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Décisions

CJUE, gr. ch., 6 juillet 2010, n° C-428/08

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Monsanto Technology LLC (Sté)

Défendeur :

Cefetra BV (Sté), Cefetra Feed Service BV (Sté), Cefetra Futures BV (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Skouris

Présidents de chambre :

M. Tizzano, M. Lenaerts, M. Bonichot, M. Levits

Juges :

M. Borg Barthet, M. Malenovsky, M. Lohmus, M. Bay Larsen

Avocat général :

M. Mengozzi

CJUE n° C-428/08

5 juillet 2010

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article  9 de la directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 juillet 1998, relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques (JO L 213, p. 13, ci-après la «directive»).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre de deux litiges opposant Monsanto Technology LLC (ci-après «Monsanto»), d’une part, à Cefetra BV, Cefetra Feed Service BV, Cefetra Futures BV (ci-après, ensemble, «Cefetra»), soutenues par l’État argentin, partie intervenante, et, d’autre part, à Vopak Agencies Rotterdam BV (ci-après «Vopak») et Alfred C. Toepfer International GmbH (ci-après «Toepfer»), au sujet d’importations dans la Communauté européenne, au cours des années 2005 et 2006, de farine de soja en provenance d’Argentine.

Le cadre juridique

Le droit international

3 L’article  27 de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, qui constitue l’annexe 1 C de l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), signé à Marrakech le 15 avril 1994 et approuvé par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994) (JO L 336, p. 1, ci-après l’«accord ADPIC»), dispose en substance, sous l’intitulé «Objet brevetable», à son paragraphe 1, que:

— un brevet pourra être obtenu pour toute invention, de produit ou de procédé, dans tous les domaines technologiques, à condition qu’elle soit nouvelle, qu’elle implique une activité inventive et qu’elle soit susceptible d’application industrielle;

— il sera possible de jouir des droits de brevet sans discrimination quant au lieu d’origine de l’invention, au domaine technologique et au fait que les produits sont importés ou sont d’origine nationale.

4 L’article 30 du même accord, intitulé «Exceptions aux droits conférés», précise que les membres pourront prévoir des exceptions limitées aux droits exclusifs conférés par un brevet, à condition que ces exceptions ne portent pas atteinte de manière injustifiée à l’exploitation normale du brevet ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du brevet, compte tenu des intérêts des tiers.

Le droit de l’Union

5 L’article 1er de la directive prévoit que les États membres protègent les inventions biotechnologiques au moyen de leur droit national des brevets et qu’ils adaptent celui-ci, si nécessaire, pour tenir compte des dispositions de ladite directive. Il ajoute que la directive n’affecte pas les obligations découlant pour les États membres, notamment, de l’accord ADPIC.

6 L’article 2 de la directive définit la «matière biologique» comme étant une matière contenant des informations génétiques et qui est autoreproductible ou reproductible dans un système biologique.

7 L’article 3 prévoit que sont brevetables les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d’application industrielle, même lorsqu’elles portent, notamment, sur un produit composé de matière biologique ou en contenant. Il précise qu’une matière biologique isolée de son environnement naturel ou produite à l’aide d’un procédé technique peut être l’objet d’une invention, même lorsqu’elle préexistait à l’état naturel.

8 Le vingt-deuxième considérant de la directive souligne que le débat sur la brevetabilité de séquences ou de séquences partielles de gènes donne lieu à des controverses. Il énonce que l’octroi d’un brevet à des inventions portant sur de telles séquences ou séquences partielles doit être soumis aux mêmes critères de brevetabilité que pour tous les autres domaines technologiques, à savoir nouveauté, activité inventive et application industrielle. Il ajoute que l’application industrielle d’une séquence ou d’une séquence partielle doit être exposée de façon concrète dans la demande de brevet.

9 Selon le vingt-troisième considérant de la directive, une simple séquence d’ADN sans identification d’une fonction ne contient aucun enseignement technique, de sorte qu’elle ne saurait constituer une invention brevetable.

