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Décisions

Cass. 1re civ., 6 janvier 2021, n° 19-20.758

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Batut

Rapporteur :

M. Girardet

Avocat général :

M. Chaumont

Avocats :

SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia

Paris, du 4 juin 2019

4 juin 2019

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 juin 2019), M. O..., architecte d'intérieur, auteur de diverses oeuvres parmi lesquelles une lampe, un canapé et une méridienne dénommés respectivement "Lanterne", " Augustin " et " Nobilé " et Mme A..., auteur d'une suspension dénommée "Poutre", ont cédé leurs droits patrimoniaux sur ces oeuvres à la société P... O....

2. Ayant découvert que la société [...] offrait à la vente une lampe, un canapé, une méridienne et une suspension qui reprenaient, selon eux, l'essentiel des caractéristiques de leurs créations, M. O..., Mme A... et la société P... O... l'ont assignée en contrefaçon de droits d'auteur et concurrence déloyale. La société [...] a présenté une demande reconventionnelle en contrefaçon et concurrence déloyale contre M. O... et la société P... O... au titre d'une méridienne dénommée « Néo ».

3. Les demandes des parties ont été rejetées.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal et sur les deux moyens du pourvoi incident, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens
qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche


Enoncé du moyen

5. M. O..., Mme A... et la société P... O... font grief à l'arrêt de dire que le canapé « Augustin » ne bénéficie pas d'une protection au titre du droit d'auteur, alors « que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en relevant que l'antériorité du fauteuil de M... C... par rapport au canapé « W... » n'était pas contestée quand, aux termes de leurs dernières conclusions d'appel signifiées le 1er mars 2018, les demandeurs faisaient valoir que la référence faite à ce fauteuil n'était pas pertinente dans la mesure où « aucune pièce ne vient [...] dater ni indiquer l'origine, de manière certaine, de ce fauteuil », la cour d'appel a dénaturé ces conclusions en violation du principe susvisé. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

6. Pour dire que le canapé "Augustin" n'est pas éligible à la protection conférée par le droit d'auteur, l'arrêt retient notamment que l'antériorité du fauteuil de M... C... par rapport au canapé W..., opposé par l'intimée, n'est pas contestée.

7. En statuant ainsi, alors que M. O... et la société P... O... contestaient dans leurs conclusions la pertinence du fauteuil de M... C... opposé à titre d'antériorité, au motif qu'aucune pièce ne venait dater ni indiquer son origine, de manière certaine, la cour d'appel a dénaturé ces conclusions en violation du principe susvisé.

Et sur le troisième moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

8. M. O..., Mme A... et la société P... O... font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes relatives à la contrefaçon de la suspension dénommée "Poutre", alors, « que la contrefaçon de droit d'auteur est constituée par la reprise des caractéristiques dont l'oeuvre première tire son originalité et s'apprécie par les ressemblances et non par les différences ; qu'en retenant en l'espèce, pour écarter la contrefaçon de la suspension « Poutre », que ses caractéristiques spécifiques n'étaient pas reprises dans la suspension incriminée qui présente « une impression d'ensemble nettement distincte » et en relevant, pour en justifier, certaines différences existant entre les deux suspensions sans avoir préalablement défini les caractéristiques dont la suspension « Poutre » tire son originalité, ni précisé qu'elle faisait sienne la définition qu'en donnait les demandeurs devant elle, et en relevant certaines différences existant entre les deux suspensions portant sur des caractéristiques non revendiquées par les demandeurs, telles que la dimension de la suspension, le diamètre des montants, le placement de ceux-ci, le caractère exclusif d'un éclairage vers le bas, la couleur de la suspension et l'emploi du bronze ou d'un métal sombre tout en constatant entre que « les deux suspensions présentent un élément horizontal dont la partie inférieure est ouverte vers le bas, que cet élément est suspendu au plafond par deux éléments verticaux présentant en leur partie basse une forme pentagonale formant un étrier à l'intérieur desquels passe l'élément horizontal », la cour d'appel a statué par des motifs ne justifiant pas qu'elle a apprécié la contrefaçon au regard de la reprise ou de l'absence de reprise des caractéristiques déterminant l'originalité de la suspension « Poutre » en s'attachant aux ressemblances et non aux différences et a par là même privé sa décision de base légale au regard des articles L. 122-4 et L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 122-4 et L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle :

9. La contrefaçon de droit d'auteur est constituée par la reprise des caractéristiques qui fondent l'originalité de l'oeuvre et s'apprécie par les ressemblances que présente avec celle-ci l'oeuvre arguée de contrefaçon et non par leurs différences.

10. Pour rejeter les demandes relatives à la contrefaçon de la suspension dénommée "Poutre", l'arrêt retient que ses caractéristiques ne sont pas reprises dans la suspension incriminée qui présente « une impression d'ensemble nettement distincte » et relève, pour en justifier, certaines différences existant entre les deux suspensions.

11. En se déterminant ainsi, sans avoir, au préalable, défini les caractéristiques dont la suspension « Poutre » tirait son originalité et en relevant des différences existant entre les deux suspensions, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le canapé "Augustin" ne bénéficie pas de la protection du droit d'auteur et rejette les demandes formées au titre de la contrefaçon de la suspension "Poutre", l'arrêt rendu le 4 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.