressortait bien du contenu de ladite communication et ne reposait pas, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, sur une allégation nouvelle apparue pour la première fois dans la décision attaquée.
390 Quant aux développements, dans la décision attaquée, relatifs à l’étendue de la mise en œuvre de l’alliance WOW, il est certes constant que ceux-ci ne figuraient pas dans la communication des griefs. Il convient cependant de constater que lesdits développements ont pour objet d’analyser et de répondre aux arguments détaillés, émanant notamment des requérantes, dans les réponses à la communication des griefs qui tendent à justifier les contacts au sein de l’alliance WOW au regard des objectifs légitimes poursuivis par cette dernière. La Commission n’ajoute pas ce faisant aux faits reprochés aux requérantes, mais se contente de se prononcer sur ceux avancés par celles-ci et d’autres transporteurs, destinataires de la communication des griefs et membres de l’alliance WOW, dans leurs réponses. Enfin, l’appréciation en droit faite par la Commission aux termes de laquelle elle conclut, au considérant 971 de la décision attaquée, que l’alliance WOW ne justifie pas la coordination des surtaxes conduite en son sein figurait déjà, certes de manière sommaire, mais à suffisance de droit, au point 1446 de la communication des griefs.
391 S’agissant du second reproche fait à la Commission, relatif à l’absence de communication durant la procédure administrative de certains éléments à charge, mentionnés aux considérants 933 et 949 de la décision attaquée, les principes énoncés aux points 90 à 96 ci-dessus au sujet de la portée du droit d’accès au dossier trouvent à s’appliquer.
392 Les requérantes soutiennent ainsi que constitue un élément à charge non divulgué la déclaration de Lufthansa contenue dans la réponse à la communication des griefs et rapportée au considérant 933 de la décision attaquée, selon laquelle « l’alliance [WOW] est inactive aujourd’hui et qu’il n’est plus possible de se référer au fait qu’elle exploite un réseau de liaisons ». À cet égard, il convient de relever que cette déclaration, d’une part, est reprise sous le point intitulé « Analyse de l’alliance WOW : mise en œuvre de l’accord d’alliance » et, d’autre part, est invoquée aux fins d’appuyer le constat que l’alliance WOW n’avait connu qu’une mise en œuvre limitée. Elle corrobore ainsi la thèse de la Commission selon laquelle l’alliance WOW ne pouvait justifier la coordination des surtaxes conduite en son sein compte tenu de sa mise en œuvre limitée. Certes, il n’est pas renvoyé expressément à cette déclaration dans les considérants ultérieurs de la décision attaquée. Il n’en demeure pas moins que le contenu de cette déclaration de même que la manière dont elle s’insère dans l’économie de la décision attaquée conduisent à la conclusion qu’il s’agit d’un élément à charge. Or, ladite déclaration n’a pas été communiquée durant la procédure administrative. Il convient donc de ne pas en tenir compte dans l’examen du bien-fondé des conclusions de la Commission mises en cause dans le cadre du présent grief, de manière à déterminer, conformément à la jurisprudence rappelée au point 96 ci-dessus, si le résultat auquel elle est parvenue dans la décision attaquée aurait pu être différent si cette déclaration avait été écartée comme moyen de preuve à charge (voir points 416 et 432 ci-après).
393 Les requérantes soutiennent également que constitue un élément à charge qui ne leur est pas opposable l’extrait de la décision du 4 juillet 2005 dans l’affaire COMP/M.3770 – Lufthansa/Swiss cité au considérant 949 de la décision attaquée. Il suffit, pour rejeter cette allégation, de relever que cet extrait est cité par les requérantes elles-mêmes dans leurs réponses à la communication des griefs et que le grief pris de ce que la Commission ne leur aurait pas communiqué les documents sous-tendant l’affirmation contenue dans cet extrait a déjà été écarté dans le cadre de l’examen du premier moyen, au point 119 ci-dessus.
ii) Sur la portée de l’alliance WOW et sa mise en œuvre effective
394 Par le présent grief, les requérantes visent d’abord à remettre en cause les conclusions de la Commission, aux considérants 947 à 952 de la décision attaquée, selon lesquelles la portée de l’alliance WOW et les conditions effectives de sa mise en œuvre ne justifiaient pas une coordination tarifaire, en particulier sur les surtaxes, du type de celle mise en œuvre dans le cadre de l’entente litigieuse.
395 Les requérantes reprochent à la Commission d’avoir minimisé, dans la décision attaquée, la mise en œuvre de l’alliance WOW, en dénaturant ou en omettant de tenir compte de certains éléments de fait. L’intégration des réseaux des partenaires ressortirait ainsi de la conclusion d’accords portant sur des avions-cargos communs et de partage de capacités. L’affirmation de la Commission figurant au considérant 941 de la décision attaquée selon laquelle les parties n’auraient pas démontré que le projet d’intégration des systèmes informatiques avait fait l’objet de mesures d’exécution serait notamment contredite par la référence, au considérant 934 de cette décision, à un système commun de suivi en ligne. La Commission dénaturerait en outre les propos des requérantes en affirmant que l’intégration des fonctions de manutention était limitée ou que la coopération autour d’une marque commune n’était que ponctuelle. Enfin, la nécessité d’harmoniser les produits offerts par les membres de l’alliance WOW n’aurait pas été réfutée par la Commission et plusieurs initiatives tendant à intégrer les ventes auraient été ignorées dans la décision attaquée.
396 En l’espèce, aux considérants 947 à 952 de la décision attaquée, la Commission a conclu qu’aucune des initiatives prétendument prises dans le contexte de l’alliance WOW ne justifiait une coordination générale sur les surtaxes, au motif que la coopération au sein de ladite alliance était demeurée limitée, n’avait jamais atteint le stade d’une politique intégrée de vente et de tarification et avait été circonscrite, en substance, à des projets ciblés afférents à certaines liaisons, à certains clients ou à certains produits. Pour arriver à cette conclusion, la Commission s’est appuyée sur l’analyse des documents et des déclarations fournis, durant la procédure administrative, par les transporteurs incriminés membres de l’alliance en cause. Elle a également fait référence, aux considérants 951 et 952 de la décision attaquée, à plusieurs pièces du dossier qui démontreraient que les membres de l’alliance WOW conduisaient des politiques individuelles en matière de surtaxes qu’ils n’étaient pas disposés à mettre de côté pour les besoins de ladite alliance.
397 Les éléments avancés par les requérantes dans le cadre de la présente branche ne sont pas de nature à remettre en cause le bien-fondé des conclusions auxquelles la Commission est parvenue.
398 Tout d’abord, il y a lieu de constater que les requérantes n’invoquent pas l’existence d’une politique générale de tarification intégrée au sein de l’alliance WOW. Ensuite, elles restent en défaut de démontrer que les exemples d’intégration commerciale qu’elles citent dans leurs écritures, tels que l’existence d’agents de vente communs dans certains pays ou la mention dans l’offre tarifaire des requérantes des destinations, le cas échéant, desservies par d’autres membres de l’alliance WOW, impliquent nécessairement l’existence d’une coordination générale sur les tarifs ou sur les surtaxes. Cela vaut également pour les produits harmonisés mis en vente par l’alliance WOW mentionnés aux considérants 938 à 940 de la décision attaquée. En effet, l’harmonisation en cause concernait les conditions de délivrance du service, et en particulier les garanties offertes, mais il n’est pas établi qu’elle visait la tarification desdits produits. Quant aux hypothèses de coordination des prix au sein de l’alliance WOW mentionnées au considérant 946 de la décision attaquée, elles relevaient d’initiatives spécifiques, telles que l’exploitation conjointe d’un avion-cargo par les requérantes et SAC sur une liaison donnée ou la soumission ponctuelle d’offres communes à certains clients, notamment des transitaires. Partant, elles ne sauraient justifier la mise en œuvre d’une coordination générale sur les surtaxes.
399 En l’absence de démonstration d’une politique intégrée de vente et de tarification qui excède quelques interventions spécifiques, les autres éléments avancés par les requérantes et tendant à contester l’analyse, par la Commission, des efforts de promotion de la marque, de mise en place d’une manutention commune ou d’un système informatique intégré ne sauraient, à eux seuls, justifier une coordination générale sur les surtaxes.
400 Enfin, contrairement à ce que soutiennent par ailleurs les requérantes dans le cadre du présent grief, les éléments auxquels il est renvoyé notamment aux considérants 956 et 957 de la décision attaquée mettent en évidence que, pour les partenaires de l’alliance WOW, la conformité des contacts en cause avec les règles de concurrence n’allait pas de soi.
iii) Sur la portée des contacts au sein de l’alliance WOW
401 Les requérantes entendent contester la portée donnée, par la Commission, aux contacts au sein de l’alliance WOW en faisant valoir que ceux-ci se rattachaient à des initiatives particulières et locales qui ne sauraient, comme telles, présenter de lien avec l’infraction unique et continue.
402 Les requérantes contestent ainsi la portée donnée par la Commission, dans la décision attaquée, à 18 contacts entre membres de l’alliance WOW auxquels il est fait référence aux considérants 401, 434, 484, 488, 490, 494, 496, 497, 512, 517, 531, 546, 596 et 628 à 632. Aucun ne relèverait d’une coordination générale sur les surtaxes. Il convient d’examiner l’allégation des requérantes pour chacune des catégories de contacts visées.
403 En premier lieu, le contact visé au considérant 596 de la décision attaquée porte sur une communication de SAC à l’attention de Lufthansa et des requérantes datée du 1er octobre 2001 par laquelle elle indique qu’elle introduira la STS à compter du 8 octobre 2001. Les requérantes allèguent que ce contact s’inscrit dans le contexte propre aux États-Unis et relatif au lancement, quelques jours auparavant, des services express harmonisés sous la marque WOW. Or, outre qu’elles n’apportent aucun élément attestant d’une telle portée restreinte de l’annonce faite par SAC, il y a lieu de relever que l’introduction imminente d’une STS par cette dernière était discutée, dès le 28 septembre 2001, dans plusieurs forums distincts impliquant d’autres transporteurs (voir considérants 592 et 594 de la décision attaquée), ce qui rend d’autant moins vraisemblable l’explication alternative proposée par les requérantes.
404 En deuxième lieu, s’agissant des contacts visés aux considérants 401, 434, 484, 494, 497, 512 et 546 de la décision attaquée, les requérantes font valoir en substance que ceux-ci s’inscrivaient dans le cadre d’échanges propres à la « Scandinavie » entre membres de l’alliance WOW relatifs à la méthode de conversion de la STC en monnaie locale, qui étaient justifiés par l’exploitation d’avions-cargos communs avec Lufthansa et Japan Airlines, d’une part, puis avec SAC, d’autre part. Or, il convient de relever que les requérantes n’apportent aucun élément au soutien de cette thèse, alors que les éléments rapportés dans la décision attaquée s’interprètent, à défaut d’éléments contraires et au vu de l’applicabilité générale de surtaxes (voir points 279 à 288 ci-dessus et 445 ci-après), comme portant sur les intentions de Lufthansa quant à l’application générale de la STC, indépendamment de tout projet spécifique à l’alliance WOW.
405 En troisième lieu, s’agissant de la communication visée au considérant 488 de la décision attaquée, les requérantes invoquent le contexte réglementaire propre au Japon pour exclure que cette communication s’inscrive dans les objectifs poursuivis par l’infraction unique et continue. Cet argument est examiné ci-après dans le cadre du deuxième grief de la sixième branche du présent moyen.
406 En quatrième lieu, s’agissant des courriels visés aux considérants 490 et 496 de la décision attaquée, qui émanent du représentant des requérantes aux États-Unis et font état de la coordination de la STC à l’œuvre entre membres de l’alliance WOW dans ce pays, il est soutenu qu’ils s’expliquent par le contexte des efforts entrepris par ledit responsable pour renforcer l’alliance aux États-Unis ainsi que celui des accords de réservation de capacités entre membres de cette alliance. Or, il suffit de constater que, par leur argumentation, les requérantes ne remettent pas en cause la portée de la coordination de la STC évoquée dans les courriels en cause et n’établissent pas qu’elle aurait été limitée aux accords de réservation de capacités conclus entre membres de l’alliance.
407 En cinquième lieu, s’agissant du courriel du 3 octobre 2005 visé au considérant 517 de la décision attaquée, les requérantes font valoir qu’il concernait les conditions d’élaboration d’une offre commune à un transitaire et n’était dès lors manifestement pas sans rapport avec la mise en œuvre de l’alliance WOW. La Commission conteste cette lecture des requérantes et considère que le courriel en cause traite pour partie de l’approche générale des membres de l’alliance WOW en matière de surtaxes, indépendamment de l’offre commune en cause. Elle s’appuie en outre sur la mention dans l’échange selon laquelle « cette question [des surtaxes] a été “brièvement” abordée lors de la dernière réunion [du conseil global des ventes], mais [qu’]aucune observation n’a été inscrite dans le procès-verbal de la réunion (antitrust!) ».
408 Or, il ressort de ce courriel qu’il avait pour objet, comme le soulignent à juste titre les requérantes, de préparer une rencontre avec le transitaire visé par l’offre commune, qui devait se tenir dix jours plus tard. Le courriel fait rapport, dans ce contexte, de discussions intervenues au niveau du conseil global des ventes, dans lequel siégeaient les vice-présidents des membres de l’alliance WOW chargés des ventes :
« Il a été mentionné que [l’alliance] WOW utilisera le modèle de L[ufthansa] dans les marchés “neutres” ; États-Unis, Europe. Ainsi, certains accords locaux sur d’autres marchés peuvent s’appliquer, par exemple au Japon (participation des pouvoirs publics) ou sur les marchés asiatiques, où les concurrents utilisent des modèles différents. »
409 L’auteur du courriel ajoute :
« Dans ma documentation, j’ai trouvé la convention de mandat délivrée aux négociations d’Exel l’année dernière (copie ci-jointe) où tous les transporteurs ont accepté d’utiliser le modèle de [Lufthansa] pour les surtaxes. Pouvons-nous utiliser la même formulation dans l’affaire CAT/DHL ?????????? Pourrions-nous poser la question [au conseil global des ventes] pour avoir une réponse rapide ? »
410 Si ce dernier extrait s’inscrit effectivement dans le cadre de l’élaboration de l’offre commune en cause, celui repris au point 408 ci-dessus pourrait également relever, eu égard au contexte dans lequel il s’inscrit, de l’élaboration de ladite offre, contrairement à ce qu’affirme la Commission. À cet égard, la référence aux « accords locaux » peut s’interpréter comme l’application d’accords spécifiques au client transitaire au départ de certains aéroports, cette interprétation étant d’autant plus vraisemblable que l’objet du courriel était d’arrêter les conditions de l’offre commune qui devait être faite par l’alliance WOW à ce client. Il est vrai que l’allusion, exprimée par l’exclamation « (antitrust !) », au risque que la discussion intervenue au niveau du conseil global des ventes puisse être interdite par le droit de la concurrence est un indice en sens contraire. Toutefois, à elle seule, cette allusion ne suffit pas à priver de vraisemblance la lecture proposée par les requérantes, qui repose, non pas sur des allégations non étayées, mais sur le contenu même du courriel en cause.
411 En conséquence, il convient de considérer que le courriel du 3 octobre 2005 visé au considérant 517 de la décision attaquée s’inscrit exclusivement dans l’objectif d’élaboration d’une offre commune de l’alliance WOW à un client prospectif et n’est, dès lors, pas de nature à contribuer à établir la participation des requérantes à l’infraction unique et continue.
412 En sixième lieu, s’agissant des contacts visés aux considérants 531 et 628 à 632 de la décision attaquée, les requérantes font valoir, d’une part, qu’ils étaient justifiés par le projet d’exploitation d’un avion-cargo commun avec SAC sur la liaison Copenhague-Chicago et, d’autre part, que la coordination concernait exclusivement l’application de la STS sur les liaisons au départ du Danemark.
413 À cet égard, tout d’abord, s’agissant de la portée de la coordination mise en œuvre dans le cadre des contacts susvisés, il y a lieu de relever que lesdits contacts ne se limitent pas à la coordination de la STS, puisque le contact visé au considérant 531 de la décision attaquée aborde plus largement la question des surtaxes. Ensuite, s’agissant des contacts afférents à la STS, il ressort en particulier du considérant 630 de la décision attaquée que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la portée des contacts en cause n’était pas limitée aux liaisons au départ du Danemark, mais concernait plus largement l’imposition de la STS en Europe à un taux harmonisé. Cela est corroboré par la teneur générale du courriel interne décrit audit considérant : « lors de notre réunion de la WOW pour l’Europe, nous étions convenus que nous imposerions des surtaxes. Me rends compte que ce n’est pas aussi simple que ce que nous avions pensé ou espéré » ; « [s]i chacun va dans une direction différente, il ne faudra que quelques jours avant que nous passions le pire des marchés » ; « [n]ous devons décider au sein de la WOW si nous souhaitons continuer comme auparavant ou si nous préférons une scission comme KL[M]/AF ». Il est également indiqué, dans le courriel interne des requérantes cité au considérant 632 de la décision attaquée, que « [c’]est nous, la WOW, c’est-à-dire [Lufthansa] + [les requérantes], qui nous sommes battus avec [SAC] depuis toujours pour qu’elle augmente sa STS de 0,10 à 0,13… ». Or, les taux de 0,10 et 0,13 ne correspondent pas aux taux pratiqués au Danemark par SAC tels qu’ils ressortent des éléments fournis par les requérantes dans leur annexe A.57.
414 Il s’ensuit que doit être rejetée l’allégation des requérantes quant à la portée réduite de la coordination matérialisée par les pièces citées aux considérants 531 et 628 à 632 de la décision attaquée. En conséquence, c’est à bon droit que les contacts en cause ont été considérés comme contribuant à établir la participation des requérantes à l’infraction unique et continue, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’argument, devenu inopérant, pris du caractère justifié d’une coordination sur les surtaxes de portée plus restreinte en raison des nécessités de l’exploitation en commun d’un avion-cargo.
415 Au regard de l’ensemble ce qui précède, il y a lieu de conclure que le courriel du 3 octobre 2005 visé au considérant 517 de la décision attaquée doit s’interpréter comme s’inscrivant exclusivement dans l’objectif d’élaboration d’une offre commune de l’alliance WOW à un client prospectif et n’est, dès lors, pas de nature à contribuer à établir la participation des requérantes à l’infraction unique et continue. Il convient, en conséquence, de l’écarter du faisceau d’indices que les requérantes contestent dans son ensemble dans le cadre de la dixième branche du présent moyen.
416 Il résulte également de ce qui précède qu’il ne saurait être considéré que le résultat auquel la Commission est parvenue dans la décision attaquée aurait pu être différent une fois écartée comme moyen de preuve à charge la déclaration de Lufthansa contenue dans la réponse à la communication des griefs et rapportée au considérant 933, dont il a été conclu, au point 392 ci-dessus, que la Commission avait refusé à tort son accès aux requérantes. En effet, y compris en son absence, la Commission était fondée, sur la base des éléments de preuve demeurant à sa disposition, à conclure que l’alliance WOW ne pouvait justifier la coordination des surtaxes conduite en son sein compte tenu de sa mise en œuvre limitée.
2) Sur le deuxième grief, déduit de l’omission fautive d’examiner la compatibilité des contacts au sein de l’alliance WOW avec l’article 101 TFUE
417 Selon les requérantes, la Commission a commis une erreur en s’abstenant d’effectuer au préalable un examen de la compatibilité avec l’article 101 TFUE des contacts au sein de l’alliance WOW. D’une part, la Commission se serait écartée de façon discriminatoire et rétroactive de l’analyse qu’elle applique aux autres alliances aériennes et qui passe par l’observation des chevauchements entre les membres de l’alliance WOW sur un marché pertinent. D’autre part, elle aurait omis de tenir compte des déclarations des requérantes relatives à l’application de l’article 101, paragraphe 3, TFUE.
418 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
i) Sur l’application rétroactive et discriminatoire d’une nouvelle interprétation de la norme applicable aux alliances aériennes
419 Il y a lieu de rappeler que les principes de légalité des peines et de sécurité juridique ne sauraient être interprétés comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale, mais peuvent s’opposer à l’application rétroactive d’une nouvelle interprétation d’une norme établissant une infraction (voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, point 217).
420 Tel est en particulier le cas s’il s’agit d’une interprétation jurisprudentielle dont le résultat n’était pas raisonnablement prévisible au moment où l’infraction a été commise, au vu notamment de l’interprétation retenue à cette époque dans la jurisprudence relative à la disposition légale en cause (voir arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, point 218 et jurisprudence citée).
421 Ces principes sont également applicables à la Commission lorsqu’elle interprète les dispositions des articles 101 et 102 TFUE en vue de l’adoption d’une décision de sanction (voir, en ce sens, arrêts du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, point 222, et du 10 juillet 2014, Telefónica et Telefónica de España/Commission, C‑295/12 P, EU:C:2014:2062, point 149).
422 En l’espèce, les requérantes se prévalent de plusieurs décisions rendues par la Commission autorisant une opération de concentration entre deux transporteurs, soit sur le fondement du règlement (CEE) no 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO 1989, L 395, p. 1, rectificatif JO 1990, L 257, p. 13), soit sur le fondement du règlement no 139/2004. Elles ne visent pas, à cet égard, les cas résiduels dans lesquels l’article 101 TFUE pourrait trouver à s’appliquer à l’occasion de l’examen d’une opération de concentration, conformément, notamment, à l’article 2, paragraphe 4, du règlement no 139/2004. Elles se fondent, ce faisant, sur l’application de règles matérielles autres que celles découlant de l’article 101 TFUE et ne sauraient dès lors en tirer argument pour reprocher à la Commission d’avoir appliqué rétroactivement une nouvelle interprétation de la norme applicable en l’espèce.
423 S’agissant ensuite de l’invocation, par les requérantes, de décisions d’exemption de certaines alliances aériennes adoptées par la Commission sous l’empire de la procédure applicable antérieurement à l’entrée en vigueur du règlement no 1/2003, il ressort des considérants 922 à 925 de la décision attaquée que la Commission n’a pas examiné si l’article 101 TFUE était inapplicable à l’alliance WOW, mais a seulement analysé si les contacts en son sein retenus dans la décision attaquée s’inscrivaient dans le cadre de ladite alliance ou dépassaient les formes de coopération prévues par celle-ci et effectivement mises en œuvre. En conséquence, en raison du fait qu’elles n’avaient pas le même objet, les décisions invoquées par les requérantes ne sauraient refléter une interprétation de l’article 101 TFUE différente de celle retenue dans la décision attaquée.
424 Les requérantes font également valoir que l’alliance WOW a fait l’objet d’un traitement discriminatoire par rapport à d’autres alliances aériennes, dans la mesure où la responsabilité d’une partie de leurs membres n’aurait pas été retenue dans la décision attaquée. À cet égard, il suffit de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la circonstance qu’une entreprise qui se trouvait dans une situation semblable à celle de la partie requérante n’ait fait l’objet d’aucune constatation d’infraction de la part de la Commission ne saurait permettre d’écarter l’infraction retenue à l’encontre de ladite partie requérante, dès lors que celle-ci a été correctement établie, et alors même que le juge de l’Union n’est pas saisi de la situation de cette autre entreprise (voir arrêt du 16 juin 2015, FSL e.a./Commission, T‑655/11, EU:T:2015:383, point 461 et jurisprudence citée).
ii) Sur l’absence de prise en compte des déclarations des requérantes relatives à l’application de l’article 101, paragraphe 3, TFUE
425 Ainsi qu’il est rappelé à l’article 2 du règlement no 1/2003, il incombe à l’entreprise ou à l’association d’entreprises qui invoque le bénéfice des dispositions de l’article 101, paragraphe 3, TFUE d’apporter la preuve que les conditions posées à ce paragraphe sont remplies. En conséquence, la personne qui se prévaut de l’article 101, paragraphe 3, TFUE doit démontrer que ces conditions sont réunies, au moyen d’arguments et d’éléments de preuve convaincants (arrêt du 24 mai 2012, MasterCard e.a./Commission, T‑111/08, EU:T:2012:260, point 196).
426 Pour sa part, la Commission doit examiner adéquatement ces arguments et ces éléments de preuve, c’est-à-dire déterminer s’ils démontrent que les conditions d’application de l’article 101, paragraphe 3, TFUE sont réunies. Dans certains cas, ces arguments et ces éléments de preuve peuvent être de nature à l’obliger à fournir une explication ou une justification, faute de quoi il est permis de conclure que la charge de la preuve incombant à la personne se prévalant de l’article 101, paragraphe 3, TFUE a été satisfaite. La Commission doit, en pareil cas, réfuter ces arguments et ces éléments de preuve (arrêt du 24 mai 2012, MasterCard e.a./Commission, T‑111/08, EU:T:2012:260, point 197).
427 En l’espèce, les requérantes invoquaient dans leurs réponses à la communication des griefs le bénéfice des dispositions de l’article 101, paragraphe 3, TFUE à l’égard de l’alliance WOW. Or, à supposer que l’alliance WOW ait rempli les conditions d’application desdites dispositions, il n’en demeure pas moins, d’une part, que la portée de l’entente litigieuse ne se confondait pas avec celle de l’alliance WOW et, d’autre part, que les contacts entre membres de l’alliance WOW retenus dans la décision attaquée excédaient, pour l’essentiel, le cadre de la mise en œuvre de ladite alliance. Partant, c’est sans commettre d’erreurs que la Commission s’est abstenue de fournir des explications quant aux éléments apportés par les requérantes au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE et s’est contentée de conclure, au considérant 1050 de la décision attaquée, que les accords d’alliances conclus entre les transporteurs incriminés ne pouvaient légitimer les agissements litigieux.
3) Sur le troisième grief, déduit d’erreurs tenant à l’inclusion des contacts au sein de l’alliance WOW dans le champ de l’infraction unique et continue
428 Les requérantes soutiennent que leurs contacts au sein de l’alliance WOW ne faisaient pas objectivement partie de l’infraction unique et continue et ne prouvaient pas non plus qu’elles en avaient connaissance. Les requérantes s’appuient sur plusieurs différences entre les contacts au sein de l’alliance WOW et les communications « trans-alliances » dans le cadre de l’infraction unique et continue qui tiendraient notamment à leur objectif, au personnel participant, à leur chronologie, à l’implication des autorités compétentes ainsi qu’à leur modus operandi.
429 D’emblée, il y a lieu de constater que les requérantes s’appuient, pour dénier l’existence d’un lien objectif entre les contacts entre membres de l’alliance WOW et l’infraction unique et continue, sur un ensemble de facteurs reposant sur la prémisse erronée que lesdits contacts s’inscrivaient dans le cadre de la mise en œuvre de l’alliance WOW. Il en est ainsi de la mise en avant d’un objectif prétendument différent, des contacts pris avec les autorités au sujet de la constitution de l’alliance WOW ou de l’absence de rivalité entre membres de ladite alliance.
430 Ainsi qu’il ressort de l’examen des deux premiers griefs de la présente branche, les discussions intervenues au sein de l’alliance WOW répondent à plusieurs des critères que le juge de l’Union considère comme étant pertinents pour apprécier le caractère unique d’une infraction (voir point 298 ci-dessus) et que la Commission a retenus dans la décision attaquée pour qualifier les agissements litigieux d’« infraction unique complexe et continue » (voir point 300 ci-dessus). En effet, à l’instar des autres agissements dont la Commission a considéré qu’ils s’inscrivaient dans l’infraction unique et continue, ces discussions concernaient toutes les services de fret (service unique). De même, elles portaient toutes sur les intentions futures des transporteurs impliqués, voire sur l’adoption d’une ligne de conduite commune, s’agissant de l’introduction ou de la mise en œuvre des surtaxes (objectif anticoncurrentiel et nature uniques de l’infraction).
431 Par ailleurs, l’argumentation des requérantes n’est pas de nature à remettre en cause l’existence d’un plan d’ensemble. Premièrement, quant à l’absence d’identité du personnel impliqué dans les contacts entre membres de l’alliance WOW et dans les autres contacts litigieux, d’une part, l’identité des personnes physiques impliquées n’est pas une condition nécessaire à l’existence d’une infraction unique (voir point 360 ci-dessus) et, d’autre part, il convient d’observer que, dans les deux cas, le personnel impliqué relevait souvent de l’administration centrale, contrairement à ce que soutiennent les requérantes. Deuxièmement, plusieurs considérations mentionnées par les requérantes, telles que la forme, verbale ou écrite, des contacts entre membres de l’alliance WOW, à les supposer établies, ne sont pas, eu égard à leur caractère mineur, de nature à remettre en cause les conclusions de la Commission relatives à l’existence d’une infraction unique. Troisièmement, la perception qu’avaient les membres d’un prétendu « groupe restreint » sur le rôle joué par les discussions intervenant au sein de l’alliance WOW, outre qu’elle n’est pas étayée dans les écritures des requérantes, n’est pas de nature à remettre en cause la valeur probante des différents contacts recensés dans la décision attaquée impliquant les membres de ladite alliance ainsi que les conclusions qu’en a tirées la Commission quant à l’identité d’objet anticoncurrentiel.
432 Il s’ensuit que le présent grief doit être rejeté et, partant, la quatrième branche dans son ensemble, étant rappelé qu’il sera tenu compte, au titre de l’examen d’ensemble conduit dans le cadre de la dixième branche du présent moyen, des constats opérés au point 415 ci-dessus.
e) Sur la huitième branche, prise d’erreurs tenant à l’inclusion dans l’infraction unique et continue d’événements locaux et disparates intervenus dans quelques pays
433 Les requérantes soutiennent que les contacts visés aux considérants 144, 173, 174, 395, 411, 425, 559 et 584 de la décision attaquée revêtaient un caractère local et disparate et ne pouvaient donc servir à établir leur participation à l’infraction unique et continue à l’échelle mondiale ou leur connaissance de celle-ci. La Commission serait aussi restée en défaut de réfuter les arguments et les éléments de preuve qu’elles ont apportés, lesquels tendaient à établir qu’il n’existait aucun lien intrinsèque entre ces contacts et ceux intervenus dans le cadre de l’entente litigieuse.
434 Lesdits contacts et l’infraction unique et continue n’auraient pas poursuivi le même objectif, auraient impliqué des transporteurs et des employés différents et se seraient distingués par leur date, leur lieu et leur contenu. En effet, lesdits contacts auraient revêtu un caractère isolé, auraient impliqué des employés locaux en Allemagne, au Danemark et en Finlande et des transporteurs non incriminés ou des transporteurs auxquels ces contacts n’avaient pas été opposés et auraient concerné des discussions ponctuelles au sujet de questions locales spécifiques. Le fait de rendre compte au siège des requérantes de tels contacts ne saurait automatiquement établir l’existence d’une coordination ou d’un échange d’informations au niveau du siège des requérantes qui dépasse la question locale concernée.
435 Les requérantes font aussi valoir que plusieurs des contacts en cause n’auraient conduit à aucune coordination ou n’auraient pas eu d’effet sur leur comportement.
436 Les requérantes ajoutent que les contacts en cause n’ont pas permis à leur personnel d’avoir connaissance de l’entente mise en œuvre autour du groupe restreint et que la Commission n’a pas démontré que les personnes physiques impliquées entendaient, par leur implication dans ces contacts, contribuer à une entente mondiale.
437 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
438 Il convient d’observer que, à l’instar des contacts afférents à l’alliance WOW examinés dans le cadre de la quatrième branche du présent moyen, les quatre séries de contacts visés aux considérants 144, 173, 174, 395, 411, 425, 559 et 584 de la décision attaquée répondent à plusieurs des critères que le juge de l’Union considère comme étant pertinents pour apprécier le caractère unique d’une infraction (voir point 298 ci-dessus) et que la Commission a retenus dans la décision attaquée pour qualifier les agissements litigieux d’« infraction unique complexe et continue » (voir point 300 ci-dessus).
439 En premier lieu, à l’instar des autres agissements dont la Commission a considéré qu’ils s’inscrivaient dans l’infraction unique et continue, ces quatre séries de contacts concernaient toutes les services de fret (service unique). De même, elles portaient toutes sur les intentions futures des transporteurs impliqués, voire sur l’adoption d’une ligne de conduite commune, s’agissant de l’introduction ou de la mise en œuvre des surtaxes (objectif anticoncurrentiel et nature uniques de l’infraction).
440 En effet, premièrement, l’échange interne de courriels des 5 au 11 janvier 2000 décrit au considérant 144 de la décision attaquée fait état de discussions entre le responsable local des requérantes en Finlande et trois autres transporteurs incriminés au sujet de l’introduction de la STC (voir également point 357 ci-dessus). Il est ainsi indiqué que, dans le cadre desdites discussions, le responsable local de British Airways a expliqué que British Airways n’avait « toujours pas décidé si la [STC] serait mise en œuvre ou non », tandis que le responsable local de KLM a proposé que « nous devrions tous nous en tenir à cette [STC] » et qu’un employé de Lufthansa a confirmé que Lufthansa « adhérera[it] à cette [STC] ».
441 Deuxièmement, la « réunion amicale » du 22 janvier 2001 décrite aux considérants 173 et 174 de la décision attaquée a notamment porté sur la mise en œuvre de la STC. Il ressort ainsi d’un mémorandum interne d’une employée de Martinair au sujet de cette réunion, tel que résumé au considérant 174 de la décision attaquée, que « [Lufthansa] devait réduire le niveau de la STC au 1er février 2001, tandis que [Cargolux, Swiss, un autre transporteur, KLM et British Airways] maintenaient le niveau de la STC ».
442 Troisièmement, les considérants 395, 411, 425 et 559 de la décision attaquée décrivent des contacts intervenus entre 2004 et 2005 au sujet de la mise en œuvre de la STC. Il s’agit, tout d’abord, d’un courriel du 22 septembre 2004 par lequel Lufthansa a transmis à différents transporteurs une annonce d’augmentation de la STC (considérant 411), ensuite, de réunions des 3 septembre 2004 et 17 novembre 2005 du comité cargo du Board of Airlines Representatives in Germany (conseil des représentants des compagnies aériennes en Allemagne, ci-après le « BARIG »), dans le cadre desquelles Lufthansa a fourni à plusieurs transporteurs des informations au sujet de la STC (considérants 425 et 559) et, enfin, d’une réunion du SCC du BAR de Singapour du 23 juillet 2004, dans le cadre de laquelle un responsable de SAC a invité les autres transporteurs, en rapport avec l’examen de la STC, à « exercer un certain niveau de coopération lors des exercices futurs compte tenu de la nécessité d’améliorer la transparence au sujet de ces surtaxes » (considérant 395).
443 Quatrièmement, le considérant 584 de la décision attaquée décrit un courriel du 25 septembre 2001. Il ressort de courriel, tel que résumé par la Commission audit considérant, qu’un employé local de SAC « en Scandinavie » a communiqué aux requérantes les « plans de concurrents […] qui envisage[aie]nt tous l’introduction d’une STS, mais qui préféraient que [les requérantes] fasse[nt] le premier pas ».
444 En second lieu, s’agissant du lieu, du calendrier, du contenu et de la dimension prétendument locale des quatre séries de contacts en cause et des personnes impliquées dans celles-ci, il convient de constater que les requérantes se méprennent.
445 Il est vrai que, comme le relèvent les requérantes, certains des contacts visés aux considérants 144, 173, 174, 395, 411, 425, 559 et 584 de ladite décision revêtaient une dimension locale et, pour certains, n’ont pas eu lieu au même moment que les annonces des décisions en matière de STC et de STS. Il convient, cependant, d’observer que, loin de démontrer que ces contacts ne s’inscrivaient pas dans l’infraction unique et continue, cette circonstance ne sont qu’une conséquence des modalités de mise en œuvre de l’entente litigieuse. En effet, comme il ressort du considérant 889 de la décision attaquée, les surtaxes étaient des mesures d’application générale qui n’étaient pas spécifiques à une liaison, mais avaient pour but d’être appliquées à toutes les liaisons, au niveau mondial. C’est pourquoi, ainsi que la Commission l’a expliqué dans la note en bas de page no 1323 et aux considérants 876 et 1046 de cette décision, les décisions concernant les surtaxes étaient généralement prises au niveau des sièges de chaque transporteur, en raison de leur application mondiale, mais étaient mises en œuvre au niveau local par le personnel local et pouvaient faire l’objet de variations compte tenu notamment des conditions de marché et de la réglementation locales.
