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Décisions

Cass. com., 6 avril 2022, n° 21-11.432

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Sodisco (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Darbois

Rapporteur :

Mme Poillot-Peruzzetto

Avocat général :

M. Douvreleur

Avocats :

SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh

Bastia, ch. civ. B, du 24 juin 2015

24 juin 2015

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 2 décembre 2020), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 29 mars 2017, pourvoi n° 15-24.241), la Société de distribution Corse (la société Sodisco), imputant à Mme [H] la rupture brutale de la relation commerciale établie qu'elles entretenaient depuis plusieurs années, l'a assignée, le 14 février 2012, en réparation de son préjudice sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, alors applicable.

2. Par un arrêt du 25 juin 2015, la cour d'appel de Bastia a confirmé le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bastia qui, statuant en application de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, avait rejeté les demandes de la société Sodisco.

3. La Cour de cassation a cassé cet arrêt, faute pour la cour d'appel d'avoir relevé d'office l'irrecevabilité de la demande formée devant une juridiction non spécialisée et la cour d'appel étant elle-même dépourvue de tout pouvoir juridictionnel pour statuer sur un litige portant sur l'application de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.

4. Invoquant, sur le fondement de ce même texte, alors en vigueur, la rupture brutale de la relation commerciale établie, et, pour la première fois devant la cour de renvoi, la rupture unilatérale, abusive et aux torts de Mme [H] de cette relation, sur le fondement de l'article 1134, alinéa 2, du code civil, devenu l'article 1193 du même code, constitutives de préjudices dont elle sollicitait la réparation, la société Sodisco a demandé à la cour de renvoi de se déclarer « incompétente » au profit de la cour d'appel de Paris pour connaître de la première demande et de statuer sur la seconde.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

5. La société Sodisco fait grief à l'arrêt de rejeter comme infondé le surplus de sa demande, alors « que saisie de l'appel d'un jugement rendu par une juridiction non spécialisée située sur son ressort, il appartient à la cour d'appel de déclarer l'appel recevable, de constater, le cas échéant, le défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal pour statuer sur un litige relevant de l'article L. 442-6 du code de commerce et de statuer dans les limites de son propre pouvoir juridictionnel sur les demandes formées devant elle ; qu'en retenant que la demande fondée devant le tribunal de commerce de Bastia sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce étant irrecevable, il n'était pas nécessaire d'examiner les demandes présentées par le biais d'un nouveau fondement juridique, l'article 1134 ancien du code civil, la cour d'appel, qui a méconnu l'étendue de ses pouvoirs, a violé l'article L. 442-6, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, et l'article D. 442-3 du code de commerce, ensemble l'article R. 311-3 du code de l'organisation judiciaire. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 442-6 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et l'article 565 du code de procédure civile :

6. Selon le premier texte, les litiges relatifs aux pratiques restrictives de concurrence sont attribués à des juridictions spécialisées dont le siège et le ressort sont fixés par décret.

7. Aux termes du deuxième, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

8. Selon le troisième, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

9. Pour rejeter le surplus de la demande de la société Sodisco fondée sur l'article 1134, alinéa 2, du code civil, devenu l'article 1193 du même code, l'arrêt retient que si l'article 565 du code de procédure civile permet d'invoquer un nouveau fondement juridique pour une demande en passant de la responsabilité délictuelle à la responsabilité contractuelle, cette faculté ne peut avoir pour effet d'anéantir une compétence matérielle et territoriale exclusive définie par la loi, la demande s'apparentant à un montage dont le seul but est de rendre compétentes des juridictions qui ne pouvaient pas statuer sur la première demande fondée sur les dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce.

10. En statuant ainsi, alors que si, n'étant pas une juridiction spécialement désignée, elle n'avait pas le pouvoir de statuer sur la demande fondée sur l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, alors en vigueur, il lui appartenait, en revanche, de statuer sur la demande, qui n'était pas nouvelle, de la société Sodisco tendant, sur le fondement de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, à obtenir une indemnisation des préjudices qu'elle prétendait lui avoir été causés par la rupture abusive du contrat, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette comme infondé le surplus de la demande de la Société de distribution Corse et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 2 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence