CA Versailles, 12e ch., 25 janvier 2001
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Kronofrance (Sté)
Défendeur :
Polyrey (Sté)
FAITS ET PROCEDURE
La société POLYREY est spécialisée dans la production de panneaux stratifiés haut de gamme pour les meubles, l'agencement et la décoration.
A partir de 1985, elle a commercialisé sous la dénomination "Maryland" une gamme de panneaux stratifiés composée de trois modèles de panneaux stratifiés à décor gris moucheté. Ces modèles de panneaux ont fait l'objet, à l'Institut National de la Propriété Industrielle, le 27 novembre 1985, d'un dépôt enregistré sous le numéro 855592.
Au motif que des panneaux décoratifs constituant la copie servile des panneaux de la gamme "Maryland" étaient détenus, offerts à la vente et vendus par la société KRONOSPAN FRANCE, la société POLYREY l'a, par acte d'huissier en date du 18 décembre 1990, fait assigner devant le Tribunal de Commerce de CORBEIL- ESSONNES en contrefaçon, sur la base des dispositions de la loi du 14 juillet 1909 et de la loi du 11 mars 1957, ainsi qu'en dommages-intérêts pour actes de concurrence déloyale sur le fondement de l'article 1382 du code civil.
Par jugement en date du 20 juin 1991, cette juridiction s'est déclarée incompétente au profit du Tribunal de Grande Instance de MONTARGIS.
Par arrêt en date du 12 février 1992, la Cour d'Appel de PARIS, réformant le jugement entrepris, a dit que le Tribunal de Commerce de CORBEIL-ESSONNES était compétent pour connaître du litige, qu'il y avait lieu à évocation de l'affaire, et elle a renvoyé les parties à conclure au fond.
Suivant arrêt en date du 02 décembre 1993, la Cour d'Appel de PARIS a dit qu'en fabriquant, en important, en détenant, en offrant à la vente et/ou en vendant des panneaux avec des décors reproduisant les caractéristiques d'apparence extérieure des modèles déposés à l'I.N.P.I. par la société POLYREY, la société KRONOSPAN FRANCE s'est rendue coupable de contrefaçon au sens du Livre (loi du 11 mars 1957) et du Livre V (loi du 14 juillet 1909) du Code de la Propriété Intellectuelle.
La Cour a également condamné la société KRONOSPAN FRANCE à payer à la société POLYREY une provision sur dommages-intérêts d'un montant de 50.000 francs, et, avant-dire-droit, elle a nommé en qualité d'expert Monsieur Norbert P, afin que soit évalué le préjudice subi par la société POLYREY du fait de la commercialisation des panneaux contrefaisants.
La société KRONOSPAN FRANCE a formé un pourvoi en cassation à l'encontre de cet arrêt.
A la suite du dépôt par Monsieur P de son rapport d'expertise, le Conseiller de la Mise en Etat de la 4ème Chambre de la Cour d'Appel de PARIS a, à la requête de la société POLYREY, alloué à celle-ci une provision de 4.000.000 francs sur les dommages-intérêts réclamés par elle.
Par arrêt en date du 13 février 1996, la Cour de Cassation a cassé et annulé l'arrêt rendu le 02 décembre 1993 par la Cour d'Appel de PARIS, et elle a renvoyé les parties devant la Cour d'Appel de VERSAILLES.
La Cour de Cassation a énoncé qu'en relevant que les panneaux stratifiés commercialisés par la société KRONOSPAN FRANCE "sont la reproduction quasi-servile des modèles Maryland protégés ; que la contrefaçon est donc établie", l'arrêt attaqué n'a pas caractérisé les ressemblances constitutives de contrefaçon.
La société autrichienne M. K H est spécialisée dans l'achat et la revente des papiers décors. Elle achète ces décors notamment à la société EUROPEAN PRINTED PRODUCTS SA (ci-après E2P), et les revend notamment en France à la société KRONOFRANCE (anciennement dénommée KRONOSPAN FRANCE).
Le 19 janvier 1995, elle a passé commande de décors de type sable et de teintes grises sous ses références D 494 et D 495 à la société E2P, filiale allemande du Groupe ARJO VIGGINS. Par courrier en date du 06 février 1995, la société E2P lui a fait savoir qu'elle n'avait pas le droit, compte tenu des termes de l'arrêt de la Cour d'Appel de PARIS en date du 02 décembre 1993, de participer à la commercialisation de ces décors sur le marché français, et qu'elle ne pouvait donc accepter cette commande, sauf si la société KAINDL lui confirme que ces décors ne seront pas exportés en France.
Le 10 avril 1995, la société KAINDL HOLZINDUSTRIE a formé à l'encontre de l'arrêt du 02 décembre 1993 une tierce opposition, dont elle s'est désistée par acte du 06 septembre 1996.
Au motif que la société POLYREY avait agi de manière frauduleuse en prétendant devant la Cour d'Appel de PARIS être la créatrice des trois modèles de stratifiés gris mouchetés de la gamme "Maryland" déposés à l'I.N.P.I. le 27 novembre 1985, alors que ces modèles avaient, antérieurement à cette date, été créés par la société ARJOMARI, la société M. K H a, par acte d'huissier en date du 15 avril 1996, fait assigner devant le Tribunal de Commerce de VERSAILLES la société POLYREY en nullité du modèle déposé par celle-ci le 27 novembre 1985 sous le n° 855592. La société KRONOSPAN FRANCE est intervenue volontairement à l'instance le 21 octobre 1996.
Par jugement en date du 29 avril 1998, le Tribunal de Commerce de VERSAILLES a sursis à statuer dans l'instance engagée par la société KAINDL HOLZINDUSTRIE, jusqu'à ce que les Chambres Commerciales Réunies de la Cour d'Appel de VERSAILLES, désignée en tant que Cour de Renvoi, aient rendu leur arrêt dans le litige susvisé opposant la société POLYREY à la société KRONOSPAN.
Suivant arrêt en date du 25 juin 1998, les Chambres Commerciales Réunies de la Cour d'Appel de VERSAILLES ont sursis à statuer sur l'action en contrefaçon engagée par la société POLYREY à l'encontre de la société KRONOSPAN FRANCE, en raison de l'instance engagée devant le Tribunal de Commerce de VERSAILLES, et elles ont dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer sur l'action en concurrence déloyale de la société POLYREY à l'encontre de la société KRONOSPAN.
Par jugement en date du 10 mars 1999, le Tribunal de Commerce de VERSAILLES a :
- donné acte à la société KRONOSPAN de ce qu'elle est intervenue volontairement dans la présente instance ;
- dit les sociétés KAINDL HOLZINDUSTRIE et KRONOSPAN irrecevables en leurs demandes ;
- condamné les sociétés KAINDL HOLZINDUSTRIE et KRONOSPAN à payer chacune à la société POLYREY la somme de 10.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
- condamné les sociétés KAINDL HOLZINDUSTRIE et KRONOSPAN à prendre en charge chacune la moitié des dépens de l'instance.
Pour déclarer irrecevables leurs demandes, le Tribunal a énoncé que, même si les sociétés KAINDL et KRONOSPAN contestent la nouveauté du modèle déposé par la société POLYREY, il ne leur appartient pas de se substituer à la société ARJOMARI et d'ester en justice en ses lieu et place.
Il a également relevé que les sociétés requérantes sont dépourvues du droit à agir pour défaut de qualité, dès lors que c'est seulement dans le cadre d'une demande reconventionnelle, en réponse à une action en contrefaçon, qu'un dépôt de dessin ou modèle peut être déclaré nul.
La société KRONOFRANCE et la société M. K H ont interjeté appel de ce jugement.
