CA Grenoble, 1re ch. civ., 15 mars 2022, n° 20/01528
GRENOBLE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Boschi Immobilier (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Combes
Conseillers :
Mme Blatry, M. Grava
Avocats :
Me Grimaud, Me Moreau, Me Mihajlovic
EXPOSE DU LITIGE
Après avoir été liées par un contrat de travail à durée déterminée de six mois du 30 mars au 30 septembre 2015, X et la société Boschi Immobilier ont conclu le 29 septembre 2015 un contrat d'agent commercial à compter du 1er octobre 2015, en vertu duquel il était attribué à X le secteur géographique de la Drôme provençale et du Haut-Vaucluse pour la commercialisation des biens de prestige.
La société Boschi Immobilier a résilié le contrat par lettre recommandée du 11 septembre 2017.
Par acte du 28 septembre 2018, X a assigné la société Boschi Immobilier devant le tribunal de grande instance de Valence - devenu tribunal judiciaire - aux fins de nullité de la clause de non-concurrence et de paiement de dommages intérêts.
Par jugement du 23 avril 2020, le tribunal a constaté la nullité de l'article 11 du contrat d'agent commercial du 29 septembre 2015, débouté la société Boschi Immobilier de toutes ses demandes et condamné cette société à payer à X la somme de 70 125 euros à titre d'indemnité de rupture ainsi que 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Le tribunal a ordonné l'exécution provisoire.
La société Boschi Immobilier a relevé appel le 5 mai 2020.
Dans ses dernières conclusions du 16 septembre 2021, elle demande à la cour d'infirmer le jugement et de débouter X de l'intégralité de ses demandes.
Elle sollicite subsidiairement la fixation de l'indemnité de rupture à la somme de 5 471,30 euros.
Faisant appel incident, elle sollicite la condamnation de X à lui payer la somme de 15 000 euros en réparation de la violation de la clause de non-concurrence et des actes de détournement de clientèle.
Elle sollicite également la fixation d'une astreinte en cas de prise de contact de X avec ses clients et réclame 7.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir au soutien de son appel (1) que X a commis dans l'exécution de son mandat des fautes graves justifiant l'absence de versement de l'indemnité de cessation de contrat et (2) qu'elle a violé la clause de non-concurrence.
Sur l'inexécution du mandat, elle soutient que X ne s'est pas révélée active dans la recherche de nouveaux clients, limitant son action au suivi des biens entrés par d'autres agents et qu'elle a manqué à toutes les obligations lui incombant dans l'atteinte des objectifs, la prospection de biens de prestige, la signature de mandats de vente et la vente de biens de prestige. Ainsi :
En deux ans elle n'a été à l'origine que de quatre opérations, les autres opérations auxquelles
Elle a participé concernant des biens apportés par d'autres agents,
En deux ans, elle n'a intégré que sept mandats de prestige et n'a pu atteindre son objectif annuel de 150 000 euros d'honoraires.
Si la cour considérait que X est en droit d'être indemnisée, elle demande qu'il soit tenu compte des circonstances particulières tenant au faible nombre de ventes réalisées, à la courte durée d'exécution du contrat et à la particularité du secteur immobilier.
Sur la violation de la clause de non-concurrence, elle fait valoir l'argumentation suivante :
la clause de non-concurrence est parfaitement valable, le territoire d'exécution du mandat étant identique à celui des agences, à l'expiration de son contrat, X a travaillé à Vaison la Romaine dans une agence située à 140 mètres de son agence et elle a légitimement refusé de lever la clause,
X s'est livrée à du détournement de clientèle en contactant ses clients.
Dans ses dernières conclusions du 28 juin 2021, X conclut à la confirmation du jugement sur les sommes allouées et demande à la cour de dire irrecevable et non fondée la demande reconventionnelle de la société Boschi Immobilier.
Elle réclame 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur la clause de non-concurrence, elle fait valoir en réplique l'argumentation suivante :
- la clause de non-concurrence est nulle en ce qu'elle n'est pas limitée au secteur géographique de X et aux biens de prestige mais couvre toute l'activité de la société Boschi Immobilier.
- de surcroît, elle est en contradiction avec l'article 13 du contrat, ce qui la rend sans objet,
- enfin, la société Boschi Immobilier a manifesté son accord pour la lever.
Sur la rupture du contrat d'agent commercial, elle rappelle les dispositions d'ordre public de l'article L. 134-11 du code de commerce auquel il ne peut être dérogé en dehors des trois exceptions qu'il vise.
Elle soutient qu'en l'espèce, la rupture du contrat n'a nullement été provoquée par sa faute grave et observe que la société Boschi Immobilier n'avait jamais formulé aucune plainte.
Elle ajoute que c'est par mauvaise foi qu'elle tente de la dénigrer et discute subsidiairement les griefs qui lui sont faits.
Elle s'oppose à toute diminution de l'indemnité qui doit prendre en considération les conséquences qu'elle subit du fait de la rupture, le préjudice s'appréciant par rapport à l'avenir
L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 janvier 2022.
DISCUSSION
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.
1 - Sur l'indemnité compensatrice
L'article L. 134-12 du code de commerce pose le principe qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.
L'article L. 134-13, énumère les trois seuls cas dans lesquels la réparation n'est pas due, le premier cas étant lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial.
Le 11 septembre 2017, la société Boschi Immobilier a adressé à X une lettre recommandée rédigée en ces termes :
« Madame, suite à notre entretien de ce jour, je vous confirme, par la présente, ma décision de mettre fin au contrat d'agent commercial que nous avions signé le 29 septembre 2015.
Conformément à l'article 9 de ce contrat, le préavis sera de deux mois. Le contrat prendra donc fin au plus tard le 11 novembre 2017.
Je vous remercie de me restituer les clés des agences de Grignan et de Nyons, ainsi que tout le matériel qui a été mis à votre disposition par l'agence, dont notamment l'ordinateur portable, l'appareil photo, le laser. Je vous prie d'agréer (...) »
Cette lettre de résiliation ne mentionne aucun motif et ce n'est que dans le cadre de la procédure engagée par X que la société Boschi Immobilier a fait valoir pour la première fois qu'elle n'avait pas exécuté les termes du mandat qui lui était confié, ce qui l'autorisait à se prévaloir de la faute grave.
Selon la jurisprudence, la faute grave s'entend d'un manquement caractérisé à une obligation essentielle du contrat rendant impossible la poursuite des relations contractuelles.
Or en deux années de relations contractuelles sous le statut d'agent commercial, faisant suite à six mois dans le cadre de l'exécution d'un contrat de travail, la société Boschi Immobilier n'a jamais invoqué un quelconque manquement de X à ses obligations, une insuffisance de travail ou de prospection.
Ainsi que l'a relevé le premier juge, le courrier de résiliation fait immédiatement suite à un courrier de X en date du 5 septembre 2017 dans lequel elle sollicitait une collaboration "plus équitable".
Le moyen tiré de la faute grave est donc articulé pour les seuls besoins de la cause, observation étant faite que X ne bénéficiait pas de l'exclusivité sur son secteur, la société Boschi Immobilier pouvant agir sur ce secteur par l'intermédiaire de son personnel salarié.
En toute hypothèse et sans qu'il soit nécessaire de suivre la société Boschi Immobilier dans le détail de son argumentation, le seul fait qu'elle ait accordé à X un préavis de deux mois qui a été exécuté, lui interdit de soutenir que la faute grave rendait impossible la poursuite des relations contractuelles.
C'est par une motivation pertinente que la cour adopte que le premier juge a considéré que la rupture du contrat n'était pas fondée sur une faute grave et que X pouvait prétendre au paiement de l'indemnité prévue par l'article L. 134-12 du code de commerce.
Le montant de cette indemnité qui répare le préjudice résultant de la rupture du contrat doit être apprécié in concreto.
La société Boschi Immobilier soutient que si l'indemnisation prend généralement en compte les commissions perçues sur une période de deux ans, il ne s'agit que d'un usage qui ne s'impose pas au juge, lequel conserve son pouvoir souverain d'appréciation.
La société Boschi Immobilier ne conteste pas la perception par X de la somme de 93 500 euros à titre de commissions sur la période contractuelle, même si elle affirme sans le démontrer que 75 % de ces commissions provenaient des efforts de prospection de ses autres agents.
S'il convient de tenir compte de la brutalité et de l'absence de justification de la rupture, il convient également de tenir compte dans l'appréciation du montant de l'indemnité de la durée de la relation contractuelle qui est de deux années.
Dans ces conditions, évaluer le montant de l'indemnité à 24 mois de commissions est excessif.
Sur la base de 15 mois de commissions, la société Boschi Immobilier sera condamnée à payer à X une indemnité de rupture de 44 000 euros, le jugement étant infirmé sur ce point.
2 - Sur la clause de non-concurrence
L'article L. 134-14 du code de commerce dispose :
« Le contrat peut contenir une clause de non-concurrence après la cessation du contrat.
Cette clause doit être établie par écrit et concerner le secteur géographique et, le cas échéant, le groupe de personnes confiés à l'agent commercial ainsi que le type de biens ou de services pour lesquels il exerce la représentation aux termes du contrat.
La clause de non-concurrence n'est valable que pour une période maximale de deux ans après la cessation d'un contrat. »
Aux termes du contrat d'agent commercial, X devait exercer son activité sur le secteur de la Drôme Provençale et du Haut-Vaucluse pour les biens de prestige, c'est-à-dire ceux dont la valeur estimée à la vente est supérieure ou égale à 700 000 euros.
Or dans la clause de non-concurrence stipulée à l'article 11 du contrat d'agent commercial, il est interdit à X de signer une convention ou un contrat d'agent ou de s'intéresser directement ou indirectement à toute entreprise ou société ayant une activité d'agent immobilier sur le secteur géographique de la Drôme Provençale et du Haut-Vaucluse, ainsi que sur tous les secteurs d'activité des agences Boschi Immobilier.
Cette clause n'est manifestement pas limitée au type de biens correspondant à la mission de X (les biens de prestige évalués à 700 000 euros minimum), mais concerne tous les secteurs d'activité de la société Boschi Immobilier, ce qui constitue une atteinte excessive à la liberté du travail et du commerce.
C'est à bon droit que le premier juge a retenu que la clause n'était pas nécessaire à la protection des intérêts du mandant et qu'il a conclu à sa nullité, ce qui interdit à la société Boschi Immobilier de se prévaloir de sa violation.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Boschi Immobilier de ses demandes.
Il sera alloué à X contrainte de se défendre devant la cour la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement
Confirme le jugement déféré sauf en ses dispositions relatives au montant de l'indemnité de rupture.
L'infirmant de ce seul chef et statuant à nouveau, condamne la société Boschi Immobilier à payer à X la somme de 44 000 euros au titre de l'indemnité compensatrice, outre intérêts au taux légal à compter du 28 septembre 2018, date de l'assignation.
Y ajoutant, condamne la société Boschi Immobilier à payer à X la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.
Condamne la société Boschi Immobilier aux dépens d'appel.