446 Or, premièrement, il convient de constater que, comme le reconnaissent en substance les requérantes, l’échange interne de courriels visé au considérant 144 de la décision attaquée a eu lieu dans le mois qui a suivi l’échange de courriels des 13 et 14 décembre 1999 entre les transporteurs de l’alliance Star Cargo (voir point 360 ci-dessus), a suivi de près l’annonce de l’introduction de la STC et portait sur la réponse qu’il convenait d’apporter à l’opposition que cette annonce avait suscitée de la part de l’association des transitaires finlandaise. C’est, au demeurant, le siège des requérantes qui est à l’origine de cet échange. Il convient, en effet, de constater que c’est un employé du siège des requérantes qui a demandé au bureau des requérantes à Helsinki (Finlande) d’avoir « un contact étroit informel » avec un employé de Lufthansa au sujet de l’opposition que l’association des transitaires finlandaise avait exprimée à l’introduction de la STC. C’est aussi le siège qui a encouragé le bureau des requérantes à Helsinki à répondre à cette association sans « faire référence à d’autres transporteurs, car ceci peut créer un problème avec les autorités de surveillance antitrust ».
447 Deuxièmement, il convient d’observer que la « réunion amicale » du 22 janvier 2001 et la réunion du comité cargo du BARIG du 17 novembre 2005 visées, respectivement, aux considérants 173 et 174 et au considérant 559 de la décision attaquée ont, à tout le moins, porté sur la mise en œuvre en Allemagne d’une modification du niveau de la STC décidée au niveau des sièges. En effet, d’une part, il ressort du mémorandum interne de Martinair décrit au point 441 ci-dessus, tel que résumé au considérant 174 de cette décision, qu’il est ressorti de la « réunion amicale » du 22 janvier 2001, à laquelle le directeur des ventes de Lufthansa pour l’Asie et l’Australie avait invité plusieurs concurrents, que « [Lufthansa] devait réduire le niveau de la STC au 1er février 2001, tandis que [Cargolux, Swiss, un autre transporteur, KLM et British Airways] maintenaient le niveau de la STC ». Or, il ressort des considérants 168 à 171 et 182 de ladite décision que ces réductions, qu’il s’agissait ici de mettre en œuvre en Allemagne, ont également été appliquées à une échelle plus large. D’autre part, la réunion du comité cargo du BARIG du 17 novembre 2005 a notamment porté sur l’annonce par Lufthansa d’une diminution de la STC à partir du 28 novembre 2005. Or, il ressort des considérants 552 à 556 et 562 de la décision attaquée que cette diminution a, elle aussi, été appliquée à une échelle plus large.
448 Troisièmement, il convient d’observer que la réunion du comité cargo du BARIG du 3 septembre 2004, visée au considérant 425 de la décision attaquée, a porté sur plusieurs « sujets d’actualité » à propos desquels Lufthansa a informé les autres participants des « nouvelles » le concernant. Parmi ces sujets figurait notamment la STC. Dans la requête, les requérantes précisent qu’il était question de modifications de la STC.
449 Le considérant 411 de la décision attaquée concerne un courriel par lequel Lufthansa a, 19 jours plus tard, transmis à seize transporteurs, dont plusieurs avaient assisté à la réunion du comité cargo du BARIG décrite au point 448 ci-dessus, son annonce d’augmentation de la STC à compter du 4 octobre 2004. Il n’est pas contesté que ce courriel a été envoyé par le responsable des ventes allemand de Lufthansa à ses homologues locaux.
450 Pour autant, les éléments au dossier tendent à démontrer que ce courriel revêtait une dimension qui n’était pas exclusivement locale. Il s’agissait, à tout le moins, d’assurer la mise en œuvre locale d’une augmentation décidée au niveau des sièges. En effet, il ne ressort ni de la décision attaquée ni des écritures des requérantes que la portée de cette augmentation n’eût pas vocation à s’appliquer aussi dans d’autres pays.
451 Au contraire, il ressort du considérant 409 de la décision attaquée que, la veille de l’envoi de ce courriel, le gestionnaire de CPA en Belgique a transmis par voie interne à son siège l’annonce d’augmentation de la STC de Lufthansa et a indiqué qu’il y aurait, le jour même, une « discussion finale avec le “secteur” pour discuter de la date lancement belge ». Aussi, il ressort des courriels internes de CPA visés au considérant 414 de la décision attaquée que la « plupart des opérateurs d’avions-cargos à Bruxelles [avaient] décidé d’augmenter [la STC] à partir du 1er octobre 2004 », mais que SAC, après avoir indiqué son intention de faire de même, s’était vu rappeler par son siège qu’elle « devait opter pour la date du 4 octobre [2004] » (voir point 289 ci-dessus).
452 En outre, les requérantes ont indiqué dans la requête qu’un même responsable des ventes en Allemagne s’était vu adresser les annonces relatives à la STC que Lufthansa leur avait transmises entre 2003 et 2004, dont celle décrite au considérant 411 de la décision attaquée.
453 Quatrièmement, il convient d’observer que, comme le reconnaissent les requérantes dans la requête, le courriel visé au considérant 584 de la décision attaquée était adressé à leur président-directeur général. Il ressort aussi de ce considérant que l’employé local de SAC qui a, dans ledit courriel, envoyé aux requérantes des informations au sujet de l’intention de différents transporteurs d’instaurer une STS les a aussi communiquées à son siège.
454 Certes, à la différence des contacts visés aux considérants 144, 173, 174, 559 et 584 de la décision attaquée, le courriel visé au considérant 584 de cette décision précède la prise d’une décision au sujet de la STS au niveau des sièges des transporteurs. Toutefois, cela s’explique par le fait que ce courriel est intervenu alors qu’il n’était pas encore certain que la STS serait instaurée.
455 Cinquièmement, il ressort du considérant 372 de la décision attaquée que la réunion du SCC du BAR de Singapour du 23 juillet 2004, visée au considérant 395 de cette décision, s’inscrivait dans le cadre de discussions entre transporteurs intervenues au cours de l’été 2004 tant au niveau des sièges qu’au niveau local concernant l’introduction de nouveaux seuils de déclenchement, la nouvelle hausse des prix du carburant et l’augmentation de la STC. Les requérantes n’apportent pas le moindre élément tendant à remettre en cause cette interprétation.
456 C’est donc à juste titre que la Commission s’est appuyée sur les contacts visés aux considérants 144, 173, 174, 395, 411, 425, 559 et 584 de la décision attaquée aux fins d’établir la participation des requérantes à l’infraction unique et continue.
457 Aucun des arguments des requérantes n’est susceptible de remettre en cause cette conclusion.
458 En premier lieu, il convient d’observer que les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la Commission était tenue de démontrer que les personnes physiques qui ont participé aux quatre contacts en cause entendaient chacune, par leur implication dans ces derniers, contribuer à l’entente litigieuse. Les requérantes ne sauraient davantage soutenir que la Commission était tenue de démontrer que ces contacts étaient de nature à permettre aux personnes impliquées d’avoir connaissance de l’« entente mise en œuvre autour du groupe restreint ».
459 Selon la jurisprudence, une entreprise ayant participé à une infraction unique et complexe par des comportements qui lui étaient propres, qui relevaient des notions d’accord ou de pratique concertée ayant un objet anticoncurrentiel au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et qui visaient à contribuer à la réalisation de l’infraction dans son ensemble, peut être également responsable des comportements mis en œuvre par d’autres entreprises dans le cadre de la même infraction pour toute la période de sa participation à ladite infraction. Tel est le cas lorsqu’il est établi que ladite entreprise entendait contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des participants et qu’elle avait connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs, ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu’elle était prête à en accepter le risque (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 42 et jurisprudence citée).
460 Ainsi, une entreprise peut avoir directement participé à l’ensemble des comportements anticoncurrentiels composant l’infraction unique et continue, auquel cas la Commission est en droit de lui imputer la responsabilité de l’ensemble de ces comportements et, partant, de ladite infraction dans son ensemble. Une entreprise peut également n’avoir directement participé qu’à une partie des comportements anticoncurrentiels composant l’infraction unique et continue, mais avoir eu connaissance de l’ensemble des autres comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par les autres participants à l’entente dans la poursuite des mêmes objectifs, ou avoir pu raisonnablement les prévoir et avoir été prête à en accepter le risque. Dans un tel cas, la Commission est également en droit d’imputer à cette entreprise la responsabilité de l’ensemble des comportements anticoncurrentiels composant une telle infraction et, par suite, de celle-ci dans son ensemble (arrêt du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 43).
461 Il en ressort que trois conditions doivent être réunies afin d’établir la participation à une infraction unique et continue, à savoir l’existence d’un plan global poursuivant un objectif commun, la contribution intentionnelle de l’entreprise concernée à ce plan et le fait qu’elle avait connaissance (prouvée ou présumée) des comportements infractionnels des autres participants auxquels elle n’a pas directement participé (arrêt du 16 juin 2011, Putters International/Commission, T‑211/08, EU:T:2011:289, point 35 ; voir, également, arrêt du 13 juillet 2018, Stührk Delikatessen Import/Commission, T‑58/14, non publié, EU:T:2018:474, point 118 et jurisprudence citée).
462 Il n’était, en revanche, aucunement nécessaire qu’il en soit de même de chacune des personnes physiques impliquées.
463 En deuxième lieu, s’agissant du fait que certains des transporteurs impliqués dans les contacts visés aux considérants 144, 173, 174, 395, 411, 425, 559 et 584 de la décision attaquée ne se sont pas vu reprocher leur participation à ceux-ci, il convient de rappeler que, comme il ressort du considérant 845 de la décision attaquée, chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement fonder la ferme conviction que chaque élément de l’infraction a été commis. Il suffit que le faisceau d’indices invoqué par l’institution, apprécié globalement et dont les différents éléments peuvent se renforcer mutuellement, réponde à cette exigence (voir arrêt du 16 novembre 2011, Sachsa Verpackung/Commission, T‑79/06, non publié, EU:T:2011:674, point 60 et jurisprudence citée).
464 C’est donc à bon droit que, au considérant 716 de la décision attaquée, la Commission a indiqué qu’elle « n’accord[ait] pas forcément la même valeur à chaque considérant […] ni à chaque élément de preuve individuel qu’il contient » et que « [l]es considérants auxquels il [était] fait référence f[aisaient] plutôt partie de l’ensemble global de preuves sur lequel [elle] se fond[ait] et [devai]ent être appréciés dans ce contexte ».
465 Or, il n’est pas démontré que la Commission disposait à l’encontre des transporteurs en cause dans les contacts en cause un faisceau d’indices équivalent à celui dont elle disposait à l’encontre des requérantes.
466 En troisième lieu, pour des motifs analogues à ceux indiqués au point 363 ci-dessus, les requérantes ne sauraient se prévaloir de l’absence d’effets sur leur comportement des contacts visés aux considérants 144 et 584 de la décision attaquée.
467 Au regard de ce qui précède, il y a lieu de rejeter la présente branche.
f) Sur la cinquième branche, prise d’erreurs tenant à l’inclusion dans l’infraction unique et continue de contacts relatifs à des accords de réservation de capacités
468 Les requérantes font valoir que la Commission a commis une erreur de fait et de droit en concluant que les courriels collectifs de Lufthansa visés aux considérants 446, 450, 482 et 495 de la décision attaquée s’inscrivaient dans l’infraction unique et continue alors même qu’ils concernaient l’application d’une STC dans le cadre d’accords de réservation de capacités entre Lufthansa et d’autres transporteurs.
469 En premier lieu, selon les requérantes, il n’est possible de trouver la preuve de l’existence et des termes de ces accords que dans des documents auxquels elles n’ont pas accès et dont elles ont demandé la production dans le cadre du premier moyen, à savoir les déclarations de clémence de Lufthansa ainsi que les réponses d’autres transporteurs à la communication des griefs. L’interprétation des requérantes serait néanmoins corroborée par les trois éléments suivants. Premièrement, ces courriels auraient été envoyés entre mars et août 2005 par le service de Lufthansa chargé de la tarification aux employés des services « réseau » de transporteurs qui s’approvisionnaient en capacités auprès d’elle. Or, ces services seraient chargés de gérer les accords de réservation de capacités entre transporteurs et ne seraient en général pas impliqués dans la tarification ou la fixation de surtaxes. Deuxièmement, Lufthansa aurait désigné par le terme « [c]hers partenaires » les destinataires de ces courriels. Troisièmement, l’existence d’accords de réservation de capacités entre Lufthansa et les destinataires desdits courriels serait la seule explication plausible du changement de destinataires d’un courriel à l’autre.
470 En deuxième lieu, la Commission serait restée en défaut de démontrer que les courriels de Lufthansa Cargo visés aux considérants 446, 450, 482 et 495 de la décision attaquée relevaient de l’infraction unique et continue.
471 En effet, d’une part, la Commission ne s’acquitterait pas de la charge de la preuve qui lui incombe et ne motiverait pas suffisamment la décision attaquée dans la mesure où elle ne répondrait à aucun des arguments et des éléments de preuve présentés par les requérantes. Or, ces arguments et éléments de preuve démontreraient qu’il n’existait aucun lien intrinsèque ni aucune interaction entre ces courriels et les communications intervenues dans le cadre de l’entente litigieuse. Tout d’abord, les courriels de Lufthansa visés aux considérants 446, 450, 482 et 495 de la décision attaquée auraient à chaque fois été envoyés à entre dix et douze transporteurs, dont aucun n’appartenait au « groupe restreint » et dont plus de la moitié n’ont pas été considérés comme ayant participé à l’entente litigieuse. Ensuite, les employés auxquels lesdits courriels étaient adressés étaient chargés de la gestion d’accords de réservation de capacités. L’employé des requérantes auquel lesdits courriels étaient adressés n’aurait d’ailleurs reçu aucun des autres courriels que la Commission a retenus à leur charge. Enfin, l’envoi desdits courriels, qui contenaient exclusivement des informations publiquement accessibles, aurait coïncidé avec l’instauration d’une STC dans les accords de réservation de capacités entre transporteurs en 2005.
472 D’autre part, la Commission n’aurait pas expliqué comment l’employé des requérantes auquel étaient adressés les courriels de Lufthansa visés aux considérants 446, 450, 482 et 495 de la décision attaquée entendait contribuer à l’infraction unique et continue, en recevant passivement des courriels contenant des annonces publiques en matière de STC pour lesquels il existait une justification commerciale légitime.
473 En troisième lieu et en tout état de cause, les courriels de Lufthansa visés aux considérants 446, 450, 482 et 495 de la décision attaquée n’auraient pas pu avoir d’influence sur le comportement des requérantes. En effet, elles auraient déterminé leur politique en matière de surtaxes dans le cadre de leur coopération avec Lufthansa au sein de l’alliance exemptée. Cette coopération se serait opérée par la voie d’échanges de courriels bilatéraux entre les sièges sociaux des deux transporteurs, lesquels auraient toujours précédé les courriels collectifs de Lufthansa.
474 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
475 À cet égard, en premier lieu, il convient de constater que, à l’instar des autres agissements relevant de l’infraction unique et continue, les courriels visés aux considérants 446, 450, 482 et 495 de la décision attaquée concernaient tous les services de fret (service unique) et portaient sur le montant et sur le calendrier de la STC (objectif anticoncurrentiel et nature uniques de l’infraction). En effet, tous ces courriels avaient pour objet d’informer leurs destinataires de l’intention de Lufthansa d’augmenter sa STC à compter d’une date future déterminée.
476 Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il ne saurait être considéré qu’il s’agissait exclusivement d’assurer la bonne exécution d’hypothétiques accords de réservation de capacités.
477 Il ressort, en effet, du considérant 482 de la décision attaquée que les contacts en cause servaient, à tout le moins en partie, de support à l’entente litigieuse. Audit considérant 482 de la décision attaquée, la Commission a cité la réponse d’un transporteur au courriel de Lufthansa cité au même considérant. Dans cette réponse, ledit transporteur informe Lufthansa de ce qui suit : « nous avons donné instruction à nos bureaux d’appliquer l’augmentation en conséquence ».
478 Or, il ne ressort pas des éléments au dossier que cette réponse s’inscrirait dans le cadre de la mise en œuvre d’un accord commercial conclu entre le transporteur en cause et Lufthansa. La circonstance que ce transporteur n’ait pas été incriminé et qu’il ait partagé ces intentions de manière bilatérale n’est pas de nature à démentir ce constat.
479 En outre, il ressort de l’examen de la chronologie des contacts relatifs à la STC que ces courriels collectifs émis par Lufthansa déclenchaient des actions en cascade chez les autres transporteurs au sujet de leurs propres STC. Ainsi, la communication de Lufthansa en date du 22 août 2005 (considérant 495) a donné lieu, le jour même ou le jour d’après, à des échanges internes aux requérantes (considérant 496), Japan Airlines (considérant 497) et un autre transporteur (considérant 498) sur la question de l’augmentation de la STC.
480 C’est aussi en vain que les requérantes se prévalent du caractère public des informations disséminées dans le cadre des contacts décrits aux considérants 446, 450, 482 et 495 de la décision attaquée. En effet, d’une part, il convient de rappeler que l’échange d’informations publiquement accessibles enfreint l’article 101, paragraphe 1, TFUE lorsqu’il constitue le support d’un autre mécanisme anticoncurrentiel (voir, en ce sens, arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 281).
481 Or, comme il ressort des considérants 118, 121, 125, 706 et 848 de la décision attaquée ainsi que des points 476 et 478 ci-dessus, tel était le cas des contacts décrits aux considérants 446, 450, 482 et 495 de la décision attaquée.
482 D’autre part, il convient d’observer, à l’instar de la Commission, que, dans le cadre des contacts décrits aux considérants 446, 450, 482 et 495 de la décision attaquée, Lufthansa ne s’est pas contentée de faire part d’informations publiquement accessibles aux parties à d’hypothétiques accords de réservation de capacités. Lufthansa leur a, au contraire, envoyé des courriels collectifs, révélant ainsi à tous les destinataires l’identité des transporteurs concernés (voir considérant 797 de la décision attaquée), ainsi que le montant et le calendrier de la STC dont ils étaient redevables au titre de ces hypothétiques accords.
483 Les requérantes n’allèguent d’ailleurs même pas que de tels envois collectifs étaient nécessaires à l’exécution de ces hypothétiques accords et les pièces du dossier tendent à démontrer que tel n’était pas le cas. Il ressort ainsi du considérant 453 de la décision attaquée que, le 22 mars 2005, Lufthansa a transmis à l’une des parties à ces hypothétiques accords le communiqué de presse annonçant une augmentation de la STC qu’elle avait préalablement transmis à ses « [c]hers partenaires » au moyen d’un courriel collectif (considérant 450). De même, il ressort des courriels figurant aux annexes A.59 à A.61 de la requête que c’est de manière bilatérale que SAC a fait part aux requérantes de son intention d’augmenter la STC dont elles étaient redevables au titre des accords de réservation de capacités qu’elles avaient conclus.
484 En deuxième lieu, il convient d’observer que l’expéditeur de trois de ces quatre courriels (considérants 446, 482 et 495 de la décision attaquée) est un employé de Lufthansa que les requérantes décrivent elles-mêmes comme étant « apparemment l’élément central de l’[infraction unique et continue] mondiale » et le « principal employé de [Lufthansa] au sein du groupe restreint ». L’expéditrice du quatrième desdits courriels (considérant 450 de la décision attaquée) était la directrice de la tarification de Lufthansa. Or, d’une part, celle-ci a été impliquée dans au moins un autre contact litigieux (considérant 455 de la décision attaquée). D’autre part, il ressort du courriel du 7 avril 2005 visé au considérant 457 de la décision attaquée que le directeur de la politique de prix de Lan Airlines a demandé à l’un de ses collègues de se mettre en contact avec elle afin de discuter de l’indice du prix du carburant.
485 Il est vrai, en revanche, que l’employé des requérantes qui s’est vu adresser les courriels de Lufthansa visés aux considérants 446, 450, 482 et 495 de la décision attaquée n’a pas participé à d’autres agissements dont la Commission a conclu qu’ils s’inscrivaient dans l’infraction unique et continue. Cela ne saurait, toutefois, suffire à démontrer que ces courriels ne s’inscrivaient pas dans l’infraction unique et continue. Ainsi, d’une part, il existe un certain chevauchement entre d’autres destinataires desdits courriels et les personnes physiques qui ont participé à d’autres agissements dont il a été conclu qu’ils s’inscrivaient dans cette infraction. En particulier, l’employé de Lan Airlines qui s’est vu adresser le courriel visé au considérant 495 de la décision attaquée a participé aux contacts litigieux décrits aux considérants 474 de la même décision.
486 D’autre part, il convient de rappeler que l’identité des personnes physiques impliquées dans les différents agissements litigieux n’est pas nécessaire à l’existence d’une infraction unique et continue. L’identité des entreprises impliquées ne l’est d’ailleurs pas non plus (voir point 316 ci-dessus).
487 En troisième lieu, il convient de constater que la méthode consistant, pour Lufthansa, à informer, par la voie de courriels collectifs, de nombreux transporteurs de son intention de modifier prochainement le niveau de la STC n’a pas été utilisée que dans le cadre de contacts dont les requérantes allèguent qu’ils visaient à l’exécution d’accords de réservation de capacités. Lufthansa a, en effet, procédé de la même manière dans le cadre d’autres contacts, tant au niveau des sièges (considérants 279 et 346 de la décision attaquée) qu’au niveau local (considérants 313 et 507 de la décision attaquée).
488 En quatrième lieu, quant au fait que l’envoi desdits courriels coïncidait avec l’inclusion de surtaxes dans des accords de réservation de capacités, il convient d’observer qu’ils sont aussi contemporains de nombreux autres contacts litigieux, dont il n’est pas soutenu qu’ils auraient tendu à l’exécution de tels accords.
489 Quant au grief tiré d’un défaut de motivation développé dans le cadre de la présente branche, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 296 TFUE et de l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la Charte, les décisions adoptées par la Commission doivent être motivées.
490 La motivation doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (voir, en ce sens, arrêt du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, EU:C:2011:620, point 147).
491 Le respect de l’obligation de motivation doit être apprécié en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires de l’acte ou d’autres personnes concernées par celui-ci au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE et de l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la Charte doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, EU:C:2011:620, point 150, et du 13 décembre 2016, Printeos e.a./Commission, T‑95/15, EU:T:2016:722, point 45).
492 Or, en l’espèce, la Commission a exposé les « [p]rincipes de base et [la] structure de l’entente » aux considérants 107 à 112 de la décision attaquée et a décrit aux considérants 118 à 120 de cette décision les contacts concernant la STC, qui comprenaient notamment des courriels disséminant des informations publiques, y compris auprès de transporteurs non incriminés. Aux considérants 869 à 883 de cette décision, elle a expliqué les motifs pour lesquels elle avait conclu à l’existence d’une infraction unique. Au considérant 719 de la même décision, elle a examiné les preuves retenues contre les requérantes quant à la composante de l’infraction unique et continue relative à la STC, dont celles visées aux considérants 446, 450, 482 et 495 de la décision en cause.
493 Dans ces conditions, au regard également de la jurisprudence pertinente, et comme il ressort au demeurant de l’argumentation quant au fond développée dans le cadre de la présente branche (voir points 475 à 488 ci-dessus), il était aisé pour les requérantes de comprendre pourquoi la Commission a retenu que ces preuves s’inscrivaient dans l’infraction unique et continue nonobstant les arguments avancés au stade de la procédure administrative et pour le Tribunal d’exercer son contrôle.
494 La présente branche doit, en conséquence, être écartée.
495 Dans ces conditions, à supposer que les requérantes aient entendu réitérer, dans le cadre de la présente branche, leur demande de production des déclarations de clémence de Lufthansa ainsi que des réponses d’autres transporteurs à la communication des griefs, le Tribunal constate que leur production n’est pas susceptible de présenter une quelconque utilité pour l’examen de la présente branche et, partant, qu’il n’y a pas lieu, par la voie d’une mesure d’organisation de la procédure, de demander à la Commission de les présenter.
g) Sur la sixième branche, prise d’erreurs dans l’appréciation de contacts intervenus dans des pays tiers
496 Les requérantes soutiennent que la Commission a commis une erreur de fait et de droit en incluant dans l’infraction unique et continue des comportements des requérantes sur les liaisons EEE-pays tiers. Les requérantes invoquent, en substance, cinq griefs à l’appui de cette thèse. Ces griefs sont tirés, le premier, d’une violation des principes de souveraineté et de non-ingérence, le deuxième, d’erreurs dans l’appréciation de la contrainte étatique à laquelle les requérantes auraient été assujetties dans plusieurs pays tiers, le troisième, d’erreurs dans l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE à des comportements afférents à des liaisons entrantes et antérieurs au 1er mai 2004 et de l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien à des comportements afférents aux liaisons Union-Suisse et antérieurs au 1er juin 2002, le quatrième, d’erreurs dans l’appréciation des comportements intervenus en Suisse et, le cinquième, d’une erreur tenant à l’inclusion dans l’infraction unique et continue des comportements des requérantes dans les pays tiers.
1) Sur le premier grief, tiré d’une violation des principes de souveraineté et de non-ingérence
497 Les requérantes font, en substance, grief à la Commission d’avoir violé le principe de souveraineté inscrit à l’article 1er de la convention relative à l’aviation civile internationale, signée à Chicago (États-Unis) le 7 décembre 1944, et le principe de non-ingérence en appliquant le critère des effets qualifiés pour sanctionner des comportements intervenus et mis en œuvre dans des pays tiers et que ces derniers ont, pour des raisons politiques qui leur sont propres, décidé d’autoriser.
498 La Commission ne s’est pas explicitement prononcée sur le présent grief.
499 Le droit international coutumier reconnaît le principe selon lequel chaque État dispose d’une souveraineté complète et exclusive sur son propre espace aérien (arrêt du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a., C‑366/10, EU:C:2011:864, points 103 et 104). Ce principe est codifié à l’article 1er de la convention relative à l’aviation civile internationale, dont les requérantes se prévalent dans leurs écritures.
500 Quant au principe de non-ingérence, il est, lui aussi, reconnu par le droit international coutumier. Également dénommé principe de non-intervention, ce principe met en jeu le droit de tout État souverain de conduire ses affaires sans ingérence extérieure et constitue un corollaire du principe d’égalité souveraine des États (arrêt du 16 octobre 2014, LTTE/Conseil, T‑208/11 et T‑508/11, EU:T:2014:885, point 69).
501 À supposer que les requérantes puissent se prévaloir devant le Tribunal des principes de souveraineté aérienne et de non-ingérence, il y a lieu d’observer que la Commission ne les a violés en aucune manière en appliquant le critère des effets qualifiés pour sanctionner des comportements intervenus et mis en œuvre dans des pays tiers et que ces derniers ont, pour des raisons politiques qui leur sont propres, décidé d’autoriser. L’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE à des comportements dont il est prévisible qu’ils produisent des effets immédiats et substantiels dans l’EEE se justifie, en effet, au regard du droit international public (voir arrêt du 12 juillet 2018, Viscas/Commission, T‑422/14, non publié, EU:T:2018:446, point 101 et jurisprudence citée) et, partant, des principes de souveraineté aérienne et de non-ingérence.
502 Or, il ressort des points 149 à 237 ci-dessus qu’il était prévisible que l’infraction unique et continue produise dans le marché intérieur et au sein de l’EEE des effets substantiels et immédiats.
503 Le présent grief ne peut donc qu’être écarté.
2) Sur le deuxième grief, tiré d’erreurs dans l’appréciation de la contrainte étatique à laquelle les requérantes auraient été assujetties dans plusieurs pays tiers
504 Aux fins d’apprécier l’existence d’une contrainte étatique à laquelle les transporteurs incriminés auraient été assujettis dans plusieurs pays tiers, il ressort des considérants 972 à 1021 de la décision attaquée que la Commission a analysé la portée des ASA, qui sont conclus par deux pays afin de déterminer les conditions dans lesquelles une ou plusieurs liaisons aériennes sont desservies par les transporteurs désignés à cet effet. Elle a ainsi, notamment, indiqué que les dispositions des ASA en cause en l’espèce n’étaient généralement pas appliquées par les parties contractantes sur le territoire desquelles les transporteurs incriminés avaient commis l’infraction unique et continue. Puis, après avoir analysé la réglementation et la pratique administrative de plusieurs pays tiers, à savoir Hong Kong, le Japon, la République de l’Inde, le Royaume de Thaïlande, la République de Singapour, la République de Corée du Sud et la République fédérative du Brésil, la Commission a exclu qu’une quelconque contrainte étatique puisse justifier la non-application de l’article 101 TFUE aux comportements des transporteurs incriminés.
505 Les requérantes font valoir que ce raisonnement est entaché de plusieurs erreurs.
506 D’une part, elles soutiennent que, en ce qui concerne les services de fret, la condamnation d’un comportement autorisé par un pays tiers au titre des règles de concurrence de l’Union constitue une violation du principe de sécurité juridique, de l’article 59 de la convention de Vienne sur le droit des traités, du 23 mai 1969, et de l’article 351 TFUE, du fait de la méconnaissance de la procédure prévue au titre du règlement (CE) no 847/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, concernant la négociation et la mise en œuvre d’accords relatifs à des services aériens entre les États membres et les pays tiers (JO 2004, L 157, p. 7).
507 D’autre part, pour ce qui est du comportement de SAS Cargo concernant les services de fret au départ de Hong Kong, du Japon et de la Thaïlande, les requérantes font valoir, en substance, que la Commission a apprécié de façon inadéquate les preuves et les arguments qu’elles ont avancés et, par conséquent, qu’elle a appliqué à tort l’article 101 TFUE et l’article 53 de l’accord EEE à des comportements qui étaient en réalité couverts par les ASA conclus entre ces pays tiers et les « pays scandinaves » ou par les réglementations locales. Pour ce qui concerne le comportement de SAS Cargo s’agissant des services de fret au départ de l’Inde, de Singapour, de Corée du Sud et du Brésil, la Commission n’aurait pas véritablement entamé l’examen des lois et des pratiques applicables lors de son analyse des régimes réglementaires, de sorte que sa décision reposerait sur des assertions erronées ou non étayées par des preuves.
508 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
509 À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 101, paragraphe 1, TFUE ne vise que des comportements anticoncurrentiels qui ont été adoptés par les entreprises de leur propre initiative. Si un comportement anticoncurrentiel est imposé aux entreprises par une législation nationale ou si celle-ci crée un cadre juridique qui lui-même élimine toute possibilité de comportement concurrentiel de leur part, l’article 101 TFUE n’est pas d’application. Dans une telle situation, la restriction de concurrence ne trouve pas sa cause, ainsi que l’implique cette disposition, dans des comportements autonomes des entreprises (voir arrêt du 11 novembre 1997, Commission et France/Ladbroke Racing, C‑359/95 P et C‑379/95 P, EU:C:1997:531, point 33 et jurisprudence citée).
510 Inversement, si une réglementation nationale laisse subsister la possibilité d’une concurrence susceptible d’être empêchée, restreinte ou faussée par des comportements autonomes des entreprises, l’article 101 TFUE peut s’appliquer. En l’absence d’une disposition réglementaire contraignante imposant un comportement anticoncurrentiel, la Commission ne peut conclure à une absence d’autonomie dans le chef des opérateurs mis en cause que s’il apparaît sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants que ce comportement leur a été unilatéralement imposé par les autorités nationales par l’exercice de pressions irrésistibles, telles que la menace de l’adoption de mesures étatiques susceptibles de leur faire subir des pertes importantes (voir arrêt du 11 décembre 2003, Minoan Lines/Commission, T‑66/99, EU:T:2003:337, points 177 et 179 et jurisprudence citée).
511 Selon la jurisprudence, tel n’est pas le cas lorsqu’une loi ou un comportement se limite à inciter ou à faciliter l’adoption, par les entreprises, de comportements anticoncurrentiels autonomes (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, T‑259/02 à T‑264/02 et T‑271/02, EU:T:2006:396, point 258).
512 Enfin, il ressort de la jurisprudence que c’est aux entreprises concernées qu’il appartient de démontrer qu’une loi ou un comportement étatique était d’une nature telle qu’il les privait de toute autonomie dans le choix de leur politique commerciale (voir, en ce sens, arrêt du 7 octobre 1999, Irish Sugar/Commission, T‑228/97, EU:T:1999:246, point 129). En effet, s’il incombe à l’autorité qui allègue une violation des règles de concurrence d’en apporter la preuve, il appartient à l’entreprise soulevant un moyen de défense contre la constatation d’une infraction à ces règles d’apporter la preuve que les conditions d’application de la règle dont est déduit ce moyen de défense sont remplies, de sorte que ladite autorité devra alors recourir à d’autres éléments de preuve (voir arrêt du 16 février 2017, Hansen & Rosenthal et H&R Wax Company Vertrieb/Commission, C‑90/15 P, non publié, EU:C:2017:123, point 19 et jurisprudence citée).
513 Ces considérations s’appliquent de la même manière aux lois et aux comportements d’un État membre ou d’une partie contractante à l’accord EEE et à ceux d’un pays tiers (voir, en ce sens, arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245, point 1131), comme il ressort en substance de la note en bas de page no 1435 de la décision attaquée.
514 C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner si les requérantes sont fondées à soutenir que la Commission a commis des erreurs dans son examen de la réglementation applicable aux vols au départ de Hong Kong, du Japon et des autres pays tiers en question.
515 À cette fin, il convient de rappeler qu’il a été jugé au point 115 ci-dessus que la Commission avait commis une erreur en refusant aux requérantes l’accès aux passages des réponses à la communication des griefs évoqués aux considérants 977 à 979, 1003, 1005 et 1006 de la décision attaquée et il convient, par conséquent, d’écarter ces derniers comme éléments à charge dans le cadre de l’examen du bien-fondé de ladite décision.
i) Hong Kong
516 Les considérants 976 à 993 de la décision attaquée portent, d’une part, sur les ASA signés par la région administrative spéciale de Hong Kong de la République populaire de Chine et, d’autre part, sur le régime réglementaire de Hong Kong. Aux termes de ces considérants, la Commission a estimé qu’aucune exigence de discuter des tarifs n’avait été imposée aux transporteurs à Hong Kong.
517 En premier lieu, la Commission a reconnu, aux considérants 981 à 986 de la décision attaquée, que les ASA signés par la région administrative spéciale de Hong Kong de la République populaire de Chine exigeaient, pour la plupart, que les tarifs portés en compte par les transporteurs désignés des pays contractants soient approuvés par les autorités compétentes, à savoir, pour Hong Kong, le DAC, et qu’ils autorisaient des consultations préalables sur les prix entre les transporteurs désignés. Il n’en reste pas moins, selon cette décision, que lesdits ASA n’imposaient en aucun cas ce type de consultations avant une demande d’approbation.
518 Au soutien de cette conclusion, la Commission a repris au considérant 983 de la décision attaquée la formulation d’une clause standard de plusieurs ASA qui prévoit :
« Les tarifs auxquels il est fait référence au paragraphe 1 du présent article peuvent être convenus par les compagnies aériennes désignées des parties contractantes cherchant à obtenir l’approbation des tarifs, lesquelles peuvent consulter d’autres compagnies aériennes actives sur la totalité ou une partie de la même liaison avant de proposer de tels tarifs. Rien ne s’opposera toutefois à ce qu’une compagnie aérienne désignée propose et rien n’interdira aux autorités aéronautiques des parties contractantes d’approuver tout tarif si cette compagnie aérienne n’a pas obtenu l’accord des autres compagnies aériennes désignées sur un tel tarif ou parce qu’aucune autre compagnie aérienne désignée n’est active sur la même liaison. »
519 Au considérant 985 de la décision attaquée, la Commission a ajouté que l’ASA entre la République tchèque et la région administrative spéciale de Hong Kong de la République populaire de Chine, par exemple, indiquait qu’aucun pays n’exigerait des transporteurs qu’ils discutent des tarifs.
520 À cet égard, les requérantes invoquent deux arguments. Le premier est tiré de ce que la Commission n’aurait pas cité le paragraphe 1 de la clause figurant dans plusieurs ASA signés par la région administrative spéciale de Hong Kong de la République populaire de Chine et qui imposerait un régime collectif de surtaxe, tandis que le second est tiré de ce que la loi fondamentale de cette région prévoirait l’applicabilité directe des ASA.
521 S’agissant du premier argument, il y a lieu de constater qu’il ressort du paragraphe 1 de la clause figurant dans plusieurs ASA auxquels la région administrative spéciale de Hong Kong de la République populaire de Chine est partie que les tarifs des transporteurs désignés doivent être approuvés par les autorités compétentes des parties, en tenant compte de plusieurs facteurs pertinents. S’il est stipulé que les tarifs d’autres transporteurs comptent parmi lesdits facteurs, il n’est cependant pas prévu qu’ils doivent être fixés à l’issue d’une discussion entre les opérateurs concernés. Ainsi, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, le paragraphe 1 de la clause susmentionnée ne saurait être compris comme imposant un régime collectif de surtaxe. Partant, le premier argument des requérantes doit être rejeté.
522 Cela étant établi, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur le second argument relatif à l’applicabilité directe des ASA en vertu de la loi fondamentale de la région administrative spéciale de Hong Kong de la République populaire de Chine. En effet, dès lors que les ASA n’imposent pas un régime collectif de surtaxe, ils ne sauraient faire obstacle à l’application par la Commission de l’article 101 TFUE ou de l’article 53 de l’accord EEE aux comportements en cause au titre du moyen de défense tiré de la contrainte étatique, indépendamment de leur valeur juridique à Hong Kong.
523 De plus, il y a lieu de relever que les requérantes ne contestent pas que les dispositions des ASA sur les discussions tarifaires entre transporteurs désignés sur des liaisons déterminées ne sauraient autoriser des discussions générales sur les tarifs entre transporteurs multiples desservant des pays de destination différents du type de celles visées par la décision attaquée.
524 En second lieu, s’agissant de la pratique administrative de Hong Kong, la Commission a retenu, aux considérants 987 à 989 de la décision attaquée, qu’il n’était pas établi que le DAC ait exigé une consultation des transporteurs aux fins de la présentation d’une demande collective d’approbation des tarifs. En particulier, aucun des transporteurs n’aurait fourni de preuve établissant que le DAC ait explicitement imposé le dépôt de demandes collectives.
525 Au considérant 992 de la décision attaquée, la Commission a conclu, d’une part, s’agissant de la STC, que le DAC n’était pas prêt à accepter des demandes individuelles pour un mécanisme de STC, mais qu’il était prêt à accepter des demandes individuelles pour une STC d’un montant fixe et, d’autre part, pour les autres surtaxes, que les transporteurs n’avaient pas allégué que le DAC exigeait des demandes collectives.
526 À cet égard, les requérantes soutiennent que, entre l’année 2000 et l’année 2006, le DAC, qui disposerait d’une importante marge d’appréciation, n’était pas prêt à accepter des demandes individuelles de transporteurs pour une STC d’un montant fixe. Il aurait alors imposé au SCC du BAR de convenir d’un mécanisme de STC fondé sur un indice et n’aurait par conséquent examiné que des demandes collectives faisant suite à des discussions entre transporteurs au sujet des tarifs applicables. Ce serait à partir du moment où des enquêtes sur les surtaxes avaient débuté en 2006 dans plusieurs pays que le DAC aurait finalement commencé à approuver des STC ne relevant pas d’un mécanisme fondé sur un indice. La détermination du montant de la STS aurait répondu au même régime, jusqu’à ce que le DAC décide, en 2004, de ne plus exiger l’approbation pour la STS. Les requérantes produisent plusieurs éléments au soutien de leurs allégations, en particulier des lettres du DAC du 5 septembre 2008 et du 3 septembre 2009 adressées à la Commission, tout en soutenant que cette dernière n’a produit aucune preuve démontrant que le DAC avait reçu et approuvé des demandes individuelles pour des STC d’un montant fixe avant le 14 avril 2006.
527 À cet égard, d’une part, il y a lieu de relever que, au soutien de leurs allégations, les requérantes produisent une série de pièces qui ne proviennent pas du DAC, mais qui ont été établies par elles-mêmes ou par d’autres transporteurs.
528 Parmi les pièces ainsi produites, certaines consistent en des articles de presse, des publications en ligne du conseil des transporteurs de Hong Kong ou des documents établis par le SCC du BAR. S’il est vrai que ces différentes pièces font état de l’existence, à compter de l’année 1997, de mesures prises par les transporteurs ou les autorités de Hong Kong afin d’introduire un mécanisme de STC fondé sur un indice ou de demandes collectives visant à l’approbation de la STS par le DAC, il n’en reste pas moins qu’aucune n’indique qu’il serait impossible pour un transporteur d’introduire une demande individuelle auprès du DAC au sujet d’une STC fixe ou au sujet de la STS.
529 D’autre part, en ce qui concerne les lettres du DAC adressées à la Commission, il y a lieu de relever que la lettre du 5 septembre 2008 indique que le DAC exigeait, durant la période 2000-2007, que tous les transporteurs désireux d’imposer une surtaxe sur le fret en provenance de Hong Kong obtiennent une autorisation préalable, que, dans ce contexte, le DAC considérait que des demandes collectives étaient à la fois efficaces, raisonnables et légales et qu’une telle pratique était conforme aux ASA conclus par la région administrative spéciale de Hong Kong de la République populaire de Chine. Or, le fait qu’il soit précisé que la demande collective est un moyen efficace pour introduire une demande et examiner et approuver des surtaxes et que le DAC considère cette forme de demande comme légale à Hong Kong ne témoigne pas de ce que la réglementation ou les pratiques administratives de Hong Kong imposaient les demandes collectives et excluraient les demandes individuelles concernant les surtaxes.
530 De même, la lettre du 3 septembre 2009 est libellée comme suit :
« Il doit être absolument clair pour la Commission que, s’agissant du mécanisme relatif à la [STC] pour le fret basé sur un indice, nous exigeons que le [SCC du BAR] et les transporteurs participants se mettent d’accord sur les détails des demandes collectives, y compris sur le montant de la surtaxe pour laquelle l’approbation était demandée, sur les preuves qui devaient être fournies au DAC pour étayer les demandes et sur le mécanisme unique qui devait être utilisé pour la détermination de la surtaxe. Le DAC a également donné mandat aux transporteurs participants et exigé d’eux qu’ils perçoivent spécifiquement la surtaxe approuvée. De plus, nous avons donné mandat au SCC du BAR et exigé de lui qu’il soumette à l’approbation du DAC toute modification de la liste des transporteurs participant aux demandes collectives et nous avons clairement indiqué que ces transporteurs ne devaient pas percevoir de [STC] sans l’approbation expresse du DAC adressée au SCC du BAR. »
531 Cette lettre se limite ainsi à détailler les conditions exigées par le DAC lorsque le SCC du BAR et les transporteurs envisagent une demande collective relative à la STC fondée sur un indice. En revanche, elle ne fait pas allusion à une obligation générale d’introduire une demande collective pour une STC, ni à l’impossibilité d’introduire une demande individuelle pour une STC fixe. Elle ne contredit donc pas le considérant 992 de la décision attaquée, dont il ressort que les demandes collectives impliquant des discussions entre transporteurs n’étaient imposées que pour un mécanisme de STC fondé sur un indice et que des demandes individuelles demeuraient possibles pour une STC d’un montant fixe.
532 Il résulte de ce qui précède que les requérantes n’ont pas démontré qu’une loi ou un comportement des autorités de Hong Kong, y compris les ASA conclus par ces dernières, les obligeait à discuter de leurs tarifs avec d’autres transporteurs et aurait rendu impossible l’introduction d’une demande individuelle auprès du DAC relative à une STC d’un montant fixe. Elles n’établissent donc pas que c’est à tort que la Commission a considéré, dans la décision attaquée, que la réglementation de Hong Kong ne faisait pas obstacle à l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
ii) Japon
533 Les considérants 995 à 1012 de la décision attaquée portent, d’une part, sur les ASA conclus par le Japon et, d’autre part, sur le régime réglementaire japonais. Aux termes de ces considérants, la Commission a estimé qu’aucune exigence de discuter des tarifs n’avait été imposée aux transporteurs au Japon.
534 En premier lieu, s’agissant des ASA conclus par le Japon, la décision attaquée, en son considérant 995, reproduit le libellé d’une clause figurant dans l’accord conclu avec le Royaume des Pays-Bas qui se retrouve dans d’autres accords et qui prévoit ce qui suit :
« Dans la mesure du possible, les compagnies aériennes désignées atteindront un accord sur les tarifs par l’application du mécanisme de tarification de l’IATA. Si ceci n’est pas possible, les tarifs pour chacune des liaisons spécifiées seront convenus par les compagnies aériennes désignées. »
535 Après avoir relevé, au considérant 996 de la décision attaquée, que, selon un transporteur, les ASA exigeaient des accords sur les prix plutôt qu’ils ne les autorisaient, la Commission a souligné, au considérant 997 de ladite décision, que l’accord conclu avec le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord avait été modifié en 2000 par un protocole d’accord prévoyant que les transporteurs désignés ne devaient pas se consulter sur les tarifs préalablement à une demande d’approbation. Selon les considérants 1005 à 1008 de cette décision, quand bien même il ressortirait des ASA que, sous réserve de certaines conditions, les transporteurs doivent se mettre d’accord sur les tarifs, de telles discussions seraient strictement limitées aux transporteurs désignés sur des liaisons déterminées et ne concerneraient en aucun cas des discussions générales entre transporteurs multiples. Enfin, en pratique, les parties aux ASA ne revendiqueraient pas l’application de ces accords, de sorte que les obligations découleraient plutôt des dispositions légales et administratives nationales en vigueur au Japon, ce qui serait renforcé par le fait que les parties invoquent que la coordination était requise pour la STC, mais pas pour la STS.
536 À cet égard, premièrement, les requérantes soutiennent que la Commission a omis de citer le paragraphe 1 de la clause standard reproduite dans la décision attaquée. Deuxièmement, elles relèvent que la constitution et la législation japonaises prévoient l’applicabilité directe des ASA au Japon, laquelle ne serait pas remise en cause par la non-application des clauses tarifaires par les « pays scandinaves ». Troisièmement, elles soutiennent qu’elles ne sont pas concernées par l’ASA conclu entre le Japon et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord.
537 Premièrement, pour ce qui est de l’allégation selon laquelle la Commission aurait omis de citer le paragraphe 1 de la clause standard reproduite dans la décision attaquée, il y a lieu de relever que ce paragraphe énumère les facteurs qui doivent être pris en compte lors de la fixation des tarifs et prévoit que ces derniers seront déterminés conformément aux dispositions suivantes de l’article dans lequel il figure. Il ne ressort donc ni de cette disposition ni de celle reproduite dans la décision attaquée que les ASA imposeraient une obligation de coordination entre transporteurs pour la détermination des surtaxes. Du reste, les requérantes ne fournissent aucun argument étayé qui pourrait établir le contraire.
538 Deuxièmement, il y a lieu de relever que les requérantes ne contestent pas que les dispositions des ASA sur les discussions tarifaires entre transporteurs désignés sur des liaisons déterminées ne sauraient autoriser des discussions générales sur les tarifs entre transporteurs multiples desservant des pays de destination différents du type de celles visées par la décision attaquée.
539 Cela étant établi, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur l’argument relatif à l’applicabilité directe des ASA en vertu de la constitution et de la loi japonaises. En effet, dès lors que les ASA n’imposent pas d’obligation de coordination entre transporteurs pour la détermination des surtaxes et qu’ils n’autorisent pas des discussions générales sur les tarifs entre transporteurs multiples desservant des pays de destination différents, ils ne sauraient faire obstacle à l’application par la Commission de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE aux comportements en cause au titre du moyen de défense tiré de la contrainte étatique, indépendamment de leur valeur juridique au Japon.
540 Troisièmement, la circonstance que les requérantes ne seraient pas concernées par l’ASA conclu entre le Japon et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord est dénuée de pertinence, dès lors qu’il a été conclu que, indépendamment du contenu de ce dernier accord, les autres ASA signés par le Japon n’imposaient pas d’obligation de coordination entre transporteurs pour la détermination des surtaxes et n’autorisaient pas des discussions générales sur les tarifs entre transporteurs multiples desservant des pays de destination différents.
541 En deuxième lieu, s’agissant de la réglementation et de la pratique administrative japonaises, la Commission a mentionné, aux considérants 998 à 1004 de la décision attaquée, certaines dispositions de la loi japonaise sur l’aviation civile ainsi que des déclarations de transporteurs concernant les directives du Bureau japonais de l’aviation civile (ci-après le « BJAC »). Aux considérants 1009 à 1011 de ladite décision, elle a retenu, d’une part, qu’il ne ressortait pas expressément de cette loi que la coordination tarifaire était obligatoire et, d’autre part, que les transporteurs incriminés n’avaient apporté aucun élément de preuve établissant qu’une telle obligation avait été imposée par la pratique administrative du BJAC. En outre, les transporteurs n’ont pas soutenu qu’une telle obligation puisse concerner la STS et le refus de paiement de commissions.
542 À cet égard, les requérantes soutiennent avoir produit des preuves démontrant que le BJAC n’avait pas accepté leurs demandes concernant une STC dont le montant était fixé individuellement. Elles soutiennent également que, à la suite de l’adoption, durant l’année 2000, d’une résolution de l’IATA spécifiquement consacrée à la STC applicable sur les vols au départ du Japon, le BJAC avait approuvé, en 2001, un mécanisme de STC pour les transporteurs nationaux auquel les transporteurs étrangers avaient l’obligation de se conformer. Par la suite, dans un premier temps, toutes les modifications de la STC auraient dû faire l’objet d’une demande au BJAC formulée par les transporteurs nationaux. Dans un second temps, il aurait appartenu aux transporteurs étrangers de consentir aux nouveaux tarifs en formulant une demande en ce sens auprès du BJAC. Les mêmes pratiques auraient été applicables en ce qui concerne la STS.
543 Il y a lieu de relever que les éléments produits par les requérantes au soutien de leurs assertions ne sont pas des documents établis par le BJAC, mais des pièces qu’elles ont établies elles-mêmes. En outre, parmi ces pièces, certaines consistent en des courriers adressés à la Commission ou au Tribunal qui ne sont accompagnés d’aucun autre élément probatoire. Une autre pièce est un télex, non traduit dans la langue de procédure, qui est daté du 2 décembre 1996, de sorte qu’il précède donc de plus de trois ans le début de la période infractionnelle. Une autre pièce consiste en un document joint à une demande d’augmentation de la STC, qui ne prouve pas l’impossibilité d’adresser une demande individuelle au BJAC. Une autre pièce indique que l’application de la STC aurait été exclue pour les vols au départ du Japon à des fins de protection de l’économie locale, sans plus d’explications. Par conséquent, aucune de ces pièces n’établit l’existence d’une contrainte étatique justifiant la non-application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
544 Quant aux autres preuves communiquées par les requérantes, elles ne démontrent pas davantage que la réglementation ou la pratique administrative japonaises imposât une concertation sur le niveau de la STC. Ces preuves reposent sur une résolution adoptée par l’IATA et des documents des transporteurs eux-mêmes, qui établissent au mieux que certains transporteurs ont formulé des demandes relatives aux niveaux de STC dont certaines ont été approuvées, mais ne démontrent pas qu’ils eussent l’obligation d’agir en ce sens.
545 Ainsi, en ce qu’ils n’établissent pas l’existence d’une telle obligation, aucun des éléments probatoires produits par les requérantes n’est susceptible d’infirmer les informations contenues aux considérants 198, 244, 256, 391, 392, 488 et 491 de la décision attaquée, dont il ressort que l’initiative de présenter des demandes collectives au sujet de la STC est imputable aux transporteurs, et non au BJAC.
546 En troisième lieu, en ce qui concerne la STS, tout d’abord, les requérantes soutiennent avoir procédé comme pour la STC, en ce sens qu’elles auraient attendu l’introduction d’une demande des transporteurs nationaux auprès des autorités japonaises avant de formuler une demande comprenant des tarifs similaires. Toutefois, elles n’apportent aucune preuve permettant d’étayer ces allégations.
547 Ensuite, les requérantes soutiennent que les éléments sur lesquels s’appuie la Commission, à savoir les contacts mentionnés aux considérants 597 et 673 de la décision attaquée, relèvent de la coordination multilatérale au sein de l’alliance WOW et sont donc couverts par l’exemption de 1996, en renvoyant à cet égard à l’argumentation développée dans le cadre de la deuxième branche de leur troisième moyen. Cependant, il ressort du considérant 1012 de la décision attaquée que la Commission a constaté que les parties à la procédure n’avaient pas soutenu avoir l’obligation de se concerter sur la STS, sans faire référence auxdits contacts. Par conséquent, l’argumentation des requérants à cet égard est inopérante dans le cadre du présent grief.
548 Les arguments des requérantes relatifs à la STS doivent donc être rejetés dans leur ensemble.
549 Il résulte de ce qui précède que les requérantes n’ont pas démontré qu’une loi ou un comportement des autorités du Japon, y compris les ASA conclus par ce pays tiers, les obligeait à discuter de leurs tarifs avec d’autres transporteurs en ce qui concerne la STC, la STS ou le paiement de commissions sur les surtaxes. Elles n’établissent donc pas que c’est à tort que la Commission a considéré, dans la décision attaquée, que la réglementation du Japon ne faisait pas obstacle à l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE.
550 Il résulte également de ce qui précède qu’il n’est pas établi que le résultat auquel la Commission est parvenue dans la décision attaquée aurait pu être différent une fois écartés comme moyens de preuve à charge les passages des réponses à la communication des griefs dont il a été conclu, au point 124 ci-dessus, que la Commission avait refusé à tort l’accès aux requérantes. En effet, y compris en leur absence, la Commission était fondée, sur la base des éléments de preuve demeurant à sa disposition, à conclure à l’applicabilité de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE aux comportements des transporteurs incriminés intervenus à Hong Kong et au Japon.
iii) Autres pays tiers
551 Aux considérants 1013 à 1019 de la décision attaquée, la Commission a analysé les régimes réglementaires applicables en République de l’Inde, au Royaume de Thaïlande, en République de Singapour, en République de Corée du Sud et en République fédérative du Brésil. Elle a relevé que les ASA conclus entre ces pays tiers et des États membres de l’Union prévoyaient, en règle générale, un régime d’approbation des tarifs des transporteurs par les autorités compétentes. Puis, pour ce qui concerne le Royaume de Thaïlande et la République de Singapour, elle a estimé que, si les ASA pertinents contenaient également, en général, une clause selon laquelle les tarifs seraient, si possible, convenus entre les transporteurs désignés, de telles dispositions tarifaires ne couvraient pas des discussions tarifaires générales entre opérateurs multiples, comme celles en cause en l’espèce.
552 Au considérant 1019, la Commission a estimé que, « [s]uivant le raisonnement […] en ce qui concerne Hong Kong et le Japon », le moyen de défense tiré de la contrainte étatique n’était pas étayé dans le cas de l’Inde, de la Thaïlande, de Singapour, de la Corée du Sud et du Brésil.
553 Au même considérant, la Commission a précisé que cette analogie était valable au motif, premièrement, que les dispositions tarifaires prévues dans les ASA applicables dans ces pays tiers étaient limitées aux transporteurs désignés sur des liaisons déterminées et ne s’étendaient pas à des discussions tarifaires générales entre opérateurs multiples, assurant des services vers des destinations nationales multiples et, deuxièmement, qu’il n’avait pas été démontré que les dispositions légales et administratives nationales applicables exigeaient la coordination tarifaire.
554 Les requérantes soutiennent que la Commission n’a pas suffisamment examiné les régimes réglementaires applicables en Inde, en Thaïlande, à Singapour, en Corée du Sud et au Brésil. Tout d’abord, elles contestent la limitation des discussions tarifaires prévues par les ASA aux transporteurs désignés sur des liaisons déterminées, en se référant à leur analyse des règles en vigueur à Hong Kong et au Japon, dont il ressortirait que le respect des clauses tarifaires des ASA peut impliquer une concertation entre transporteurs sur les tarifs. Ensuite, elles soutiennent que la législation et la pratique administrative en vigueur en Thaïlande obligeaient les transporteurs à coordonner leurs tarifs, en se prévalant, notamment, d’une instruction du département de l’aviation civile de la Thaïlande (ci-après le « DOA »).
555 En premier lieu, en ce qui concerne les ASA, les requérantes se réfèrent aux arguments développés dans le cadre de leur analyse des réglementations valables à Hong Kong et au Japon pour établir que le paragraphe 1 de la clause standard de ces accords reproduite dans la décision attaquée serait le fondement de régimes imposant une discussion tarifaire entre transporteurs. Or, il a été établi, aux points 521 à 523 et 537 à 539 ci-dessus, que les requérantes n’avaient pas démontré que l’application des ASA en vigueur à Hong Kong et au Japon constituait le fondement de régimes locaux imposant une discussion sur les surtaxes entre transporteurs. Par conséquent, les requérantes ne sauraient se prévaloir, par analogie, de leurs observations à cet égard pour contester l’analyse de la Commission, figurant aux considérants 1013 à 1019 de la décision attaquée, selon laquelle les ASA conclus par la République de l’Inde, le Royaume de Thaïlande, la République de Singapour, la République de Corée du Sud et la République fédérative du Brésil ne pouvaient pas faire obstacle à l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE.
556 En second lieu, en ce qui concerne l’action des autorités étatiques en Thaïlande, il ressort du considérant 396 de la décision attaquée que, dans le courant du mois d’août 2004, certains transporteurs se sont réunis et ont décidé de présenter collectivement une demande d’augmentation de la STC auprès du DOA, Lufthansa indiquant à cet égard qu’elle espérait que cette « approche conjointe sera[it] fructueuse ». Il ressort également du considérant 464 de cette décision que, dans le courant du mois de janvier 2005, un transporteur thaïlandais avait déjà annoncé sa STC au DOA et que les autres transporteurs « discutaient de cette question ».
557 Il ressort de ces éléments, dont la matérialité n’est pas contestée par les requérantes, que, au mois d’août 2004, certains transporteurs ont pris l’initiative d’agir collectivement pour obtenir une augmentation de la STC auprès du DOA et que, en janvier 2005, le DOA pouvait accueillir des demandes individuelles relatives à la STC. Il en ressort aussi que les transporteurs jouissaient d’une autonomie de comportement quant à la question de savoir s’ils devaient suivre l’initiative du transporteur national en la matière. La Commission était donc, à première vue, fondée à estimer qu’il n’était pas établi que les dispositions légales et la pratique administrative en vigueur en Thaïlande exigeaient une coordination tarifaire.
558 Cependant, il convient de tenir compte de l’instruction du DOA contenue dans une lettre du 20 juillet 2005 produite par les requérantes à la fois durant la procédure administrative et devant le Tribunal.
559 Il ressort de cette lettre que, en réponse à une demande d’un transporteur, le DOA a décidé d’une modification provisoire des tarifs de la STC au départ de la Thaïlande, en définissant le taux de cette surtaxe ainsi qu’un plafond correspondant aux taux alors retenus par l’IATA, et requis du transporteur en cause qu’il communique ces tarifs provisoires à tous les transporteurs, dans le but que ces derniers mettent en œuvre les modifications ainsi convenues.
560 Il ressort ainsi de cette instruction que les transporteurs devaient se conformer à la modification provisoire des tarifs arrêtée par le DOA et notifiée par le transporteur en cause.
561 En adoptant une telle instruction, le DOA, en ce qui concerne la STC, ne s’est pas contenté d’inciter ou de faciliter l’adoption, par les requérantes, de comportements anticoncurrentiels. En arrêtant les tarifs de la STC et en imposant ces tarifs à tous les transporteurs, le DOA a créé un cadre juridique qui lui-même éliminait toute possibilité de comportement concurrentiel entre les transporteurs en ce qui concerne la détermination du montant de la STC applicable aux vols au départ de la Thaïlande.
562 Il ressort de tout ce qui précède, s’agissant de la réglementation applicable en Thaïlande, que les requérantes ont pu établir, sans être utilement contredites par la Commission, que, à compter du 20 juillet 2005, les autorités de ce pays ont créé un cadre juridique qui lui-même éliminait toute possibilité de comportement concurrentiel entre les transporteurs en ce qui concerne la détermination du montant de la STC applicable aux vols au départ de la Thaïlande. En revanche, les requérantes n’ont pas démontré que la réglementation thaïlandaise éliminait toute possibilité de concurrence s’agissant de la STS ou que, en ce qui concerne la STC, toute possibilité de concurrence était éliminée pour la période antérieure au 20 juillet 2005.
563 Par conséquent, il convient d’annuler la décision attaquée en ce qu’elle a retenu que l’article 101, paragraphe 1, TFUE et l’article 53 de l’accord EEE étaient applicables au comportement des requérantes s’agissant de la détermination de la STC pour les vols au départ de la Thaïlande entre le 20 juillet 2005 et le 14 février 2006.
564 Enfin, les arguments des requérantes tirés d’une violation du principe de sécurité juridique, de l’article 59 de la convention de Vienne sur le droit des traités, du 23 mai 1969, et de l’article 351 TFUE ne peuvent qu’être rejetés. Ces arguments procèdent, en effet, de la prémisse que la Commission aurait méconnu la procédure prévue par le règlement no 847/2004. Or, les requérantes sont restées en défaut d’expliquer pour quels motifs cette procédure aurait dû s’appliquer et en quoi la Commission l’aurait méconnue. Elles n’ont pas davantage expliqué en quoi la méconnaissance alléguée de cette procédure violerait en l’espèce le principe de sécurité juridique, l’article 59 de la convention de Vienne sur le droit des traités et l’article 351 TFUE.
3) Sur le troisième grief, tiré d’erreurs dans l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE à des comportements afférents à des liaisons entrantes antérieurs au 1er mai 2004 et de l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien à des comportements afférents aux liaisons Union-Suisse antérieurs au 1er juin 2002
565 Les requérantes reprochent à la Commission de s’être fondée, pour établir leur participation à l’infraction unique et continue, sur des contacts afférents à des liaisons qui échappaient à sa compétence pour sanctionner des infractions à l’article 101, paragraphe 1, TFUE et à l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien. Il s’agirait, respectivement, de contacts afférents à des liaisons entrantes antérieurs au 1er mai 2004 (considérants 135, 146, 237, 295, 587, 595 à 597, 618, 620, 660, 665 et 673 de la décision attaquée) et de contacts afférents aux liaisons Union-Suisse antérieurs au 1er juin 2002 (considérants 145 et 204 de cette décision).
566 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
567 À titre liminaire, il convient de rappeler que l’article 103, paragraphe 1, TFUE investit le Conseil de l’Union européenne de la compétence d’arrêter les règlements ou directives utiles en vue de l’application des principes figurant aux articles 101 et 102 TFUE.
568 En l’absence d’une telle réglementation, les articles 104 et 105 TFUE s’appliquent et imposent aux autorités des États membres l’obligation d’appliquer les articles 101 et 102 TFUE et limitent les pouvoirs de la Commission en la matière à la faculté d’instruire, sur demande d’un État membre ou d’office, et en liaison avec les autorités compétentes des États membres qui lui prêtent leur assistance, les cas d’infraction présumée aux principes fixés par ces dispositions et, le cas échéant, de proposer les moyens propres à y mettre fin (arrêt du 30 avril 1986, Asjes e.a., 209/84 à 213/84, EU:C:1986:188, points 52 à 54 et 58).
569 Le 6 février 1962, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article [103 TFUE], le règlement no 17, premier règlement d’application des articles [101] et [102 TFUE] (JO 1962, 13, p. 204).
570 Toutefois, le règlement no 141 du Conseil, du 26 novembre 1962, portant non-application du règlement no 17 du Conseil au secteur des transports (JO 1962, 124, p. 2751), a soustrait l’ensemble du secteur des transports à l’application du règlement no 17 (arrêt du 11 mars 1997, Commission/UIC, C‑264/95 P, EU:C:1997:143, point 44). Dans ces conditions, en l’absence d’une réglementation telle que celle prévue à l’article 103, paragraphe 1, TFUE, les articles 104 et 105 TFUE sont initialement demeurés applicables aux transports aériens (arrêt du 30 avril 1986, Asjes e.a., 209/84 à 213/84, EU:C:1986:188, points 51 et 52).
571 La conséquence en a été une répartition des compétences entre les États membres et la Commission pour l’application des articles 101 et 102 TFUE telle que celle décrite au point 568 ci-dessus.
572 Ce n’est qu’en 1987 que le Conseil a adopté un règlement concernant le transport aérien au titre de l’article 103, paragraphe 1, TFUE. Il s’agit du règlement no 3975/87, qui a conféré à la Commission le pouvoir d’appliquer les articles 101 et 102 TFUE aux transports aériens entre des aéroports au sein de l’Union, à l’exclusion des transports aériens internationaux entre les aéroports d’un État membre et ceux d’un pays tiers (arrêt du 11 avril 1989, Saeed Flugreisen et Silver Line Reisebüro, 66/86, EU:C:1989:140, point 11). Ces derniers sont demeurés assujettis aux articles 104 et 105 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2000, Aéroports de Paris/Commission, T‑128/98, EU:T:2000:290, point 55).
573 L’entrée en vigueur, en 1994, du protocole 21 de l’accord EEE concernant la mise en œuvre des règles de concurrence applicables aux entreprises (JO 1994, L 1, p. 181) a étendu ce régime à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues par l’accord EEE, excluant ainsi que la Commission puisse appliquer les articles 53 et 54 de l’accord EEE les transports aériens internationaux entre les aéroports des États parties à l’EEE qui ne sont pas membres de l’Union et ceux de pays tiers.
574 Le règlement no 1/2003 et la décision du Comité mixte de l’EEE no 130/2004, du 24 septembre 2004, modifiant l’annexe XIV (Concurrence), le protocole 21 (concernant la mise en œuvre des règles de concurrence applicables aux entreprises) et le protocole 23 (concernant la coopération entre les autorités de surveillance) de l’accord EEE (JO 2005, L 64, p. 57), qui a par la suite incorporé ce règlement à l’accord EEE, ont initialement laissé intact ce régime. L’article 32, sous c), de ce règlement prévoyait, en effet, que ce dernier « ne s’appliqu[ait] pas aux transports aériens entre les aéroports de [l’Union] et des pays tiers ».
575 Le règlement (CE) no 411/2004 du Conseil, du 26 février 2004, abrogeant le règlement no 3975/87 et modifiant le règlement (CEE) no 3976/87 ainsi que le règlement no 1/2003, en ce qui concerne les transports aériens entre la Communauté et les pays tiers (JO 2004, L 68, p. 1), dont l’article 1er a abrogé le règlement no 3975/87 et dont l’article 3 a supprimé l’article 32, sous c), du règlement no 1/2003, a conféré à la Commission le pouvoir d’appliquer les articles 101 et 102 TFUE aux liaisons Union-pays tiers à compter du 1er mai 2004.
576 Quant à l’accord CE-Suisse sur le transport aérien, il est entré en vigueur le 1er juin 2002. C’est à compter de cette date que la Commission est devenue compétente pour appliquer l’article 8 de cet accord aux liaisons Union-Suisse.
577 En l’espèce, il est constant entre les parties que la Commission n’a, dans le dispositif de la décision attaquée, pas constaté de violation de l’article 101 TFUE sur les liaisons Union-pays tiers avant le 1er mai 2004 ou de l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien sur les liaisons Union-Suisse avant le 1er juin 2002.
578 Les requérantes n’en considèrent pas moins, en substance, que la Commission a entaché la décision attaquée d’illégalités en se référant à des contacts relatifs à des liaisons qui, aux périodes en cause, échappaient prétendument à sa compétence territoriale (considérants 135, 145, 146, 204, 237, 295, 587, 595 à 597, 618, 620, 660, 665 et 673 de la décision attaquée) pour établir leur participation à l’infraction unique et continue sur des liaisons qui relevaient de sa compétence.
579 À titre liminaire, il convient de constater que la Commission n’a pas, aux considérants 790 à 792 de la décision attaquée, dans lesquels elle a énuméré les éléments de preuve contre les requérantes, retenu contre elles le contact visé au considérant 597 de ladite décision (voir point 333 ci-dessus).
580 Cela étant rappelé, il convient de relever que les éléments du dossier n’étayent pas entièrement l’interprétation du contenu des autres contacts visés au point 578 ci-dessus que les requérantes ont défendue devant le Tribunal. Parmi ces contacts, il convient de distinguer entre, d’une part, les contacts visés aux considérants 135 et 596 de la décision attaquée et, d’autre part, ceux visés aux considérants 145, 146, 204, 237, 295, 587, 595, 618, 620, 660, 665 et 673 de cette décision. En effet, selon les requérantes, les premiers concernent des contacts qui impliquaient simplement des transporteurs établis à l’extérieur de l’Union, tandis que les seconds portent sur des contacts intervenus à l’extérieur de l’Union.
581 Pour ce qui concerne les contacts visés aux considérants 135 et 596 de la décision attaquée, il convient, toutefois, d’observer qu’ils impliquaient tant des transporteurs établis dans l’EEE que des transporteurs établis à l’extérieur de l’EEE. Au considérant 135 de cette décision, la Commission cite un contact qui a débuté par un courriel de SAS à l’attention de Lufthansa, de trois autres transporteurs et d’Air Canada. Dans ce courriel, tout en faisant part de ses hésitations, SAS interrogeait ses interlocuteurs sur leur intention d’introduire une STC dans la mesure où le cours du carburant avait franchi le seuil dit de déclenchement fixé par l’IATA dans un projet de résolution tendant à introduire une STC. En réponse, comme indiqué au point 355 ci-dessus, un transporteur fit part de son accord avec SAS, Lufthansa indiquant pour sa part ce qui suit :
« nous hésitons aussi à prendre l’initiative cette fois-ci. Si d’autres, parmi nos gros concurrents, décidaient de le faire, nous suivrions, mais de manière différente et moins centralisée ».
582 Au demeurant, comme il a été indiqué au point 440 ci-dessus, il ressort du considérant 144 de la décision attaquée que, moins d’un mois après le contact visé au considérant 135, des discussions ont eu lieu entre le responsable local des requérantes en Finlande, qui a notamment en interne demandé « [c]omment évolu[ai]ent les choses chez L[ufthansa] cette fois-ci », et trois autres transporteurs incriminés au sujet de l’introduction de la STC.
583 Au considérant 596 de la décision attaquée, il est fait état d’un courriel du 1er octobre 2001 dans lequel SAC a indiqué à Lufthansa et aux requérantes qu’elle imposerait une surtaxe d’assurance et de sécurité à compter du 8 octobre suivant. Ce courriel a, au demeurant, été précédé d’un contact dont il n’est pas contesté qu’il portait sur les liaisons intra-EEE. Il s’agit du contact visé au considérant 584 de la décision attaquée. Dans le cadre de ce contact, tel qu’il est résumé audit considérant, un employé local de SAC « en Scandinavie » a communiqué aux requérantes les « plans de concurrents », dont AF et Lufthansa, qui « envisage[aie]nt tous l’introduction d’une STS, mais qui préféraient que [les requérantes] fasse[nt] le premier pas ».
584 Or, s’agissant de contacts impliquant plusieurs transporteurs établis dans l’EEE, au vu de l’applicabilité générale des surtaxes constatée au considérant 889 de la décision attaquée et en l’absence d’éléments concrets tendant à indiquer que les liaisons intra-EEE étaient exclues, il ne saurait être considéré qu’ils portaient exclusivement sur les liaisons Union-pays tiers.
585 Les requérantes ne sont donc pas fondées à soutenir que les contacts visés aux considérants 135 et 596 de la décision attaquée concernaient exclusivement des liaisons qui échappaient, aux périodes en cause, à la compétence de la Commission pour constater et sanctionner une infraction à l’article 101 TFUE ou à l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien.
586 Pour ce qui est des contacts visés aux considérants 146, 237, 295, 587, 595, 618, 620, 660, 665 et 673 de la décision attaquée, en revanche, il est constant entre les parties qu’ils sont intervenus dans des pays tiers ou, à tout le moins, qu’ils impliquaient des employés locaux des transporteurs incriminés dans ces pays. Il y a, cependant, lieu de relever que rien n’empêchait les transporteurs incriminés de se coordonner ou d’échanger des informations dans de tels pays au sujet des services de fret intra-EEE. À titre d’illustration, au considérant 296 de la décision attaquée, il est fait état d’un courriel interne du bureau de Qantas à Singapour du 18 février 2003 dans lequel il est fait référence à l’introduction d’une STC d’un certain montant par British Airways « en Europe ». De même, au considérant 206 de la décision attaquée, il est fait état d’un courrier du 19 novembre 2001 dans lequel le président du SCC du BAR à Hong Kong a invité les membres de l’association à « indiquer si [leur] administration centrale a[vait] l’intention de réduire ou de retirer la [STC] dans les marchés d’outremer ».
