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Décisions

Cass. com., 26 janvier 2022, n° 19-10.949

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Darbois

Avocats :

SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, SCP Boutet et Hourdeaux

Rapporteur :

M. Mollard

Bordeaux, 1re ch. civ., du 20 nov. 2018

20 novembre 2018

Déchéance du pourvoi principal, en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt du 14 mai 2018, examinée d'office

Vu l'article 978 du code de procédure civile :

1. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application du texte susvisé.

2. Il résulte de ce texte qu'à peine de déchéance, le demandeur en cassation doit, au plus tard dans le délai de quatre mois à compter du pourvoi, remettre au greffe de la Cour de cassation un mémoire contenant les moyens de droit invoqués contre la décision attaquée.

3. Le mémoire en demande déposé au soutien du pourvoi principal ne contenant aucun moyen dirigé contre l'arrêt du 14 mai 2018, il y a lieu de constater la déchéance de ce pourvoi principal en ce qu'il est dirigé contre cette décision.

Faits et procédure

4. Selon les arrêts attaqués (Bordeaux, 14 mai 2018 et 20 novembre 2018), M. [A] [S]-[B], qui a été autorisé, par décret du 7 juin 1994, à adjoindre à son patronyme celui de son ancêtre, [L] [B], est titulaire des marques françaises « [L] [B] » n° 1 732 422, déposée le 27 mai 1991 pour désigner des produits et services en classes 1 à 42, « [L] [B] » n° 3 045 365, déposée le 2 août 2000 pour désigner des produits et services en classes 3, 25 et 33, « Café [B] » n° 3 512 367, déposée le 9 septembre 2007 pour désigner des produits et services en classes 20, 21 et 43, « [B] » n° 3 715 914, déposée le 24 février 2010 pour désigner des produits et services en classes 1 à 45, et « [B] » n° 3 843 913, déposée le 5 juillet 2011 pour désigner des produits et services en classes 6, 19, 36 et 37.

5. Se plaignant d'une exploitation abusive du nom et de l'image de [L] [B] à des fins purement commerciales, l'association des descendants de [L] [B] (l'ADGE), créée en 1995, a, le 29 septembre 2011, assigné M. [A] [S]-[B] en annulation et radiation de ces marques.

6. Sont intervenus volontairement au soutien de l'ADGE, Mme [I] [U]-[B], M. [H] [U]-[B] et M. [A] [Y]-[B], qui ont acquis le droit de porter le nom d'[B] par décret du 16 octobre 1981, ainsi que M. [C] [S]-[B], M. [V] [W]-[B] et Mme [J] [K]-[B] qui ont acquis ce même droit par décrets, respectivement, des 5 avril 1994, 2 novembre 1999 et 4 mai 2009, tous également descendants de [L] [B].

7. Sont intervenues volontairement au soutien de M. [A] [S]-[B], Mme [D] [M], épouse [S]-[B], Mmes [R], [E] et [F] [S]-[B] et Mme [P] [Z], ainsi que l'association des amis de [L] [B] et la société civile Le patrimoine de [L] [B].

8. M. [A] [S]-[B] et Mme [F] [S]-[B] sont en outre intervenus volontairement en leur qualité d'héritiers de [D] [M], épouse [S]-[B], décédée en cours d'instance.

Examen des moyens du pourvoi principal, en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt du 20 novembre 2018, et du pourvoi incident

Sur le premier moyen du pourvoi principal et le premier moyen du pourvoi incident, en tant qu'ils sont dirigés contre le chef du dispositif condamnant M. [A] [S]-[B] à payer à l'ADGE la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts

9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation de l'arrêt du 20 novembre 2018 en tant qu'il infirme le jugement entrepris en ce que qu'il condamnait M. [A] [S]-[B] à payer à l'ADGE la somme de 1 euro à titre de dommages-intérêts et, statuant à nouveau, condamne M. [A] [S]-[B] à payer à l'ADGE la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Sur le second moyen, pris en ses première et deuxième branches, du pourvoi principal et le second moyen, pris en ses première et deuxième branches, du pourvoi incident, rédigés en termes identiques, réunis

Enoncé du moyen

10. M. [A] [S]-[B], pris tant en son nom personnel qu'en qualité d'héritier de [D] [M], épouse [S]-[B], Mme [R] [S]-[B], Mme [E] [S]-[B] et l'association des amis de [L] [B] font grief à l'arrêt d'annuler les marques « [L] [B] » n° 1 732 422, « [L] [B] » n° 3 045 365, « Café [B] » n° 3 512 367, « [B] » n° 3 715 914 et « [B] » n° 3 843 913, et, en conséquence, de condamner M. [A] [S]-[B] à payer à chacun de M. [C] [S]-[B], Mme [J] [K]-[B], Mme [I] [U]-[B], M. [A] [Y]-[B], M. [V] [W]-[B] et M. [H] [U]-[B] une somme d'un euro à titre de dommages-intérêts, alors :

« 1°/ que si un tiers peut invoquer son nom de famille pour solliciter l'annulation d'une marque qui y porterait atteinte, chacun a le droit d'utiliser son nom de famille dans la vie des affaires et de le déposer à titre de marque ; qu'en affirmant, pour annuler les marques litigieuses, que "alors que l'usage du nom [B] dans les marques est de nature à prêter à confusion, le dépôt de ces marques sans autorisation des porteurs du nom fait encourir la nullité" et que M. [A] [S]-[B] ne pouvait utiliser le nom de [L] [B] sans leur autorisation compte tenu du risque de confusion engendré dans l'esprit du public, dès lors que les tiers ont pu légitimement croire que les marques litigieuses sont exploitées pour le compte de tous les descendants alors que seul [A] [S]-[B] en tire profit, sans tenir compte du fait que M. [A] [S]-[B] était lui-même porteur légitime du nom de famille "[B]", la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle ensemble le droit pour toute personne d'utiliser son nom de famille dans la vie des affaires ;

2°/ que, dans ses conclusions d'appel, M. [A] [S]-[B] faisait valoir que le fait d'être porteur d'un nom de famille ne crée de droit antérieur, au sens de l'article L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle, qu'à l'égard des tiers dépourvus du droit au nom ; qu'en annulant les marques déposées par M. [A] [S]-[B] au motif qu'elles porteraient [atteinte] aux droits antérieurs des six intervenants descendants de [L] [B] et porteurs du nom [B], sans répondre à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

11. Constitue un droit antérieur, au sens de l'article L. 711-4, g), du code de la propriété intellectuelle, alors applicable, le droit d'une personne à son nom patronymique lorsqu'elle en était déjà porteur à la date du dépôt de la marque.

12. Le fait qu'une marque soit constituée du nom de famille ou d'une partie du nom de famille de son déposant n'empêche pas les autres porteurs de ce nom d'agir en annulation de la marque sur le fondement de cet article, si celle-ci porte atteinte à leur droit au nom.

13. La cour d'appel ayant relevé que les cinq marques litigieuses contenaient le nom « [B] », qui est l'une des composantes du nom patronymique de Mme [I] [U]-[B] et de MM. [H] [U]-[B] et [A] [Y]-[B] depuis 1981, de M. [C] [S]-[B] depuis 1994, de M. [V] [W]-[B] depuis 1999 et de Mme [J] [K]-[B] depuis 2009, c'est à bon droit que, sans méconnaître que M. [A] [S]-[B] était lui-même porteur du nom d'[B] depuis 1994, et en répondant aux conclusions prétendument délaissées invoquées par la deuxième branche, elle a retenu qu'ils étaient, chacun, fondés à demander l'annulation de celles de ces marques qui avaient été déposées postérieurement aux dates auxquelles ils avaient respectivement acquis le droit de porter le nom d'[B], dès lors qu'elles leur causaient un préjudice.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur ces moyens, pris en leurs troisièmes, quatrièmes et cinquièmes branches, rédigés en termes identiques, réunis

Enoncé du moyen

15. M. [A] [S]-[B], pris tant en son nom personnel qu'en qualité d'héritier de [D] [M], épouse [S]-[B], Mme [R] [S]-[B], Mme [E] [S]-[B] et l'association des amis de [L] [B] font le même grief à l'arrêt, alors :

« 3°/ que la validité d'une marque s'apprécie à la date de son dépôt et au regard du contenu de son enregistrement, sans tenir compte des conditions d'exploitation de la marque par son titulaire ; qu'en relevant, pour annuler les marques litigieuses, que M. [A] [S]-[B] aurait "entretenu [la] confusion" par les propos qu'il a tenus sur son site internet www.[01].com, la cour d'appel, qui s'est ainsi fondée sur un élément étranger aux marques litigieuses, a violé l'article L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle ;

4°/ qu'en retenant l'existence d'un risque de confusion, sans comparer chacune des marques en cause avec les noms de famille des demandeurs à la nullité des marques ([Y]-[B], [U]-[B], [S]-[B], [W]-[B], [K]-[B]), la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle ;

5°/ qu'en affirmant, pour retenir l'existence d'un risque de confusion, que "les tiers ont pu légitimement croire que les marques litigieuses sont exploitées pour le compte de tous les descendants alors que seul [A] [S]-[B] en tire profit", sans préciser sur quels éléments factuels elle se fonde pour retenir une telle affirmation, la cour d'appel a entaché sa décision d'une insuffisance de motivation, en violation de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

16. La cour d'appel, qui, contrairement au postulat sur lequel repose le grief de la quatrième branche, a comparé les marques litigieuses avec le patronyme de chacun des demandeurs à leur annulation et a constaté qu'elles comportaient le nom « [B] », qui est l'élément notoire commun à tous ces noms de famille, renvoyant à la figure célèbre de [L] [B], leur ancêtre, a pu, sans encourir le grief de la cinquième branche et abstraction faite du motif surabondant critiqué par la troisième branche, retenir que le consommateur moyen des produits et services pour lesquels ces marques ont été enregistrées, qui entrerait en relation avec l'un des descendants de [L] [B] porteur du nom [B], pouvait légitimement croire que ces marques étaient également exploitées pour son compte.

17. Le moyen, pour partie inopérant, n'est donc pas fondé pour le surplus.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal et le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident, rédigés en termes identiques, réunis, en tant qu'ils sont dirigés contre les chefs du dispositif infirmant le jugement entrepris en ce qu'il déboutait l'ADGE de sa demande en nullité des marques « [L] [B] » n° 30 453 65, « Café [B] » n° 35 123 67, « [B] » n° 37 159 14 et « [B] » n° 38 439 13 et annulant ces marques

Enoncé du moyen

18. M. [A] [S]-[B], pris tant en son nom personnel qu'en qualité d'héritier de [D] [M], épouse [S]-[B], Mme [R] [S]-[B], Mme [E] [S]-[B] et l'association des amis de [L] [B] font grief à l'arrêt du 20 novembre 2018 d'infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté l'ADGE de sa demande en nullité des quatre marques « [L] [B] » n° 3 045 365, « Café [B] » n° 3 512 367, « [B] » n° 3 715 914 et « [B] » n° 3 843 913 et d'annuler lesdites marques, alors « que, dans ses conclusions d'appel, pour solliciter l'annulation des marques de M. [A] [S]-[B], l'ADGE invoquait uniquement "l'atteinte au droit de l'ADGE sur le nom [B]" qui résultait, selon elle, d'un risque de confusion créé dans l'esprit du public, lequel serait "fondé à croire en l'existence d'un lien non seulement juridique mais également économique entre l'AGDE et les marques déposées par [A] [S]-[B] en son seul nom et à son seul bénéfice" ; qu'en retenant, pour accueillir la demande d'annulation de quatre de ces marques présentée par l'ADGE, que "ces dépôts de marques pour l'utilisation des attributs de la personnalité de [L] [B] ont été faits sciemment et frauduleusement par M. [A] [S]-[B], qui ne savait ne pouvoir obtenir d'autorisation en application de son engagement de 1995, au regard de l'interprétation stricte mais conforme qu'en faisait l'ADGE, et ce dans le but de s'attribuer l'usage du nom [L] [B] à des fins commerciales", quand l'ADGE ne fondait son action en nullité ni sur une prétendue méconnaissance, par M. [A] [S]-[B], de ses engagements, ni une quelconque fraude, mais uniquement sur l'allégation d'une atteinte à sa dénomination et d'un risque de confusion entre les marques et l'association, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du code de procédure civile :

19. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

20. Pour accueillir la demande de l'ADGE d'annulation des marques « [L] [B] » n° 3 045 365, « Café [B] » n° 3 512 367, « [B] » n° 3 715 914 et « [B] » n° 3 843 913, déposées respectivement en 2000, 2007, 2010 et 2011, l'arrêt retient qu'il résulte de l'engagement du 14 octobre 1995 pris à l'égard de l'ADGE par M. [A] [S]-[B] que celui-ci ne pouvait déposer de nouvelles marques et en déduit que les dépôts de ces quatre marques ont été faits sciemment et frauduleusement par M. [A] [S]-[B], qui savait ne pouvoir obtenir d'autorisation en application de cet engagement, au regard de l'interprétation stricte mais conforme qu'en faisait l'ADGE, et ce, dans le but de s'attribuer l'usage du nom [L] [B] à des fins commerciales.

21. En statuant ainsi, alors que, dans ses conclusions d'appel, l'ADGE soutenait seulement que ces marques étaient nulles en tant qu'elles créaient un risque de confusion entre les activités commerciales de M. [A] [S]-[B] et elle-même, et n'invoquait la violation de l'engagement de ce dernier à son égard qu'aux fins de voir confirmer le jugement entrepris en ce qu'il disait que son action n'était pas forclose, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

22. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

23. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.

24. Dès lors que l'annulation des marques litigieuses est acquise en raison du rejet du second moyen, la demande d'annulation de ces mêmes marques formée par l'ADGE est devenue sans objet. Il n'y a donc plus rien à juger.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :

CONSTATE la déchéance du pourvoi principal en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt rendu le 14 mai 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

CASSE ET ANNULE, par voie de retranchement, mais seulement en ce qu'il infirme le jugement entrepris en tant qu'il avait débouté l'association des descendants de [L] [B] de sa demande d'annulation des marques « [L] [B] » n° 3 045 365, « Café [B] n° 3 512 367, « [B] » n° 3 715 914 et « [B] » n° 3 843 913, l'arrêt rendu le 20 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux.