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Décisions

CA Douai, 1re ch. sect. 2, 6 mars 2013, n° 11/05268

DOUAI

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

GAEC CRAPPIER (Sté)

Défendeur :

AGRICO HOLLAND BV (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Zenati

Conseillers :

Mme Bonnemaison, M. Poupet

Avocats :

Me Carlier, Me Chapoullie, Me Blondelot

TGI de Lille, du 9 juin 2011, n° 08/1060

9 juin 2011

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 06 Mars 2013 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Madame Martine ZENATI, Président, et Claudine POPEK, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 10 décembre 2012

Par jugement du 9 Juin 2011, le Tribunal de Grande Instance de LILLE a débouté le GAEC CRAPPIER de sa demande de nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon établi le 22 Janvier 2008, dit que GAEC CRAPPIER s'était livré à des actes de contrefaçon de la variété de pomme de terre 'Agata', objet d'identification d'obtention végétale détenu par la société AGRICO HOLLAND BV, condamné le GAEC CRAPPIER à verser à la société AGRICO HOLLAND BV les sommes de 3 500 € en réparation de son préjudice moral, 11 050 € pour son manque à gagner, 40 000 € au titre des bénéfices réalisés par le contrefacteur outre une indemnité de procédure de 6 000 € et débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Le GAEC CRAPPIER a relevé appel de ce jugement le 22 Juillet 2011 et déposé des conclusions portant reprise d'instance et tendant à voir infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, prononcer la nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon, débouter la société AGRICO HOLLAND BV de toutes ses demandes et la condamner au paiement d'une somme de 15 000 € à titre de dommages et intérêts outre une indemnité de procédure de 40 000 €.

La société AGRICO HOLLAND BV (ci-après désignée AGRICO) a déposé des conclusions tendant à voir confirmer le jugement en ce qu'il impute au GAEC CRAPPIER des actes de contrefaçon et quant au montant des indemnités allouées au titre de son manque à gagner et de ses frais irrépétibles mais sollicite sa réformation pour le surplus, réclamant les sommes de 20 000 € au titre de son préjudice moral, 128 040 € en réparation des bénéfices injustement réalisés par le GAEC ainsi que la publication de l'arrêt aux frais de ce dernier outre une interdiction de poursuivre les actes de contrefaçon à peine d'astreinte et la condamnation de l'appelant au paiement d'une indemnité de procédure de 10 000 €.

Elle sollicite, subsidiairement, une mesure de consultation judiciaire sur les limites de conservation des tubercules de pomme de terre.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 décembre 2012.

SUR CE

Il est renvoyé pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties au jugement entrepris duquel il résulte essentiellement que :

- la société de droit hollandais AGRICO est titulaire d'un certificat d'obtention végétale relatif à la variété de pomme de terre Agata'délivré le 19 Novembre 1991 sous le 6225 par le Comité de la protection des obtentions végétales pour une durée de 25 ans, portée à trente ans par application de la loi du 1er Mars 2006, à compter du 28 Novembre 1991 ;

- convaincue, à l'examen comparé des quantités de plants acquis par le GAEC, des surfaces exploitées et du volume de ses ventes entre Novembre 2006 et Mai 2007, de l'utilisation de plans contrefaits pour la campagne d'emblavement de 2006, la société AGRICO a, ensuite d'une saisie-contrefaçon opérée le 1er Février 2008 sur autorisation judiciaire, assigné le GAEC CRAPPIER en réparation de ses préjudices ;

- le GAEC CRAPPIER s'est prévalu de la nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon et défendu de toute contrefaçon, faisant notamment valoir que les quantités de pomme de terre commercialisées en 2006-2007 s'expliquaient par le report de la vente d'une partie de sa production 2005, conservée dans l'attente d'une remontée des cours.

C'est dans ces conditions qu'est intervenu le jugement dont appel qui a d'une part estimé régulières les opérations de saisie-contrefaçon, d'autre part admis la contrefaçon.

Sur la validité des opérations de saisie-contrefaçon :

Rappelant les dispositions de l'article L. 623-27-1 du Code de la Propriété Intellectuelle, d'interprétation stricte, selon lesquelles le demandeur à la contrefaçon peut, sur décision judiciaire, faire procéder soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d'échantillons, soit à la saisie réelle des objets prétendus contrefaisants ainsi que tout document s'y rapportant ce dont il résulte que seule la saisie réelle d'objets dits contrefaisants autorise la saisie de documents et doit nécessairement la précéder, le GAEC CRAPPIER plaide la nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé le 22 Janvier 2008 dès lors que l'huissier instrumentaire a, dès le début de ses opérations, saisi nombre de documents comptables avant de visiter le bâtiment où étaient entreposées d'authentiques plans de pommes de terre Agata en sorte qu'aucun plant contrefaisant n'a été saisi.

La société AGRICO conteste cette interprétation et affirme, à l'instar du Tribunal, que la faculté offerte par ce texte de réaliser saisie descriptive ou saisie réelle s'accompagne dans les deux cas de la possibilité de saisir tout document utile, sans instituer une chronologie dans les opérations que l'ordonnance du Président du Tribunal de Grande Instance d'AMIENS n'imposait pas non plus, autorisant au contraire un périmètre étendu d'investigations que l'huissier a respecté.

Elle ajoute que la spécificité de la contrefaçon d'obtention végétale qui, pour les pommes de terre consiste à utiliser des plans pour lesquels l'agriculteur ne dispose pas d'autorisation du titulaire du droit, ces plans ne présentant aucune différence visuelle avec ceux bénéficiant d'autorisations, ne permettait qu'une saisie descriptive, la saisie de plants mis en terre au printemps 2007 étant matériellement impossible.

La Cour rappelle que l'ordonnance du Président du Tribunal de Grande Instance d'AMIENS autorisait notamment :

- une saisie descriptive de la contrefaçon alléguée (article1),

- une saisie réelle de dix éléments de matériel végétal de multiplication de la variété arguée de contrefaçon (article 2),

- une saisie descriptive de tous documents propres à établir la matérialité de la contrefaçon, son origine, son étendue.... (article 7)

- une saisie réelle en trois exemplaires de tous documents d'où pourrait résulter la matérialité de la contrefaçon, son origine, son étendue... (article 10).

Ces investigations n'excédaient pas le cadre des mesures autorisées par les dispositions de l'article L 623-27-1 du Code de la Propriété Intellectuelle qui n'interdisent pas, contrairement à ce qui est soutenu par l'appelant, le cumul des saisies descriptives et réelles d'objets argués de contrefaçon ni ne cantonnent la possibilité d'une saisie descriptive ou réelle de documents au seul cas de saisie réelle d'objets contrefaisants.

La Cour estime de même qu'ayant eu confirmation par le représentant du GAEC de l'achat de plants certifiés de la variété Agata à partir desquels des plants contrefaits pouvaient être produits, l'huissier commis, en procédant d'abord à la saisie descriptive d'un certain nombre de documents comptables susceptibles d' établir la matérialité de la contrefaçon puis en constatant la présence dans l'entrepôt du GAEC de bigbags de semences certifiées de variété Agata dont il a photographié une étiquette et de palettes de pommes de terre, n'a ni violé l'ordre chronologique de ses investigations que l'ordonnance n'imposait pas ni excédé les termes de la mission impartie lorsqu'il n'est pas contesté que la contrefaçon, qu'aurait constitué en l'espèce la plantation en Avril 2007 de plants issus d'une récolte antérieure que l'agriculteur n'avait pas le droit de réensemencer, ne pouvait être établie en Janvier 2008 qu'en comparant le volume des achats de plants et de ventes de pommes de terre du GAEC, la récupération des plants mis en terre au printemps 2007 s'avérant matériellement impossible et inutile puisque ces plants ne pouvaient être différenciés de plants régulièrement acquis et plantés concomitamment.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il rejette le moyen tiré de la nullité des opérations de saisie-contrefaçon.

Sur la contrefaçon :

Le GAEC CRAPPIER fait valoir qu'en affirmant qu'il n'opposait pas de contrepoids technique à la démonstration de la demanderesse le Tribunal a inversé la charge de la preuve lorsqu'il appartient à la société AGRICO d'établir de manière certaine la contrefaçon de ses plants, ce qu'elle ne démontre pas dans la mesure où elle fonde son argumentation sur l'incohérence des résultats du GAEC au regard d'un certain nombre de paramètres (achats de plants, ventes, densités de plantations, rendements annoncés etc...), dont il affirme au contraire prouver en appel la crédibilité au travers d'une expertise.

Rappelant que la contrefaçon au cas d'espèce ne peut être établie qu'à partir d'un examen comparé des achats de plants, des surfaces cultivées et des ventes réalisées, dont l'incohérence induit nécessairement la contrefaçon, la société AGRICO fait valoir successivement :

- que le rendement lors de la récolte 2006 de 124.37 tonnes / hectare induit par les chiffres du GAEC est impossible lorsqu'un rendement moyen est de 50 T/ha, a fortiori si la surface cultivée n'est plus de 5 ha comme indiqué à l'huissier mais de 3.7 ha comme l'affirme aujourd'hui le GAEC ;

- que la densité de plantation est de même impossible quand les normes sont de planter 2.2 t/ha pour un calibre 35/45, de 3.5 t/ha pour un calibre 50/55 ce qui impliquerait au cas d'espèce l'acquisition de 17.5 tonnes de plants pour une surface de 5 ha à emblaver et de 12.95 tonnes pour une surface de 3.7 ha alors que le GAEC a fait l'achat de 9.4 tonnes de calibre 50/55 ;

- que l'affirmation tardive d'une coupe des plants en 2006 (antérieurement reconnue seulement pour 2005) est sans incidence sur la densité des plantations ;

- qu'au regard des ventes réalisées et du rendement moyen à le ha, elle estime dès lors à 12.4 ha la surface réellement cultivée par le GAEC, induisant une densité de plantations de 0.76 t/ha ce qui est strictement impossible. Elle en déduit que le GAEC a nécessairement pratiqué l'auto-production (utilisation des pommes de terre récoltées l'année précédente pour ensemencer à nouveau ses terres) ;

- qu'est de même radicalement impossible le report prétendu de la vente d'une partie de la récolte 2005 (habituellement récoltée en Septembre / Octobre) avec celle de 2006 (soit entre Novembre 2006 et Mai 2007) lorsque la variété Agata est connue pour s'altérer rapidement, sa conservation ne pouvant excéder 9 à 10 mois et la dégradation des tubercules après 12 mois empêchant toute commercialisation ;

- que l'argument économique de l'attente d'une remontée des cours invoqué par le GAEC est dénué de toute pertinence au regard du coût de la conservation des pommes de terre en entrepôt frigorifique et de la perte très significative de poids de la pomme de terre au fil des mois en sorte que le GAEC n'avait aucun intérêt à retarder la vente de sa récolte 2005 ;

- que la capacité de stockage annoncée par le GAEC (d'abord de 6900 tonnes puis de 8237 tonnes ) rendait au demeurant impossible la présence cumulée des récoltes 2005 et 2006 plusieurs mois durant (soit un peu plus de 11 000 tonnes) ;

- que l'approvisionnement en huile minérale du GAEC CRAPPIER conforte d'autant la thèse de l'auto production laquelle nécessite des pesticides spécifiques.

La Cour constate tout d'abord que n'est pas discutée la méthodologie utilisée par la société AGRICO (qui peut faire la preuve de la contrefaçon par tous moyens) pour établir l'auto production reprochée au GAEC CRAPPIER consistant à mettre en perspective différents paramètres que sont le volume des achats de plants et ventes de pommes de terre, les données relatives aux surfaces cultivées, le rendement à l'hectare et la densité de plantation auxquels s'ajoutent les caractéristiques de la variété de pomme de terre en cause, l'incidence des techniques utilisées (le coupage de plants) et les méthodes de conservation pour vérifier s'il était possible pour le GAEC de réaliser ses ventes 2006-2007 au seul moyen des plants certifiés acquis pour sa campagne 2006, ce qu'elle a estimé totalement irréalisable.

Pour asseoir sa démonstration, la société AGRICO se fonde :

* sur les notes établies par M. CROSNIER, expert judiciaire et membre de la Compagnie Nationale des Experts de l'Interprofession des Semences, qui assistait l'huissier lors des opérations de saisie-contrefaçon et qui s'est notamment attaché à démontrer les incohérences du rapport d'expertise de M. PATUREL ;

* les attestations de deux ingénieurs, M. GRANOUEILLE et M. MARTIN, venant contester la possibilité d'un stockage prolongé de la pomme de terre Agata ;

* l'analyse de M. MOLET également expert judiciaire et membre de diverses compagnies d'experts sur l'absence de pertinence économique d'une conservation prolongée des pommes de terre.

De son côté, le GAEC CRAPPIER a soumis les conclusions de ces professionnels à l'expertise de M. PATUREL, expert judiciaire, qui après avoir consulté divers spécialistes et pris note des critiques de M. CROSNIER, est parvenu à la conclusion que l'ensemble des données fournies par le GAEC CRAPPIER permettait de considérer comme crédibles les densités de plantation et rendements annoncés par l'agriculteur en 2005 puis 2006, notamment par la pratique des plants coupés, tout comme la conservation d'une partie de la récolte 2005 pour la revendre en 2006/2007 au regard des capacités de stockage constatées.

Confrontée à ces avis contraires d'éminents spécialistes, la Cour n'a à l'évidence pas les compétences requises pour se prononcer sur la question, étant observé que la société AGRICO verse suffisamment d'analyses faisant présumer la contrefaçon dénoncée de nature à justifier une mesure d'instruction.

Une expertise judiciaire sera donc ordonnée aux frais avancés de la société AGRICO sur laquelle pèse la charge de la preuve de la contrefaçon.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il déboute le GAEC CRAPPIER de sa demande de nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon.

Avant dire droit sur le surplus des demandes des parties, tous droits et moyens des parties réservés :

Ordonne une mesure d'expertise judiciaire et désigne à cet effet Mme NANSOT Christiane, [...] avec mission, après avoir pris connaissance du dossier, les parties présentes ou appelées :

1°) Examiner les installations du GAEC CRAPPIER et l'ensemble des documents comptables nécessaires à ses investigations ;

2°) Analyser et vérifier les densités de plantation et rendements à l'hectare obtenus par le GAEC au titre des récoltes 2005 et 2006 de pomme de terre Agata, les capacités de stockage du GAEC et de conservation d'une partie de la récolte 2005 aux fins de revente avec la récolte 2006 ainsi que la faculté pour l'agriculteur de recourir à la technique des plants coupés et son incidence sur la récolte 2006 ;

3°) au vu de l'ensemble de ces données, dire s'il était possible au GAEC de réaliser le volume de ses ventes 2006-2007 sans recourir à l'auto production ;

4°) Dans la négative, déterminer le volume de pommes de terre provenant d'une auto production et le montant des bénéfices réalisés par cette méthode ;

5°) Donner son avis sur le manque à gagner qui en est résulté pour la société AGRICO et sur tous autres préjudices éventuels ;

Subordonne l'exécution de la mesure d'instruction à la consignation, avant le 30 avril 2013, au GREFFE DE LA COUR, RÉGIE D=AVANCES et de RECETTES, par la société AGRICO d=une avance de 2 000 €, à valoir sur la rémunération de l'expert,

Dit, en application de l'article 271 du nouveau Code de procédure civile, sauf prorogation ou relevé de caducité, que faute par la société AGRICO de consigner dans le délai imparti, la désignation de l'expert sera caduque,

Dit que l'expert devra indiquer dès que possible au juge chargé du contrôle de la mesure d'instruction et aux parties le coût prévisionnel de l'expertise et demander, en temps utile, tout supplément de consignation justifié par ce coût ou par des diligences imprévues,

Dit qu'au cas d'empêchement ou refus de l'expert commis il sera pourvu à son remplacement par le magistrat chargé du contrôle de la mesure d'instruction,

Dit que l'expert commis, saisi par LE GREFFE DE LA COUR, devra :

- accomplir les opérations d'expertise au contradictoire des parties, celles-ci et leurs conseils étant présents ou dûment appelés,

- prendre en considération leurs observations et réclamations faites dans les délais qu'il aura impartis, et, si elles sont écrites, les joindre à son avis, si cela est demandé,

- mentionner dans cet avis la suite qu'il aura donné à toutes les observations et réclamations faites dans les délais et qui n'auront pas été abandonnées, au sens de l'article 276 3° et 4° alinéa du nouveau Code de procédure civile,

- impartir un délai de rigueur pour déposer les pièces justificatives qui lui paraîtraient nécessaires,

- déposer son rapport au GREFFE DE LA COUR 1ère CHAMBRE SECTION 2, dans un délai de 6 mois à compter de l'acceptation de sa mission, sauf prorogation du délai dûment sollicitée en temps utile auprès du magistrat chargé du contrôle de la mesure d'instruction,

- procéder personnellement à ses opérations, en pouvant, toutefois, se faire assister, dans l'accomplissement de sa mission, par une personne de son choix, sous son contrôle et sa responsabilité, personne dont il mentionnera les noms et qualités,

Dit que l'expert pourra également recueillir l’avis d=un autre technicien d=une spécialité distincte de la sienne et devra, dans ce cas, joindre cet avis à son rapport.