CA Rennes, 5e ch., 6 avril 2022, n° 18/08374
RENNES
PARTIES
Défendeur :
Axa France Iard (SA), CPAM du Morbihan (Association), Radiance Groupe Humanis Ouest (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Le Champion
Conseillers :
Mme Parent, Mme Hauet
Le 30 mai 2009, Mme Nicole Le M. épouse L. a fait une chute au centre Yves Rocher de la galerie commerciale Carrefour à Vannes, occasionnant une fracture de son fémur gauche.
La gérante du centre Yves Rocher a fait une déclaration de sinistre auprès de son assureur, la SA Axa France Iard le 4 juin 2009.
Par ordonnance de référé du 4 février 2010, le président du tribunal de grande instance de Vannes, saisi par Mme L., a ordonné une mesure d'expertise médicale confiée au docteur L. et a rejeté sa demande de provision.
Le médecin expert a déposé son rapport le 23 avril 2013.
Suivant exploit du 21 avril 2015, Mme Nicole L. a fait délivrer à la Caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan et à la Mutuelle Radiance Groupe Humanis Ouest une assignation à comparaître devant le tribunal de grande instance de Vannes afin de leur faire déclarer commune et opposable la procédure, introduite par acte d'huissier du 23 avril 2015, Mme L. faisant assigner Axa France Iard devant ledit tribunal aux fins de la voir condamnée à lui payer la somme de 16 956,19 euros en réparation de ses préjudices suite à sa chute.
Par jugement en date du 24 septembre 2018, le tribunal de grande instance de Vannes a :
- Débouté Mme Nicole L. de ses demandes en réparation à l'encontre de la société Axa France Iard,
- Débouté la Caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan de ses demandes à l'encontre de la société Axa France Iard.
- Condamné Mme Nicole L. à régler à Axa France Iard une somme de 800 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamné Mme Nicole L. aux entiers dépens.
- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
- Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Le 22 décembre 2018, Mme Nicole Le M. épouse L. a interjeté appel de cette décision et aux termes de ses dernières écritures notifiées le 12 mars 2019, elle demande à la cour de :
- Infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Vannes en date du 24 septembre 2018 en toutes les dispositions qui font grief à l'appelant et notamment aux chefs suivants du jugement critiqué :
- Déboute Mme Nicole L. de ses demandes en réparation à l'encontre de la société Axa France Iard et notamment les demandes suivantes :
- Dire et juger que le centre de beauté Yves Rocher a commis une faute en n'entretenant pas le local dans lequel Mme L. a fait une chute le 30 mai 2009, de manière sécurisante pour le public.
- Dire et juger que le centre de beauté Yves Rocher a engagé sa responsabilité civile contractuelle et subsidiairement délictuelle à l'égard de Mme Nicole L..
- Condamner la SA Axa France Iard à garantir le magasin Yves Rocher et à payer à Mme L. le montant de son entier préjudice d'un total de 18 956,19 euros qui s'établit comme suit :
5. Au titre des préjudices temporaires :
A) Pour les préjudices patrimoniaux temporaires.
a. Perte de gains professionnels actuels : 4 470,19 euros,
B) Pour les préjudices extrapatrimoniaux temporaires.
a. Déficit fonctionnel temporaire : 1 931 euros,
b. Souffrances endurées : 3 243 euros,
c. Préjudice esthétique temporaire : 1 500 euros,
6. Au titre des préjudices permanents :
C) Pour les préjudices patrimoniaux permanents.
Incidence professionnelle : 2 000 euros,
B) Pour les préjudices extrapatrimoniaux permanents.
a. Déficit fonctionnel permanent : 4 500 euros,
c. Préjudice d'agrément : 500 euros,
b. Préjudice esthétique permanent : 812 euros,
- Déboute les parties, [dont Mme L.] de leurs demandes plus amples ou contraires et notamment celles qui consistent à :
- Déclarer la décision à intervenir commune et opposable aux organismes sociaux à savoir la CPAM du Morbihan et la mutuelle Radiance.
- Condamner la SA Axa France Iard à lui payer une somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamner la société d'assurances Axa France Iard aux entiers dépens, comprenant les frais d'expertise pour un montant de 800 euros.
- Déboute la CPAM du Morbihan de ses demandes à l'encontre de la société Axa France Iard.
- Condamne Mme Nicole L. à régler à Axa France Iard une somme de 800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamne Mme Nicole L. aux entiers dépens.
Statuant à nouveau :
- Débouter la SA Axa France Iard de toutes ses demandes, dont sa demande de sursis à statuer.
- La dire et juger recevable et bien fondée en son appel partiel.
Y faisant droit,
- Dire et juger que le magasin qui accueille les consommateurs, reconnaît que le sol venait de faire l'objet d'un nettoyage de cire au moyen d'un solvant.
- Constater qu'elle ne fait pas état d'un sol mouillé mais d'un sol glissant, un solvant pouvant avoir pour effet, même après passage d'un essuie tout, de rendre le sol glissant.
- Dire et juger que le centre de beauté Yves Rocher a manqué à son obligation de sécurité de résultat, imposée dans les lieux qui offrent des services au public.
- Dire et juger que le centre de beauté Yves Rocher a commis une faute en n'entretenant pas le local dans lequel elle a fait une chute le 30 mai 2009, de manière sécurisante pour le consommateur.
- Dire et juger que le centre de beauté Yves Rocher a engagé sa responsabilité civile contractuelle et subsidiairement délictuelle à son égard, faute pour lui de démontrer l'existence d'une force majeure ou d'une cause étrangère.
- Condamner la SA Axa France Iard à garantir le magasin Yves Rocher et à lui payer le montant de son entier préjudice d'un total de 18,956.19 euros qui s'établit comme suit :
Au titre des préjudices temporaires :
A) Pour les préjudices patrimoniaux temporaires.
a. Perte de gains professionnels actuels : 4 470,19 euros,
B) Pour les préjudices extrapatrirnoniaux temporaires.
a. Déficit fonctionnel temporaire : 1 931 euros,
b. Souffrances endurées : 3 243 euros,
c. Préjudice esthétique temporaire : 1 500 euros,
Au titre des préjudices permanents :
A) Pour 1es préjudices patrimoniaux permanents.
Incidence professionnelle : 2 000 euros,
B) Pour les préjudices extrapatrimoniaux permanents.
a. Déficit fonctionnel permanent : 4 500 euros,
c. Préjudice d'agrément : 500 euros,
b. Préjudice esthétique permanent : 812 euros,
- Déclarer la décision à intervenir commune et opposable aux organismes sociaux à savoir la CPAM du Morbihan et la mutuelle Radiance.
- Condamner la SA Axa France Iard à lui payer une somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles de l'artic1e 700 du code de procédure civile exposés en première instance, outre 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,
- Condamner la société d'assurances Axa France Iard aux entiers dépens, comprenant les frais d'expertise pour un montant de 800 euros.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 27 décembre 2021, la société Axa France Iard demande à la cour de :
- La dire et juger recevable et bien fondée en ses conclusions.
Y faisant droit,
Pour tous les moyens exposés supra et faisant corps avec le présent dispositif,
- Confirmer purement et simplement le jugement prononcé par le tribunal de grande instance de Vannes le 24 septembre 2018.
En conséquence,
À titre principal :
- Débouter Mme Nicole L. de toutes ses demandes, fins et conclusions, Mme Nicole L. ne prouvant absolument pas que le sol du magasin aurait été glissant et qu'il aurait été à l'origine de son dommage.
- Condamner en outre Mme Nicole L. à lui régler une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
À titre éminemment subsidiaire et dans l'hypothèse impossible où votre cour retiendrait la responsabilité du centre de beauté Yves Rocher,
- Evaluer ainsi le préjudice de Mme L. :
A. Préjudices temporaires :
1) Préjudices patrimoniaux temporaires :
a- Pertes de gains professionnels futures :
Sursis à statuer dans l'attente de la production des pièces sollicitées,
2) Préjudices extrapatrimoniaux temporaires :
a- Déficit fonctionnel temporaire : Rapport à Justice,
b- Souffrances endurées : 2 820 euros,
c- Préjudice esthétique temporaire : 500 euros,
B. Préjudices permanents :
1) Préjudices patrimoniaux permanents :
a- Dépenses de santé futures : 0,
b- Incidence professionnelle : 0,
2) Préjudices extra-patrimoniaux permanents :
a- Déficit fonctionnel permanent :
b- Préjudice d'agrément : 0,
c- Préjudice esthétique permanent : rapport à Justice.
La CPAM du Morbihan n'a pas constitué avocat dans le délai prescrit. La déclaration d'appel ainsi que les conclusions d'appelant ont été signifiées à personne habilitée le 19 mars 2019.
La Mutuelle Radiance Groupe Humanis Ouest n'a pas constitué avocat dans le délai prescrit. La déclaration d'appel ainsi que les conclusions d'appelant ont été signifiées à personne habilitée le 19 mars 2019.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 13 janvier 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION,
Au soutien de son appel, Mme L. considère que le premier juge a fait une mauvaise application des règles de responsabilité civile en indiquant qu'un établissement accueillant du public était tenu à une obligation de sécurité de moyens alors que le code de la consommation impose une obligation de sécurité de résultat.
Elle explique que le sol venait de faire l'objet d'un nettoyage de cire au moyen d'un solvant, rendant le sol glissant et sur lequel elle a chuté.
En réponse, la société Axa France Iard indique qu'aucun obstacle n'encombrait le passage emprunté par Mme L.. Elle fait référence à un arrêt de la Cour de cassation en date du 9 février 2020.
Elle argue de ce que Mme L. ne rapporte pas la preuve que le sol a pu jouer un rôle causal dans la survenance de l'accident.
En préliminaire, la cour rappelle qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes de "constater", ou "dire et juger" qui ne constituent pas des prétentions susceptibles d'entraîner des conséquences juridiques au sens de l'article 4 du code de procédure civile, mais uniquement la reprise de moyens développés dans le corps des conclusions qui ne doivent pas, à ce titre, figurer dans le dispositif des écritures des parties.
- Sur le fondement juridique.
Mme L. invoque les dispositions de l'article L. 421-3 (ancien article L. 221-1) du code de la consommation qui indique :
Les produits et les services doivent présenter, dans des conditions normales d'utilisation ou dans d'autres conditions raisonnablement prévisibles par le professionnel, la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et ne pas porter atteinte à la santé des personnes.
Lorsqu'une chose est à l'origine d'un dommage corporel 3 régimes sont en principe, hors régimes spéciaux, susceptibles d'être mobilisés sans pouvoir se cumuler :
- La responsabilité contractuelle (en présence d'un contrat).
- La responsabilité du fait des choses de l'article 1384-1 devenu l'article 1242-1 du code civil qui fait peser sur le gardien une présomption de responsabilité à condition, lorsqu'il s'agit d'une chose inerte, que soit rapportée la preuve que, placée en position anormale ou en mauvais état, elle a été l'instrument du dommage.
- La responsabilité du fait des produits défectueux prévue aux articles 1386-1 à 1386-18 devenus les articles 1245 à 1245-17 du code civil.
La responsabilité contractuelle n'est pas applicable puisque le contrat de vente n'a pas été encore conclu ou la prestation de soin esthétique n'a pas encore été réalisée.
Dans un arrêt du 20 septembre 2017, la Cour de cassation a, au visa de l'article L. 221-1 (devenu l'article L. 421-3) du code de la consommation, affirmé qu'une entreprise de distribution est débitrice à l'égard de sa clientèle d'une obligation générale de résultat, dispensant ainsi la victime de démontrer que la chose inerte est à l'origine de son dommage.
Cet arrêt est une décision isolée et dans un arrêt du 9 septembre 2020, la Cour de cassation est revenue sur cette décision et a précisé que :
- La responsabilité de l'exploitant d'un magasin dont l'entrée est libre ne peut être engagée, à l'égard de la victime d'une chute survenue dans ce magasin et dont une chose inerte serait à l'origine, que sur le fondement de l'article 1384 alinéa 1er devenu 1242 alinéa 1er du code civil, à charge pour la victime de démontrer que cette chose, placée dans une position anormale ou en mauvais état serait à l'origine du dommage.
- Si l'article L. 221-1, devenu L. 421-3 du code de la consommation édicte au profit des consommateurs une obligation générale de sécurité des produits et services, il ne soumet pas à l'exploitant d'un magasin à une obligation de sécurité de résultat à l'égard de la clientèle.
Ainsi au visa de l'article 1242 alinéa 1er, Mme L. doit rapporter que le sol du magasin Yves Rocher a joué un rôle causal dans la survenance de son dommage, l'apparition d'un dommage n'induisant pas forcément la responsabilité du magasin.
- Sur la responsabilité.
Il est avéré que Mme L. a chuté sur le sol de l'établissement.
Dans son courrier daté du 12 juillet 2009 adressé à la société Axa France Iard, Mme L. consigne : je me suis présentée au centre de beauté Yves Rocher, centre commercial Carrefour, Le Fourchêne, 56000 Vannes ou j'avais rendez-vous à 14 h 15. Je suis entrée dans la cabine où le sol venait d'être lavé. J'ai glissé en entrant. Dans cette chute, je me suis cassé le col du fémur (...).
Mme L. n'indique pas formellement que le sol est glissant.
Mme Véronique S., qui indique avoir été témoin, a vu que Mme L. était à terre et n'a pas assisté à la chute. Elle ne fait que rapporter des propos. Son témoignage, qui au demeurant n'est pas conforme à l'article 202 du code de procédure civile, ne peut être retenu.
Mme S., esthéticienne au centre de beauté, écrit : j'ai ôté les tâches de cire entre le lit et la tablette de travail de la précédente intervention avec du solvant référence M4202 (nettoyant toutes les surfaces) puis essuyé avec du papier de protection, référence 08A6, le sol était sec après cette intervention. De mémoire, il me semble que la cliente Mme L. est partie en avant et est tombée.
Pour Mme S., le sol n'est pas glissant.
En outre, le sol nettoyé par Mme S. ne correspond pas à l'endroit où Mme L. a chuté.
Mme L. ne peut se prévaloir d'une proposition de la société Axa France Iard pour la prise en charge d'une partie de son préjudice, cette proposition ayant été effectuée à titre amiable. En effet dans un courrier du 8 octobre 2009, l'assureur écrit : après un nouvel examen de ce dossier et dans un cadre transactionnel amiable, nous acceptons de prendre en charge 50 % de votre préjudice corporel. En effet, vous n'apporté aucun élément prouvant que le sol de l'institut était glissant et personne ne vous a vu tomber. Nous attirons votre attention sur le fait que si cette affaire venait sur un terrain judiciaire nous reprendrions tous nos droits.
Ainsi Mme L. ne peut revendiquer une quelconque reconnaissance de la part de la société Axa France Iard de son obligation de prendre en charge les conséquences de la chute.
Il en est de même de la présence de la société Axa France Iard pendant la mission d'expertise puisque l'expertise a été ordonnée au contradictoire de la société Axa France Iard « sans préjuger sur la recevabilité ou le bien fondé des demandes ou sur la responsabilité des personnes appelées comme » parties tel qu'indiqué dans l'ordonnance de référé.
En conséquence, à défaut de démontrer un défaut d'entretien ou un vice interne du sol, ou le rôle causal du sol dans l'apparition du dommage de Mme L., la responsabilité du magasin ne peut être retenue.
- Sur les autres demandes.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, Mme L. est condamnée à payer à la société Axa France Iard la somme de 1 500 euros.
Succombant en son appel, Mme L. est déboutée de sa demande en frais irrépétibles et est condamnée aux dépens, étant par ailleurs précisé que les dispositions du jugement sur les frais irrépétibles et les dépens sont confirmées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire rendu par mise à disposition au greffe :
- Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
- Condamne Mme Le M. épouse L. à payer à la société Axa France Iard la somme de 1 500 euros au titre des frais et honoraires non compris dans les dépens ;
- Condamne Mme Le M. épouse L. aux dépens.
La greffière La présidente