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Décisions

Cass. com., 25 janvier 2000, n° 98-21.280

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Clarins (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dumas

Rapporteur :

M. Dumas

Avocat général :

M. Jobard

Avocats :

SCP Thomas-Raquin et Benabent, Me Blondel

Paris, 4e ch. civ. A, du 7 oct. 1998

7 octobre 1998

Sur le moyen unique pris en ses trois branches :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 octobre 1998), que la société Mary X, spécialisée dans la fabrication de produits de beauté, est propriétaire de la marque complexe déposée à l'INPI, le 21 janvier 1994, sous le numéro 94/502666 pour désigner en classe 3 des produits et services tels que les produits cosmétiques, savons ou produits de parfumerie ; que cette marque est caractérisée par une forme géométrique carrée, subdivisée par un quadrillage en 9 carrés de surface identique dont l'un d'entre eux, situé en bas à droite est de couleur foncée, les 8 autres étant de couleur blanche ; que, sur les 6 carrés supérieurs, est portée en surimposition la dénomination Mary X ; qu'ayant constaté que la société Clarins, qui diffuse également des produits de beauté, avait entrepris une campagne publicitaire en utilisant des prospectus similaires aux siens, elle l'a assignée, au mois de décembre 1994, devant le tribunal de grande instance en contrefaçon et en concurrence déloyale en sollicitant l'octroi de dommages-intérêts et pour qu'il lui soit interdit de poursuivre ses agissements ; que la société Clarins, se prévalant de droits d'auteur antérieurs sur la marque qui lui était opposée, a conclu reconventionnellement à sa nullité et à la condamnation de la société Mary X en dommages-intérêts pour contrefaçon et concurrence déloyale ;

Attendu que la société Clarins fait grief à l' arrêt d'avoir rejeté ses demandes et de l'avoir condamnée au paiement de la somme de 500 000 francs à titre de dommages-intérêts, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'elle faisait valoir qu'ainsi que les premiers juges l'avaient retenu, sa création était protégée en France au titre du droit d'auteur en vertu de la convention de Berne ; qu'elle poursuivait, au titre de la contrefaçon de cette création, non seulement le dépôt de la marque semi-figurative effectué par la société Mary X en 1994, mais aussi l'utilisation par cette société de publicités distinctes de sa marque, constituées de "visuels" photographiques composés d'un visage féminin et, en surimpression, d'un quadrillage de neuf carrés ; que la cour d'appel ne pouvait, après avoir écarté la contrefaçon du chef de la marque en raison des différences présentées par celle-ci, énoncer qu'il n'était, dès lors, pas "besoin de rechercher si la création de 1988 est protégée par le droit d'auteur" (p. 10, avant-dernier alinéa), puis retenir au bénéfice de la société Mary X un droit à protection par la concurrence déloyale du "principe du visuel photographique représentant un visage de femme ou un produit sur lequel est apposé en surimpression un quadrillage" utilisé par elle en France "depuis 1992" (p. 14, alinéa 3), sans priver sa décision de base légale au regard des articles L. 122-2-8 du Code de la propriété intellectuelle et 5 de la convention de Berne ; alors que, d'autre part, même lorsqu'une création publicitaire ne bénéficie pas d'une protection au titre du droit d'auteur, sa reproduction ou son imitation par un concurrent constitue un acte de concurrence déloyale ; qu'il importe peu que la création publicitaire ait été divulguée en France ou à l'étranger, en particulier dans un autre Etat de l'Union européenne, dès lors que l'imitation est faite en France au préjudice d'une entreprise en situation de concurrence sur le marché français ; qu'en refusant de prendre en considération les publicités réalisées dès 1988 par elle pour le motif qu'elles n'avaient été "diffusées qu'en Belgique et au Lusembourg", la cour d'appel a violé ensemble les articles 1382 du Code civil et 8 A du traité de Rome ; alors qu'enfin, en déclarant la société Clarins coupable de concurrence déloyale pour avoir, "à partir de septembre 1993, eu recours à ce procédé (visuel photographique représentant un visage de femme ou un produit sur lequel est apposé en surimpression un quadrillage), lequel était, en revanche, utilisé en France par la société Mary X depuis 1992" et avoir ainsi voulu "profiter à moindres frais des recherches et études effectuées par la société Mary X pour mettre au point une nouvelle charte graphique", cependant qu'elle constatait elle-même que, dès 1988, elle avait diffusé dans des pays limitrophes des publicités identiques, ce dont il découlait qu'elle n'avait pas eu à imiter la publicité de la société Mary X ni à "profiter des recherches et études effectuées" par cette dernière, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, que la cour d' appel, après avoir rappelé qu'un droit d'auteur antérieur n'est opposable à une marque déposée postérieurement qu'à la condition qu'il reproduise les mêmes éléments caractéristiques, a vérifié s' il existait des différences entre les éléments graphiques constituant la marque déposée Mary X et les différentes publicités faites par la société Clarins en 1988 et dont elle se prévalait ; qu'elle a constaté que la marque Mary X est caractérisée par une forme géométrique carrée, subdivisée en un quadrillage de 9 carrés de surface identique dont l'un, situé en bas à droite, est de couleur foncée alors que les 8 autres sont de couleur blanche, étant précisé que les lignes matérialisant le quadrillage sont également de couleur foncée, la marque ayant été déposée sans revendication de couleur et la dénomination Mary Y étant inscrite en lettres majuscules de couleur foncée sur deux lignes en surimpression sur les six carrés supérieurs dont elle occupe presque toute la surface ; qu' aucun produit n'est représenté ; qu'en ce qui concerne la société Clarins, la cour d'appel a relevé que les publicités faites en 1988 par cette société, si elles s'inscrivaient dans un carré découpé en neuf carrés d'égale surface, celles-ci étaient de conception très différente, puisqu'elles représentaient des photographies de visages féminins ou un corps de femme, le produit Clarins se trouvant dans un petit carré et "la marque Clarins étant inscrite en petits caractères dans le carré placé en haut à droite avec la mention : la beauté c'est sérieux" ; qu'ayant constaté que le seul élément commun à la marque déposée et aux publicités litigieuses était la matérialisation d'un quadrillage, ce qui était insuffisant pour lui conférer le caractère "d'une oeuvre de l'esprit", la cour d'appel a pu estimer, en l' état des différences qu'elle avait relevées, qu'il n'y avait pas lieu de rechercher si les créations publicitaires de la société Clarins en 1988 pouvaient bénéficier d'un droit d'auteur opposable au droit sur la marque dont la société Mary X était titulaire ;

Attendu, en second lieu, qu'examinant les griefs de concurrence déloyale dont chacune des parties faisait état à l'égard de l'autre, la cour d'appel a recherché quelle était la société qui avait la première, pour promouvoir ses produits de beauté, utilisé des concepts publicitaires combinant un quadrillage et un carreau de couleur ; qu'elle a constaté que si la société Clarins avait eu recours, en 1988, à des publicités avec visuel photographique en noir et blanc sur lequel était imprimé un quadrillage, celles-ci ne comportaient aucun carré de couleur ; qu'il en était de même pour la société Mary X, qui avait eu recours, de 1988 à 1992, "soit à des visuels photographiques sur lesquels était surimprimé un quadrillage, soit encore à un quadrillage associé à des photographies", l'utilisation par elle d' un carré de couleur rose en bas et à droite n'étant apparu qu'en 1992 ; qu'ayant relevé que ce n'est qu'à partir de septembre 1993, soit après la société Mary X, que la société Clarins avait adopté, pour sa publicité et ses promotions en France, un quadrillage formant des rectangles avec un carreau de couleur rouge dont les bords débordent sur les carreaux adjacents, et, abstraction faite d'un motif erroné mais surabondant justement critiqué par le moyen selon lequel les publicités diffusées par la société Clarins n'avaient été diffusées qu'en Belgique et au Luxembourg, la cour d'appel, qui n'a pas méconnu ses propres constatations, n'encourt pas les griefs des deux dernières branches du moyen ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.