CJUE, 1re ch., 20 octobre 2011, n° C-140/10
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 11, paragraphe 1, 13, paragraphes 1 à 3, 16, 27, 94 et 104 du règlement (CE) n° 2100/94 du Conseil, du 27 juillet 1994, instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales (JO L 227, p. 1, et rectificatif JO L 111, 2001, p. 31), tel que modifié par le règlement (CE) n° 873/2004 du Conseil, du 29 avril 2004 (JO L 162, p. 38, ci‑après le «règlement n° 2100/94»).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Greenstar-Kanzi Europe NV (ci-après «GKE») à MM. Hustin et Goossens au sujet d’une prétendue violation, par ces derniers, de la marque Kanzi et de la variété de pommiers Nicoter ainsi que des droits de marque et de protection communautaire des obtentions végétales qui y sont associés, du fait de la commercialisation de pommes, par MM. Hustin et Goossens, sous la marque Kanzi.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Le quatorzième considérant du règlement n° 2100/94 énonce :
« considérant que, puisque la protection communautaire des obtentions végétales doit avoir un effet uniforme dans toute la Communauté, les transactions commerciales soumises au consentement du titulaire doivent être clairement définies; que l’étendue de la protection devrait être élargie, par rapport à la plupart des systèmes nationaux, à certains matériels de la variété pour tenir compte des échanges avec des pays extérieurs à la Communauté où il n’existe aucune protection; que l’introduction du principe d’épuisement des droits doit toutefois garantir que la protection n’est pas excessive ».
4 L’article 11, paragraphe 1, de ce règlement dispose :
« La personne qui a créé ou qui a découvert et développé la variété, ou son ayant droit ou ayant cause, ci-après dénommés l’un et l’autre ‘obtenteur’, ont droit tous deux, tant la personne que son ayant droit ou ayant cause, à la protection communautaire des obtentions végétales.»
5 L’article 13 dudit règlement est libellé comme suit :
« 1. La protection communautaire des obtentions végétales a pour effet de réserver à son ou ses titulaires, ci-après dénommés ‘titulaire’, le droit d’accomplir les actes indiqués au paragraphe 2.
2. Sans préjudice des articles 15 et 16, l’autorisation du titulaire est requise pour les actes suivants en ce qui concerne les constituants variétaux ou le matériel de récolte de la variété protégée, ci-après dénommés ‘matériel’:
a) production ou reproduction (multiplication) ;
b) conditionnement aux fins de la multiplication ;
c) offre à la vente ;
d) vente ou autre forme de commercialisation ;
e) exportation à partir de la Communauté ;
f) importation dans la Communauté ;
g) détention aux fins mentionnées aux points a) à f).
Le titulaire peut subordonner son autorisation à des conditions et à des limitations.
3. Le paragraphe 2 s’applique au matériel de récolte uniquement si celui-ci a été obtenu par l’utilisation non autorisée de constituants variétaux de la variété protégée et sauf si le titulaire a raisonnablement pu exercer son droit en relation avec lesdits composants variétaux. »
6 Aux termes de l’article 16 du règlement n° 2100/94:
« La protection communautaire des obtentions végétales ne s’étend pas aux actes concernant du matériel de la variété protégée ou d’une variété couverte par les dispositions de l’article 13 paragraphe 5 qui a été cédé à des tiers par le titulaire ou avec son consentement en un lieu quelconque de la Communauté, ou du matériel dérivé dudit matériel, à moins que ces actes:
a) impliquent la multiplication ultérieure de la variété en question, sauf si cette multiplication était prévue lors de la cession du matériel
ou
b) impliquent une exportation de constituants variétaux vers un pays tiers qui ne protège pas les variétés du genre végétal ou de l’espèce végétale dont la variété fait partie, sauf si le matériel exporté est destiné à la consommation.»
7 L’article 27 de ce règlement prévoit:
« 1. La protection communautaire des obtentions végétales peut faire, en totalité ou en partie, l’objet de licences d’exploitation contractuelles. Ces licences peuvent être exclusives ou non exclusives.
2. Le titulaire peut invoquer les droits conférés par la protection communautaire des obtentions végétales à l’encontre d’une personne détenant une licence d’exploitation qui enfreint l’une des conditions ou limitations attachées à sa licence en vertu du paragraphe 1.»
8 L’article 94 dudit règlement dispose:
« 1. Toute personne qui:
a) accomplit, sans y avoir été autorisée, un des actes visés à l’article 13 paragraphe 2 à l’égard d’une variété faisant l’objet d’une protection communautaire des obtentions végétales peut faire l’objet d’une action, intentée par le titulaire, en cessation de la contrefaçon ou en versement d’une rémunération équitable ou à ce double titre.
2. Toute personne qui agit de propos délibéré ou par négligence est en outre tenue de réparer le préjudice subi par le titulaire. En cas de faute légère, le droit à réparation du titulaire peut être diminué en conséquence, sans être toutefois inférieur à l’avantage acquis par l’auteur de la contrefaçon du fait de cette contrefaçon.»
9 L’article 104 du même règlement se lit comme suit:
« 1. L’action en contrefaçon peut être exercée par le titulaire. Un licencié peut exercer l’action en contrefaçon, sauf si cette possibilité a été expressément exclue par un accord avec le titulaire dans le cas d’une licence d’exploitation exclusive ou par l’Office conformément à l’article 29 ou à l’article 100, paragraphe 2.
2. Tout licencié a le droit d’intervenir dans l’instance en contrefaçon engagée par le titulaire, afin d’obtenir réparation du préjudice qu’il a subi.»
Le litige au principal et les questions préjudicielles
10 Nicolaï NV (ci-après «Nicolaï») est l’«obtenteur», au sens de l’article 11, paragraphe 1, du règlement n° 2100/94, d’une nouvelle variété de pommiers, à savoir la variété Nicoter. Cette dernière est la seule à produire des pommes qui, pour autant qu’elles satisfassent à certaines exigences de qualité, sont commercialisées sous la marque Kanzi. Pour éviter une altération de la qualité desdites variété et marque, un système équivalant à un réseau de distribution sélectif, comprenant un cahier des charges impliquant des restrictions quant à la production de l’arbre ainsi qu’en ce qui concerne la production, la conservation, le tri et la commercialisation des fruits, a été mis en œuvre.
11 La demande concernant la variété de pommiers Nicoter, déposée le 27 avril 2001 par Nicolaï, a été publiée le 15 juin 2001 au Bulletin officiel de l’Office communautaire des variétés végétales.
12 La protection des obtentions végétales associée à cette demande a fait l’objet d’un apport, par Nicolaï, à Better3fruit NV (ci‑après «Better3fruit») le 3 septembre 2002. Better3fruit est dès lors le titulaire de la protection communautaire des obtentions végétales octroyée pour les arbres de la variété Nicoter.
13 Better3fruit est également le titulaire de la marque de pommes Kanzi.
14 En 2003, Better3fruit et Nicolaï ont conclu un contrat de licence en vertu duquel Nicolaï a acquis un droit exclusif de culture et de commercialisation des pommiers de la variété Nicoter. Ledit contrat prévoit que Nicolaï «ne cédera ou ne vendra aucun produit faisant l’objet de la licence en l’absence de conclusion préalable par écrit, par le cocontractant concerné, de la convention de licence de culture visée à l’annexe 6 (pour les cocontractants cultivateurs) ou de la convention de licence de commercialisation visée à l’annexe 7 (pour les cocontractants négociants)».
15 Le 24 décembre 2004, Nicolaï a vendu 7 000 pommiers de la variété Nicoter à M. Hustin. Dans le cadre de cette transaction, M. Hustin ne s’est engagé au respect d’aucune prescription particulière relative à la culture des pommes et à la vente de la récolte.
16 Le contrat de licence conclu en 2003 entre Better3fruit et Nicolaï a été résilié le 20 janvier 2005. À une date qui fait l’objet d’un désaccord entre les parties au principal, GKE a obtenu, pour les pommiers de la variété Nicoter, les droits d’exploitation exclusifs prévus par la protection communautaire des obtentions végétales. GKE est ainsi devenue licenciée en lieu et place de Nicolaï.
17 Le 4 décembre 2007, il a été constaté que M. Goossens vendait des pommes sous la marque Kanzi. Il s’est avéré que ces pommes lui avaient été fournies par M. Hustin.
18 Sur la base de ce constat, GKE a introduit un recours en contrefaçon de la protection communautaire des obtentions végétales contre MM. Hustin et Goossens. Le 29 janvier 2008, le président du rechtbank van koophandel te Antwerpen, siégeant en référé, a décidé que tant M. Hustin que M. Goossens avaient enfreint la protection communautaire des obtentions végétales de GKE.
19 Le hof van beroep te Antwerpen a réformé cette décision par arrêt du 24 avril 2008. Tout en estimant que Nicolaï n’avait effectivement pas respecté ses engagements découlant du contrat de licence, ladite juridiction a décidé qu’il n’y avait pas, s’agissant de MM. Hustin et Goossens, contrefaçon de la protection communautaire des obtentions végétales de GKE, étant donné que les limitations reprises dans le contrat de licence conclu entre Better3fruit et Nicolaï n’étaient pas opposables à MM. Hustin et Goossens.
20 GKE a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt du hof van beroep te Antwerpen. Le Hof van Cassatie, doutant de la portée à donner à la règle de l’épuisement telle qu’énoncée à l’article 16 du règlement n° 2100/94, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les deux questions préjudicielles suivantes:
«1) L’article 94 du règlement n° 2100/94 […], lu conjointement avec les articles 11, paragraphe 1, 13, paragraphes 1 à 3, 16, 27 et 104 [de ce] règlement […], doit-il être interprété en ce sens que le titulaire ou le licencié peut intenter une action en contrefaçon contre toute personne qui accomplit des actes portant sur le matériel vendu ou cédé à cette dernière par le licencié lorsque les limitations stipulées dans le contrat de licence conclu entre le licencié et le titulaire de la protection communautaire des obtentions végétales n’ont pas été respectées dans le cadre de la vente de ce matériel ?
2) Si oui, s’agissant d’apprécier l’infraction, importe-t-il de déterminer si la personne qui accomplit les actes précités était informée ou aurait dû être informée des limitations précitées contenues dans le contrat de licence?»
Sur les questions préjudicielles
21 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le titulaire de la protection communautaire des obtentions végétales ou son licencié peut intenter une action en contrefaçon contre un tiers ayant acquis le matériel auprès d’un autre licencié sans que ce dernier respecte, dans le cadre de la vente du matériel, les conditions ou les limitations figurant dans le contrat de licence conclu entre le titulaire et ce dernier licencié.
22 À titre liminaire, il convient d’observer que l’affaire au principal porte uniquement sur le point de savoir si le nouveau licencié, à savoir GKE, peut intenter une action en contrefaçon contre des tiers, en l’espèce MM. Hustin et Goossens, qui ont acquis le matériel auprès de l’ancien licencié, en l’occurrence Nicolaï, lequel, dans le cadre de la vente de ce matériel, a enfreint les conditions ou les limitations figurant dans le contrat de licence qu’il avait passé, à l’époque, avec le titulaire de la protection communautaire des obtentions végétales, à savoir Better3fruit.
23 Si la première hypothèse évoquée par la juridiction de renvoi, c’est-à-dire la faculté, pour le titulaire, d’introduire lui-même une telle action en contrefaçon contre ce tiers, n’apparaît pas pertinente, compte tenu des particularités du litige au principal, force est toutefois de constater que l’article 94, paragraphe 1, du règlement n° 2100/94 réserve le droit d’intenter une action en contrefaçon au titulaire de la protection communautaire des obtentions végétales.
24 Étant donné que le droit du licencié d’intenter une telle action dépend de celui du titulaire, il importe de déterminer, dans un premier temps, à quelles conditions précises le règlement n° 2100/94 subordonne l’exercice de ce droit par le titulaire.
25 S’agissant de la protection des obtentions végétales instaurée par le règlement n° 2100/94, il convient de relever que celui-ci prévoit différents niveaux de protection et différentes voies de recours.
26 En premier lieu, il existe une protection «primaire» qui couvre les constituants variétaux conformément à l’article 13, paragraphe 2, du règlement n° 2100/94. Le matériel de récolte fait, quant à lui, l’objet d’une protection «secondaire», qui, bien qu’également mentionnée à l’article 13, paragraphe 2, de ce règlement, est fortement limitée par le paragraphe 3 du même article. Ainsi, alors même que les constituants variétaux et le matériel de récolte relèvent de la notion de «matériel», au sens de l’article 13, paragraphe 2, dudit règlement, la protection prévue pour ces deux catégories diffère néanmoins.
27 En second lieu, le règlement n° 2100/94 prévoit plusieurs possibilités de recours. Conformément à l’article 94, paragraphe 1, de celui-ci, toute personne qui accomplit, sans y avoir été autorisée, un des actes visés à l’article 13, paragraphe 2, à l’égard d’une variété faisant l’objet d’une protection communautaire des obtentions végétales peut faire l’objet d’une action en contrefaçon.
28 En ce qui concerne plus particulièrement les contrats de licence, l’article 27, paragraphe 2, du règlement n° 2100/94 prévoit que le titulaire peut invoquer les droits conférés par la protection communautaire des obtentions végétales à l’encontre d’une personne détenant une licence d’exploitation qui enfreint l’une des conditions ou limitations attachées à sa licence en vertu du paragraphe 1 de ce même article.
29 Il y a donc lieu de distinguer, d’une part, les recours introduits par le titulaire contre le licencié et, d’autre part, ceux introduits à l’encontre d’une tierce personne qui accomplit des actes concernant le matériel protégé sans y être autorisée.
30 S’agissant du dernier de ces deux cas de figure, qui fait l’objet du litige au principal, il convient d’ajouter que l’article 104, paragraphe 1, du règlement n° 2100/94 prévoit la possibilité, pour le licencié, d’exercer l’action en contrefaçon à la place du titulaire. GKE, en qualité de licencié, est donc habilitée à introduire une action en contrefaçon contre MM. Hustin et Goossens.
31 Toutefois, il y a lieu de noter que, conformément à la règle dite «de l’épuisement», contenue à l’article 16 du règlement n° 2100/94, la protection communautaire des obtentions végétales ne s’étend pas aux actes concernant du matériel de la variété protégée qui a été cédé à des tiers par le titulaire ou avec son consentement en un lieu quelconque de l’Union européenne, à moins que ces actes n’impliquent soit une multiplication ultérieure de la variété en question, sauf si cette multiplication était prévue lors de la cession du matériel, soit une exportation de constituants variétaux vers un pays tiers qui ne protège pas les variétés du genre végétal ou de l’espèce végétale dont la variété fait partie, sauf si le matériel exporté est destiné à la consommation.
32 Il découle de cet article 16 du règlement n° 2100/94 ainsi que de la règle qui y est énoncée que, dans le cadre d’une affaire telle que celle en cause au principal, le recours en contrefaçon introduit par GKE, en sa qualité de nouveau licencié agissant en lieu et place du titulaire, à savoir Better3fruit, à l’encontre de MM. Hustin et Goossens n’est envisageable que dans la mesure où le droit du titulaire n’est pas épuisé.
33 À cet égard, il ressort du dossier que Better3fruit et Nicolaï ont conclu un contrat de licence en vertu duquel Better3fruit a octroyé à Nicolaï le droit exclusif de cultiver et de commercialiser les pommiers de la variété Nicoter ainsi que l’usage des droits associés à ces derniers.
34 Ce contrat de licence contenait des conditions ou des limitations selon lesquelles Nicolaï n’avait le droit de céder aucun produit faisant l’objet de la licence sans que le tiers concerné s’engage à respecter lesdites conditions ou limitations.
35 Il y a donc lieu d’examiner si, au regard des éléments exposés aux deux points précédents, le droit du titulaire de la protection communautaire des obtentions végétales est épuisé.
36 La portée du principe de l’épuisement, tel qu’énoncé à l’article 16 du règlement n° 2100/94, n’a pas encore fait l’objet d’une interprétation par la Cour.
37 La juridiction de renvoi se pose la question de savoir si, néanmoins, la jurisprudence de la Cour relative à la portée de ce principe de l’épuisement en matière de droit des marques est applicable par analogie.
38 Il ressort de cette jurisprudence, qui concerne les relations entre le titulaire d’une marque et son licencié, que la mise dans le commerce de produits revêtus de la marque par un licencié doit être considérée, en principe, comme effectuée avec le consentement du titulaire de la marque (voir arrêt du 23 avril 2009, Copad, C‑59/08, Rec. p. I‑3421, point 46).
39 Toutefois, selon cette même jurisprudence, le contrat de licence n’équivaut pas à un consentement absolu et inconditionné du titulaire à la mise dans le commerce, par le licencié, des produits revêtus de cette marque (voir arrêt Copad, précité, point 47).
40 S’agissant plus particulièrement de la protection des obtentions végétales, l’article 27, paragraphe 2, du règlement n° 2100/94 prévoit expressément la possibilité, pour le titulaire, d’invoquer les droits que cette protection lui confère à l’encontre d’un licencié lorsque ce dernier enfreint l’une des clauses du contrat de licence.
41 S’agissant, en revanche, de l’action en contrefaçon contre des tiers, visée à l’article 94 du règlement n° 2100/94, il convient de tenir compte du quatorzième considérant de ce même règlement aux termes duquel la protection dont jouit le titulaire n’est pas excessive. Force est dès lors de constater que la violation d’une clause quelconque du contrat de licence ne saurait avoir pour conséquence que le consentement du titulaire ferait toujours défaut. En particulier, ce consentement ne saurait être considéré comme faisant défaut dans l’hypothèse où le licencié enfreindrait une disposition du contrat de licence qui n’affecte pas le consentement à la mise dans le commerce et donc pas non plus l’épuisement du droit du titulaire.
42 Le dossier soumis à la Cour ne contenant pas les copies des annexes 6 et 7 du contrat de licence, auxquelles il est fait référence dans la clause concernée dudit contrat, la Cour ne dispose pas de suffisamment d’éléments pour déterminer le type de disposition concerné dans l’affaire au principal. Il revient dès lors à la juridiction de renvoi de qualifier, sur la base des faits et des circonstances de l’affaire dont elle est saisie, les dispositions du contrat de licence en cause.
43 Si la juridiction de renvoi devait constater que le matériel protégé a été cédé par le licencié en violation d’une condition ou limitation contenue dans le contrat de licence et portant directement sur les éléments essentiels de la protection communautaire des obtentions végétales, il conviendrait de conclure que cette cession du matériel, par le licencié à un tiers, a eu lieu sans le consentement du titulaire, de sorte que le droit de ce dernier n’est pas épuisé. En revanche, la violation de dispositions contractuelles de toute autre nature dans le contrat de licence n’empêche pas l’épuisement du droit du titulaire.
44 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question posée que l’article 94 du règlement n° 2100/94, lu conjointement avec les articles 11, paragraphe 1, 13, paragraphes 1 à 3, 16, 27 et 104 dudit règlement, dans des conditions telles que celles en cause au principal, doit être interprété en ce sens que le titulaire ou le licencié peut intenter une action en contrefaçon contre un tiers qui a obtenu le matériel par l’intermédiaire d’un autre licencié ayant enfreint les conditions ou les limitations figurant dans le contrat de licence que ce dernier licencié a précédemment conclu avec le titulaire pour autant que les conditions ou les limitations en question portent directement sur les éléments essentiels de la protection communautaire des obtentions végétales concernée, ce qu’il revient à la juridiction de renvoi d’apprécier.
45 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, s’agissant d’apprécier la contrefaçon, il importe de déterminer si le tiers qui accomplit des actes sur le matériel vendu ou cédé était informé ou aurait dû être informé des conditions ou limitations contenues dans le contrat de licence.
46 À cet égard, il convient de relever que l’article 94, paragraphe 1, du règlement n° 2100/94 précise les conditions dans lesquelles le titulaire de la protection communautaire des obtentions végétales peut intenter une action en contrefaçon à l’encontre de l’auteur d’une contrefaçon, en vue d’obtenir soit la cessation de la contrefaçon, soit le versement d’une rémunération équitable, soit une combinaison de ces deux formes de réparation.
47 Le paragraphe 2 de ce même article énumère les cas dans lesquels le titulaire peut, de surcroît, intenter une action contre l’auteur d’une contrefaçon afin d’obtenir réparation du préjudice causé par celle-ci. Pour que le titulaire puisse demander une telle réparation du préjudice subi, l’auteur de la contrefaçon doit, conformément audit paragraphe 2, avoir agi de façon délibérée ou par négligence. En cas de faute légère, le droit à réparation du titulaire peut en principe être diminué en conséquence.
48 La comparaison du libellé de ces deux paragraphes fait apparaître que tout élément subjectif fait défaut au paragraphe 1. Force est donc de constater que des éléments subjectifs, tels que la connaissance de conditions ou de limitations contenues dans le contrat de licence, ne jouent en principe aucun rôle pour l’appréciation d’une contrefaçon et du droit à agir à l’encontre de l’auteur d’une telle contrefaçon.
49 Au regard de ce qui précède, il convient de répondre à la seconde question posée que, s’agissant d’apprécier la contrefaçon, il est sans importance que le tiers qui a accompli des actes sur le matériel vendu ou cédé était informé ou aurait dû être informé des conditions ou des limitations contenues dans le contrat de licence.
Sur les dépens
50 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:
1) L’article 94 du règlement (CE) n° 2100/94 du Conseil, du 27 juillet 1994, instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales, tel que modifié par le règlement (CE) n° 873/2004 du Conseil, du 29 avril 2004, lu conjointement avec les articles 11, paragraphe 1, 13, paragraphes 1 à 3, 16, 27 et 104 dudit règlement, dans des conditions telles que celles en cause au principal, doit être interprété en ce sens que le titulaire ou le licencié peut intenter une action en contrefaçon contre un tiers qui a obtenu le matériel par l’intermédiaire d’un autre licencié ayant enfreint les conditions ou les limitations figurant dans le contrat de licence que ce dernier licencié a précédemment conclu avec le titulaire pour autant que les conditions ou les limitations en question portent directement sur les éléments essentiels de la protection communautaire des obtentions végétales concernée, ce qu’il revient à la juridiction de renvoi d’apprécier.
2) S’agissant d’apprécier la contrefaçon, il est sans importance que le tiers qui a accompli des actes sur le matériel vendu ou cédé était informé ou aurait dû être informé des conditions ou des limitations contenues dans le contrat de licence.