Cass. com., 9 juin 2015, n° 14-15.379
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Ortscheidt
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 février 2014), que la société 6ème Sens PL est titulaire de deux modèles déposés l'un, le 31 août 2001 sous le n° 01 3494 par M. X... représentant une Tour Eiffel « sculptée à l'intérieur d'un bloc de cristal ou de verre » et l'autre, le 14 juin 2007 sous le n° 072802 représentant une Tour Eiffel « en strass couleur diamant, rubis ou saphir en métal doré ou argenté » ; que reprochant à la société Aker la commercialisation de modèles contrefaisants, la société 6ème Sens PL l'a assignée en contrefaçon ; que M. X... est intervenu à l'instance ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société 6ème Sens PL et M. X... font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes et de déclarer nul le modèle enregistré sous le n° 07 2802 alors, selon le moyen :
1°) qu'un modèle peut être protégé s'il est nouveau et présente un caractère propre, ce qui suppose qu'il suscite chez un observateur averti une impression visuelle d'ensemble différente de celle produite par tout modèle divulgué antérieurement ; que la différence entre des finitions grossières et des finitions soignées est de nature à susciter une impression d'ensemble différente chez un observateur averti, doté d'une vigilance particulière ; qu'en prononçant la nullité du dépôt du modèle numéro 07 2802, motif pris que « les quelques différences indiquées par la société 6ème Sens PL sur les antériorités comme : strass collés, finitions grossières, Tour Eiffel représentée de façon réaliste, ne sont pas de nature à effacer la même impression d'ensemble qui s'en dégage », la cour d'appel a violé, ensemble, les articles L. 511-1, L. 511-2, L. 511-3 et L. 511-4 du code de la propriété intellectuelle ;
2°) qu'un modèle peut être protégé même s'il reproduit un objet du domaine public, dès lors que la disposition ou la présentation qui en est faite dénote une création et porte l'empreinte de son auteur ; que tel est le cas de la reproduction qui modifie les proportions de l'objet original et qui emploie des matières nouvelles de façon à créer des effets décoratifs propres ; qu'en prononçant la nullité du dépôt du modèle numéro 07 2802, motif pris « qu'au jour de son dépôt ce modèle ne revêtait pas de caractère propre », alors que ce modèle reproduisant la Tour Eiffel reposait sur l'utilisation de métaux sablés à l'or fin permettant d'apporter une brillance nouvelle et originale par rapport à l'aspect grossier des modèles préexistants, fabriqués en métal brut de couleur cuivrée ou argentée, la cour d'appel a violé, ensemble, les articles L. 511-1, L. 511-2, L. 511-3 et L. 511-4 du code de la propriété intellectuelle ;
3°) que pour être protégé, un modèle doit être nouveau et présenter un caractère propre ; qu'en retenant, pour prononcer la nullité du dépôt du modèle numéro 07 2802, que « la comparaison doit en effet se faire entre le modèle tel que déposé et les modèles opposés et non le modèle de la société 6ème Sens PL tel qu'usiné selon son toucher et sa qualité », alors même que la société 6ème Sens PL effectuait une comparaison entre le modèle déposé et les modèles opposés, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à justifier sa décision, en violation des articles L. 511-1, L. 511-2, L. 511-3 et L. 511-4 du code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, l'existence de nombreuses caractéristiques communes avec les modèles antérieurs telles qu'une « représentation schématique de la Tour Eiffel en métal, doré ou argenté, avec l'apposition de strass blanc ou de couleur, sur les arêtes ou sur toutes les faces de l'édifice », l'arrêt retient que les différences mises en évidence par la société 6ème Sens PL, tenant aux strass collés sans régularité, aux finitions grossières et à la représentation réaliste et figurative de la Tour Eiffel ne sont pas de nature à effacer chez un observateur averti la même impression d'ensemble qui s'en dégage ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la troisième branche, la cour d'appel a pu retenir qu'au jour de son dépôt, le modèle n° 07 2802 ne revêtait pas de caractère propre ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen :
Attendu que la société 6ème Sens PL et M. X... font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes tendant à voir dire que la société Aker a commis des actes de contrefaçon sur le modèle n° 013494 alors, selon le moyen :
1°) que le titulaire d'un droit de propriété conféré par l'enregistrement d'un modèle ne peut être privé de son droit que par suite de l'annulation de l'enregistrement qui lui a donné naissance ; qu'en rejetant la demande en contrefaçon du modèle n° 013494, motif pris que « la représentation réaliste de la Tour Eiffel quelle que soit la matière utilisée n'est pas nouvelle et ne peut fonder une action en contrefaçon », après avoir pourtant relevé que la validité du modèle n° 013494 n'était pas contestée et sans prononcer la nullité de l'enregistrement du modèle concerné, la cour d'appel a violé, ensemble, les articles L. 511-9, L. 513-1, L. 513-2 et L. 513-4 du code de la propriété intellectuelle ;
2°) qu'est protégeable au titre du livre V du code de la propriété intellectuelle le modèle enregistré qui, nouveau, porte l'empreinte de la personnalité de son créateur, notamment par l'emploi d'une matière nouvelle ayant conduit à la création de formes originales ou à divers effets décoratifs ; que la représentation réaliste d'un monument public n'est pas par principe exempte de nouveauté ; qu'en rejetant l'action en contrefaçon, motif pris que « la représentation réaliste de la Tour Eiffel quelle que soit la matière utilisée n'est pas nouvelle et ne peut fonder une action en contrefaçon », sans rechercher si le modèle enregistré sous le numéro 013494 ne portait pas l'empreinte de la personnalité de son créateur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 511-1 et L. 511-3 du code de la propriété intellectuelle ;
3°) que l'utilisation d'un procédé de fabrication spécifique peut donner naissance à un droit de propriété protégé si le résultat issu de l'utilisation de ce procédé est lui-même nouveau et original ; qu'en rejetant l'action en contrefaçon, motif pris que « les appelants revendiquent la protection d'un savoir-faire technique et non celle de la représentation du modèle tel que déposé », sans rechercher si le résultat issu de l'utilisation de ce procédé n'était pas lui-même nouveau et original, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 511-1 et L. 511-3 du code de la propriété intellectuelle ;
4°) que dans leurs dernières conclusions d'appel, ils soutenaient que « la photographie d'un bloc de verre n'est pas aisée. Une nouvelle reproduction de meilleure qualité est produite. La Tour Eiffel est sculptée dans un bloc de verre. Ce seul élément suffirait tant la nouveauté du modèle de M. X... est incontestable. La Tour Eiffel est représentée de façon extrêmement réaliste et détaillée. Tous les détails de la structure métallique qu'il s'agisse des pieds ou des étages sont reproduits. L'impression d'un tissage métallique donnée par le dessin en trois dimensions à l'intérieur de la structure est extrême. Le maillage métallique laisse apparaître des formes géométriques séparées d'espaces non sculptés. Cela donne une légèreté à la structure qui est mise en avant dans cette représentation. » ; qu'en jugeant néanmoins que les appelants « ne procèdent à aucune comparaison, des modèles litigieux avec le modèle tel que déposé », la cour d'appel a dénaturé les conclusions d'appel, en violation de l'article 1134 du code civil ;
5°) que le juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties ; qu'en déboutant la société 6ème Sens et M. X... de leur action en contrefaçon, motif pris que la copie communiquée du modèle déposé est très peu lisible et n'est donc pas exploitable, alors qu'ils produisaient une nouvelle reproduction de meilleure qualité et que, en tout état de cause, il appartenait au juge d'ordonner toute mesure d'instruction nécessaire à l'obtention d'une copie exploitable du modèle déposé, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil ;
Mais attendu que c'est sans dénaturer les conclusions de la
société 6ème Sens PL et de M. X..., qui soutenaient que le modèle litigieux avait été servilement reproduit par la société Aker, ni refuser de statuer que la cour d'appel, appréciant souverainement la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, a écarté l'action en contrefaçon, faute pour la société 6ème sens PL et M. X... de produire des éléments de comparaison probants avec le modèle tel que déposé ;
D'où il suit que le moyen qui, en ses trois premières branches, attaque des motifs inopérants dès lors que la validité du modèle concerné n'était pas discutée, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.