CJUE, 9e ch., 8 avril 2022, n° C-102/21
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Autonome Provinz Bozen
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Rodin
Juges :
M. Bonichot (rapporteur), Mme Spineanu-Matei
Avocat général :
Mme Medina
Avocats :
Me Pittracher, Me Wild, Me Durnwalder
LA COUR (neuvième chambre)
1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE et de l’article 20 du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (JO 2015, L 248, p. 9), ainsi que de la décision C(2012) 5048 final de la Commission, du 25 juillet 2012, concernant l’aide d’État SA.32113 (2010/N) Italie : Régime d’aides relatif aux économies d’énergie, aux systèmes de chauffage par district et à l’électrification de régions éloignées dans le Haut-Adige/Tyrol du Sud (JO 2013, C 1, p. 7) (ci-après la « décision de la Commission du 25 juillet 2012 »).
2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant KW (affaire C 102/21) et SG (affaire C 103/21) à l’Autonome Provinz Bozen (province autonome de Bolzano, Italie) au sujet du remboursement d’aides à la construction de microcentrales hydroélectriques octroyées par cette dernière en application d’un régime d’aides autorisé par la décision de la Commission du 25 juillet 2012 (ci-après le « régime d’aides litigieux »).
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
Le règlement (UE) no 651/2014
3 L’article 41 du règlement (UE) no 651/2014 de la Commission, du 17 juin 2014, déclarant certaines catégories d’aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 [TFUE] (JO 2014, L 187, p. 1), intitulé « Aides à l’investissement en faveur de la promotion de l’énergie produite à partir de sources renouvelables », prévoit :
« 1. Les aides à l’investissement en faveur de la promotion de l’énergie produite à partir de sources renouvelables sont compatibles avec le marché intérieur au sens de l’article 107, paragraphe 3, du traité et sont exemptées de l’obligation de notification prévue à l’article 108, paragraphe 3, du traité, pour autant que les conditions prévues par le présent article et au chapitre I soient remplies.
[...]
7. L’intensité de l’aide n’excède pas :
a) 45 % des coûts admissibles si ces derniers sont calculés sur la base du paragraphe 6, point a) ou b) ;
b) 30 % des coûts admissibles si ces derniers sont calculés sur la base du paragraphe 6, point c).
8. Elle peut toutefois être majorée de 20 points de pourcentage pour les aides octroyées aux petites entreprises et de 10 points de pourcentage pour celles octroyées aux moyennes entreprises.
[...] »
Le règlement 2015/1589
4 Aux termes du considérant 28 du règlement 2015/1589 :
« Une application abusive de l’aide peut avoir des effets sur le fonctionnement du marché intérieur similaires à ceux d’une aide illégale et devrait donc être traitée selon des procédures analogues. Au contraire d’une aide illégale, une aide susceptible d’avoir été appliquée de façon abusive est une aide précédemment approuvée par la Commission. Il en résulte que la Commission ne devrait pas être habilitée à faire une injonction de récupération de l’aide appliquée de façon abusive. »
5 L’article 1er du règlement 2015/1589, intitulé « Définitions », dispose :
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
[...]
b) “aide existante” :
[...]
ii) toute aide autorisée, c’est-à-dire les régimes d’aides et les aides individuelles autorisés par la Commission ou le Conseil ;
[...]
c) “aide nouvelle” : toute aide, c’est-à-dire tout régime d’aides ou toute aide individuelle, qui n’est pas une aide existante, y compris toute modification d’une aide existante ;
[...]
f) “aide illégale” : une aide nouvelle mise à exécution en violation de l’article 108, paragraphe 3, [...] TFUE ;
g) “aide appliquée de façon abusive” : une aide utilisée par le bénéficiaire en violation d’une décision prise en application de l’article 4, paragraphe 3, ou de l’article 7, paragraphe 3 ou 4, du règlement (CE) no 659/1999 [du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO 1999, L 83, p. 1)] ou de l’article 4, paragraphe 3, ou de l’article 9, paragraphe 3 ou 4, du présent règlement ;
[...] »
6 L’article 4, paragraphe 3, de ce règlement, intitulé « Examen préliminaire de la notification et décisions de la Commission », prévoit :
« Si la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée, pour autant qu’elle entre dans le champ de l’article 107, paragraphe 1, [...] TFUE, ne suscite pas de doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, elle décide que cette mesure est compatible avec le marché intérieur (ci-après dénommée “décision de ne pas soulever d’objections”). Cette décision précise quelle dérogation prévue par le [traité sur le fonctionnement de l’Union européenne] a été appliquée. »
7 L’article 13, paragraphe 2, dudit règlement, intitulé « Injonction de suspendre ou de récupérer provisoirement l’aide », énonce :
« La Commission peut, après avoir donné à l’État membre concerné la possibilité de présenter ses observations, arrêter une décision enjoignant à l’État membre de récupérer provisoirement toute aide versée illégalement, jusqu’à ce qu’elle statue sur la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur (ci-après dénommé “injonction de récupération”), à condition que tous les critères ci-après soient remplis [...]
[...] »
8 L’article 16, paragraphe 1, de ce même règlement, intitulé « Récupération de l’aide », dispose :
« En cas de décision négative concernant une aide illégale, la Commission décide que l’État membre concerné prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer l’aide auprès de son bénéficiaire (ci-après dénommée “décision de récupération”). La Commission n’exige pas la récupération de l’aide si, ce faisant, elle allait à l’encontre d’un principe général du droit de l’Union. »
9 L’article 20 du règlement 2015/1589, intitulé « Application abusive d’une aide », prévoit :
« Sans préjudice de l’article 28, la Commission peut, en cas d’application abusive d’une aide, ouvrir la procédure formelle d’examen en vertu de l’article 4, paragraphe 4. Les articles 6 à 9, 11 et 12, l’article 13, paragraphe 1, et les articles 14 à 17 s’appliquent mutatis mutandis ».
Le droit italien
10 Le régime d’aides litigieux repose sur la Landesgesetz nr. 9 – Bestimmungen im Bereich der Energieeinsparung, der erneuerbaren Energiequellen und des Klimaschutzes (loi provinciale no 9 portant dispositions dans le domaine des économies d’énergie, des sources d’énergie renouvelables et de l’action pour le climat), du 7 juillet 2010, laquelle prévoit, entre autres, l’octroi de subventions, dans la limite de 80 % des coûts d’investissement, pour la construction de microcentrales hydroélectriques aux fins de la production d’énergie électrique à partir de sources d’énergie renouvelables, destinée à la consommation propre, lorsque le raccordement au réseau électrique ne peut être réalisé sans un effort technique et financier approprié du fait de la situation géographique.
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
11 Le 17 décembre 2010, la République italienne a notifié à la Commission le régime d’aides litigieux au titre de l’article 108, paragraphe 3, TFUE. Par sa décision du 25 juillet 2012, la Commission a autorisé ce régime.
L’affaire C 102/21
12 KW est propriétaire d’un alpage situé dans une zone montagneuse de la province autonome de Bolzano, qui n’est pas raccordée au réseau électrique public en raison de sa situation géographique.
13 Par décret du 29 janvier 2018, la province autonome de Bolzano a octroyé à KW une subvention de 144 634 euros, correspondant à 80 % des coûts admissibles d’un projet de construction d’une microcentrale hydroélectrique destinée à son approvisionnement personnel, en application du régime d’aides litigieux.
14 Par la suite, la province autonome de Bolzano a informé KW que le régime d’aides litigieux ayant expiré le 31 décembre 2016, l’attribution d’une subvention pour son projet devait être conforme au règlement no 651/2014, qui limite le niveau autorisé des aides à hauteur de 65 % des coûts admissibles.
15 Par décret du 27 janvier 2020, la province autonome de Bolzano a retiré partiellement sa décision d’octroyer une subvention à KW et a réduit le montant de celle-ci à 113 257,09 euros en application du règlement no 651/2014.
16 Le 14 février 2020, la province autonome de Bolzano a demandé à KW le remboursement du montant de l’aide perçu à titre excédentaire, majoré des intérêts.
17 KW a saisi le Verwaltungsgericht, Autonome Sektion für die Provinz Bozen (tribunal administratif, section autonome de la province de Bolzano, Italie), d’une demande d’annulation de ces mesures.
18 Cette juridiction estime que le litige au principal soulève la question de savoir si la subvention octroyée à KW constitue une aide « existante » au sens du droit des aides d’État de l’Union. Afin de répondre à cette question, il serait nécessaire de déterminer si, à la date d’octroi de cette subvention, l’autorisation du régime d’aides litigieux résultant de la décision de la Commission du 25 juillet 2012 était encore en vigueur.
19 La juridiction de renvoi considère que, si tel n’est pas le cas, la subvention accordée à KW constitue un cas d’application abusive d’une aide et qu’il conviendrait alors de déterminer si l’article 20 du règlement 2015/1589 doit être interprété en ce sens qu’il incombait à la Commission d’en demander la récupération.
20 Elle ajoute qu’il conviendrait également d’examiner si la subvention octroyée à KW peut être considérée comme compatible avec le marché intérieur en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE.
21 C’est dans ce contexte que le Verwaltungsgericht, Autonome Sektion für die Provinz Bozen (tribunal administratif, section autonome de la province de Bolzano), a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’aide autorisée par la décision de la Commission [du 25 juillet 2012] en vue du financement à 80 % de la construction de microcentrales hydroélectriques aux fins de la production d’énergie électrique, à partir de sources d’énergie renouvelables, destinée à la consommation propre de chalets et de refuges situés dans une zone de haute montagne dont le raccordement au réseau électrique ne peut être réalisé sans un effort technique et financier approprié, a-t-elle expiré le 31 décembre 2016 ?
2) En cas de réponse affirmative à cette question :
a) L’article 20 du règlement [2015/1589] doit-il être interprété en ce sens que, en cas d’application abusive d’une aide, la Commission doit adopter une décision de récupération avant que les autorités étatiques prennent des mesures ?
b) L’aide en question est-elle compatible avec le marché intérieur au sens de l’article 107, paragraphe 3, sous c), [TFUE] au motif qu’elle permet de faciliter le développement de certaines régions économiques, ou est-elle susceptible de fausser la concurrence et d’affecter les échanges entre États membres ? »
L’affaire C 103/21
22 SG est propriétaire d’un alpage situé dans une zone montagneuse de la province autonome de Bolzano, qui n’est pas raccordée au réseau public d’électricité en raison de sa situation géographique.
23 Par décret du 31 août 2018, la province autonome de Bolzano a octroyé à SG une subvention de 115 011 euros, correspondant à 80 % des coûts admissibles, pour un projet de construction d’une microcentrale hydroélectrique, destinée à son approvisionnement personnel, en application du régime d’aides litigieux.
24 Par décret du 27 avril 2020, la province autonome de Bolzano a retiré partiellement la décision d’octroi de la subvention à SG au motif que le régime d’aides litigieux avait expiré le 31 décembre 2016. Elle a recalculé le montant de la subvention à laquelle SG pouvait prétendre sur le fondement des critères d’attribution prévus par le règlement no 651/2014, soit la somme de 92 604 euros, et demandé à SG de rembourser le montant qu’il avait perçu à titre excédentaire, majoré des intérêts.
25 SG a saisi le Verwaltungsgericht, Autonome Sektion für die Provinz Bozen (tribunal administratif, section autonome de la province de Bolzano), d’une demande d’annulation de ces mesures.
26 Cette juridiction estime que l’affaire soulève des questions juridiques identiques à celles de l’affaire C 102/21.
27 Dans ces conditions, le Verwaltungsgericht, Autonome Sektion für die Provinz Bozen (tribunal administratif, section autonome de la province de Bolzano), a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’aide autorisée par la décision de la Commission [du 25 juillet 2012] en vue du financement à 80 % de la construction de microcentrales hydroélectriques aux fins de la production d’énergie électrique, à partir de sources d’énergie renouvelables, destinée à la consommation propre de chalets et de refuges situés dans une zone de haute montagne dont le raccordement au réseau électrique ne peut être réalisé sans un effort technique et financier approprié, a-t-elle expiré le 31 décembre 2016 ?
2) En cas de réponse affirmative à cette question :
a) Convient-il alors d’examiner en outre si l’article 20 du règlement [2015/1589] du Conseil doit être interprété en ce sens que, en cas d’application abusive d’une aide, la Commission doit adopter une décision de récupération avant que les autorités étatiques prennent des mesures ?
b) Convient-il d’examiner si ladite aide est compatible avec le marché intérieur au sens de l’article 107, paragraphe 3, sous c), [TFUE] au motif qu’elle permet de faciliter le développement de certaines régions économiques, ou si elle est susceptible de fausser la concurrence et d’affecter les échanges entre États membres ? »
Sur la jonction des affaires C-102/21 et C-103/21
28 Par décision du président de la Cour du 17 mars 2021, les affaires C 102/21 et C 103/21 ont été jointes aux fins des phases écrite et orale de la procédure ainsi que de l’arrêt.
Sur les questions préjudicielles
Observations liminaires
29 Il importe, à titre liminaire, de relever que les questions posées par la juridiction de renvoi partent de la prémisse selon laquelle les aides en cause dans les affaires au principal sont des aides d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, et qu’elles sont, en outre, conformes, pour partie, au règlement no 651/2014. Elle semble également partir du principe qu’il n’y a pas lieu de leur appliquer la règle de minimis, ce qu’il lui incombe de vérifier.
Sur la première question
30 Par sa première question dans les affaires C 102/21 et C 103/21, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’autorisation du régime d’aides litigieux résultant de la décision de la Commission du 25 juillet 2012 était encore en vigueur lorsque la province autonome de Bolzano a accordé des subventions à KW et à SG (ci-après les « aides en cause au principal »).
31 La décision de la Commission du 25 juillet 2012 précise, à son point 2.2, intitulé « Durée et budget », que, en vertu du régime d’aides litigieux, un montant total de 187,25 millions d’euros sera octroyé durant la « période 2011-2016 ». En outre, le résumé de cette décision publié au Journal officiel de l’Union européenne du 4 janvier 2013 indique que la « durée » dudit régime est fixée au 31 décembre 2016.
32 Il s’ensuit que le régime d’aides litigieux n’était plus autorisé par la décision de la Commission du 25 juillet 2012 à compter du 1er janvier 2017.
33 Il ressort, en outre, du dossier dont dispose la Cour que ce même régime d’aides n’a pas fait l’objet d’une nouvelle autorisation de la Commission après cette date.
34 Par ailleurs, il est constant que la province autonome de Bolzano a accordé les aides en cause au principal après le 31 décembre 2016.
35 Il convient, dès lors, de répondre à la première question que l’autorisation du régime d’aides litigieux résultant de la décision de la Commission du 25 juillet 2012 n’était plus en vigueur lorsque la province autonome de Bolzano a accordé les aides en cause au principal.
Sur la deuxième question
36 Par sa deuxième question dans les affaires C 102/21 et C 103/21, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 20 du règlement 2015/1589 doit être interprété en ce sens que, en cas d’application abusive d’une aide, il incombe à la Commission de demander à l’État membre de récupérer celle-ci.
37 Ainsi que l’a soutenu la Commission, il importe de relever que des aides individuelles accordées au titre d’un régime d’aides après l’expiration d’une décision de la Commission autorisant ce régime ne constituent pas des « aides appliquées de façon abusive » au sens de l’article 1er, sous g), du règlement 2015/1589.
38 En effet, l’article 1er, sous g), du règlement 2015/1589 se réfère aux situations dans lesquelles une aide est utilisée par le bénéficiaire en violation d’une décision prise en application de l’article 4, paragraphe 3, ou de l’article 9, paragraphe 3 ou 4, de ce règlement ou de l’article 4, paragraphe 3, ou de l’article 7, paragraphes 3 et 4, du règlement no 659/1999, qui visent, respectivement, les décisions de ne pas soulever d’objections, les décisions positives et les décisions conditionnelles de la Commission.
39 Or, en l’occurrence, il résulte de la réponse à la première question que la décision de la Commission du 25 juillet 2012 n’était plus applicable après le 31 décembre 2016 et que le régime d’aides en cause n’a pas fait l’objet d’une nouvelle autorisation après cette date.
40 Cette circonstance suffit pour considérer que les aides en cause au principal ne sauraient être considérées comme ayant été appliquées de façon abusive par leurs destinataires.
41 Il importe d’ajouter que la circonstance que le régime d’aides litigieux aurait été prolongé au-delà du 31 décembre 2016, à la supposer établie, n’est pas déterminante dans la mesure où la prolongation d’un régime d’aides existant crée une aide nouvelle distincte du régime prolongé (voir, en ce sens, arrêt du 4 décembre 2013, Commission/Conseil, C 111/10, EU:C:2013:785, point 58).
42 Par conséquent, des aides telles que celles en cause au principal doivent être considérées comme des aides nouvelles qui, ayant été octroyées en violation de l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE, constituent des « aides illégales » au sens de l’article 1er, sous f), du règlement 2015/1589.
43 Afin de fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi, il convient, dès lors, de reformuler la deuxième question en ce sens que celle-ci porte en réalité sur la question de savoir si l’article 108, paragraphe 3, TFUE doit être interprété en ce sens qu’il incombe à la Commission de demander à l’État membre de récupérer une aide illégale au sens de l’article 1er, sous f), du règlement 2015/1589.
44 À cet égard, il résulte d’une jurisprudence constante que l’interdiction de mise à exécution des projets d’aide édictée à l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE revêt un effet direct et que le caractère immédiatement applicable de l’interdiction de mise à exécution visée à cette disposition s’étend à toute aide qui aurait été mise à exécution sans être notifiée (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2019, Eesti Pagar, C 349/17, EU:C:2019:172, point 88 et jurisprudence citée).
45 La Cour en a déduit qu’il incombe aux juridictions nationales de garantir que toutes les conséquences d’une violation de l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE sont tirées, conformément à leur droit national, notamment en ce qui concerne tant la validité des actes d’exécution que le recouvrement des soutiens financiers accordés au mépris de cette disposition, l’objet de leur mission étant, par conséquent, d’adopter les mesures propres à remédier à l’illégalité de la mise à exécution des aides, afin que le bénéficiaire ne conserve pas la libre disposition de celles-ci pour le temps restant à courir jusqu’à la décision de la Commission (arrêt du 5 mars 2019, Eesti Pagar, C 349/17, EU:C:2019:172, point 89 et jurisprudence citée).
46 Il importe d’ajouter que toute disposition du droit de l’Union remplissant les conditions requises pour produire un effet direct s’impose à toutes les autorités des États membres, à savoir non seulement les juridictions nationales, mais également tous les organes de l’administration, y compris les autorités décentralisées, et ces autorités sont tenues d’en faire application (voir, en ce sens, arrêts du 22 juin 1989, Costanzo, 103/88, EU:C:1989:256, point 31, et du 5 mars 2019, Eesti Pagar, C 349/17, EU:C:2019:172, point 90 ainsi que jurisprudence citée).
47 En effet, selon une jurisprudence constante de la Cour, tant les autorités administratives que les juridictions nationales chargées d’appliquer, dans le cadre de leurs compétences respectives, les dispositions du droit de l’Union ont l’obligation d’assurer le plein effet de ces dispositions (arrêt du 5 mars 2019, Eesti Pagar, C 349/17, EU:C:2019:172, point 91 et jurisprudence citée)
48 Il s’ensuit que, lorsqu’une autorité nationale constate qu’une aide a été octroyée en violation de l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE, il lui incombe de récupérer de sa propre initiative l’aide illégalement octroyée (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2019, Eesti Pagar, C 349/17, EU:C:2019:172, point 92).
49 Il convient d’ajouter que, dans un tel cas, rien n’interdit, en principe, à l’État membre concerné de considérer que seule la partie de l’aide qui ne remplit pas les critères fixés par le règlement no 651/2014 doit être remboursée.
50 En outre, il importe de rappeler que, dans le système de contrôle des aides d’État institué par le traité, les juridictions nationales et la Commission remplissent des rôles complémentaires mais distincts (arrêt du 2 mai 2019, A-Fonds, C 598/17, EU:C:2019:352, point 45 et jurisprudence citée).
51 Ainsi, la Commission ne peut imposer la récupération d’une aide au seul motif de son illégalité et doit donc procéder à une évaluation complète de la compatibilité de celle-ci avec le marché intérieur que l’interdiction de mise à exécution sans autorisation préalable ait été ou non respectée (voir, en ce sens, arrêt du 14 février 1990, France/Commission, C 301/87, EU:C:1990:67, points 17 à 23), l’article 13, paragraphe 2, du règlement 2015/1589 lui permettant néanmoins d’ordonner la récupération provisoire d’une aide versée illégalement jusqu’à ce qu’elle statue sur sa compatibilité avec le marché intérieur.
52 Il résulte de ce qui précède qu’il convient de répondre à la deuxième question que l’article 108, paragraphe 3, TFUE doit être interprété en ce sens qu’il n’incombe pas à la Commission de demander à l’État membre de récupérer une aide illégale, au sens de l’article 1er, sous f), du règlement 2015/1589.
Sur la troisième question
53 Par sa troisième question dans les affaires C 102/21 et C 103/21, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les aides en cause au principal sont compatibles avec le marché intérieur au sens de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, au motif qu’elles permettent de « faciliter le développement de certaines régions économiques » ou si elles sont « susceptibles de fausser la concurrence et d’affecter les échanges entre États membres ».
54 Il n’apparaît cependant pas clairement dans le libellé de cette question si, par sa référence à la question de savoir si les aides en cause dans les litiges au principal sont « susceptibles de fausser la concurrence et d’affecter les échanges entre États membres », la juridiction de renvoi se réfère à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, qui prévoit l’interdiction de principe des aides d’État, ou à l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, qui précise que peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, à condition qu’elles « n’altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun ».
55 En tout état de cause, le dossier fourni à la Cour dans ces affaires ne lui donne pas les précisions factuelles nécessaires pour lui permettre de donner des indications utiles à la juridiction de renvoi sur l’application des critères relatifs à la distorsion de la concurrence et à l’affectation des échanges entre États membres prévus à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, dans les affaires au principal, la seule circonstance mentionnée dans la décision de renvoi dans l’affaire C 102/21 selon laquelle l’électricité produite par la microcentrale financée ne sera utilisée que pour l’approvisionnement personnel d’un particulier, ne permettant pas, en tout état de cause, à elle seule, de constater que ces critères seraient ou non remplis.
56 Il s’ensuit qu’une telle question doit être considérée comme irrecevable.
57 S’agissant de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, il convient de rappeler que la justification d’une demande de décision préjudicielle est non pas la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais le besoin inhérent à la solution effective d’un litige portant sur le droit de l’Union (arrêt du 3 octobre 2019, A e.a., C 70/18, EU:C:2019:823, point 73 ainsi que jurisprudence citée).
58 Or, conformément à une jurisprudence constante, les juridictions nationales ne sont pas compétentes pour statuer sur la compatibilité d’une aide d’État avec le marché intérieur (voir, en ce sens, arrêt du 26 octobre 2016, DEI et Commission/Alouminion tis Ellados, C 590/14 P, EU:C:2016:797, point 96 ainsi que jurisprudence citée).
59 En effet, l’appréciation de la compatibilité de mesures d’aides avec le marché intérieur relève de la compétence exclusive de la Commission, agissant sous le contrôle des juridictions de l’Union, alors que les juridictions nationales veillent à la sauvegarde des droits des justiciables en cas de violation de l’obligation de notification préalable des aides d’État à la Commission prévue à l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 2 mai 2019, A-Fonds, C 598/17, EU:C:2019:352, point 46 et jurisprudence citée).
60 Il s’ensuit que la question de savoir si les aides en cause dans les affaires au principal sont compatibles avec le marché intérieur en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE n’apparaît pas nécessaire pour trancher les litiges au principal et qu’elle doit, dès lors, être considérée comme irrecevable.
Sur les dépens
61 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :
1) L’autorisation du régime d’aides à la construction de microcentrales hydroélectriques résultant de la décision C(2012) 5048 final de la Commission, du 25 juillet 2012, concernant l’aide d’État SA.32113 (2010/N) – Italie : Régime d’aides relatif aux économies d’énergie, aux systèmes de chauffage par district et à l’électrification de régions éloignées dans le Haut-Adige/Tyrol du Sud n’était plus en vigueur lorsque l’Autonome Provinz Bozen (province autonome de Bolzano, Italie) a accordé des subventions à KW et à SG.
2) L’article 108, paragraphe 3, TFUE doit être interprété en ce sens qu’il n’incombe pas à la Commission européenne de demander à l’État membre de récupérer une aide illégale, au sens de l’article 1er, sous f), du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.