10 Le vingt-quatrième considérant énonce que, pour que le critère d’application industrielle soit respecté, il est nécessaire, lorsqu’une séquence ou une séquence partielle d’un gène est utilisée pour la production d’une protéine ou d’une protéine partielle, de préciser quelle protéine ou protéine partielle est produite ou quelle fonction elle assure.

11 L’article 5, paragraphe 3, de la directive, contenu au chapitre I intitulé «Brevetabilité», exige que l’application industrielle d’une séquence ou d’une séquence partielle d’un gène soit concrètement exposée dans la demande de brevet.

12 L’article 9, contenu au chapitre II intitulé «Étendue de la protection», dispose:

«La protection conférée par un brevet à un produit contenant une information génétique ou consistant en une information génétique s’étend à toute matière […] dans laquelle le produit est incorporé et dans laquelle l’information génétique est contenue et exerce sa fonction.»

Le droit national

13 L’article 53 de la loi de 1995 relative aux brevets d’invention (Rijksoctrooiwet 1995, ci-après la «loi de 1995») prévoit:

«[…] un brevet confère à son titulaire le droit exclusif:

a) pour ou dans son entreprise, de fabriquer le produit breveté, de l’utiliser, de le commercialiser ou de le revendre, de le louer, de le livrer ou d’effectuer toute autre opération commerciale portant sur ce produit ou encore de l’offrir, de l’importer ou de le détenir à l’une de ces fins;

b) pour ou dans son entreprise, d’appliquer le procédé breveté, ou d’utiliser, de commercialiser ou de revendre, de louer, de livrer le produit obtenu directement par l’application de ce procédé, ou d’effectuer toute autre opération commerciale portant sur ce produit, ou encore de l’offrir, de l’importer ou de le détenir à l’une de ces fins».

14 L’article 53a de cette loi est libellé comme suit:

«1. En ce qui concerne un brevet relatif à une matière biologique dotée, du fait de l’invention, de propriétés déterminées, le droit exclusif s’étend à toute matière biologique obtenue à partir de cette matière biologique par reproduction ou multiplication sous forme identique ou différenciée et dotée de ces mêmes propriétés.

2. En ce qui concerne un brevet relatif à un procédé permettant de produire une matière biologique dotée, du fait de l’invention, de propriétés déterminées, le droit exclusif s’étend à la matière biologique directement obtenue par ce procédé et à toute autre matière biologique obtenue, à partir de la matière biologique directement obtenue, par reproduction ou multiplication sous forme identique ou différenciée et dotée de ces mêmes propriétés.

3. En ce qui concerne un brevet relatif à un produit contenant une information génétique ou consistant en une information génétique, le droit exclusif s’étend à toute matière dans laquelle le produit est incorporé et dans laquelle l’information génétique est contenue et exerce sa fonction […].»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

15 Monsanto est titulaire d’un brevet européen EP 0 546 090 octroyé le 19 juin 1996 en ce qui concerne des 5-énolpyruvylshikimate-3-phosphate synthases tolérant le glyphosate (ci-après le «brevet européen»). Ce brevet européen produit ses effets, notamment, aux Pays-Bas.

16 Le glyphosate est un herbicide non sélectif. Dans une plante, il bloque le site actif des enzymes 5-énolpyruvylshikimate-3-phosphate synthases (ci-après «EPSPS») declasse I, qui jouent un rôle important dans la croissance de la plante. Cette action du glyphosate a pour effet que la plante meurt.

17 Le brevet européen décrit une classe d’enzymes EPSPS de classe II qui ne sont pas sensibles au glyphosate. Les plantes contenant de telles enzymes survivent à l’utilisation du glyphosate, tandis que les mauvaises herbes sont détruites. Les gènes qui codent les enzymes de classe II ont été isolés à partir de trois bactéries. Monsanto a introduit ces gènes dans l’ADN d’une plante de soja qu’elle a appelée soja RR («Roundup Ready»). Par suite de cette introduction, la plante de soja RR synthétise une enzyme EPSPS de classe II appelée CP4-EPSPS, qui résiste au glyphosate. Elle devient ainsi résistante à l’herbicide Roundup.

18 Le soja RR est cultivé à grande échelle en Argentine, où l’invention de Monsanto n’est pas protégée par un brevet.

19 Cefetra et Toepfer font le commerce de farine de soja. Trois cargaisons de farine de soja sont arrivées dans le port d’Amsterdam, respectivement, les 16 juin 2005, 21 mars et 11 mai 2006, en provenance d’Argentine. Vopak a effectué la déclaration en douane de l’une des cargaisons.

20 Les trois chargements ont été retenus par les autorités douanières sur le fondement du règlement (CE) no 1383/2003 du Conseil, du 22 juillet 2003, concernant l’intervention des autorités douanières à l’égard de marchandises soupçonnées de porter atteinte à certains droits de propriété intellectuelle ainsi que les mesures à prendre à l’égard de marchandises portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle (JO L 196, p. 7). Ils ont été libérés après remise d’échantillons à Monsanto. Celle-ci a fait analyser la marchandise afin de déterminer si elle provenait de soja RR.

21 À la suite des analyses, invoquant la présence, dans la farine, de l’enzyme CP4-EPSPS ainsi que de la séquence d’ADN codant celle-ci, Monsanto a introduit contre Cefetra, Vopak et Toepfler, devant le Rechtbank ’s-Gravenhage, des demandes d’interdictions fondées sur l’article 16 du règlement no 1383/2003, ainsi que des demandes d’interdiction d’atteintes à son brevet européen pour tous les pays où celui-ci est en vigueur.

L’État argentin est intervenu au soutien des conclusions de Cefetra.

22 Le Rechtbank ’s-Gravenhage considère que Monsanto a établi la présence, dans l’une des cargaisons litigieuses, de la séquence d’ADN protégée par son brevet européen. Il se demande, néanmoins, si cette seule présence suffit pour retenir une atteinte au brevet européen de Monsanto lors de la commercialisation de la farine dans la Communauté.

23 Cefetra, soutenue par l’État argentin, et Toepfer soutiennent que l’article 53a de la loi de 1995 a un caractère exhaustif. Il devrait être considéré comme une lex specialis dérogeant au régime général de protection que l’article 53 de la même loi prévoit pour un produit breveté. Dans la mesure où l’ADN présent dans la farine de soja ne pourrait plus y jouer son rôle, Monsanto ne pourrait pas s’opposer à la commercialisation de cette farine en avançant comme seul motif que l’ADN est présent dans celle-ci.

Il existerait un lien entre la brevetabilité limitée, qui serait soulignée par les vingttroisième et vingt-quatrième considérants de la directive, et la portée de la protection conférée par un brevet.

24 D’après Monsanto, l’objectif de la directive ne serait pas de restreindre la protection des inventions biotechnologiques existant dans les États membres. La directive n’affecterait pas la protection reconnue par l’article 53 de la loi de 1995, protection qui serait absolue. Une restriction de la protection serait incompatible avec l’article 27 de l’accord ADPIC.

25 Le Rechtbank ’s-Gravenhage observe que l’article 53a, paragraphe 3, de la loi de 1995, comme l’article 9 de la directive, fait relever du droit exclusif du titulaire du brevet toute matière où l’ADN est incorporé, pour autant que l’information génétique soit reprise dans cette matière et y exerce sa fonction.

26 Il constate que l’ADN ne peut pas exercer sa fonction dans la farine de soja, qui est une matière morte.

27 Il estime que le libellé des articles 53a, paragraphe 3, de la loi de 1995 et 9 de la directive ne s’accorde pas avec la thèse soutenue devant lui par Monsanto, selon laquelle il suffirait que l’ADN ait, à un moment donné, exercé sa fonction dans la plante ou puisse à nouveau exercer sa fonction, après avoir été isolé dans la farine de soja et introduit dans de la matière vivante.

28 Cependant, selon le Rechtbank ’s-Gravenhage, un gène, même s’il fait partie d’un organisme, ne doit pas absolument exercer sa fonction à tout instant. En effet, il existerait des gènes qui ne seraient activés que dans certaines situations, telles que la chaleur, la sécheresse ou une maladie.

29 Enfin, il ne faudrait pas négliger le fait qu’un profit sans contrepartie aurait été tiré de l’invention lors de la culture des plantes de soja dont provient la farine.

30 Dans l’hypothèse où il ne serait pas possible de s’opposer à la commercialisation de la farine de soja sur le fondement de l’article  53a de la loi de 1995, qui transpose l’article 9 de la directive, la question se poserait de savoir si pourrait être invoquée une protection classique absolue telle que celle qui serait prévue à l’article 53 de la loi de 1995.

31 À cet égard, il semblerait que la directive n’entame pas la protection absolue des produits au titre d’une disposition comme l’article 53 de la loi de 1995, mais vise plutôt à une protection minimale. Cependant, les indices favorables à une telle interprétation ne seraient pas suffisamment clairs.

32 Dans ce contexte, le Rechtbank ’s-Gravenhage a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) L’article 9 de la [directive] doit-il être interprété en ce sens que la protection qu’il confère peut également être invoquée dans une situation où, comme en l’espèce, le produit concerné (la séquence d’ADN) fait partie d’une matière (de la farine de soja) importée dans l’Union européenne et où il n’exerce pas sa fonction lors de la contrefaçon alléguée, mais a exercé celle-ci antérieurement (dans la plante de soja) ou pourrait éventuellement l’exercer à nouveau, après avoir été isolé dans la matière en question et introduit dans une cellule d’un organisme?

2) Compte tenu de la présence de la séquence d’ADN visée par la revendication 6 du brevet numéro EP 0 546 090 dans la farine de soja importée dans la Communauté par Cefetra et [Toepfer], et compte tenu du fait que l’ADN est, au sens de l’article 9 de la [directive], incorporée dans la farine de soja et n’y exerce plus la fonction qui est la sienne, la protection conférée par la directive, et en particulier par son article 9, à un brevet relatif à une matière biologique fait-elle obstacle à ce que la législation nationale en matière de brevets octroie (en plus) une protection absolue au produit concerné (l’ADN) en tant que tel, que cet ADN exerce ou non la fonction qui est la sienne, et, partant, la protection conférée par l’article 9 doit-elle être considérée comme exhaustive dans la situation visée par cette disposition, où un produit contient une information génétique ou consiste en une information génétique, lequel produit est incorporé dans une matière où l’information génétique est contenue?

3) Importe-t-il, pour répondre à la question qui précède, que le brevet numéro EP 0 546 090 ait été demandé et octroyé avant l’adoption de la [directive] (en l’occurrence, le 19 juin 1996) et qu’une telle protection absolue pour un produit ait été conférée par la législation nationale en matière de brevets avant l’adoption de cette directive?

4) La Cour de justice pourrait-elle répondre à ces questions en tenant compte également de [l’accord ADPIC], et plus particulièrement des articles 27 et 30 dudit accord?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

33 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 9 de la directive doit être interprété en ce sens qu’il confère une protection des droits de brevet dans des circonstances telles que celles du litige au principal, lorsque le produit breveté est contenu dans de la farine de soja, où il n’exerce pas la fonction pour laquelle il est breveté, mais a exercé celle-ci antérieurement dans la plante de soja, dont cette farine est un produit de transformation, ou lorsqu’il pourrait éventuellement exercer à nouveau cette fonction, après avoir été extrait de la farine puis introduit dans une cellule d’un organisme vivant.

34 À cet égard, il convient de constater que l’article 9 de la directive subordonne la protection qu’il prévoit à la condition que l’information génétique contenue dans le produit breveté ou constituant ce produit «exerce» sa fonction dans la «matière […] dans laquelle» cette information est contenue.