En premier lieu sur la recevabilité, elles soutiennent que c'est à tort que le Tribunal de Commerce de VERSAILLES a jugé qu'elles sont dépourvues du droit à agir pour défaut de qualité, alors que, par suite de l'arrêt prononcé le 02 décembre 1993 par la Cour d'Appel de PARIS, ayant condamné KRONOSPAN FRANCE pour contrefaçon des modèles déposés par la société POLYREY, la société KRONOFRANCE se trouve dans l'impossibilité de fabriquer et de vendre en France le décor litigieux, lequel ne peut donc plus être distribué par la société KAINDL HOLZINDUSTRIE.
Elles font également observer qu'elles n'ont découvert qu'après le prononcé de cet arrêt que la société POLYREY avait trompé délibérément et de manière frauduleuse la Cour d'Appel de PARIS sur la titularité du modèle invoqué à l'appui de son action en contrefaçon dans la précédente procédure.
Elles soutiennent que la société KRONOSPAN FRANCE n'était donc pas en mesure, dans le cadre de cette première procédure, de solliciter reconventionnellement la nullité de ce modèle.
Elles demandent donc à la Cour de réformer en totalité le jugement entrepris, et, statuant à nouveau, de dire et juger la société KRONOFRANCE recevable en son intervention volontaire, et de déclarer la société M. K H recevable en sa demande de nullité du modèle déposé par la société POLYREY le 27 novembre 1985 sous le n° 855592 pour défaut de nouveauté.
En second lieu sur le fond, les sociétés appelantes font valoir que c'est par fraude que la société POLYREY, dont le fournisseur est la société ARJOMARI, s'est fait passer, dans la précédente procédure ayant abouti à l'arrêt du 02 décembre 1993 désormais intégralement cassé et annulé, pour le créateur et le titulaire du modèle portant sur un décor sable gris moucheté.
En effet, elles expliquent que la société KAINDL HOLZINDUSTRIE produit aux débats le classeur dans lequel ses préposés ont depuis 1979 enregistré de façon chronologique les échantillons d'origine proposés au fur et à mesure par les imprimeurs de décors, et qui démontre de manière indiscutable que la société Handelsgesschaft Für Spezialpapiere Mbh (ci-après H.S.), filiale du Groupe ARJOMARI, a présenté à la société KAINDL le 15 mars 1985 un modèle référencé ARJOMARI 51433 (référence K 3411) constitué par un décor moucheté sable gris foncé exactement identique au modèle de décor moucheté sable gris foncé revendiqué frauduleusement par la société POLYREY, laquelle a déposé seulement en novembre 1985 ce décor à titre de modèle.
Elles soutiennent qu'est donc établie l'existence en faveur de la société ARJOMARI d'une antériorité de toutes pièces à la date du 15 mars 1985 soit neuf mois avant le dépôt du modèle effectué par la société POLYREY, venant détruire la prétendue nouveauté et originalité du décor "Maryland" sable gris moucheté (modèle 4, 5 et 6) déposé à titre de modèle par la partie adverse le 27 novembre 1985 sous le numéro 855592.
Aussi elles demandent à la Cour de dire et juger nul ledit modèle déposé le 27 novembre 1985 par POLYREY, en tant que ce dépôt porte sur des modèles créés par ARJOMARI et dont la société intimée ne détient pas les droits d'exploitation artistique au sens des dispositions du Code de la Propriété Intellectuelle en l'absence de toute cession desdits droits d'exploitation entre ARJOMARI et POLYREY.
De plus, la société KAINDL HOLZINDUSTRIE sollicite la condamnation de la société POLYREY à lui payer la somme de 5.000.000 francs à titre de dommages-intérêts, en raison de la fraude commise par celle-ci et ayant abouti à l'arrêt prononcé le 02 décembre 1993, lequel fait grief à la société appelante puisqu'il l'a empêchée de distribuer en France le décor litigieux.
Pour sa part, la société KRONOFRANCE conclut à la condamnation à titre provisionnel de la société POLYREY, par suite de la fraude commise par celle-ci et ayant abouti à l'arrêt précité, lequel a empêché la société appelante de fabriquer et de vendre en France le décor litigieux, à lui payer la somme de 10.000.000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des gains manqués sur les ventes perdues de ces produits, et ce à dire d'expert et sauf à parfaire.
Par ailleurs, les sociétés appelantes demandent à la Cour d'ordonner la publication de la décision à intervenir dans vingt publications, à leur choix et aux frais avancés de la société intimée, sans que le coût de chaque insertion dépasse 10.000 francs.
Enfin, elles sollicitent la condamnation de la société POLYREY à leur payer à chacune la somme de 60.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, et à prendre en charge les entiers dépens de première instance et d'appel.
La société POLYREY conclut au caractère tardif de l'action engagée par la société KAINDL HOLZINDUSTRIE, au motif que, alors qu'il existe une totale communauté d'intérêts entre les sociétés KRONOSPAN FRANCE et KAINDL HOLZINDUSTRIE, et alors que leur direction est commune, il est permis de s'étonner que la société KAINDL n'ait pu découvrir au sein de ses propres services une antériorité de toutes pièces qu'en 1995, soit cinq années après qu'eut été délivrée l'assignation en contrefaçon dans le cadre de la précédente procédure.
Elle fait également observer que, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, la société KRONOSPAN FRANCE doit être déclarée irrecevable en son intervention, dans la mesure où elle ne peut justifier d'aucun intérêt légitime à intervenir dans le cadre de la présente instance, alors qu'elle est déjà partie à une procédure devant la Cour d'Appel de VERSAILLES, saisie après cassation, dans laquelle elle peut faire valoir ses moyens et formuler ses demandes.
Elle relève que c'est toutefois à juste titre que le Tribunal de Commerce de VERSAILLES a constaté qu'aucune disposition du Titre V du Code de la Propriété Intellectuelle relatif aux dessins et modèles ne permet de diligenter à titre principal une action judiciaire en nullité d'un dessin ou modèle déposé.
Elle soutient en outre que ni la société KAINDL HOLZINDUSTRIE ni la société KRONOFRANCE ne peuvent valablement invoquer les dispositions du Code de la Propriété Intellectuelle, dès lors qu'elles reconnaissent elles-mêmes n'être ni les créateurs ni les ayants droit des créateurs des modèles faisant l'objet du litige qui les oppose à la société intimée.
De plus, elle conteste le caractère probant du classeur d'échantillons versé aux débats par la société KAINDL HOLZINDUSTRIE, en tant que ces échantillons sont des documents internes à ladite société, lesquels, faute d'avoir date certaine, ne peuvent être considérés comme des antériorités à ce titre opposables aux modèles déposés à l'I.N.P.I. le 27 novembre 1985 par POLYREY.
Elle conclut également à l'absence de pertinence des prétendues antériorités invoquées par la société KAINDL HOLZINDUSTRIE, laquelle soutient que la société ARJOMARI serait le créateur des modèles déposés par la société intimée, sans toutefois justifier qu'elle aurait été autorisée par ARJOMARI à utiliser les décors dont elle se prévaut.
Par ailleurs, alléguant que la société KAINDL HOLZINDUSTRIE se présente comme un négociant en papiers décors alors qu'elle est un fabricant de stratifiés et de panneaux de particules mélaminés qui ne fournit pas de papiers décors à sa clientèle, la société POLYREY en déduit que la partie adverse ne justifie nullement de son droit de commercialiser des panneaux comportant lesdits décors qui seraient la propriété de la société ARJOMARI, et ne peut en conséquence prétendre à la réparation d'un préjudice dont la réalité et le montant ne sont donc pas démontrés.
Dans ces conditions, la société POLYREY sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a dit les sociétés K H et KRONOSPAN FRANCE (devenue KRONOFRANCE) irrecevables en leurs demandes.
Subsidiairement, elle conclut au débouté des sociétés appelantes de l'intégralité de leurs réclamations.
De plus, elle demande à la Cour de les condamner "in solidum" à lui verser la somme de 100.000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice qu'elles lui ont causé du fait des agissements procéduraux auxquels elles se sont livrées, outre la somme de 60.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, et à prendre en charge les entiers dépens de première instance et d'appel.
DECISION
I - SUR L'INTERET A AGIR DES SOCIETES M. K H ET KRONOFRANCE :
Considérant qu'aux termes de l'article 31 du nouveau code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention ;
Considérant qu'en l'occurrence la société M K H a intérêt à agir, dès lors qu'il est acquis aux débats qu'elle a le 19 janvier 1995 passé commande de décors sous ses références D 494 et D 495 à la société E2P, et que celle-ci a, par écrit en date du 06 février 1995, refusé d'honorer cette commande en invoquant l'impossibilité dans laquelle elle se trouve de participer à la commercialisation de ces décors sur le marché français à la suite de l'arrêt prononcé le 02 décembre 1993 ayant accueilli l'action en contrefaçon diligentée par la société POLYREY à l'encontre de la société KRONOSPAN FRANCE ;
Considérant que l'intérêt de la société KRONOSPAN (désormais KRONOFRANCE) à intervenir dans la présente procédure dont la société KAINDL HOLZINDUSTRIE a pris l'initiative à l'encontre de la société POLYREY est également démontré, dans la mesure où il est constant qu'elle est cliente de la société autrichienne KAINDL pour l'achat de ces décors qu'elle commercialise sur le territoire français ;
Considérant que si, à la différence de la société KAINDL HOLZINDUSTRIE, non attraite dans la procédure initiée par la société POLYREY, la société KRONOSPAN avait jusqu'alors toute latitude pour faire valoir ses moyens de défense en réplique à l'action en contrefaçon diligentée par la société POLYREY, rien ne s'opposait à ce qu'elle se joigne à l'action dont la société KAINDL, qui est son propre fournisseur des décors litigieux, a parallèlement pris l'initiative pour faire juger le défaut de nouveauté du modèle déposé le 27 novembre 1985 par la société intimée ;
Considérant que le moyen soulevé par la société POLYREY, tiré de l'irrecevabilité tant de l'action principale de la société KAINDL HOLZINDUSTRIE que de l'intervention volontaire de la société KRONOSPAN pour défaut d'intérêt à agir, doit donc être rejeté.
II - SUR LA QUALITE A AGIR DES SOCIETES M. K H ET KRONOFRANCE :
Considérant que, pour conclure à l'irrecevabilité de l'action diligentée par la société KAINDL HOLZINDUSTRIE et tendant à voir déclarer nul le modèle déposé le 27 novembre 1985 sous le numéro 855592, la société POLYREY soutient qu'à la différence de ce qui est admis en matière de brevets ou de marques, aucune disposition du Livre V du Code de la Propriété Intellectuelle n'envisage l'existence d'une action judiciaire en nullité d'un dessin ou modèle déposé, laquelle peut donc être demandée seulement comme moyen de défense à une action en contrefaçon, et non à titre principal ;
Mais considérant que, s'il est constant que les décisions prononçant la nullité d'un dessin ou modèle n'ont pas d'effet absolu, il doit toutefois être observé qu'aucune disposition légale ne fait obstacle à ce qu'une action soit engagée à titre principal pour faire juger que le modèle revendiqué ne revêt pas le caractère de nouveauté de nature à le rendre protégeable ;
Considérant que le droit de la société KAINDL HOLZINDUSTRIE à agir par voie principale apparaît en l'occurrence d'autant moins discutable que cette société, qui avait le 10 avril 1995 fait tierce opposition à l'arrêt rendu le 02 décembre 1993 dans la procédure introduite par la société POLYREY, s'est normalement désistée de cette voie de recours à la suite de l'arrêt de cassation intervenu le 13 avril 1996, et n'a donc jamais été partie à ladite procédure ayant donné lieu à l'arrêt de sursis à statuer prononcé le 25 juin 1998 par les Chambres Commerciales Réunies de la Cour d'Appel de VERSAILLES ;
Considérant qu'au demeurant, si, par application de l'article L 511-5 du Code de la Propriété Intellectuelle, l'action en contrefaçon de modèle, exercée sur le fondement du Livre V dudit Code, n'est ouverte qu'aux créateurs ayant régulièrement effectué le dépôt de leur modèle, toute personne qui justifie d'un intérêt est recevable à exercer une action en nullité d'un modèle déposé, notamment en invoquant l'absence du nouveauté du modèle ;
Or considérant qu'il a déjà été retenu que les sociétés KAINDL HOLZINDUSTRIE et KRONOFRANCE avaient intérêt à agir et à intervenir, dès lors que la Société KAINDL fait valoir que le modèle déposé par la société POLYREY, et dont elle conteste la nouveauté, l'empêche de distribuer les décors litigieux à la société KRONOFRANCE, laquelle en assure la commercialisation en FRANCE :
Considérant qu'il y a donc lieu d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a énoncé que la société KAINDL HOLZINDUSTRIE, demanderesse principale, et la société KRONOSPAN, intervenante volontaire, sont dépourvues du droit à agir pour défaut de qualité, et de déclarer recevables les demandes présentées devant la Cour tant par la société KAINDL que par la société KRONOFRANCE, anciennement dénommée KRONOSPAN FRANCE.
III - SUR LA CONTESTATION DE LA VALIDITE DU MODELE DEPOSE PAR LA SOCIETE POLYREY :
Considérant que, pour conclure à la nullité du modèle déposé le 27 novembre 1985 par la société POLYREY pour absence de nouveauté, les sociétés KAINDL HOLZINDUSTRIE et KRONOFRANCE font valoir que la société Handelsgesellschaft für Spezialpapiere Mbh (HS) a, le 15 mars 1985, présenté à la société KAINDL un modèle référencé ARJOMARI 51433 (référence K 3411) constitué par un décor moucheté sable gris foncé exactement identique au modèle de décor moucheté sable gris foncé revendiqué frauduleusement par la société intimée ;
Considérant qu'au soutien de leur prétention, elles produisent aux débats des extraits d'un classeur comportant des enregistrements d'échantillons réalisés par des préposés de la société KAINDL, ainsi que le contenu d'une déclaration écrite faite sous serment devant notaire par Monsieur B, employé de cette société chargé de procéder à ces enregistrements au fur et à mesure de la présentation des échantillons par les imprimeurs de décors ;
Considérant qu'elles en déduisent que le modèle de POLYREY déposé en novembre 1985 est totalement antériorisé par ce décor sable moucheté gris foncé en réalité créé par la société ARJOMARI, fournisseur des sociétés appelantes, et que la société intimée a tenté de capter cette création en revendiquant un monopole de propriété artistique et industrielle de façon frauduleuse afin d'obtenir la condamnation de l'un de ses concurrents, la société KRONOFRANCE, pour contrefaçon ;
Mais considérant qu'en application de l'article L 511-2 du Code de la Propriété Intellectuelle, la propriété d'un modèle appartient à celui qui l'a créé ou à ses ayants droit, le premier déposant étant présumé jusqu'à preuve contraire en être le créateur ;
Considérant que c'est donc à la partie qui invoque l'absence de nouveauté du modèle déposé de rapporter la preuve d'une antériorité, laquelle doit être certaine quant à son contenu et à sa date ;
Or considérant qu'il doit être observé que l'échantillon portant la référence n° 3411 figure dans un classeur de la société KAINDL, constitué par des feuilles dont il n'est pas contesté qu'elles sont interchangeables, de sorte que ce classeur ne vaut pas preuve que l'enregistrement de cet échantillon a bien été effectué à la date du 15 mars 1985 ;
Considérant que le fait que deux salariés de la société KAINDL HOLZINDUSTRIE aient, dans une déclaration écrite en date du 24 février 1995, soit dix ans après le prétendu enregistrement, certifié l'exactitude de la date figurant sur cet échantillon, ne peut suffire à conférer une valeur probante aux mentions apposées sur ce document interne à ladite société ;
Considérant qu'à cet égard, si ces deux déclarations sont accompagnées d'une attestation d'un notaire certifiant l'authenticité de la signature de leurs auteurs ainsi que la conformité des photocopies produites aux débats avec les pièces originales du classeur de la société KAINDL, ces éléments d'authentification ne peuvent toutefois utilement renseigner sur la date à laquelle cet enregistrement a été réalisé et inséré dans le classeur d'échantillons ;
Considérant qu'au demeurant, alors que la société POLYREY a, dès le mois de décembre 1990, pris l'initiative d'une action en contrefaçon à l'encontre de la société KRONOSPAN FRANCE, il est permis de s'étonner que, nonobstant l'existence d'une communauté d'intérêts entre les sociétés KRONOSPAN FRANCE et KAINDL HOLZINDUSTRIE, celle-ci ait attendu l'année 1995, époque à laquelle elle a formé tierce opposition à l'arrêt du 02 décembre 1993, pour invoquer pour la première fois une antériorité de toutes pièces aux modèles déposées le 27 novembre 1985 par la société intimée ;
Considérant qu'il s'ensuit que les documents produits aux débats par les sociétés appelantes ne suffisent pas à conférer date certaine au modèle ARJOMARI invoqué par elles à titre d'antériorité, de nature à rendre cette prétendue création opposable aux modèles déposés le 27 novembre 1985 par la société POLYREY ;
Considérant qu'au surplus, à défaut de pouvoir invoquer à bon droit une antériorité dûment établie et incontestable, les sociétés KAINDL et KRONOFRANCE ne démontrent nullement que la société intimée se serait, en fraude des droits des sociétés appelantes, abusivement fait passer pour le créateur et le titulaire d'un modèle sur lequel elle ne détenait aucun droit d'exploitation ;
Considérant qu'il y a donc lieu de débouter les sociétés KAINDL HOLZINDUSTRIE et KRONOFRANCE de leur prétention tendant à voir dire et juger nul le modèle déposé par la société POLYREY le 27 novembre 1985 sous le numéro 855592, ainsi que de leurs demandes en paiement de dommages-intérêts pour préjudice commercial et aux fins de publication de la présente décision dans un certain nombre de publications.
IV - SUR LES DEMANDES ANNEXES :
Considérant qu'en l'absence de preuve que l'action dont la société KAINDL HOLZINDUSTRIE a pris l'initiative procède d'un abus du droit d'ester en justice et qu'elle a généré pour la société POLYREY un préjudice de nature à ouvrir droit à réparation, il convient de débouter celle-ci de sa demande de dommages-intérêts ;
Considérant que l'équité commande d'allouer à la société POLYREY, sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, une indemnité globale de 30.000 francs, en remboursement des frais non compris dans les dépens exposés par elle tant en première instance qu'en appel ;
Considérant qu'il n'est toutefois pas inéquitable que les sociétés appelantes conservent la charge des frais non compris dans les dépens qu'elles ont engagés dans le cadre de la présente procédure ;
Considérant que les sociétés KAINDL HOLZINDUSTRIE et KRONOFRANCE doivent être condamnées aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
- Infirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes des sociétés K H et KRONOSPAN FRANCE ;
Statuant à nouveau :
- Déclare recevables mais mal fondées l'action principale de la société KAINDL HOLZINDUSTRIE et l'intervention volontaire de la société KRONOSPAN FRANCE ;
- Déboute les sociétés M. K H et KRONOFRANCE de l'ensemble de leurs demandes ;
- Condamne "in solidum" les sociétés M. K H et KRONOFRANCE à payer à la société POLYREY, sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, une indemnité globale de 30.000 francs, en remboursement des frais non compris dans les dépens exposés par la société intimée tant en première instance qu'en appel ;
- Déboute la société POLYREY de sa demande de dommages-intérêts ;
- Condamne "in solidum" les sociétés M. K H et KRONOFRANCE aux entiers dépens de première instance et d'appel, et autorise la SCP DEBRAY-CHEMIN, société d'Avoués, à recouvrer directement la part la concernant, conformément à ce qui est prescrit par l'article 699 du nouveau code de procédure civile.