Cass. com., 18 novembre 1997, n° 95-20.685
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Léonnet
Avocat général :
M. Mourier
Avocats :
SCP Piwnica et Molinié, Me Thomas-Raquin
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Lyon, 7 septembre 1995) que la société Ballet fabrique, depuis 1985, des modèles de bijoux qu'elle commercialise sous le nom de " froissé " ;
que, reprochant à la société Gay frères (société Gay) de fabriquer des articles similaires, tels que colliers, bracelets, bagues, boucles d'oreilles, distribués dans le commerce par la société Halefis, la société Ballet, après avoir fait procéder à des saisies-contrefaçons, les a assignées en contrefaçon et concurrence déloyale devant le tribunal de commerce avec demande de désignation d'un expert pour évaluer son préjudice ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches : Attendu que la société Ballet fait grief à l'arrêt, partiellement infirmatif, de l'avoir déboutée de son action en contrefaçon à l'encontre de la société Gay, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'aux termes des conclusions de la société Ballet, l'originalité de ses modèles n'était pas seulement caractérisée par l'aspect du matériau ou leur forme, mais également par le travail particulier de leurs bords, l'adjonction des pierres, d'une couleur, d'un nombre, d'une disposition et d'une fixation spécifiques, par leur attache et par la proportion particulière de leurs éléments dont certains étaient bombés ;
qu'en limitant les revendications à la forme et au matériau, la cour d'appel a violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;
alors, d'autre part, que l'originalité d'un objet des arts appliqués doit être appréciée au regard de l'ensemble des éléments auxquels son auteur a recouru pour le composer ;
qu'en se bornant à dénier l'originalité de la forme et du matériau des bijoux sans tenir compte ni des autres caractéristiques invoquées par la société Ballet, ni du dessin particulier qu'elle leur a reconnu, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle ;
alors, enfin, qu'une création originale peut résulter de la seule combinaison d'éléments du domaine public dont la reproduction dans la composition particulière qui leur est donnée est dès lors une contrefaçon ;
qu'en se bornant à objecter l'appartenance au domaine public du matériau et des formes des bijoux sans examiner la combinaison particulière de chacun des bijoux de la société Ballet eu égard à l'ensemble de leurs caractéristiques, fussent-elles individuellement connues, la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles L. 111-1, L. 122-4 et L. 353-3 du Code de la propriété intellectuelle ; Mais attendu que l'arrêt, après avoir justement énoncé que la contrefaçon s'apprécie par les ressemblances à condition que celles-ci ne proviennent pas d'un emprunt au domaine public, a constaté, après avoir examiné les éléments de preuve versés aux débats, que les bijoux pour lesquels la société Ballet " revendiquait protection " étaient tous inspirés de l'antiquité, tant en ce qui concerne les formes de ces bijoux que le procédé de l'or froissé, qui n'était pas nouveau, avec lequel ils avaient été conçus ; que l'arrêt a également relevé que "le bord" des modèles de la société Ballet était " sinueux " et " irrégulier " à la différence de ceux commercialisés par la société Gay et que "la décoration avec des pierres serties n'était pas nouvelle " ;
qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel, qui a examiné les prétentions des parties et qui a pris en considération tous les éléments et procédés techniques d'assemblage des matériaux composant les bijoux conçus par la société Ballet, a pu statuer ainsi qu'elle l'a fait, sans encourir les griefs du moyen ;
que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ; Sur le second moyen, pris en ses deux branches : Attendu que la société Ballet fait encore grief à l'arrêt partiellement infirmatif de l'avoir déboutée de son action en contrefaçon à l'encontre de la société Gay, alors , selon le pourvoi, d'une part, que l'inspiration des modèles antiques n'est pas en elle-même exclusive d'une création originale et qu'il appartient au juge de vérifier si la combinaison d'éléments relevant du domaine public ne manifeste pas l'originalité de son auteur ;
qu'en se bornant à affirmer d'une manière générale que tous les modèles étaient inspirés de l'antiquité et que le matériau et les formes employés par d'autres modèles antérieurs appartenaient au domaine public, sans examiner l'originalité des combinaisons particulières des formes et du matériau réalisées par les bijoux litigieux, dont les premiers juges avaient souligné qu'ils étaient distincts des modèles antérieurs auxquels elle s'est référée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle ;
et alors, d'autre part, qu'en se bornant à affirmer que " le procédé de l'or froissé n'était pas nouveau ", sans s'expliquer sur la spécificité des effets obtenus par les bijoux de la société Ballet distincts des plis et du martelage antérieurement obtenus, la cour d'appel a, derechef, privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ; Mais attendu que la cour d'appel ne s'est pas seulement fondée sur le fait que les modèles litigieux n'étaient pas originaux parce qu'ils puisaient leur inspiration dans des modèles qui étaient de réalisation courante depuis la plus haute Antiquité, mais a également relevé, après avoir examiné les catalogues de bijoux modernes commercialisés entre 1982 et 1984 par des créateurs italiens et par Thérèse X..., que des bijoux conçus de façon identique étaient, depuis cette époque, dans le domaine public ;
qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
que le moyen n'est pas fondé en aucune de ses branches ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ; Condamne la société Ballet aux dépens ; Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Gay frères ; Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit novembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept.