Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 9 février 2022, n° 19/19969

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Caisse Nationale de l’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés

Défendeur :

Sanofi (SA), Sanofi-Aventis France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, Mme Lignières

CA Paris n° 19/19969

9 février 2022

FAITS ET PROCEDURE

La caisse nationale de l’assurance maladie (ci-après « la CNAM ») est un établissement public national à caractère administratif qui gère la branche maladie du régime général de l'Assurance Maladie. Elle finance 75 % des dépenses de santé et applique dans ce cadre un taux de remboursement identique pour les princeps et les génériques.

La société Sanofi-Aventis France est un laboratoire pharmaceutique, actif aux différents stades du développement, de la production et de la distribution de médicaments en France. Elle est filiale à 100 % du groupe Sanofi, dont la société mère est Sanofi SA (ci-après “les sociétés Sanofi”).

Le médicament Plavix®, ayant pour principe actif le clopidogrel, co- produit et co-exploité par la société Sanofi-Aventis France (ci-après “Sanofi-Aventis”) et la société Bristol Myers Squibb (BMS) a bénéficié d’une autorisation de mise sur le marché le 15 juillet 1998.

La protection réglementaire portant  sur  le  principe  actif  du  Plavix®  a  expiré  le  15 juillet 2008, ce qui a entraîné, à compter d'octobre 2009, la commercialisation sur le marché des premiers génériques du Plavix® dont celui développé par la société Sanofi- Aventis, sous la marque Clopidogrel Winthrop et commercialisé en France depuis le 5 octobre 2009.

Le laboratoire pharmaceutique Teva Santé, spécialisé dans la production de génériques et notamment du clopidogrel Teva Pharma commercialisé sur le marché “ville” français depuis le 5 octobre 2009, a déposé une plainte le 2 novembre 2009 auprès de l'Autorité de la concurrence alléguant de pratiques dénigrantes de la part de la société Sanofi-Aventis.

visant les génériques de Plavix® en France. Il était ainsi reproché à la société Sanofi- Aventis d’abuser de sa position dominante sur le marché “ville” du clopidogrel en France sur lequel elle commercialise son médicament princeps Plavix®, et son auto-générique, clopidogrel Winthrop, en dénigrant le générique commercialisé par Teva Santé.

La pratique reprochée consiste à avoir mis en œuvre entre septembre 2009 et janvier 2010 une stratégie de communication, d'une part au stade de la prescription dans le but d'inciter les médecins à apposer la mention « non substituable » sur l'ordonnance et d'autre part, au stade de la substitution, dans le but d'inciter les pharmaciens à substituer Plavix® par son propre générique au détriment des génériques concurrents.

Le 14 mai 2013, l'Autorité de la concurrence a sanctionné la société Sanofi-Aventis France, en tant qu’auteur de la pratique et la société Sanofi, en sa qualité de société mère, pour avoir enfreint les dispositions de l’article L. 420-2 du code de commerce ainsi que celles de l’article 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), en mettant en œuvre une pratique de dénigrement des génériques concurrents de Plavix® sur le marché français du clopidogrel commercialisé en ville, consistant en un abus de position dominante.

L'amende infligée aux sociétés Sanofi s'est élevée à 40,6 millions d'euros.

Cette décision a été confirmée par la cour d'appel de Paris le 18 décembre 2014.  Le 18 octobre 2016, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la société Sanofi.

En tant que gestionnaire des remboursements de dépenses de santé, la CNAM considère avoir été victime des agissements sanctionnés aux motifs qu'ils ont directement et mécaniquement conduit à assumer des remboursements plus élevés et octroyer une rémunération plus importante aux pharmaciens d'officine, le prix des princeps étant plus élevé que celui des génériques.

Le 27 janvier 2016, la CNAM a dès lors écrit aux sociétés Sanofi que les pratiques mises en œuvre par ces dernières avaient eu pour effet de ralentir le processus de générification du Clopidogrel et ne lui avait donc pas permis d'atteindre les réductions des coûts de remboursement normalement attendues à la suite de l'entrée du générique sur le marché. La CNAM fixait son préjudice sauf à parfaire à 115,8 millions d'euros sur la base d'un rapport établi par RBB Economics le 27 juillet 2017. Les sociétés Sanofi n'ont pas donné suite.

Par acte d’huissier en date des 12 et 13 septembre 2017, la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) a assigné les sociétés Sanofi pour obtenir la réparation de son préjudice au visa des articles 1240 et 2224 du code civil, de l'article 102 du TFUE et des articles L. 420-20 et L. 462-7 du code de commerce.

Par jugement du 1er octobre 2019, le tribunal de commerce de Paris :

Dit l'action engagée par la CAISSE NATIONALE DE L’ASSURANCE MALADIE DES TRAVAILLEURS SALARIES - CNAMTS prescrite ;

En conséquence

Dit irrecevable la CAISSE NATIONALE DE L'ASSURANCE MALADIE DES

TRAVAILLEURS SALARIES - CNAMTS en ses demandes et l'en déboute,

Condamne la CAISSE NATIONALE DE L'ASSURANCE MALADIE DES TRAVAILLEURS            SALARIES CNAMTS à payer à SANOFI SA et SA.

SANOFI-AVENTIS FRANCE, la somme à chacune de 15 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette les demandes des parties autres, plus amples ou contraires ;

Condamne la  CAISSE NATIONALE DE L'ASSURANCE MALADIE DES TRAVAILLEURS SALARIES CNAMTS aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 100,08 € dont 16,47 e de TVA.

La CNAM TS a interjeté appel de ce jugement le 25 octobre 2019.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 24 septembre 2021, la CNAM demande à la Cour de :

Vu les articles 2222 et 2224 du code civil ;

Vu les articles L. 420-2 et L. 462-7 du code de commerce ;

Vu l’article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; Vu l’article 1240 du code Civil ;

Infirmer le jugement du 1er octobre 2019 en ce qu’il a dit l’action engagée par la CNAM prescrite ;

Infirmer le jugement du 1er octobre 2019 en ce qu’il a, en conséquence, dit irrecevable la CNAM en ses demandes et l’en a déboutée ;

Infirmer le jugement du 1er octobre 2019 en ce qu’il a condamné la CNAM à payer aux sociétés Sanofi la somme à chacune de 15 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau,

Sur la fin de non-recevoir,

A titre principal,

-  Dire et juger que le point de départ du délai de prescription de l’action en responsabilité civile de la CNAM a commencé à courir au plus tôt à la date de la décision de sanction du 14 mai 2013 et en toute hypothèse, à la date de l’arrêt de la Cour de cassation ayant rejeté le pourvoi des sociétés Sanofi contre l’arrêt confirmatif de la décision de sanction du 14 mai 2013, soit le 18 octobre 2016 ;

En conséquence,

- Dire et juger que l’action de la CNAM, introduite le 12 septembre 2017, n’est pas prescrite et qu’elle est recevable ;

A titre subsidiaire,

- Dire et juger que le délai de prescription de l’action en responsabilité civile de la CNAM a été interrompu du fait de la procédure en cours devant l’Autorité de la concurrence et jusqu’à l’arrêt de la Cour de cassation du 18 octobre 2016 ayant rejeté le pourvoi des sociétés Sanofi contre l’arrêt confirmatif de la décision de sanction du 14 mai 2013 ;

En conséquence,

- Dire et juger que l’action en responsabilité civile de la CNAM n’était pas prescrite lors de son assignation, délivrée le 12 septembre 2017, et qu’elle est recevable ;

A titre infiniment subsidiaire,

- Dire et juger que la gravité de la fraude commise par les sociétés Sanofi emporte déchéance de leur droit de se prévaloir de la prescription de l’action de la CNAM ;

En conséquence,

- Débouter les sociétés Sanofi de leur fin de non-recevoir.

A titre encore plus subsidiaire,

- Dire et juger que le comportement adopté par les sociétés Sanofi empêchait la CNAM d’agir valablement avant que la Cour de cassation ne rejette le pourvoi contre l’arrêt confirmatif de la décision de sanction.

En conséquence,

- Dire et juger que l’action en responsabilité civile de la CNAM n’était pas prescrite lors de son assignation, délivrée le 12 septembre 2017, et qu’elle est recevable.

En conséquence,

- Débouter les sociétés Sanofi de leur fin de non-recevoir ;

- Recevoir la CNAM en son action.

Evoquant l’affaire au fond,

A titre principal,

- Constater le caractère anticoncurrentiel des pratiques des sociétés Sanofi ;

- Dire et juger que lesdites pratiques constituent une faute délictuelle ;

- Dire et juger que les fautes délictuelles des sociétés Sanofi ont causé un préjudice à la CNAM qui s’élève à la somme a minima de 115 910 917 euros.

En conséquence,

- Débouter les sociétés Sanofi de leurs demandes ;

- Condamner les sociétés Sanofi à payer à la CNAM la somme a minima de 115 910 917 euros solidairement à titre de dommages-intérêts, à parfaire pour la période postérieure au 31 mars 2015 ;

- Condamner solidairement les sociétés Sanofi à payer solidairement à la CNAM la somme de 150.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner solidairement les sociétés Sanofi aux dépens de première instance et d’appel.

A titre subsidiaire,

- Débouter les sociétés Sanofi de leurs demandes ;

- Constater le caractère anticoncurrentiel des pratiques des sociétés Sanofi ;

- Dire et juger que lesdites pratiques constituent une faute délictuelle ;

-   Dire et juger que les fautes délictuelles des sociétés Sanofi ont causé un préjudice à la CNAM.

Avant-dire-droit sur l’évaluation du préjudice subi :

- Ordonner une mesure d’expertise judiciaire ;

- Commettre pour y procéder tel expert qu’il lui plaira inscrit sur la liste des experts judiciaires près la Cour de céans avec pour mission d’évaluer le préjudice subi par la CNAM et résultant de la pratique de dénigrement constitutive d’abus de position dominante commise par les sociétés Sanofi, tout le temps qu’ont duré les effets de cette pratique, et a minima jusqu’au 31 mars 2015, et d’ainsi fournir à la Cour tous les éléments lui permettant de fixer le préjudice ;

- Dire que l’expert devra préalablement communiquer aux parties un pré-rapport et recueillir contradictoirement leurs observations ou réclamations écrites dans le délai qu’il fixera, puis joindra ces observations ou réclamations à son rapport définitif en indiquant quelles suites il leur aura données ;

- Rappeler qu’en application de l’article 276 du code de procédure civile, les parties devront, dans leurs dernières observations ou réclamations, reprendre sommairement le contenu de celles qu’elles avaient précédemment présentées, à défaut de quoi, elles seront réputées abandonnées ;

- Fixer le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l’expert et la mettre à la charge partagée des parties ;

- Rappeler qu’à défaut de consignation dans le délai indiqué la désignation de l’expert sera caduque, toute conséquence de droit sur l’évaluation du préjudice étant tirée du refus ou de l’abstention de consigner ;

- Dire que l’expert déposera le rapport de ses opérations au greffe de la Cour dans les six mois de sa saisine par signification qui lui sera faite de la consignation ;

- Surseoir à statuer sur la réparation du préjudice ;

- Réserver les frais irrépétibles et les dépens.

Aux termes de leurs dernières conclusions, déposées et notifiées le 4 octobre 2021, les sociétés Sanofi-Aventis et Sanofi demandent à la Cour de :

Vu les articles 1240 et 2224 du code civil,

Vu les articles 122, 143, 144, 146, 147 et 910-4 du code de procédure civile,

A titre principal,

- Confirmer le jugement attaqué du tribunal de commerce de Paris du 1er octobre 2019 en ce qu’il a constaté la prescription de l’action de la CNAM, et en conséquence ;

- Confirmer le jugement attaqué du tribunal de commerce de Paris du 1er octobre 2019 en ce qu’il a prononcé l’irrecevabilité de l’action de la CNAM ;

- Confirmer le jugement attaqué du tribunal de commerce de Paris du 1er octobre 2019 en ce qu’il a condamné la CNAM à payer aux sociétés Sanofi la somme de 15 000 euros chacune au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance ;

- Confirmer le jugement attaqué du Tribunal de commerce de Paris du 1er octobre 2019 en ce qu’il a condamné la CNAM au paiement des dépens de première instance ;

- Débouter la CNAM de toutes ses demandes.

A titre subsidiaire,

- Juger qu’il n’existe aucun lien de causalité entre les pratiques reprochées aux sociétés Sanofi et le préjudice allégué par la CNAM ;

- Juger que la CNAM n’établit aucun préjudice causé par les pratiques reprochées aux sociétés Sanofi ;

- Débouter la CNAM de toutes ses demandes.

A titre infiniment subsidiaire,

- Juger que l’estimation du préjudice proposé par la CNAM doit être écarté ;

- Juger que la CNAM n’évalue pas le préjudice subi ;

- Débouter la CNAM de sa demande d’expertise judiciaire ;

- Débouter la CNAM de toutes ses demandes.

En tout état de cause

- Condamner la CNAM à verser 150 000 euros aux sociétés Sanofi au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais devant la cour d’appel ;

- Condamner la CNAM aux entiers dépens de l’instance.

La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action de la CNAM

Pour juger l’action de la CNAM prescrite, le tribunal a retenu, en application de l’article 2224 du code civil, qu’à la date du 16 septembre 2011, la CNAM disposait d’éléments lui permettant de faire valoir ses droits, à savoir une connaissance des pratiques de Sanofi, leur qualification juridique, leur effet sur l’entrée sur le marché français des génériques concurrents du Plavix® et le préjudice possible pouvant en résulter, en sorte que son action en responsabilité introduite le 12 septembre 2017 à l’encontre des sociétés Sanofi était prescrite. Pour retenir le 16 septembre 2011, comme point départ du délai de prescription, le tribunal a tenu compte des faits principaux suivants :

- La CNAM suivait avec attention la générification du Plavix® pour lequel elle avait assuré en 2008 des remboursements à hauteur de 625 millions d’euros,

- La stratégie de communication de Sanofi était publique et abondamment relayée dans la presse au cours de l’autonome 2009,

- La médiatisation de la saisine de l’autorité de la concurrence en 2009 par la société Teva Santé,

- Les pratiques de Sanofi étaient largement décrites dans la décision de mesures conservatoires du 17 mai 2010 de l’Autorité de la concurrence ainsi que leur qualification juridique potentielle d’abus de position dominante,

- La CNAM a participé de manière active à l’instruction de l’autorité de la concurrence entre 2010 et 2011 (6 auditions entre le 9 juin 2010 et le 30 septembre 2011, et répondu à 4 demandes d’information de l’Autorité de  la  concurrence  les  4  octobre  2010,  21 avril 2011, 16 septembre 2011 et 19 avril 2012),

- En raison de son rôle pivôt, la CNAM ne pouvait ignorer les pratiques de dénigrement auxquelles s’est livrée Sanofi, leur consistance, le rapport possible en ces pratiques et le dommage en résultant quant au retard dans la générification du Plavix®, la CNAM ayant dès le 16 septembre 2011 estimé le préjudice (économie non réalisée de l’ordre de 38 M € sur la période de janvier 2010- août 2011).

Le tribunal a par ailleurs jugé que la saisine de l’Autorité de la concurrence le 2  novembre 2009, antérieure à l’introduction de l’article L. 462-7 du code de commerce par la loi Hamon du 17 mars 2014, n’avait pas eu d’effet interruptif de la prescription de 5 ans.

La CNAM, à l’appui de son appel, fait principalement valoir sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de son action qu’elle n’était pas en mesure d’agir “valablement” ou “utilement” avant la décision de l’Autorité de la concurrence lui ayant permis d’avoir une connaissance certaine du caractère réparable de son dommage, à savoir du caractère fautif des faits à l’origine de ce dommage et du lien de causalité entre cette faute et le dommage subi. En matière d’action de suivi, elle relève un courant jurisprudentiel faisant courir le délai de prescription des actions en indemnisation du préjudice causé par des pratiques anticoncurrentielles à partir de la décision de sanction de l’Autorité de la concurrence (notamment, CE 22 novembre 2019 n° 418645 et 12 octobre 2020 n° 432981, CA de Paris 2 juillet 2015 RG n° 13/22609, 6 février 2019 RG 17/04101 confirmés par la Cour de cassation, 6 mars 2019 RG n° 17/21261, 17 juin 2020 RG 17/23041).

En l’occurrence, la CNAM soutient en substance que « avant l’appréciation technique de l’Autorité administrative indépendante », et avant que cette appréciation ne soit définitivement validée par l’arrêt du 18 octobre 2016 ayant rejeté le pourvoi contre l’arrêt confirmatif, la CNAM n’avait pas de connaissance certaine des trois éléments lui permettant d’agir utilement contre les Sociétés Sanofi. En sa qualité de victime par ricochet des agissements commis par les Sociétés Sanofi, elle prétend ne pouvoir obtenir réparation de son préjudice avant que la victime directe ait au préalable été reconnue victime par la décision de sanction. Elle ne conteste pas qu’elle avait connaissance de l’existence des soupçons de dénigrement contre les Sociétés Sanofi, entretenus par Teva Santé, et que l’Autorité de la concurrence avait été saisie sur plainte de cette dernière, mais elle prétend qu’elle ne détenait pas l’ensemble des éléments qui lui auraient permis de se convaincre par elle-même de la réalité et de la mesure de ces pratiques et de son impact effectif sur la généfication du Plavix® tous génériques confondus. Ainsi, selon la CNAM, avant la Décision de Sanction, elle :

- N’avait pas connaissance de la faute particulièrement complexe et technique commise par les Sociétés Sanofi : elle « ne pouvait donc certainement pas  imaginer  l’ampleur  et le caractère systématique des manœuvres des sociétés Sanofi-Aventis France et Sanofi », encore moins leur caractère fautif, qui ne seront mis à jour qu’après une enquête approfondie de l’Autorité de la concurrence ; notamment que les pratiques commises par les sociétés Sanofi n’étaient pas le fait du libre exercice de leur devoir d’information, mais étaient véritablement constitutives de dénigrement,

- Elle ne pouvait pas non plus connaître l’impact de cette pratique sur la généfication du Plavix® tous génériques confondus, et non seulement sur la commercialisation des génériques concurrents ; elle ne pouvait donc pas connaître l’existence même de son préjudice, compte tenu  de  son  caractère   différé  et  continu,  bien  au-delà  du 16 septembre 2011. La CNAM insiste sur le fait qu’à cette date, elle a chiffré “le gain manqué” du fait de l’absence d’atteinte des objectifs de généfication de Plavix®, mais non pas son préjudice dont le chiffrage a été réalisé que le 27 juillet 2017 par le cabinet RBB. Elle soutient que son préjudice ne se base pas sur la différence entre le montant de remboursement effectué et celui espéré si les objectifs avaient été atteints, mais sur la différence entre la courbe de générification réelle du clopidogrel et sa courbe de généfication contrefactuelle si les pratiques n’avaient pas été commises.

- Elle n’était pas en mesure d’établir le lien de causalité entre les pratiques  des  Sociétés Sanofi et le préjudice indemnisable en résultant, en particulier elle ne pouvait pas exclure que l’insuffisante générification du Plavix® ne soit la conséquence de causes autres que des pratiques illicites mises en œuvre par les sociétés Sanofi, telles que les retraits de certains lots du marché en mars 2010, la réticence généralisée des professionnels de santé à l’égard des génériques ou encore le caractère insuffisant de l’incitation financières des pharmacies pour les inciter à substituer.

