CA Rouen, ch. civ. et com., 30 mars 2022, n° 20/01964
ROUEN
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Saveurs & Gourmandises (SARL)
Défendeur :
Coffea (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Foucher-Gros
Conseillers :
M. Urbano, M. Manhes
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE :
La société Coffea, créée au Havre, développe un concept de boutiques de détails proposant du café, du thé, du chocolat et des gourmandises. Les magasins exploités sous cette enseigne sont, soit des succursales pilotées directement par la société mère, soit des franchises, souscrites par des entrepreneurs.
Au mois de mars 2013, M. X, commerçant à Menton, a présenté une candidature à un contrat de franchise. Après que les parties ses soient rapprochées, M. X, conforté dans son projet, a signé au mois de septembre 2013 un bail commercial pour une prise d'effet en décembre 2014 dans des locaux situés dans un centre commercial en cours d'extension à Aix-en-Provence.
Au mois de novembre 2013, la société Coffea a remis à M. X le document d'information précontractuel (DIP). M. X, avec l'aide de son expert-comptable, a prévu un compte de résultat.
Au mois de janvier 2015, la mise à disposition des locaux étant retardée, il a suivi, ainsi que Mme Y sa future collaboratrice, une formation théorique et pratique entre Nice et Le Havre.
A la fin du mois de janvier 2015, M. X a fait part à la société Coffea de ce qu'il subissait des retard et facturations excessives de son bailleur.
Monsieur L. et la société Coffea ont signé un contrat de franchise le 3 mars 2015.
La boutique Coffea de M. X, Saveurs et Gourmandises à ouvert à la clientèle le 9 avril 2015.
Au mois de juin 2015, la SARL Saveurs et Gourmandises a rencontré des difficultés de trésorerie et la société Coffea a accepté d'aménager le règlement de la commande d'implantation. Au mois de mai 2016, la société Coffea a accepté un report d'échéances à hauteur de 20 000 €, afin de tenir compte des difficultés temporaire de son franchisé.
Au mois d'avril 2017, la société Coffea a informé ses franchisés du projet de cession de la majorité de ses titres au groupe russe Cantata.
Au mois de juillet 2017, les tensions avec son bailleur ont amené M. X à projeter la vente de son fonds de commerce. Au mois d'octobre 2017, la SARL Saveurs et Gourmandises a informé la société Coffea de son souhait de vendre le fonds au prix de 270 000 €. Le franchiseur a répondu en rappelant les conditions liées à son droit de préemption, à l'agrément de tout successeur éventuel et à la rupture anticipée du droit de franchise.
Devenu l'actionnaire majoritaire de Coffea, le groupe Cantata a souhaité voir évoluer le concept et l'imposer aux franchisés à travers la mise en place d'une offre de produits « en vrac ». La SARL Saveurs et Gourmandises s'en est plainte estimant qu'il s'agit d'une modification unilatérale du contrat de franchise.
Une médiation a été tentée sans succès au mois d'avril 2018.
Par acte du 12 décembre 2018, la SARL Saveurs et Gourmandises a assigné la société Coffea devant le tribunal de commerce de terre et de mer du Havre.
Par jugement du 12 juin 2020, le tribunal de commerce de terre et de mer du Havre a :
- Donné acte à Mme Y et M. X, co-gérants de la société Saveurs et Gourmandises, de leur intervention volontaire aux débats ;
- Reçu la société Saveurs et Gourmandises en ses demandes, les a déclaré mal fondées ;
- Reçu la société Coffea en ses demandes reconventionnelles, les a déclaré partiellement fondées ;
- Prononcé la résiliation judiciaire du contrat de franchise conclu le 3 mars 2015 avec application stricte de l'ensemble des articles du contrat de franchise et plus particulièrement les articles 15 et 16 concernant la résiliation anticipée du contrat et le retour des marchandises, excepté l'article 17 dudit contrat concernant les conséquences financières de la résiliation ;
- Débouté la société Coffea de sa demande de paiement de factures ;
- Dit n'y avoir lieu au versement de dommages et intérêts à Coffea par la société Saveurs et Gourmandises ;
- Débouté Mme Y et M. X de leurs demandes de dommages et intérêts ;
- Débouté les parties de leurs autres ou plus amples demandes ;
- Condamné la société Saveurs et Gourmandises aux entiers dépens, ceux visés à l'article 701 du code de procédure civile étant liquidés à la somme de 73,22 euros et à payer à la société Coffea la somme de 2.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
La SARL Saveurs et Gourmandises, M. X et Mme Y ont interjeté appel de ce jugement par déclaration du 25 juin 2020.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Vu les conclusions du 17 décembre 2021 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens et arguments de la SARL Saveurs et Gourmandises, M. X et Mme Y qui demandent à la cour de :
- Voir confirmer le jugement déféré en ce qu'il a fait droit à l'intervention volontaire de M. X et Mme Y ainsi qu'en la demande de résiliation judiciaire du contrat de franchise conclu entre les parties ;
- Infirmer jugement déféré ; et par voie de conséquence.
