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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 11 février 2022, n° 18/17342

PARIS

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chokron

Conseillers :

Mme Lehmann, Mme Marcade

Avocats :

Me Martini Berthon, Me Fageot

INPI du 9 avr. 2018, n° 4068628

9 avril 2018

Contradictoire

Par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

Signé par Mme Brigitte CHOKRON, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

Vu la demande d'enregistrement n° 144068628 déposée le 14 février 2014 par la société Quick Restaurants portant sur le signe verbal GIANT pour désigner notamment les produits suivants :

* en classe 29 : les « Viande, poisson, volaille et gibier, extraits de viande ; légumes conservés, séchés et cuits ; fromage, fromage fondu ; charcuterie, cornichons, filets de poissons, jambon, mets à base de poisson, pickles, pâtés de foie, foie, lard, saucisses, saucisses panées, saucissons, saumon, viande de porc ; mets et plats préparés à base des produits précités, en particulier burgers et articles de restauration rapide »

* en classe 30 : les « Sauces (condiments)'; sandwiches»,

Vu la décision de rejet total en date du 9 avril 2018 prononcée par le directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) concluant à l'absence de caractère distinctif du signe,

Vu le recours reçu au greffe le 9 juillet 2018 formé par la société Quick Restaurants et les mémoires reçus au greffe à l'appui de ce recours les 8 août 2018,4 avril 2019, 12 avril 2019 et en dernier lieu le 25 novembre 2021,

Vu les observations écrites du directeur général de l'INPI tendant au rejet du recours reçues au greffe les 29 mars 2019, 15 avril 2019 et en dernier lieu le 14 décembre 2021,

Vu l'arrêt rendu le 21 juin 2019 par la cour d'appel de céans prononçant le sursis à statuer « jusqu’au prononcé de l'arrêt qui sera rendu par la Cour de cassation sur le pourvoi n°Z1820702 formé à l'encontre de l'arrêt rendu par la chambre 5-1 de la cour d'appel de Paris »,

Vu l'arrêt de la Cour de cassation rendu le 27 janvier 2021 mettant fin à la cause de sursis et le rétablissement du recours au rôle de la cour d'appel,

Vu l'audience du 16 décembre 2021 au cours de laquelle le ministère public a été entendu en ses observations orales,

SUR CE,

Il est expressément renvoyé à la décision précitée ainsi qu'aux écritures susvisées lesquelles ont été reprises oralement à l'audience dans des conditions permettant un débat contradictoire.

Dans sa décision de rejet de la demande d'enregistrement, le directeur général de l'INPI a jugé que :

- le signe GIANT est dépourvu de caractère distinctif intrinsèque,

- la preuve de l'acquisition du caractère distinctif par l'usage est insuffisamment rapportée.

Par son dernier mémoire déposé au greffe le 25 novembre 2021, la société Quick Restaurants sollicite de la cour l'annulation de ladite décision aux motifs :

* qu'elle contrevient aux dispositions du code des relations entre le public et l'administration qui fait peser sur le directeur général de l'INPI une obligation générale de motivation en droit et en fait des décisions administratives unilatérales et qu'elle porte atteinte au droit de la société Quick Restaurants à un procès équitable en application de l'article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et liberté fondamentales (la Convention),

* que le directeur de l'INPI n'a pas rapporté la preuve de ce que le public pertinent percevait le signe GIANT comme une description habituelle d'une des caractéristiques des produits visés au dépôt,

* qu'en refusant de reconnaître l'acquisition du caractère distinctif par l'usage tout en admettant que le signe a fait l'objet d'une intensive exploitation, elle n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations.

Le directeur général de l'INPI soulève l'irrecevabilité du moyen de défaut de motivation et d'atteinte à la Convention comme tardif et demande le rejet du recours tant relativement à l'absence de distinctivité intrinsèque que de son acquisition par l'usage.