En toute hypothèse, la CNAM soutient que l’article L. 462-7 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi Hamon est d’application immédiate aux actions pour lesquelles le délai de prescription courrait déjà avant son entrée en vigueur, mais n’avait pas encore expiré, en sorte que le délai de prescription de son action non encore expiré au moment de l’entrée en vigueur de cette loi en 2014, a été interrompu par la saisine de l’Autorité de la concurrence. Elle prétend également, à titre subsidiaire, que l’exceptionnelle gravité de la fraude commise par les sociétés Sanofi et de leurs répercussions pour la CNAM et l’économie tout entière justifie qu’elles soient déchues de leur droit d’invoquer la prescription de l’action de la CNAM.

Les sociétés Sanofi sollicitent la confirmation du jugement en ce qu’il a déclaré l’action de la CNAM prescrite pour avoir été introduite seulement le 12 septembre 2017. Elles énoncent que selon la doctrine comme la jurisprudence que le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité est “la date de réalisation du dommage ou la date où la victime est en mesure d’agir” c’est-à-dire suivant une appréciation in concreto par le juge, de la date à laquelle elle connaissait dans son principe, le dommage subi et les faits susceptibles d’être à l’origine de dommage. Selon elles, la faute, au même titre que le dommage et le lien de causalité, doit être prouvée par la victime devant le juge saisi de l’action en responsabilité, et la faute n’a nullement besoin d’être établie préalablement, notamment par une décision de justice ou autorité, pour que le délai de prescription puisse commencer à courir. En matière d’action en responsabilité fondée sur des pratiques anticoncurrentielles, les sociétés Sanofi soutiennent qu’il est logique, pour l’appréciation in concreto de la connaissance qu’avait le demandeur des faits au soutien de son action, de distinguer les cas d’ententes horizontales du fait du caractère secret de celles-ci où les victimes ont généralement pas connaissance des pratiques ni de leur préjudice avant la publication de la décision de l’Autorité, des cas d’abus de position dominante non secret reposant sur un discours public et donc pouvant avoir une connaissance des faits avant toute décision de sanction. Elles insistent sur le fait que la jurisprudence fixe le point de départ de la prescription après une analyse circonstanciée des faits de chaque espèce.

En l’espèce, les sociétés Sanofi rappellent en premier lieu que les pratiques en cause de septembre 2009 à janvier 2010 ont été qualifiées de “dénigrement” par l’Autorité consistant à “jeter publiquement le discrédit sur une personne, un produit ou service identifié” et relèvent que cette pratique publique a été dénoncée par Teva Santé dès 2009 devant l’Autorité et fait l’objet d’une très large couverture médiatique. En deuxième lieu, les sociétés Sanofi insistent sur le fait que, par ses attributions, la CNAM a suivi avec la plus grande attention tout ce qui avait trait à la générification de Plavix®, spécialité qui représentait “le premier poste de remboursement” de la CNAM en 2008, et pour laquelle celle-ci avait même fixé un objectif de générification ambitieux à hauteur de 75 %, en sorte qu’il ne s’agissait pas d’un dossier comme les autres et pour lequel la CNAM a dès le départ mis en œuvre l’ensemble des moyens de veille et de surveillance du marché à sa disposition lui permettant notamment d’avoir des remontées de terrain mettant en évidence une confusion chez les médecins à la suite de visites commerciales de délégués de Sanofi- Aventis. En troisième lieu, les sociétés Sanofi soulignent que la CNAM a activement participé à l’instruction de l’Autorité entre 2010 et 2011, a fourni de nombreuses informations notamment l’estimation de son préjudice lors de sa réponse du 16 septembre 2011, sur lesquelles la décision de l’Autorité s’appuie largement. Elles précisent que la CNAM avait la possibilité de demander réparation d’un préjudice dont l’étendue n’était pas connue. Aussi, les sociétés Sanofi soutiennent que la CNAM avait une connaissance des “faits nécessaires au soutien de son action” dès 2010-2011 et au plus tard le 16 septembre 2011, point de départ de la prescription quinquennale en application de l’article 2224 du code civil qui n’a pas pu être interrompue par l’effet des dispositions de l’article L. 462-7 précitées introduites par la loi Hamon entrée en vigueur le 19 mars 2014 pour une saisine de l’Autorité en 2009, sauf à lui conférer un effet rétroactif.

Sur ce,

La CNAM a introduit les 12 et 13 septembre 2017, une action en réparation de préjudices à l’encontre des sociétés Sanofi sur le fondement des articles L. 420-2° du code de commerce, 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et 1240 du code civil.

L’article 2224 du code civil issu de la loi du 17 juin 2008, applicable à l’espèce, dispose que “les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer”.

La notion de “faits permettant d’exercer un droit” s’entend de faits permettant d’agir ou de défendre ce droit. En matière d’action en responsabilité civile, le délai de prescription ne court qu’à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.

Pour apprécier le point de départ du délai de prescription quinquennale applicable à cette action en responsabilité extra-contractuelle, à savoir la connaissance par la CNAM des faits lui permettant d’exercer son droit à réparation par une action en justice, il y a lieu de prendre en considération tant la spécificité de la faute civile invoquée, à savoir une pratique anticoncurrentielle d’abus de position dominante, que la nature du dommage prétendu causé par une telle pratique.

La faute civile invoquée par la CNAM à l’égard des sociétés Sanofi est une pratique illicite d’abus de position dominante, consistant à dénigrer des génériques concurrents de Plavix® sur le marché français du clopidogrel commercialisé en ville, sanctionnée par décision de l’Autorité de la concurrence du 14 mai 2013, confirmée par arrêt de la Cour de céans du 18 décembre 2014 et le pourvoi formé à son encontre rejeté par arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 18 octobre 2016.

Il ressort des décisions précitées que la pratique qualifiée par l’Autorité de la concurrence d’abus de position dominante a consisté de la part de la société Sanofi-Aventis, à diffuser à destination des professionnels de la santé un discours relatif aux différences entre le Plavix® et ses génériques, par lequel elle leur a délivré des informations incomplètes et présentées, compte tenu de leur assemblage et du contexte particulièrement sensible dans lequel elles étaient données, d’une manière telle que ces informations revenaient intrinsèquement à discréditer les produits concurrents des siens, en mettant indûment en doute leur efficacité et leur sécurité au bénéfice de ses propres spécialités.

Pour juger cette pratique illicite, l’Autorité de la concurrence approuvée par les juridictions de recours, a fait l’analyse suivante :

La société Sanofi-Aventis, qui détenait une position dominante sur le marché du clopidogrel commercialisé en ville sur le territoire français, a mis en œuvre une stratégie de communication à destination des professionnels de santé, relative aux différences objectives entre le Plavix® et ses génériques, concernant, d'une part, le sel contenu dans ces médicaments, d'autre part, l'indication thérapeutique relative au syndrome coronarien aigu, que ne contenaient pas les AMM des génériques, au moyen d'argumentaires distribués aux visiteurs médicaux et délégués pharmaceutiques de la société Sanofi-Aventis, entre septembre 2009 et janvier 2010, qui ont directement remis en cause la bioéquivalence des génériques et les choix opérés par les autorités de santé. Les deux différences mentionnées ont été liées de façon inappropriée et ambiguë, afin de laisser croire que la différence d'indication thérapeutique était liée à un obstacle médical, résultant de la différence de sels, cependant qu'elle n'était due qu'à la protection juridique offerte par un brevet dont l'existence et la portée avaient été occultées lors de ces différentes communications. Ces argumentaires recommandaient ou invitaient en outre les médecins à inscrire la mention "non-substituable" sur les ordonnances, et les pharmaciens à opérer la substitution avec l'auto-générique qu'elle commercialisait, en insistant sur les risques de mortalité élevés des patients atteints d'un syndrome coronarien aigu. Cependant, au regard des législations européenne et française, seule l'existence de "propriétés sensiblement différentes" au regard de la sécurité ou de l'efficacité peut justifier un discours attirant l'attention des professionnels de santé et que, par une lettre du 24 septembre 2009, l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, saisie par la société Sanofi-Aventis, a estimé, concernant les génériques du Plavix, que l'inhomogénéité des indications ne constituait pas un risque pour les patients et ne nécessitait pas d'insérer une mention spécifique dans le répertoire des groupes génériques. Cette agence a rappelé que les spécialités génériques avaient démontré leur bioéquivalence et un rapport efficacité/sécurité au moins similaire à la spécialité de référence.

La société Sanofi-Aventis, qui a exploité le brevet de fabrication du Plavix® en monopole pendant dix ans et appartient à un groupe important, a acquis de ce fait une réputation de référence, renforcée par un retour d'expérience qu'elle a fait valoir auprès des professionnels de santé à l'occasion de sa stratégie de communication. Dans un contexte où, non seulement les professionnels de santé avaient peu de connaissances en matière de pharmacologie, comme en matière de réglementation des spécialités génériques, mais encore leur aversion pour toute prise de risque, la diffusion d'une information négative, voire l'instillation d'un doute sur les qualités intrinsèques d'un médicament, peut le discréditer immédiatement auprès de ces professionnels. L'effet trompeur et dissuasif de la communication de la société Sanofi-Aventis résulte d'un faisceau d'indices précis et concordants, établissant les craintes qu'elle a suscitées, qui se sont traduites par un grand nombre de mentions "non-substituable" apposées sur les ordonnances dans plusieurs régions, par une substitution prioritairement effectuée au moyen de l'auto-générique par les pharmaciens, et par la diffusion de circulaires d'information spécifiques au sein des groupements de pharmaciens pour répondre aux interrogations et vives inquiétudes d'un grand nombre d'entre eux. Ainsi, il a été constaté un taux plus élevé de mentions "non-substituable" s'agissant du Plavix par rapport à d'autres spécialités, et l'évolution inhabituelle du taux de substitution, qui après avoir initialement connu une hausse rapide, puis une stagnation précoce, a subi une baisse constante quelques mois seulement après la sortie de ses premiers génériques, tandis que l'auto-générique a représenté une part systématiquement au-dessus de 30 % en volume des ventes, laissant une part de faible importance aux concurrents. Aussi, il en a été déduit que la pratique de dénigrement mise en œuvre pendant cinq mois contre des génériques concurrents du Plavix® et de l'auto-générique, par une société en position dominante, avait eu pour effet de limiter l'entrée de ses concurrents sur le marché français du clopidogrel commercialisé en ville.

Certes, il résulte des pièces du dossier et des explications des parties, que la CNAM, par son rôle pivot en la matière, disposait courant 2010-2011d’importantes informations, telles que celles résultant :

- De la surveillance du taux de générification du Plavix, médicaments le plus remboursé,

- Des remontées de terrain par l’ensemble du réseau révélant une certaine confusion chez les praticiens faisant suite à des visites commerciales des délégués de Sanofi-Aventis,

- De la saisine de l’Autorité par la société Teva santé relayée par la presse faisant état d’une communication “déformée” relative aux génériques de Plavix faite auprès des professionnels de santé,

- D’une étude ayant fait l’objet d’un communiqué de presse le 6 juin 2012 sur les médicaments génériques et mention “ non substituable” faisant état d’un taux plus élevé que la moyenne pour le Plavix®,

La CNAM, sans être l’auteur de la saisine de l’Autorité de la concurrence, a activement participé à l’instruction du dossier courant 2010-2011, et a fourni sur requête de celle-ci diverses informations notamment de l’existence d’un discours répété visant les génériques de Plavix® et le probable impact de ce discours sur le taux de générification de celui-ci.

Ainsi, lors de leur audition du 9 juin 2010, les hauts responsables de la CNAM ont notamment indiqué (réponse n° 8) : “ Nous ne savons pas quelle a été la teneur exacte du discours commercial tenu par les laboratoires princeps mais nous constatons, au vu des remontées terrain et des courriers reçus, qu’il existe une forte interrogation chez certains praticiens de santé sur le caractère substituable des génériques de Plavix® et à leur dangerosité pour la santé du patient. Cette confusion pourrait expliquer le plafonnement du taux de subsitution de Plavix® que nous constatons depuis plusieurs mois”.

Ensuite, c’est à la demande du rapporteur de l’Autorité de la concurrence du 16 juillet 2010 sur le fondement de l’article L. 450-7 du code de commerce, que la CNAM a été invitée à solliciter l’ensemble de son réseau pour connaître la teneur exacte du discours tenu auprès des praticiens de santé, à savoir la présentation des différences entre les génériques et Plavix® (sel clopidogrel et l’indication syndrome coronarien aigu ”SCA”), présentation de l’autogénérique Clopidogrel Winthrop, recommandations quant au mode prescription et de délivrance de spécialités générique de Plavix®. A la suite de cette demande, la CNAM a procédé à la remontée d’un maximum de détails sur le contenu du discours commercial dans ses réponses des 4 octobre 2010 et 4 mai 2011 de la CNAM.

Toutefois, comme le soutient à juste titre la CNAM, toutes ces informations obtenues aussi fournies soient-elles, ne permettaient pas à celle-ci d’avoir une connaissance suffisamment certaine du caractère illicite de la pratique de Sanofi-Aventis, qui au regard des éléments ci-dessus exposés retenus par l’Autorité de la concurrence pour la qualifier, ne résultait pas des informations délivrées lors du discours commercial en tant que telles mais de la façon dont celles-ci ont été présentées.

La décision du 17 mai 2010 de l’Autorité de la concurrence rejetant les mesures conservatoires sollicitées par la société Teva Santé, comprend effectivement des informations très précises sur les pratiques reprochées aux sociétés Sanofi et comme susceptibles d’être considérées comme abusives au sens des articles L.420-2 du code du commerce et l’article 102 TFUE, il n’en reste pas moins que dans son communiqué de presse du 18 mai 2010 relatif à cette décision l’Autorité de la concurrence précisait que la poursuite de l’instruction “s’attachera à vérifier si les pratiques reprochées à Sanofi- Aventis relèvent d’un comportement commerciale légitime de défense des intérêts du laboratoire ou pourraient, au contraire, être considérées comme abusives”.

En effet, les sociétés Sanofi ont conçu une communication auprès des professionnels de santé, sans s’attaquer frontalement aux génériques concurrents, et en ce sens considérée comme non abusive par celles-ci tout au long de la procédure :

« Sanofi-Aventis estime qu’aucune des conditions du dénigrement, telles que définies par l’Autorité de la concurrence dans le cadre de sa pratique décisionnelle, n’est remplie. Elle indique qu’elle s’est limitée, dans le cadre de la générification de Plavix®, à promouvoir ce dernier et son propre générique, en se fondant sur leurs caractéristiques propres, sans pour autant tenir un discours péjoratif à l’égard des autres génériques. Elle ajoute que sa campagne de publicité, contrôlée par l’Afssaps conformément à la législation en vigueur, ne présente aucun caractère trompeur. » (§91 décision du 17 mai 2010)

« Sanofi-Aventis considère qu’aucune pratique de dénigrement « explicite » des médicaments génériques de ses concurrents ne peut être retenue contre elle. Elle affirme n’avoir mis en place aucune stratégie de communication dans le cadre du lancement des génériques concurrents de Plavix et s’être limitée à la description de ses propres produits et de certaines caractéristiques des pathologies concernées » (point 438, décision de sanction) et jusque devant la Cour de cassation ( premier moyen du pourvoi), en soutenant par exemple “ 5°/ que l'existence d'un dénigrement suppose de démontrer l'accomplissement d'actes positifs et caractérisés, ce qui exclut toute possibilité de dénigrement par omission ; qu'en considérant au contraire que l'Autorité de la concurrence avait pu valablement retenir que la communication de la société Sanofi-Aventis tendait à discréditer les génériques concurrents en ce qu'elle omettait de manière délibérée certaines informations prétendument essentielles, la cour d'appel a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;”

Pour retenir le caractère dénigrant et donc abusive de la pratique commerciale de la société Sanofi-Aventis, il ressort de la décision de sanction que l’Autorité de la concurrence a procédé au rapprochement des informations recueillis par la CNAM d’une part, avec les documents transmis par la société Sanofi-Aventis et BMS relatifs aux argumentaires destinées aux médecins et pharmaciens, les témoignages directs de professionnels de la santé, les communiqués publiques, les informations demandées à l’Afssaps, les éléments obtenus auprès des groupements de pharmacies d’autre part, pour mettre en évidence une stratégie de la part de la société Sanofi-Aventis de communication, présentant un fort degré de structuration et de sophistication, pendant plusieurs mois au travers de plusieurs canaux de communication (point 644), dans le cadre du lancement des génériques de Plavix®, où les informations destinées aux professionnels de la santé n’avaient pas été délivrées dans les conditions d’exhaustivité et d’objectivité qui s’imposaient compte tenu de la responsabilité particulière de Sanofi-Aventis. Il a été relevé que même si elles s’appuyaient sur des éléments avérés et en soi objectif-la différence de sels et l’absence d’indication SCA pour les génériques concurrents- , elles n’étaient ni neutres ni complètes compte tenu, d’une part, de la façon dont ces éléments étaient présentés et reliés entre eux et, d’autre part, de l’omission délibérée d’une information essentielle, loin d’être évidente pour les professionnels de la santé, à savoir les motifs d’ordre strictement juridique de ces différences et leurs conséquences en termes de bioéquivalence et donc d’innocuité et d’efficacité des génériques concurrents (point 461).

Il est précisé dans l’arrêt d’appel que, “d’une part, la divulgation d’une information de nature à jeter le discrédit sur un concurrent constitue un dénigrement, peu important qu’elle soit exacte, d’autre part, que ce n’est pas en l’espèce l’objectivité ou l’exactitude des informations contenues dans le discours de la société requérante qui est en cause, mais le lien établi entre deux informations exactes mais indépendantes et présentées de façon incomplète permettant de susciter un doute, voire une crainte sur l’efficacité ou la sécurité des médications génériques

Aussi, il en ressort que si les informations fournies par la CNAM ont permis de corroborer l’ensemble des autres éléments recueillis par l’Autorité (points 179 à 194, décision de sanction), il n’apparaît pas que les informations à la disposition de la CNAM lui permettaient, sans les pouvoirs d’investigations et l’analyse particulière de l’Autorité de la concurrence dans sa décision de sanction, de se convaincre par elle-même de l’illicéité de cette communication.

En outre, sur le dommage dont il est demandé réparation :

Il ressort des pièces versées aux débats et des explications des parties, que dès sa première audition du 9 juin 2010, la CNAM avait déjà évoqué un probable impact du discours commercial Sanofi sur le taux de substitution de Plavix®, avec toutefois les précisions suivantes (réponse n° 4) : “ le bilan de la générification du clopidogrel semble satisfaisant jusqu’ici, mais inquiétant à terme dans la perspective de la réalisation de l’objectif de substitution de 75 % fixé pour la fin de l’année 2010. Si, d’ici fin 2010, l’objectif de réaliser 200 millions d’euros d’économies sur le remboursement du clopidogrel grâce à la générification semble aujourd’hui atteignable, celui d’obtenir un taux de substitution de 75 % semble moins certain. En effet, le taux de substitution du clopidogrel plafonne depuis février 2010 à un peu moins de 65 %.”

Pour refuser les mesures conservatoires sollicitées par la société plaignante Teva Santé, l’Autorité de la concurrence dans sa décision du 17 mai 2010 a constaté (point 121) : “Toutefois, dans la mesure où le taux de pénétration des génériques de Plavix® est très satisfaisant, puisqu’il se situe bien au-dessus des objectifs de pénétration (à la fin du mois de janvier 2010, au vu des données GERS recueillis), le taux de substitution de Plavix® a déjà atteint 68,2 %, alors qu’un délai d’un an est généralement nécessaire pour qu’une spécialité de référence nouvellement génériquée soit substituée à 75 %), il ne peut être établi, en l’état, que les pratiques dénoncées ont porté une atteinte grave et immédiate au secteur pharmaceutique ou à l’assurance maladie.”

Ensuite, à la demande d’information du rapporteur de l’Autorité de la concurrence en date du 11 août 2011, sollicitant la CNAM pour lui fournir une estimation des pertes financières causées à la CNAM en raison du retard pris dans la générification de Plavix, pour l’année 2010 jusqu’au mois d’août 2011, celle-ci a répondu dans les termes suivants le 16 septembre 2011 :

Une évaluation basée sur l’hypothèse d’une augmentation progressive et continue de la part des génériques de Clopidogrel, débouchant sur un taux de générification de 85 % en août 2011 (soit un taux comparable aux taux observés sur les autres molécules à fort potentiel) ; conduit à une estimation d’économie non réalisées de l’ordre de 38 millions d’euros pour l’assurance maladie sur la période de janvier 2010-août 2011.” Il ressort de la décision de sanction que cette estimation a servi d’ordre de grandeur (point 671) pour apprécier la réalité d’un dommage à l’économie.

Toutefois, comme l’explique la CNAM, si celle-ci a pu identifier un retard pris dans la générification du Plavix® sur la période février 2010-août 2011, et quantifier en septembre 2011 le montant d’économies non réalisées sur cette période au regard de ses objectifs de générification relatifs au Plavix®, en calculant simplement la différence entre le taux de remboursement escompté si la courbe de générification du Plavix® avait été conforme à celle attendue et le taux de remboursement effectif à la date de son estimation, il ne s’agissait que d’une estimation de l’économie non réalisée mais non pas d’un préjudice réparable rattachable à une faute commise par les sociétés Sanofi.

En effet à cette période, il ressort des pièces versées aux débats et des explications des parties, que le lien entre les agissements reprochés par Téva Santé aux sociétés Sanofi et l’insuffisante générification du Plavix® n’était pas encore évident. D’une part ces pratiques ne devaient pas, a priori, freiner la pénétration de l’auto-générique sur le marché (au risque de nuire aux intérêts des sociétés Sanofi), et donc de causer un dommage à la CNAM. D’autre part, comme le soutenaient à titre de moyen de défense les sociétés Sanofi, d’autres causes pouvaient expliquer l’insuffisance de générification, tels que le retrait de certains lots du marché survenus en mars 2010, mais aussi la réticence généralisée des professionnels de santé à l’égard des génériques ou le caractère insuffisant de l’incitation financière des pharmacies pour les inciter à substituer, ou simplement la notoriété  du  Plavix®.  Par  ailleurs,  la  CNAM   expliquait  dans  son  audition  du   23 mars 2011 (réponse n° 5) qu’il n’y avait pas de remontée d’information sur la mention “ NS” ou “non substituable” sur les ordonnances, le système d’information ne gérant pas automatiquement ce type de donnée et seules des actions générales auprès des médecins pour sensibiliser à la qualité des génériques et à leur intérêt pour l’assurance maladie. Ce n’est qu’en 2012, que la CNAM a réalisé une étude effectuée sur un échantillon d’ordonnances, révélant que la molécule de clopidogrel enregistrait un taux de mentions “NS” supérieure à la moyenne.

Aussi, il apparaît que c’est l’analyse de la décision de sanction ( points 554 et suivants) qui, constatant la diffusion progressive du discours Sanofi-Aventis auprès des professionnels de la santé et éliminant les différentes autres causes probables de l’insuffisance de générification du Plavix®, établi le lien direct entre la position dominante de Sanofi-Aventis et la pratique en cause : “c’est cette position dominante, et notamment la notoriété et la confiance qui en découlent et que Sanofi-Aventis était seule à détenir, qui a permis à l’entreprise de donner sa pleine efficacité à sa stratégie consistant à dénigrer les produits de ses concurrents au bénéfice de ceux qu’elle-même offrait sur le marché dominé” (point 578).

Et comme le relève à juste titre la CNAM, celle-ci a évalué son préjudice dans le cadre de la présente action non pas sur la base d’une économie non réalisée au regard de son objectif de générification du Plavix®, mais sur la différence entre la courbe de générification réelle du clopidogrel et sa courbe de générication contrefactuelle si les pratiques n’avaient pas été commises.

Autrement dit, l’existence d’un dommage réparable ne s’est révélée à la CNAM qu’à la suite de la décision de l’Autorité de la concurrence du 14 mai 2013.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, seule la décision de l’Autorité de la concurrence du 14 mai 2013 était de nature à permettre à la CNAM d’avoir la connaissance de l’ensemble des faits nécessaires pour exercer un droit à réparation et d’agir utilement devant une juridiction commerciale, en sorte que le point de départ de la prescription de son action doit être fixée à cette date.

En conséquence, sans qu’il soit nécessaire de statuer sur une éventuelle interruption de la prescription de l’action en réparation de la CNAM, celle-ci introduite en septembre 2017 n’est pas prescrite.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a estimé prescrite la présente action.

La cour, statuant sur une fin de non-recevoir, est saisie pour le tout par l'effet dévolutif de l'appel, conformément à l'article 562 du code de procédure civile.

Par suite, les parties ayant conclu au fond, il y a lieu de statuer sur l'entier litige.

Sur le bien-fondé de l’action de la CNAM

> Sur la responsabilité des sociétés Sanofi ayant commis des pratiques anticoncurrentielles

Par décision définitive du 14 mai 2013, l’Autorité de la concurrence a décidé qu’il était établi que les sociétés Sanofi-Aventis France, en tant qu’auteur de la pratique, et Sanofi, en sa qualité de société mère de Sanofi-Aventis France, ont enfreint les dispositions de l’article L. 420-2 du code de commerce ainsi que celles de l’article 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en mettant en oeuvre une pratique de dénigrement des génériques concurrents de Plavix® sur le marché français du clopidogrel commercialisé en ville.

La CNAM soutient que les infractions au droit de la concurrence sanctionnées par décision de l'Autorité de la concurrence constituent des fautes génératrices de préjudices.

Les sociétés mises en cause ne contestent pas le caractère de faute civile des pratiques, mais réfutent tout lien de causalité entre la pratique illégale sanctionnée et un prétendu dommage subi par la CNAM à la suite d’un moindre taux de générification du Plavix®.

*Sur le lien de causalité

Selon les sociétés Sanofi, les effets décrits par la CNAM sur le taux de générication du Plavix® auraient pu se produire même en l’absence des pratiques alléguées, dès lors que de nombreux facteurs, autres que les informations communiquées par Sanofi, peuvent expliquer les évolutions du marché du clopidogrel en ville, à savoir :

- Une bonne pénétration des génériques pendant toute la période des pratiques alléguées, preuve de l’absence d’impact de ces pratiques : Les sociétés Sanofi soutiennent, comme devant l’Autorité de la concurrence et les instances de recours, que la bonne pénétration des génériques pendant toute la période des pratiques alléguées, soit de septembre 2009 à fin janvier 2010, avec seulement une légère baisse après la fin de toute communication, met en évidence l’absence de lien de causalité entre les pratiques et la légère inflexion du taux de substitution. Elles précisent que la moyenne du taux de substitution de très nombreuses molécules a suivi une tendance à la baisse à partir de la mi-2010 jusqu’à la généralisation de la mesure “tiers payant générique” (graphique n° 5).

- Les retraits de lots de génériques de clopidogrel par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé en mars 2010 : les sociétés Sanofi relèvent que le 25 mars 2010, à la suite d’inspections menées par les autorités sanitaires françaises et allemande dans les locaux d’un producteur de principe actif en Inde, celles-ci ainsi que l’agence européenne du médicament, ont ordonné le retrait de plusieurs lots de génériques de clopidogrel des deux plus importants génériqueurs du marché, à savoir Teva Santé learder mondial du générique et Sandoz, filiale de Novartis 4ème laboratoire le plus important au monde (les marques Isomed, Ratiopharm et Sandoz). Elles font valoir que la légère inflexion du taux de substitution du clopidogrel observée en mars 2010 correspond exactement aux retraits de lots de génériques ordonnés par l’Afsaps le même mois, qui ont eu un fort impact sur les ventes de génériques, et ont plus largement impacté les ventes de tous les génériques de clopidogrel dans les mois qui ont suivi.

- La réticence générale des patients et des médecins vis à vis des génériques : les sociétés Sanofi insistent sur le fait qu’il existe en France une réticence des patients et des médecins vis-à-vis des génériques en général, quelle que soit la molécule concernée et non uniquement le clopidogrel. Elles relèvent que ce constat de défiance généralisée est partagé par tous les acteurs du monde médical interrogés par l’Autorité dans sa décision de sanction, la CNAM elle-même, et que cette réticence est relayée dans la presse spécialisée et généraliste. Elles font en outre valoir un sondage réalisé par l’institut AplusA à leur demande dans le cadre de la procédure duquel il ressort une très forte défiance des médecins vis-à-vis des générique de manière générale,

- La grève de substitution des pharmaciens qui a visé spécifiquement Plavix® en 2010 : sur ce point les sociétés Sanofi avancent qu’alors que la générification de clopidogrel avait connu une inflexion du fait de raisons sanitaires en mars 2010, un nouvel événement est venu freiner cette générification en mai 2010. Afin de faire pression sur les autorités de santé en vue d’obtenir une revalorisation de leurs marges, le collectif “ pharmaciens en colère”, regroupant environ 200 titulaires a lancé au cours de mai 2010 un mot d’ordre visant à stopper la substitution de Plavix®, les sociétés Sanofi de souligner que cette grève a été très bien suivie allant jusqu’à des ruptures de stock de Plavix® chez les grossistes et que ces phénomènes ont nécessairement eu un impact sur les ventes de génériques et donc sur le taux global de substitution des pharmaciens.

- La remontée brutale de la substitution : les sociétés Sanofi font encore valoir que la brutale remontée des génériques clopidrogel (63,9 % en mai 2012 à 69,7 % en juillet et à 78,6 % en septembre 2012) à la suite de la signature d’une nouvelle convention entre les pharmaciens et la CNAM prévoyant en mai 2012 une incitation financière supplémentaire à la substitution, démontre que la stagnation du taux de générification était due à une insuffisante incitation financière des pharmaciens à substituer davantage et non au nombre élevé d’ordonnances “ NS”.

Elles font remarquer, comme le rapport RBB le met en avant, que les pharmaciens ont pu anticiper la convention pour un effet opportuniste : l’incitation financière donnée dépendait en effet de la progression du taux de substitution (et non du niveau du taux de substitution atteint), les pharmaciens ont donc réduit la substitution avant l’entrée en vigueur de la convention. Cela se traduit, pour les sociétés Sanofi, par une plus forte progression du taux de substitution et donc une plus grande incitation financière pour les pharmaciens et expliquant non seulement la forte hausse du taux de substitution lors de la mise en place de la convention mais également la baisse du taux de substitution observée dans la période qui l’a précédée.

La CNAM, soutient à juste titre, que l’ensemble de ces arguments ont été soulevés devant l’Autorité de la concurrence et la Cour de céans, et ont été tous rejetés.

En effet, il résulte des décisions de l’Autorité de la concurrence (en particulier les points 471 et suivants) et de la Cour de céans (pages 17 et suivantes - sur le lien de causalité entre la pratique reprochée et les effets), ainsi que des pièces versées aux débats à hauteur d’appel de la présente procédure par les parties que la stratégie de dénigrement à l’encontre des génériques concurrents de Plavix® a eu pour effet un taux de générification atypique du Plavix®.

Ainsi, l’évolution du taux de substitution du Plavix® qui, initialement a connu une hausse rapide, puis une stagnation précoce, et ensuite une baisse constante dès le mois de mars 2010, soit environ cinq mois après la sortie des premiers génériques de Plavix®, a été retenue comme inhabituelle. De nombreux laboratoires génériqueurs étaient présents dès le départ sur le marché concerné, ce qui promettait des volumes importants et un chiffre d’affaires élevé, outre le fait que par des mesures d’incitation à la substitution, la générification du Plavix® constituait une opportunité économique intéressante pour les pharmaciens. Aussi, il a été considéré que l’évolution très atypique du taux de substitution du Plavix® ne pouvait être attribuable qu’à la pratique mise en oeuvre par Sanofi-Aventis auprès des professionnels de la santé.

En réalité, il a été constaté un effet différé des pratiques sur la générification du clopidogrel s’expliquant par le caractère progressif de diffusion du discours des sociétés Sanofi auprès des professionnels de santé mais aussi par le délai s’écoulant entre deux renouvellements d’ordonnances par les médecins prescripteurs de Plavix®. Ainsi, certains laboratoires génériqueurs, comme Biogaran, qui avaient reçu des commandes, les ont vu cesser pendant ou après la campagne d’information de la société Sanofi-Aventis et les taux de “recommandes” sont ensuite restés inférieures à la moyenne. Aussi, comme le relève la CNAM, l’analyse de la courbe de générification du Plavix® concomitamment aux pratiques n’est pas un indice pertinent pour l’appréciation des effets de ces pratiques.

En outre, contrairement à ce qui est avancé par les sociétés Sanofi, le taux de générification du clopidogrel a connu une baisse spécifique par rapport à d’autres médicaments comparables sur cette même période, lorsqu’il est notamment comparé aux molécules retenues par les sociétés Sanofi dans leurs premières observations devant l’Autorité (Oméprazole, Simvastatine, Pravastatine, Amlodipine, Lanzoprazole, venlafaxine, Pantoprazole - points 672 et suivants décision de sanction). Ainsi, si le taux de générification du clopidogrel est le plus important lors des trois premiers mois de commercialisation des génériques de ces huit molécules, il est le plus faible dans les années qui suivent. Après 24 mois, il est ainsi à peine supérieur à 60 % alors que le taux de générification des autres molécules atteint plus de 75 %.

Ensuite, l’existence d’une réticence généralisée à l’égard des médicaments génériques relayée par la presse, et confirmé par le sondage produit de l’institut Aplus A, n’a pu que favoriser les effets de la pratique de dénigrement déployée par les sociétés Sanofi-Aventis. D’ailleurs il a été relevé, qu’en 2012, il existait un taux sensiblement plus élevé de la mention non substituable sur les ordonnances concernant le Plavix (12,6 %) que pour d’autres spécialités, puisque toutes spécialités confondues, ce taux était en moyenne de 5 %.

S’agissant de l’impact du retrait de lots de générique du Plavix®, il a été constaté sur le graphique n° 2 à nouveau produit par les sociétés Sanofi que la baisse des parts de marché de la société Sandoz avait commencé depuis la moitié du mois de novembre 2009 et celle de la société Ratiopharm depuis le mois de février 2010 et que les parts de marché de ces deux laboratoires étaient au mois de mars 2010, date des retraits, autour de 3%, en sorte que le retrait de ces génériques n’a pu avoir qu’une incidence mineure dans la baisse du taux de générification. Comme le relève en outre la CNAM, il ressort des constatations de l’Autorité de la concurrence que si les retraits de lots du mois de mars 2010 n’ont eu qu’un impact limité sur les professionnels de la santé, ils ont toutefois fourni à Sanofi-Aventis une nouvelle opportunité de développer un discours de nature à renforcer les craintes de ces derniers sur les génériques concurrents de Plavix®.

S’agissant de la grève de la substitution, pas plus dans la présente procédure (pièces 35 à 39) qu’en appel de la décision de l’Autorité de la concurrence, les sociétés Sanofi ne démontrent que cette grève a été largement suivie sur une longue durée comme elle le prétend, pour avoir une réelle incidence.

Enfin, sur l’impact des incitations financières à la substitution, d’une part elle n’a pas eu d’incidence sur le nombre de mentions “non substituable” sur les ordonnances anormalement élevées pour le Plavix®, et d’autre part ce point a été pris en compte par la CNAM dans l’évaluation de son préjudice.

Il résulte à suffisance de l’ensemble de ces éléments, un lien de causalité entre les pratiques de dénigrement illicites des sociétés Sanofi et de l’évolution atypique du taux de générification du Plavix®.

* Sur l’existence d’un effet dommageable pour la CNAM

Selon la CNAM, l’abus de position dominante mise en œuvre par les sociétés Sanofi a conduit à un taux de substitution atypique car anormalement bas, engendrant pour l’assurance maladie une augmentation durable de l’indemnisation des assurés et de la rémunération aux pharmaciens.

Elle explique d’abord que les médicaments génériques sont structurellement moins chers que leur princeps de référence car ils ne nécessitent pas de programme de recherche fondamentale. Aussi, le dommage subi résulte mécaniquement de la différence entre (i) le montant qu’elle verse dans le cadre du remboursement du clopidogrel et (ii) le montant qu’elle aurait versé si le Plavix® avait connu un taux de générication ordinaire en l’absence de pratiques fautives. Elle indique que le préjudice de la CNAM est d’autant plus élevé que, jusqu’à l’arrivée sur le marché des génériques du clopidogrel en octobre 2009, Plavix® représentait plus de 550 millions d’euros de chiffres d’affaires et constituait le premier poste de remboursement de l’assurance maladie, avec 625 millions d’euros. Elle ajoute que la pratique n’a pas entraîné la disparition des effets sur le retard de générification du Plavix® qui se poursuit toujours.

Ensuite, la CNAM fait valoir que dans le cadre de la politique de santé, la convention nationale organisant les rapports entre les pharmaciens titulaires d’officine et l’assurance maladie a en 2012 prévu un nouveau mode de rémunération pour les 22 000 officines réparties sur le territoire français. Cette convention a notamment établi un système de rémunération prenant en compte pour chaque molécule et chaque pharmacie l’évolution du taux de substitution pendant une période rapportée à une période précédente, soit une rémunération en fonction de l’augmentation du taux de substitution et, point crucial, proportionnelle à la différence entre les deux périodes. Aussi, le paiement effectué à chaque pharmacien dépendait, pour une molécule donnée, de l’économie potentielle attendue sur cette molécule et de la progression de la substitution d’une année à l’autre. Or selon la CNAM, dans la mesure où les rémunérations aux pharmaciens dépendaient de l’écart entre la substitution atteinte en 2012 et celle du second semestre de 2011, le retard de générication du clopidogrel a eu un impact sur les montants versés aux pharmaciens au titre de l’adoption retardée des génériques de cette molécule. Ainsi, les molécules à niveau de substitution faible ayant connu une augmentation plus grande en 2012, le montant de rémunération versé aux pharmaciens pour le clopidogrel a été exceptionnellement important.

Les sociétés Sanofi, après avoir rappelé que le législateur n’a pas prévu de présomption de préjudice pour les abus de position dominante contrairement aux ententes, estiment qu’aucun préjudice n’est établi par la CNAM aux motifs que le taux dégénérification du clopidogrel n’était ni anormalement bas, ni atypique.

Elles exposent à cet effet que les molécules qui font l’objet de l’Accord national relatif à la fixation d’objectifs de délivrance de spécialités génériques (ci-après “l’accord”) sont celles qui sont susceptibles de générer un fort potentiel d’économies pour la CNAM, en sorte que les objectifs très ambitieux fixés par l’accord et ses avenants ne reflètent pas la réalité économique de chaque marché, ni le potentiel de substitution de chaque molécule et elles en veulent pour preuve que la comparaison entre les taux de substitution cibles et réelles démontre que la plupart des molécules n’atteignent pas les objectifs fixés par l’accord (tableaux 1 et 2 pages 78 et 79). Concernant le clopidogrel, elles relèvent qu’en dépit des retraits de lots en mars 2010 et de la grève des pharmaciens à partir de mai 2010, le clopidogrel n’est pas passé loin d’atteindre l’objectif ambitieux fixé par la CNAM au 31 décembre 2010 (taux réel : 65,6 % et objectif fixé : 75 %) et que dès 2012, le clopidogrel a réalisé et même dépassé son objectif de substitution (taux réel : 77 % et objectif fixé : 75 % avec une croissance de son taux de substitution de 12 % sur l’année 2012). Il est souligné que pour la même année, 10 molécules sur 31 (soit 32.3 %) ne sont pas parvenues à atteindre l’objectif fixé par la CNAM. Les sociétés Sanofi soutiennent que dans ce contexte, il est difficile de comprendre comment la CNAM peut soutenir que la pratique alléguée produit encore des effets sur le marché du clopidogrel.

Les sociétés Sanofi expliquent encore que l’évolution du taux de générication du clopidogrel n’a rien eu d’atypique, dès lors que la tendance générale du taux de générication a été baissière pour de très nombreuses molécules au cours des années 2010 et 2011 (graphique n° 5 conclusions page 81).

Enfin, elles avancent qu’en mettant en avant leur propre générique, Sanofi n’a pas empêché ou ralenti la générication de clopidogrel.

La CNAM rétorque en substance qu’il a été constaté par la décision de sanction de l’Autorité de la concurrence qu’en comparaison avec les taux de générication des molécules qui avaient été retenues par les sociétés Sanofi elles-mêmes, le taux de générification du Clopidogrel était bien atypique et anormalement bas. Elle relève que dans la présente instance, les sociétés Sanofi ont modifié les molécules servant de base à leur comparaison et que celles-ci ne peuvent affirmer,sans nuance et sur le fondement de données biaisées, que le taux de générification du Plavix® aurait été supérieur à celui des autres molécules ou dans la moyenne de celles-ci.

Sur ce,

Il ressort de l’analyse de l’Autorité de la concurrence (points 669 et suivants), qu’au regard de la comparaison de l’évolution des taux de générification de plusieurs molécules reprises dans les observations initiales de Sanofi-Aventis, si le taux de générification du clopidogrel est le plus important lors des trois premiers mois de commercialisation du panel de comparaison, il est le plus faible dans les années qui suivent. Ainsi après 24 mois, il est à peine supérieur à 60 % alors que le taux de générification des autres molécules, à l’exception de la rispériodone, atteint plus de 75 %. Il a été clairement constaté que le taux de générification du clopidogrel est apparu anormalement bas que ce soit relativement à d’autres molécules comparables, aux objectifs de la sécurité sociale ou encore au taux de pénétration moyen des génériques commercialisés depuis 2009 et de permettre à l’Autorité de la concurrence d’en conclure que “ ces éléments permettent de mettre en évidence que, en l’absence de la pratique en cause dont les effets se sont fait progressivement sentir dans le temps ainsi que cela a été rappelé précédemment, le taux de générification du clopidorel aurait été significativement plus important.”

En outre, il convient de prendre en compte l’impact de l’évolution du taux de générification sur les dépenses de la CNAM pour une molécule telle que le clopidogrel : le volume mensuel moyen vendu en ambulatoire (nombre de boîtes remboursées par la CNAM au mois de remboursement) était de 1 000 900 entre janvier 2010 et août 2011 (352 952 pour Plavix®, soit un peu plus de 35 % des volumes, et 647 948 pour l’ensemble de ses génériques, soit un peu moins de 65 % des volumes), ce qui conduit pour une diminution d’un seul point du taux de générication du clopidogrel à vendre, chaque mois, environ 10 000 boîtes de Plavix® en lieu et place des boîtes de génériques, soit un surcoût mensuel pour la CNAM de l’ordre de 450 000 euros pour la seule période de janvier 2010- octobre 2011.

Aussi, les sociétés Sanofi-Aventis ne peuvent sérieusement contester le caractère anormalement bas du taux de générification du clopidogrel sur la période 2009-2013, en se bornant :

- D’une part à une comparaison d’ordre général de 18 molécules pour lesquelles la CNAM a fixé un objectif de substitution en 2010 et 2012 (tableau 1et 2, conclusions Sanofi pages 78 et 79) et relever que le Clopidogrel “n’est pas passé loin d’atteindre l’objectif ambitieux de la CNAM au 31 décembre 2010" et le dépasser en 2012.

- D’autre part, à une comparaison sur la période janvier 2010 à janvier 2013 (graphique 5 conclusions page 81) du taux de générification du Plavix® à la moyenne du taux de substitution de “très nombreuses molécules”, en arguant que la comparaison du clopidogrel avec 20 molécules “est bien plus représentatif que celle de 8 molécules opérées par la CNAM”, sachant que ce panel de comparaison des huits molécules en cause était celui de la société Sanofi-Aventis dans ses observations initiales devant l’Autorité de la concurrence

Dès lors, il résulte de ces constatations et des mécanismes de remboursement des assurés et rémunération des pharmaciens, qu’un effet dommageable sur les dépenses de la CNAM résultant des pratiques abusives opérées par les sociétés Sanofi est établi.

* Sur la quantification des préjudices

La CNAM soutient subir un préjudice de dépenses supplémentaires du fait de la pratique abusive des sociétés Sanofi-Aventis de deux natures :

- D’une part, la moindre générification conduisant la CNAM à supporter des remboursements sur la base du prix du Plavix®, plus élevé que celui des génériques, et

- D’autre part, l’évolution atypique de la générication du Plavix® a conduit la CNAM à devoir accorder une meilleure rémunération aux pharmaciens.

Afin de chiffrer son préjudice, la CNAM produit aux débats un rapport établi par le cabinet d’économistes RBB révisé le 30 juin 2021 (pièce n°24) qui a quantifié le dommage en comparant l’évolution du taux de générification de clopidogrel (sa courbe de “générification réelle”) avec celle qui aurait été réservée en l’absence des pratiques (la courbe de “générification contrefactuelle”).

Pour établir la courbe contrefactuelle, ont été analysées dans ce rapport les différentes causes qui influencent le taux de générification atteint par toutes les principales molécules (80) générifiées en France à partir de juillet 2003, ainsi que la vitesse à laquelle ce taux est atteint. En particulier, a été étudié le lien entre l’évolution du taux de générification de chaque molécule et les facteurs susceptibles d’influencer ce taux, tels que la valeur totale des ventes, la date de première générification, l’âge moyen des patients, la classe thérapeutique, les éventuels retraits de lots décidés par les autorités de santé ou encore les politiques publiques mises en place pour inciter à la générification. Il ressort de cette analyse que l’évolution de la courbe de générification de chaque molécule est très liée à la date à laquelle celle-ci est générifiée, ainsi qu’à la valeur totale de ventes qu’elle représente. Il est également montré que l’entrée en vigueur de la convention des pharmaciens en 2012 a eu un impact positif et immédiat sur les niveaux de générification de la plupart des molécules, cependant que les pharmaciens ont pu anticiper l’entrée en vigueur de cet accord conduisant à ce que les niveaux de générification des molécules générifiées pendant la deuxième moitié de 2011 ont été significativement en deçà de la normale. A partir de cette méthode d’analyse, le rapport RBB en déduit que le volume des ventes et la date de première générification sont les critères les plus déterminants pour prédire le taux de générification, et à déterminer la liste des molécules pertinentes à partir de ces deux critères pour établir la courbe de générification contrefactuelle.

Le résultat montre que l’évolution réelle du taux de générification du clopidogrel est significativement inférieure à celle qui aurait été observée en l’absence des pratiques mises en oeuvre par les sociétés Sanofi.

Le rapport conclu à l’estimation suivante : “compte tenu des deux catégories de préjudice, nous estimons que le dommage causé à la CNAMTS sur l’univers du régime général est de 113,8 millions d’euros jusqu’au 31 mars 2015, et 115,9 millions d’euros y compris les intérêts légaux. Dans la mesure où le régime général représente environ 73 % des ventes de boîtes de clopidogrel, une extrapolation linéaire nous permet d’estimer de manière approximative le montant total du dommage causé par les pratiques de Sanofi à l’Administration publique à plus de 159 millions d’euros sur l’ensemble des régimes. Nous considérons que cette estimation est fondée sur une méthode de calcul conservatrice.”.

La CNAM précise que l’estimation de son préjudice, tel qu’arrêté à fin mars 2015 est une évaluation a minima, sur la base de l’analyse réalisée par RBB Economics, lequel n’a pas été en mesure de préciser son chiffrage pour la période postérieure au mois de mars 2015, sachant que son préjudice réellement subi n’a pas cessé au mois de mars 2015 et que la période du préjudice indemnisable ne peut se limiter à la période des pratiques abusives.

Pour contester cette évaluation, les sociétés Sanofi ont mandaté le cabinet CRA, et ont formulé les principales critiques suivantes :

- Sur la méthode d’évaluation du cabinet RBB :

* Alors que la générification d’une molécule est un processus complexe dépendant de nombreux facteurs, il est reproché d’avoir sélectionné huit molécules en se fondant seulement sur deux critères, à savoir la date de la générification (période entre 2006 et 2009) et la taille du marché (le quatrième quartile des valeurs de vente de l’année précédant l’entrée au répertoire). Il est ajouté que ces deux critères ne sont pas pertinents alors que deux facteurs expliquant le déclin de la substitution en 2010, à savoir le retrait de lots et la grève de substitution, n’ont pas été pris en compte.