587 Cela étant posé, il convient de relever que la présente branche serait vouée à l’échec quand bien même les contacts visés aux considérants 145, 146, 204, 237, 295, 587, 595, 618, 620, 660, 665 et 673 de la décision attaquée concernaient exclusivement des liaisons qui, aux périodes en cause, échappaient à la compétence de la Commission.
588 À cet égard, il y a lieu de rappeler que cette dernière peut s’appuyer sur des contacts antérieurs à la période infractionnelle afin de construire une image globale de la situation et ainsi corroborer l’interprétation de certains éléments de preuve (arrêt du 8 juillet 2008, Lafarge/Commission, T‑54/03, non publié, EU:T:2008:255, points 427 et 428). Tel est le cas même dans l’hypothèse où la Commission n’était pas compétente pour constater et sanctionner une infraction aux règles de concurrence antérieurement à cette période (voir, en ce sens, arrêts du 30 mai 2006, Bank Austria Creditanstalt/Commission, T‑198/03, EU:T:2006:136, point 89, et du 22 mars 2012, Slovak Telekom/Commission, T‑458/09 et T‑171/10, EU:T:2012:145, points 45 à 52).
589 Dans la partie de la décision attaquée intitulée « Principes de base et structure de l’entente », au considérant 107, la Commission a indiqué que son enquête avait révélé une entente d’ampleur mondiale fondée sur un réseau de contacts bilatéraux et multilatéraux, qui avaient lieu « à divers niveaux au sein des entreprises concernées […] et ont porté, dans certains cas, sur diverses zones géographiques ».
590 Aux considérants 109, 110, 876, 889 et 1046 et à la note en bas de page no 1323 de la décision attaquée, la Commission a précisé les modalités de fonctionnement de cette organisation à plusieurs niveaux. Selon la Commission, les surtaxes étaient des mesures d’application générale qui n’étaient pas spécifiques à une liaison, mais qui avaient pour but d’être appliquées à toutes les liaisons, au niveau mondial. Les décisions concernant les surtaxes étaient généralement prises au niveau des sièges de chaque transporteur. Les sièges des transporteurs étaient ainsi en « contact mutuel » lorsqu’un changement de niveau de surtaxe était imminent. Au niveau local, les transporteurs se coordonnaient, dans le but, d’une part, de mieux exécuter les instructions de leurs sièges respectifs et de les adapter aux conditions de marché et à la réglementation locales et, d’autre part, de coordonner et de mettre en œuvre les initiatives locales. Au considérant 111 de la décision attaquée, la Commission a précisé que les associations locales de représentants de transporteurs ont été utilisées à cette fin, notamment à Hong Kong et en Suisse.
591 Or, les contacts en cause s’inscrivaient précisément dans ce cadre. En effet, premièrement, ces contacts portaient tous, en tout ou en partie, sur l’instauration ou sur la mise en œuvre des surtaxes en Suisse (considérants 145 et 204), à Hong Kong (considérants 237, 587, 618, 620, 660 et 665), à Singapour (considérants 146 et 295) ou au Japon (considérant 673) ou, plus généralement, en Asie du Sud-Est (considérant 595). Deuxièmement, la majorité de ces contacts ont soit impliqué des employés du siège de transporteurs incriminés, soit fait état d’instructions de leur part ou de communications avec eux (considérants 237, 295, 595, 618, 620 et 673). Troisièmement, plusieurs de ces contacts soit reflètent au niveau local des annonces effectuées ou des décisions prises au préalable au niveau central (considérants 204 et 673), soit à tout le moins sont contemporains de discussions entre les sièges ou de décisions prises au niveau de ceux-ci concernant les surtaxes (considérants 145, 146, 237, 295, 587 et 595). Quatrièmement, la majorité de ces contacts a eu lieu dans le cadre ou en marge d’associations locales de représentants de transporteurs (considérants 145, 146, 204, 295, 587, 618, 660 et 665).
592 Les requérantes restent d’ailleurs en défaut de soutenir que ces contacts ne corroboraient pas son interprétation d’autres éléments de preuve, dont il n’est pas allégué qu’ils échappaient à sa compétence. Ainsi, les contacts litigieux visés aux considérants 145, 146, 204, 237 et 295 de la décision attaquée comptent parmi la vingtaine de contacts litigieux que la Commission a cités au considérant 791 de la décision attaquée pour établir la participation des requérantes aux trois composantes de l’infraction unique et continue tenant à la STC.
593 Quant aux contacts litigieux visés aux considérants 587, 595, 618, 620, 660, 665 et 673 de la décision attaquée, ils représentent sept des quatorze contacts litigieux que la Commission a visés aux notes en bas de page no 1258 à 1260 de cette décision pour établir que les requérantes avaient connaissance d’une coordination de la STS qui dépassait leurs contacts avec Lufthansa, au motif qu’elles avaient des contacts directs avec plusieurs transporteurs concernant la mise en œuvre de la STS.
594 Il s’ensuit que la Commission était fondée à s’appuyer sur les contacts visés aux considérants 145, 146, 204, 237, 295, 587, 595, 618, 620, 660, 665 et 673 de la décision attaquée pour construire une image globale de l’entente litigieuse et ainsi corroborer l’interprétation des éléments de preuve qu’elle a retenus pour imputer aux requérantes la responsabilité des composantes de l’infraction unique et continue tenant à la STC et à la STS.
595 Le présent grief doit donc être rejeté.
4) Sur le quatrième grief, déduit d’erreurs dans l’appréciation des comportements intervenus en Suisse
596 Les requérantes soutiennent que la Commission a commis une erreur dans l’appréciation de trois contacts intervenus en Suisse, à savoir ceux visés aux considérants 145, 204 et 443 de la décision attaquée. Selon les requérantes, ces contacts ne démontrent pas qu’elles étaient impliquées dans la coordination des surtaxes.
597 En premier lieu, l’examen du courriel décrit au considérant 145 de la décision attaquée démontrerait que les requérantes, Air Canada et Lufthansa étaient « des exceptions par rapport à l’accord » entre transporteurs consistant à appliquer en Suisse la même politique que Swiss en matière de STC. Les conversations décrites dans ce courriel concerneraient Lufthansa, KLM et AF, tandis que les informations relatives aux requérantes auraient relevé du domaine public.
598 En deuxième lieu, le courriel d’un employé local des requérantes au président de l’association suisse de transporteurs Air Cargo Council Switzerland (Conseil du Fret Aérien Suisse, ci-après l’« ACCS ») visé au considérant 204 de la décision attaquée se limiterait à indiquer qu’elles avaient annoncé le retrait de leur STC. Or, cette information aurait déjà relevé du domaine public. Il serait d’ailleurs erroné de considérer que l’ACCS aurait collecté et coordonné au profit de ses membres les informations relevant du domaine public au sujet de la STC. L’ACCS aurait, au contraire, poursuivi un motif légitime consistant à informer les clients des transporteurs des surtaxes.
599 En troisième lieu, le courriel visé au considérant 443 de la décision attaquée n’aurait pas été adressé aux requérantes, qui avaient préalablement fermé leur bureau en Suisse et quitté l’ACCS. Ce courriel aurait, certes, été envoyé à un agent commercial des requérantes, mais celui-ci aurait aussi travaillé pour une vingtaine d’autres transporteurs.
600 La Commission répond que l’interprétation du courriel décrit au considérant 145 de la décision attaquée que proposent les requérantes est difficilement compatible avec son libellé, tandis que les courriels visés au considérant 204 de cette décision s’inscrivaient dans un mécanisme établi d’échange d’informations au sein de l’ACCS. Quant au courriel visé au considérant 443 de ladite décision, il aurait été reçu par un agent commercial des requérantes et pourrait donc leur être imputé.
601 Il convient d’examiner successivement les trois contacts qui font l’objet du présent grief.
602 En premier lieu, le contact visé au considérant 145 de la décision attaquée est un courriel de Swiss du 10 janvier 2000, dont la Commission a déduit, au considérant 851 de cette décision, que Lufthansa et les requérantes avaient participé à un accord pour utiliser le poids taxable aux fins de déterminer le montant de la STC.
603 Dans ce courriel, il est indiqué que, « [e]n Suisse, tous les transporteurs ont convenu d’appliquer la même politique que [Swiss] », consistant à utiliser le poids taxable plutôt que réel pour calculer la STC, la « seule exception significative » étant Lufthansa.
604 Il est vrai que, comme le soulignent les requérantes, ce courriel indique également que, à l’instar de Lufthansa ou encore d’Air Canada, elles s’en tiendraient au critère du poids réel. Ce courriel fait également référence aux hésitations d’autres transporteurs incriminés à ce sujet.
605 Toutefois, cela ne remet aucunement en cause l’existence des discussions au sujet de l’introduction de la STC auquel étaient parties les requérantes et ces autres transporteurs incriminés. Si le courriel visé au considérant 145 de la décision attaquée pointe la contradiction entre la préférence des requérantes et celle d’autres transporteurs, c’est uniquement pour illustrer combien « la confusion demeure quant à qui va réellement appliquer quoi ».
606 Dans ces conditions, la Commission pouvait, sans commettre d’erreur, conclure au considérant 851 de la décision attaquée que les requérantes avaient participé à l’accord en cause tout en décidant de ne pas l’appliquer « à ce stade ».
607 En deuxième lieu, les contacts visés au considérant 204 de la décision attaquée sont des courriels envoyés aux membres de l’ACCS les 6 et 7 décembre 2001. Dans ces courriels, les requérantes, Martinair, AF et Japan Airlines indiquent toutes qu’elles vont supprimer la STC.
608 Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, lesdits courriels n’avaient pas pour seul objet de faciliter la transmission d’informations relevant déjà du domaine public aux clients des transporteurs. En effet, les contacts visés au considérant 204 de la décision attaquée étaient des réponses à une demande du président de l’ACCS du 4 décembre 2001 visée au considérant 203 de la même décision. Dans ce courriel, le président de l’ACCS a indiqué que son employeur, Malaysian Airlines, avait cessé d’appliquer la STC à Kuala Lumpur (Malaisie) pour le marché asiatique et qu’il serait en conséquence lui-même « mis sous pression » pour cesser de l’appliquer.
609 Il est vrai que, comme le relèvent les requérantes, le président de l’ACCS a ajouté qu’il souhaitait « connaître la situation actuelle » des destinataires de son courriel en vue de sa réunion du lendemain avec une association de transitaires. Ses propos doivent, cependant, être lus à la lumière de ses précédents courriels. Son courriel du 4 décembre 2001 n’était, en effet, pas le premier dans lequel il interrogeait les membres de son association quant à leurs éventuels projets de suppression de la STC. Ainsi, dans un courriel du 21 novembre 2001 visé au considérant 202 de la décision attaquée, le président de l’ACCS s’est plaint d’avoir appris de sources tierces que KLM suspendrait la STC à compter du 1er décembre suivant, a demandé à être informé des démarches de cette nature et a souligné que « notre organisation est réellement remise en question si nous ne restons pas soudés ». Il a aussi insisté auprès des membres de l’ACCS pour « qu[’ils] ne suiv[ent] pas la décision de KLM et maint[iennent] la [STC] au moins jusqu’à la fin de l’année ». En réponse, plusieurs transporteurs ont communiqué aux membres de l’ACCS leurs intentions en la matière.
610 Quant au fait que les informations communiquées relevaient du domaine public, il convient de rappeler que l’échange d’informations publiquement accessibles enfreint l’article 101, paragraphe 1, TFUE lorsqu’il constitue le support d’un autre mécanisme anticoncurrentiel (voir point 480 ci-dessus). Or, comme il ressort des points 607 à 609 ci-dessus, tel était le cas en l’espèce.
611 Il s’ensuit que les requérantes ont échoué à démontrer que la Commission a commis une erreur dans l’appréciation des contacts visés au considérant 204 de la décision attaquée.
612 En troisième lieu, s’agissant du courriel visé au considérant 443 de la décision attaquée, qui aurait été envoyé non aux requérantes, mais à l’un de leurs agents commerciaux, il convient de rappeler que, si un intermédiaire, un représentant de commerce ou un commis exerce une activité au profit d’une entreprise commettante, il peut en principe être considéré comme un organe auxiliaire intégré dans cette dernière, tenu de suivre ses instructions et formant ainsi avec elle une unité économique (voir, en ce sens, arrêt du 11 décembre 2003, Minoan Lines/Commission, T‑66/99, EU:T:2003:337, point 125 et jurisprudence citée).
613 Selon la jurisprudence, l’élément déterminant dans l’examen de l’existence d’une telle unité économique réside dans la convention conclue avec l’entreprise commettante et, en particulier, dans les clauses, tacites ou expresses, qu’elle comporte quant à la prise en charge des risques financiers et commerciaux liés à l’exécution de contrats conclus avec des tiers. Cette question doit s’analyser au cas par cas et en tenant compte de la réalité économique plutôt que de la qualification juridique de la relation contractuelle en droit interne (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2006, Confederación Española de Empresarios de Estaciones de Servicio, C‑217/05, EU:C:2006:784, point 46).
614 Il a également été jugé que ne plaidait pas en faveur de l’existence d’une unité économique le fait que, parallèlement à ses activités exercées pour le compte du commettant, l’intermédiaire se livrait, en tant que négociant indépendant, à des transactions d’une ampleur considérable sur le marché du produit ou du service en cause (voir arrêt du 11 décembre 2003, Minoan Lines/Commission, T‑66/99, EU:T:2003:337, point 128 et jurisprudence citée).
615 Or, d’une part, la Commission n’a pas apporté le moindre élément de preuve tendant à démontrer que l’agent commercial qui a reçu le courriel visé au considérant 443 de la décision attaquée ne prenait pas en charge le risque économique tenant à l’exécution de la convention qu’il avait conclue avec les requérantes. Elle n’a pas non plus allégué que cet agent ne déterminait pas de façon autonome son comportement sur le marché et se contentait d’appliquer les instructions qui lui étaient données par les requérantes.
616 D’autre part, la Commission ne conteste pas que, parallèlement aux activités qu’il exerçait pour les requérantes, cet agent fournissait des services à une vingtaine d’autres transporteurs. La Commission n’allègue pas davantage que ledit agent a participé pour le compte des requérantes aux activités sur lesquelles portait le courriel visé au considérant 443 de la décision attaquée.
617 Au demeurant, et contrairement à ce que soutient la Commission, il ne saurait pas non plus être considéré que ledit agent a transmis aux requérantes les informations contenues dans le courriel visé au considérant 443 de la décision attaquée. La Commission, à qui incombait la charge de la preuve, est en effet restée en défaut de démontrer que tel a été le cas.
618 Dès lors, en l’absence d’autres preuves sérieuses, précises et concordantes de nature à établir que le courriel visé au considérant 443 de la décision attaquée tendait à établir la participation des requérantes à l’infraction unique et continue, il y a lieu de l’écarter du faisceau d’indices que les requérantes contestent dans son ensemble dans le cadre de la dixième branche du présent moyen.
5) Sur le cinquième grief, déduit d’une erreur tenant à l’inclusion dans l’infraction unique et continue des comportements des requérantes dans les pays tiers
619 Les requérantes soutiennent que la Commission ne s’est pas acquittée de la charge qui lui incombait de prouver que « tous ces comportements » s’inscrivaient dans l’infraction unique et continue.
620 Les requérantes font aussi valoir que la Commission a manqué à son obligation de motivation en omettant de réfuter les éléments de preuve et les arguments qu’elles auraient présentés aux fins de démontrer qu’il n’existait pas de lien intrinsèque entre ces comportements et les communications intervenues dans le cadre de l’entente litigieuse. Ces éléments de preuve et arguments démontreraient que lesdites communications et les agissements qui relevaient de l’entente litigieuse poursuivaient des objectifs distincts, impliquaient des transporteurs et des employés différents et avaient des contenus, un calendrier et un degré de publicité différents.
621 Les requérantes ajoutent que la Commission n’a pas établi que leur personnel local entendait contribuer à une entente mondiale concernant la coordination de la STC en participant aux comportements intervenus dans les pays tiers. Leur participation à ces comportements n’aurait d’ailleurs indiqué aucune acceptation du risque lié à l’entente litigieuse.
622 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
623 Il convient d’observer que le présent grief se confond avec l’argument que le Tribunal a déjà examiné et rejeté dans le cadre de l’examen du premier grief de la première branche du présent moyen, au point 288 ci-dessus.
624 Il convient en conséquence de rejeter le présent grief. La présente branche doit donc être accueillie en tant qu’elle concerne la détermination de la STC pour les vols au départ de la Thaïlande entre le 20 juillet 2005 et le 14 février 2006 et le considérant 443 de la décision attaquée. Cette branche doit être rejetée pour le surplus.
h) Sur la septième branche, prise d’erreurs dans l’appréciation des spéculations d’autres transporteurs quant au comportement des requérantes
625 Les requérantes reprochent à la Commission d’avoir estimé que les éléments de preuve décrits aux considérants 196, 273, 406 et 415 de la décision attaquée s’inscrivaient dans l’infraction unique et continue. Selon les requérantes, ces éléments de preuve concernent des contacts auxquels elles n’étaient pas parties et ne contiennent que des informations accessibles au public les concernant.
626 La Commission conteste l’argumentation des requérantes. En particulier, s’agissant du tableau de CPA décrit au considérant 196 de la décision attaquée, la Commission fait valoir qu’il laisse entendre que les requérantes avaient communiqué certaines des informations en cause à CPA avant qu’elles ne soient rendues publiques. Elle ajoute que les requérantes ne sont pas en mesure de prouver que les informations en cause restantes étaient déjà publiques, du moins en ce qui concerne deux transporteurs, et que les considérants 173, 237 et 394 de la décision attaquée décrivent d’autres preuves de contacts entre le personnel des requérantes et CPA. Pour ce qui est des contacts visés aux considérants 406 et 415 de la décision attaquée, la Commission soutient qu’il s’agissait de messages dans lesquels AF examinait le comportement futur des requérantes. Ces messages prouveraient qu’AF et KLM prévoyaient d’aligner leur politique en matière de STC sur celle de Lufthansa et des requérantes. La Commission ajoute que les contacts décrits aux considérants 173, 174, 425, 546 et 966 corroborent son point de vue.
627 Au considérant 791 de la décision attaquée, la Commission a décrit différents contacts litigieux auxquels les requérantes ont, selon elle, participé. À la fin de ce considérant, la Commission a ajouté, en se référant aux considérants 196, 273, 406, 415, 425, 491, 506 et 559 de la décision attaquée, qu’il « exist[ait] par ailleurs d’autres preuves concernant des contacts avec des concurrents ».
628 C’est sur quatre de ces huit considérants que porte la présente branche.
629 En premier lieu, au considérant 196 de la décision attaquée, la Commission a fait référence à un dossier découvert sur l’ordinateur portable d’un employé de CPA. Ce dossier est intitulé « Synthèse de la STC au 6 décembre 2001 » et contient un tableau intitulé « Abrogation de la STC par pays ». Il ressort notamment de ce tableau que, « en Scandinavie », les requérantes avaient prévu d’abroger la STC le 20 décembre 2001, mais que CPA était encore « en attente » d’un « avis officiel ».
630 Les requérantes avaient, cependant, déjà annoncé, par la voie d’un communiqué de presse du 5 décembre 2001, qu’elles abrogeraient la STC à compter du 20 décembre suivant. Comme il ressort du dossier de la procédure administrative, cinq des sept autres transporteurs identifiés dans le tableau intitulé « Abrogation de la STC par pays » avaient publiquement annoncé entre le 21 novembre et le 6 décembre 2001 qu’elles abrogeraient la STC en décembre 2001.
631 Quant aux deux autres transporteurs identifiés dans le tableau en question, il est vrai que les requérantes n’ont pas démontré qu’ils avaient annoncé leur projet d’abroger la STC le 6 décembre ou à une date antérieure. Il convient, cependant, d’observer, à l’instar des requérantes, que les dates auxquelles l’annonce de leur projet d’abroger la STC a été publiée ne figurent pas au dossier de la procédure administrative et que l’un d’entre eux avait cessé d’exister à la date d’introduction du recours. Dans ces conditions, les annonces en question ayant au demeurant été publiées plus de quinze ans avant cette date, il ne saurait en être tenu rigueur aux requérantes.
632 La Commission n’était donc pas fondée à déduire du document visé au considérant 196 de la décision attaquée l’existence d’un contact anticoncurrentiel ayant impliqué les requérantes. La seule circonstance que les requérantes aient participé, à plusieurs mois (considérants 173 et 237), voire années (considérant 394), d’intervalle, à des contacts multilatéraux auxquels CPA a également participé n’est pas susceptible de remettre en cause cette conclusion.
633 En deuxième lieu, au considérant 273 de la décision attaquée, la Commission a fait référence à un courriel interne de Qantas du 17 février 2003 duquel il ressort que plusieurs transporteurs, dont les requérantes, « [avaie]nt indiqué qu’ils augmenter[aie]nt la STC de 0,06 GBP/kg à 0,09 GBP/kg » et que « [Lufthansa], en Allemagne, devrait annoncer une augmentation de 0,10 euro/kg à 0,15 euro/kg demain ».
634 Les requérantes font, certes, valoir que Qantas aurait pu obtenir ces informations de manière indirecte, par exemple par l’intermédiaire de leur site Internet ou d’un transitaire. Elles restent cependant en défaut d’apporter le moindre élément de preuve tendant à étayer cet argument.
635 La seule pièce que les requérantes invoquent à l’appui de leur argumentation est un bulletin d’informations publié par un transitaire le 14 février 2003. Or, ce bulletin ne mentionne pas les requérantes. Au contraire, il indique ce qui suit :
« Nous avons été avisés le vendredi 14 février que CargoLux, […], British, KLM, […] et le groupe Lan Chile (environ cinq [transporteurs]) augmenteront leur STC de cinq cents, la portant ainsi à 0,15 USD/kg. Nous devrions recevoir un avis de la quasi-totalité des [transporteurs] la semaine prochaine. »
636 Les requérantes ont donc échoué à démontrer que la Commission avait commis une erreur en retenant contre elles le courriel visé au considérant 273 de la décision attaquée.
637 En troisième lieu, la Commission s’est référée à deux échanges de courriels internes à AF.
638 Premièrement, au considérant 406 de la décision attaquée, la Commission s’est appuyée sur un courriel interne d’AF du 20 septembre 2004. Ce courriel concerne la situation au Danemark et est libellé comme suit :
« Nous venons d’apprendre que [Lufthansa] va porter la STC à 0,30 euro, le 4 octobre [2004]. Je suppose que [SAS] suivra très rapidement de sorte que nous allons nous adapter au niveau de [SAS]. »
639 Or, l’utilisation de la formulation « [j]e suppose » (I guess) dans ce courriel témoigne d’un degré d’incertitude quant aux intentions des requérantes qui tend à infirmer l’existence d’un tel contact.
640 Les autres pièces du dossier ne sont pas plus concluantes. Une lecture d’ensemble des échanges dans lesquels s’insère ledit courriel tend en effet à démontrer que la supposition rapportée au considérant 406 de la décision attaquée visait uniquement à anticiper l’absence d’information quant aux intentions des requérantes. En effet, dans ces échanges, il est indiqué que l’annonce des requérantes n’est « pas encore prête » et qu’il « faut je pense attendre la position » des requérantes. Il est également fait référence à l’hypothèse dans laquelle les requérantes « n’avisera[ient] pas ».
641 Or, contrairement à ce que soutient la Commission, rien ne permet de considérer qu’AF attendait des requérantes qu’elles lui fassent part de leurs intentions d’augmenter la STC par une voie bilatérale et non publique. Au contraire, il ressort d’un courriel interne d’AF du 23 septembre 2004 que c’est finalement par l’intermédiaire d’un bulletin d’informations des requérantes, auquel elle s’était abonnée, qu’AF a pris connaissance de ces intentions.
642 Deuxièmement, au considérant 415 de la décision attaquée, la Commission se réfère à un courriel du 23 septembre 2004 intitulé « Surtaxe carburant Danemark », dans lequel AF demande à KLM si elle a eu la « possibilité de clarifier la question de l’alignement de KL[M] sur AF, [Lufthansa] et [les requérantes] ».
643 Toutefois, ni ce courriel ni ceux qui l’ont précédé ou suivi ne font référence à un éventuel contact entre AF et les requérantes. Ils ne supposent pas non plus qu’un tel contact ait eu lieu. Il ressort, au contraire, d’un courriel interne d’AF du 20 septembre 2004 et des écritures des requérantes qu’il s’agissait de s’assurer, à la suite de la concentration entre AF et KLM, que KLM cesse de facturer une STC plus faible que celle de la concurrence.
644 Les autres pièces auxquelles la Commission fait référence dans ses écritures (considérants 173, 174, 425, 546 et 966 de la décision attaquée) n’infirment pas cette conclusion.
645 Tout d’abord, l’échange de courriels visé au considérant 546 de la décision attaquée ne démontre pas l’existence d’un contact entre AF et les requérantes. Ainsi que l’indique la Commission, cet échange démontre uniquement que les requérantes ont aligné leur comportement sur celui d’AF et de KLM et ont incité SAC à faire de même. Au surplus, ledit échange date de novembre 2005. Il est donc intervenu plus d’un an après le courriel visé au considérant 415 de la décision attaquée.
646 Ensuite, la réunion du 22 janvier 2001 visée aux considérants 173 et 174 de la décision attaquée précède de plus de trois ans le courriel visé au considérant 415 de la décision attaquée.
647 Par ailleurs, contrairement à ce qui est indiqué au considérant 966 de la décision attaquée, ce n’est pas aux requérantes qu’AF a envoyé le courriel du 27 juin 2005 duquel il ressort que « nous sommes “convenus” de 3,30 DKK AF/KL[M] à partir du 7 juillet 2005 ». AF a envoyé ce courriel à Lufthansa, qui l’a par la suite transféré aux requérantes.
648 Enfin, le contact litigieux visé au considérant 425 de la décision attaquée est une réunion du comité cargo du BARIG du 3 septembre 2004, à laquelle ont participé notamment les requérantes, Lufthansa et AF. Il est vrai que cette réunion a porté notamment sur la STC. Toutefois, comme il ressort du point 448 ci-dessus, il s’agissait pour Lufthansa de communiquer aux autres participants à ladite réunion les dernières nouvelles la concernant à ce sujet. Au surplus, comme il ressort du procès-verbal de ladite réunion, cette dernière portait avant tout sur la situation allemande.
649 La Commission ne saurait donc déduire de ladite réunion qu’il existait des contacts locaux entre AF et les requérantes au Danemark.
650 Au regard de ce qui précède et en l’absence d’autres preuves sérieuses, précises et concordantes tendant à établir que les contacts visés aux considérants 196, 406 et 415 de la décision attaquée étaient de nature à établir la participation des requérantes à l’infraction unique et continue, il convient de les écarter du faisceau d’indices que les requérantes contestent dans son ensemble dans le cadre de la dixième branche du présent moyen.
i) Sur la neuvième branche, prise d’erreurs dans l’appréciation de la connaissance qu’avaient les requérantes du comportement des autres transporteurs incriminés
651 Les requérantes font valoir que la Commission ne s’est pas acquittée de la charge qui lui incombait de prouver qu’elles avaient ou auraient dû avoir connaissance de tous les comportements anticoncurrentiels concernant les surtaxes et le refus de paiement de commissions auxquels elles n’ont pas participé et dont elles n’étaient pas prêtes à assumer le risque.
652 Conformément à la jurisprudence citée au point 459 ci-dessus, pour imputer aux requérantes l’infraction unique et continue dans son ensemble, la Commission était tenue d’établir, soit qu’elles avaient participé à l’ensemble des comportements composant cette infraction, soit qu’elles avaient eu connaissance de l’ensemble des comportements infractionnels que les autres participants à l’entente ont envisagé ou mis en œuvre dans la poursuite des mêmes objectifs et auxquels elles n’avaient pas directement participé, ou avoir pu raisonnablement les prévoir et avoir été prête à en accepter le risque.
653 Cependant, la seule identité d’objet entre un accord auquel a participé une entreprise et une entente globale ne suffit pas pour lui imputer la participation à l’entente globale. Tel est le cas même lorsque cet accord et l’entente globale présentent des liens objectifs. Ce n’est que si l’entreprise concernée, lorsqu’elle participe à un accord, a su ou aurait dû savoir que, ce faisant, elle s’intégrait dans une entente globale que sa participation à l’accord concerné peut constituer l’expression de son adhésion à cette même entente (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2011, Quinn Barlo e.a./Commission, T‑208/06, EU:T:2011:701, points 144 et 150 et jurisprudence citée).
654 C’est à la Commission qu’incombe la charge de prouver que l’entreprise concernée avait la connaissance requise des comportements anticoncurrentiels envisagés ou mis en œuvre par les autres participants à l’entente globale mais auxquels elle n’a pas directement participé (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 67).
655 Pour ce faire, la Commission doit réunir des éléments de preuve suffisamment précis et concordants pour établir que l’entreprise concernée avait une telle connaissance (voir, en ce sens, arrêt du 20 mars 2002, Sigma Tecnologie/Commission, T‑28/99, EU:T:2002:76, point 51).
656 La Commission n’est, cependant, pas tenue de démontrer que l’entreprise concernée avait ou aurait dû avoir connaissance, dans le détail, des concertations intervenues dans le cadre des contacts litigieux auxquels elle n’a pas participé. Elle n’est pas davantage tenue d’établir que l’entreprise en cause avait ou aurait dû avoir connaissance de l’ensemble de ces contacts (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, T‑259/02 à T‑264/02 et T‑271/02, EU:T:2006:396, point 193).
657 L’entreprise concernée doit ainsi simplement connaître la portée générale et les caractéristiques essentielles de l’entente globale (voir arrêt du 10 octobre 2014, Soliver/Commission, T‑68/09, EU:T:2014:867, point 64 et jurisprudence citée).
658 Lorsque tel est le cas, il ne saurait être tenu compte de la circonstance qu’une entreprise n’a pas participé à tous les éléments constitutifs d’une entente ou qu’elle a joué un rôle mineur dans les aspects auxquels elle a participé que lors de l’appréciation de la gravité de l’infraction et, le cas échéant, de la détermination du montant de l’amende (voir arrêt du 10 octobre 2014, Soliver/Commission, T‑68/09, EU:T:2014:867, point 65 et jurisprudence citée).
659 C’est à la lumière de ces principes qu’il convient de déterminer si la Commission était fondée à conclure que les requérantes avaient la connaissance requise des comportements des autres transporteurs incriminés auxquels elles n’ont pas directement participé concernant, d’une part, les surtaxes et, d’autre part, le refus de paiement de commissions.
1) Sur les surtaxes
660 Les requérantes soutiennent qu’elles n’étaient pas, et n’auraient pas pu être, au courant de différents comportements que les autres transporteurs incriminés ont mis en œuvre concernant les surtaxes. Elles invoquent deux arguments à l’appui de cette thèse.
661 En premier lieu, les requérantes relèvent que c’est à tort que la Commission s’est appuyée, au considérant 791 de la décision attaquée, sur des courriels de Lufthansa contenant des annonces en matière de STC pour soutenir qu’elles savaient ou, du moins, auraient dû savoir que Lufthansa coordonnait la STC avec d’autres transporteurs. Ces courriels contiendraient simplement les annonces publiques de Lufthansa en matière de STC, ne révéleraient rien de la coordination préalable au sein du groupe restreint, concerneraient uniquement les périodes comprises entre février 2003 et septembre 2004 et entre mars 2005 et septembre 2005 et auraient été adressés par le responsable des ventes de Lufthansa en Allemagne soit à ses homologues locaux chez 18 transporteurs, dont plusieurs n’auraient pas été tenus pour responsables de l’infraction unique et continue, soit à des transporteurs qui achetaient des capacités auprès de Lufthansa.
662 En second lieu, la Commission aurait omis d’examiner cinq arguments et éléments de preuve que les requérantes auraient présentés pour démontrer que les membres de leur personnel ne savaient rien des comportements d’autres transporteurs, n’avaient aucune raison de les soupçonner et n’étaient pas prêts à en accepter le risque.
663 Premièrement, les instructions internes de Lufthansa, dont une copie aurait été adressée aux requérantes, montreraient que Lufthansa avait activement pris des mesures pour se conformer aux règles de concurrence s’agissant des surtaxes. Ces instructions ne se seraient jamais référées à l’annonce préalable de la coordination entre Lufthansa et les autres transporteurs incriminés, qui auraient pour la plupart appartenu au groupe restreint. À l’appui de leur argumentation, les requérantes invoquent une résolution du conseil d’administration de Lufthansa du 21 décembre 1999 sur l’introduction de la STC.
664 Deuxièmement, Lufthansa aurait confirmé qu’elle n’avait pas informé les requérantes de ses contacts avec d’autres transporteurs. Lorsque le principal employé de Lufthansa au sein du groupe restreint transmettait aux requérantes des informations au sujet de ces transporteurs, il ne révélait pas qu’il avait préalablement communiqué avec eux, mais faisait référence à ses attentes personnelles ou à des informations publiquement accessibles.
665 Troisièmement, les employés des requérantes n’auraient pas appartenu au réseau du groupe restreint. Ce dernier aurait été composé de cadres supérieurs des principaux transporteurs et de leurs contacts personnels auprès d’autres transporteurs.
666 Quatrièmement, les requérantes n’auraient pas pu détecter les activités du groupe restreint sur la base du comportement de ses membres sur le marché.
667 Cinquièmement, les requérantes n’auraient pas pu avoir connaissance des comportements mis en œuvre dans des pays tiers dans lesquels elles n’exerçaient aucune activité. Il n’existerait au demeurant aucune preuve que les requérantes auraient été prêtes à assumer le risque de ces comportements. Elles auraient, au contraire, reçu des assurances explicites de l’autorité de concurrence danoise qu’il n’existait aucun risque à cet égard.
668 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
669 Il convient de rappeler que, au considérant 882 de la décision attaquée, la Commission a conclu que les requérantes étaient « impliquées dans deux des trois éléments (STC et STS) » de l’infraction unique et continue, et non qu’elles en avaient simplement une connaissance prouvée ou présumée. Il ressort, cependant, des réponses de la Commission aux arguments d’Air Canada et de British Airways aux considérants 894 à 897 de la décision attaquée que ce n’est pas pour autant qu’elle a considéré que les requérantes avaient directement participé à l’ensemble des activités anticoncurrentielles qui relevaient de ces composantes.
670 En premier lieu, s’agissant de la STC, la Commission a, au considérant 791 de la décision attaquée, fait référence à huit contacts pour retenir que les requérantes « savaient ou auraient dû savoir que Lufthansa coordonnait l’application de la STC avec d’autres transporteurs ». Comme il ressort de la note en bas de page no 1248 de la décision attaquée, il s’agit des courriels décrits aux considérants 274, 279, 346, 411, 446, 450, 482 et 495 de la décision attaquée, par lesquels Lufthansa a communiqué ses annonces d’augmentation de la STC à différents transporteurs.
671 Parmi les destinataires de ces huit courriels figurent un total de dix transporteurs incriminés. Cinq de ces transporteurs, à savoir Air Canada, CPA, Japan Airlines, SAC et les requérantes, comptaient parmi les destinataires de l’ensemble desdits courriels. Les cinq transporteurs incriminés restants, à savoir AF, Cargolux, KLM, Lan Airlines et Martinair, ont reçu entre deux et cinq desdits courriels.
672 Or, les requérantes ont participé à d’autres contacts anticoncurrentiels avec chacun de ces dix transporteurs, à l’exception de Lan Airlines. Ainsi, tout d’abord, les requérantes ont communiqué avec Air Canada et KLM au sujet tant de l’instauration de la STC que de sa mise en œuvre (considérants 135, 144 à 146, 174 et 394 de la décision attaquée). Ensuite, les requérantes se sont coordonnées avec Japan Airlines, Lufthansa et SAC au sujet de la mise en œuvre de la STC, tant dans le cadre de l’alliance WOW (considérants 401, 434, 484, 488, 490, 494, 496, 497, 512, 531, 546 de cette décision) qu’en dehors de celle-ci (considérants 145, 146, 204 et 559 de ladite décision). Enfin, les requérantes ont participé à des contacts concernant la mise en œuvre de la STC avec AF (considérants 146, 174, 204 et 394 de la décision en cause), Cargolux (considérants 174 et 394 de la décision en cause), Martinair (considérants 204 et 394 de la décision attaquée) et CPA (considérants 295 et 394 de la décision attaquée).
673 Plusieurs des contacts identifiés au point précédent impliquaient tant l’auteur des huit courriels en cause, à savoir Lufthansa, qu’au moins quatre des transporteurs incriminés qui figuraient parmi leurs destinataires (considérants 145, 146 et 394 de la décision attaquée).
674 Quant à la circonstance que figuraient, parmi les destinataires des courriels décrits aux considérants 274, 279, 346, 411, 446, 450, 482 et 495 de la décision attaquée, des transporteurs non incriminés ou des transporteurs incriminés ayant conclu des accords de réservation de capacités avec Lufthansa, elle est indifférente pour des motifs analogues à ceux retenus aux points 463 à 465 et 475 à 495 ci-dessus.
675 Quant à la circonstance que les courriels en cause ne concernaient que les périodes comprises entre février 2003 et septembre 2004 et entre mars 2005 et septembre 2005, il y a lieu de constater que les éléments de preuve opposés aux requérantes au considérant 791 de la décision attaquée tendent, ainsi que le relève la Commission audit considérant, à établir sa connaissance d’une entente plus vaste, impliquant Lufthansa et d’autres transporteurs incriminés, y compris pour la période antérieure aux courriels litigieux. Ainsi en est-il notamment de la « réunion amicale » du 22 janvier 2001 décrite au considérant 174 de la décision attaquée, lors de laquelle a été discutée la modification du niveau de la STC et à laquelle ont pris part Lufthansa, les requérantes et plusieurs autres transporteurs incriminés (voir point 447 ci-dessus). Il en est de même du courriel visé au considérant 237 de la décision attaquée, faisant état de contacts impliquant tant les requérantes que Lufthansa et plusieurs autres transporteurs incriminés au sujet de l’application de la STC.
676 Dans ces conditions, les requérantes étant par ailleurs restées en défaut de démontrer que les courriels décrits aux considérants 274, 279, 346, 411, 446, 450, 482 et 495 de la décision attaquée pouvaient faire l’objet d’une explication alternative plausible à la coordination de la STC, la Commission pouvait conclure qu’ils étaient de nature à leur donner une connaissance suffisante de la coordination entre Lufthansa et d’autres transporteurs incriminés.
677 Au surplus, il convient d’observer que plusieurs autres contacts litigieux auxquels la Commission renvoie dans la décision attaquée étaient de nature à donner aux requérantes une connaissance suffisante de la coordination entre Lufthansa et d’autres transporteurs incriminés. Tel est notamment le cas du courriel du 27 juin 2005 visé au considérant 966 de la décision attaquée, duquel il ressort que « nous sommes “convenus” de 3,30 DKK AF/KL[M] à partir du 7 juillet 2005 ». En effet, comme il ressort du point 647 ci-dessus, il s’agit non d’un courriel qu’AF leur a envoyé, mais d’un courriel d’AF que Lufthansa leur a transféré.
678 Tel est également le cas du courriel du 17 février 2003, lui aussi visé au considérant 966 de la décision attaquée. Dans ce courriel, Lufthansa indique ce qui suit aux requérantes :
« comme discuté la semaine dernière, nous allons augmenter la [STC à partir du] 3.3.2003. J’ai joint le communiqué de presse en allemand, la version anglaise suivra très prochainement. Comme j’ai eu l’occasion de le voir, [British Airways], KL[M], […] sont sorties également. J’ai entendu dire que [Cargolux], […] et d’autres vont suivre également. »
679 Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il ne saurait être considéré que ce courriel leur révélait uniquement ce que Lufthansa s’attendait à « voir d’autres transporteurs faire ou des informations disponibles au public ». Au contraire, il ressort dudit courriel que, à la différence de British Airways, de KLM et d’un autre transporteur, Cargolux et un autre transporteur encore n’avaient pas encore communiqué leurs intentions au public. Quant à l’utilisation de la formulation « [j]’ai entendu dire », elle montre que, comme le relève la Commission, Lufthansa ne s’est pas contentée de faire part aux requérantes de ses attentes.
680 C’est donc sans commettre d’erreur que la Commission a retenu, au considérant 791 de la décision attaquée, que les requérantes avaient une connaissance suffisante de la coordination entre Lufthansa et d’autres transporteurs incriminés.
681 La Commission était également fondée à considérer que les requérantes tiraient des éléments de preuve visés au considérant 791 de la décision attaquée une connaissance suffisante des comportements mis en œuvre dans les pays tiers dans lesquels elles n’étaient pas présentes. Il ressort, en effet, du considérant 889 de la décision attaquée que la STC était une mesure d’application générale qui n’était pas spécifique à une liaison et qui avait pour but d’être mise en œuvre sur toutes les liaisons, au niveau mondial (voir points 277 à 291 ci-dessus). Tout opérateur diligent conscient de la portée de cette coordination aurait su ou, à tout le moins, dû savoir qu’elle s’étendait aux pays tiers dans lesquels il n’opérait pas.
682 Les assurances que les requérantes auraient reçues de l’autorité de concurrence danoise ne leur sont d’aucun secours à cet égard. Il ressort des considérants 1268 et 1271 de la décision attaquée que les requérantes prétendent tirer ces assurances d’une décision dans laquelle l’autorité de concurrence danoise a indiqué que la Commission « était compétente uniquement concernant les liaisons à l’intérieur de l’U[nion], et non les liaisons [Union-pays tiers] ». Cette décision date cependant de 2002. Elle précède donc l’extension de la compétence de la Commission pour appliquer l’article 101 TFUE aux transports aériens internationaux Union-pays tiers intervenue avec l’entrée en vigueur du règlement no 411/2004 et pour appliquer l’article 53 de l’accord EEE aux transports internationaux EEE sauf Union-pays tiers intervenue avec l’entrée en vigueur de la décision du Comité mixte de l’EEE no 40/2005, du 11 mars 2005, modifiant l’annexe XIII (Transports) et le protocole 21 (concernant la mise en œuvre des règles de concurrence applicables aux entreprises) de l’accord EEE (JO 2005, L 198, p. 38). C’est ainsi sans commettre d’erreur que, au considérant 1271 de la décision attaquée, la Commission a estimé que la décision de l’autorité de concurrence danoise dont se prévalent les requérantes concernait une « situation juridique antérieure », dont elles ne pouvaient donc tirer aucune confiance légitime.
683 C’est donc à juste titre que la Commission a considéré que les requérantes avaient la connaissance requise de la coordination au sujet de la STC entre Lufthansa et d’autres transporteurs incriminés et dans des pays tiers dans lesquels elles n’opéraient pas.
684 En second lieu, s’agissant de la STS, au considérant 792 de la décision attaquée, la Commission a résumé les éléments de preuve sur lesquels elle s’est fondée pour conclure à la participation directe des requérantes à la composante de l’infraction unique et continue tenant à la STS. La Commission a ainsi notamment déduit de ces éléments de preuve que les requérantes avaient « connaissance de la coordination plus large de la STS, dans la mesure où elle[s] avai[en]t des contacts directs avec les concurrents concernant la mise en œuvre de la STS ».
685 Dans le cadre de la présente branche, les requérantes n’avancent aucun argument tendant à remettre en cause ce raisonnement. Tout au plus est-il possible de déduire de leurs écritures qu’elles font grief à la Commission d’avoir considéré qu’elles avaient connaissance de la coordination relative à la STS dans des pays dans lesquels elles n’opéraient pas.
686 Il ressort cependant du considérant 889 de la décision attaquée que, tout comme la STC (voir point 681 ci-dessus), la STS était une mesure d’application générale qui n’était pas spécifique à une liaison et qui avait pour but d’être mise en œuvre sur toutes les liaisons, au niveau mondial. Tout opérateur diligent conscient de la portée de cette coordination aurait donc su ou, à tout le moins, dû savoir qu’elle s’étendait aux pays tiers dans lesquels il n’opérait pas.
687 Au regard de ce qui précède, il convient donc de conclure que les requérantes ne sont pas fondées à reprocher à la Commission d’avoir conclu qu’elles avaient une connaissance suffisante des éléments de la composante de l’infraction unique et continue tenant à la STS auxquels elles n’ont pas directement participé.
688 Aucun des autres arguments des requérantes ne saurait remettre en cause ces conclusions.
689 Premièrement, les pièces invoquées par la Commission ayant été de nature à donner aux requérantes une connaissance suffisante des contacts litigieux relatifs aux surtaxes auxquels elles n’ont pas directement participé, il n’était pas nécessaire qu’elles puissent en prendre connaissance également par d’autres moyens, et notamment par l’intermédiaire de leurs discussions avec Lufthansa, de l’observation du comportement de leurs concurrents sur le marché ou encore d’une appartenance au prétendu « réseau du groupe restreint ».
690 Il ne saurait, en conséquence, être reproché à la Commission de ne pas avoir expressément examiné les arguments des requérantes à cet égard.
691 Deuxièmement, s’agissant de l’argument relatif aux mesures que Lufthansa aurait prises pour se conformer aux règles de concurrence, tout d’abord, il convient de relever que les requérantes ne démontrent pas en avoir eu connaissance pendant la période infractionnelle. Au contraire, comme les requérantes l’admettent elles-mêmes dans la réplique, elles « n’ont été en mesure de récupérer aucun courriel dans lequel [Lufthansa] aurait envoyé ses lignes directrices de 2000 sur l’introduction de la STC à [SAS Cargo] ».
692 Ensuite, il convient de relever que le seul élément de preuve que les requérantes invoquent au soutien du présent argument est une résolution du conseil d’administration de Lufthansa du 21 décembre 1999 sur l’introduction de la STC. Or, comme le relève à juste titre la Commission, cette résolution concerne exclusivement l’annonce de l’introduction de la STC à la fin du mois de décembre 1999 et n’atteste aucunement d’une politique interne de conformité avec les règles de concurrence s’agissant de la mise en œuvre des surtaxes.
693 Enfin et en tout état de cause, il y a lieu d’observer que, comme le relève en substance la Commission, les assurances que les requérantes ont pu obtenir s’agissant du respect des règles de concurrence ne pouvaient pas raisonnablement justifier la conclusion selon laquelle Lufthansa se conformait aux règles de concurrence. Il est, en effet, de principe que les entreprises supportent elles-mêmes le risque d’une appréciation erronée de leur situation juridique, conformément à l’adage général selon lequel nul n’est censé ignorer la loi (arrêt du 15 juillet 2015, Socitrel et Companhia Previdente/Commission, T‑413/10 et T‑414/10, EU:T:2015:500, point 304).
694 Le présent grief ne peut donc qu’être rejeté.
2) Sur le refus de paiement de commissions
695 Les requérantes font valoir que c’est à tort que la Commission a considéré que, compte tenu de leur implication dans les composantes de l’infraction unique et continue relatives aux surtaxes, elles auraient raisonnablement pu prévoir les comportements des autres transporteurs incriminés concernant le refus de paiement de commissions et étaient prêtes à en assumer le risque. En effet, d’une part, le refus de paiement de commissions n’aurait pas poursuivi le même objectif anticoncurrentiel que les surtaxes. D’autre part, et en tout état de cause, la seule identité d’objectif des différentes composantes de l’infraction unique et continue ne suffirait pas à établir que les requérantes avaient la connaissance requise de celle tenant au refus de paiement de commissions.
696 La Commission soutient, en substance, que les requérantes auraient raisonnablement pu prévoir le refus de paiement de commissions et étaient disposées à en assumer le risque, au motif que les différentes composantes de l’infraction unique et continue étaient indissolublement liées. L’objectif anticoncurrentiel des surtaxes aurait, en effet, été mis à mal si les surtaxes avaient fait l’objet d’une forme de concurrence par les prix par le biais de commissions.
697 Au stade de la duplique, la Commission ajoute que la réplique et ses annexes ainsi que les courriels visés aux considérants 680 et 686 de la décision attaquée démontrent que le paiement de commissions avait fait l’objet de discussions au sein de l’alliance WOW et que les requérantes savaient ou auraient dû savoir qu’elles-mêmes et les autres transporteurs ne payaient pas de commissions sur les surtaxes.
698 Il convient de constater que, au considérant 882 de la décision attaquée, la Commission a, en substance, considéré que les requérantes n’étaient directement impliquées que dans deux des trois composantes de l’infraction unique et continue, à savoir la STC et la STS. La Commission a néanmoins estimé que les requérantes pouvaient également être tenues pour responsables de la troisième composante de l’infraction unique et continue, à savoir celle tenant au refus de paiement de commissions. Selon la Commission, compte tenu de leur implication dans ces composantes de l’infraction unique et continue, les requérantes auraient « raisonnablement pu prévoir des échanges entre les parties au sujet d’une telle matière connexe que le [refus de paiement de commissions], et était disposée[s] à en assumer le risque ». Dans la duplique, la Commission a précisé que tel était le cas parce que l’« objectif de la coordination sur les surtaxes (en l’occurrence, éviter une concurrence par les prix) ne pourrait être atteint si les surtaxes faisaient l’objet de commissions ».
699 Or, ce faisant, la Commission n’a pas fondé ses conclusions sur des éléments de preuve spécifiques, mais s’est, en substance, contentée de présumer la connaissance des requérantes de la composante de l’infraction unique et continue tenant au refus de paiement de commissions sur la base de son identité d’objet avec les deux autres composantes de cette infraction. Conformément à la jurisprudence rappelée au point 653 ci-dessus, la complémentarité économique objective entre les surtaxes et le refus de paiement de commissions n’est, même à la supposer établie, pas suffisante pour démontrer que les requérantes auraient raisonnablement dû prévoir ce dernier.
700 Il y a lieu donc lieu de considérer que les éléments sur lesquels la Commission s’est appuyée au considérant 882 de la décision attaquée n’étaient pas de nature à établir que les requérantes avaient la connaissance requise des activités anticoncurrentielles des autres transporteurs incriminés concernant le refus de paiement de commissions.
701 Dans ses écritures, la Commission s’est néanmoins référée à trois autres éléments figurant au dossier de la procédure administrative pour démontrer que les requérantes étaient ou auraient dû être au courant de ces activités et qu’elles étaient prêtes à en accepter le risque.
702 Le premier de ces éléments est un courriel interne du 9 juin 2005 visé au considérant 680 de la décision attaquée. Dans ce courriel, un employé des requérantes rapporte la teneur d’une conversation qu’il a eue le jour même avec de « vieux contacts au sein de la [Cargo Accounts Settlement Systems (Système de Règlement des Comptes de Fret, ci-après le « CASS »)] Suisse » au sujet d’actions concertées d’associations de transitaires concernant le paiement de commissions sur les surtaxes. Ledit employé souligne que « [l]a question dans son ensemble est exceptionnellement sensible du point de vue de la concurrence et [qu’]il est important que l[’alliance] WOW ne réponde pas de manière collective et que les membres individuels de l[’alliance] WOW ne donnent pas de réponse “collective” ». Selon ledit employé, « [l]a meilleure manière de procéder serait que le CASS, comme en Suisse, conseille sur les conséquences ».
703 Or, rien dans la décision attaquée ne permet de considérer que le CASS a, en Suisse, conseillé aux transporteurs de convenir, dans un cadre bilatéral ou multilatéral, de refuser de négocier le paiement de commissions avec les transitaires et de leur octroyer des ristournes sur les surtaxes. Il n’est pas non plus possible de déduire de la décision attaquée que le CASS ait communiqué aux requérantes des éléments qui auraient laissé penser que les autres transporteurs incriminés s’étaient ainsi concertés ou envisageaient de le faire. Il ressort, au contraire, du courriel interne du 9 juin 2005 visé au considérant 680 de la décision attaquée que, en Suisse, il a uniquement été indiqué, premièrement, que les prix et les commissions étaient une « question bilatérale entre [transitaire] et [transporteur] », deuxièmement, qu’un transitaire ne pouvait pas unilatéralement décider d’ajustements et, troisièmement, en substance, que la manière de procéder des transitaires risquait d’avoir des conséquences importantes.
704 La Commission n’est donc pas fondée à considérer que le courriel interne du 9 juin 2005 visé au considérant 680 de la décision attaquée tend à établir que les requérantes avaient la connaissance requise des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par les autres transporteurs incriminés s’agissant du refus de paiement de commissions.
705 La Commission n’est pas davantage fondée à déduire des échanges internes qui ont suivi le courriel du 9 juin 2005 visé au considérant 680 de la décision attaquée que le refus de paiement de commissions a fait l’objet de discussions au sein de l’alliance WOW. Au contraire, comme il ressort du courriel du 14 juin 2005 visé au même considérant, un employé des requérantes a exclu cette possibilité, déclarant « [n]ous ne pouvons discuter de ceci au sein de l[’alliance] WOW, mais il nous faut traiter la question au sein de chaque compagnie aérienne ».
706 Le deuxième des éléments de preuve sur lesquels la Commission s’appuie dans ses écritures pour conclure que les requérantes avaient la connaissance requise des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par les autres transporteurs incriminés s’agissant du refus de paiement de commissions est un courriel du 28 décembre 2005. Il convient d’observer que ce courriel est décrit au considérant 686 de la décision attaquée. Dans ledit courriel, un employé de SAC demande à plusieurs transporteurs, dont les requérantes, s’ils ont entendu parler (« wondered if you have heard ») d’un récent communiqué de DHL en Allemagne reçu par son bureau de Francfort (Allemagne) et annonçant le prélèvement futur d’une commission sur les surtaxes. L’employé de SAC ajoute que le communiqué fait référence à la résolution 805zz de l’IATA, indique ne pas être sûr de quoi il s’agit et remercie les destinataires pour leurs commentaires.
707 Rien dans le libellé dudit courriel n’invite expressément ces transporteurs à s’entendre pour refuser de payer des commissions, ni d’ailleurs à échanger des informations sur la réponse commerciale qu’ils comptaient donner audit communiqué.
708 Au vu des incertitudes qu’exprime le courriel en cause quant à la résolution 805zz de l’IATA, il est concevable que les interrogations de l’employé de SAC aient simplement porté sur l’exigibilité d’éventuelles commissions sur les surtaxes. La réponse d’un autre employé d’un autre transporteur laisse néanmoins entendre que le courriel de SAC pouvait aussi être compris en ce sens qu’il portait sur la réponse commerciale à apporter au communiqué de DHL. Dans un courriel interne du 3 janvier 2006, cet employé a, en effet, observé avoir parlé à Lufthansa, qui avait notamment indiqué qu’elle n’« accepterait pas de factures de ce type ».
709 Il s’ensuit que le courriel du 28 décembre 2005 décrit au considérant 686 de la décision attaquée ne permet pas, à lui seul, d’établir que les requérantes ont participé à la composante de l’infraction unique et continue tenant au refus de paiement de commissions. Conformément à une jurisprudence constante citée au point 344 ci-dessus, il importe néanmoins d’examiner si, conjointement avec d’autres éléments, ce courriel pouvait constituer un faisceau d’indices qui permettait à la Commission de conclure que tel était le cas (voir points 711 et 712 ci-après).
710 Le troisième des éléments de preuve sur lesquels la Commission s’appuie dans ses écritures pour conclure que les requérantes avaient la connaissance requise des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par les autres transporteurs incriminés s’agissant du refus de paiement de commissions est un extrait de la réponse de SAS Cargo à la communication des griefs. Il ressort de cet extrait que, le 10 juin 2005, un employé des requérantes a envoyé un courriel à un autre transporteur au sujet des commissions sur les surtaxes contre les instructions expresses de sa hiérarchie. La Commission se borne cependant à soutenir que ledit extrait « démontre que des informations [au] sujet [des commissions sur les surtaxes] […] ont été transmises par Lufthansa [aux requérantes] et que [leur] employé y a répondu », sans préciser de quelles informations il s’agit, ni a fortiori soutenir qu’elles concernaient une éventuelle réponse concertée aux transitaires.
711 Dans ces conditions, et à supposer même que ces trois éléments auxquels la Commission s’est référée en cours d’instance puissent être pris en considération, il ne saurait être considéré que, appréciés individuellement ou conjointement, ils étaient de nature à donner aux requérantes la connaissance requise des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par les autres transporteurs incriminés s’agissant du refus de paiement de commissions.
712 En l’absence d’autres preuves sérieuses, précises et concordantes de nature à établir une telle connaissance, il convient de conclure que la Commission a commis une erreur en tenant les requérantes pour responsables de la composante de l’infraction unique et continue relative au refus de paiement de commissions. Le présent grief doit donc être accueilli et l’article 1er de la décision attaquée annulé en tant qu’il retient la responsabilité des requérantes pour cette composante de l’infraction unique et continue. La présente branche doit être rejetée pour le surplus.
j) Sur la dixième branche, prise d’erreurs dans l’appréciation globale du faisceau d’indices invoqué par la Commission
713 Les requérantes font valoir que, dans la décision attaquée, la Commission a énuméré une série de comportements isolés, disparates et locaux sans examiner l’existence de liens objectifs entre eux, de sorte qu’elle aurait commis une erreur en déduisant du faisceau d’indices invoqué qu’elles ont participé aux composantes de l’infraction unique et continue tenant à la STC et à la STS.
714 En ce qui concerne les contacts litigieux intervenus entre décembre 1999 et décembre 2001, les éléments retenus par la Commission correspondraient, pour certains, à des comportements n’ayant pas de rapport avec le transport à l’intérieur de l’EEE. Les autres ne suffiraient pas à établir la participation des requérantes à l’infraction unique et continue, soit parce qu’ils ne prouveraient pas l’existence de contacts avec d’autres transporteurs, soit parce qu’ils concerneraient des faits couverts par une alliance, soit parce qu’ils ne relèveraient pas du champ matériel, géographique ou temporel de l’infraction unique et continue. Par ailleurs, la plupart des éléments de preuve invoqués s’agissant des contacts litigieux intervenus entre mai 2004 et février 2006 seraient inopérants ou se rapporteraient à des comportements légitimes dans le cadre d’alliances ou à des comportements requis par des réglementations locales. Il s’agirait en tout état de cause d’une série d’incidents isolés et locaux.
715 En ce qui concerne les comportements liés à la STS, la plupart seraient antérieurs à mai 2004. Ils n’auraient pas de rapport avec le transport à l’intérieur de l’EEE, concerneraient des faits couverts par une alliance ou une réglementation locale ou ne prouveraient pas l’existence de contacts entre les requérantes et d’autres transporteurs. Le seul fait postérieur à mai 2004 se rapporterait à un comportement légitime dans le cadre d’une alliance.
716 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
717 Par la présente branche, les requérantes font, en substance, valoir qu’il ressort des première à neuvième branches du présent moyen que le faisceau d’indices invoqué par la Commission aux considérants 791 et 792 de la décision attaquée, apprécié globalement, ne permet pas d’établir qu’elles ont participé aux composantes de l’infraction unique et continue tenant à la STC et à la STS.
718 En l’espèce, en premier lieu, s’agissant des comportements relatifs à la STC, il ressort de l’examen des première à neuvième branches du présent moyen que, parmi la quarantaine de contacts litigieux sur lesquels la Commission s’est appuyée, seuls six doivent être écartés du faisceau d’indices invoqué au considérant 791 de la décision attaquée. Il s’agit des contacts visés aux considérants 196, 223, 406, 415, 443 et 517 de la décision attaquée.
719 À cet égard, premièrement, il convient d’observer que les contacts rapportés aux considérants 223 et 517 de la décision attaquée comptent parmi les treize contacts litigieux que la Commission a retenus pour conclure que la mise en œuvre de la STC a été discutée entre les membres de l’alliance WOW, parmi lesquels figurent les requérantes. Or, comme il ressort de l’examen des deuxième à quatrième branches du présent moyen, les onze contacts restants suffisent à fonder cette conclusion.
720 Deuxièmement, il convient de constater que le contact visé au considérant 443 de la décision attaquée compte parmi les trois contacts litigieux sur lesquels la Commission s’est appuyée pour conclure que les requérantes avaient échangé des courriels avec les membres de l’ACCS, révélant l’action que ceux-ci prévoyaient d’entreprendre et leurs futures annonces. Or, comme il ressort de l’examen du quatrième grief de la sixième branche du présent moyen, les deux contacts restants suffisent à fonder cette conclusion.
721 Troisièmement, il convient de relever que les contacts visés aux considérants 196, 406 et 415 de la décision attaquée font partie des huit contacts litigieux invoqués au considérant 791 de la décision attaquée à l’appui du constat selon lequel il « existe par ailleurs d’autres preuves concernant des contacts avec des concurrents ». Ainsi qu’il ressort de l’utilisation de la locution « par ailleurs », il s’agit d’un constat surabondant. Dès lors, à supposer même que l’exclusion des contacts visés aux considérants 196, 406 et 415 de la décision attaquée soit de nature à entacher d’erreur ce constat, cela serait sans incidence sur l’aptitude du faisceau d’indices invoqué au considérant 791 de la décision attaquée à établir, le cas échéant, la participation des requérantes à la composante de l’infraction unique et continue tenant à la STC.
722 En tout état de cause, il y a lieu d’observer que, comme il ressort de l’examen des sixième à huitième branches du présent moyen, les cinq autres contacts invoqués à l’appui du constat selon lequel il « existe par ailleurs d’autres preuves concernant des contacts avec des concurrents » suffisaient à le fonder.
723 Quatrièmement, les contacts visés aux considérants 196, 223, 406, 415, 443 et 517 de la décision attaquée sont intervenus à des périodes pour lesquelles la Commission dispose d’autres éléments de preuve appuyant le constat de la participation des requérantes à la composante de l’infraction unique et continue tenant à la STC, ainsi qu’il ressort en particulier des considérants 204, 237, 401, 411, 425, 434, 531 et 546 de la décision attaquée.
724 Il ressort de ce qui précède que l’argumentation des requérantes au soutien de la présente branche ne permet pas de remettre en cause le faisceau d’indices invoqué par la Commission au considérant 791 de la décision attaquée pour établir leur participation à la composante de l’infraction unique et continue tenant à la STC.
725 En second lieu, s’agissant des comportements relatifs à la STS, il y a lieu de constater que l’argumentation des requérantes au soutien de la présente branche du troisième moyen reprend, en substance, celle qui sous-tend ses neuf premières branches en tant qu’elles portent sur la composante de l’infraction unique et continue tenant à la STS. Or, cette argumentation a été rejetée.
726 Par ailleurs, s’agissant des courriels visés aux considérants 618 et 620 de la décision attaquée, il a été constaté aux points 338 à 344 ci-dessus qu’ils ne constituaient pas des preuves directes de l’implication des requérantes dans la composante de l’infraction unique et continue tenant à la STS, mais seulement des indices qui devaient être appréciés avec l’ensemble des autres éléments mis en avant par la Commission au considérant 792 de la décision attaquée. Les courriels visés aux considérants 618 et 620 de la décision attaquée font partie des neuf contacts litigieux invoqués au considérant 792 de la décision attaquée à l’appui du constat selon lequel les requérantes ont coordonné le niveau de la STS avec les membres de l’alliance WOW. À cela s’ajoute le contact visé au considérant 673 de ladite décision. Or, comme il ressort de l’examen des quatrième, sixième et huitième branches du présent moyen, ces contacts étaient suffisants pour fonder le constat d’une coordination du niveau de la STS entre membres de l’alliance WOW.
727 L’argumentation des requérantes ne permet donc pas de remettre en cause le faisceau d’indices invoqué par la Commission au considérant 792 de la décision attaquée pour établir leur participation à la composante de l’infraction unique et continue tenant à la STS.
728 Il y a donc lieu de rejeter la présente branche et, par suite, de conclure que, sous réserve des erreurs constatées au point 562 ci-dessus quant à leur participation à la coordination de la STC en Thaïlande entre le 20 juillet 2005 et le 14 février 2006 et au point 712 ci-dessus quant à leur participation à la composante de l’infraction unique et continue tenant au refus de paiement de commissions, les requérantes sont restées en défaut d’établir, dans le cadre du présent moyen, que la Commission a commis une erreur dans la détermination de l’étendue de leur participation à l’infraction unique et continue.
4. Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation de l’article 266 TFUE, du droit de propriété protégé par l’article 17 de la Charte et de l’obligation de motivation
729 Le quatrième moyen, par lequel les requérantes font valoir que la décision attaquée est entachée d’incohérences internes, est articulé en trois branches, prises, la première, d’une violation de l’article 266 TFUE, la deuxième, d’une violation du droit de propriété protégé par l’article 17 de la Charte et, la troisième, d’une violation de l’obligation de motivation.
a) Sur la première branche, prise d’une violation de l’article 266 TFUE
730 Les requérantes font grief à la Commission d’avoir violé l’article 266 TFUE en ne prenant pas les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt du 16 décembre 2015, SAS Cargo Group e.a./Commission (T-56/11, non publié, EU:T:2015:990). Ainsi, la décision attaquée serait entachée des mêmes incohérences que celles que le Tribunal a constatées dans ledit arrêt entre, d’une part, la thèse de l’existence d’une infraction unique et continue et, d’autre part, des constats contradictoires concernant la responsabilité des divers transporteurs ayant participé au comportement infractionnel. Les requérantes citent à cet égard les conclusions divergentes auxquelles la Commission serait parvenue concernant un échange de courriels des 13 et 14 décembre 1999, dont elle aurait déduit le début de leur participation à l’infraction unique et continue tout en l’excluant pour les deux autres transporteurs impliqués dans l’échange desdits courriels.
731 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
732 En vertu de l’article 266 TFUE, l’institution dont émane l’acte annulé est tenue de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt d’annulation. Cette obligation ne s’entend que dans les limites de ce qui est nécessaire pour assurer l’exécution de l’arrêt d’annulation (arrêt du 29 novembre 2007, Italie/Commission, C‑417/06 P, non publié, EU:C:2007:733, point 52).
733 Selon une jurisprudence constante, afin de se conformer à un arrêt d’annulation et de lui donner pleine exécution, l’institution concernée est tenue de respecter non seulement le dispositif de l’arrêt, mais également les motifs qui ont amené à celui-ci et qui en constituent le soutien nécessaire, en ce sens qu’ils sont indispensables pour déterminer le sens exact de ce qui a été jugé dans le dispositif (arrêts du 26 avril 1988, Asteris e.a./Commission, 97/86, 99/86, 193/86 et 215/86, EU:C:1988:199, point 27, et du 6 mars 2003, Interporc/Commission, C‑41/00 P, EU:C:2003:125, point 29).
734 L’article 266 TFUE impose à l’institution concernée d’éviter que tout acte destiné à remplacer l’acte annulé soit entaché des mêmes irrégularités que celles identifiées dans l’arrêt d’annulation (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2004, IPK-München et Commission, C‑199/01 P et C‑200/01 P, EU:C:2004:249, point 83).
735 Par l’arrêt du 16 décembre 2015, SAS Cargo Group e.a./Commission (T‑56/11, non publié, EU:T:2015:990), le Tribunal a constaté que la décision du 9 novembre 2010 était entachée de contradictions entre ses motifs et son dispositif, les premiers décrivant une seule infraction unique et continue, relative à toutes les liaisons couvertes par l’entente, à laquelle les 21 destinataires de la décision du 9 novembre 2010 auraient participé, alors que le second relevait soit quatre infractions uniques et continues distinctes, soit une seule infraction unique et continue dont la responsabilité ne serait imputée qu’aux transporteurs qui, sur les liaisons visées par les articles 1er à 4 de la décision du 9 novembre 2010, auraient directement participé aux comportements infractionnels visés par chacun desdits articles ou auraient eu connaissance d’une collusion sur ces liaisons, dont ils acceptaient le risque (voir point 17 ci-dessus).
736 En outre, le Tribunal a considéré que les motifs de la décision du 9 novembre 2010 contenaient d’importantes contradictions internes, dans la mesure où y figuraient des appréciations difficilement conciliables avec l’existence d’une entente unique couvrant toutes les liaisons visées par le dispositif, telle que décrite dans ces mêmes motifs (arrêt du 16 décembre 2015, SAS Cargo Group e.a./Commission, T‑56/11, non publié, EU:T:2015:990, point 75). Parmi ces appréciations comptait celle consistant à fixer la date de début de participation à l’infraction pour certains transporteurs au 1er mai 2004, au motif que ces derniers ne pouvaient être tenus pour responsables de l’infraction en ce qui concerne les liaisons intra-EEE et que le règlement no 1/2003 n’était devenu applicable aux liaisons qu’ils desservaient qu’à compter de cette date (arrêt du 16 décembre 2015, SAS Cargo Group e.a./Commission, T‑56/11, non publié, EU:T:2015:990, point 76).
737 En l’espèce, les requérantes n’avancent aucun argument tendant à établir que les contradictions relevées ci-dessus auraient été reproduites dans la décision attaquée. Elles se contentent de relever que le début de leur participation à l’infraction unique et continue a été déterminé sur la base des échanges de courriels des 13 et 14 décembre 1999, à la différence d’autres transporteurs pourtant impliqués dans ces derniers. Elles n’indiquent pas en quoi cette circonstance attesterait du maintien, dans la décision attaquée, des contradictions relevées dans l’arrêt du 16 décembre 2015, SAS Cargo Group e.a./Commission (T‑56/11, non publié, EU:T:2015:990), et serait, en particulier, contradictoire avec le constat d’une infraction unique et continue, relative à toutes les liaisons couvertes par l’entente, à laquelle tous les transporteurs incriminés auraient participé.
738 Par ailleurs, contrairement à ce qu’affirment les requérantes, le Tribunal n’a pas dit pour droit, au point 85 de l’arrêt du 16 décembre 2015, SAS Cargo Group e.a./Commission (T‑56/11, non publié, EU:T:2015:990), que la Commission avait insuffisamment motivé la décision du 9 novembre 2010 en considérant que l’échange de courriels des 13 et 14 décembre 1999 était une preuve de la participation des requérantes, mais non de celle des autres transporteurs parties à ces échanges. Audit point, le Tribunal a abordé les conséquences des contradictions de la décision du 9 novembre 2010 dans l’hypothèse où son dispositif était lu comme décrivant quatre infractions uniques et continues distinctes. Le Tribunal n’a cité à cet égard l’allégation des requérantes relative au traitement prétendument discriminatoire que la Commission aurait fait de l’échange de courriels des 13 et 14 décembre 1999 qu’aux fins d’illustrer les conséquences de ces contradictions. En effet, ainsi que le relève en substance le Tribunal au point 85 de l’arrêt du 16 décembre 2015, SAS Cargo Group e.a./Commission (T‑56/11, non publié, EU:T:2015:990), lesdites contradictions ont privé les requérantes de la possibilité de comprendre si elles avaient fait l’objet d’un traitement différent des autres destinataires de la décision du 9 novembre 2010 impliqués dans les échanges de courriels en cause au motif que ces derniers n’assuraient pas certaines liaisons.
739 Les requérantes n’ont donc pas démontré que la décision attaquée est entachée d’une violation de l’article 266 TFUE. La présente branche doit, en conséquence, être rejetée.
b) Sur la deuxième branche, prise d’une violation du droit de propriété protégé par l’article 17 de la Charte
740 Les requérantes font valoir que la Commission a agi de manière arbitraire et sélective à leur égard, en violation du droit de propriété consacré à l’article 17 de la Charte, qui devrait, en vertu de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, avoir le même sens et la même portée que l’article 1er du protocole additionnel no 1 à la CEDH. Leur imposer une amende constituerait une atteinte non justifiée à leur droit de propriété, en raison de son caractère arbitraire et incohérent, dans la mesure où la Commission n’aurait pas retenu la responsabilité de certains auteurs de l’infraction, ou l’aurait fait pour une période moindre.
741 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
742 Ainsi qu’il a été relevé au point 424 ci-dessus, la circonstance qu’une entreprise qui se trouvait dans une situation semblable à celle de la partie requérante n’ait fait l’objet d’aucune constatation d’infraction de la part de la Commission ne saurait permettre d’écarter l’infraction retenue à l’encontre de ladite partie requérante, dès lors que celle-ci a été correctement établie, et alors même que le juge de l’Union n’est pas saisi de la situation de cette autre entreprise. Il en est de même lorsque l’entreprise concernée s’appuie sur la circonstance que l’entreprise qui se trouve prétendument dans une situation semblable n’aurait pas été sanctionnée pour une partie de sa participation à l’infraction [voir, en ce sens, arrêt du 9 mars 2017, Samsung SDI et Samsung SDI (Malaysia)/Commission, C‑615/15 P, non publié, EU:C:2017:190, point 38].
743 Or, dans le cadre de la présente branche, en se référant de nouveau aux appréciations de la Commission relatives à l’échange de courriels des 13 et 14 décembre 1999, les requérantes font précisément grief à la Commission d’avoir agi de manière arbitraire en ayant omis de retenir la responsabilité de certains auteurs de l’infraction unique et continue, ou en l’ayant retenue pour une période moindre. La présente branche doit donc être rejetée.
744 En tout état de cause, en ce qui concerne la circonstance que la Commission aurait omis de retenir la responsabilité de certains auteurs de l’infraction unique et continue, il convient de rappeler que, comme il ressort du point 463 ci-dessus, la possibilité d’établir la participation d’une entreprise à une infraction dépend de l’ensemble des éléments de preuve à son égard, comme le souligne à juste titre la Commission. Aussi, il ressort du point 464 ci-dessus que c’est à bon droit que la Commission a indiqué qu’elle « n’accord[ait] pas forcément la même valeur à chaque considérant […] ni à chaque élément de preuve individuel qu’il contient » et que « [l]es considérants auxquels il [était] fait référence [faisaient] plutôt partie de l’ensemble global de preuves sur lequel [elle] se fond[ait] et d[evai]ent être appréciés dans ce contexte ». Il s’en déduit que le fait qu’une entreprise non incriminée ou incriminée dans une moindre mesure soit mentionnée dans certains documents opposés à des entreprises condamnées par la Commission ne suffit pas à considérer que la première soit dans une situation semblable aux secondes, s’agissant de leur responsabilité pour l’infraction considérée.
745 Il s’ensuit que la Commission a pu, sans aucunement entacher d’arbitraire la décision attaquée, considérer qu’une appréciation d’ensemble des contacts litigieux retenus contre les requérantes suffisait pour les incriminer, tout en considérant qu’un faisceau d’indices suffisamment convaincant faisait défaut pour incriminer des transporteurs non incriminés qui avaient participé à certains de ces contacts.
746 De même, pour ce qui est des différences entre les dates auxquelles la Commission a fixé le début de la participation à l’infraction des requérantes et celui des deux autres transporteurs incriminés impliqués dans l’échange de courriels des 13 et 14 décembre 1999, il y a lieu de rappeler que la détermination de la date à laquelle une entreprise a commencé à participer à l’infraction peut dépendre d’un ensemble d’éléments de preuve établis concomitamment, antérieurement ou postérieurement à la date concernée (voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2015, FSL e.a./Commission, T‑655/11, EU:T:2015:383, point 178).
747 La Commission a donc pu, là encore sans aucunement entacher d’arbitraire la décision attaquée, considérer qu’un ensemble d’éléments de preuve établis concomitamment suffisait pour incriminer SAS Consortium à compter du 13 décembre 1999, tout en considérant qu’un tel ensemble faisait défaut pour incriminer à compter de la même date les deux autres transporteurs incriminés qui avaient aussi participé à l’échange de courriels des 13 et 14 décembre 1999.
748 En conséquence, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir retenu des dates de début de participation à l’infraction unique et continue distinctes pour les requérantes, d’une part, et les deux autres transporteurs incriminés, d’autre part, alors que tous ces transporteurs seraient impliqués dans l’échange de courriels des 13 et 14 décembre 1999.
749 Au surplus, comme le relève à juste titre la Commission sans être contestée sur ce point, les dates de début de participation à l’infraction unique et continue correspondent, pour chacun des trois transporteurs incriminés, aux dates des premiers courriels incriminants qu’ils ont envoyés (voir considérants 135 et 161 de la décision attaquée), les requérantes étant, en ce qui les concerne, à l’origine du courriel du 13 décembre 1999. Il s’ensuit qu’il existe une justification objective aux différentes dates de début de participation à l’infraction unique et continue qui ont été retenues en l’espèce par la Commission. Tout comportement arbitraire de la Commission à cet égard doit, par conséquent, être exclu.
750 Il s’ensuit que le grief tiré d’une violation du droit de propriété, qui tout entier reposait sur le caractère prétendument arbitraire et incohérent des poursuites dans la présente affaire, ne peut qu’être écarté.
751 Au regard de ce qui précède, la présente branche doit être rejetée.
c) Sur la troisième branche, prise d’une violation de l’obligation de motivation
752 Les requérantes font valoir, en substance, que la Commission ne motive pas à suffisance sa décision, d’une part, de ne pas retenir la responsabilité de certains transporteurs impliqués dans l’infraction unique et continue et, d’autre part, de retenir une date de début de participation à l’infraction unique et continue différente pour les autres transporteurs incriminés qui auraient été impliqués dans les échanges de courriels des 13 et 14 décembre 1999.
753 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
754 À cet égard, d’une part, s’agissant de la décision de la Commission de ne pas retenir la responsabilité de certains transporteurs impliqués dans l’infraction, il y a lieu de rappeler que la Commission n’a aucune obligation d’exposer, dans la décision attaquée, les raisons pour lesquelles d’autres transporteurs n’ont pas été tenus pour responsables de l’infraction unique et continue. En effet, l’obligation de motivation d’un acte ne saurait englober une obligation pour l’institution qui en est l’auteur de motiver le fait de ne pas avoir adopté d’autres actes similaires adressés à des parties tierces (arrêt du 8 juillet 2004, JFE Engineering/Commission, T‑67/00, T‑68/00, T‑71/00 et T‑78/00, EU:T:2004:221, point 414).
755 Or, en l’espèce, les requérantes se prévalent précisément de l’omission de la Commission d’expliquer pourquoi des entreprises qui se seraient trouvées dans une situation semblable à la sienne n’ont pas été tenues pour responsables de l’infraction unique et continue.
756 Il s’ensuit que le présent argument ne saurait prospérer.
757 D’autre part, s’agissant de la violation de l’obligation de motivation du fait du traitement prétendument incohérent de l’échange de courriels des 13 et 14 décembre 1999, il y a lieu de relever que, au considérant 1169 de la décision attaquée, la Commission a fixé la date de début de participation des requérantes à l’infraction au 13 décembre 1999. Au même considérant, elle a fixé la date de début de participation des deux autres transporteurs incriminés impliqués dans l’échange de courriels des 13 et 14 décembre 1999, respectivement, au 21 septembre 2000 et au 14 décembre 1999.
758 Comme il est indiqué au point 749 ci-dessus, il ressort de la décision attaquée que ces dates correspondent, pour chacun des trois transporteurs incriminés impliqués dans l’échange de courriels des 13 et 14 décembre 1999, aux dates des premiers courriels incriminants qu’ils ont envoyés. Au considérant 1148 de la décision attaquée, la Commission a identifié ces courriels. En ce qui concerne les requérantes, il s’agit des courriels visés aux considérants 135 et 790 à 792 de la décision attaquée. En ce qui concerne les deux autres transporteurs incriminés impliqués dans les échanges de courriels des 13 et 14 décembre 1999, il s’agit des courriels visés, respectivement, aux considérants 161 et 717 à 720 de la décision attaquée et aux considérants 135 et 773 à 777 de la décision attaquée.
759 Il y a lieu par conséquent de rejeter comme n’étant pas fondée l’allégation selon laquelle la Commission aurait insuffisamment motivé son choix de retenir une date de début de participation à l’infraction différente pour les trois transporteurs incriminés qui auraient été impliqués dans les échanges de courriels des 13 et 14 décembre 1999.
760 Il résulte de ce qui précède que la présente branche et, partant, le quatrième moyen dans son ensemble doivent être rejetés.
5. Sur le cinquième moyen, tiré d’erreurs dans la détermination du montant de l’amende infligée aux requérantes
761 Les requérantes soulèvent le cinquième moyen à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le Tribunal conclurait que la Commission était en droit de leur infliger une amende. Les requérantes articulent en substance ce moyen en cinq branches, prises, la première, d’erreurs dans la détermination de la valeur des ventes, la deuxième, d’erreurs dans la détermination de la gravité de l’infraction unique et continue, la troisième, d’erreurs dans la détermination de la durée de l’infraction unique et continue, la quatrième, d’erreurs dans l’application du paragraphe 28 des lignes directrices de 2006 concernant la récidive et, la cinquième, d’erreurs dans l’appréciation des circonstances atténuantes.
a) Sur la première branche, prise d’erreurs dans la détermination de la valeur des ventes
762 Les requérantes font valoir que la Commission a violé le paragraphe 13 des lignes directrices de 2006 en incluant, dans la valeur des ventes, certaines de leurs ventes qui ne présentaient pas de relation – directe ou indirecte – avec l’infraction unique et continue. Il s’agirait, premièrement, des ventes réalisées sur les liaisons EEE sauf Union-Suisse, deuxièmement, des ventes réalisées « en dehors de l’EEE », troisièmement, des ventes réalisées sur des liaisons sans relation avec la « poignée de liaisons » sur lesquelles les requérantes auraient participé à des incidents locaux et isolés et, quatrièmement, des montants liés aux composantes du prix des services de fret autres que la STC et la STS.
763 Le paragraphe 13 des lignes directrices de 2006 est libellé comme suit :
« En vue de déterminer le montant de base de l’amende à infliger, la Commission utilisera la valeur des ventes de biens ou services, réalisées par l’entreprise, en relation directe ou indirecte avec l’infraction, dans le secteur géographique concerné à l’intérieur du territoire de l’EEE. La Commission utilisera normalement les ventes de l’entreprise durant la dernière année complète de sa participation à l’infraction. »
764 Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, ce paragraphe a pour objectif de retenir comme point de départ pour le calcul de l’amende infligée à une entreprise un montant qui reflète l’importance économique de l’infraction et le poids relatif de cette entreprise dans celle-ci (arrêts du 12 novembre 2014, Guardian Industries et Guardian Europe/Commission, C‑580/12 P, EU:C:2014:2363, point 57, et du 28 juin 2016, Portugal Telecom/Commission, T‑208/13, EU:T:2016:368, point 237).
765 Ainsi, si la notion de valeur des ventes au sens dudit paragraphe ne saurait, certes, s’étendre jusqu’à englober les ventes réalisées par l’entreprise en cause qui ne relèvent pas du champ d’application de l’entente reprochée, il serait toutefois porté atteinte à l’objectif poursuivi par cette disposition si cette notion devait être entendue comme ne visant que le chiffre d’affaires réalisé avec les seules ventes pour lesquelles il est établi qu’elles ont réellement été affectées par cette entente [arrêts du 11 juillet 2013, Team Relocations e.a./Commission, C‑444/11 P, non publié, EU:C:2013:464, point 76, et du 1er février 2018, Panalpina World Transport (Holding) e.a./Commission, C‑271/16 P, non publié, EU:C:2018:59, point 30].
766 Une telle limitation aurait au demeurant pour effet de minimiser artificiellement l’importance économique de l’infraction commise par une entreprise donnée, dès lors que le seul fait qu’un nombre limité de preuves directes des ventes réellement affectées par l’entente ait été trouvé conduirait à infliger au final une amende sans relation réelle avec le champ d’application de l’entente en cause. Une telle prime au secret porterait également atteinte à l’objectif de poursuite et de sanction efficace des infractions à l’article 101 TFUE et, partant, ne saurait être admise (arrêt du 11 juillet 2013, Team Relocations e.a./Commission, C‑444/11 P, non publié, EU:C:2013:464, point 77).
767 C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’analyser les quatre erreurs dont les requérantes soutiennent qu’elles entachent la détermination de la valeur des ventes dans la décision attaquée.
1) Sur l’inclusion dans la valeur des ventes du chiffre d’affaires provenant de la vente de services de fret sur les liaisons EEE sauf Union-Suisse
768 Les requérantes reprochent à la Commission d’avoir inclus dans la valeur des ventes les ventes de services de fret sur les liaisons EEE sauf Union-Suisse, sur lesquelles la Commission n’aurait pas été compétente pour constater et sanctionner une infraction aux règles de concurrence.
769 La Commission répond que l’argumentation des requérantes se fonde sur une interprétation erronée de la décision attaquée, selon laquelle une infraction à l’article 53 de l’accord EEE aurait été constatée sur les liaisons EEE sauf Union-Suisse. La Commission fait aussi valoir que l’argumentation des requérantes est purement abstraite, au motif qu’elles ne précisent pas si elles desservent ces liaisons ni n’indiquent, le cas échéant, quelle part de leur chiffre d’affaires elles en tirent.
770 Dans la réplique, la Commission ajoute que les ventes des requérantes sur les liaisons EEE sauf Union-Suisse sont d’un si faible niveau que leur exclusion de la valeur des ventes n’aurait aucune incidence sur le montant de l’amende.
771 Il ressort des points 763 à 766 ci-dessus que la valeur des ventes ne saurait englober des ventes qui ne relèvent pas, directement ou indirectement, du périmètre de l’infraction en cause.
772 À cet égard, il a été constaté au point 251 ci-dessus que la Commission n’a pas tenu les requérantes pour responsables d’une infraction à l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons EEE sauf Union-Suisse à l’article 1er, point 3, de la décision attaquée. Ces liaisons ne relevaient pas du périmètre de l’infraction unique et continue. Elles n’étaient pas en relation avec l’infraction unique et continue, au sens du paragraphe 13 des lignes directrices de 2006, et ne pouvaient, en conséquence, être incluses dans la valeur des ventes.
773 Or, en réponse aux questions écrites et orales du Tribunal, la Commission a admis qu’elle avait inclus dans la valeur des ventes un montant de 262 084 euros au titre de ventes de services de fret que les requérantes avaient réalisées en 2005 sur les liaisons EEE sauf Union-Suisse.
774 Il s’ensuit que, comme la Commission en est convenue lors de l’audience, la détermination de la valeur des ventes dans la décision attaquée est entachée d’erreur en tant qu’elle inclut ces ventes.
2) Sur l’inclusion dans la valeur des ventes du chiffre d’affaires provenant des ventes « réalisées en dehors de l’EEE » et sur la réduction générale de 50 %
775 Les requérantes font grief à la Commission d’avoir inclus dans la valeur des ventes le chiffre d’affaires provenant des ventes réalisées en dehors de l’EEE, et qui n’auraient donc pas été réalisées, en relation directe ou indirecte avec l’infraction, dans le secteur géographique concerné à l’intérieur du territoire de l’EEE, au sens du paragraphe 13 des lignes directrices de 2006. Il n’aurait pas été suffisant d’accorder aux transporteurs incriminés la réduction générale de 50 % pour refléter le fait que les services entrants et sortants étaient partiellement fournis à l’extérieur de l’EEE et qu’une partie du préjudice que l’entente a causé en tant qu’elle se rapportait à ces liaisons s’est matérialisée à l’extérieur de l’EEE.
776 La démarche de la Commission manquerait de précision, serait empreinte d’arbitraire et entachée d’une insuffisance de motivation. La Commission serait ainsi restée en défaut d’identifier clairement la part des services entrants et sortants ou du préjudice allégué qui se serait réalisée à l’extérieur de l’EEE. La décision attaquée ne comporterait aucune analyse du lieu où ce préjudice s’est matérialisé ni du lieu où les services en cause ont été fournis. En particulier, la Commission n’aurait pas pu considérer que le chiffre d’affaires provenant des ventes de services entrants était équivalent à celui provenant de ventes de services sortants, puisqu’elle savait que les recettes que les requérantes généraient sur les liaisons entrantes étaient très supérieures à celles qu’elles généraient sur les liaisons sortantes.
777 La décision attaquée ne comporterait pas non plus d’analyse visant à établir si l’approche suivie, qui s’écarterait du paragraphe 13 des lignes directrices de 2006, pouvait déboucher sur un traitement égal de tous les transporteurs.
778 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
779 À titre liminaire, il convient d’observer que les requérantes n’identifient pas avec précision les ventes qui ont, selon elles, été « réalisées en dehors de l’EEE ». Il y a, cependant, lieu d’observer que, dans le cadre du deuxième moyen, les requérantes ont soutenu que les ventes de services de fret étaient « traitées localement » et que les « contacts entre les transitaires et les transporteurs se produis[ai]ent au point d’origine » des liaisons, les transporteurs ne pouvant satisfaire aux exigences des transitaires que s’ils pouvaient transporter des produits à partir de cet endroit.
780 Or, il y a lieu de constater le point d’origine des services de fret sortants se situe, par définition, à l’intérieur du territoire de l’EEE. À l’inverse, le point d’origine des services de fret entrants se trouve, par définition, à l’extérieur du territoire de l’EEE. Il y a donc lieu de comprendre la référence des requérantes aux ventes « réalisées en dehors de l’EEE » comme visant les ventes de services de fret entrants.
781 Ce point étant clarifié, il convient de rappeler que le paragraphe 13 des lignes directrices de 2006 subordonne l’inclusion dans la valeur des ventes du chiffre d’affaires provenant des biens ou des services de l’entreprise concernée à la condition que les ventes en cause aient été « réalisées […] en relation directe ou indirecte avec l’infraction, dans le secteur géographique concerné à l’intérieur du territoire de l’EEE ».
782 Le paragraphe 13 des lignes directrices de 2006 ne fait ainsi état ni de « ventes négociées » ni de « ventes facturées » à l’intérieur de l’EEE, mais se réfère uniquement aux « ventes réalisées » dans l’EEE. Il s’ensuit que ledit paragraphe ne s’oppose pas à ce que la Commission retienne les ventes effectuées auprès de clients établis à l’extérieur de l’EEE, pas plus qu’il n’impose de tenir compte des ventes négociées ou facturées dans l’EEE. Autrement, il suffirait à une entreprise participant à une infraction de faire en sorte qu’elle négocie ses ventes avec les filiales de ses clients situées à l’extérieur de l’EEE ou les leur facture pour obtenir que ces ventes ne soient pas prises en considération pour le calcul du montant d’une éventuelle amende, laquelle serait, dès lors, beaucoup moins significative [voir, en ce sens, arrêt du 9 mars 2017, Samsung SDI et Samsung SDI (Malaysia)/Commission, C‑615/15 P, non publié, EU:C:2017:190, point 55].
783 Quant à l’interprétation de la notion de « ventes réalisées […] à l’intérieur du territoire de l’EEE » que les requérantes entendent tirer de la décision de la Commission dans l’affaire COMP/39.406 – Tuyaux marins, il suffit de rappeler que la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne sert pas en elle-même de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence, étant donné que celui-ci est uniquement défini dans le règlement no 1/2003 et dans les lignes directrices de 2006 (voir arrêt du 9 septembre 2011, Alliance One International/Commission, T‑25/06, EU:T:2011:442, point 242 et jurisprudence citée), et qu’il n’est, en tout état de cause, pas démontré que les données circonstancielles relatives à l’affaire ayant donné lieu à cette décision, telles que les marchés, les produits, les pays, les entreprises et les périodes concernés, étaient comparables à celles de l’espèce (voir, en ce sens, arrêt du 29 juin 2012, E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, T‑360/09, EU:T:2012:332, point 262 et jurisprudence citée).
784 Ladite notion doit s’interpréter à la lumière de l’objectif du paragraphe 13 des lignes directrices de 2006. Cet objectif est, comme il ressort des points 764 à 766 ci-dessus, de retenir comme point de départ pour le calcul des amendes un montant qui reflète notamment l’importance économique de l’infraction sur le marché concerné, le chiffre d’affaires réalisé sur les produits ou les services faisant l’objet de l’infraction constituant un élément objectif qui donne une juste mesure de sa nocivité pour le jeu normal de la concurrence (voir arrêt du 28 juin 2016, Portugal Telecom/Commission, T‑208/13, EU:T:2016:368, point 236 et jurisprudence citée).
785 Il appartient ainsi à la Commission, aux fins de déterminer si des ventes ont été « réalisées […] à l’intérieur du territoire de l’EEE », au sens du paragraphe 13 des lignes directrices de 2006, d’opter pour un critère qui soit le reflet de la réalité du marché, c’est-à-dire qui soit le plus à même de cerner les conséquences de l’entente sur la concurrence dans l’EEE.
786 Aux considérants 1186 et 1197 de la décision attaquée, la Commission a indiqué avoir tenu compte, pour calculer la valeur des ventes, du chiffre d’affaires provenant de la vente de services de fret sur les liaisons intra-EEE, les liaisons Union-pays tiers, les liaisons Union-Suisse et les liaisons EEE sauf Union-pays tiers. Ainsi qu’il ressort du considérant 1194 de cette décision, les ventes liées aux liaisons Union-pays tiers et EEE sauf Union-pays tiers comprenaient à la fois les ventes de services de fret sur les liaisons sortantes et celles de services de fret entrants.
787 Au même considérant, pour justifier l’inclusion du chiffre d’affaires provenant de la vente de ces services dans la valeur des ventes, la Commission a renvoyé à la nécessité de tenir compte de leurs « particularités ». Elle a ainsi notamment observé que l’infraction unique et continue se rapportait à ces services et que les « arrangements anticoncurrentiels [étaie]nt susceptibles d’avoir un impact négatif sur le marché intérieur en ce qui [les] concern[ait] ».
788 Or, comme il ressort des points 156 à 237 ci-dessus et contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il était prévisible que l’infraction unique et continue, y compris en tant qu’elle portait sur les liaisons entrantes, aurait des effets substantiels et immédiats dans le marché intérieur ou au sein de l’EEE et était ainsi susceptible de nuire au jeu normal de la concurrence à l’intérieur du territoire de l’EEE. Aux considérants 1194 et 1241 de la décision attaquée, la Commission a néanmoins reconnu qu’une partie du « préjudice » afférent au comportement litigieux sur les liaisons EEE-pays tiers était susceptible de se matérialiser à l’extérieur de l’EEE. Elle a également souligné qu’une partie de ces services était prestée à l’extérieur de l’EEE. Elle s’est, en conséquence, appuyée sur le paragraphe 37 des lignes directrices de 2006 et a pour les liaisons EEE-pays tiers, accordé aux transporteurs incriminés une réduction de 50 % du montant de base de l’amende.
789 Dans ces conditions, considérer que la Commission ne pouvait inclure dans la valeur des ventes 50 % du chiffre d’affaires réalisé sur ces liaisons reviendrait à lui interdire de prendre en compte, aux fins du calcul du montant de l’amende, les ventes qui relèvent du périmètre de l’infraction unique et continue et qui étaient susceptibles de nuire au jeu de la concurrence dans l’EEE.
790 Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, cette réduction n’est pas entachée d’illégalité. Ainsi qu’il ressort du considérant 1241 et de la note en bas de page no 1536 de la décision attaquée, la Commission a appliqué ladite réduction au titre du paragraphe 37 des lignes directrices, lequel l’habilite à s’écarter de la méthodologie générale exposée dans les mêmes lignes directrices lorsque les particularités d’une affaire donnée ou la nécessité d’atteindre un niveau dissuasif dans une affaire particulière le justifient.
791 À cet égard, s’agissant d’une décision infligeant une amende, la Commission est tenue de fournir une motivation, notamment quant au montant de l’amende infligée et quant à la méthode choisie à cet égard. Il lui appartient d’indiquer, dans sa décision, les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction, sans être tenue d’y faire figurer un exposé plus détaillé ou les éléments chiffrés relatifs au mode de calcul de l’amende. Elle doit néanmoins expliquer la pondération et l’évaluation qu’elle a faites des éléments pris en considération (voir arrêt du 10 novembre 2017, Icap e.a./Commission, T‑180/15, EU:T:2017:795, point 291 et jurisprudence citée).
792 Lorsque la Commission décide, comme en l’espèce, de faire application du paragraphe 37 des lignes directrices de 2006 et de s’écarter ainsi de la méthodologie générale exposée dans lesdites lignes directrices, par lesquelles elle s’est autolimitée dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation quant à la fixation du montant des amendes, l’exigence de motivation s’impose avec d’autant plus de vigueur. Cette motivation doit être d’autant plus précise que ledit paragraphe se limite à une référence vague aux « particularités d’une affaire donnée » et laisse donc une large marge d’appréciation à la Commission pour procéder à une adaptation exceptionnelle des montants de base des amendes des entreprises concernées. En effet, dans un tel cas, le respect par la Commission des garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives, dont l’obligation de motivation, revêt une importance d’autant plus fondamentale (arrêt du 13 décembre 2016, Printeos e.a./Commission, T‑95/15, EU:T:2016:722, point 48).
793 En l’espèce, il convient de constater que la Commission s’est tenue à la méthodologie générale des lignes directrices de 2006 pour la quasi-totalité des étapes du calcul de l’amende et ne s’en est écartée au titre de leur paragraphe 37 que pour appliquer la réduction générale de 50 % au montant de base. Les raisons pour lesquelles la Commission a décidé de s’écarter ainsi de la méthodologie générale des lignes directrices de 2006, qu’elle avait suivie lors des précédentes étapes du calcul du montant de base de l’amende, figurent aux considérants 1194 et 1241 de la décision attaquée. Ainsi qu’il a déjà été indiqué au point 788 ci-dessus, ces considérants indiquent qu’une partie des services en cause était prestée à l’extérieur de l’EEE et qu’une partie du « préjudice » afférent au comportement litigieux sur les liaisons EEE-pays tiers était susceptible de se matérialiser à l’extérieur de l’EEE.
794 Or, en précisant que ces circonstances justifiaient une réduction de 50 % du montant de base pour les liaisons tant entrantes que sortantes, la Commission a exposé à suffisance les motifs qui sous-tendent la réduction générale de 50 % et a ainsi permis aux requérantes de comprendre le bien-fondé de la méthodologie employée et au Tribunal de le vérifier.
795 Pour ce qui est du bien-fondé de la réduction générale de 50 %, il convient d’observer que la Commission ne saurait encourir le reproche d’arbitraire. La Commission a, en effet, fondé son approche sur deux critères objectifs (voir point 793 ci-dessus), dont les requérantes sont d’ailleurs restées en défaut de contester la validité, à savoir, d’une part, les lieux de prestation physique des services de fret sur les liaisons EEE-pays tiers et, d’autre part, les lieux de matérialisation du préjudice résultant de l’infraction unique et continue en tant qu’elle concernait ces liaisons.
796 Pour ce qui est du défaut allégué d’analyse précise de ces lieux, il y a lieu de considérer que la Commission pouvait procéder à une adaptation exceptionnelle du montant de base en considérant que les deux critères retenus justifiaient une réduction telle que celle octroyée.
797 L’argument des requérantes selon lequel elles ont réalisé un chiffre d’affaires plus important sur les liaisons entrantes que sur les liaisons sortantes est dépourvu de pertinence à cet égard. En effet, d’une part, cet argument, qui se rapporte exclusivement à la situation individuelle des requérantes, n’est pas de nature à démontrer le caractère erroné des deux critères retenus aux considérants 1194 et 1241 de la décision attaquée, lesquels se rapportent plus généralement aux services de fret entrants et sortants et au préjudice causé par l’infraction unique et continue en lien avec ces derniers. D’autre part et en tout état de cause, ledit argument suppose que la réduction générale de 50 % procède de la prémisse que le chiffre d’affaires pertinent se répartissait également entre liaisons entrantes et liaisons sortantes, ce qui ne ressort pas de la décision attaquée.
798 Pour autant que les requérantes fassent valoir que la Commission aurait néanmoins dû ajuster le pourcentage de cette réduction en fonction de la répartition du chiffre d’affaires de chacun des transporteurs incriminés, il convient de rappeler qu’il ne saurait, lors de la détermination du montant de l’amende, être opéré par l’application de méthodes de calcul différentes une discrimination entre les entreprises qui ont participé à un accord ou à une pratique concertée contraire à l’article 101, paragraphe 1, TFUE (voir, par analogie, arrêt du 19 juillet 2012, Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a, C‑628/10 P et C‑14/11 P, EU:C:2012:479, point 58 et jurisprudence citée).
799 Appliquer une méthode de calcul différenciée aux transporteurs incriminés selon la répartition de leur chiffre d’affaires entre liaisons entrantes et liaisons sortantes reviendrait au demeurant à avantager certains d’entre eux sur la base d’un critère qui est sans pertinence au regard de la gravité et de la durée de l’infraction (voir, par analogie, arrêt du 7 septembre 2016, Pilkington Group e.a./Commission, C‑101/15 P, EU:C:2016:631, point 66 et jurisprudence citée).
800 Par ailleurs, pour autant que les requérantes se prévalent d’une inégalité de traitement par rapport aux transporteurs incriminés qui auraient réalisé un chiffre d’affaires plus important sur les liaisons sortantes que sur les liaisons entrantes, il y a lieu de rappeler que le principe d’égalité de traitement, qui constitue un principe général du droit de l’Union, consacré par l’article 20 de la Charte, exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt du 12 novembre 2014, Guardian Industries et Guardian Europe/Commission, C‑580/12 P, EU:C:2014:2363, point 51 et jurisprudence citée).
801 Les requérantes ayant invoqué la violation du principe d’égalité de traitement, c’est à elles qu’il incombe d’identifier avec précision les situations comparables dont elles estiment qu’elles ont été traitées de manière différente ou les situations différentes dont elles estiment qu’elles ont été traitées de manière identique [voir, en ce sens, arrêt du 12 avril 2013, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission, T‑31/07, non publié, EU:T:2013:167, point 311].
802 Or, en l’espèce, les requérantes sont restées en défaut d’identifier de telles situations.
803 Il s’ensuit que la Commission pouvait utiliser 50 % du chiffre d’affaires réalisé sur les liaisons EEE-pays tiers, en tant qu’élément objectif donnant une juste mesure de la nocivité de la participation des requérantes à l’entente litigieuse sur le jeu normal de la concurrence, pourvu qu’il fût le résultat des ventes présentant un lien avec l’EEE (voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2014, InnoLux/Commission, T‑91/11, EU:T:2014:92, point 47).
804 Or, un tel lien existe en l’espèce s’agissant des liaisons entrantes, dès lors que, comme il ressort des considérants 1194 et 1241 de la décision attaquée et comme le soutient la Commission dans ses écritures, les services de fret entrants sont en partie fournis à l’intérieur de l’EEE. En effet, comme il a été indiqué au point 198 ci-dessus, lesdits services visent précisément à permettre l’acheminement de marchandises de pays tiers vers l’EEE. Ainsi que le relève à juste titre la Commission, une partie de leur prestation « physique » s’effectue par définition dans l’EEE, où a lieu une partie du transport de ces marchandises et où atterrit l’avion-cargo.
805 Dans ces conditions, la Commission était fondée à considérer que les ventes de services de fret entrants avaient été réalisées au sein de l’EEE au sens du paragraphe 13 des lignes directrices de 2006.
806 Il y a donc lieu de rejeter le présent grief et de conclure que c’est sans commettre d’erreur que la Commission a inclus dans la valeur des ventes 50 % du chiffre d’affaires provenant de la vente de services de fret entrants.
3) Sur l’inclusion dans la valeur des ventes du prix total des services de fret plutôt que des seules surtaxes
807 Les requérantes soutiennent que la Commission a violé le paragraphe 13 des lignes directrices de 2006 en incluant dans la valeur des ventes des éléments du prix des services de fret dont elle n’a pas démontré qu’ils présentaient une relation quelconque avec l’infraction unique et continue. Il s’agit, en particulier, des tarifs et des surtaxes autres que la STC et la STS.
808 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
809 Il y a lieu de rappeler que la notion de valeur des ventes, au sens du paragraphe 13 des lignes directrices de 2006, reflète le prix hors taxes facturé au client pour le bien ou service qui a fait l’objet de l’infraction en cause (voir, en ce sens, arrêts du 6 mai 2009, KME Germany e.a./Commission, T‑127/04, EU:T:2009:142, point 91, et du 18 juin 2013, ICF/Commission, T‑406/08, EU:T:2013:322, point 176 et jurisprudence citée). Eu égard à l’objectif poursuivi par ledit paragraphe, repris au paragraphe 6 des mêmes lignes directrices, qui consiste à retenir comme point de départ pour le calcul du montant de l’amende infligée à une entreprise un montant qui reflète l’importance économique de l’infraction et le poids relatif de cette entreprise dans celle-ci (voir point 764 ci-dessus), la notion de valeur des ventes doit ainsi être comprise comme visant les ventes réalisées sur le marché concerné par l’infraction (voir arrêt du 1er février 2018, Kühne + Nagel International e.a./Commission, C‑261/16 P, non publié, EU:C:2018:56, point 65 et jurisprudence citée).
810 La Commission peut donc utiliser pour déterminer la valeur des ventes le prix total que l’entreprise a facturé à ses clients sur le marché de biens ou de services concerné, sans qu’il soit nécessaire de distinguer ou de déduire les différents éléments de ce prix selon qu’ils ont ou non fait l’objet d’une coordination (voir, en ce sens, arrêt du 1er février 2018, Kühne + Nagel International e.a./Commission, C‑261/16 P, non publié, EU:C:2018:56, points 66 et 67).
811 Or, comme le relève en substance la Commission, la STC et la STS ne sont pas des biens ou des services distincts pouvant faire l’objet d’une infraction aux articles 101 ou 102 TFUE. Au contraire, ainsi qu’il ressort des considérants 17, 108 et 1187 de la décision attaquée, la STC et la STS ne sont que deux éléments du prix des services en cause.
812 Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, le paragraphe 13 des lignes directrices de 2006 ne s’opposait pas à ce que la Commission tienne compte de l’entier montant des ventes liées aux services en cause, sans le diviser en ses éléments constitutifs.
813 Au surplus, il convient d’observer que l’approche préconisée par les requérantes revient à considérer que les éléments du prix qui n’ont pas spécifiquement fait l’objet d’une coordination entre les transporteurs incriminés doivent être exclus de la valeur des ventes.
814 À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il n’existe aucune raison valable d’exclure de la valeur des ventes les intrants dont le coût échappe au contrôle des parties à l’infraction alléguée (voir, en ce sens, arrêt du 6 mai 2009, KME Germany e.a./Commission, T‑127/04, EU:T:2009:142, point 91). Contrairement à ce que soutient la requérante, il en va de même des éléments de prix qui, tels les tarifs, n’ont pas spécifiquement fait l’objet d’une coordination, mais font partie intégrante du prix de vente du produit ou service en cause (voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, EU:T:2000:77, point 5030).
815 En juger autrement aurait pour conséquence d’imposer à la Commission de ne pas prendre en compte le chiffre d’affaires brut dans certains cas, mais de le prendre en considération dans d’autres cas, en fonction d’un seuil qui serait difficile à appliquer et ouvrirait la porte à des litiges sans fin et insolubles, y compris à des allégations de discrimination (arrêt du 8 décembre 2011, KME Germany e.a./Commission, C‑272/09 P, EU:C:2011:810, point 53).
816 C’est donc sans violer le paragraphe 13 des lignes directrices de 2006 que la Commission a conclu, au considérant 1190 de la décision attaquée, qu’il convenait de tenir compte de l’entier montant des ventes liées aux services en cause, sans qu’il soit besoin de le diviser en ses éléments constitutifs.
817 Le présent grief doit donc être rejeté.
4) Sur l’inclusion dans la valeur des ventes de ventes réalisées sur des liaisons sans relation avec les incidents locaux et isolés auxquels les requérantes auraient participé sur une « poignée de liaisons »
818 Les requérantes font grief à la Commission d’avoir utilisé la valeur des ventes « en relation avec de vastes zones géographiques », alors même que les comportements qui leur étaient reprochés étaient pour la plupart des incidents locaux et isolés qui concernaient tout au plus une « poignée de liaisons ».
819 Il serait d’autant plus juste d’exclure des ventes non couvertes par l’infraction unique et continue que, d’une part, seul un petit nombre de ventes aurait été affecté par le comportement litigieux, dans la mesure où les requérantes auraient eu pour politique générale d’appliquer les mêmes surtaxes que Lufthansa en vertu de l’alliance faisant l’objet de l’exemption de 1996, et, d’autre part, l’illégalité d’un certain nombre d’éléments de l’infraction unique et continue ne serait pas démontrée. Tel serait notamment le cas des liaisons EEE-pays tiers pour lesquelles la Commission n’aurait pas évalué les régimes réglementaires des pays tiers.
820 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
821 Il convient de rappeler que, comme il ressort de l’ensemble de ce qui précède, la Commission était fondée à imputer aux requérantes la responsabilité pour l’infraction unique et continue sur les liaisons intra-EEE, Union-pays tiers, Union-Suisse et EEE sauf Union-pays tiers. Il s’ensuit que l’infraction unique et continue couvre l’ensemble de ces liaisons, et non la seule « poignée de liaisons » sur lesquelles les requérantes prétendent avoir été impliquées dans le cadre d’incidents locaux et isolés.
822 La Commission pouvait donc, sans violer le paragraphe 13 des lignes directrices de 2006, inclure dans la valeur des ventes les ventes réalisées sur l’ensemble des liaisons intra-EEE, EEE-pays tiers, Union-Suisse et EEE sauf Union-pays tiers.
823 Au regard de ce qui précède, il y a lieu d’accueillir le grief tiré de l’inclusion dans la valeur des ventes du chiffre d’affaires provenant de la vente de services de fret sur les liaisons EEE sauf Union-Suisse et de rejeter la présente branche pour le surplus.
b) Sur la deuxième branche, prise d’erreurs dans la détermination de la gravité de l’infraction unique et continue
824 Les requérantes font valoir que la Commission a violé l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 et les paragraphes 19 et 20 des lignes directrices de 2006 en retenant un coefficient de gravité excessif de 16 %. En effet, selon les requérantes, la Commission n’a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes du cas d’espèce en déterminant la gravité de l’infraction unique et continue. En particulier, la Commission aurait omis de tenir compte de la responsabilité individuelle des requérantes.
825 L’argumentation des requérantes se décompose, en substance, en cinq griefs.
826 En premier lieu, la Commission aurait à tort omis de tenir compte du fait que l’infraction unique et continue ne couvrait pas le prix entier des services en question et que la coordination de deux éléments (mineurs) du prix total, sans effet démontré sur ce dernier, était manifestement moins grave que la coordination de la totalité du prix, avec des effets prouvés sur le marché.
827 En deuxième lieu, le coefficient de gravité de 16 % appliqué par la Commission représenterait entre 45 et 320 % de la valeur des surtaxes concernées et dépasserait ainsi le seuil maximal de 30 % visé au paragraphe 21 des lignes directrices de 2006. Les surtaxes auraient, en effet, ensemble représenté annuellement entre 5 et 35 % de la valeur totale des ventes concernées entre février 2000 et février 2006.
828 En troisième lieu, au considérant 1199 de la décision attaquée, la Commission aurait supposé, sans aucune justification, que l’infraction unique et continue avait fonctionné « au détriment [des] clients et en finalité du grand public ».
829 En quatrième lieu, l’application d’un coefficient unique à tous les destinataires de la décision attaquée serait contraire aux principes d’individualisation des peines et de proportionnalité. La réduction de 10 % accordée aux requérantes au titre des circonstances atténuantes au considérant 1259 de la décision attaquée ne refléterait pas pleinement la différence entre la situation des requérantes et celle des autres transporteurs incriminés.
830 En cinquième lieu, les comportements des requérantes auraient eu lieu en dehors du groupe restreint et se limiteraient en général à une coordination conforme aux ASA dans des pays tiers et à une coopération dans le cadre d’alliances. Ces comportements n’auraient pas été secrets, auraient pour la plupart été rendus publics dans des journaux ou sur Internet et soumis aux autorités de concurrence ou approuvés par ces dernières.
831 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
832 Selon l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, pour déterminer le montant de l’amende, il convient notamment de prendre en considération la gravité de l’infraction.
833 Les paragraphes 19 à 23 des lignes directrices de 2006 prévoient ce qui suit :
« 19. Le montant de base de l’amende sera lié à une proportion de la valeur des ventes, déterminée en fonction du degré de gravité de l’infraction, multipliée par le nombre d’années d’infraction.
20. L’appréciation de la gravité sera faite au cas par cas pour chaque type d’infraction, tenant compte de toutes les circonstances pertinentes de l’espèce.
21. En règle générale, la proportion de la valeur des ventes prise en compte sera fixée à un niveau pouvant aller jusqu’à 30 %.
22. Afin de décider si la proportion de la valeur des ventes à prendre en considération dans un cas donné devrait être au bas ou au haut de cette échelle, la Commission tiendra compte d’un certain nombre de facteurs, tels que la nature de l’infraction, la part de marché cumulée de toutes les parties concernées, l’étendue géographique de l’infraction, et la mise en œuvre ou non de l’infraction.
23. Les accords horizontaux de fixation de prix, de répartition de marché et de limitation de production, qui sont généralement secrets, comptent, par leur nature même, parmi les restrictions de concurrence les plus graves. Au titre de la politique de la concurrence, ils doivent être sévèrement sanctionnés. Par conséquent, la proportion des ventes prise en compte pour de telles infractions sera généralement retenue en haut de l’échelle. »
834 Selon la jurisprudence, un accord horizontal par lequel les entreprises concernées s’entendent non sur le prix total, mais sur un élément de celui-ci, constitue un accord horizontal de fixation de prix, au sens du paragraphe 23 des lignes directrices de 2006, et compte, dès lors, parmi les restrictions de concurrence les plus graves (voir, en ce sens, arrêt du 29 février 2016, UTi Worldwide e.a./Commission, T‑264/12, non publié, EU:T:2016:112, points 277 et 278).
835 Il s’ensuit que, comme l’a rappelé la Commission au considérant 1208 de la décision attaquée, un tel accord mérite généralement un coefficient de gravité situé en haut de l’échelle de 0 à 30 % visée au paragraphe 21 des lignes directrices de 2006.
836 Selon la jurisprudence, un coefficient de gravité sensiblement plus faible que la limite supérieure de cette échelle est très favorable à une entreprise qui est partie à un tel accord (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2013, Team Relocations e.a./Commission, C‑444/11 P, non publié, EU:C:2013:464, point 125) et peut même se justifier au regard de la seule nature de l’infraction (voir arrêt du 26 septembre 2018, Philips et Philips France/Commission, C‑98/17 P, non publié, EU:C:2018:774, point 103 et jurisprudence citée).
837 Or, au considérant 1199 de la décision attaquée, la Commission a précisément estimé que les « accords et/ou pratiques concertées auxquels la […] décision [attaquée] se rapporte concern[ai]ent la fixation de divers éléments de prix ».
838 C’est donc à juste titre que la Commission a, aux considérants 1199, 1200 et 1208 de la décision attaquée, qualifié le comportement litigieux d’accord ou de pratique horizontale en matière de prix, quand bien même il n’aurait « pas couvert le prix entier pour les services en question ».
839 La Commission était dès lors fondée à conclure, au considérant 1208 de la décision attaquée, que les accords et pratiques litigieux comptaient parmi les restrictions à la concurrence les plus graves et méritaient donc un coefficient de gravité « en haut de l’échelle ».
840 Le coefficient de gravité de 16 % que la Commission a retenu au considérant 1212 de la décision attaquée, sensiblement plus faible que la limite supérieure de l’échelle visée au paragraphe 21 des lignes directrices de 2006, pourrait donc se justifier au regard de la seule nature de l’infraction unique et continue.
841 Il y a, cependant, lieu d’observer que, comme il ressort des considérants 1209 à 1212 de la décision attaquée, la Commission ne s’est pas fondée sur la seule nature de l’infraction unique et continue pour fixer à 16 % le coefficient de gravité. La Commission s’est ainsi référée dans cette décision aux parts de marché cumulées des transporteurs incriminés au niveau mondial et sur les liaisons intra-EEE et EEE-pays tiers (considérant 1209), à la portée géographique de l’entente litigieuse (considérant 1210) et à la mise en œuvre des accords et pratiques litigieux (considérant 1211).
842 Toutefois, les requérantes ne contestent pas, dans le cadre de la présente branche, le bien-fondé de ces facteurs aux fins de la fixation du coefficient de gravité.
843 Dans ces conditions, les requérantes ne sauraient soutenir qu’un coefficient de gravité de 16 % fût illégal.
844 Aucun des arguments des requérantes ne saurait remettre en cause cette conclusion.
845 En premier lieu, pour autant que les requérantes soutiennent que la Commission aurait dû tenir compte du caractère prétendument public de leurs agissements, il convient d’observer que leur argumentation manque tant en droit qu’en fait. En droit, il convient de rappeler que le caractère secret d’une entente est, certes, une circonstance susceptible d’en accentuer la gravité. Toutefois, le paragraphe 23 des lignes directrices de 2006 ne subordonne pas la qualification d’une infraction de restriction de concurrence comptant parmi les plus graves à son caractère secret. Ce paragraphe se limite à indiquer que les accords horizontaux de fixation de prix, qui comptent, par leur nature même, parmi les restrictions de concurrence les plus graves, « sont généralement secrets ». Il s’ensuit que le caractère secret d’une infraction n’est pas une condition indispensable pour la qualifier de grave au sens du paragraphe 23 des lignes directrices de 2006 et la sanctionner en conséquence (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, T‑259/02 à T‑264/02 et T‑271/02, EU:T:2006:396, point 252).
846 Dès lors, à supposer même qu’il soit avéré, le caractère secret des agissements des requérantes n’est pas de nature à remettre en cause la légalité du coefficient de gravité retenu au considérant 1212 de la décision attaquée.
847 En fait, il y a lieu d’observer, à l’instar de la Commission, que les requérantes ne se sont pas contentées de participer à des agissements publics. Au contraire, elles ont participé à des agissements secrets, dont plusieurs témoignent même d’une volonté active de dissimulation. Ainsi, au considérant 144 de la décision attaquée, la Commission fait référence à un échange de courriels internes de janvier 2000 dans lequel un employé des requérantes a indiqué à ses collègues de « ne pas faire référence à d’autres transporteurs [dans une réponse à une lettre de l’association des transitaires finlandaise], car cela p[ouvai]t créer un problème avec les autorités de surveillance antitrust » (voir également point 400 ci-dessus).
848 En second lieu, dans la mesure où les requérantes se prévalent de l’absence d’effets démontrés de l’infraction unique et continue et de ce que la Commission aurait omis de prouver qu’elle avait fonctionné « au détriment [des] clients et en finalité du grand public », il y a lieu de rappeler que les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3) prévoyaient que l’évaluation du caractère de gravité de l’infraction devait prendre en considération, notamment, son impact concret sur le marché lorsqu’il était mesurable.
849 Toutefois, cette exigence ne figure plus dans les lignes directrices de 2006, qui sont applicables en l’espèce. Ces lignes directrices n’imposent donc pas à la Commission de prendre en considération l’impact concret sur le marché de l’infraction afin de déterminer la proportion de la valeur des ventes retenue au titre de la gravité conformément aux paragraphes 19 à 24 desdites lignes directrices (voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2015, FSL e.a./Commission, T‑655/11, EU:T:2015:383, point 539).
850 La jurisprudence ne le lui impose pas davantage, à tout le moins s’agissant d’une restriction de concurrence « par objet ».
851 En effet, la gravité d’une infraction aux règles de concurrence doit être établie en fonction d’un grand nombre d’éléments. Parmi ceux-ci figurent, notamment, les circonstances particulières de l’affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu’ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance du 25 mars 1996, SPO e.a./Commission, C‑137/95 P, EU:C:1996:130, point 54, et arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, point 241).
852 Les effets sur le marché peuvent, certes, être pris en considération parmi ces éléments, mais ils ne revêtent une importance essentielle qu’en présence d’accords, de décisions ou de pratiques concertées qui n’ont pas directement pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, et qui ne sont donc susceptibles de tomber dans le champ d’application de l’article 101 TFUE que par suite de leurs effets concrets (arrêt du 12 décembre 2018, Servier e.a./Commission, T‑691/14, sous pourvoi, EU:T:2018:922, point 1809).
853 Autrement, la Commission se verrait, au stade du calcul du montant de l’amende, imposer une obligation à laquelle, selon une jurisprudence constante, elle n’est pas tenue aux fins de l’application de l’article 101 TFUE dès lors que l’infraction en cause a un objet anticoncurrentiel (voir arrêt du 3 septembre 2009, Prym et Prym Consumer/Commission, C‑534/07 P, EU:C:2009:505, point 64 et jurisprudence citée).
854 Or, au considérant 903 de la décision attaquée, la Commission a qualifié le comportement litigieux de restriction de concurrence « par objet ». Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, elle n’était donc pas tenue de prendre en considération l’impact concret de l’infraction unique et continue sur le marché.
855 Il n’en demeure pas moins que, si la Commission estime opportun, aux fins du calcul du montant de l’amende, de tenir compte de l’impact concret de l’infraction sur le marché, elle ne peut se limiter à s’appuyer sur une simple présomption, mais doit apporter des indices concrets, crédibles et suffisants permettant d’apprécier l’influence effective que l’infraction a pu avoir au regard de la concurrence sur ledit marché (arrêt du 3 septembre 2009, Prym et Prym Consumer/Commission, C‑534/07 P, EU:C:2009:505, point 82).
856 De même, si la Commission n’est pas tenue, en vue de fixer les amendes, d’établir que l’infraction en cause a procuré un avantage illicite aux entreprises concernées, ni de prendre en considération, le cas échéant, l’absence d’un tel avantage, l’appréciation du profit illicite engendré par l’infraction peut être pertinente si la Commission se fonde précisément sur ce dernier en vue de fixer le coefficient de gravité (voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, EU:T:2000:77, points 4881 et 4882).
857 Au considérant 1199 de la décision attaquée, au titre de la fixation du coefficient de gravité, la Commission a retenu que les accords et pratiques litigieux avaient « profité aux [transporteurs incriminés], au détriment [des] clients et en finalité du grand public ». Or, elle n’a pas invoqué le moindre élément de preuve à l’appui de ce constat.
858 Il convient, cependant, d’observer que le constat en cause n’est pas un motif autonome sur lequel la Commission s’est appuyée pour apprécier la gravité de l’infraction unique et continue, mais une considération parmi d’autres dont elle a tenu compte aux fins de l’appréciation de la nature de cette infraction aux considérants 1199 à 1208 de la décision attaquée. Or, cette considération ne constitue pas le fondement nécessaire de la conclusion selon laquelle ladite infraction tendait à la fixation d’éléments du prix des services de fret et était, dès lors, de nature à justifier un coefficient de gravité situé à la limite inférieure du « haut de l’échelle » visé au paragraphe 23 des lignes directrices de 2006 pour les restrictions de concurrence les plus graves. Dès lors, le présent argument n’est pas de nature à remettre en cause l’appréciation de la nature de l’infraction en question figurant dans la décision attaquée. Par conséquent, les requérantes n’ayant pas démontré que le coefficient de gravité n’était pas justifié au regard des autres facteurs pris en compte dans la décision attaquée (voir points 841 et 842 ci-dessus), il y a lieu de rejeter le présent argument.
859 En troisième lieu, pour ce qui est du grief selon lequel le coefficient de gravité retenu représenterait entre 45 et 320 % de la valeur des surtaxes concernées et excéderait ainsi le seuil maximal de 30 % de la valeur des ventes prévu au paragraphe 21 des lignes directrices de 2006, il suffit d’observer que les requérantes se fondent sur la prémisse erronée selon laquelle la Commission aurait dû tenir compte du seul montant des surtaxes plutôt que du prix entier des services en cause aux fins de fixer la valeur des ventes (voir points 809 à 816 ci-dessus).
860 En quatrième lieu, pour ce qui est des griefs déduits d’une violation des principes d’individualisation des peines et de proportionnalité et de l’omission prétendue de la Commission de tenir compte des particularités de la participation des requérantes à l’infraction unique et continue, il convient de rappeler que figurent, parmi les éléments de nature à entrer dans l’appréciation de la gravité des infractions, le comportement de chacune des entreprises, le rôle joué par chacune d’elles dans l’établissement de l’entente, le profit qu’elles ont pu tirer de celle-ci, leur taille et la valeur des marchandises concernées ainsi que le risque que des infractions de ce type représentent pour les objectifs de l’Union (voir arrêt du 26 janvier 2017, Roca Sanitario/Commission, C‑636/13 P, EU:C:2017:56, point 49 et jurisprudence citée).
861 Il convient, cependant, de rappeler que la prise en compte d’éventuelles différences entre le comportement des diverses entreprises ayant participé à une même infraction ne doit pas nécessairement intervenir lors de la fixation des coefficients de gravité, mais peut intervenir à un autre stade du calcul de l’amende, tel que lors de l’ajustement du montant de base en fonction de circonstances atténuantes et aggravantes, au titre des paragraphes 28 et 29 des lignes directrices de 2006 (voir, en ce sens, arrêt du 26 janvier 2017, Roca/Commission, C‑638/13 P, EU:C:2017:53, point 67 et jurisprudence citée).
862 Or, dans le cadre de la détermination du coefficient de gravité, au considérant 1208 de la décision attaquée, la Commission a indiqué qu’elle apprécierait le « fait que certains transporteurs aient pu jouer un rôle mineur […] comme une éventuelle circonstance atténuante ». C’est ainsi qu’elle a estimé, aux considérants 1258 et 1259 de ladite décision, que la participation des requérantes à l’infraction unique et continue avait revêtu un caractère limité et leur a, en conséquence, accordé une réduction du montant de base de l’amende de 10 % au titre des circonstances atténuantes.
863 Il s’ensuit que la Commission n’a pas commis d’erreur en ne tenant pas compte de la participation limitée des requérantes à l’infraction unique et continue aussi au stade de la fixation du coefficient de gravité. Quant à la question de savoir si la réduction du montant de l’amende de 10 % dont les requérantes ont bénéficié au titre de leur participation limitée à l’infraction unique et continue dans le cadre de l’appréciation des circonstances atténuantes était suffisante, elle se recoupe avec la cinquième branche du présent moyen et sera examinée dans le cadre de celle-ci.
864 La présente branche ne peut donc qu’être rejetée.
c) Sur la troisième branche, prise d’erreurs dans la détermination de la durée de l’infraction unique et continue
865 Les requérantes reprochent à la Commission d’avoir commis une erreur dans la détermination de la durée de l’infraction.
866 L’argumentation que les requérantes invoquent au soutien de la présente branche se confond avec celle qu’elles invoquent à l’appui du troisième moyen. Or, comme il ressort des points 353 à 358 ci-dessus, cette argumentation n’est pas fondée.
867 La présente branche ne peut donc qu’être rejetée.
d) Sur la quatrième branche, prise d’erreurs dans la majoration du montant de base pour cause de récidive
868 Les requérantes font valoir que la Commission a commis une erreur en augmentant de 50 % le montant de base de l’amende infligée à SAS Consortium et à SAS Cargo, pour tenir compte du fait que SAS Consortium avait été destinataire de la décision 2001/716/CE de la Commission, du 18 juillet 2001, relative à une procédure d’application de l’article [101 TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP.D.2 37.444 – SAS/Maersk Air et affaire COMP.D.2 37.386 – Sun-Air contre SAS et Maersk Air) (JO 2001, L 265, p. 15).
869 Selon les requérantes, la décision 2001/716, d’une part, concerne une infraction qui n’est ni identique ni similaire à celle décrite dans la décision attaquée et, d’autre part, ne saurait justifier une augmentation du montant de l’amende s’agissant des comportements antérieurs au 18 juillet 2001, date d’adoption de la décision 2001/716.
870 Par ailleurs, les requérantes font valoir qu’elles ont reçu en 2002 des assurances de la part de l’autorité de concurrence danoise selon lesquelles les autorités de l’Union ne seraient pas en mesure d’intervenir à l’encontre des tarifs de transport de fret approuvés ou coordonnés par des autorités publiques et applicables aux liaisons Union-pays tiers. Les requérantes soutiennent également que la Commission, par sa pratique décisionnelle, encourageait la création d’alliances entre transporteurs incluant une coordination des prix.
871 Ainsi qu’il résulte du paragraphe 28 des lignes directrices de 2006 et de la jurisprudence de la Cour, la circonstance aggravante de récidive est caractérisée par la poursuite ou la répétition par une entreprise d’une infraction identique ou similaire après que la Commission ou une autorité nationale de concurrence a constaté que cette entreprise avait enfreint les dispositions de l’article 101 ou 102 TFUE (voir arrêt du 5 mars 2015, Commission e.a./Versalis e.a., C‑93/13 P et C‑123/13 P, EU:C:2015:150, point 87 et jurisprudence citée).
872 Selon la jurisprudence, des infractions sont similaires, ou de même type, aux fins d’établir un constat de récidive, dès lors qu’elles consistent toutes deux en une violation des mêmes dispositions du traité FUE (voir, en ce sens, arrêts du 12 décembre 2007, BASF et UCB/Commission, T‑101/05 et T‑111/05, EU:T:2007:380, point 64 ; du 6 mai 2009, Outokumpu et Luvata/Commission, T‑122/04, EU:T:2009:141, point 56, et du 30 septembre 2009, Hoechst/Commission, T‑161/05, EU:T:2009:366, point 147).
873 La prise en compte de la récidive par la Commission répond à l’impératif de réprimer les manquements répétés aux règles de concurrence par une même entreprise (arrêt du 17 juin 2010, Lafarge/Commission, C‑413/08 P, EU:C:2010:346, point 61) et vise à inciter les entreprises qui ont manifesté une propension à s’affranchir des règles de concurrence à modifier leur comportement (arrêt du 8 février 2007, Groupe Danone/Commission, C‑3/06 P, EU:C:2007:88, point 39).
874 Le constat et l’appréciation des caractéristiques spécifiques d’une récidive relèvent du pouvoir d’appréciation de la Commission en ce qui concerne le choix des éléments à prendre en considération aux fins de la détermination du montant des amendes (arrêt du 8 février 2007, Groupe Danone/Commission, C‑3/06 P, EU:C:2007:88, point 38). Dans l’exercice de ce pouvoir, la Commission peut, dans chaque cas, prendre en considération les indices tendant à confirmer une propension de l’entreprise en cause à s’affranchir des règles de concurrence, dont, par exemple, le temps qui s’est écoulé entre les infractions en cause (arrêt du 8 février 2007, Groupe Danone/Commission, C‑3/06 P, EU:C:2007:88, point 39). Selon la jurisprudence, la Commission ne méconnaît pas les limites de ce pouvoir en retenant la circonstance aggravante de récidive dans un cas où la seconde infraction, qui a débuté avant que la première infraction ne fût constatée, n’a pas eu lieu en majeure partie avant ce constat (voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 2008, BPB/Commission, T‑53/03, EU:T:2008:254, points 394 à 396).
875 C’est au regard des considérations et des principes ainsi rappelés qu’il convient d’examiner la présente branche.
876 En premier lieu, s’agissant de la prétendue absence de similitude entre l’infraction unique et continue et l’entente de partage de marchés sanctionnée par la décision 2001/716, il y a lieu de relever que ces infractions concernent toutes deux une entente horizontale dont la Commission a considéré qu’elle violait l’article 101 TFUE. Ces infractions doivent, en conséquence, être considérées comme étant similaires aux fins d’établir l’existence d’une récidive.
877 Cette conclusion n’est pas remise en cause par la décision 2005/503/CE de la Commission, du 29 septembre 2004, relative à une procédure d’application de l’article [101 TFUE] (affaire COMP/C.37.750/B2 – Brasseries Kronenbourg – Brasseries Heineken) (JO 2005, L 184, p. 57), invoquée par les requérantes, dans laquelle la Commission aurait considéré qu’un accord de prix antérieur n’était pas du même type que l’accord d’armistice en cause dans ladite décision. En effet, il est de jurisprudence constante que la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne sert pas en elle-même de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence, étant donné que celui-ci est uniquement défini dans le règlement no 1/2003 et dans les lignes directrices de 2006 et qu’il n’est, en tout état de cause, pas démontré que les données circonstancielles à l’affaire ayant donné lieu à cette décision étaient comparables à celles de l’espèce.
878 En deuxième lieu, s’agissant de l’omission de la Commission de distinguer et d’exclure, dans l’application de la majoration de 50 % du montant de base pour cause de récidive, la période de l’infraction unique et continue ayant précédé l’adoption de la décision 2001/716, tout d’abord, il y a lieu d’observer que, conformément à la jurisprudence rappelée au point 871 ci-dessus, la circonstance aggravante de récidive recouvre l’hypothèse où la seconde infraction est poursuivie après le premier constat d’infraction, ce qui suppose qu’elle ait débuté avant celui-ci. Il en est ainsi, en l’espèce, de la participation de SAS Consortium et de SAS Cargo à l’infraction unique et continue à compter, respectivement, du 13 décembre 1999 et du 1er juin 2001, c’est-à-dire antérieurement au 18 juillet 2001, date d’adoption de la décision 2001/716.
879 Ensuite, au considérant 1244 de la décision attaquée, la Commission était fondée, dans l’appréciation des caractéristiques de la récidive, à tenir compte du fait que les requérantes avaient en l’espèce poursuivi une infraction similaire pendant presque cinq années après l’adoption de la décision 2001/716. D’une part, cette circonstance atteste de ce que la majeure partie de l’infraction unique et continue a eu lieu après, et non avant, le premier constat d’infraction, distinguant ce faisant les faits de l’espèce de ceux en cause dans l’arrêt du 11 mars 1999, Thyssen Stahl/Commission (T‑141/94, EU:T:1999:48), invoqué par les requérantes. D’autre part, elle témoigne de la propension des requérantes à ne pas tirer les conséquences appropriées d’un constat à leur égard d’une infraction aux règles de concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 2008, Lafarge/Commission, T‑54/03, non publié, EU:T:2008:255, point 727).
880 Enfin, il y a lieu de noter que le paragraphe 28 des lignes directrices de 2006 ne distingue pas, quant à la méthode de majoration pour récidive, selon que la récidive est constituée par la répétition ou par la poursuite d’une infraction et précise seulement que « le montant de base sera augmenté jusqu’à 100 % par infraction constatée ». En appliquant un coefficient de majoration pour récidive au montant de base pris dans son ensemble, la Commission s’est donc conformée aux règles de conduite indicatives qu’elle s’est imposées et dont elle ne saurait, en principe, se départir (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C‑439/11 P, EU:C:2013:513, point 60). En revanche, si le paragraphe 28 des lignes directrices de 2006 ne prévoit pas de possibilité d’ajuster l’assiette de la majoration pour récidive pour tenir compte, le cas échéant, de la part relative de la période infractionnelle qui est antérieure au premier constat d’infraction, il ne s’oppose pas à ce que le taux de majoration reflète, quant à lui, une telle prise en compte.
881 Compte tenu des circonstances de l’espèce, telles que rappelées en particulier au point 879 ci-dessus, du régime de la récidive en cas de poursuite d’une infraction similaire (voir points 878 et 880 ci-dessus) et de l’impératif de dissuasion qui sous-tend l’application de la circonstance aggravante de récidive (voir point 873 ci-dessus), il convient de considérer que c’est sans commettre d’erreur que la Commission a appliqué une majoration de 50 % au montant de base de l’amende infligée à SAS Cargo et à SAS Consortium.
882 Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’invocation, par les requérantes, d’une violation du principe de la présomption d’innocence, au soutien de laquelle elles n’avancent aucun argument.
883 En troisième lieu, les requérantes invoquent les assurances reçues de l’autorité de concurrence danoise. Cet argument a déjà été examiné et écarté dans le cadre du troisième moyen (point 682 ci-dessus).
884 Quant à la pratique décisionnelle de la Commission relative aux alliances entre transporteurs incluant une coordination des prix, il convient de rappeler que les comportements imputés aux requérantes ne s’inscrivaient pas exclusivement dans le cadre de la poursuite des objectifs légitimes des différentes alliances auxquelles elles appartenaient. Quant aux comportements qui s’inscrivaient dans la poursuite de tels objectifs, sous réserve de celui décrit au considérant 517 de la décision attaquée, ils n’ont pas été imputés aux requérantes (voir point 332 ci-dessus).
885 Il s’ensuit que la présente branche doit être rejetée.
e) Sur la cinquième branche, prise d’erreurs dans la prise en compte des circonstances atténuantes
886 Les requérantes soutiennent, en substance, que la Commission a violé le paragraphe 29 des lignes directrices de 2006 en omettant de tenir compte de tous les éléments pertinents dans son appréciation des circonstances atténuantes et en leur octroyant une réduction du montant de l’amende insuffisante au titre des circonstances atténuantes dont elle a tenu compte. Les requérantes rappellent que leur participation à l’infraction était limitée, que la coordination des surtaxes était, dans de nombreux cas, imposée par les régimes réglementaires des pays tiers, que les alliances entre les transporteurs étaient une pratique encouragée par la Commission et que la décision de l’autorité de concurrence danoise de 2002 a créé une confiance légitime selon laquelle le respect par les requérantes des ASA dans des pays tiers ne relevait pas du champ d’application des règles de concurrence de l’Union.
887 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
888 À cet égard, il convient de rappeler que le paragraphe 27 des lignes directrices de 2006 prévoit que, dans la détermination du montant de l’amende, la Commission peut prendre en compte des circonstances qui mènent à une augmentation ou à une réduction du montant de base, sur le fondement d’une appréciation globale tenant compte de l’ensemble des circonstances pertinentes.
889 Le paragraphe 29 des lignes directrices de 2006 dispose que le montant de base de l’amende peut être réduit lorsque la Commission constate l’existence de circonstances atténuantes. Ce paragraphe énonce, à titre indicatif et non limitatif, cinq types de circonstances atténuantes susceptibles d’être prises en considération, dont le caractère substantiellement réduit de la participation de l’entreprise concernée à l’infraction et l’autorisation ou l’encouragement du comportement anticoncurrentiel en cause par les autorités publiques ou la réglementation.
890 D’une part, au considérant 1263 de la décision attaquée, la Commission a constaté qu’aucun régime réglementaire n’avait obligé les transporteurs incriminés à se concerter sur leurs tarifs. Toutefois, elle a estimé, aux considérants 1264 et 1265 de ladite décision, que certains régimes réglementaires avaient pu inciter les transporteurs incriminés à adopter un comportement anticoncurrentiel et leur a, en conséquence, accordé la réduction générale de 15 %, conformément au paragraphe 29 des lignes directrices de 2006.
891 Il y a lieu d’observer que l’argumentation que les requérantes dirigent contre cette appréciation coïncide avec celle qu’elles ont développée au soutien de la sixième branche du troisième moyen (voir points 505 à 507 ci-dessus). Les requérantes soutiennent, en effet, que la réduction générale de 15 % aurait dû être plus importante, au motif que « les lois et les pratiques administratives » des pays en question « faisaient plus que simplement “encourager” la coordination des surtaxes : dans de nombreux cas, celle-ci était imposée ».
892 À cet égard, en premier lieu, il convient d’observer que les réglementations pertinentes ont soit encouragé le comportement litigieux sur les liaisons EEE-pays tiers, auquel cas une réduction du montant de l’amende peut se justifier au titre du paragraphe 29 des lignes directrices de 2006 (voir points 888 et 889 ci-dessus), soit l’ont exigé, auquel cas aucune infraction aux règles de concurrence n’aurait pu être constatée, ni aucune sanction infligée au titre dudit comportement (voir, en ce sens, arrêt du 11 novembre 1997, Commission et France/Ladbroke Racing, C‑359/95 P et C‑379/95 P, EU:C:1997:531, point 33 et jurisprudence citée).
893 Or, dans la mesure où les requérantes soutiennent, en substance, que de nombreux régimes réglementaires exigeaient une coordination, leur argumentation doit être rejetée comme inopérante dans la mesure où, à la supposer fondée, elle entacherait d’erreur le constat d’infraction, et non l’application du paragraphe 29 des lignes directrices de 2006, dont il est question dans le cadre de la présente branche.
894 En second lieu et en tout état de cause, il convient de relever que l’argumentation des requérantes procède d’une analyse erronée des régimes réglementaires en cause. Comme il a été retenu aux points 509 à 563 ci-dessus, sauf pour ce qui est de la coordination de la STC en Thaïlande entre le 20 juillet 2005 et le 14 février 2006, les requérantes sont restées en défaut d’établir que leurs agissements dans les pays tiers résultaient d’une contrainte étatique. Pour ce qui est de ladite coordination, les requérantes ont établi l’existence d’une contrainte étatique. Cette coordination ne relève donc pas de l’infraction unique et continue et ne saurait, en conséquence, valoir aux requérantes une sanction. Par conséquent, elle ne saurait être prise en compte au titre de la circonstance atténuante tenant à l’incidence de la réglementation des pays tiers sur leur comportement.
895 Quant à la référence des requérantes à la décision C(2008) 5955 final de la Commission, du 15 octobre 2008, relative à une procédure d’application de l’article [101 TFUE] (affaire COMP/39 188 – Bananes), il suffit de rappeler que le seul fait que la Commission a accordé, dans sa pratique décisionnelle antérieure, un certain taux de réduction pour un comportement déterminé n’implique pas qu’elle est tenue d’accorder la même réduction lors de l’appréciation d’un comportement similaire dans le cadre d’une procédure administrative ultérieure (voir arrêt du 6 mai 2009, KME Germany e.a./Commission, T‑127/04, EU:T:2009:142, point 140 et jurisprudence citée). Les requérantes ne sauraient, par conséquent, se prévaloir de la réduction du montant d’amendes accordée dans cette autre affaire.
896 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la Commission n’a pas commis d’erreur en fixant la réduction générale de 15 %.
897 D’autre part, aux considérants 1258, 1259, 1268, 1271, 1274, 1278 et 1279 de la décision attaquée, la Commission a rejeté les arguments des requérantes tirés du rôle prétendument passif qu’elles auraient joué dans l’infraction unique et continue, de la confiance légitime qu’elles auraient tirée d’une décision de l’autorité de concurrence danoise de 2002 et du caractère limité des effets et de la mise en œuvre de l’infraction unique et continue. En revanche, au considérant 1258 de la décision attaquée, la Commission a accordé une réduction de 10 % du montant de base de l’amende à la requérante, à Air Canada et à Lan Cargo au titre de leur participation substantiellement réduite à ladite infraction.
898 Les requérantes font valoir que ces appréciations sont entachées de trois erreurs, que le Tribunal examinera successivement.
899 Premièrement, s’agissant de la prétendue insuffisance de la réduction de 10 % du montant de base de l’amende accordée aux requérantes au titre de leur participation limitée à l’infraction unique et continue, il convient de rappeler que, au considérant 1258 de la décision attaquée, la Commission a, aux fins de l’appréciation du caractère limité de la participation à l’infraction unique et continue des requérantes, de Lan Airlines et d’Air Canada, tenu compte du fait que celles-ci « n’avaient pas participé à tous les éléments de l[adite] infraction ».
900 Le degré de participation à l’infraction unique et continue des requérantes, de Lan Airlines et d’Air Canada est décrit aux considérants 882 et 883 de la décision attaquée. Dans ces considérants, la Commission a retenu que les requérantes, Lan Airlines et Air Canada n’avaient participé directement qu’à une ou deux des trois composantes de l’infraction unique et continue, mais qu’elles pouvaient également être tenues pour responsables de celles auxquelles elles n’avaient pas directement participé, au motif qu’elles en avaient connaissance ou pouvaient raisonnablement les prévoir et étaient prêtes à en accepter le risque.
901 Or, aux points 698 à 712 ci-dessus, il a été jugé que c’était à tort que la Commission avait imputé aux requérantes la responsabilité de la composante de l’infraction unique et continue tenant au refus de paiement de commissions. La Commission a, en conséquence, surestimé le degré de leur participation à l’infraction unique et continue et, partant, entaché d’illégalité la décision attaquée en ne leur accordant pas une réduction du montant de base de l’amende supérieure à 10 % au titre de leur participation limitée à l’infraction unique et continue.
902 Deuxièmement, s’agissant de l’argument relatif à la pratique décisionnelle tendant à exempter les alliances entre transporteurs, il a déjà été examiné et écarté dans le cadre de la troisième branche du présent moyen (voir points 367 et 368 ci-dessus).
903 Troisièmement, quant au grief tiré de la confiance légitime que les requérantes auraient tirée d’une décision de l’autorité de concurrence danoise de 2002, il a déjà été examiné et écarté au point 682 ci-dessus.
904 Il y a donc lieu de rejeter la présente branche, sous réserve de l’erreur constatée au point 901 quant à la réduction de 10 % accordée aux requérantes au titre de leur participation limitée à l’infraction unique et continue.
905 Il résulte de ce qui précède que le présent moyen doit être rejeté, sous réserve de l’erreur constatée au point 901 ci-dessus ainsi que de l’erreur constatée au point 774 quant à l’inclusion dans la valeur des ventes des recettes tirées des services de fret que les requérantes avaient réalisées sur les liaisons EEE sauf Union-Suisse.
906 Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’accueillir la sixième branche du troisième moyen en tant qu’elle porte sur les liaisons en provenance de la Thaïlande et à destination de l’EEE entre le 20 juillet 2005 et le 14 février 2006 s’agissant de la composante de l’infraction unique et continue tenant à la STC, la neuvième branche du troisième moyen en tant qu’elle porte sur le refus de paiement de commissions, la première branche du cinquième moyen en tant qu’elle porte sur l’inclusion dans la valeur des ventes du chiffre d’affaires afférant aux liaisons EEE sauf Union-Suisse et la cinquième branche du cinquième moyen en tant que la Commission n’a pas accordé une réduction du montant de base de l’amende supérieure à 10 % au titre de la participation limitée des requérantes à l’infraction unique et continue.
907 Il convient en conséquence d’annuler l’article 1er, paragraphe 1, sous o), p) et q), paragraphe 2, sous o) et p), paragraphe 3, sous o) et p), et paragraphe 4, sous o), p) et q), de la décision attaquée en tant qu’il retient la participation des requérantes à la composante de l’infraction unique et continue tenant au refus de paiement de commissions. Il convient également d’annuler l’article 1er, paragraphe 2, sous o) et p), et paragraphe 3, sous o) et p), de la décision attaquée en tant qu’il retient une violation de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons en provenance de la Thaïlande et à destination de l’EEE entre le 20 juillet 2005 et le 14 février 2006 s’agissant de la composante tenant à la STC.
908 Il ne saurait cependant être considéré que ces illégalités sont de nature à emporter l’annulation de la décision attaquée dans son intégralité. En effet, bien que la Commission ait commis une erreur d’appréciation en imputant à SAS et à SAS Cargo l’infraction unique et continue dans sa composante tenant au refus de paiement de commissions ainsi que sur les liaisons en provenance de la Thaïlande et à destination de l’EEE s’agissant de la composante tenant à la STC entre le 20 juillet 2005 et le 14 février 2006, il y a lieu de constater qu’il n’a pas été démontré, dans le cadre du présent recours, que la Commission avait commis une erreur en constatant que les requérantes avaient participé à ladite infraction.
909 Il convient enfin d’annuler l’article 3, sous n) à r), de la décision attaquée, au motif qu’il prend en compte, aux fins du calcul de l’amende, d’une part, une réduction de 10 % accordée aux requérantes au titre de leur participation limitée à l’infraction unique et continue et, d’autre part, au titre de la valeur des ventes, des recettes tirées des services de fret que les requérantes avaient réalisées sur les liaisons EEE sauf Union-Suisse.
910 Les conclusions en annulation doivent être rejetées pour le surplus.
B. Sur les conclusions tendant à la modification du montant de l’amende infligée aux requérantes
911 Les requérantes demandent, en substance, au Tribunal d’exercer sa compétence de pleine juridiction afin de réduire sensiblement le montant de l’amende qui leur a été infligée.
912 À titre liminaire, il ressort de la requête que les requérantes entendent, en substance, invoquer à l’appui des présentes conclusions l’ensemble des arguments soulevés à l’appui du cinquième moyen de leurs conclusions en annulation et demander au Tribunal de tirer les conséquences des erreurs qu’il aurait constatées quant à leur participation à l’infraction unique et continue.
913 Les premier à quatrième arguments concernent la valeur des ventes (première branche du cinquième moyen) :
– par leur premier argument, les requérantes font valoir que les recettes tirées des services de fret qu’elles ont réalisées sur les liaisons EEE sauf Union-Suisse ne sauraient être incluses dans la valeur des ventes ;
– par leur deuxième argument, les requérantes avancent que leur chiffre d’affaires provenant de services de fret entrants ne saurait être inclus dans la valeur des ventes ;
– par leur troisième argument, les requérantes soutiennent qu’il ne devrait être tenu compte que de la valeur des surtaxes et non du prix total des services de fret ;
– par leur quatrième argument, les requérantes font grief à la Commission d’avoir inclus dans la valeur des ventes des recettes réalisées sur des liaisons sans relation avec l’entente litigieuse.
914 Les cinquième à neuvième arguments concernent le coefficient de gravité (deuxième branche du cinquième moyen) :
– par leur cinquième argument, les requérantes avancent qu’il convient de tenir compte de la circonstance que l’entente litigieuse serait moins grave et moins nocive qu’une coordination sur la totalité du prix ;
– par leur sixième argument, les requérantes estiment qu’il convient de tenir compte du fait que le coefficient de gravité de 16 % représente entre 45 et 320 % de la valeur des surtaxes ;
– par leur septième argument, les requérantes font valoir qu’il convient de tenir compte du fait que l’entente litigieuse ne s’est pas faite au détriment du grand public ;
– par leur huitième argument, les requérantes soutiennent qu’un coefficient de gravité unique de 16 % n’individualise pas suffisamment leur situation ;
– par leur neuvième argument, les requérantes estiment qu’il convient de tenir compte du fait que les comportements auxquels elles ont pris part étaient publics et conformes, de manière générale, à la réglementation applicable dans les pays tiers.
915 Par leur dixième argument, les requérantes estiment qu’il convient de tenir compte du fait que leur participation à l’entente n’a pas débuté le 13 décembre 1999 (troisième branche des quatrième et cinquième moyens).
916 Par leur onzième argument, les requérantes font valoir qu’il convient de tenir compte de l’absence de récidive (quatrième branche du cinquième moyen).
917 Les douzième à quinzième arguments que les requérantes invoquent au soutien des présentes conclusions concernent les circonstances atténuantes :
– par leur douzième argument, les requérantes soutiennent qu’il convient de tenir compte de leur participation limitée à l’entente litigieuse ;
– par leur treizième argument, les requérantes font valoir que la coordination des surtaxes était, dans de nombreux cas, imposée par les régimes réglementaires des pays tiers ;
– par leur quatorzième argument, les requérantes font valoir qu’il convient de tenir compte du fait que les alliances entre les transporteurs étaient une pratique encouragée par la Commission ;
– par leur quinzième argument, les requérantes estiment qu’il devrait être tenu compte de ce que la décision de l’autorité de la concurrence danoise de 2002 a créé une confiance légitime selon laquelle le respect par les requérantes des ASA dans des pays tiers ne relevait pas du champ d’application des règles de concurrence de l’Union.
918 La Commission conclut au rejet des conclusions des requérantes et demande que le bénéfice de la réduction générale de 50 % et de celle de 15 % leur soit retiré dans l’hypothèse où le Tribunal jugerait que le chiffre d’affaires provenant de la vente de services de fret entrants ne pouvait pas être inclus dans la valeur des ventes.
919 Dans le droit de la concurrence de l’Union, le contrôle de légalité est complété par la compétence de pleine juridiction qui est reconnue au juge de l’Union par l’article 31 du règlement no 1/2003, conformément à l’article 261 TFUE. Cette compétence habilite le juge de l’Union, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer le montant de l’amende ou l’astreinte infligée (voir arrêt du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C‑386/10 P, EU:C:2011:815, point 63 et jurisprudence citée).
920 Cet exercice suppose, en application de l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, de prendre en considération, pour chaque entreprise sanctionnée, la gravité de l’infraction en cause ainsi que la durée de celle-ci, dans le respect des principes, notamment, de motivation, de proportionnalité, d’individualisation des sanctions et d’égalité de traitement, et sans que le juge de l’Union soit lié par les règles indicatives définies par la Commission dans ses lignes directrices (voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C‑603/13 P, EU:C:2016:38, point 90). Il importe cependant de souligner que l’exercice de la compétence de pleine juridiction prévue à l’article 261 TFUE et à l’article 31 du règlement no 1/2003 n’équivaut pas à un contrôle d’office et que la procédure devant les juridictions de l’Union est contradictoire. À l’exception des moyens d’ordre public que le juge est tenu de soulever d’office, c’est dès lors à la partie requérante qu’il appartient de soulever les moyens à l’encontre de la décision litigieuse et d’apporter des éléments de preuve à l’appui de ces moyens (arrêt du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C‑386/10 P, EU:C:2011:815, point 64).
921 Il appartient ainsi à la partie requérante d’identifier les éléments contestés de la décision attaquée, de formuler des griefs à cet égard et d’apporter des preuves, qui peuvent être constituées d’indices sérieux, tendant à démontrer que ses griefs sont fondés (arrêt du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C‑386/10 P, EU:C:2011:815, point 65).
922 Afin de satisfaire aux exigences d’un contrôle de pleine juridiction au sens de l’article 47 de la Charte en ce qui concerne l’amende, le juge de l’Union est, quant à lui, tenu, dans l’exercice des compétences prévues aux articles 261 et 263 TFUE, d’examiner tout grief, de droit ou de fait, visant à démontrer que le montant de l’amende n’est pas en adéquation avec la gravité et la durée de l’infraction (voir arrêt du 18 décembre 2014, Commission/Parker Hannifin Manufacturing et Parker-Hannifin, C‑434/13 P, EU:C:2014:2456, point 75 et jurisprudence citée ; arrêt du 26 janvier 2017, Villeroy & Boch Austria/Commission, C‑626/13 P, EU:C:2017:54, point 82).
923 Enfin, pour la détermination du montant des amendes, il appartient au juge de l’Union d’apprécier lui-même les circonstances de l’espèce et le type d’infraction en cause (arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C‑603/13 P, EU:C:2016:38, point 89) et de prendre en considération toutes les circonstances de fait (voir, en ce sens, arrêt du 3 septembre 2009, Prym et Prym Consumer/Commission, C‑534/07 P, EU:C:2009:505, point 86), en ce compris, le cas échéant, des éléments d’information complémentaires non mentionnés dans la décision de la Commission infligeant l’amende (voir, en ce sens, arrêts du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, C‑286/98 P, EU:C:2000:630, point 57, et du 12 juillet 2011, Fuji Electric/Commission, T‑132/07, EU:T:2011:344, point 209).
924 En l’espèce, il appartient au Tribunal, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, de déterminer, au regard de l’argumentation avancée par les parties à l’appui des présentes conclusions, le montant de l’amende qu’il estime le plus approprié, eu égard notamment aux constatations effectuées dans le cadre de l’examen des moyens soulevés à l’appui des conclusions en annulation et en tenant compte de l’ensemble des circonstances de fait pertinentes.
925 Le Tribunal estime qu’il n’est pas, afin de déterminer le montant de l’amende à infliger aux requérantes, opportun de s’écarter de la méthode de calcul suivie par la Commission dans la décision attaquée et dont il n’a pas préalablement déterminé qu’elle était entachée d’illégalité, ainsi qu’il ressort de l’examen du cinquième moyen. En effet, s’il appartient au juge, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, d’apprécier lui-même les circonstances de l’espèce et le type d’infraction en cause afin de déterminer le montant de l’amende, l’exercice d’une compétence de pleine juridiction ne saurait entraîner, lors de la détermination du montant des amendes infligées, une discrimination entre les entreprises qui ont participé à un accord ou à une pratique concertée contraire à l’article 101 TFUE, à l’article 53 de l’accord EEE et à l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien. Par suite, les orientations pouvant être dégagées des lignes directrices sont, en règle générale, susceptibles de guider les juridictions de l’Union lorsqu’elles exercent ladite compétence, dès lors que ces lignes directrices ont été appliquées par la Commission aux fins du calcul du montant des amendes infligées aux autres entreprises sanctionnées par la décision dont elles ont à connaître (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 80 et jurisprudence citée).
926 Dans ces conditions, tout d’abord, il y a lieu d’observer, en particulier au vu des précisions apportées par la Commission en réponse aux questions posées par le Tribunal les 12 janvier, 2 mars et 12 avril 2021, que cette dernière a considéré que le total de la valeur des ventes s’élevait à 17 739 806 euros pour SAS Consortium et à 238 196 616 euros pour SAS Cargo et SAS. Ces valeurs incluaient des recettes de 262 084 euros réalisées sur les liaisons EEE sauf Union-Suisse, dont le Tribunal a jugé aux points 768 à 774 ci-dessus qu’elles ne relevaient pas du périmètre de l’infraction unique et continue. Ces recettes doivent donc être exclues des valeurs des ventes, conformément au premier argument des requérantes.
927 Pour la période infractionnelle retenue à l’encontre des requérantes qui est antérieure à mai 2004, à l’instar de la Commission au considérant 1197 de la décision attaquée, il y a lieu de prendre pour base, sur les liaisons intra-EEE et sur les liaisons Union-Suisse, des valeurs des ventes s’élevant, respectivement, à 17 112 706 euros et à 627 100 euros, en tenant compte des seuls États qui étaient déjà parties contractantes à l’accord EEE ou membres de l’Union avant mai 2004.
928 Par ailleurs, il convient d’observer que le troisième argument, lequel porte sur l’inclusion du prix entier des services de fret dans la valeur des ventes, renvoie au troisième grief soulevé dans le cadre de la première branche du cinquième moyen que les requérantes ont invoqué à l’appui des conclusions en annulation. Or, le Tribunal a examiné et rejeté ce grief aux points 807 à 817 ci-dessus et rien dans l’argumentation que les requérantes ont soulevée à son appui ne permet de considérer que l’inclusion dans la valeur des ventes du prix entier des services de fret était de nature à aboutir à retenir une valeur des ventes inappropriée. Au contraire, exclure de la valeur des ventes les éléments du prix des services de fret autres que les surtaxes reviendrait à minimiser artificiellement l’importance économique de l’infraction unique et continue.
929 Pour ce qui est du deuxième argument, qui porte sur l’inclusion dans la valeur des ventes du chiffre d’affaires provenant de la vente de services de fret entrants, il y a lieu d’observer qu’il renvoie au deuxième grief soulevé dans le cadre de la première branche du cinquième moyen que les requérantes ont invoqué à l’appui des conclusions en annulation. Or, le Tribunal a examiné et rejeté ce grief aux points 775 à 806 ci-dessus et rien dans l’argumentation soulevée à son appui ne permet de considérer que l’inclusion dans la valeur des ventes du chiffre d’affaires provenant de la vente de services de fret entrants était de nature à aboutir à retenir une valeur des ventes inappropriée. Au contraire, exclure de la valeur des ventes le chiffre d’affaires provenant de la vente de services de fret entrants ferait obstacle à ce qu’il soit infligé aux requérantes une amende qui soit une juste mesure de la nocivité de leur participation à l’entente litigieuse sur le jeu normal de la concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2016, Portugal Telecom/Commission, T‑208/13, EU:T:2016:368, point 236).
930 Quant au quatrième argument, relatif à l’inclusion dans la valeur des ventes de recettes réalisées sur des liaisons sans relation avec l’entente litigieuse, il repose, ainsi qu’il ressort de l’examen des conclusions en annulation (voir points 818 à 822 ci-dessus), sur une prémisse erronée, à savoir que la Commission n’était pas fondée à imputer aux requérantes la responsabilité pour l’infraction unique et continue sur des liaisons intra-EEE, Union-pays tiers, Union-Suisse et EEE sauf Union-pays tiers. Il convient, partant, de le rejeter.
931 Cela étant relevé, il ressort des réponses de la Commission à la question qui lui a été posée par le Tribunal le 12 avril 2021 que les valeurs des ventes visées aux points 926 et 927 ci-dessus excluent le chiffre d’affaires réalisé par les requérantes sur les liaisons desservies exclusivement à l’intérieur, respectivement, du Danemark, de la Suède et de la Norvège (ci-après les « liaisons internes »).
932 Interrogée par le Tribunal quant à la compatibilité d’une telle exclusion avec le principe d’égalité de traitement et le paragraphe 13 des lignes directrices de 2006, d’une part, la Commission a fait observer que, selon la jurisprudence postérieure à la décision du 9 novembre 2010, les recettes exclues visées au point 931 ci-dessus relevaient bien des ventes réalisées en relation directe ou indirecte avec l’infraction au sens de ce paragraphe. D’autre part, elle a indiqué qu’il était possible que de telles « ventes internes » n’aient pas été déduites de la valeur des ventes appliquée aux autres transporteurs incriminés, dans la mesure où elle n’avait pas invité ces derniers à le faire, durant la procédure administrative, lorsqu’elle les avait interrogés sur leur chiffre d’affaires aux fins du calcul du montant de l’amende, et où ces transporteurs, à l’exception des requérantes, n’avaient pas fait état dans leurs réponses de leur choix d’exclure lesdites « ventes internes ».
933 Pour autant, la Commission estime, en substance, qu’il n’y a pas lieu, pour le Tribunal, de tenir compte du chiffre d’affaires réalisé par les requérantes sur les liaisons internes dans le cadre de l’exercice, le cas échéant, de sa compétence de pleine juridiction, l’amende imposée aux requérantes demeurant appropriée et proportionnée y compris en omettant ce chiffre d’affaires. En outre, les autres transporteurs incriminés qui auraient éventuellement inclus de telles ventes internes dans les chiffres d’affaires communiqués à la Commission durant la procédure administrative ne sauraient bénéficier d’une illégalité commise en faveur d’autrui.
934 Invitées à réagir aux réponses de la Commission, les requérantes ont fait valoir, à l’instar de la Commission, qu’il n’y avait pas lieu de réintégrer dans leurs valeurs des ventes les chiffres d’affaires qu’elles avaient réalisés sur les liaisons internes. D’une part, il n’y aurait pas d’inégalité de traitement qui en résulterait au détriment des autres transporteurs incriminés, puisque ces derniers, qui n’avaient pas fait état de la réalisation de « ventes internes » durant la procédure administrative, n’étaient pas dans une situation comparable à celle des requérantes. D’autre part, seule la coopération bilatérale exemptée avec Lufthansa aurait eu une « influence » sur les services qu’elles réalisaient sur les liaisons internes. Les requérantes se prévalent en outre des arrêts de la Cour rendus en lien avec la décision C(2012) 1959 final de la Commission, du 28 mars 2012, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/39462 – Transit).
935 En l’espèce, l’article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée tient les transporteurs incriminés pour responsables d’une violation de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE en ce qui concerne les liaisons entre des aéroports situés à l’intérieur de l’EEE. À la différence des paragraphes 2 à 4 de cet article, qui portent sur des liaisons qui revêtent nécessairement un caractère international, le libellé du paragraphe 1 s’entend comme recouvrant toute liaison effectuée entre des aéroports, pourvus que tant le point d’origine que le point de destination se situent dans l’EEE. Il s’en déduit que l’article 1er, paragraphe 1, vise des comportements intervenant tant sur les liaisons entre États membres ou parties contractantes à l’accord EEE que sur les liaisons desservies à l’intérieur d’un seul État membre ou d’une seule partie contractante.
936 Dans ces conditions, le chiffre d’affaires réalisé par les transporteurs incriminés sur les liaisons desservies à l’intérieur d’un seul État membre ou d’une seule partie contractante relève à l’évidence du champ d’application de l’infraction unique et continue, et il ne serait pas fait une juste appréciation de l’importance économique de celle-ci et du rôle joué par chaque transporteur incriminé à cet égard s’il ne devait pas être tenu compte de ce chiffre d’affaires aux fins du calcul du montant de l’amende.
937 Par ailleurs, il convient de relever que les demandes d’informations que la Commission a adressées aux transporteurs incriminés durant la procédure administrative et par lesquelles elle tendait, notamment, à recueillir leur chiffre d’affaires sur les liaisons intra-EEE visent les « liaisons pour lesquelles les aéroports d’origine et de destination étaient tous deux situés à l’intérieur de l’EEE », sans préciser que ces liaisons étaient nécessairement transfrontalières. Dans la décision attaquée, la Commission indique à son considérant 1197, s’agissant de la valeur des ventes, que le « chiffre d’affaires [intra-EEE est] réalisé au sein de [18 des 28] pays qui étaient parties contractantes à l’accord EEE à l’époque » et que le « chiffre d’affaires [Union-Suisse est] réalisé sur les liaisons entre [15 des 25] États membres de l’époque et la Suisse ». L’emploi des mots « au sein » dans un cas et du mot « entre » dans un autre manifeste l’intention de la Commission, dans le premier cas, de ne pas distinguer entre les liaisons intérieures et les liaisons transfrontalières, faute de quoi elle aurait indiqué que le chiffre d’affaires intra-EEE était réalisé sur les liaisons « entre » les parties contractantes.
938 La lecture qui précède reflète l’intention de la Commission telle que comprise par les transporteurs incriminés, ainsi que cela est corroboré par le fait que les requérantes ont soutenu expressément, durant la procédure administrative, que les ventes réalisées sur les liaisons internes devaient être exclues de leur valeur des ventes sur les liaisons intra-EEE. En effet, cette demande d’exclusion des liaisons internes n’a de sens que si, en principe, il est admis que les liaisons intra-EEE les englobaient.
939 Il en découle que le chiffre d’affaires réalisé par les transporteurs incriminés sur les liaisons intra-EEE au sein d’une seule et même partie contractante n’a pas été intégré dans la valeur des ventes, comme le soutient la Commission, par inadvertance. Ce chiffre d’affaires figurait parmi les éléments demandés par la Commission durant la procédure administrative, était inclus dans la valeur des ventes utilisée par la Commission dans la décision attaquée sur base de la méthode qu’elle a suivie et reflétait le périmètre géographique de l’infraction unique et continue, tel qu’il ressort de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée.
940 Dès lors, en vue également d’assurer une égalité de traitement entre les transporteurs incriminés ayant introduit un recours à l’encontre de la décision attaquée, il importe pour le Tribunal de réintégrer, dans les valeurs des ventes visées aux points 926 et 927 ci-dessus, le chiffre d’affaires réalisé par les requérantes sur les liaisons internes, qui s’élève à 7 991 282 euros.
941 Ensuite, il convient de relever que, pour les motifs retenus aux considérants 1198 à 1212 de la décision attaquée, l’infraction unique et continue mérite un coefficient de gravité de 16 %.
942 Les cinquième à neuvième arguments ne démontrent pas le contraire. Ces arguments renvoient, en substance, à des griefs avancés dans le cadre de la deuxième branche du cinquième moyen que les requérantes ont soulevés à l’appui des conclusions en annulation. Or, le Tribunal a examiné et rejeté cette branche aux points 824 à 864 ci-dessus et rien ne permet de considérer que ces arguments justifient un coefficient de gravité inférieur à 16 %.
943 S’agissant, en particulier, de l’absence prétendue d’effets de l’infraction unique et continue sur le grand public, visée par le septième argument invoqué au soutien des présentes conclusions, il convient d’ajouter que le montant d’une amende ne saurait être considéré comme étant inapproprié au seul motif qu’il ne reflète pas le préjudice économique ayant été ou ayant pu être causé par l’infraction alléguée (arrêt du 29 février 2016, Schenker/Commission, T‑265/12, EU:T:2016:111, point 287). Cet argument ne justifie donc pas une réduction du coefficient de gravité.
944 En revanche, le Tribunal considère que le coefficient de gravité doit être réduit pour tenir compte du fait que la coordination relative à la STC sur les liaisons en provenance de la Thaïlande et à destination de l’EEE entre le 20 juillet 2005 et le 14 février 2006 n’a pas, s’agissant de la STC, violé l’article 101 TFUE et l’article 53 de l’accord EEE. Il en résulte, en effet, une réduction du périmètre de ladite composante. Dans la mesure où cette réduction est d’une durée limitée et ne concerne pas les vols en provenance de l’EEE et à destination de la Thaïlande, le Tribunal estime qu’il est suffisant de réduire le coefficient de gravité de 16 % à 15,7 % pour en tenir compte.
945 Pour ce qui est du montant additionnel, il convient de rappeler que le paragraphe 25 des lignes directrices de 2006 prévoit que, indépendamment de la durée de la participation d’une entreprise à l’infraction, la Commission inclura dans le montant de base une somme comprise entre 15 et 25 % de la valeur des ventes, afin de dissuader les entreprises de participer à des accords horizontaux de fixation de prix, de répartition de marché et de limitation de production. Ce paragraphe précise que, en vue de décider de la proportion de la valeur des ventes à prendre en compte dans un cas donné, la Commission tiendra compte d’un certain nombre de facteurs, en particulier ceux identifiés au paragraphe 22 des mêmes lignes directrices. Ces facteurs sont ceux dont la Commission tient compte aux fins de la fixation du coefficient de gravité et incluent la nature de l’infraction, la part de marché cumulée de toutes les parties concernées, l’étendue géographique de l’infraction et la mise en œuvre ou non de l’infraction.
946 Le juge de l’Union en a déduit que, même si la Commission n’exposait pas de motivation spécifique en ce qui concerne la proportion de la valeur des ventes utilisée au titre du montant additionnel, le simple renvoi à l’analyse des facteurs utilisés pour apprécier la gravité suffisait à cet égard (arrêt du 15 juillet 2015, SLM et Ori Martin/Commission, T‑389/10 et T‑419/10, EU:T:2015:513, point 264).
947 Au considérant 1219 de la décision attaquée, la Commission a estimé que le « pourcentage à appliquer pour le montant additionnel d[evai]t être de 16 % » au vu des « circonstances spécifiques de l’affaire » et des critères retenus aux fins de déterminer le coefficient de gravité.
948 Il s’ensuit que, au vu des motifs retenus aux considérants 1198 à 1212 de la décision attaquée et au point 944 ci-dessus, le Tribunal estime qu’un montant additionnel de 15,7 % est approprié.
949 En outre, il y a lieu d’appliquer la méthode retenue par la Commission pour le calcul du montant additionnel appliquée à chacune des trois requérantes, telle qu’elle ressort des considérants 1221 à 1229 de la décision attaquée.
950 Par ailleurs, il ressort des considérants 1214 à 1217 de la décision attaquée que la Commission a retenu, au titre de la durée de la participation des requérantes à l’infraction unique et continue, les facteurs de multiplication suivants :
– 4 et 5/12 pour SAS, 4 et 8/12 pour SAS Cargo et 4 pour SAS Consortium sur les liaisons intra-EEE ;
– 1 et 9/12 pour SAS et SAS Cargo sur les liaisons Union-pays tiers ;
– 3 et 8/12 pour SAS et SAS Cargo et 1 et 6/12 pour SAS Consortium sur les liaisons Union-Suisse ;
– 8/12 pour SAS et SAS Cargo sur les liaisons EEE sauf Union-pays tiers.
951 Le Tribunal n’ayant pas constaté d’erreur dans la détermination de la durée de l’infraction unique et continue, il est en conséquence tenu de rejeter le dixième argument et de retenir les facteurs de multiplication exposés au point précédent.
952 Il y a donc lieu de fixer le montant de base de l’amende à 19 953 394,43 euros s’agissant de SAS Consortium, 92 200 925,36 euros s’agissant de SAS Cargo et 93 345 061,65 euros s’agissant de SAS.
953 S’agissant de la réduction générale de 50 %, il ne saurait être fait droit à la demande de la Commission d’en retirer le bénéfice aux requérantes. Ainsi qu’il ressort du mémoire en défense, cette demande suppose que le Tribunal juge que le chiffre d’affaires provenant de la vente de services de fret entrants ne pouvait être inclus dans les valeurs de ventes. Or, le Tribunal a refusé de le faire au point 929 ci-dessus.
954 Dès lors, le montant de base, après application de la réduction générale de 50 %, qui ne s’applique qu’au montant de base en tant qu’il concerne les liaisons EEE sauf Union-pays tiers et les liaisons Union-pays tiers (voir considérant 1241 de la décision attaquée), que les requérantes n’ont pas utilement contesté dans le cadre des conclusions en annulation et qui n’est pas inapproprié, doit être fixé, après arrondissement, à 19 900 000 euros s’agissant de SAS Consortium, à 65 000 000 euros s’agissant de SAS Cargo et à 65 000 000 euros s’agissant de SAS. À cet égard, le Tribunal estime approprié d’arrondir ce montant de base à la baisse aux deux premiers chiffres, excepté dans les cas où cette réduction représente plus de 2 % du montant avant arrondissement, auquel cas ce montant est arrondi aux trois premiers chiffres. Cette méthode est objective, permet à tous les transporteurs incriminés ayant introduit un recours à l’encontre de la décision attaquée de bénéficier d’une réduction et évite une inégalité de traitement (voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2014, InnoLux/Commission, T‑91/11, EU:T:2014:92, point 166).
955 Quant au onzième argument, relatif à l’absence de récidive, il y a lieu de rappeler que la Commission, aux considérants 1243 à 1245 de la décision attaquée, a imposé à SAS Cargo et à SAS Consortium une augmentation de 50 % du montant de base de l’amende pour cause de récidive. Or, l’argumentation des requérantes se confond avec celle soulevée à l’appui de la quatrième branche du cinquième moyen invoqué à l’appui des conclusion en annulation, que le Tribunal a examinée et rejetée aux points 868 à 885 ci-dessus, et rien ne permet de considérer que le comportement récidiviste des requérantes justifierait une majoration du montant de base de l’amende inférieure à 50 %.
956 Enfin, pour ce qui est des ajustements du montant de base de l’amende, il convient de rappeler que les requérantes ont bénéficié de la réduction générale de 15 %, dont elles contestent le caractère suffisant dans le cadre de la cinquième branche du cinquième moyen invoqué à l’appui des conclusions en annulation ainsi que dans le cadre des treizième à quinzième arguments. Or, ces arguments se confondent avec ceux développés dans le cadre de la cinquième branche du cinquième moyen, que le Tribunal a examinée et rejetée aux points 886 à 904 ci-dessus, et rien dans ceux-ci ne justifie une réduction supplémentaire au titre de l’encouragement prodigué par certains régimes réglementaires ou des pratiques ou assurances pertinentes. À l’inverse, il ne saurait être fait droit à la demande de la Commission visant au retrait du bénéfice de cette réduction, pour des raisons analogues à celles exposées au point 953 ci-dessus.
957 Par ailleurs, aux considérants 1258 et 1259 de la décision attaquée, la Commission a octroyé aux requérantes une réduction du montant de base de l’amende de 10 % au titre de leur participation limitée à l’infraction unique et continue, que les requérantes estiment insuffisante dans le cadre de leur douzième argument au soutien des présentes conclusions. Or, il convient de rappeler que c’est à tort que la Commission a imputé aux requérantes la responsabilité de la composante de l’infraction unique et continue tenant au refus de paiement de commissions et qu’elle a, en conséquence, surestimé le degré de leur participation à l’infraction unique et continue. Il était partant inapproprié d’accorder aux requérantes une réduction de seulement 10 % à ce titre.
958 Dans ces conditions, au vu de la durée limitée pendant laquelle les transporteurs incriminés se sont coordonnés au sujet du refus de paiement de commissions au regard de la durée de l’infraction unique et continue dans son ensemble, le Tribunal estime qu’une réduction de 21 % au titre de la participation limitée des requérantes à l’infraction unique et continue est appropriée.
959 En revanche, le Tribunal ne considère pas que l’exclusion du faisceau d’indices des contacts décrits aux considérants 196, 223, 406, 415, 443 et 517 de la décision attaquée justifie qu’une réduction supplémentaire soit octroyée aux requérantes à ce titre. Ces contacts portaient sur les échanges au sujet de la STC qui ont eu lieu dans le cadre de l’alliance WOW (considérants 223 et 517), de l’ACCS (considérant 443) et, plus généralement, au niveau de l’administration centrale (considérants 196, 406 et 415). D’une part, il importe de souligner que, malgré l’exclusion de ces contacts du faisceau d’indices que pouvait invoquer la Commission, la participation des requérantes à chacun de ces trois types d’échanges et a fortiori à la composante de l’infraction unique et continue tenant à la STC en général demeure amplement étayée. D’autre part, il convient d’observer qu’aucun de ces échanges ne concerne la STS. Octroyer aux requérantes une réduction supérieure à 21 % au titre de leur participation limitée à l’infraction unique et continue ne serait donc pas approprié.
960 Par ailleurs, il convient de considérer que la réduction de 15 % dont les requérantes ont bénéficié au titre de la clémence demeure appropriée.
961 Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de calculer le montant de l’amende infligée aux requérantes comme suit : tout d’abord, le montant de base est déterminé en appliquant, compte tenu de la gravité de l’infraction unique et continue, un pourcentage de 15,7 % à la valeur des ventes réalisées par les requérantes en 2005 sur les liaisons intra-EEE, Union-pays tiers, EEE sauf Union-pays tiers et Union-Suisse, puis, au titre de la durée de l’infraction, les facteurs de multiplication décrits au point 950 ci-dessus, tels qu’adaptés selon les constats opérés au point 951 ci-dessus, et, enfin, un montant additionnel de 15,7 %, ce qui aboutit à un montant intermédiaire de 19 900 000 euros s’agissant de SAS Consortium, de 92 200 925,36 euros s’agissant de SAS Cargo et de 93 345 061,65 euros s’agissant de SAS. Après application de la réduction générale de 50 %, ce montant, arrondi, est de 19 900 000 euros s’agissant de SAS Consortium, de 65 000 000 euros s’agissant de SAS Cargo et de 65 000 000 euros s’agissant de SAS. Ensuite, après majoration de 50 % du montant de base pour récidive, s’agissant de SAS Consortium et de SAS Cargo, application de la réduction générale de 15 % et d’une réduction supplémentaire de 21 % au titre de la participation limitée des requérantes à l’infraction unique et continue, ce montant doit être fixé à 22 686 000 euros s’agissant de SAS Consortium, à 74 100 000 euros s’agissant de SAS Cargo et à 43 647 500 euros s’agissant de SAS. Enfin, ces montants doivent être réduits de 15 % au titre de la clémence, ce qui aboutit à une amende d’un montant final de 19 283 100 euros s’agissant de SAS Consortium, de 62 985 000 euros s’agissant de SAS Cargo et de 37 100 375 euros s’agissant de SAS.
962 Quant au montant des amendes auxquels les requérantes sont individuellement et solidairement tenues, le Tribunal estime qu’il n’y a pas lieu de s’écarter de la méthode décrite par la Commission aux considérants 1226 et 1231 à 1234 de la décision attaquée. Le montant de l’amende infligée à SAS Consortium seule doit donc être fixé à 7 030 618 euros, celui de l’amende infligée SAS Cargo et à SAS Consortium conjointement et solidairement à 5 937 909 euros, celui de l’amende infligée à SAS Cargo, SAS Consortium et SAS conjointement et solidairement à 6 314 572 euros, celui de l’amende infligée à SAS Cargo et SAS conjointement et solidairement à 29 045 427 euros et celui de l’amende infligée à SAS Cargo à 21 687 090 euros.
IV. Sur les dépens
963 Aux termes de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. Toutefois, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, le Tribunal peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre partie.
964 En l’espèce, les requérantes ont obtenu satisfaction pour une partie substantielle de leurs conclusions. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant qu’elles supportent le quart de leurs propres dépens et que la Commission supporte ses propres dépens ainsi que les trois quarts de ceux des requérantes.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) L’article 1er, paragraphe 1, sous o), p) et q), paragraphe 2, sous o) et p), paragraphe 3, sous o) et p), et paragraphe 4, sous o), p) et q), de la décision C(2017) 1742 final de la Commission, du 17 mars 2017, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur le transport aérien (affaire AT.39258 – Fret aérien) est annulé en tant qu’il retient la participation de SAS AB, SAS Cargo Group A/S et Scandinavian Airlines System Denmark-Norway-Sweden à la composante de l’infraction unique et continue tenant au refus de paiement de commissions sur les surtaxes.
2) L’article 1er, paragraphe 2, sous o) et p), en tant qu’il retient une violation de l’article 101 TFUE sur les liaisons en provenance de la Thaïlande et à destination de l’Union européenne entre le 20 juillet 2005 et le 14 février 2006 s’agissant de la composante tenant à la STC, ainsi que l’article 1er, paragraphe 3, sous o) et p), en tant qu’il retient une violation de l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons en provenance de la Thaïlande et à destination de l’Espace économique européen entre le 20 juillet 2005 et le 14 février 2006 s’agissant de la composante tenant à la STC, sont annulés.
3) L’article 3, sous n) à r), est annulé.
4) Le montant de l’amende infligée à Scandinavian Airlines System Denmark-Norway-Sweden est fixé à 7 030 618 euros, celui de l’amende infligée SAS Cargo Group et à Scandinavian Airlines System Denmark-Norway-Sweden conjointement et solidairement à 5 937 909 euros, celui de l’amende infligée à SAS Cargo Group, Scandinavian Airlines System Denmark-Norway-Sweden et SAS conjointement et solidairement à 6 314 572 euros, celui de l’amende infligée à SAS Cargo Group et SAS conjointement et solidairement à 29 045 427 euros et celui de l’amende infligée à SAS Cargo Group à 21 687 090 euros.
5) Le recours est rejeté pour le surplus.
6) La Commission européenne supportera ses propres dépens ainsi que les trois quarts des dépens de SAS Cargo Group, Scandinavian Airlines System Denmark-Norway-Sweden et SAS.
7) SAS Cargo Group, Scandinavian Airlines System Denmark-Norway-Sweden et SAS supporteront le quart de leurs propres dépens.