- Condamner SAS Coffea au paiement, en faveur de la SARL Saveurs et Gourmandises, des sommes suivantes, des chefs suivants :
- 18.500,00 euros : à titre de remboursement du droit d'entrée de franchise ;
- 10.000,00 euros : à titre de remboursement du droit d'entrée au bail ;
- 61.967,88 euros : à titre de remboursement de toutes les redevances depuis le début du contrat de franchise (au titre de la période d'avril 2015 à octobre 2021) ;
- 105.000,00 euros : à titre de remboursement du prêt souscrit par la SARL Saveurs et Gourmandises ;
- 70.000,00 euros : à titre de remboursement de l'apport personnel des associés de la SARL Saveurs et Gourmandises ;
- 20.000,00 euros : à titre de rachat du stock marchand par la SAS Coffea ;
- 90.000,00 euros : à titre de dommages-intérêts en faveur de M. X, ès-qualité de cogérant de la SARL Saveurs et Gourmandises ;
- 90.000,00 euros : à titre de dommages-intérêts en faveur de Mme Y, ès-qualités de co-gérante de la SARL Saveurs et Gourmandises ;
- Condamner la SAS Coffea au paiement d'une somme de 5.000,00 euros, en faveur de la SARL Saveurs et Gourmandises, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'en tous les dépens dont distraction au profit de Me W, société d'avocats aux offres de droite application de l'article 600 du code de procédure civile.
La SARL Saveurs et Gourmandises, M. X et Mme Y soutiennent que :
* La société Cofféa ne lui a pas remis, préalablement à la signature du contrat de franchise un document actualisé sur ses comptes de résultats, de sorte qu'elle ne s'est pas engagée en connaissance de cause.
* Le franchiseur a violé de façon grave et renouvelée les obligations du contrat de franchise; ce qui justifie la résiliation judiciaire du contrat aux torts du franchiseur ;
Vu les conclusions du 13 janvier 2022 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des prétentions et arguments de la SAS Coffea qui demande à la cour de :
- Infirmer le jugement et au titre de l'appel incident.
- Condamner la société Saveurs et Gourmandises au paiement en faveur de la société Coffea des sommes suivantes :
* 12.212,55 euros au titre de l'article 17 du contrat de franchise ;
* Toutes les factures restant impayées au jour du prononcé de l'arrêt d'appel, qu'il s'agisse de factures de redevances ou d'approvisionnement, à laquelle il conviendra de retrancher les redevances mensuelles qui auront été effectivement payées par le franchisé depuis le 2 juin 2020, soit la somme de 10.577.47 euros ;
* 60.000 euros au titre des dommages et intérêts résultant de la résiliation anticipée du contrat de franchise conclu entre les parties ;
* 28.310 euros au titre des factures impayées par la société Saveurs et Gourmandises, majorées du taux d'intérêt légal multiplié par trois à compter de la date de leur émission.
- Condamner la société Saveurs et Gourmandises au paiement d'une somme de 5.000 euros en faveur de la société Coffea sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'en tous les dépens au titre de la procédure d'appel.
- Confirmer le jugement du 12 juin 2020 rendu par le Tribunal de commerce du Havre en ce qu'il a :
- Prononcé la résiliation judiciaire du contrat de franchise conclu entre les parties en date du 3 mars 2015 ;
- Condamné la société Saveurs et Gourmandises au paiement des entiers dépens ;
- Condamné la société Saveurs et Gourmandises au paiement de la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
La société Coffea soutient que :
* Elle a remis au candidat franchisé ses comptes les plus récents connus lors de la remise de l'information précontractuelle. La société Saveur et Gourmandises ne démontre pas qu'un éventuel défaut d'actualisation des comptes a vicié son consentement.
* Les difficultés du franchisés ne proviennent que de son comportement.
* Le contrat a été résilié avant le terme convenu, aux torts exclusifs du franchisé. La société Saveur et Gourmandises doit l'indemniser des conséquences de cette résiliation.
MOTIVATION DE LA DECISION :
Le litige dévolu à la cour n'est pas celui de la résiliation du contrat, mais celui de la responsabilité de chacune des parties dans l'échec de ce contrat.
Sur les manquements du franchiseur à ses obligations précontractuelles :
Sur les informations délivrées au franchisés :
Aux termes de l'article L. 330-3 du code de commerce: « Toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause.
Ce document, dont le contenu est fixé par décret, précise notamment, l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités.
Lorsque le versement d'une somme est exigé préalablement à la signature du contrat mentionné ci-dessus, notamment pour obtenir la réservation d'une zone, les prestations assurées en contrepartie de cette somme sont précisées par écrit, ainsi que les obligations réciproques des parties en cas de dédit.
Le document prévu au premier alinéa ainsi que le projet de contrat sont communiqués vingt jours minimums avant la signature du contrat, ou, le cas échéant, avant le versement de la somme mentionnée à l'alinéa précédent. »
La société Coffea a remis à la société Saveurs et Gourmandises un document précontractuel le 11 novembre 2013. Ce document comportait en annexe les bilans et comptes de résultat de la société Coffea pour les exercices 2010 et 2011.
S'il est exact que les comptes et bilans de la société Coffea n'ont pas été actualisés, la société Saveurs et Gourmandises se borne à alléguer sans le démontrer que ce défaut d'actualisation a vicié son consentement. La société Saveurs et Gourmandises ne justifie d'aucun préjudice résultant de ce manque d'actualisation. Par voie de conséquence, ce moyen ne peut prospérer.
Sur le manquement de la société Coffea à son obligation d’assistance :
Le 19 septembre 2013, M. X a pris à bail auprès de la société Altarea un local d'une surface de 84m² environ afin d'y exercer son activité sous l'enseigne Coffea. Ce bail ne prévoit pas de travaux à la charge du bailleur. Il est mentionné à la désignation du local que celui-ci est constitué « par une coque livrée au preneur brute de gros œuvre, fluide en attente », et que le preneur devra rembourser au bailleur tous les travaux complémentaires modificatifs ou préfinancés exigibles. Ce contrat de bail était soumis à la condition suspensive de l'obtention par le preneur d'un prêt de 140 000 € destiné à financer son implantation dans le centre commercial (travaux et aménagement des locaux, stocks initiaux).
Le document d'information précontractuelle du 11 novembre 2013 indique au paragraphe 5.2 relatif aux obligations financières du franchisé les dépenses spécifiques au réseau du franchiseur. Parmi celles-ci il est prévu pour l'agencement environ 1 500 € HT/m² (hors gros œuvre, façade et store extérieur).
Le dossier financier destiné à être présenté par le franchisé à un établissement bancaire pour le financement de l'installation prévoit un investissement de 109 000 € pour le matériel et les travaux. Ce dossier a été présenté pour obtenir un prêt de 105 000 €.
La société Saveurs et Gourmandises a découvert par la suite que le coût prévisionnel des travaux n'intégrait pas ceux préfinancés par le bailleur pour le gros œuvre de la coque vide (p. 23 des conclusions de la société Saveurs et Gourmandises).
Le 2 décembre 2014, la société Saveurs et Gourmandises a adressé à M. A, maitre d'œuvre avec copie à la société Coffea en la personne de M. Z, le mail suivant :
« Bonjour,
Vous trouverez en pièce jointe les fameuses factures inattendues.
Ces dernières n'ont pas été prises en compte dans le plan de financement du projet.
Je m'en remets à votre expérience du terrain pour me donner vos impressions. »
Le 18 janvier 2015, l'Eurl Saveurs et Gourmandises a adressé à M. Z, un courriel rédigé ainsi :
« Vous trouverez dans le mail suivant toutes les dépenses associées à notre ouverture et le tableau de financement pour vous rendre compte du gros décalage. Nous avons à notre disposition 212 500 € maximum, soit 80 000 € d'apport, 105 000 € d'emprunt bancaire et 27 500 € de crédit TVA.
Premier point, nous ne faisons pas d'économies concernant les travaux « Je viens de m'apercevoir que Bertrand n'a pas reporté le montant de la déclaration de travaux (4845,12 € HT) sur le dernier devis, donc nous sommes finalement à 63 972,32 € HT. »
Le 2 mars 2015, M. B. a envoyé à la société Saveurs et Gourmandises le courriel suivant : « Toutes les factures reçues et montant avec un comparatif avec les annexes du CPATE selon la surface, soit 84m² pour savoir s’ils se sont trompés ou pas.
Je vous propose d'appeler B pour l'avertir que le montant de ces frais n’a pas été prévu dans le plan de financement.
Et qu'il existe un décalage de 19K€ TTC. J'ai averti que le franchiseur a prévu d'avoir un échelonnement sur la commande d'implantation pour accompagner le décalage.
Nous pourrons ainsi demander un étalonnement des paiements ET OU un rectificatif si le montant facturé est différent des grilles tarifaires en annexes. »
La société Saveurs et Gourmandises a répondu à ce courriel : « Inutile de faire des comparaisons avec les annexes de CPTAE (...) ils ne se sont pas trompés.
En revanche, je n'hésiterai pas à appeler Mme B dès demain concernant l'omission de ces frais dans notre plan de financement et je ne manquerai pas de lui rappeler l'effort du franchiseur. »
Il est constant que le franchiseur a assisté le candidat franchisé pour élaborer le dossier de financement. Mais le montant de l'emprunt bancaire n'est que de la responsabilité du franchisé. A ce titre, il convient de remarquer qu'il a sollicité un emprunt de 105 000 €, alors que la condition suspensive avait prévu que celui-ci serait de 140 000 €. Par ailleurs, la société Coffea est étrangère aux rapports entre la société Altarea (bailleur) et la société Saveurs et Gourmandises. Même s'il ressort des éléments rapportés ci-dessus que, le franchiseur n'a pas relevé l'insuffisance du financement des travaux que la société Saveur et Gourmandises devait rembourser à son bailleur, c'est à la société Saveurs et Gourmandises qu'il appartenait de veiller aux coûts des charges induites par les obligations découlant du bail.
De plus, dès le 2 mars 2015, la société Coffea a, dans le cadre de l'accord de franchise signé le lendemain, accepté d'aménager le règlement de la commande d'implantation, le franchisé ayant reconnu cet effort. Ainsi la société Coffea a dûment accompagné son franchisé pour lui permettre de remédier à ses difficultés financières.
Il résulte de tout ceci que l'insuffisance de financement des travaux devant être remboursés au bailleur ne résulte pas d'un comportement fautif de la société Coffea.
Sur les obligations contractuelles du franchiseur :
Il est prévu à l'article 15 du contrat du 3 mars 2015 une possibilité de résiliation anticipée, par l'une ou l'autre des parties, en cas d'inexécution de l'une quelconque des obligations y figurant et/ou de l'une quelconque des obligations inhérentes à l'activité exercée. L'article 16 prévoit les conséquences du non-renouvellement du contrat. L'article 17 prévoit les conséquences d'une résiliation anticipée.
Le contrat se réfère en son article 1 au code de déontologie européen de la Fédération Européenne de la Franchise, dont il rappelle la définition donnée de l'accord de franchise : « système de commercialisation de produits et/ou de services et/ ou de technologies, basé sur une collaboration étroite et continue entre des entreprises juridiquement et financièrement distinctes et indépendantes, le franchiseur et ses franchisés, dans lequel le franchiseur accorde à ses franchisés le droit et impose l'obligation d'exploiter une entreprise en conformité avec le concept du franchiseur ».
Il prévoit en son article 5 que « Le franchiseur procédera à l'actualisation de son savoir-faire (...) » et que « Le franchisé s'engage à suivre cette évolution. »
Sur la violation du concept arrêté entre les parties :
1) La société Saveurs et Gourmandises soutient que le concept initial prévoyait la commercialisation de thés et de cafés conditionnés et qu'à partir de 2017 pour le thé et 2018 pour le café, elle a imposé la vente de produits en vrac. Elle ajoute que pour la mise en place de ce programme, il lui a été imposé d'acheter du mobilier onéreux pour être conforme avec la nouvelle présentation des thés et cafés.
En premier lieu, la société Saveur et Gourmandises ne justifie aucunement que le concept arrêté contractuellement impliquait la vente de ces deux produits de façons conditionnés. Le document précontractuel qu'elle cite dans ses conclusions ne fait aucune référence à une vente de thé en sachets et s'il est mentionné les dosettes de café il est ajouté que les axes du concept Coffea se basent aussi sur des services mieux adaptés comme une mouture personnalisée. Ce qui fait directement allusion à une vente en vrac.
En deuxième lieu, dans un courriel du 13 février 2018, la société Coffea a exposé à ses franchisés qu'elle ne pouvait plus maintenir la vente de thé en poches pour des raisons de coût de production et a fait valoir le succès grandissant de la vente de thé en vrac. Le courriel se termine par « je suis à votre entière disposition de manière individuelle pour travailler ensemble sur les modalités concrètes de mise en place de cette gamme thés vrac dans chacun de vos points de vente sur les 3 prochains mois ». Cette proposition a été réitérée par courriel du 18 janvier 2018. En ce qui concerne le café, le 26 juillet 2018, la société Coffea a envoyé à ses franchisés une note d'information et d'aide pour « booster les ventes » « suite à vos remontées et afin de vous aider à lever les freins concernant les prix et le service du café en vrac. »
Il résulte de tout ceci que le choix de Coffea de remplacer la vente de produits conditionnés par des produits en vrac est une évolution du savoir-faire, justifiée par le coût de production et l'évolution de la clientèle. De plus, le franchiseur a accompagné le franchisé pour la mise en place de ces nouveaux produits. Ainsi, la société Coffea n'a aucunement violé le concept arrêté entre les parties.
En ce qui concerne l'achat de mobilier, la société Saveurs et Gourmandises produit un compte rendu de rencontre du 5 juin 2017 entre les représentants de la société Cantata et quelques franchisés, à laquelle elle n'était pas présente. Au cours de cette rencontre, il a été précisé par la société Cantata que l'investissement du mobilier pour les nouvelles offres de thés et cafés sera à la charge des franchisés, aidés par Coffea sous la forme de « dotation produit ». La société Cantata a ajouté qu'il n'y avait aucune aide financière pour la mise en place du programme de vente de produit en vrac qui était obligatoire.
Mais dans un courriel du 12 novembre 2018, adressé à la société Saveurs et Gourmandises, la société Coffea lui a proposé « à titre exclusif et confidentiel de financer l'achat du mobilier de mise en place (pour la vente de produits en vrac) qui appartiendrait donc à la société Cofféa SAS. Il vous conviendrait de participer à la formation Produits Thés ».
Il est ainsi rapporté la preuve que la société Coffea n'a pas imposé à son franchisé la charge financière d'achat de mobiliers supplémentaires pour la vente de produits en vrac.
2) La société Saveur et Gourmandises soutient que la société Coffea lui a imposé l'arrêt de la vente de chocolats et biscuits.
Le document précontractuel du 11 novembre 2013, dans son chapitre destiné à informer le franchisé sur le marché objet du contrat précise que l'enseigne Coffea complète son offre de thés, cafés chocolat par des produits de confiserie, biscuiterie, snacking et de grignotage ; que ces produits constituent un complément de chiffre d'affaires qui peut être important et contribuent au positionnement qualitatif de l'enseigne. Il y est ajouté que le marché est porteur.
Le 25 juillet 2017, la société Saveurs et Gourmandises a envoyé à la société Coffea un courriel dans lequel elle s'inquiète de ne plus être achalandée en produits de la gamme chocolat. Le lendemain, la société Coffea a répond « nous sommes dans une démarche d'optimisation des gammes (...) nous nous concentrons sur les meilleures performances, en rationalisant et en clarifiant les gammes face à notre positionnement. (...) L'arrêt des biscuits se trouve dans un axe stratégique de Cantata, notre repreneur (...) nous sommes conscients de la réduction de cette gamme, dans un souci d'écoute et d'échange, pouvez-vous nous dire ce qui va manquer le plus au développement de votre chiffre d'affaire » La société Saveurs et Gourmandises a répondu à ce courriel « comment achalandez-vous notre belle chocolatière (valeur 10 000 € HT) "Avec quels produits".
La société Coffea reconnaît qu'elle a abandonné certaines gammes de produits. Mais dans le catalogue de l'année 2018, produit par la société Saveurs et Gourmandises en pièce 25, figurent des confiseries, plaques et carrés de chocolats et un modèle de paquet de biscuits, outre des nouveautés annoncées de chocolats et bonbons.
Dès lors, la société Coffea qui ne s'était pas engagée sur une gamme précise de chocolats et biscuits n'a pas, en modifiant sa gamme de produits, modifié unilatéralement le concept.
Surabondamment, la société Saveurs et Gourmandises, à laquelle le franchiseur a demandé expressément des éléments sur la perte de chiffre d'affaires entrainée par cette modification n'a donné au franchiseur aucun élément sur ce point. Elle n'en donne pas davantage dans ses conclusions. Dès lors, elle ne démontre pas que le changement de stratégie de la société Coffea a eu pour le franchisé de réelles conséquences sur son chiffre d'affaires.
3) La société Saveurs et Gourmandises soutient que de manière unilatérale, le franchiseur a décidé d'arrêter l'activité de tables d'hôtes qui était dans le champ contractuel.
La société Coffea convient qu'elle a conseillé aux franchisés d'arrêter cette prestation mais qu'elle ne le leur a pas imposé. De fait, le document produit par la société Saveur et Gourmandises en pièce 25 ne fait qu'inciter à l'arrêt de cette activité mais ne produit aucun élément de nature à démontrer que cet arrêt lui a été imposé, ni même qu'elle a cessé de pratiquer cette activité.
Il n'est ainsi démontré sur ce point aucune inexécution par le franchiseur de ses obligations contractuelles.
Il résulte de ce qui précède que la société Coffea ne s'est pas unilatéralement affranchie de ses obligations contractuelles.
Sur le défaut d'accompagnement :
Le contrat prévoit en article 7.4 que « Le franchiseur assistera le franchisé dès la conclusion du contrat et de manière continue pendant toute son exécution.
Il en sera ainsi à la demande du franchisé pour les questions relatives à son activité de franchisé Coffea »
Reprenant la motivation du jugement entrepris, la société Saveurs et Gourmandises soutient qu’elle n'a pas eu le soutien de son franchiseur.
Dans sa décision du 12 juin 2020, le premier juge a retenu que « le tribunal constate que le franchiseur abandonne peu à peu son franchisé, il se met en marge dit-il mais ne procède plus à des visites périodiques qui peut être auraient changé la donne. » Après avoir cité l'article 7.4 de l'accord de franchise, le tribunal retient que « cet article a été respecté au début de la relation contractuelle et beaucoup moins par la suite, (...) Une présence physique aurait été souhaitable afin de tenter de convaincre Saveurs et Gourmandises (...).
Cette situation de quasi-abandon, trois visites de Coffea dans les deux dernières années conduira à la marginalisation de Saveurs et Gourmandises qui s'isolera au fil du temps (...).
Dans ces conditions, le tribunal exonérera Saveurs et Gourmandises des conséquences d'une résiliation anticipée, ces dernières étant précisées à l'article 17 du contrat de franchise signé par les parties. »
La société Saveurs et Gourmandises a bénéficié de trois visites du franchiseur les 26 septembre 2017, 15 mars 2018 et 6 mai 2019. Il ressort du procès-verbal du 19 septembre 2018 matérialisant l'échec de la médiation que les parties se sont réunies le 4 juillet 2018 dans les locaux de la Fédération Française de la Franchise ; qu'à l'issue de cette réunion, les parties s'étaient rapprochées et avaient envisagé une solution amiable à leurs différends, qui aurait dû être formalisé par protocole adressé le 10 septembre 2018 au plus tard à la Chambre de Médiation Franchiseur-Franchisés, mais que finalement, cet accord a échoué.
Le 12 décembre 2018, la SARL Saveurs et Gourmandises a introduit son action devant le tribunal de commerce de terre et mer du Havre.
Bien que l'action soit introduite, la SARL Saveurs et Gourmandises a reçu une visite du franchiseur le 6 mai 2019. Cette visite a été suivie d'un courriel du 13 mai 2019 dans lequel le représentant de la société Coffea répond aux questions qui lui ont été posées par le franchisé sur les produits et les modalités de ventes. La société Saveurs et Gourmandises n'allègue pas qu'elle a demandé par la suite d'autres visites et que sa demande n'a pas été suivie d'effets.
Il résulte de ces éléments que, contrairement à ce que le premier juge a retenu, la société Saveur et Gourmandises n'a pas cessé de bénéficier d'un accompagnement, y compris en présentiel de la part de la société Coffea, et ceci nonobstant la procédure en cours. De plus, à l'occasion de la tentative de médiation, les parties ont eu longuement la possibilité d'exposer leurs différends et de tenter de renouer le dialogue. Ainsi le moyen tiré du défait d'accompagnement manque en fait.
La société Coffea n'ayant pas défailli à ses obligations, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Saveurs et Gourmandises, Monsieur L. et Madame P. de leurs demandes indemnitaires.
Sur les demandes de la société Coffea :
Sur l'indemnité forfaitaire :
L'article 17 du contrat de franchise prévoit de dans le cas d'une résiliation anticipée, le franchiseur aura droit à un versement forfaitaire par le franchisé des redevances qu'il aurait normalement perçues jusqu'au terme du contrat.
La résiliation anticipée du contrat ne résultant pas d'une faute du franchiseur, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande en paiement de l'indemnité forfaitaire contractuelle.
Il est prévu à l'article 10.2 du contrat que « Le franchisé paiera au franchiseur, à compter de la date d'ouverture de sa boutique, une redevance égale à 3 % hors taxes calculées sur le chiffre d'affaires total hors taxes.
La redevance sera établie par un montant fixe du chiffre d'affaires de l'année précédente, selon le poids de chiffre d'affaires des mois dans l'année.
Actuellement, le poids du chiffre d'affaires mensuel est de 7,2 % de l'année sur 11 mois et de 20,8 % sur le seul mois de décembre.
Pour ce faire, la redevance sera donc prélevée d'un montant de 7,2 % du chiffre d'affaires annuel pendant 11 mois de l'année et d'un montant de 20,8 % du chiffre d'affaires annuel sur le mois de janvier.
Une régularisation sera faite en fin d'exercice (avril) ».
La société Coffea demande le paiement d'une indemnité de 12 212,55 € qu'elle calcule sur la base d'un chiffre d'affaires moyen annuel de 232 622 € réalisé par le franchisé pour les exercices 2017,2018 et 2019. Faisant application d'un taux unique de 3 %, elle calcule que la redevance annuelle moyenne est de 6 978,66 €, soit une redevance mensuelle moyenne de 581,55 €. En appliquant à ce dernier nombre une durée de 21 mois, elle calcule que son indemnité est de 12 212,55 €.
Le contrat conclu pour une durée de sept années aurait dû se terminer le 3 mars 2022. Le jugement entrepris étant confirmé en ce qu'il prononce la résiliation du contrat, la date de cette résiliation est le 12 juin 2020. Le nombre de mois restant à courir entre la résiliation et le terme initialement prévu est de 20,21 mois.
La société Coffea justifie par la production de sa pièce 66 sans que ce soit contredit par la société Saveurs et Gourmandises que pour l'exercice 2019 le chiffre d'affaires du franchisé était de 197 359 €. Pour les exercices 2017 et 2018 la société Saveur et Gourmandises produit ses chiffres de vente à la clôture de l'exercice, qui viennent contredire utilement les fiches « CA hebdomadaires » établies par le franchiseur. Ainsi pour l'année 2017, le CA retenu sera de 231 458 € et pour l'année 2018, il sera de 254 235 €. Sur la base de ces trois données, le chiffre d'affaires moyen annuel du franchisé est de 683 052/3 =227 684 €.