*L’absence de convergence entre la courbe de substitution contrefactuelle de RBB et la courbe de substitution réelle du clopidogrel décrébilise le modèle de RBB qui conduit à ce qu’en 2021, 12 ans après la pratique Sanofi qui n’a duré que 5 mois, celle-ci produirait encore des effets, voire des effets perpétuels.

*La prise en compte très partielle par RBB des baisses de prix de Plavix®

- Sur la période de préjudice prise en compte par la CNAM : il est soutenu que dans la mesure où la pratique en cause n’a duré que cinq mois, de septembre 2009 à janvier 2010, la CNAM n’est pas fondée à revendiquer un prétendu préjudice sur une durée de plus de cinq ans allant jusqu’en mars 2015, alors que toute évaluation du prétendu préjudice de la CNAM devrait être basée sur la durée retenue par l’Autorité et la cour d’appel de Paris.

Le rapport CRA versé aux débats par les sociétés Sanofi expose un chiffrage alternatif du préjudice allégué par la CNAM reposant d’abord sur une méthode différente pour identifier les comparateurs pertinents, sans chercher comme le rapport RBB à identifier les facteurs explicatifs du taux de substitution des molécules mais plutôt à identifier les molécules ayant le même potentiel de pénétration des génériques, c’est-à-dire connaissant un taux de pénétration des génériques proche de celui de clopidogrel à long terme, une fois la pénétration des génériques stabilisée. Pour sélectionner les comparateurs pertinents, a été identifié l’ensemble des molécules dont le taux de pénétration des génériques est proche de celui de clopidogrel à plus ou moins 10 points de pourcentage sur la période entre avril et septembre 2015. Cette période correspond à la période postérieure à la fin des effets des pratiques, fixée en mars 2015 par le rapport RBB. Autrement dit, il est identifié des molécules dont le taux de pénétration des génériques est proche de celui de clopidogrel “normal” qui permet de connaître l’évolution “normale” du taux de substitution de clopidogrel sur la période affectée par les pratiques. Parmi les molécules répondant au critère, la liste des comparateurs pertinents de clopidogrel a été restreinte en ne conservant que les molécules dont l’entrée au répertoire des génériques s’est faite dans le même cadre réglementaire que celui des génériques de Clopidogrel, c’est-à-dire après octobre 2007 et avant mars 2011.

Il est soutenu à l’appui de ce rapport qu’une analyse du profil des molécules ainsi sélectionnées confirme leur pertinence pour estimer le taux de substitution contrefactuel du clopidogrel, dès lors que la plupart des comparateurs identifiés par cette méthode sont utilisés dans le traitement des maladies chroniques et correspondent à des marchés où sont commercialisés un nombre important de génériques et de taille variable.

Ensuite, à partir du taux réel ainsi obtenu de pénétration des génériques pour les comparateurs identifiés, le taux de substitution contrefactuel du clopidogrel a été estimé en décomposant l’évolution générique en trois phases temporelles, puis en tenant compte pour l’évaluation du préjudice d’un “effet volume” et d’un “effet prix”.

Sur la période d’un an, de septembre 2009 à septembre 2010, correspondant à la durée maximale de l’effet des pratiques reconnue par la cour d’appel de Paris, le rapport CRA aboutit à une évaluation du préjudice total de la CNAM entre 2,14 millions et 2,25 millions d’euros.

Sur la période de près de 5 ans telle qu’alléguée par la CNAM, de septembre 2009 à mars 2015, le rapport aboutit à une évaluation du préjudice total de la CNAM entre 7,78 millions et 10,32 millions d’euros au maximum.

Sur ce,

La Cour observe que l’Autorité de la concurrence, confirmée en appel, conclut dans sa décision de sanction (point 584) que la pratique de dénigrement de la société Sanofi- Aventis a eu “pour effet de limiter durablement l’entrée de ces génériques sur le marché français du clopidogrel commercialisé en ville”. Pour établir les bases de la sanction, l’Autorité de la concurrence a retenu (points 634 à 637) que si la pratique en cause a trouvé son origine dans des actions de communication qui ont pris place entre le début du mois de septembre 2009 et la fin du mois de janvier 2020, elle a pour autant “produit ses effet bien au-delà de cette période : la vente de génériques concurrents a en effet été freinée et disciplinée pendant tout le temps où le discours tenu auprès des médecins et des pharmaciens a infléchi les comportements de ces derniers” et a retenu que “les effets de la stratégie imputée à Sanofi-Aventis sont établis à tout le moins jusqu’à la notification des griefs adressée à cette société entre le 7 décembre 2011".

Aussi, s’il n’est pas contestable que la stratégie de dénigrement de Sanofi-Aventis a produit des effets dommageables au-delà de l’espace-temps des actions de communication, il n’est pas non plus exclu que l’effet dommageable ait été durable sur plusieurs années, voir au-delà de 2015.

Dès lors, le scénario contrefactuel construit par le cabinet CRA, et qui repose sur une sélection de molécules connaissant un taux de pénétration proche de celui du clopidogrel “à long terme” une fois la pénétration des génériques stabilisée, à savoir toutes les molécules dont le taux de pénétration des génériques est proche de celui du clopidogrel, à plus ou moins 10 points de pourcentage sur la période entre avril et septembre 2015 partant du postulat que la fin des effets des pratiques est mars 2015, n’est pas suffisamment crédible pour servir de référentiel.

Si la méthode de scenario contrefactuel du cabinet RBB apparaît en ce sens plus crédible, les critiques des sociétés Sanofi conduisent néanmoins d’une part à vérifier la robustesse du contrefactuel présenté par la CNAM et d’autre part à préciser la fin des effets de la pratique de dénigrement.

La Cour ne disposant pas d’éléments suffisants pour statuer sur la demande de la CNAM et chiffrer les éléments composant son préjudice, il y a lieu d’ordonner une expertise en application des dispositions de l’article 144 du code de procédure civile.

Plus particulièrement, la Cour attend de l’expert :

- Un avis sur la robustesse du scenario contrefactuel du rapport RBB Economics du 30 juin 2021 produit par la CNAM en cas de variation du groupe de molécules comparables au clopidogrel, avec le cas échéant une proposition d’ajustements à ce scenario reprenant le principe de comparaison avec un groupe de molécules,

- Une détermination de la date de fin des effets des pratiques de dénigrement mises en place par les sociétés Sanofi, afin d’évaluer l’effet différé du préjudice de la CNAM. Dans le cas où les pratiques auraient encore un impact sur le taux de pénétration des génériques du clopidogrel, l’expert pourrait proposer une estimation du préjudice pouvant avoir lieu jusqu’à la fin des effets des pratiques.

Il sera sursis à statuer en l’état sur les demandes de réparation et les dépens seront réservés.

PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;

REJETTE la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action de la CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE MALADIE (CNAM) ;

Evoquant l’affaire au fond,

DIT que les sociétés SANOFI-AVENTIS FRANCE et SANOFI ont commis des pratiques abusives constitutives de fautes au sens de l’article 1382 du code civil, devenu l’article 1240 du code civil ;

DIT que ces pratiques ont eu un effet dommageable pour la CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE MALADIE (CNAM) ;

AVANT DIRE DROIT sur la réparation des préjudices de la CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE MALADIE (CNAM) ;

ORDONNE une expertise,

DÉSIGNE M. Jean-François LABORDE, expert auprès de la cour d'appel de Paris, Laborde Advisory 7 avenue Franco-Russe 75007 PARIS avec mission d'évaluer les préjudices subis par la CNAM résultant des pratiques de dénigrement des sociétés SANOFI-AVENTIS FRANCE et SANOFI, et plus particulièrement de :

- Donner son avis sur la robustesse du scenario contrefactuel du rapport RBB Economics du 30 juin 2021 produit aux débats par la CNAM, en cas de variation du groupe de molécules comparables au clopidogrel, et le cas échéant proposer des ajustements à ce scenario reprenant le principe de comparaison avec un groupe de molécules,

- Déterminer la date de fin des effets des pratiques de dénigrement mises en place par les sociétés SANOFI-AVENTIS FRANCE et SANOFI, afin d’évaluer l’effet différé du préjudice de la CNAM ; dans le cas où les pratiques auraient encore un impact sur le taux de pénétration des génériques du clopidogrel, proposer une estimation du préjudice pouvant avoir lieu jusqu’à la fin des effets des pratiques,

- Fournir à la Cour tous les éléments lui permettant de fixer les préjudices de la CNAM liés à l’indemnisation des assurés et à la rémunération des pharmaciens,

DIT que l’expert entendra les parties et tous sachants,

DIT que l’expert se fera communiquer par les parties tous documents ou pièces qu’il estimera nécessaires à l’accomplissement de sa mission,

DIT que l'expert devra préalablement communiquer aux parties un pré-rapport et recueillir contradictoirement leurs observations ou réclamations écrites dans le délai qu'il fixera, puis joindra ces observations ou réclamations à son rapport définitif en indiquant quelles suites il leur aura données,

RAPPELLE qu'en application de l'article 276 du code de procédure civile, les parties devront dans leurs dernières observations ou réclamations reprendre sommairement le contenu de celles qu'elles avaient précédemment présentées, à défaut de quoi, elles seront réputées abandonnées,

FIXE à 35 000 euros le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert que versera la CNAM entre les mains du régisseur d'avances et de recettes de la cour d'appel de Paris et ce, avant le 12 avril 2022,

RAPPELLE qu'à défaut de consignation dans le délai, la désignation de l'expert sera caduque, toute conséquence étant tirée du refus ou de l'abstention de consigner,

DIT que l'expert déposera le rapport de ses opérations au greffe de la Cour dans les six mois de sa saisine par signification qui lui sera faite de la consignation, sauf prolongation de ce délai sur autorisation du conseiller de la mise en état,

DIT que l'affaire sera examinée à l'audience de mise en état du mardi 19 avril 2022 à 10 heures,

SURSEOIT à statuer sur la réparation du préjudice et les autres demandes présentées,

RÉSERVE les dépens.