35 Le sens commun du temps présent utilisé par le législateur communautaire et de l’expression «matière […] dans laquelle» implique que la fonction est exercée actuellement et dans la matière même avec laquelle la séquence d’ADN contenant l’information génétique fait corps.

36 Dans le cas d’une information génétique telle que celle en cause au principal, la fonction de l’invention est exercée lorsque l’information génétique protège la matière biologique qui l’incorpore contre l’action effective ou l’éventualité prévisible d’une action d’un produit susceptible d’entraîner la mort de cette matière.

37 Or, l’utilisation d’un herbicide sur de la farine de soja n’est pas prévisible ni même normalement concevable. En outre, à supposer une telle utilisation, la fonction du produit breveté visant à la protection de la vie d’une matière biologique le contenant ne pourrait s’exercer, dès lors que l’information génétique ne se retrouve qu’à l’état de résidu dans la farine de soja et que cette dernière est une matière morte obtenue au terme de plusieurs opérations de traitement du soja.

38 Il résulte des considérations qui précèdent que la protection prévue à l’article 9 de la directive est exclue lorsque l’information génétique a cessé d’exercer la fonction qu’elle assurait dans la matière initiale dont est issue la matière litigieuse.

39 Il en résulte également que cette protection ne saurait être invoquée à l’égard de la matière litigieuse au seul motif que la séquence d’ADN contenant l’information génétique pourrait en être extraite et remplir sa fonction dans une cellule d’un organisme vivant, après y avoir été introduite. En effet, dans une telle hypothèse, la fonction serait exercée dans une matière à la fois autre et biologique. Elle ne pourrait donc faire naître un droit à protection qu’à l’égard de celle-ci.

40 Admettre une protection au titre de l’article 9 de la directive aux motifs que l’information génétique a exercé sa fonction antérieurement dans la matière la contenant ou qu’elle pourrait éventuellement exercer à nouveau cette fonction dans une autre matière reviendrait à priver d’effet utile la disposition interprétée, puisque l’une ou l’autre situation pourrait, en principe, être toujours invoquée.

41 Monsanto fait toutefois valoir que, à titre principal, elle réclame une protection de sa séquence d’ADN brevetée en tant que telle. Elle explique que la séquence d’ADN visée par le litige au principal est protégée par le droit national des brevets applicable, conformément à l’article 1er, paragraphe 1, de la directive. L’article 9 de la directive se rapporterait uniquement à l’extension d’une telle protection à d’autres matières dans lesquelles le produit breveté est incorporé. Dans le cadre du litige au principal, cette entreprise ne chercherait donc pas à obtenir la protection prévue par l’article 9 de la directive pour la farine de soja dans laquelle est intégrée la séquence d’ADN brevetée. La présente espèce concernerait la protection de la séquence d’ADN en tant que telle qui, elle, ne serait pas liée à l’exercice d’une fonction spécifique. Cette protection serait en effet absolue en vertu du droit national applicable, auquel renvoie l’article 1er, paragraphe 1, de la directive.

42 Une telle analyse ne peut être retenue.

43 À cet égard, il doit être relevé que le vingt-troisième considérant de la directive énonce qu’«une simple séquence d’ADN sans indication d’une fonction ne contient aucun enseignement technique […] [et] qu’elle ne saurait par conséquent, constituer une invention brevetable».

44 Par ailleurs, les vingt-deuxième et vingt-quatrième considérants ainsi que l’article 5, paragraphe 3, de la directive impliquent qu’une séquence d’ADN ne bénéficie d’aucune protection au titre du droit des brevets lorsque la fonction exercée par cette séquence n’est pas précisée.

45 La directive subordonnant ainsi la brevetabilité d’une séquence d’ADN à l’indication de la fonction qu’elle assure, elle doit être considérée comme n’accordant aucune protection à une séquence d’ADN brevetée qui n’est pas susceptible d’exercer la fonction spécifique pour laquelle elle a été brevetée.

46 Cette interprétation est corroborée par le libellé de l’article  9 de la directive qui subordonne la protection qu’il prévoit à la condition que la séquence d’ADN brevetée exerce la fonction qui est la sienne dans la matière dans laquelle elle est incorporée.

47 Une interprétation selon laquelle, en vertu de la directive, une séquence d’ADN brevetée pourrait bénéficier d’une protection absolue en tant que telle, indépendamment du point de savoir si la séquence exerce ou non la fonction qui est la sienne, priverait cette disposition de son effet utile. En effet, une protection qui serait accordée formellement à la séquence d’ADN en tant que telle s’étendrait nécessairement, en fait, à la matière avec laquelle elle ferait corps, tant que durerait cette situation.

48 Ainsi qu’il ressort du point 37 du présent arrêt, une séquence d’ADN telle que celle en cause dans le litige au principal n’est pas susceptible d’exercer sa fonction lorsqu’elle est incorporée dans une matière morte comme la farine de soja.

49 Une telle séquence ne bénéficie donc pas d’une protection des droits de brevet, dès lors que ni l’article 9 de la directive ni aucune autre disposition de celle-ci n’accorde une protection à une séquence d’ADN brevetée qui n’est pas susceptible d’exercer la fonction qui est la sienne.

50 Il convient, en conséquence, de répondre à la première question que l’article 9 de la directive doit être interprété en ce sens qu’il ne confère pas une protection des droits de brevet dans des circonstances telles que celles du litige au principal, lorsque le produit breveté est contenu dans de la farine de soja, où il n’exerce pas la fonction pour laquelle il est breveté, mais a exercé celle-ci antérieurement dans la plante de soja, dont cette farine est un produit de transformation, ou lorsqu’il pourrait éventuellement exercer à nouveau cette fonction, après avoir été extrait de la farine puis introduit dans une cellule d’un organisme vivant.

Sur la deuxième question

51 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article  de la directive procède à une harmonisation exhaustive de la protection qu’il confère, de sorte qu’il fait obstacle à ce qu’une législation nationale octroie une protection absolue du produit breveté en tant que tel, qu’il exerce ou non la fonction qui est la sienne dans la matière le contenant.

52 Cette question repose sur la prémisse, évoquée dans la décision de renvoi, selon laquelle une disposition nationale telle que l’article 53 de la loi de 1995 accorde effectivement une protection absolue du produit breveté.

53 À l’effet de répondre à la deuxième question, il convient de relever que, aux troisième et cinquième à septième considérants de la directive, le législateur communautaire constate que:

— une protection efficace et harmonisée dans l’ensemble des États membres est essentielle en vue de préserver et d’encourager les investissements dans le domaine de la biotechnologie;

— il existe des divergences, dans le domaine de la protection des inventions biotechnologiques, entre les législations et pratiques des différents États membres;

— ces disparités sont de nature à créer des entraves aux échanges et à faire ainsi obstacle au fonctionnement du marché intérieur;

— ces divergences risquent de s’accentuer au fur et à mesure que les États membres adopteront de nouvelles lois et pratiques administratives différentes ou que les interprétations jurisprudentielles nationales se développeront diversement;

— une évolution hétérogène des législations nationales relatives à la protection juridique des inventions biotechnologiques dans la Communauté risque de décourager encore plus les échanges commerciaux, au détriment du développement industriel de ces inventions et du bon fonctionnement du marché intérieur.

54 Aux huitième et treizième considérants, il énonce ensuite que:

— la protection juridique des inventions biotechnologiques ne nécessite pas la création d’un droit particulier se substituant au droit national des brevets;

— le droit national des brevets reste la référence essentielle pour la protection juridique des inventions biotechnologiques, étant entendu qu’il doit être adapté ou complété sur certains points spécifiques pour tenir compte de façon adéquate de l’évolution de la technologie faisant usage de matière biologique, mais répondant néanmoins aux conditions de brevetabilité;

— le cadre juridique communautaire pour la protection des inventions biotechnologiques peut se limiter à la définition de certains principes applicables, notamment, à la brevetabilité de la matière biologique en tant que telle et à l’étendue de la protection conférée par un brevet sur une invention biotechnologique.

55 Il résulte de ces indications que le législateur communautaire a entendu procéder à une harmonisation limitée dans son étendue matérielle, mais propre à remédier à des divergences existantes et à prévenir des divergences futures entre les États membres dans le domaine de la protection des inventions biotechnologiques.

56 L’harmonisation décidée vise ainsi à éviter des entraves aux échanges.

57 Elle s’inscrit par ailleurs dans le cadre d’un compromis entre les intérêts des titulaires de brevets et les nécessités d’un bon fonctionnement du marché intérieur.

58 En ce qui concerne, en particulier, l’article 9 de la directive, contenu au chapitre II intitulé «Étendue de la protection», l’approche du législateur communautaire traduit son intention d’assurer une même protection des brevets dans tous les États membres.

59 En effet, une protection uniforme apparaît comme le moyen de supprimer ou de prévenir des divergences entre eux et d’assurer l’équilibre souhaité entre les intérêts des titulaires de brevets et ceux des autres opérateurs, alors que, à l’inverse, une approche d’harmonisation minimale qui serait adoptée au profit des titulaires de brevets, d’une part, compromettrait l’équilibre recherché des intérêts en cause, et, d’autre part, ne pourrait que consacrer ou faire naître des divergences entre les États membres et, par suite, des entraves aux échanges.

60 Il en résulte que l’harmonisation opérée par l’article 9 de la directive doit être considérée comme exhaustive.

61 L’article 1er, paragraphe 1, première phrase, de la directive ne fait pas obstacle à cette conclusion en tant qu’il renvoie au droit national des brevets pour ce qui concerne la protection des inventions biotechnologiques. En effet, la seconde phrase du même paragraphe énonce que les États membres adaptent leur droit national des brevets, si nécessaire, pour tenir compte des dispositions de la présente directive, c’est-à-dire, en particulier, celles opérant une harmonisation exhaustive.

62 Dès lors, dans la mesure où la directive n’accorde pas de protection à une séquence d’ADN brevetée qui n’est pas susceptible d’exercer sa fonction, la disposition interprétée s’oppose à l’octroi par un législateur national d’une protection absolue à une séquence d’ADN brevetée en tant que telle, qu’elle exerce ou non la fonction qui est la sienne dans la matière la contenant.

63 Il y a donc lieu de répondre à la deuxième question que l’article 9 de la directive procède à une harmonisation exhaustive de la protection qu’il confère, de sorte qu’il fait obstacle à ce qu’une législation nationale octroie une protection absolue du produit breveté en tant que tel, qu’il exerce ou non la fonction qui est la sienne dans la matière le contenant.

Sur la troisième question

64 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 9 de la directive s’oppose à ce que le titulaire d’un brevet délivré antérieurement à l’adoption de cette directive invoque la protection absolue du produit breveté qui lui aurait été accordée par la législation nationale alors applicable.

65 De manière analogue à la deuxième question, cette question repose sur la prémisse selon laquelle une disposition nationale telle que l’article 53 de la loi de 1995 accordait effectivement une protection absolue du produit breveté lors de la délivrance du brevet, antérieurement à la directive.

66 À l’effet de répondre à ladite question, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, une règle nouvelle s’applique en principe immédiatement aux effets futurs d’une situation née sous l’empire de la règle ancienne (voir, notamment, arrêt du 11  décembre 2008, Commission/Freistaat Sachsen, C-334/07 P, Rec. p. I-9465, point 43 et jurisprudence citée).

67 La directive ne prévoit aucune dérogation à ce principe.

68 Au demeurant, la non-application de la directive aux brevets accordés antérieurement créerait, entre les États membres, des différences de protection faisant obstacle à l’harmonisation poursuivie.

69 Il convient donc de répondre à la troisième question que l’article 9 de la directive s’oppose à ce que le titulaire d’un brevet délivré antérieurement à l’adoption de cette directive invoque la protection absolue du produit breveté qui lui aurait été accordée par la législation nationale alors applicable.

Sur la quatrième question

70 Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 27 et 30 de l’accord ADPIC ont une incidence sur l’interprétation donnée de l’article 9 de la directive.

71 À cet égard, il convient de rappeler que les dispositions de l’accord ADPIC ne sont pas de nature à créer pour les particuliers des droits dont ceux-ci peuvent se prévaloir directement devant le juge en vertu du droit de l’Union (arrêt du 14 décembre 2000, Dior e.a., C-300/98 et C-392/98, Rec. p. I-11307, point 44).

72 S’il est constaté qu’une réglementation de l’Union existe dans le domaine concerné, le droit de l’Union s’applique, ce qui implique l’obligation, dans la mesure du possible, d’opérer une interprétation conforme à l’accord ADPIC, sans toutefois qu’un effet direct puisse être accordé à la disposition en cause de cet accord (arrêt du 11 septembre 2007, Merck Genéricos — Produtos Farmacêuticos, C-431/05, Rec. p. I-7001,

point 35).

73 En tant que la directive constitue une réglementation de l’Union dans le domaine des brevets, elle doit donc, dans la mesure du possible, faire l’objet d’une interprétation conforme.

74 À cet égard, force est de constater que l’interprétation donnée dans le présent arrêt de l’article 9 de la directive ne contrarie pas cette obligation.

75 En effet, l’article  9 de la directive régit l’étendue de la protection conférée par un brevet à son titulaire, alors que les articles 27 et 30 de l’accord ADPIC concernent, respectivement, la brevetabilité et les exceptions aux droits conférés par un brevet.

76 À supposer que la notion d’«exceptions aux droits conférés» puisse être considérée comme englobant non pas, seulement, des exclusions de droits, mais également des limitations de ceux-ci, il y aurait lieu de constater que l’interprétation de l’article 9 de la directive limitant la protection qu’il confère aux situations dans lesquelles le produit breveté exerce sa fonction n’apparaît pas de nature à porter atteinte de manière injustifiée à l’exploitation normale du brevet ni à causer un «préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du brevet, compte tenu des intérêts des tiers», au sens de l’article 30 de l’accord ADPIC.

77 Il convient donc de répondre à la quatrième question que les articles  27 et  30 de l’accord ADPIC n’ont pas d’incidence sur l’interprétation donnée de l’article 9 de la directive.

Sur les dépens

78 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

ARRÊT DU 6. 7. 2010 — AFFAIRE C-428/08

Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

1) L’article  9 de la directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 juillet 1998, relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques, doit être interprété en ce sens qu’il ne confère pas une protection des droits de brevet dans des circonstances telles que celles du litige au principal, lorsque le produit breveté est contenu dans de la farine de soja, où il n’exerce pas la fonction pour laquelle il est breveté, mais a exercé celle-ci antérieurement dans la plante de soja, dont cette farine est un produit de transformation, ou lorsqu’il pourrait éventuellement exercer à nouveau cette fonction, après avoir été extrait de la farine puis introduit dans une cellule d’un organisme vivant.

2) L’article 9 de la directive 98/44 procède à une harmonisation exhaustive de la protection qu’il confère, de sorte qu’il fait obstacle à ce qu’une législation nationale octroie une protection absolue du produit breveté en tant que tel, qu’il exerce ou non la fonction qui est la sienne dans la matière le contenant.

3) L’article 9 de la directive 98/44 s’oppose à ce que le titulaire d’un brevet délivré antérieurement à l’adoption de cette directive invoque la protection absolue du produit breveté qui lui aurait été accordée par la législation nationale alors applicable.

4) Les articles 27 et 30 de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, qui constitue l’annexe 1 C de l’accord

MONSANTO TECHNOLOGY

instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), signé à Marrakech le 15 avril 1994 et approuvé par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994), n’ont pas d’incidence sur l’interprétation donnée de l’article 9 de la directive 98/44.