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Décisions

CJUE, 5e ch., 17 octobre 2019, n° C-239/18

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Regan

Président de chambre :

M. Jarukaitis

Premier Président :

M. Juhász

Vice-président :

M. Ilešič

Juge :

M. Lycourgos

Avocat général :

M. Bobek

Allemagne, 31 janv. 2019

31 janvier 2019

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 11, paragraphes 1 et 2, du règlement (CE) no 1768/95 de la Commission, du 24 juillet 1995, établissant les modalités d’application de la dérogation prévue à l’article 14 paragraphe 3 du règlement (CE) no 2100/94 du Conseil instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales (JO 1995, L 173, p. 14).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Saatgut-Treuhandverwaltungs GmbH (ci-après « STV ») au Freistaat Thüringen (Land de Thuringe, Allemagne) au sujet du refus de ce dernier de lui communiquer des informations pouvant être obtenues à partir d’une base de données constituée à partir d’indications fournies par des agriculteurs dans le cadre de demandes de subventions versées au titre de fonds européens agricoles.

Le cadre juridique

Le règlement de base

3 Les dix-septième et dix-huitièmes considérants du règlement (CE) no 2100/94 du Conseil, du 27 juillet 1994, instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales (JO 1994, L. 227, p. 1, ci-après le « règlement de base »), énoncent :

« Considérant que l’exercice des droits conférés par la protection communautaire des obtentions végétales doit être soumis à des restrictions prévues dans des dispositions adoptées dans l’intérêt public ;

Considérant que cela comporte la sauvegarde de la production agricole ; que, dans ce but, l’agriculteur doit être autorisé à utiliser, selon certaines modalités, le produit de sa récolte à des fins de propagation ».

4 L’article 5 de ce règlement, intitulé « Objet de la protection communautaire des obtentions végétales », dispose, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1. Les variétés de tous les genres et de toutes les espèces botaniques, y compris notamment leurs hybrides, peuvent faire l’objet d’une protection communautaire des obtentions végétales.

2. Aux fins du présent règlement, on entend par “variété” un ensemble végétal d’un seul taxon botanique du rang le plus bas connu […] »

5 L’article 13 dudit règlement, intitulé « Droits du titulaire d’une protection communautaire des obtentions végétales et limitations », prévoit, à son paragraphe 2 :

« 1. La protection communautaire des obtentions végétales a pour effet de réserver à son ou ses titulaires, ci-après dénommés “ titulaire ”, le droit d’accomplir les actes indiqués au paragraphe 2.

2. Sans préjudice des articles 15 et 16, l’autorisation du titulaire est requise pour les actes suivants en ce qui concerne les constituants variétaux ou le matériel de récolte de la variété protégée […] :

a) production ou reproduction (multiplication) ;

b) conditionnement aux fins de la multiplication ;

c) offre à la vente ;

d) vente ou autre forme de commercialisation ;

e) exportation à partir de [l’Union européenne] ;

f) importation dans [l’Union] ;

g) détention aux fins mentionnées aux points a) à f).

Le titulaire peut subordonner son autorisation à des conditions et à des limitations. »

6 L’article 14 du même règlement, intitulé « Dérogation à la protection communautaire des obtentions végétales », se lit comme suit :

« 1. Nonobstant l’article 13 paragraphe 2, et afin de sauvegarder la production agricole, les agriculteurs sont autorisés à utiliser, à des fins de multiplication en plein air dans leur propre exploitation, le produit de la récolte obtenu par la mise en culture, dans leur propre exploitation, de matériel de multiplication d’une variété bénéficiant d’une protection communautaire des obtentions végétales autre qu’une variété hybride ou synthétique.

2. Le paragraphe 1 s’applique uniquement aux espèces de plantes agricoles suivantes.

b) Céréales :

Avena sativa – Avoine

Hordeum vulgare L. – Orge

Oryza sativa L. – Riz

Phalaris canariensis L. – Alpiste des Canaries

Secale cereale L. – Seigle

X Triticosecale Wittm. – Triticale

Triticum aestivum L. emend. Fiori et Paol. – Blé

Triticum durum Desf. – Blé dur

Triticum spelta L. – Épeautre.

c) Pommes de terre :

Solanum tuberosum – Pommes de terre.

3. Les conditions permettant de donner effet à la dérogation prévue au paragraphe 1 et de sauvegarder les intérêts légitimes de l’obtenteur et de l’agriculteur sont fixées, avant l’entrée en vigueur du présent règlement, dans le règlement d’application visé à l’article 114, sur la base des critères suivants :

– il n’y a aucune restriction quantitative au niveau de l’exploitation de l’agriculteur dans la mesure nécessaire aux besoins de l’exploitation,

– le produit de la récolte peut être préparé en vue de la mise en culture, par l’agriculteur lui-même ou par prestation de services, […]

– les petits agriculteurs ne sont pas tenus de payer une rémunération au titulaire ; par “petits agriculteurs” on entend :

– dans le cas des espèces végétales visées au paragraphe 2 auxquelles s’applique le règlement (CEE) no 1765/92 du Conseil, du 30 juin 1992, instituant un régime de soutien aux producteurs de certaines cultures arables [JO 1992, L 181, p. 12], les agriculteurs qui ne cultivent pas d’espèces végétales sur une surface supérieure à celle qui serait nécessaire pour produire 92 tonnes de céréales ; pour le calcul de cette surface, l’article 8 paragraphe 2 du règlement susmentionné est d’application ;

– dans le cas d’autres espèces végétales visées au paragraphe 2 du présent article, les agriculteurs qui répondent à des critères appropriés comparables,

– les autres agriculteurs sont tenus de payer au titulaire une rémunération équitable, qui doit être sensiblement inférieure au montant perçu pour la production sous licence de matériel de multiplication de la même variété dans la même région ; le niveau effectif de cette rémunération équitable peut être sujet à des variations dans le temps, compte tenu de la mesure dans laquelle il sera fait usage de la dérogation prévue au paragraphe 1 pour la variété concernée,

– la responsabilité du contrôle de l’application du présent article ou des dispositions adoptées au titre du présent article incombe exclusivement aux titulaires ; dans l’organisation de ce contrôle, ils ne peuvent pas avoir recours aux services d’organismes officiels,

– toute information pertinente est fournie sur demande aux titulaires par les agriculteurs et les prestataires d’opérations de triage à façon ; toute information pertinente peut également être fournie par les organismes officiels impliqués dans le contrôle de la production agricole, si cette information a été obtenue dans l’exercice normal de leurs tâches, sans charges ni coûts supplémentaires. Ces dispositions n’affectent en rien, pour ce qui est des données à caractère personnel, la législation [de l’Union] et nationale ayant trait à la protection des personnes en ce qui concerne le traitement et la libre circulation des données à caractère personnel. »

Le règlement no 1768/95

7 Les premier à cinquième considérants du règlement no 1768/95 énoncent :

« Considérant que l’article 14 du règlement de base prévoit une dérogation à la protection communautaire des obtentions végétales, en vue de sauvegarder la production agricole […]

Considérant que les conditions permettant de donner effet à cette dérogation et de sauvegarder les intérêts légitimes de l’obtenteur et de l’agriculteur sont fixées dans le règlement d’application sur la base des critères énoncés à l’article 14 paragraphe 3 du règlement de base ;

Considérant que le présent règlement établit ces conditions en spécifiant, notamment, les obligations des agriculteurs, des prestataires d’opérations de triage à façon et des titulaires découlant des critères susmentionnés ;

Considérant que ces obligations concernent essentiellement le paiement, par les agriculteurs, d’une rémunération équitable au titulaire pour faire usage de la dérogation, la fourniture d’informations, la garantie que le produit de la récolte soumis à préparation est identique à celui qui résulte de la préparation et le contrôle de l’application des dispositions de la dérogation ;

considérant également que la définition des “ petits agriculteurs ” qui ne sont pas tenus de payer une rémunération au titulaire pour faire usage de la dérogation est complétée, notamment en ce qui concerne les agriculteurs cultivant des pommes de terre ».

8 L’article 7 du règlement no 1768/95 porte spécifiquement sur les « petits agriculteurs ». Son paragraphe 5 prévoit :

« En cas de litige, un agriculteur qui affirme être un “petit agriculteur” fournira la preuve que les conditions requises à cette fin sont remplies. […] »

9 Les articles 8 et 9 du règlement no 1768/95 sont relatifs aux informations devant être fournies par les agriculteurs et les prestataires d’opérations de triage à façon. Le paragraphe 4 de ces dispositions impose au titulaire, dans sa demande, de spécifier ses nom et adresse, la ou les variétés pour lesquelles il sollicite des informations ainsi que la ou les références de la protection communautaire des obtentions végétales concernées.

10 L’article 11 du règlement no 1768/95, intitulé « Informations fournies par les organes officiels », dispose :

« 1. Toute demande d’information sur l’utilisation réelle, par sa mise en culture, de matériel d’espèces ou de variétés spécifiques ou sur les résultats d’une telle utilisation, adressée par un titulaire à un organisme officiel, doit être faite par écrit. Dans cette demande, le titulaire précisera ses nom et adresse, la ou les variétés pour lesquelles il sollicite une information et le type d’information qu’il souhaite. Il fournira également les preuves de sa propriété.

2. Sans préjudice des dispositions de l’article 12, l’organisme officiel ne peut retenir l’information demandée que si :

– il n’est pas impliqué dans le contrôle de la production agricole,

– il n’est pas autorisé, en vertu de la législation [de l’Union] ou de la législation des États membres relative à la réserve générale applicable aux activités des organismes officiels, à communiquer ces informations aux titulaires,

– en vertu de la législation [de l’Union] ou de la législation des États membres au titre desquelles les informations ont été collectées, il a toute discrétion pour retenir cette information,

– l’information demandée n’est pas ou plus disponible,

– cette information ne peut être obtenue dans le cadre de l’exercice normal de ses tâches,

– cette information ne peut être obtenue que moyennant des charges ou des coûts supplémentaires

Ou

– cette information concerne spécifiquement du matériel étranger aux variétés du titulaire.

Les organismes officiels concernés informent la Commission de la façon dont ils exercent la réserve visée au troisième tiret.

3. Lors de la fourniture des informations, l’organisme officiel ne fait aucune différence entre les titulaires. L’organisme officiel peut fournir les informations demandées par le titulaire sous la forme de copies de documents contenant des informations supplémentaires à celles concernant le matériel des variétés du titulaire pour autant qu’il soit garanti que toute possibilité d’identification des individus protégés par les dispositions visées à l’article 12 ait été supprimée.

4. Si l’organisme officiel décide de retenir l’information demandée, il informe par écrit le titulaire qui la sollicite et motive cette décision. »

11 L’article 12 du règlement no 1768/95 porte sur la protection des personnes en matière de traitement et de libre circulation des données à caractère personnel.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

12 STV représente des entreprises de production de semences titulaires d’une protection communautaire d’obtention végétale et est, notamment, chargée par ces entreprises du contrôle de la mise en culture, par des agriculteurs, de variétés protégées à ce titre et de faire valoir auprès de ces agriculteurs le droit à la rémunération à laquelle lesdites entreprises peuvent prétendre.

13 Le Land de Thuringe est responsable de la supervision de fonds de l’Union au titre de la gestion et du contrôle des dépenses du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA) et du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader). À ce titre, selon la décision de renvoi, ce Land maintient une base de données dite « InVeKoS » (Integriertes Verwaltungs- und Kontrollsystem, système intégré de contrôle et de gestion), reposant sur les indications données à ce titre par les agriculteurs demandeurs d’aides. STV allègue que parmi ces indications figurent les espèces cultivées par ces agriculteurs et les surfaces sur lesquelles cette culture a lieu.

14 Par lettre du 5 avril 2016, STV a demandé au Land de Thuringe, sur le fondement de l’article 11 du règlement no 1768/95, de lui communiquer des informations conservées dans la base de données InVeKoS. Cette demande a été rejetée.

15 Par requête du 23 décembre 2016, STV a saisi le Landgericht Erfurt (tribunal régional d’Erfurt, Allemagne) afin que le Land de Thuringe soit condamné, sur le fondement de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1768/95, à lui communiquer les données suivantes conservées dans la base de données InVeKoS :

– les noms et adresses des exploitations agricoles ;

– les superficies agricoles (en hectare) de chacune des exploitations, et

– les superficies agricoles (en hectare) affectées à la culture de céréales et de pommes de terre.

 

16 Cette demande a été rejetée par ledit tribunal le 17 août 2017, sur le fondement des dispositions combinées de l’article 11, paragraphe 2, deuxième et troisième tiret, ainsi que de l’article 12 du règlement no 1768/95.

17 STV a interjeté appel de cette décision devant la juridiction de renvoi.

18 STV fait valoir, à cet égard, que les informations que contient la base de données InVeKoS sont susceptibles de fournir un éclairage sur la superficie des terres effectivement cultivées par les agriculteurs et, partant, sur la qualification de tels agriculteurs de « petits agriculteurs », au sens de l’article 14, paragraphe 3, du règlement de base. L’obtention de ces informations lui permettrait ainsi de ne pas solliciter d’informations auprès de ces derniers. STV ajoute qu’elle est disposée à rembourser au Land de Thuringe les frais éventuellement exposés par ce dernier pour satisfaire à sa demande.

19 Le Land de Thuringe rétorque que la base de données InVeKoS ne contient aucune information propre à une variété, en dehors du chanvre ou du houblon. Par ailleurs, ce Land ne posséderait pas de capacités propres de programmation pour mettre au point la recherche spéciale que requiert le traitement des données souhaitées, le recours à un opérateur externe pour ces travaux de programmation étant évalué à 6 000 euros.

20 C’est dans ce contexte que le Thüringer Oberlandesgericht (tribunal régional supérieur de la Thuringe, Allemagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1768/95 confère-t-il envers des organismes officiels un droit à l’information se cantonnant à des informations relatives à des espèces végétales sans que la demande d’information sollicite également des informations sur une variété protégée ?

2) Au cas où il ressortirait de la réponse à la première question qu’un droit à l’information de cette nature peut être exercé :

a) Une autorité chargée du contrôle des subventions versées aux agriculteurs au moyen de ressources de l’Union et qui conserve à ce titre les données des agriculteurs ayant introduit une demande qui concernent également des espèces (végétales) est-elle assimilable à un organisme officiel impliqué dans le contrôle de la production agricole, au sens de l’article 11, paragraphe 2, premier tiret, du règlement no 1768/95 ?

b) Un organisme officiel a-t-il le droit de refuser de donner l’information sollicitée lorsque la communication de cette information requiert de recourir à un tiers pour traiter, c’est-à-dire trier les données se trouvant chez lui, à un coût de l’ordre de 6000 euros ? Le fait que le demandeur est disposé à prendre en charge les coûts encourus a-t-il une incidence ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

21 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1768/95 doit être interprété en ce sens qu’il prévoit la faculté pour le titulaire de demander à un organisme officiel des informations relatives à l’utilisation de matériel d’espèces, sans qu’une telle demande précise la variété spécifique protégée pour laquelle ces informations sont demandées.

22 Il convient, à titre liminaire, de rappeler que, aux termes de l’article 13, paragraphe 2, du règlement de base, l’autorisation du titulaire est requise, en ce qui concerne les constituants variétaux ou le matériel de récolte de la variété protégée, notamment pour la production ou la reproduction (multiplication), pour le conditionnement aux fins de la multiplication, pour l’offre à la vente, pour la vente ou une autre forme de commercialisation et pour la détention à ces fins.

23 Ainsi que la Cour l’a déjà rappelé, les dispositions de l’article 14 du règlement de base, qui, ainsi qu’il résulte des dix-septième et dix-huitièmes considérants de celui-ci, ont été adoptées dans l’intérêt public de la sauvegarde de la production agricole, constituent une exception à cette règle (arrêts du 10 avril 2003, Schulin, C-305/00, EU/C/2003/218, point 47, et du 14 octobre 2004, Brangewitz, C-336/02, EU/C/2004/622, point 37).

24 À cet égard, l’article 14 de ce règlement prévoit que l’utilisation du produit de la récolte obtenu par les agriculteurs, dans leur propre exploitation, à des fins de multiplication en plein air n’est pas soumise à l’autorisation du titulaire lorsqu’elle remplit certaines conditions fixées dans un règlement d’application sur la base d’un certain nombre de critères que celui-ci énumère.

25 Le règlement no 1768/95 établit ainsi, selon ses premier à cinquième considérants, les conditions permettant de donner effet à la dérogation à la protection communautaire des obtentions végétales, prévue à l’article 14 du règlement de base, afin de sauvegarder la production agricole ainsi que les intérêts légitimes de l’obtenteur et de l’agriculteur, sur la base des critères prévus au paragraphe 3 de cet article.

26 Parmi ces critères, ledit article 14, paragraphe 3, prévoit notamment, à son quatrième tiret, que, à l’exception des petits agriculteurs, « les autres agriculteurs sont tenus de payer au titulaire une rémunération équitable » et, à son sixième tiret, que « toute information pertinente peut […] être fournie par les organismes officiels […] ».

27 À cet égard, l’article 11, paragraphe 1, première phrase, du règlement no 1768/95 prévoit la possibilité pour un titulaire de formuler, à l’égard de tels organismes officiels, une « demande d’information sur l’utilisation réelle, par sa mise en culture, de matériel d’espèces ou de variétés spécifiques ou sur les résultats d’une telle utilisation ».

28 STV en déduit, en l’occurrence, que les titulaires disposent du droit de demander la communication d’informations détenues par les organismes officiels relatives aux pratiques de culture des agriculteurs, notamment les superficies agricoles affectées à la culture de certaines espèces, ces informations étant pertinentes pour l’exercice des droits résultant de la mise en culture de variétés protégées. En particulier, STV fait valoir que lesdites informations lui permettraient de déterminer quels agriculteurs relèvent de la qualification de « petits agriculteurs », au sens de l’article 14, paragraphe 3, troisième tiret, du règlement de base, lu en combinaison avec l’article 7 du règlement no 1768/95.

29 Le Land de Thuringe considère, pour sa part, que l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1768/95 ne confère de droit à l’information qu’à l’égard de variétés protégées spécifiquement désignées.

30 Il convient de rappeler qu’il résulte d’une jurisprudence constante que, pour l’interprétation d’une disposition de droit de l’Union, il y a lieu de recourir non seulement aux termes de celle-ci, mais également au contexte dans lequel elle s’inscrit, en tenant compte de l’économie et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 19 octobre 2017, Vion Livestock, C-383/16, EU/C/2017/783, point 35 et jurisprudence citée).

31 En premier lieu, s’agissant des termes de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1768/95, il importe de relever que, certes, ainsi qu’il a été rappelé au point 27 du présent arrêt, la première phrase dudit article 11, paragraphe 1, mentionne la possibilité pour un titulaire d’obtenir auprès d’organismes officiels notamment des informations sur l’utilisation réelle de « matériel d’espèces ou de variétés spécifiques ».

32 Toutefois, cette mention ne saurait être décisive, dès lors que l’article 11, paragraphe 1, deuxième phrase, de ce règlement exige que le titulaire, dans sa demande d’information, précise « la ou les variétés pour lesquelles il sollicite une information ».

33 En outre, selon l’article 11, paragraphe 1, troisième phrase, dudit règlement, le titulaire qui effectue une telle demande d’information doit également fournir les preuves de sa propriété. Or, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 48 de ses conclusions, il résulte du libellé de l’article 5, paragraphe 1, du règlement de base que seules peuvent faire l’objet d’une protection communautaire des obtentions végétales les « variétés de tous les genres et de toutes les espèces botaniques », de telle sorte que les preuves de propriété exigées à cet article 11, paragraphe 1, ne peuvent porter que sur des variétés, et non plus généralement sur des espèces.

34 Il ressort ainsi du libellé de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1768/95 qu’une demande d’information formulée en application de cette disposition doit nécessairement préciser la variété spécifique pour laquelle l’information est demandée.

35 Une telle interprétation littérale de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1768/95 est, en deuxième lieu, corroborée par l’objectif poursuivi par ce règlement.

36 Il y a lieu de rappeler, en effet, que, ainsi que l’énonce son deuxième considérant, ledit règlement a pour objectif de fixer, sur la base des critères énoncés à l’article 14, paragraphe 3, du règlement de base, les conditions permettant, d’une part, de donner effet à la dérogation à la protection communautaire des obtentions végétales afin de sauvegarder la production agricole et, d’autre part, de sauvegarder les intérêts légitimes de l’obtenteur et de l’agriculteur.

37 À cet égard, le quatrième considérant du règlement no 1768/95 énonce que les obligations spécifiées dans ce règlement concernent essentiellement le paiement, par les agriculteurs, d’une rémunération équitable au titulaire pour faire usage de la dérogation, la fourniture d’informations, la garantie que le produit de la récolte soumis à préparation est identique à celui qui résulte de la préparation et le contrôle de l’application des dispositions de la dérogation.

38 Partant, le droit à l’information conféré au titulaire a spécifiquement pour but de lui fournir les moyens de s’assurer du respect, par les agriculteurs, des conditions permettant de donner effet à la dérogation prévue à l’article 14, paragraphe 1, du règlement de base.

39 À cet effet, les articles 8, 9 et 11 du règlement no 1768/95 habilitent le titulaire à formuler une demande, respectivement à l’agriculteur, au prestataire d’opérations de triage à façon ou à un organisme officiel, tendant à obtenir toute information pertinente aux seules fins de préserver ses droits de propriété industrielle, qui, ainsi qu’il a été rappelé au point 33 du présent arrêt, ne peuvent porter que sur des variétés, et non plus généralement sur des espèces (voir, en ce sens, arrêt du 14 octobre 2004, Brangewitz, C-336/02, EU:C:2004:622, points 53 et 61).

40 À cet égard, une interprétation de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1768/95 selon laquelle tout titulaire serait à même de demander à un organisme officiel des informations sur les mises en culture effectuées par des agriculteurs, alors même qu’ils n’ont jamais utilisé ni eu l’intention d’utiliser des variétés protégées au titre de l’article 14, paragraphe 1, du règlement de base irait dès lors au-delà de ce qui est nécessaire afin de sauvegarder les intérêts légitimes de l’obtenteur (voir, en ce sens, arrêt du 10 avril 2003, Schulin, C-305/00, EU:C:2003:218, point 57).

41 Certes, ainsi que l’a souligné STV, l’article 14, paragraphe 3, troisième tiret, du règlement de base prévoit, en tant que l’un des critères sur la base desquels sont fixées les conditions permettant de donner effet à la dérogation prévue au paragraphe 1 de cet article, que « les petits agriculteurs ne sont pas tenus de payer une rémunération au titulaire ». En outre, la qualification de « petits agriculteurs » est, ainsi qu’il ressort du même tiret, fonction de la taille de la surface sur laquelle de tels agriculteurs cultivent des espèces végétales.

42 Toutefois, la mise en œuvre du critère selon lequel les « petits agriculteurs » ne sont pas tenus de payer une rémunération au titulaire, s’ils satisfont aux conditions prévues à l’article 7 du règlement no 1768/95, ne saurait justifier une interprétation de l’article 11 du règlement no 1768/95 qui aille au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif rappelé au point 38 du présent arrêt. Or, en vertu de l’article 7, paragraphe 5, du règlement no 1768/95, c’est à l’agriculteur qui affirme être un « petit agriculteur », et non au titulaire, de fournir les preuves que les conditions requises à cette fin sont remplies. Il s’ensuit que l’obtention, auprès d’un organisme officiel, d’informations relatives à la taille de la surface sur laquelle un agriculteur cultive certaines espèces végétales ne constitue pas une mesure nécessaire à la préservation des droits des titulaires.

43 En troisième lieu, cette conclusion est corroborée par le contexte dans lequel s’inscrit l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1768/95.

44 À cet égard, premièrement, il découle de l’article 11, paragraphe 2, septième tiret, du règlement no 1768/95 que l’organisme officiel est habilité à retenir l’information demandée si cette information concerne spécifiquement du « matériel étranger aux variétés du titulaire ». Or, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 49 de ses conclusions, la circonstance qu’un organisme officiel est, en tout état de cause, habilité à retenir toute information concernant spécifiquement du matériel étranger auxdites variétés plaide contre une interprétation selon laquelle le titulaire serait habilité à formuler une demande d’information qui ne concerne pas spécifiquement les variétés pour lesquelles il bénéfice d’une protection.

45 Deuxièmement, il a été rappelé, au point 39 du présent arrêt, que les articles 8, 9 et 11 du règlement no 1768/95 habilitent le titulaire à formuler une demande, respectivement à l’agriculteur, au prestataire d’opérations de triage à façon ou à un organisme officiel, tendant à obtenir toute information pertinente pour préserver ses droits de propriété industrielle.

46 Pour ce qui concerne les demandes pouvant être formulées à l’agriculteur en application de l’article 8 du règlement no 1768/95, le paragraphe 4 de cet article mentionne expressément que, dans sa demande, le titulaire doit spécifier « la ou les variétés pour lesquelles il sollicite des informations ainsi que la ou les références de la protection communautaire des obtentions végétales concernées » et accompagne sa demande, si l’agriculteur l’exige, des preuves de propriété. Des exigences identiques sont applicables mutatis mutandis aux demandes formulées à l’égard du prestataire d’opérations de triage à façon, en application de l’article 9, paragraphe 4, de ce règlement. L’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1768/95 impose pour sa part au titulaire, dans sa demande d’information adressée à un organisme officiel, qu’il précise, « la ou les variétés pour lesquelles il sollicite une information et le type d’informations qu’il souhaite ».

47 À cet égard, la Cour a jugé, d’une part, s’agissant des demandes pouvant être formulées à un agriculteur, que le titulaire n’est autorisé à demander des informations à un agriculteur, en application dudit article 8, que s’il dispose d’un indice, tel que l’acquisition du matériel de multiplication d’une variété végétale protégée du titulaire, sur l’usage passé ou futur par un tel agriculteur de la dérogation prévue à l’article 14, paragraphe 1, du règlement de base (voir, en ce sens, arrêt du 10 avril 2003, Schulin, C-305/00, EU: C/2003/218, points 63 et 65).

48 D’autre part, pour ce qui concerne les demandes formulées à un prestataire d’opérations de triage à façon, la Cour a considéré que, une fois que le titulaire dispose d’un indice de ce que le prestataire d’opérations de triage à façon a effectué, ou prévoit d’effectuer, de telles opérations sur le produit de la récolte obtenu par l’agriculteur par la mise en culture de matériel de multiplication d’une variété du titulaire en vue de sa mise en culture, un tel prestataire est tenu de fournir au titulaire les informations utiles relatives non seulement aux agriculteurs pour lesquels le titulaire dispose d’indices de ce que le prestataire a effectué, ou prévoit d’effectuer, lesdites opérations, mais également concernant tous les autres agriculteurs pour lesquels ce prestataire en a effectué, ou prévoit d’en effectuer, lorsque la variété en cause a été déclarée au prestataire ou était connue de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 14 octobre 2004, Brangewitz, C-336/02, EU:C:2004:622, point 65).

49 Il résulte notamment de cette jurisprudence que les demandes d’information formulées à l’agriculteur et au prestataire d’opérations de triage à façon, sur le fondement respectivement de l’article 8, paragraphe 4, et de l’article 9, paragraphe 4, du règlement no 1768/95, concernent spécifiquement des variétés du titulaire, et non des espèces. Or, au regard du libellé analogue de l’article 11, paragraphe 1, de ce règlement, lequel est rappelé au point 46 du présent arrêt, il y a lieu de considérer qu’une demande d’information adressée à un organisme officiel doit également porter spécifiquement sur une variété du titulaire.

50 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1768/95 doit être interprété en ce sens qu’il ne prévoit pas la faculté pour le titulaire de la protection communautaire d’une obtention végétale de demander à un organisme officiel des informations relatives à l’utilisation de matériel d’espèces, sans qu’une telle demande précise la variété spécifique protégée pour laquelle ces informations sont demandées.

Sur la seconde question

51 Eu égard à la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question.

Sur les dépens

52 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

L’article 11, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1768/95 de la Commission, du 24 juillet 1995, établissant les modalités d’application de la dérogation prévue à l’article 14 paragraphe 3 du règlement (CE) no 2100/94 du Conseil instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales, doit être interprété en ce sens qu’il ne prévoit pas la faculté pour le titulaire de la protection communautaire d’une obtention végétale de demander à un organisme officiel des informations relatives à l’utilisation de matériel d’espèces, sans qu’une telle demande précise la variété spécifique protégée pour laquelle ces informations sont demandées.