La redevance annuelle moyenne est en conséquence de 227 684 € x 3 % = 6 830,52 €
La redevance mensuelle moyenne: 6 830,52 €/12 = 569,21 €.
Le montant de l'indemnité est de 20,21 x 569,21 € = 11 503,73 €.
La société Saveurs et Gourmandises sera condamnée à ce paiement.
Sur les factures impayées :
La société Coffea demande d'une part le paiement des factures de redevances impayées au jour de l'arrêt et d'autre part celui des factures d'approvisionnement impayées pour la somme de 28 310 €.
Les redevances ayant été indemnisées forfaitairement, la société Coffea sera déboutée du surplus de sa demande à ce titre.
En ce qui concerne les factures d'approvisionnement, la société Coffea verse aux débats un courriel du 18 janvier 2019 dans lequel la société Saveurs et Gourmandises reconnaît une dette de 44 337,78 € au 31 décembre 2018 et propose un échéancier de règlement. Un extrait de son grand livre et les factures qui s'y rapportent. Elle justifie ainsi de sa créance à hauteur de 28 310 €.
La société Saveurs et Gourmandises sera condamnée à ce paiement. Les conditions de paiement prévues à l'annexe 3 du contrat de franchise ne prévoient pas que le taux légal soit multiplié par trois en cas de retard de règlement. Dès lors, la somme de 28 310 € emportera intérêts au taux légal. A défaut pour la société Coffea de justifier de la date de sa première demande valant mise en demeure, ces intérêts courront à compter du 21 décembre 2020, date de ses premières conclusions en cause d'appel, valant mise en demeure.
Sur le préjudice d'image et de manque à gagner :
La société Coffea soutient que la société Saveurs et Gourmandises a refusé de commercialiser pendant plusieurs mois les produits du nouveau concept et n'a pas pris part aux opérations commerciales du réseau pour les fêtes de fin d'année ou la mise en avant des produits, que ce comportement a entrainé une chute du chiffre d'affaires du franchisé et pour le franchiseur, un manque à gagner et une atteinte à son image.
Il ressort des chiffres d'affaires rappelés ci-dessus que, ce n'est qu'à compter de l'exercice 2019 que l'on peut constater un recul du chiffre d'affaires, alors que la société Saveurs et Gourmandises s'est opposée à la vente de produits en vrac dès l'année 2017. Dès lors, la seule chute de ce chiffre d'affaires sur le dernier exercice, alors que la procédure judiciaire était en cours et que le conflit était cristallisé entre les parties n'est pas suffisant à démontrer qu'un manque à gagner pour le franchiseur résulte d'un comportement fautif de la société Saveur et Gourmandises.
Par ailleurs, la société Coffea ne démontre aucunement qu'il est résulté une atteinte à son image, de l'opposition de la société Saveurs et Gourmandises à s'adapter au projet de son franchiseur.
La société Coffea sera déboutée de ce chef de demande indemnitaire.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire ;
Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a :
- Dispensé la société Saveurs et Gourmandises des obligations résultant de l'article 17 du contrat de franchise.
- Débouté la société Coffea de sa demande de paiement de factures.
Statuant à nouveau :
- Condamne la société Saveurs et Gourmandises à payer à la société Coffea la somme de 11 503,73 € au titre de l'indemnité forfaitaire prévue à l'article 17 du contrat de franchise ;
- Condamne la société Saveurs et Gourmandises à payer à la société Coffea la somme de 28 310 € outre intérêts au taux légal à compter du 21 décembre 2020 ;
- Déboute la société Coffea du surplus de ses demandes ;
- Confirme le jugement entrepris pour le surplus de ses dispositions ;
Y ajoutant :
- Condamne la société Saveurs et Gourmandises aux dépens en cause d'appel ;
- Condamne la société Saveurs et Gourmandises à payer à la société Coffea la somme de 4 000 € au titre de ses frais irrépétibles en cause d'appel.