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Décisions

CA Angers, ch. com. A, 29 mars 2022, n° 18/01498

ANGERS

PARTIES

Défendeur :

Armor communication (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Corbel

Conseillers :

Mme Robveille, M. Benmimoune

T. com. Angers, du 27 juin 2018

27 juin 2018

FAITS ET PROCÉDURE

La société Armor Communication (aux droits de laquelle vient désormais la société Semios), ayant pour activité principale la conception, la fabrication et la pose de décorations publicitaires, d'enseignes et de signalétiques sous forme, notamment, d'impression numérique et découpes d'adhésifs, exploitait un établissement principal, sous l'enseigne 'Signa Vision', situé [...] et deux établissements, un premier sous l'enseigne 'Quarante Quatre Enseignes' situé [...] et un second, sous l'enseigne « Signa Vision », situé [...].

Le 16 septembre 2013, la société Armor Communication a engagé M. David M. en qualité de technico-commercial, catégorie cadre. Son le lieu de travail était fixé dans les locaux de la société Armor Communication situé [...].

Suivant l'article XII du contrat de travail, une clause de 'confidentialité et exclusivité' était prévue, en ces termes : « Monsieur David M. s'engage, aussi bien pendant la durée du présent contrat qu'après sa résiliation pour quelques causes que ce soit, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'entreprise, à ne communiquer aucune des informations se rapportant à l'activité de la Société Armor Communication dont il aurait eu connaissance en raison où à l'occasion de sa fonction. A l'expiration de son contrat, pour quelques causes que ce soit, Monsieur David M. devra restituer immédiatement tous les matériels, plans, fichiers et documents confiés, ainsi que toutes copies et reproductions en sa possession, sans qu'il ait besoin d'une demande où d'une mise en demeure préalable. Monsieur David M. s'interdit pendant toute la durée de son contrat de travailler, à quelques titres que ce soit, par lui-même ou par personne physique ou morale interposée, pour une entreprise concurrente ou non de la SAS Armor Communication. »

Ce même article comprenait aussi une clause de non-concurrence ainsi libellée : 'Compte tenu des fonctions de commercial exercées par Monsieur David M., celui-ci s'interdit, à la cessation de son contrat de travail, pour quelques motifs que ce soit, de : - s'engager au service d'une entreprise concurrente et en particulier des entreprises dont l'activité se rapporte sous une forme quelconque, à l'activité de la Société Armor Communication ; - de créer directement ou par personne interposée une entreprise susceptible de concurrencer la Société Armor Communication. En contrepartie de cette obligation de non concurrence prévue ci-dessus, Monsieur David M. percevra, après la cessation effective de son contrat de travail, une indemnité spéciale forfaitaire et égale à 12 000 € soumise à cotisation sociale et à verser comme suit : 1 000 € X 12 mois. Compte tenu des activités de la Société Armor Communication, cette interdiction est limitée à une période de 12 mois à compter de la date effective de la rupture des relations contractuelles, c'est-à-dire à l'issue du préavis si celui-ci est exécuté, où à la date à laquelle Monsieur David M. cesse ses fonctions lorsque celui-ci n'est pas exécuté. Elle couvre les départements suivants : Loire-Atlantique, Vendée, Maine et Loire, Sarthe, Mayenne, Ille et Vilaine, Finistère, Morbihan et Côtes d'Armor. Toute violation de l'interdiction de concurrence, en libérant la Société Armor Communication du versement de cette contrepartie, rendra Monsieur David M. redevable envers elle du versement de ce qu'il aurait pu percevoir à ce titre. Tout manquement de Monsieur David M. à l'interdiction de concurrence rendra automatiquement possible l'engagement de poursuites judiciaires à son encontre, pour réclamer le remboursement du préjudice pécuniaire et moral effectivement subi et faire ordonner sous astreinte la cessation de l'activité concurrentielle. La Société se réserve la faculté, au moment de la résiliation du contrat, de renoncer à l'application de la présente clause. Dans ce cas, la renonciation sera formulée par lettre recommandée avec A/R dans les 15 jours suivants la notification de la rupture quelle que soit la partie à l'initiative de celle-ci».

Le 6 mai 2015, M. David M. a présenté sa démission précisant qu'il entendait respecter un préavis de 3 mois, soit qu'il envisageait un départ au 6 août 2015.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 31 juillet 2015, la SAS Armor Communication a rappelé à M. David M. son obligation de non-concurrence, sa durée de 12 mois, son assiette géographique ainsi que la contrepartie forfaitaire mensuelle de 1.000 euros soumise à cotisations sociales.

Par lettre du 3 août 2015, M. David M. a reconnu qu'il devait se conformer à la clause de non-concurrence contractuellement prévue.

La société (SAS) Insignya, ayant son siège social [...], exerçant une activité déclarée d'étude, conception, réalisation d'enseignes et de tous éléments signalétiques extérieurs et intérieurs, la décoration de véhicules par marquage publicitaire et la décoration d'intérieur notamment par adhésifs, et dirigée par M. Yannick G., a recruté M. David M., suivant contrat à durée indéterminée du 26 août 2015, en qualité de technico-commercial statut cadre (directeur commercial).

Selon l'article 9 de ce contrat de travail du 26 août 2015, fixant le lieu d'exécution du travail de M. M. dans les locaux de la SAS Insignya à Cholet, il était convenu : 'Conformément à la clause de non concurrence présente dans le contrat de travail du salarié chez son précédent employeur (la Société Armor Communication), il est convenu que du 26 août 2015 au 25 août 2016, le salarié ne travaillera pas dans les secteurs visés par cette clause : 22 - Côtes d'Armor ; 29 - Finistère ; 35 - Ille et Vilaine ; 44 - Loire Atlantique ; 49 - Maine et Loire ; 53 - Mayenne ; 56 - Morbihan ; 72 - Sarthe ; 85 - Vendée'.

Le 26 octobre 2015, un autre salarié de la société Armor communication, M. M., technicien chargé du chiffrage et de la réalisation, qui travaillait avec M. M., a donné sa démission à effet au 25 décembre suivant pour devenir responsable de production de la société Insignya.

Se prévalant de ce que M. M. n'avait pas respecté la clause de non-concurrence, la SAS Armor Communication a cessé de lui verser l'indemnité mensuelle de contrepartie de non-concurrence.

De plus, le 14 mars 2016, la SAS Armor Communication a fait une sommation interpellative à l'encontre de la SAS Insignya.

En réponse à cette sommation, interpellative, il a été répondu à l'huissier instrumentaire, par M. G. au nom de la SAS Insignya : « Oui, j'avais connaissance de cette clause. C'est pourquoi dans son contrat de travail nous avons prévu des exclusions pour les départements concernés par cette clause, pour la période du 26 août 2015 au 26 août 2016. Je vous remets une copie de ce contrat. »

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 21 mars 2016, la SAS Armor Communication a mis en demeure la SAS Insignya et son président, M. G., de cesser toute activité concurrentielle avec M. M., sous huitaine.

Une mise en demeure a été aussi adressée à M. M. le même jour.

Par lettres du conseil de la SAS Insignya et de M. M., il a été répondu que ce dernier n'exerçait pas son activité sur les secteurs visés par la clause, à savoir les départements 22, 29, 35, 44, 49, 53, 56, 72 et 85.

La SAS Armor Communication a déposé, auprès du président du tribunal de commerce d'Angers une requête aux fins de mesures d'instruction, en vue de faire pratiquer par huissier de justice, la communication et la saisie de tous documents relatifs au contrat de travail, fiches de postes et aux bulletins de salaire de M. M., de tous documents de travail faisant apparaître la dénomination de la société Armor Communication (logo, enseignes, chiffrages ou devis), ainsi que la saisie de tous documents ayant un lien avec les principaux clients de la société Armor Communication et suivis par M. M..

Par ordonnance sur requête du 7 juin 2016, le président du tribunal de commerce d'Angers a accueilli cette demande, Maître Clémentine M., huissier, étant désigné à cet effet.

Le 10 novembre 2016, sur la base notamment du procès-verbal de constat d'huissier établi par Maître M. le 19 juillet 2016, la SAS Armor Communication a fait assigner la SAS Insignya et son président, M. G., pris en son nom personnel, devant le tribunal de commerce d'Angers pour les voir condamnés in solidum à indemniser ses du préjudices consécutif aux actes de concurrence déloyale.

Suivant jugement du 13 décembre 2017, le tribunal de commerce d'Angers a prononcé la liquidation judiciaire de la SAS Insignya, la société (SELARL) Franklin B. étant nommé en qualité de mandataire liquidateur.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 11 janvier 2018, la SAS Armor Communication a déclaré sa créance entre les mains de la SELARL Franklin B. ès qualités.

Le 16 janvier 2018, la SAS Armor Communication a fait appeler à la cause la SELARL Franklin B. en qualité de mandataire liquidateur de la SAS Insignya pour fixer sa créance.

Par jugement du 27 juin 2018, le tribunal de commerce d'Angers a :

- vu l'article 367 du code de procédure civile, ordonné la jonction des instances,

vu l'article 1382 ancien et 1315 du code civil, l'article L. 225-251 du code de commerce, les articles L. 622-22, L. 641-3, R. 624-11 et R. 641-28 du code de commerce,

- fixé à 100.000 euros la créance à inscrire au passif de la société Insignya au titre du préjudice constitué par la perte de marge du fait de la clientèle détournée,

- débouté la société Armor Communication de toutes ses autres demandes à l'encontre de la SELARL Franklin B., ès qualités,

- condamné M. G. à payer à la société Armor Communication la somme de 100.000 euros au titre du préjudice constitué par la perte de marge du fait de la clientèle détournée,

- débouté la société Armor Communication de toutes ses autres demandes à l'encontre de M. G.,

- condamné in solidum la SELARL Franklin B., ès qualités, et M. G., aux dépens,

- condamné in solidum la SELARL Franklin B., ès qualités, et M. G., à payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- n'a pas ordonné l'exécution provisoire.

Par déclaration du 12 juillet 2018, la SELARL Franklin B. ès qualités a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a fixé à 100.000 euros la créance à inscrire au passif de la société Insignya au titre du préjudice constitué par la perte de marge du fait de la clientèle détournée ; condamné in solidum la SELARL Franklin B., ès qualités, et M. G., aux entiers dépens ; condamné in solidum la SELARL Franklin B., ès qualités, et M. G., à payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; intimant la SAS Armor Communication.

Cette instance a été enregistrée sous le numéro de répertoire général 18/1498.

Par déclaration du 22 août 2018, M. G. a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il l'a condamné à payer à la société Armor Communication la somme de 100.000 euros au titre du préjudice constitué par la perte de marge du fait de la clientèle détournée ; l'a condamné in solidum avec la SELARL Franklin B., ès qualités, aux entiers dépens et à payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; intimant la SAS Armor Communication.

Cette instance a été enregistrée sous le numéro de répertoire général 18/1761.

La société (SAS) Semios (anciennement dénommée Insignis), se prévalant venir aux droits de la SAS Armor Communication en suite d'une fusion absorption en date du 1er juillet 2019, est intervenue volontairement à la procédure d'appel.

La SAS Semios venant aux droits de la SAS Armor Communication a formé appel incident.

La SAS Insignya prise en la personne de son mandataire judiciaire, la SELARL Franklin B., M. G. et la SAS Semios venant aux droits de la SAS Armor Communication ont conclu.

Une ordonnance du 13 décembre 2021 a clôturé l'instruction de l'affaire.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La SAS Insignya prise en la personne de son liquidateur judiciaire la SELARL Franklin B. sollicite de la cour, au regard des articles 9 du code de procédure civile, 1315 et 1382 anciens du code civil, qu'elle :

- déclare Maître Franklin B. (SELARL Franklin B.), ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Insignya, recevable et bien fondé en son appel,

- infirme le jugement entrepris en ce qu'il a :

fixé à 100.000 € la créance à inscrire au passif de la société Insignya au titre du préjudice constitué par la perte de marge du fait de la clientèle détournée.

condamné in solidum la SELARL Franklin B., en la personne de Maître Franklin B., es qualité de liquidateur de la société Insignya, et Monsieur Yannick G. aux entiers dépens.

condamné in solidum la SELARL Franklin B., en la personne de Maître Franklin B., es qualité de liquidateur de la société Insignya, et Monsieur Yannick G. à payer la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

statuant à nouveau,

- dise et juge que la société Semios ne rapporte pas la preuve qui lui incombe et, à tout le moins, la preuve d'un lien de causalité entre la prétendue faute de la société Insignya et la perte de son chiffre d'affaires,

- déboute la société Semios de l'ensemble de ses demandes,

- condamne la société Semios à verser à M. B. (SELARL Franklin B.), ès qualités, la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamne la société Semios aux entiers dépens.

M. G. sollicite de la cour, au vu des articles L. 225-251 et L. 651-1 à L. 651-4 du code de commerce, 1382 et 1383 anciens (1240 et 1241 nouveaux) du code civil, et au vu de la jurisprudence, qu'elle :

infirmant en ses dispositions dont appel la décision déférée à sa censure et statuant à nouveau,

à titre principal,

- déclare irrecevable l'action et les demandes de la société Armor Communication à l'encontre de M. G.,

subsidiairement,

- déclare non fondées l'action et les demandes de la société Armor Communication à l'encontre de M. G.,

- déboute la société Armor Communication de l'intégralité de ses demandes formées à l'encontre de M. G.,

en tout état de cause,

- condamne la société Armor Communication à payer à M. G. la somme de 4.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamne la société Armor Communication aux entiers dépens de première instance et d'appel et accorde à Maître Olivier P. le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La SAS Semios venant aux droits de la SAS Armor Communication demande à la cour, sur le fondement des articles 1382 anciens du code civil et L. 251 du code de commerce, de :

- décerner acte à la société Semios de son intervention comme venant aux droits de la société Armor Communication,

- dire l'appel principal mal fondé et le rejeter,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce d'Angers en date du 27 juin 2018 en ce qu'il a retenu l'existence d'une concurrence déloyale sanctionnable,

- dire et juger que la société Insignya, prise en la personne de son mandataire liquidateur, la SELARL Franklin B. et Monsieur G., personnellement, sont tenus in solidum à réparer l'entier préjudice de la société Semios, venant aux droits de la société Armor Communication,

- dire et juger la société Semios recevable et bien-fondée en son intervention volontaire et faire droit à son appel incident,

- dire et juger que la société Semios, venant aux droits de la société Armor Communication sera inscrite au passif de la liquidation judiciaire de la société Insignya pour les sommes suivantes :

377.000 € au titre du préjudice de perte de marge,

40.000 € au titre du préjudice moral,

- décerner acte à la société la société Semios, venant aux droits de la société Armor Communication de ce que sur l'autre appel régularisé par Monsieur G., elle sollicite la condamnation de celui-ci, à titre personnel, à lui verser les mêmes sommes,

- confirmer au profit de la société Semios, venant aux droits de la société Armor Communication, le jugement du tribunal de commerce d'Angers en date du 27 juin 2018 au titre de la condamnation de la SELARL Franklin B., ès qualités, au titre de l'article 700 du code de procédure civile de première instance, soit 3.000 €,

- condamner la SELARL Franklin B., ès qualités, à verser à la société Semios, venant aux droits de la société Armor Communication, la somme de 5 000 € au titre des frais irrépétibles par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SELARL Franklin B., ès qualités aux entiers dépens, recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 954 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions respectivement déposées au greffe :

- le 17 avril 2020 pour la SAS Insignya prise en la personne de son liquidateur judiciaire la SELARL Franklin B.,

- le 22 novembre 2018 pour M. G.,

- le 30 octobre 2020 pour la SAS Semios venant aux droits de la SAS Armor Communication.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la jonction des instances numéros 18/1498 et 18/1761

Pour une bonne administration de la justice, il convient d'ordonner la jonction de ces instances.

Sur la responsabilité de la société de la société Insignya pour concurrence déloyale

La société Semios reproche à la société Insigna d'avoir commis des actes de concurrence déloyale en procédant au débauchage de deux salariés de la société Armor communication pour profiter de leurs connaissances sur cette société concurrente dans laquelle ils exerçaient des fonctions similaires à celles pour lesquelles ils ont été recrutés et détourner la clientèle de cette dernière, le débauchage de l'un des salariés se faisant, en outre, en violation d'une clause de non-concurrence. Elle reproche à la société Insignya d'avoir, ainsi, désorganisé la société Armor communication dès lors qu'elle a obtenu avant même le départ de ces deux salariés débauchés la communication des affaires en cours pour établir des devis moins disant, aboutissant à la captation de la clientèle et du chiffres d'affaires réalisé par l'établissement « 44 enseignes » auquel étaient affectés les deux salariés.

Elle souligne que les manquements graves de M. M. à ses obligations de loyauté ont été reconnus par ce dernier dans la transaction qu'il a signée avec son ancien employeur et qu'il a, d'ailleurs, accepté de lui régler une somme de 12 000 euros dont le montant est équivalant à celui prévu en contre-partie de l'obligation de non-concurrence et que des manquements à son obligation de loyauté et à la clause de confidentialité ont également été reconnus contre M. M. par arrêt rendu le 31 octobre 2019 par la chambre sociale de la cour d'appel d'Angers qui a retenu que ce salarié avait participé avec M. M. à l'élaboration de devis concurrents de son employeur alors qu'ils étaient encore employés par la société Armor communication.

La société Insignya, par son liquidateur judiciaire, conteste tout comportement fautif. Elle prétend que la clientèle qu'elle est accusée d'avoir détournée était attachée par une relation intuitu personae à M. M. avant même d'avoir été engagé par la société Armor communication et qu'elle n'aurait donc commis aucune faute dès lors que les clients n'auraient fait qu'exercer leur droit de suivre M. M. auprès de son nouvel employeur. Elle fait valoir qu'il n'existe aucune preuve qu'elle aurait engagé M. M. pour exploiter ses connaissances techniques acquises dans la société concurrente et revendique pour les salariés l'application du principe fondamental à valeur constitutionnel de Liberté du travail qui consiste pour un salarié à être libre de s'engager auprès de l'employeur de son choix, en convenant toutefois que cette liberté doit être exercée dans le respect d'autres libertés concurrentes. Considérant que M. M. n'était pas tenu par une clause de non-concurrence, qui avait été levée par son ancien employeur, et que les stipulations du contrat de travail la liant à M. M. excluaient les départements dans lesquels s'appliquait l'obligation de non-concurrence prévue au profit de son ancien employeur, elle considère qu'il n'a été commis aucune violation d'une obligation de non-concurrence, ce qui expliquerait, selon elle, que la société Armor communication aurait accepté de transiger avec M. M. en renonçant à la majorité de ses demandes sauf celles portant sur le remboursement des sommes versées au titre de la contrepartie à l'obligation de non concurrence. Elle ajoute que les documents trouvés par l'huissier de justice chargé de la mesure d'instruction ne relèvent aucune captation d'informations confidentielles ou stratégiques et qu'aucun élément ne démontre l'existence d'une désorganisation de la société Armor communication.

Néanmoins, la société Semios, grâce aux opérations autorisées par l'ordonnance sur requête, ayant donné lieu à un procès-verbal de constat dressé le 19 juillet 2016 au siège de la société Insignya et à un rapport technique des travaux exécutés dans ce cadre le 23 juillet 2016, rapporte la preuve des agissements qu'elle dénonce par la production de courriels échangés entre M. M., à partir de sa boîte électronique dont il disposait au sein de l'agence de « 44 enseignes » de la société Armor communication, et M. G. dès le mois d'avril 2015, avant même d'avoir présenté sa démission de ses fonctions dans la société Armor communication, dans lesquels le premier donne des informations au dirigeant de la société concurrente sur des marchés potentiels avec des clients de la société Armor communication, discute des prix pratiqués par cette société, donne les éléments à M. G. pour lui permettre d'établir des devis moins chers, indique avoir fait 'le tour de mes clients je sais donc à quoi m'attendre maintenant avec plus de précisions' en vue de l'entretien relatif à son embauche prévu avec son interlocuteur, cite le nom des clients qu'il pense pouvoir récupérer pour la société Insignia (par exemple, parmi les nombreux courriels : mail du 13 avril 2015, M. M. indique : 'je suis entrain d'étudier avec Adrien (M. M.) un projet pour AS AGT un 'cube' en partie lumineux de 3500x3500. Adrien a trouvé la solution technique à première vue et nous allons chiffrer cela. Ensuite, si le budget est bon on en reparlera pour une fabrication insignya. Comme tu peux le constater j'avance... même sur des dossiers ! (...) Lorsque les contrats seront globalement bons entre nous, il serait vraiment nécessaire de se voir un soir de la semaine prochaine avec Adrien' ; mail du 3 juillet 2015, M. M. indique : 'lorsque vous verrez Adrien dans la semaine celui-ci vous expliquera les dossiers : Sikkens, PFF (fichet), Bleu Libellule (...) Adrien vous expliquera la fabrication, sachant que je pense qu'il serait mieux si tout était fait chez vous directement que vous traitez comme initialement prévu en Thaïlande. Vu que ceux-ci travaillent avec le groupe les recoupements sont trop faciles' ; mail du 10 avril 2015 de M. M. : '(... ) actuellement j'ai un gros client (Assa Abloy - Point fort Fichet) qui passe des commandes régulières et qui va logiquement intensifier son activité d'enseigne jusqu'en juin (...) cela donne une fourchette entre 200 000 et 500 000 voire plus ; la question est de savoir si ceux-ci me suivraient... Le deuxième client intéressant est shopworks une société anglaise qui développe la marque Sikkens... AS AGT pourrait revenir vers nous et lui aussi a un beau potentiel (100 000 euros à mon avis) ; mail du 28 avril 2015 de M. M. concluant par : 'Passons au mode Travail : sinon, pour le travail, je vous envoie la base XLS pour faire les devis. Même chose pour le dossier Assa Abloy (Fichet) avec la charte graphique (il y a deux versions standard et une autre ABF).  « Enfin, M. M. aborde la question de la clause de non-concurrence qui le lie avec son employeur en posant même la question suivante 'dans le cas où des poursuites seraient engagées, est-ce que votre avocat pourra s'occuper de moi. »

Cette preuve est également rapportée par les données qui ont été recueillies dans l'ordinateur de M. G. sur les clients de la société Armor communication, ainsi que par les données retrouvées sur le bureau de M. M. au sein de la société Insignya, comprenant les tarifs pratiqués par l'agence 44Enseignes de la société Armor communication, des devis, courriels et autres documents établis concernant des anciens clients de la société Armor communication (des devis concernant les sociétés Sikkens, Jonak, Mackconcept, JBBC, ASAGT, datés du 22 septembre 2015 au 13 juillet 2016 ; des plaquettes publicitaires aux couleurs et logo Insignya pour des clients de la société Armor Communication ; des documents internes à la société Insignya révélant la reprise de tarifications par M. M.), des listings et devis extraits à partir de l'ordinateur de l'assistante commerciale ainsi que 36 factures émises sur la période de mai 2015 à juillet 2016 se rapportant aux clients d'Armor communication.

En outre, il ressort des données figurant dans un tableau trouvé sur le bureau de M. M. que les commandes réalisées grâce à lui chez Insignya au cours des sept premiers mois de l'année 2016 ont été d'un montant de 428 468 euros. Le rapprochement entre ce chiffre et les listing des devis et commandes du mois de juillet 2016 montre qu'en réalité, il a démarché et conclu des contrats avec des clients situés dans les zones visées par la clause de non-concurrence même si ces clients étaient officiellement attribués à M. G..

En outre, M. M. a reconnu dans le protocole d'accord conclu avec son ancien employeur avoir manqué à son obligation de loyauté et de fidélité ainsi qu'à l'obligation de non concurrence à laquelle il était tenue. De même, des manquements de M. M. à son obligation de loyauté et à la clause de confidentialité ont été judiciairement reconnus.

Il en résulte la preuve que la société Insignya a, en toute connaissance cause, débauché et employé deux anciens salariés de la société Armor communication, dont l'un sciemment par violation de la clause de non-concurrence, pour capter, par des manoeuvres déloyales, des clients de la société Armor communication grâce aux informations données par M. M. sur les pratiques commerciales de cette société, à ses relations aves sa clientèle et au savoir-faire de M. M..

Ce comportement est constitutif d'une concurrence déloyale qui engage la responsabilité de la société Insignya sur le fondement de l'article 1382, ancien, du code civil.

Sur le préjudice subi

La société Semios considère que son préjudice est constitué par un préjudice moral et un préjudice économique tenant à la perte de marge sur le chiffre d'affaires détourné par M. M. et la société Insignya qu'elle calcule de façon suivante :

- CA HT réalisé par 44 Enseignes en 2014 : 820 000 euros

- CA HT réalisé par 44 Enseignes en 2015 : 618 000 euros

- Projection CA HT 44 Enseignes en 2016 : 360 000 euros.

Partant de ce que son taux de marge brute était de 57 % en septembre 2016, la perte dont elle demande indemnisation est de 377 340 euros, arrondi à 377 000 euros ([820 000 X 2 - 618000 - 360 000] X 57 %).

Elle prétend que ces chiffres sont corroborés par les tableaux et chiffres d'affaires récupérés dans les locaux de la société Insignya lors de l'exécution de la mesure d'instruction.

Le liquidateur judiciaire de la société Insignya conteste cette évaluation comme ne reposant sur aucun document comptable mais sur les seules affirmations de la société Semios sous la forme d'un simple tableau sous format Excel, sans que les chiffres qui y sont portés ne puissent être vérifiés. Elle fait valoir que la société Semios aurait dû produire les grands-livres des comptes clients permettant de corroborer ces chiffres, ainsi que ses comptes de résultats pour les années 2014, 2015 et 2016. Elle souligne que la partie adverse continue à se baser sur des projections sur l'année 2016 alors même que l'année est terminée.

Elle ajoute qu'il n'est pas démontré que le montant des commandes attribuées à M. M. en 2016 soit le fruit exclusif des actes de concurrence déloyale prétendus et fait observer que le chiffre de 428 468 euros crédité à M. M. ne correspond pas à du chiffre d'affaires réalisé mais à des commandes passées.

Elle conteste également tout lien de causalité entre la faute reprochée et la baisse du chiffres d'affaires de la société en faisant observer que cette baisse avait commencé bien avant le départ de M. M. et en était d'ailleurs en partie la cause.

Elle conclut que la société Sémios, étant défaillante dans la preuve qui lui incombe du lien de causalité entre la faute reprochée et la perte du chiffre d'affaires, doit être intégralement déboutée.

M. G. conteste, également, le lien de causalité entre la perte de chiffres d'affaires et les fautes qui lui sont imputées en faisant observer que la société Armor communication ne fait état d'aucune mesure prise pour parer aux départs de MM M. et M., notamment par l'embauche de nouveaux salariés pour les remplacer.

Il est exact que les tableaux produits par la société Sémios pour calculer et justifier son préjudice ne sont appuyés par aucun document comptable.

Pour autant, il est démontré par les éléments du dossier que la société Insignya a détourné de la société Armor communication des clients tels que les sociétés Shopworks Limited, Sikkens, Jonak, Mackconcept, JBBC, AS AGT, Bleu libellule, JBCC, Lin&artet, Direct Optic, Opticines mutualistes, ce qui résulte des factures établies par la société Insignya entre le 19 mai 2015 et le mois de juin 2016, qui se trouvent annexées au procès-verbal du 19 juillet 2016, et dont le montant total s'élève à un total de 174 945,07 euros, à rapprocher de ce que M. M. a, sur les six premiers mois de l'année 2016, enregistré des commandes pour un montant total de 428 468 euros. Au regard de l'ensemble des éléments recueillis au siège de la société Insignya, il y a lieu de retenir que le préjudice économique subi par la société Semios tenant à la perte de marge sur le chiffre d'affaires détourné par M. M. et la société Insignya qui a été subi au-delà même du mois de juin 2016 s'élève à 100 000 euros. Il s'agit par là d'indemniser le détournement de clientèle et non pas la baisse d'activité, laquelle pourrait être également due au non-remplacement des salariés débauchés.

En revanche, il n'est pas justifié d'un préjudice moral.

Sur la responsabilité personnelle de M. G.

La responsabilité de M. G. est recherchée par la société Semios sur le fondement de l'article L. 227-8 du code de commerce, lequel renvoie aux dispositions de l'article L. 225-251 du même code, pour avoir commis une faute détachable de ses fonctions.

La société Semios, qui reprend la définition de la faute détachable comme étant celle commise intentionnellement par le dirigeant et d'une particulière gravité, même si les actes commis restent dans les limites de son attribution, soutient que les agissements de M. G. en commettant des actes de concurrence déloyale aggravés par une violation intentionnelle de la clause de non-concurrence du salarié qu'il débauchait a engagé sa responsabilité personnelle.

M. G. qui écarte de sa part toute faute détachable de ses fonctions en prétendant qu'il n'a fait que défendre les intérêts de la société qu'il dirigeait et qui soutient que le fait d'engager des salariés liés par une clause de non-concurrence avec leur ancien employeur ne saurait être considéré comme une faute séparable des fonctions de dirigeant social, soulève, en premier lieu, l'irrecevabilité de la demande en application de la règle selon laquelle la recevabilité d'une action en responsabilité personnelle engagée par un créancier à l'encontre d'un dirigeant d'une société en procédure collective, pour des faits antérieurs au jugement d'ouverture, est subordonnée à l'allégation d'un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers résultant d'une faute du dirigeant séparable de ses fonctions. Il souligne que la société Armor communication aux droits de laquelle vient la société Semios a déclaré sa créance d'indemnisation au passif de la procédure collective de la société Insignya et que la preuve qu'elle n'invoque pas un préjudice distinct de celui des autres créanciers est qu'elle sollicite une condamnation in solidum de la société Insignya représentée par son liquidateur judiciaire et du dirigeant de cette société. Il invoque, ensuite, l'impossibilité pour la société Semios de cumuler l'indemnisation réclamée avec celle obtenue de la part de M. M. en application du protocole d'accord conclu entre eux. Il oppose, enfin, la faute de la société Armor communication en lui reprochant d'avoir limité le montant de sa réclamation à l'égard de M. M. à la somme de 12 000 euros et de ne pas avoir fait cesser les agissements de ce dernier plus vite en saisissant le juge des référés ce qui aurait permis de limiter son préjudice.

La société Sémios répond, d'abord, que la recevabilité d'un action s'apprécie au jour où elle a été engagée en se prévalant de la jurisprudence relative à l'appréciation de l'intérêt à agir et que, dans le cas présent, la société Insignya n'était pas encore placée en procédure collective lorsque son dirigeant a été assigné en indemnisation, ensuite que son préjudice est distinct de la masse des créanciers et individualisé au titre de la faute séparable des fonctions de dirigeant et n'a pas été réparé par la somme que lui a versée M. M. en exécution du protocole d'accord.

La recevabilité de l'action s'apprécie effectivement au jour où elle est engagée. L'action de la société Armor communication aux droits de laquelle se trouve la société Semios ayant été engagée antérieurement à la procédure collective de la société Insignya, la recevabilité de son action contre M. G. n'est pas subordonnée à l'existence d'un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers résultant de la faute du dirigeant séparable de ses fonctions.

En tout état de cause, le préjudice économique résultant d'actes de concurrence déloyale invoqué par la société Semios est un préjudice dont la réparation est étrangère à la reconstitution du gage commun des créanciers et constitue, ainsi, un préjudice distinct de celui subi par la collectivité des créanciers. Il ne peut être tiré de ce que les actes commis par le dirigeant engage également la société qu'il dirige, et de ce que, par suite, la faute de la société et la faute du dirigeant ont concouru au même dommage, que le préjudice subi par la société Semios serait le même que celui qui est subi par l'ensemble des créanciers de la société en procédure collective.

Par ailleurs, si la société Semios a transigé avec M. M. contre lequel elle avait engagé une procédure prud'homale et à qui elle reprochait des manquements graves à son obligation de loyauté et une concurrence déloyale à son égard par détournement de clientèle, en acceptant le versement d'une somme de 12 000 euros en réparation des préjudices résultant de ces fautes, toutes causes confondues, cette transaction ne fait pas obstacle à la recevabilité de la présente demande d'indemnisation formée contre la société Insignya et M. G., dont les agissements ont concouru au même dommage. Cependant, la somme de 12 000 euros ne doit pas venir s'ajouter à la réparation du préjudice puisqu'elle en fait partie.

Les courriels échangés avec M. M. démontrent que M. G. a participé de façon active et personnelle à la violation de la clause de non-concurrence, demandant même des conseils à un avocat (mail du 29 juillet 2015) pour éviter d'être poursuivi, a participé activement au détournement de la clientèle d'un concurrent par des méthodes déloyales en utilisant les informations obtenues de salariés qui étaient encore au service de la société victime de ses agissements.

Ces agissements commis intentionnellement sont d'une particulière gravité et incompatibles avec l'exercice normal des fonctions sociales. Ils caractérisent une faute détachable des fonctions de direction et engage la responsabilité de M. G..

Ils ont contribué au préjudice subi par la société Semios à qui il ne peut être reproché, pour voir réduire son indemnisation, de ne pas avoir pris plus rapidement des mesures pour le limiter.

Sur la condamnation in solidum de la société Insignya et de M. G.

Les fautes de la société Insignya et de M. G. ont concouru au même préjudice dont la réparation est évaluée à 100 000 euros, ce qui devrait conduire à une condamnation in solidum des deux, laquelle devant tenir compte de l'indemnité de 12 000 euros versée par M. M., devrait être ramenée à 88 000 euros.

Mais la société Insignya étant en procédure judiciaire, ne peut être condamnée au paiement de cette somme, seule doit être fixée à son passif la créance de 88 000 euros de la société Semios.

Le jugement attaqué sera infirmé en ce sens.

Sur les demandes accessoires

Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.

Parties perdantes, la SELARL Franklin B. prise en sa qualité de mandataire liquidateur de la SAS Insignya et M. G. seront condamnés aux dépens d'appel et condamnés in solidum à payer à la société Semios la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe,

Joint les instances numéros RG 18/1498 et 18/1761 ;

Donne acte à la société Semios de son intervention comme venant aux droits de la société Armor Communication ;

Infirme le jugement entrepris sauf en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau des autres chefs,

Evalue la réparation du préjudice subi par la société Semios du fait des actes de concurrence déloyale à la somme de 100 000 euros ;

Dit que compte tenu de l'indemnité payée par M. M., l'indemnité restant à la charge de la société Insignya et de M. G., tenus ensemble pour le tout, est réduite à 88 000 euros.

En conséquence :

Fixe la créance de la société Semios au passif de la société Insignya à 88 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, étant précisé que M. G. est tenu in solidum au paiement de cette somme pour le tout.

Condamne M. G. à payer à la société Semios la somme de 88 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, à laquelle il est tenu in solidum avec la société Insignya et dont le montant a été fixé au passif de cette dernière.

Condamne in solidum la SELARL Franklin B. prise en sa qualité de mandataire liquidateur de la SAS Insignya et M. G. à payer à la société Semios la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la SELARL Franklin B. prise en sa qualité de mandataire liquidateur de la SAS Insignya et M. G. aux dépens d'appel.