Sur les moyens liés à l'obligation générale de motivation en droit et en fait des décisions administratives unilatérales et à l'atteinte portée au droit à un procès équitable

L'article R. 411-21 in fine du code de la propriété intellectuelle, applicable à l'espèce, dispose que :

« Si la déclaration de recours ne contient pas l'exposé des moyens invoqués, le demandeur doit à peine de nullité, déposer cet exposé au greffe le mois qui suit la déclaration. »

Ainsi, les moyens critiquant la décision du directeur général de l'INPI pour défaut de motivation ou pour violation du droit à un procès équitable, qui ne sont pas des réponses à des arguments invoqués par l'INPI devant la cour d'appel, devaient être soulevés au plus tard dans le mois de la déclaration de recours soit avant le 9 août 2018.

La société Quick Restaurants ne peut être suivie lorsqu'elle soutient qu'elle aurait soulevé implicitement ces moyens dans son mémoire du 9 août 2018 en reprochant au directeur général de l'INPI, qu'elle considérait à tort comme une partie, de n'avoir pas apporté la preuve, qui selon elle lui incombait, du non-usage du signe à titre de marque et d'avoir procédé par voie d'affirmation.

En réalité, ces moyens aux fins de voir annuler la décision entreprise n'ont été soulevés par la société Y que par son mémoire du 4 avril 2019, soit au-delà du délai imparti par l'article sus cité. Ils seront déclarés irrecevables.

Sur la distinctivité intrinsèque du signe GIANT

L'article L. 711-1 du code de la propriété intellectuelle, applicable à l'espèce, dispose que :

" La marque de fabrique, de commerce ou de service est un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale.

L'article L. 711-2 du même code que :

" sont dépourvus de caractère distinctif :

b) Les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l'époque de la production du bien ou de la prestation du service.

Le caractère distinctif d'un signe de nature à constituer une marque s'apprécie à l'égard des produits ou services désignés.

Un signe, pour être distinctif et pouvoir constituer une marque, doit revêtir un caractère suffisamment arbitraire par rapport aux produits ou services qu'il désigne et permettre au public concerné d'attribuer à une entreprise déterminée ces produits ou services. S'agissant de produits destinés au grand public, le public pertinent est constitué par le consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif.

Pour appréhender la distinctivité du signe anglais GIANT, il convient de vérifier si le signe est compris par le public français pertinent en se situant le 14 février 2014, jour du dépôt.

Il n'est pas contesté par la société Quick Restaurants qu'au moment du dépôt, le public français pertinent, de par sa compréhension de l'anglais basique et la proximité du signe GIANT avec l'adjectif français X, percevait nécessairement ce signe comme signifiant " géant " et par extension " énorme ".

Ainsi, appliqué aux produits ci-dessus rappelés visés par la marque, le signe GIANT sera compris comme faisant référence aux portions très importantes des produits visés. Il sera regardé comme une mention informative renseignant sur le fait que les produits alimentaires désignés seront servis dans de très grandes portions et le consommateur comprendra le signe comme donnant une indication sur la quantité du produit.

Ainsi, le signe ne remplira pas la fonction essentielle de la marque qui est de permettre de distinguer les produits ou services d'une entreprise de ceux de ses concurrents.

C'est donc à juste titre que la décision du directeur de l'INPI n'a pas retenu la distinctivité intrinsèque du signe.

Sur l'acquisition de la distinctivité par l'usage

L'article L. 711-2 in fine du code de la propriété intellectuelle prévoit que le caractère distinctif peut être acquis par l'usage.

L'acquisition du caractère distinctif par l'usage doit être appréciée au jour du dépôt et suppose la preuve en France d'un usage continu, intense et de longue durée, de sorte que le signe soit connu et identifié par une partie significative du public pertinent intéressé par les services ou produits qu'il désigne permettant leur identification comme provenant d'une entreprise déterminée.

Il appartenait à la société Quick Restaurants qui invoquait l'acquisition de la distinctivité par l'usage dans le cadre de la procédure d'examen de la demande d'enregistrement de la marque par l'INPI d'en rapporter la preuve. La décision attaquée, au vu des pièces produites par le déposant, a considéré qu'elle ne pouvait conclure en ce sens.

La cour rappelle qu'elle est saisie d'un recours en annulation formé à l'encontre de cette décision, dépourvu d'effet dévolutif et qu'elle doit statuer dans les mêmes conditions et au vu des mêmes pièces et données que celles soumises à l'INPI au stade de la procédure d'examen.

Seules les pièces produites par la société Quick Restaurants dans ce cadre seront dès lors prises en compte.

* sur l'attestation du directeur comptable et fiscal du groupe Y (pièce Y n°18)

Si cette attestation fait état de chiffres d'affaires pour les années 2011, 2012 et 2013 relatifs à une 'gamme Giant', elle ne justifie aucunement de la connaissance par le public pertinent de ce terme pour désigner les produits de la société Z

* sur le dossier de presse 2011 (pièce Y n°22)

Le terme GIANT n'est utilisé que pour exposer qu'en Belgique, un bar dénommé 'Giant Bar' allait être ouvert et faire état de la consommation de Giant en Belgique.

* sur le rapport d'activité de l'année 2013 (pièce Y n°23)

Seul le rapport d'activité de l 'année 2013 était produit lors de l 'examen de la demande d'enregistrement et le terme 'GIANT' n'apparaît pas comme utilisé à d'autre fin que celui de présenter un hamburger plus grand, étant seulement utilisé une fois pour présenter un hamburger parmi d'autres.

Les rapports annuels d'activités des années 2006, 2008, 2009, 2010 et 2011 n'ayant pas été produits lors de la procédure devant l'INPI, ils ne seront pas pris en compte.

* sur la page wikipedia (pièce Y n°25)

Cette page dédiée au groupe Y et n'apporte pas d'élément relatif à la connaissance du public pertinent de ce terme pour désigner les produits de la société Z

* sur les articles de presse et blogs (pièce Y n°27)

Ces articles établissent que le terme GIANT est bien le nom d'un hamburger commercialisé auprès du public Français mais ils ne permettent pas en revanche de déduire que ce mot est exploité à des fins d'identification commerciale. Il ne ressort pas de ces documents que le terme GIANT, du fait de son exploitation intensive, ne serait plus perçu comme la simple indication de la grande taille d'un hamburger, mais comme une marque permettant au consommateur de distinguer les produits commercialisés par la requérante de ceux qui le sont par des entreprises concurrentes.

* sur le document GDA média et les visuels de publicité (pièces Y n° 14 et n° 26)

Le document GDA média portant sur des investissements publicitaires de la société Y et les visuels de publicité communiqués ne prouvent pas un usage intensif du signe GIANT en tant que marque verbale mais son utilisation sous une forme stylisée et accompagné des termes JUNIOR, LOVE, MAX ou Z

Si l'exploitation du signe sous une forme modifiée en combinaison avec d'autres éléments peut être prise en compte pour caractériser l'acquisition de la distinctivité du signe par l'usage, encore faut-il que la preuve soit apportée que ce signe soit perçu par le public pertinent apte à identifier à lui seul une origine commerciale. Or cette preuve ne ressort pas des dits documents.

* sur le sondage d'opinion (pièce Y n°31)

Le sondage d'opinion réalisé par la société Opinion Way les 17 et 18 septembre 2014 sur un panel de 1014 personnes constate que sur une première question ouverte que vous évoque GIANT seulement 6% font référence à Y et sur une seconde question ouverte à quel produit ou service GIANT vous fait-il penser '' si 29% le relie à l'univers du fastfood, seulement 4% mentionnent Z

Ce sondage ne peut permettre de conclure à l'acquisition de la distinctivité de la marque.

Ainsi, la cour ne peut qu'approuver la décision du directeur de l'INPI qui a retenu que la société Quick Restaurants ne justifiait pas qu'au jour du dépôt, le 14 février 2014, le signe GIANT était identifié par le public pertinent en tant que marque et non comme une caractéristique quantitative du produit.

Le recours de la société Quick Restaurants sera dès lors rejeté.

PAR CES MOTIFS

Déclare irrecevables les moyens liés à l'obligation générale de motivation en droit et en fait des décisions administratives unilatérales et à l'atteinte portée au droit à un procès équitable,

Rejette le recours formé par la société Quick Restaurants contre la décision du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle du 9 avril 2018,

Dit que le présent arrêt sera notifié par lettre recommandée avec avis de réception par les soins du greffier à la société Quick Restaurants et au directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle.