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Décisions

Cass. com., 31 mai 2011, n° 10-18.311

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Avocats :

SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Masse-Dessen et Thouvenin

Dijon, du 23 mars 2010

23 mars 2010

Statuant tant sur le pourvoi principal formé par M. et Mme X- B que sur le pourvoi incident relevé par M. Y ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Dijon, 23 mars 2010), que M. et Mme X- B (les preneurs), mis en liquidation judiciaire par jugement du 19 octobre 1998, sont locataires, en vertu d'un bail consenti par la société civile immobilière Domaine du Foing, d'un ensemble immobilier qui constitue leur logement ; que ce bail stipulait, en cas de vente volontaire ou forcée de l'immeuble, un pacte de préférence au bénéfice des preneurs avec faculté de substitution ; que l'immeuble ayant fait l'objet d'une procédure de saisie immobilière, les preneurs, agissant seuls, ont demandé que leur droit de préférence, auquel leur liquidateur avait renoncé, soit purgé et qu'il soit fait mention du bail dans le cahier des charges ; qu'un jugement du 13 juin 2007 a accueilli cette dernière demande, mais déclaré irrecevable celle relative au pacte de préférence ; que l'ensemble immobilier a été adjugé à M. Y, qui a assigné les preneurs en résiliation du bail pour non paiement des loyers ; que les preneurs se sont opposés à cette demande en faisant valoir que M. Y n'avait pas de droit à leur opposer sur l'immeuble et que les loyers avaient été payés d'avance ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal :

Attendu que les preneurs font grief à l'arrêt d'avoir jugé qu'ils n'étaient pas fondés à exercer leur droit contractuel de préférence avec faculté de substitution, alors, selon le moyen :

1°) que, tout comme le bail d'habitation lui-même, le droit de préférence y stipulé, dont le but est de protéger le preneur contre l'éviction de son logement en lui permettant d'en devenir propriétaire, est, au même titre que le droit de préemption visé à l'article 10- I-e de la loi du 31 décembre 1975, un droit exclusivement attaché à la personne ; qu'en déclarant que le droit de préférence, y compris la faculté de se substituer un tiers, stipulé dans le bail d'habitation conclu par les preneurs seuls le 17 mai 2003, à une époque où ils étaient déjà en liquidation judiciaire depuis un jugement du 19 octobre 1998, était d'ordre patrimonial de sorte que le liquidateur judiciaire, lequel ne s'était pas opposé à la conclusion du contrat, avait pu, avant même l'adjudication, y renoncer, la cour d'appel a violé l'article 152 de la loi du 25 janvier 1985 alors applicable, devenu L. 622-9 puis L. 641-9 du code de commerce ;

2°) que la stipulation selon laquelle, en cas de vente forcée, le droit de préférence et la faculté de substitution devaient être préalablement purgés pour que la vente forcée fût définitive et opposable au preneur ne pouvait en aucun cas signifier que ce droit de préférence devait être purgé avant l'adjudication, ce qui était juridiquement impossible puisque, avant l'adjudication, le prix n'en était pas connu, de sorte que le preneur bénéficiaire dudit droit n'était pas en mesure de l'exercer ; qu'en déclarant que les preneurs, qui avaient déposé un dire pour solliciter qu'il fût jugé que M. Z, en sa qualité de liquidateur de la bailleresse devrait justifier préalablement à la vente de la purge de la clause contractuelle de droit de préférence, ne pouvaient sérieusement soutenir que cette purge ne pouvait intervenir que postérieurement à celle-ci, refusant par là même d'appliquer la stipulation contractuelle qui précisait que c'était seulement pour que la vente fût opposable au preneur que le droit de préférence devra être purgé par l'adjudicataire lui-même, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;

3°) que la chose jugée suppose une identité de parties ; que, à partir du moment où les preneurs n'étaient pas parties au jugement du 12 juin 2007 opposant exclusivement la bailleresse à son mandataire judiciaire, en présence d'une caisse de crédit agricole, il importait peu que le tribunal, au vu d'un courrier que le liquidateur lui aurait antérieurement adressé, eût constaté que le même mandataire, ès qualités de liquidateur judiciaire des preneurs, avait déclaré ne pas vouloir faire usage du droit de préférence prévu au bail à leur profit ni se faire substituer par un tiers dans ce droit, de sorte qu'en déclarant que le mandataire judiciaire, qui avait seul qualité pour ce faire, avait renoncé à l'exercice du droit de préférence ainsi que cela avait été constaté par le jugement du 12 juin 2007, la cour d'appel a violé l'article 1351 du code civil ;

4°) que l'autorité de chose jugée n'est attachée qu'au dispositif et non aux motifs ; que le jugement du 13 juin 2007 qui opposait les preneurs à la bailleresse, représentée par son liquidateur judiciaire, s'était borné, dans son dispositif, à déclarer les preneurs irrecevables en leur dire, à ordonner l'annexion au cahier des charges du bail d'habitation du 17 mai 2003 et de ses annexes, et avait dit n'y avoir lieu à renvoi de la vente ni à sursis à l'adjudication ; qu'en décidant que, le droit de préférence litigieux ayant un caractère exclusivement patrimonial ainsi que cela avait été jugé le 13 juin 2007, et leur liquidateur, qui avait seul qualité pour ce faire, ayant renoncé à son exercice comme cela avait été constaté par le jugement du 12 juin 2007, les preneurs ne pouvaient plus s'en prévaloir, la cour d'appel a derechef violé l'article 1351 du code civil ;

Mais attendu que si le droit qu'un locataire tient, en cas de vente du bien loué, du pacte de préférence inséré dans le bail, ainsi que la faculté de se substituer un tiers dans l'exercice de ce droit lui sont personnels et échappent au dessaisissement, l'arrêt retient aussi que le jugement du 13 juin 2007 décide que ces droits ont un caractère exclusivement patrimonial et que les preneurs, en liquidation judiciaire, ne peuvent s'en prévaloir ; que par ce seul motif, tiré de la chose définitivement jugée par une décision déclarant irrecevable dans son dispositif le dire des preneurs tendant à leur permettre d'exercer, au lieu et place du liquidateur, les droits précités, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

Sur le second moyen du même pourvoi :

Attendu que les preneurs font encore grief à l'arrêt d'avoir jugé qu'ils n'étaient pas, non plus, fondés à se substituer à l'adjudicataire en application du droit de préemption institué en faveur des locataires ou occupants de bonne foi par l'article 10 de la loi du 31 décembre 1975, dans sa rédaction résultant de la loi du 13 décembre 2000, alors, selon le moyen :

1°) que les droits édictés pour la protection de certaines catégories de personnes par des dispositions d'ordre public sont exclusivement attachés à la personne que le législateur a entendu protéger et ne peuvent en conséquence être exercés par son liquidateur si elle n'est pas frappée d'incapacité, que tel est le cas du droit de substitution ou de préemption prévu à l'article 10, I et II, de la loi du 31 décembre 1975 dont l'objectif est de protéger le locataire contre l'éviction du logement qu'il occupe avec sa famille ; qu'en décidant que la procédure collective des preneurs n'ayant été clôturée que le 15 juillet 2008, ils étaient en toute hypothèse sans qualité, par l'effet du dessaisissement, pour exercer le droit de nature exclusivement patrimoniale que l'article 10, I et II, de la loi du 31 décembre 1075 conférait au locataire en cas de vente après division, la cour d'appel a violé ces dispositions ainsi que l'article 152 de la loi du 25 janvier 185, devenu L. 622-9 puis L. 641-9 du code de commerce ;

2°) que les preneurs faisaient valoir que le bien vendu judiciairement comportait plusieurs bâtiments, dont une maison de gardien qui ne faisait pas partie de la location, ainsi que cela a été constaté par l'arrêt attaqué, que ces deux bâtiments avaient été vendus en un seul lot, que leur liquidateur, qui avait connaissance du bail et de ses annexes, ne pouvait, en sa qualité de professionnel du droit, ignorer le caractère d'ordre public de protection du droit de substitution prévu par la loi du 31 décembre 1975, qu'il aurait dû faire modifier le cahier des charges pour que la vente eût lieu en plusieurs lots, qu'il s'était ainsi rendu coupable d'une véritable fraude à la loi au préjudice des droits des preneurs ; qu'en se bornant à affirmer que les preneurs ne démontraient aucune fraude à la loi, sans examiner leurs écritures soutenant qu'elle avait consisté, pour leur liquidateur, qui était aussi celui de la partie saisie, à ne pas avoir exigé que la vente eût lieu en plusieurs lots puisqu'une partie de la propriété n'était pas louée, la cour d'appel a privé sa décision de tout motif en méconnaissance des exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

3°) que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en retenant que le 16 mars 2008, le greffier avait fait connaître aux preneurs qu'ils pouvaient se substituer à l'adjudicataire mais que la date de réception de ce courrier était ignorée, que les exposants avaient adressé une lettre recommandée avec accusé de réception manifestant leur volonté de se substituer à l'adjudicataire mais que la date d'expédition de cet autre courrier était ignorée de sorte qu'il n'était pas établi que la réponse des preneurs eût été apportée dans le délai prévu, quand un tel moyen n'avait nullement été invoqué par l'adjudicataire qui ne concluait d'ailleurs pas à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il lui était favorable, et qui, en outre, admettait avoir eu connaissance dudit courrier adressé par les preneurs au greffe et indiquait que, précisément, au vu de ce courrier, il leur avait dès le 6 mai 2008 fait sommation de payer les loyers, la cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction en violation de l'article 16 du code de procédure civile ;

Mais attendu que si le droit qu'un locataire tient, en cas d'adjudication du bien loué, de se substituer à l'adjudicataire, à défaut de convocation à la vente, lui est personnel et échappe au dessaisissement, l'arrêt énonce aussi que ce droit ne peut s'exercer, selon l'article 10 I de la loi du 31 décembre 1975, qu'à l'occasion d'une vente de locaux d'habitation consécutive à la division initiale ou à la subdivision de tout ou partie d'un immeuble par lots ; que, répondant aux conclusions évoquées par la deuxième branche, la cour d'appel a retenu, pour écarter la fraude alléguée, que le bail litigieux portait, sans distinction, sur l'ensemble immobilier, lequel avait été vendu non divisé, de sorte que les preneurs ne pouvaient invoquer le droit de substitution institué par le texte précité ; que par ce seul motif, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

Et sur le moyen unique du pourvoi incident :

Attendu que M. Y fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande de résiliation du bail, alors, selon le moyen :

1°) que nul ne peut se constituer une preuve à soi-même ; qu'en énonçant que la preuve du paiement à l'avance de l'intégralité des loyers dus pour une période de neuf ans résultait de l'acte intitulé " protocole " portant la date du 29 mars 2004, conclu entre d'une part, M. et Mme A, et, d'autre part, M. et Mme X- B aux termes duquel " le locataire verse ce jour au bailleur, qui le reconnaît, la somme de 125 000 francs suisses " lorsque ce seul acte, signé de M. et Mme X- B, ne pouvait lui-même constituer une preuve du paiement de la somme susvisée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1315 du code civil ;

2°) que la preuve du paiement des loyers incombe au locataire ; qu'en énonçant que la preuve du règlement à l'avance de neuf ans de loyers résultait de ce que les locataires avaient convenu avec les bailleurs d'une telle modalité de règlement des loyers sans constater que les bailleurs avaient donné quittance aux locataires de ce que l'intégralité des loyers dus avaient été acquittés, la cour d'appel n'a pas donné de base légale au regard de l'article 1728 du code civil ;

3°) que la preuve du paiement des loyers incombe au locataire ; qu'en énonçant que la preuve du paiement d'avance de l'intégralité des loyers dus de 2003 à 2012 résultait de l'attestation non datée établie par la société Finances participations associés Sa, qui n'avait aucunement la qualité de preneur, aux termes de laquelle cette société avait procédé à des versements et virements d'un montant total de " 125 000 francs " sans qu'il soit justifié du nom du bénéficiaire ni d'un quelconque document comptable ou bancaire justifiant de la réalité de ces opérations, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1728 du code civil ;

4°) que dans ses conclusions demeurées sans réponse, M. Y avait fait valoir que « les feuilles volantes » établies par une société tierce au contrat de bail étaient dépourvues de toute force probante tout comme était dépourvue de force probante la mention manuscrite émanant de Mme Renée A et non de la SCI du Foing, bailleur, aux termes de laquelle celle-ci reconnaissait avoir reçu paiement de la somme de 125 000 francs suisses de la part de la société Finances participations associés, tiers à la convention de bail ; qu'en ne répondant pas à ce moyen la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

5°) qu'à titre subsidiaire il incombe à celui qui se prétend libéré d'une obligation d'en rapporter la preuve ; qu'en énonçant qu'il incombait à M. Y de justifier de la réalité des versements ayant trait au règlement à l'avance des loyers pour une période de neuf années lorsqu'il incombait aux locataires, les époux X- B, de justifier de la réalité du versement de la somme de 125 000 francs suisses au profit de la SCI Domaine du Foing, la cour d'appel a violé de nouveau l'article 1315 du code civil ;

Mais attendu que l'arrêt, qui retient que la quittance délivrée par la société bailleresse fait foi du paiement effectif d'avance de la totalité des loyers jusqu'au terme du bail sans que le nouveau bailleur rapporte la preuve, à sa charge, que cette quittance n'a pas de valeur libératoire, n'encourt aucun des griefs du moyen ; que celui-ci n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois tant principal qu'incident.