CA Douai, 2e ch., 25 octobre 2016, n° 16/03980
DOUAI
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
PEPINIERES G. PERE & FILS (Sté)
Défendeur :
AGRO SELECTION FRUITS (Sas)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Borel
Conseillers :
Mme Brigitte, Mr Bertrand
Avocat :
Scp A. Et Associes Avocats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile ;
- signé par Madame Laure BOURREL, Président de chambre, et par Madame Sylvia TORRES, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS et PROCEDURE ' MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES
La société par actions simplifiée Agro Sélection Fruits (la société ASF) crée des variétés végétales de fruitiers et protège ses innovations par des certificats d'obtentions végétales.
Elle distribue ses produits au travers d'un réseau comprenant des pépiniéristes agréés devant multiplier et faire croître les embryons pour produire des arbres et un ensemble d'arboriculteurs agréés qui achètent ces arbres aux pépiniéristes pour la culture et la production de fruits.
La société ASF conclut des contrats de production, d'élevage et de vente de plants avec les pépiniéristes qui entraînent pour les arboriculteurs, clients de ces derniers, l'obligation de payer des droits d'exploitation, en contrepartie de licences concédées par la société ASF.
Suivant contrat du 25 janvier 2005, l'EARL Pépinières G.&Fils (la société G.) a conclu avec la société ASF un contrat d'élevage et de livraison de plants semi-finis de variétés fruitières sur les territoires français et espagnol.
La société ASF a accepté que la société G. vende 35 905 plants en Algérie pour la campagne 2008/2009 (décembre 2008 à février 2009) mais n'a pas obtenu, malgré deux demandes en ce sens, la justification d'un état récapitulatif de cette campagne ; la société G. a répondu que les plants n'avaient pas été expédiés en Algérie suite à des « problèmes » et que suite au constat de leur moisissure dans les frigos, elle avait brûlé le tout.
Invoquant une commercialisation non autorisée des plants en Algérie, mais également au Maroc et en Abkhazie par la société G., en violation du contrat d'élevage, la société ASF a rompu le contrat, le 4 mars 2014.
La société ASF a engagé, au titre des commercialisations de plants au Maroc et en Abkhazie une action en contrefaçon à l'encontre de la société G., devant le tribunal de grande instance de
Toulouse, juridiction spécialisée, le 28 mars 2014, actuellement en cours.
Elle a fait assigner la société G. devant le tribunal de commerce de Montpellier, par acte d'huissier du 2 juillet 2014 en responsabilité contractuelle pour avoir vendu des variétés végétales protégées sans son agrément et en paiement de la somme de 1 454 400 euros, correspondant au montant de la clause pénale insérée au contrat (article 14).
La société G. a soulevé une exception d'incompétence d'attribution.
Par jugement contradictoire du 2 mai 2016, le tribunal s'est déclaré compétent et a ordonné aux parties de conclure au fond avant l'audience du 12 septembre 2016.
La société Pépinières G. Père & Fils a déposé au greffe de la juridiction consulaire un contredit le 13 mai 2016 tendant à l'incompétence du tribunal de commerce de Montpellier au profit du tribunal de grande instance de Toulouse.
Dans des conclusions parvenues au greffe de la cour le 16 septembre 2016, elle conclut à l'allocation d'une somme de 3 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et au soutien du contredit, elle fait valoir que :
- l'assignation précise en page 10 que les faits d'Algérie, à l'identique de ceux concernant le Maroc et l'Abkhazie, constitueraient pareillement une contrefaçon dont les éléments constitutifs sont réunis mais indique qu'en raison d'un délai de prescription de 3 ans en cette matière, la société ASF a saisi la juridiction de droit commun pour des faits constitutifs de contraventions au contrat, dont la prescription est quinquennale ;
- il s'agit d'un détournement de procédure dans le seul but de contourner la prescription encourue puisque l'action relève en réalité des articles L. 623-31 et suivants du code de la propriété intellectuelle et D. 211-5 du code de l'organisation judiciaire ;
- la société G. ne pouvait agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle qu'au titre de faits distincts de ceux qualifiés de contrefaçon en vertu du non-cumul d'actions ; or les faits visés sont des actes de contrefaçon puisqu'elle invoque une atteinte au droit exclusif de vendre les variétés végétales qu'elle crée et qui sont protégées par les certificats d'obtention
végétales ;
- la loi spéciale qui concerne la contrefaçon déroge au droit commun ;
- seul le tribunal de grande instance de Toulouse est compétent pour connaître du litige ;
- à titre subsidiaire, l'article L. 623-31 du code de la propriété intellectuelle dispose que «les actions civiles et les demandes relatives aux obtentions végétales y compris lorsqu'elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale sont exclusivement portées devant les tribunaux de grande instance, déterminés par voie réglementaire ('.) » ;
- ce texte ne limite pas les actions visées aux certificats d'obtention végétales ;
- or l'action en responsabilité contractuelle engagée par la société G. est une action civile relative aux obtentions végétales ;
- la société ASF se réfère à tort à l'article L. 615-7 du même code qui concerne les brevets d'invention ;
- enfin, le mince énoncé des motifs du jugement ne saurait valoir motivation au sens de l'article 455 du code de procédure civile.
La société Agro Sélections Fruits a conclu, le 5 septembre 2016, à la compétence du tribunal de commerce de Montpellier, à la confirmation du jugement et à l'allocation de la somme de 1 800 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir en substance que :
- son action n'est pas fondée sur les dispositions protectrices du droit de la propriété intellectuelle, dont l'application est d'ailleurs prescrite ;
- il est constant qu'un ensemble de faits peut tomber sous le coup de différentes qualifications juridiques et être appréhendé sous des angles différents dès lors que leur condamnation ne se heurte pas à l'autorité de la chose jugée ni au principe selon lequel on ne peut pas être jugé deux fois pour les mêmes faits ;
- elle se fonde sur les dispositions de l'article 1134 du code civil et sollicite l'application de l'article 14 du contrat, au titre de la clause pénale qui vise toutes infractions graves ou contrefaçons ;
- la remise par la société G. de variétés végétales à des tiers n'ayant pas souscrit de contrat d'exploitation est une infraction grave au contrat, distincte de la contrefaçon ;
- ses demandes ne concernent pas l'application des règles concernant les obtentions végétales, mais la sanction de la violation d'une obligation contractuelle, ce qui exclut la compétence de la juridiction toulousaine ;
- en effet, l'article L. 623-31 du code de la propriété intellectuelle régit la compétence juridictionnelle relative uniquement aux actions mettant en cause l'application des règles propres au droit des obtentions végétales, c'est-à-dire celles se rapportant à la validité, à l'opposabilité et à la violation du monopole conféré au titulaire ; ces dispositions dérogatoires au droit commun doivent être d'interprétation stricte ;
- la jurisprudence récente rendue en droit des brevets sur le fondement de l'article L. 615-17 du code de la propriété intellectuelle, disposition jumelle de l'article L. 623-31, conforte la compétence de la juridiction de droit commun au titre de l'action contractuelle.
MOTIFS DE LA DECISION
Aux termes de l'article L. 623-4 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable en la cause, toute obtention végétale peut faire l'objet d'un titre appelé « certificat d'obtention végétale », qui confère à son titulaire un droit exclusif à produire, à introduire sur le territoire où le présent chapitre est applicable, à vendre ou à offrir en vente, tout ou partie de la plante ou tous éléments de reproduction ou de multiplication végétale de la variété considérée et des variétés qui en sont issues par hybridation lorsque leur reproduction exige l'emploi répété de la variété initiale.
L'article L. 623-25 du même code, dispose que toute atteinte aux droits du titulaire d'un certificat d'obtention végétale tels que définis à l'article L. 623- 4, constitue une contrefaçon, engageant la responsabilité civile de son auteur.
Il est constant que le fait de vendre une variété végétale protégée par un certificat d'obtention végétale sans l'autorisation du titulaire caractérise une contrefaçon.
L'article L. 623-31 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 13 décembre 2011, stipule que les actions civiles et les demandes relatives aux obtentions végétales, y compris lorsqu'elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portées devant des tribunaux de grande instance. L'article D. 631-1 rappelle que conformément à l'article D. 211-5 du code de l'organisation judiciaire (COJ), le siège et le ressort des tribunaux de grande instance appelés à connaître des actions en matière d'obtentions végétales en application de l'article L. 623-31 du code de la propriété intellectuelle , sont fixés au tableau V annexé au COJ. Le tribunal de grande instance de Toulouse est exclusivement compétent pour connaître de ces actions dans le ressort des cours d'appel de Montpellier, Pau et Toulouse.
La société ASF reproche à la société G. d'avoir vendu en Algérie des variétés végétales protégées sans son consentement, ce qui implique l'examen de la méconnaissance ou non du droit attaché à la protection résultant du certificat d'obtention végétale.
En page 10 de l'assignation, la société ASF a précisé « encore victime de ventes dissimulées par les sociétés de M. G., cette fois en Abkhazie, elle a assigné l'EARL G. en contrefaçon des protections communautaires de variétés végétales qu'elle détient. Les faits ici reprochés ne peuvent plus faire l'objet d'une action en contrefaçon en raison de la prescription extinctive qui les atteint pour cette qualification. Ils n'en demeurent pas moins des contraventions au contrat, non prescrits en cette qualité. »
Ainsi, la société G. reconnaît expressément dans son assignation que les faits visés ne sont pas distincts de la contrefaçon mais qu'en raison de la prescription encourue pour une telle action, elle agit sur le fondement de la responsabilité contractuelle.
L'indemnité qu'elle sollicite en application de l'article 14 du contrat est d'ailleurs la même que celle qu'elle aurait réclamée sur le fondement de la contrefaçon
Son action relève donc de la compétence exclusive du tribunal de grande instance de Toulouse, désignée comme juridiction spécialisée.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence.
Il y a lieu de renvoyer l'instance opposant la société ASF à la société G. devant le tribunal de grande instance de Toulouse.
Il ne sera pas fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit d'aucune des parties.
La société ASF qui succombe, supportera les frais de l'instance en contredit, en application de l'article 88 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement du tribunal de commerce de Montpellier en date du 2 mai 2016 ;
Et statuant à nouveau,
Dit que le tribunal de commerce de Montpellier est incompétent pour connaître de l'action de la société Agro Sélections Fruits à l'encontre de la société Pépinières G. Père&Fils, qui relève de la compétence du tribunal de grande instance de Toulouse ;
Dit que le greffe de la cour communiquera le dossier au tribunal de grande instance de Toulouse, conformément aux dispositions de l'article 97 du code de procédure civile ;
Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile au profit d'aucune des parties ;
Condamne la société Agro Sélections Fruits aux frais de l'instance en contredit.