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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 7 avril 2022, n° 20/03811

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Alphabet Inc (Sté), Google LLC (Sté), Google Ireland Limited (Sté), Google France (SARL)

Défendeur :

Amadeus (SARL), Gibmedia (SAS), Autorité de la concurrence, Ministre chargé de l'Economie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Maitrepierre

Conseillers :

Mme Brigitte Brun-Lallemand, Mme Schmidt

Avocats :

Me Moisan, Me Michot, Me de Bure, Me Magraner Oliver, Me Baechlin, Me Wilhelm, Me Lehman

CA Paris n° 20/03811

6 avril 2022

Vu la décision de l'Autorité de la concurrence n° 19-D-26 du 19 décembre 2019 relative à des pratiques mises en 'œuvre dans le secteur de la publicité en ligne liée aux recherches ;

Vu la déclaration de recours déposée par les sociétés Alphabet Inc., Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France au greffe le 3 mars 2020 ;

Vu l'exposé des moyens déposé par Alphabet Inc., Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France au greffe le 10 juillet 2020 ;

Vu la déclaration d'intervention volontaire de la société Gibmedia déposée au greffe le 20 juillet 2020 ;

Vu les observations écrites n° 1 et n° 2 déposées au greffe par la société Gibmédia respectivement le 24 septembre 2020 et le 19 octobre 2020 ;

Vu la déclaration d'intervention volontaire déposée au greffe par la société Amadeus le 26 octobre 2020'et le mémoire n° 1 déposée au greffe par la société Amadeus le 17 novembre 2020 ;

Vu l'arrêt n° 20/03811 du 7 janvier 2021 de cette Cour qui a déclaré la société Amadeus recevable en son intervention volontaire accessoire ;

Vu les observations déposées au greffe le 12 janvier 2021 par l'Autorité de la concurrence ;

Vu les observations du ministre chargé de l'économie déposées au greffe le 12 janvier 2021 ;

Vu le mémoire n° 2 déposé au greffe par la société Amadeus le 26 février 2021 ;

Vu les conclusions en réplique déposées au greffe par les sociétés Alphabet Inc., Google Llc, Google Ireland Ltd et Google France le 30 mars 2021 ;

Vu l'avis du ministère public du 12 avril 2021 transmis le même jour aux sociétés Alphabet Inc., Google LLC, Google Ireland Ltd Google France, Gibmedia et Amadeus, à l'Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l'économie ;

Après avoir entendu à l'audience publique du 15 avril 2021 les conseils des sociétés Alphabet Inc., Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France, qui ont été mis en mesure de répliquer, les représentants de l'Autorité de la concurrence, les représentants des sociétés Gibmedia et Amadeus, ainsi que le représentant du ministre chargé de l'économie et le ministère public.

FAITS ET PROCÉDURE

1.La Cour est saisie du recours formé par les sociétés Alphabet Inc., Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France (ci-après « Google ») contre la décision de l'Autorité de la concurrence n° 19-D-26 rendue le 19 décembre 2019 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la publicité en ligne liée aux recherches (ci-après « la décision attaquée »).

2.Par cette décision, l'Autorité de la concurrence (ci-après « l'Autorité ») a sanctionné Google pour abus de position dominante, en retenant qu'elle avait défini et appliqué les règles de la plateforme publicitaire Google Ads de manière non transparente, non objective et discriminatoire, en violation des articles 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après « TFUE ») et L. 420-2 du code de commerce.

Le moteur de recherche en ligne Google et l'offre de publicité associée

3.La Cour renvoie aux paragraphes 6 à 44 de la décision attaquée pour la présentation détaillée de l'entreprise Google, du moteur de recherches Google Search et des activités de Google, en l'absence de contestations sur ces points.

4.Il est seulement rappelé que Google, créée en 1998, est une entreprise spécialisée dans les produits et les services liés à l'utilisation d'Internet. Elle est principalement connue pour son moteur de recherche qui permet aux internautes de trouver et de consulter, avec le navigateur qu'ils utilisent et au moyen de liens hypertextes, les sites internet répondant à leurs besoins. Ces services sont fournis aux utilisateurs sans contrepartie financière mais permettent à Google d'accéder à leurs données personnelles.

5.Le moteur de recherche en ligne Google Search, accessible sur les terminaux fixes ou mobiles via le site internet gratuit en ligne www.google.com ou ses déclinaisons locales (en France www.google.fr), permet d'obtenir des résultats de recherche présentés sur des pages qui s'affichent sur les écrans des internautes.

6.Dans le cas du référencement généraliste dit « nature », les résultats procèdent de la mise en oeuvre des algorithmes de recommandation élaborés par Google, qui identifient les sites internet les plus pertinents en réponse à la recherche. Ces résultats sont sélectionnés par le moteur de recherche selon des critères généraux (tels que la fréquence de consultation des sites ou celle d'autres sites dans lesquels ils apparaissent en lien) sans que les sites auxquels il renvoie rémunèrent Google pour apparaître.

7.Le programme de publicité en ligne Google Ads (anciennement AdWords) est un service de vente d'espaces publicitaires qui offre aux annonceurs la possibilité d'afficher des publicités sur le site du moteur de recherches Google Search ou sur des sites de ses partenaires en fonction des termes de recherche utilisés par les internautes.

8.Il appartient aux annonceurs utilisant Google Ads de créer et paramétrer leurs annonces et d'y associer des mots-clés. Ceux-ci déterminent le montant maximal qu'ils sont prêts à payer chaque fois qu'un internaute clique sur l'une de leurs annonces (rémunération dénommée « coût par clic »). Lorsqu'un internaute entre une requête de recherche, Google identifie les annonces correspondantes et un système d'enchères détermine celles qui seront diffusées. Les « liens commerciaux » sélectionnés s'affichent, avec la mention « Annonce », sur la page de résultats, soit en tête de liste, soit en marge à droite de l'écran.

9.Les annonces Google Ads présentent la caractéristique de permettre aux annonceurs d'orienter les utilisateurs de Google Search vers leur site, y compris lorsque ce dernier dispose d'une faible notoriété et ne se situe pas dans les premiers résultats de recherche issus du référencement dit naturel. En effet, lorsqu'un site internet entre sur le marché, il doit générer une masse critique d'utilisateurs et le recours à la publicité joue un rôle essentiel. C'est une fois le site établi, à condition qu'il ait acquis une certaine réputation, qu'une partie de son trafic est générée par les autres modes d'accès.

10.Ainsi, lorsque les utilisateurs du moteur de recherche formulent une requête en utilisant un mot clé ou une série de mots clés, ils se voient simultanément proposer deux types de résultats : des liens vers des sites classés par pertinence, d'une part, et d'autres inclus dans des bannières publicitaires, dont la présence est liée à un paiement à Google, d'autre part.

11.L'activité du moteur de recherche en ligne et celle de la fourniture d'espaces publicitaires en ligne liée aux recherches se caractérisent par une forte interdépendance, la réussite de la première conditionnant l'attractivité de la seconde. La qualité du service offert par le moteur de recherche aux utilisateurs dépend en effet à la fois de la pertinence des résultats par référencement et de la pertinence et de la valeur des annonces payantes affichées. Plus il y a d'utilisateurs, plus le service d'annonces est attrayant. Plus il y a d'annonceurs pertinents, plus le service du moteur de recherche est attrayant pour les utilisateurs. Plus il y a d'annonceurs dans un secteur d'activité, plus les autres entreprises actives sur ce secteur peuvent avoir intérêt à recourir à des annonces, afin notamment de préserver un rang acceptable dans les recherches.

Les règles Google Ads

12.Google subordonne l'utilisation de sa plateforme publicitaire au respect par tous les annonceurs des règles dites Google Ads (ou « règlements » dans certains documents en français). Ces Règles précisent les conditions dans lesquelles un annonceur peut diffuser de la publicité dans le réseau Google. Elles figurent à l'article 3 des conditions générales de publicité, lesquelles constituent les conditions générales du contrat d'accès à la plateforme. Ainsi, pour ouvrir un compte Google Ads, chaque annonceur doit expressément s'engager à respecter lesdites Règles.

La finalité des règles Google Ads et leur classification

13.Les règles Google Ads (ci-après « les Règles »), disponibles en ligne, régissent les interactions entre internautes et annonceurs. Elles sont présentées par Google comme ayant vocation à protéger les internautes d'une exposition à des sites susceptibles de porter atteinte à leurs intérêts, à protéger l'investissement publicitaire des annonceurs de bonne foi et, plus largement, à préserver la qualité et l'attractivité des services proposés par Google. Elles ont une incidence sur le succès du moteur de recherche de Google auprès des internautes et celui de son service Google Ads auprès des annonceurs.

14.Les Règles sont toujours classées dans l'une des quatre grandes rubriques, lesquelles comprennent des sous-rubriques incluant généralement des « exemples » :

«  La première rubrique intitulée 'contenus interdits': contenus dont la promotion est interdite sur le réseau Google' comprend quatre sous-rubriques intitulées :

    « articles de contrefaçon »,

    « produits ou services dangereux » (par exemple, explosifs, armes à feu, tabac),

    « produits ou services favorisant un comportement malhonnête » (par exemple, création de faux documents, services de piratage, brouilleurs de radars)

    « contenus offensants ou inappropriés » (par exemple, contenus incitant à la haine, à la violence, au harcèlement, exploitation d'espèces en voie d'extinction).

- La deuxième rubrique intitulée « pratiques interdites » dans le cadre de la diffusion de publicités sur le réseau Google » comprend trois sous-rubriques intitulées':

    « utilisation abusive du réseau publicitaire » (par exemple, les « annonces, sites ou applications malveillants », les contenus à faible valeur informative, les techniques de dissimulation dites cloaking),

    « collecte et utilisation irresponsables de données »

    « fausse déclaration concernant une personne, un produit ou un service » (voir paragraphe 19 du présent arrêt).

 La troisième rubrique intitulée « contenu à diffusion contrôlée : contenus dont vous pouvez faire la publicité sous certaines conditions », en raison du caractère « sensible d'un point de vue légal ou culturel » de certains produits ou services.

15.Cette rubrique comprenait en septembre 2014 sept sous-rubriques (concernant l'alcool, les jeux de hasard, les contenus à caractère sexuel, les contenus protégés par le droit d'auteur, les contenus relatifs à la politique). Six sous-rubriques supplémentaires ont été ajoutées, dont l'une dénommée « autres activités soumises à restriction » (voir paragraphe 20 du présent arrêt.

«  La quatrième rubrique est intitulée 'exigences rédactionnelles et techniques': normes de qualité à appliquer à vos annonces et à votre site web », laquelle comporte également des sous-rubriques qu'il n'est pas nécessaire de préciser pour la compréhension du litige.

Présentation des versions successives de certaines Règles

16.Les Règles varient dans le temps. Elles font l'objet de changements dans leur définition, leur importance et leur insertion dans l'arborescence.

17.C'est plus particulièrement le cas des Règles qui concernent':

« l'interdiction de vendre des services disponibles gratuitement ailleurs sur internet (Règle désignée selon les périodes sous la formulation « promotions indignes de confiance » ou « vente d'articles gratuits ») ; »

 les obligations d'information sur les conditions de facturation que doivent respecter les sites internet proposant des services payants au consommateur (Règles visées selon les périodes sous les termes « pratiques de facturation douteuse », « omissions d'informations pertinentes (…) liées à la facturation », « facturation de frais pour des produits ou services normalement gratuits », « informations manquantes (...) liées à la facturation »).

18.La Règle sur les « promotions indignes de confiance », qui vient d'être évoquée, n'existait pas avant septembre 2014. Selon Google, cette exigence était néanmoins couverte par un ensemble de Règles comprenant notamment :

 la « vente d'articles gratuits » (soit la « promotion de la vente d'articles ou de services qui sont disponibles gratuitement par ailleurs » et la « vente de formulaires ou de services gouvernementaux qui sont disponibles gratuitement ou à moindre coût sur un site officiel ») ;

  les « pratiques de facturation douteuse » (soit les « modèles de facturation ou de tarification qui ne sont pas transparents pour l'internaute ») ;

 et les « pratiques de dissimulation (cloaking) ».

19.Suite à la refonte des Règles en 2014, la troisième Règle (relative à la « fausse déclaration concernant une personne, un produit ou un service », désignée également sous la formulation « déclarations trompeuses vous concernant ou concernant un produit ou service ») de la deuxième rubrique (les « pratiques interdites ») a été reformulée selon les termes suivants :

« Les utilisateurs ne doivent en aucun cas douter de la véracité et de la bonne foi des annonces que nous diffusons. Nous devons par conséquent faire preuve de franchise et d'honnêteté et leur fournir les informations dont ils ont besoin pour pouvoir prendre des décisions éclairées. Ainsi :

« nous n'autorisons pas les promotions qui incitent les utilisateurs à effectuer un achat ou un téléchargement, ou à s'engager de toute manière sans fournir au préalable toutes les informations pertinentes ni obtenir le consentement explicite de l'utilisateur.

« nous autorisions uniquement les promotions qui décrivent votre entreprise, vos produits et vos services de manière exacte, réaliste et honnête.

Exemples d'éléments non autorisés :

Voici quelques exemples de pratiques que nous considérons comme des « déclarations trompeuses »:

Omission d'informations pertinentes :

Ne pas mettre clairement en évidence le modèle de paiement et l'ensemble des frais à la charge de l'utilisateur.

Exemples : les prix, les frais de port et d'autres informations liées à la facturation, les taux d'intérêt, les pénalités en cas de retard de paiement ou les coûts récurrents liés à un abonnement, ou encore l'utilisation de numéros de téléphone surtaxés dans les extensions d'appel.

 Promotions non disponibles (…)

 Promotions trompeuses ou irréalistes (…)

 Promotions indignes de confiance :

Cacher ou déformer des informations à propos d'une entreprise, d'un produit ou d'un service.

Exemples : inciter les utilisateurs à donner de l'argent ou à fournir des informations sous un prétexte équivoque ou mensonger, mentir sur son identité, fournir un faux nom d'entreprise ou des coordonnées factices, facturer des frais pour des produits ou services normalement gratuits, ou encore créer un site de type hameçonnage pour récupérer les informations des utilisateurs » (pièce n° 3 Google, soulignement ajouté par la Cour).

20.À compter de mars 2018, la prohibition de la « vente d'articles gratuits » a été extraite de la liste des exemples de « comportements non fiables » (renommés « pratiques commerciales inacceptables ») figurant sous la Règle « déclarations trompeuses ». Elle a été insérée dans une nouvelle Règle intitulée « autres activités soumises à restriction » créée dans la troisième rubrique (« contenu à diffusion contrôlée ») et rédigée ainsi :

« Afin d'éviter que les utilisateurs soient victimes d'abus, nous limitons la diffusion d'annonces associées à certains types d'activité, même si les entreprises semblent respecter les autres règles. (…)

Voici quelques exemples de pratiques à éviter dans vos annonces':

 Sollicitation de fonds (…)

 Logiciels de bureau gratuits (…)

 Services de proximité (…)

 Avis aux consommateurs (…)

 Vente d'articles gratuits :

Les pratiques suivantes ne sont pas autorisées : facturer des produits ou services alors que l'offre principale est disponible gratuitement, ou à prix réduit, auprès d'une source gouvernementale ou publique.

Exemples (liste non exhaustive) : Services de demandes de passeports, permis de conduire ou assurances médicales, documents d'état civil (actes de mariage, de naissance etc.), immatriculations de sociétés, résultats d'examens, calculateurs d'impôts.

Remarque : vous pouvez regrouper une offre gratuite avec un produit ou un service que vous fournissez. Par exemple, un prestataire de service de télévision peut associer du contenu accessible au public à du contenu payant, ou une agence de voyage peut regrouper un service de demande de visa avec un forfait-vacances. Toutefois, le produit ou le service gratuits ne peuvent former le contenu de l'offre principale.

« Revente de billets (…) » (pièce n° 15 Google, soulignement ajouté par la Cour).

21.Ultérieurement, en mars 2019, les Règles portant sur la « vente d'articles gratuits », les « informations manquantes » (nouvelle dénomination de l''« omission d'informations pertinentes ») et le « contournement des systèmes » ont été précisées, notamment en intégrant des exemples.

Les moyens mis en œuvre par Google pour faire appliquer les Règles

22.Les annonceurs sont informés des modifications apportées aux conditions générales de publicité ' lesquelles renvoient aux règles Google Ads par l'intermédiaire de leur compte. Ils doivent les accepter pour continuer d'avoir accès à la plateforme publicitaire Google Ads. Ils sont par ailleurs informés des modifications apportées aux Règles par le biais de l'onglet « journal des modifications » qui est disponible sur le centre d'aide du site Google Ads. Ce dernier énumère de façon chronologique les modifications successives (« récentes et à venir »).

23.Au vu du volume d'annonces publiées sur la plateforme Google Ads (des millions chaque jour), Google a développé des outils de contrôle algorithmiques qui examinent, pour tous les annonceurs, le texte des annonces et les pages de destination auxquelles elles renvoient. Ces outils'sont parfois complétés par des contrôles manuels, en particulier dans le cas de comportements que Google considère comme complexes et nécessitant un examen plus approfondi.

24.Google a mis en place des équipes spécialisées « les équipes Trust & Safety anciennement dénommées Policy » qui sont en charge de la définition des Règles, du contrôle des annonces et du respect des Règles par l'ensemble des annonceurs. Ces équipes comprennent environ mille personnes au niveau mondial. Elles sont distinctes des équipes commerciales et des équipes d'assistance (les équipes support). Certains annonceurs ont aussi un gestionnaire de compte qu'ils peuvent contacter directement. Les annonceurs n'ont pas accès aux équipes spécialisées en charge de contrôler la conformité des sites avec les Règles. Ils ne peuvent dialoguer qu'avec les services d'assistance de Google.

25.Les sanctions du non-respect des Règles sont le refus de diffusion d'une annonce, la « désactivation du domaine » (dénommée plus communément « suspension de site ») ou la « suspension de compte » qui entraîne la suspension de la diffusion des annonces de la totalité des sites associés à ce compte, même si certains d'entre eux sont en conformité avec les Règles.

Les saisines et les décisions auxquelles les Règles Google Ads ont donné lieu

La saisine de la société Gibmedia (procédure n° 15/0019F)

26.Entre janvier 2011 et janvier 2015, Google a, à six reprises, temporairement suspendu un site, plusieurs sites ou le compte de la société Gibmedia (ci-après « Gibmedia »). Il s'agit d'une entreprise toulousaine éditrice de plusieurs sites à destination du grand public qui fournissent de l'information sans publicité, notamment des annuaires téléphoniques (pages-annuaires.net et annuaires-inverse.net), des prévisions météorologiques (info-meteo.fr) et des informations juridiques et financières sur les entreprises (info-societe.com), et dont les services sont rémunérés.

27.Ont été visées, selon les cas, des pratiques de « facturation douteuse », la violation des Règles sur la « qualité du site et de la page de destination », sur la « sécurité des utilisateurs » et sur la « vente des articles gratuits », ce dernier cas de violation reprochée visant aussi, en août 2014, un autre site de Gibmedia (impot-calcul.fr).

28.Le 7 janvier 2015, Google a suspendu les annonces vers les sites pages-annuaires.net, annuaires-inverse.net, info-meteo.fr et info-societe.com en raison de « promotions indignes de confiance » (cotes 75 à 79). Le lendemain, Gibmedia a été informée de la suspension, définitive cette fois, de ses comptes Google Ads.

29.Le courriel l'informant de son manquement contractuel comprenait l'explication suivante':

« Non-respect de nos règles : Promotions indignes de confiance

À propos de ce cas de non-respect :

Lorsque nous suspendons un annonceur pour le motif de promotions indignes de confiance, cela signifie généralement que l'activité même de l'annonceur pose fondamentalement problème, en faisant peser une menace immédiate sur la sécurité de nos utilisateurs, que ce soit en ligne ou hors connexion. Voici quelques exemples de comportements indignes de confiance : inciter les utilisateurs à donner de l'argent ou à fournir des informations sous un prétexte équivoque ou mensonger, mentir sur son identité, fournir un faux nom d'entreprise ou des coordonnées factices, facturer des frais aux utilisateurs pour des produits ou services qui sont normalement gratuits, ou encore créer un site de « hameçonnage » pour récupérer les informations des utilisateurs.

Nous prenons très au sérieux les promotions indignes de confiance et les considérons comme une sévère infraction à nos règles. Notez que pour déterminer votre fiabilité en tant qu'annonceur ou responsable de site, nous pouvons examiner des informations provenant de plusieurs sources, y compris votre annonce, votre site Web, vos comptes et des sources tierces. Lorsque nous identifions des annonceurs ou des responsables de sites dont le comportement est indigne de confiance, nous les suspendons immédiatement et ne leur permettons plus d'utiliser nos programmes publicitaires. »

Consultez la règle à l'adresse : (...) » (cotes 81-82).

30.Le 6 mars 2015, Gibmedia a saisi l'Autorité de pratiques mises en oeuvre par Google sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches (dossier n° 15/0019F).

31.Dans sa saisine, elle reproche à Google d'avoir suspendu ses comptes Google Ads de manière brutale et dans des conditions qui n'ont pas été objectives, transparentes et non discriminatoires. Elle conteste la définition et les conditions d'application par Google des Règles relatives à la publicité, dont celles portant sur la suspension des comptes.

32.Elle y désigne (cotes 20 à 22) des concurrents qui proposent également des services payants et bénéficient pourtant toujours du programme Google Ads (pour les services d'annuaire : « cquicenumero.com », « quipage.fr/annuaire-inverse », « numero-de-portable.com », « annuaire-inverse.net » ; pour les informations financières sur les entreprises : « bilansgratuits.fr », « infogreffe.fr », « societe.com »).

33.Gibmedia a également formulé une demande de mesures conservatoires, laquelle a été rejetée par la décision n° 15-D-13 du 9 septembre 2015.

34.La Cour renvoie aux paragraphes 55 à 92 de la décision attaquée, non contestés, pour la présentation des modèles économiques des sites concernés par la saisine, opérant dans les secteurs des services d'informations juridiques et économiques sur les entreprises, d'annuaires et renseignements téléphoniques et d'informations météorologiques.

La notification du grief

35.Le 30 octobre 2018, il a été notifié à la société Google Inc. (devenue Google LLC), en sa qualité d'auteur et de société mère, aux sociétés Google Ireland Ltd et Google France, en leur qualité d'auteurs, et à la société Alphabet Inc., en sa qualité de société mère, un unique grief. Il leur est reproché d'avoir :

« abusé de leur position dominante sur le marché français de la publicité sur internet liée aux recherches en ne mettant pas en œuvre les règles AdWords dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires.

D'une part, Google Inc. (Google LLC) a établi des règles AdWords en matière de publicité qui ne sont pas définies de manière objective, transparente et non discriminatoire.

D'autre part, Google Inc. (Google LLC), Google Ireland Ltd et Google France ont appliqué ces règles dans des conditions qui ne sont pas objectives, transparentes et non discriminatoires.

Ces pratiques sont susceptibles d'avoir des effets notamment sur :

 Le marché français des services payants d'informations météorologiques fournis par voie électronique ;

 Le marché français des services payants d'information juridique et économique sur les entreprises fournis par voie électronique ;

 Le marché français des services payants d'annuaires téléphoniques fournis par voie électronique ;

 Le marché français de la commercialisation d'espaces publicitaires sur internet.

Ces pratiques, qui contreviennent aux dispositions de l'article 420-2 du code de commerce et de l'article 102 du TFUE, sont mises en oeuvre depuis l'année 2012 et sont toujours en oeuvre aujourd'hui ».

La saisine de la société Amadeus (procédure n° 18/0047F)

36.Au cours de l'instruction de la saisine de Gibmedia, la société Amadeus (ci-après « Amadeus »), qui exploite principalement, depuis novembre 2015, un service de renseignements téléphoniques (sous le numéro à tarification majorée 118 001), a saisi l'Autorité de pratiques mises en oeuvre par Google sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches, ce qui a donné lieu à l'ouverture d'un dossier distinct (n° 18/0047F).

37.Éditrice de plusieurs sites dont www.118001.fr, elle s'est plainte de la suspension, le 10 janvier 2018, de son compte le plus actif pour « déclarations trompeuses », puis, entre le 15 et le 29 janvier 2018, de l'ensemble de ses comptes, pour ce motif ou parce qu'ils présenteraient « des cas graves ou récurrents de non-respect de nos règles en matière de publicité ». Elle a fait valoir que cette mesure de suspension était incompréhensible dès lors qu'elle était accompagnée presque quotidiennement par les équipes commerciales de Google, lesquelles validaient sa rédaction des annonces et lui fournissaient des listes de mots-clés.

38.En réaction, Amadeus a créé de nombreux comptes Google Ads, qui à leur tour, ont été suspendus, motif pris d'un « contournement des systèmes ».

39.Courant mars 2018, ses comptes ont été réactivés, mais la plupart des annonces proposées ont été refusées au motif intitulé « Vente d'articles gratuits ».

40.Elle a justifié, par la production de captures d'écran et de constats d'huissier, que des concurrents directs diffusaient des annonces identiques à celles qu'elle essayait de publier (caractéristiques communes tant s'agissant des textes d'annonces, des mots-clés que des pages de destination auxquelles l'internaute a accès après avoir cliqué sur le lien).

La décision de mesures conservatoires n° 19-MC-01 de l'Autorité (procédure n° 18/0047F)

41.Amadeus a également formulé une demande de mesures conservatoires, laquelle a donné lieu à la décision n° 19-MC-01 du 31 janvier 2019 et à l'arrêt de la présente Cour (RG n° 19/03274) du 4 avril 2019 par lesquels il a été enjoint à Google, à titre conservatoire :

« de clarifier ses Règles applicables aux services payants de renseignements par voie électronique en définissant en termes clairs les notions générales de « déclarations trompeuses », de « comportements non fiables ou promotions indignes de confiance » et de « pratiques commerciales inacceptables » et d'accompagner ces définitions d'exemples précis, mais non limitatifs, des comportements interdits les plus fréquents (mots-clés, texte de l'annonce, page de destination, etc) relevant de chacune de ces rubriques »;

« de prévoir, dans les procédures Google Ads pouvant conduire à la suspension du compte d'un annonceur actif dans le secteur des services payants de renseignements par voie électronique, un avertissement se référant aux Règles clarifiées, qui précise la nature du ou des manquements reprochés, justifiant la suspension du compte Google Ads envisagée et prévoyant un délai suffisant, avant toute suspension de compte, permettant à l'annonceur, le cas échéant, de justifier ce manquement, d'y remédier ou de demander des explications sur la nature de ce qui lui est reproché »;

« d'entreprendre une revue manuelle de conformité des campagnes proposées par les comptes non suspendus d'Amadeus aux Règles ainsi clarifiées et, si cette revue révèle que ces annonces sont effectivement conformes, d'autoriser Amadeus à diffuser ses annonces dans des conditions non discriminatoires. Si cette revue devait révéler que les annonces ne sont pas conformes, Google en informera Amadeus dans des conditions intelligibles, lui permettant le cas échéant de modifier ses campagnes publicitaires afin de les mettre en conformité avec les Règles.

La décision attaquée (procédure n° 15/0019F)

42.Dans le dossier ouvert sur la saisine de Gibmedia (dossier n° 15/0019F), les services de l'instruction ont, par le rapport notifié aux entreprises mises en cause le 12 juillet 2019, maintenu le grief notifié et versé au dossier des pièces transmises par Amadeus dans la procédure parallèle en cours (dossier n°18/0047F).

43.Suite aux mémoires en réponse adressés le 9 septembre 2019 par Gibmédia et 19 septembre 2019 par Google, l'affaire a été examinée lors de la séance de l'Autorité du 18 octobre 2019.

44.Par la décision attaquée (n°19-D-26), l'Autorité a considéré que :

- Le caractère extraordinaire de la position dominante de la plateforme Google Ads confère à Google une responsabilité particulière vis-à-vis des utilisateurs et des annonceurs. Dans le double objectif que, d'une part, les utilisateurs ne soient pas exposés à des sites susceptibles de porter atteinte à leurs intérêts et, d'autre part, que les marchés avals des annonceurs ne voient pas la concurrence perturbée en leur sein, Google doit édicter et appliquer les Règles d'accès et de maintien à sa plateforme publicitaire de manière objective, transparente et non-discriminatoire (paragraphe 342 de la décision attaquée).

- La définition des Règles, en particulier celle sur la « vente d'articles gratuits » et celle relative aux « promotions dignes de confiance », est caractérisée par un manque d'objectivité, de clarté et de cohérence et ces Règles sont de surcroît très fréquemment modifiées par Google, sans que ces modifications fassent l'objet de mesures d'information claires ou de notifications systématiques. Ces défauts dans la définition des Règles, sans justification pertinente, ont donné à Google une marge discrétionnaire quant à leur application, ce qui l'a conduit à traiter certains annonceurs de manière inéquitable. Leur définition et leur application sont ainsi inéquitables au sens de l'article 102, al. 2, a), du TFUE (paragraphes 377 à 426 de la décision attaquée).

- L'examen des effets de la pratique montre que Google a utilisé ce pouvoir discrétionnaire de manière aléatoire et inéquitable, en établissant des différences de traitement injustifiées entre des opérateurs similaires et en adoptant, à l'égard des mêmes annonceurs, des revirements de position renforçant l'opacité des Règles (paragraphe 471 et suivants de la décision attaquée).

- La pratique, qui a consisté pour l'opérateur dominant à imposer des conditions de transactions non équitables, est susceptible de perturber le fonctionnement du marché de la publicité en ligne liée aux recherches mais également celui des marchés aval où certains annonceurs sont présents (paragraphes 434 et suivants de la décision attaquée).

45.L'Autorité en a déduit que l'établissement et la mise en oeuvre des Règles contractuelles précitées, applicables entre Google et les annonceurs sur le marché de la publicité en ligne, constituent des pratiques abusives, qui violent les articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE.

46.Elle a considéré que l'infraction avait débuté le 24 juillet 2012 et a retenu la date du 30 octobre 2018, date de l'envoi de la notification des griefs, comme date de fin du constat des pratiques (paragraphe 520 de la décision attaquée).

47.Elle a infligé les sanctions pécuniaires suivantes :

- 72 000 000 euros aux sociétés Alphabet Inc., Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France, conjointement et solidairement ;

- 78 000 000 euros aux sociétés Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France, conjointement et solidairement.

48.L'Autorité a également prononcé des injonctions libellées aux paragraphes 566 à 590 de la décision attaquée, qui s'appliquent jusqu'au 1er janvier 2025 consistant notamment à :

« Clarifier les « Règles Protectrices des Internautes » en vue de remédier à leur manque d'objectivité et de transparence ;

- modifier les procédures de suspension des comptes Google Ads des annonceurs afin d'éviter qu'elles revêtent un caractère brutal et injustifié ;

- mettre en place des procédures d'alerte, de prévention, de détection et de traitement des manquements à ses règles, afin que les mesures de suspension de sites ou de comptes Google Ads soient strictement nécessaires et proportionnées à son objectif de protection des utilisateurs.

49.Il est précisé (paragraphe 586 de la décision attaquée) que les injonctions s'appliquent si le lieu de facturation se situe en France ou si l'adresse IP est française.

50.L'Autorité a aussi enjoint à Google de publier la décision attaquée sur les pages d'accueil des sites internet www.google.fr, www.google.com et ads.google.com accessibles en France.

La décision n° 20-D-14 de l'Autorité (procédure n° 18/0047F)

51.Statuant dans le dossier ouvert sur la saisine d'Amadeus, l'Autorité a, par la décision n° 20-D-14 du 26 octobre 2020, rejeté la plainte de cette dernière au motif qu'elle était devenue sans objet, la décision n° 19-D-26 adoptée sur la plainte de Gibmedia traitant, qualifiant et sanctionnant les mêmes faits que ceux dénoncés par Amadeus.

Le recours formé contre la décision attaquée

52.Par le recours qu'elles ont formé le 3 mars 2020, les sociétés Alphabet Inc., Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France demandent à la Cour de :

« Constater que la décision attaquée a violé le principe du contradictoire et les droits de la défense des sociétés Alphabet Inc., Google LLC, Google Ireland Ltd, et Google France, en modifiant la qualification juridique et en étendant le champ du grief notifié par les services d'instruction de l'Autorité, portant ainsi atteinte aux exigences du droit à un procès équitable garanties par l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après « CSDH ») ;

- Constater que cette décision est entachée d'un défaut de motivation manifeste s'agissant de la qualification et des effets des pratiques alléguées, portant ainsi atteinte aux exigences du droit à un procès équitable garanties par l'article 6 de la CSDH ;

- Constater que cette décision n'établit pas que les sociétés Alphabet Inc., Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France ont enfreint les dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE ;

- Constater que cette décision considère à tort que les pratiques alléguées sont imputables à Google France en tant qu'auteur des pratiques ;

- Constater que cette décision impose une amende forfaitaire de 150 millions d'euros qui n'est ni justifiée ni proportionnée ;

- Constater que cette décision impose des injonctions qui ne sont ni nécessaires, ni proportionnées.

En conséquence,

- Annuler et à défaut réformer la décision attaquée en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau en cas de réformation,

- Constater que le grief notifié à Alphabet Inc., Google LLC, Google Ireland Ltd, et Google France n'est pas établi et dire n'y avoir lieu à sanction ;

- À titre subsidiaire, annuler et à défaut réformer la décision attaquée en ce qu'elle impose une amende aux sociétés Alphabet Inc., Google LLC, Google Ireland Ltd, et Google France ;

Statuant à nouveau en cas de réformation,

- Dire n'y avoir lieu au prononcé d'une amende ;

 À titre subsidiaire, annuler et à défaut réformer la décision attaquée en ce qu'elle impose des injonctions aux sociétés Alphabet Inc., Google LLC, Google Ireland Ltd, et Google France ;

Statuant à nouveau,

- Dire n'y avoir lieu au prononcé d'une injonction ;

- À titre subsidiaire, prononcer la mise hors de cause de Google France ;

En tout état de cause,

- Condamner l'Autorité à verser à Google Ireland Limited, Google LLC et Google France la somme de 10 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner l'Autorité de la concurrence aux entiers dépens.

53.Gibmedia, intervenante volontaire, demande le rejet du recours et la condamnation de Google à lui régler la somme de 20 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

54.Amadeus, intervenante volontaire, demande la confirmation de la décision attaquée en toutes ses dispositions et le versement par Google de la somme de 20 000 euros à son bénéfice en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que la condamnation solidaire des auteurs du recours aux dépens.

55.L'Autorité et le ministère public estiment que le recours formé doit être rejeté.

56.Le ministre chargé de l'économie demande à la Cour de rejeter les moyens présentés, de confirmer les sanctions financières et les injonctions, en y apportant cependant quelques précisions et restrictions.

MOTIVATION

I. SUR LA LÉGALITÉ EXTERNE DE LA DÉCISION ATTAQUÉE

A. SUR LA MODIFICATION ALLÉGUÉE, EN VIOLATION DES DROITS DE LA DÉFENSE, DE LA QUALIFICATION ET DU CHAMP DU GRIEF NOTIFIÉ

57.Google soutient que la décision attaquée a modifié la qualification juridique et le champ du grief notifié sur deux aspects, en violation des droits de la défense et du droit à un procès équitable.

58.En premier lieu, Google rappelle la jurisprudence de la Cour et la pratique décisionnelle de l'Autorité selon lesquelles cette dernière ne peut modifier au stade de sa décision le grief notifié, ni requalifier d'office les faits qui lui sont soumis, ni ajouter de nouveaux griefs, une telle modification revenant à retenir des faits sur lesquels les mise en cause n'auraient pas eu l'occasion de s'expliquer, en violation de leurs droits de la défense. Elle soutient que la décision attaquée a qualifié les pratiques de conditions de transaction inéquitables au sens du a) de l'article 102 du TFUE, alors que le grief notifié serait exclusivement fondé sur une discrimination abusive au sens du c) de ce même article. Elle fait valoir que les termes « inéquitables » ou « conditions de transaction inéquitables » n'apparaissent ni dans la formulation du grief notifié, ni dans la qualification juridique des pratiques.

59.Elle considère que le respect du contradictoire et des droits de la défense devant s'apprécier par rapport aux griefs notifiés, une éventuelle modification du grief initial ne pouvait être formulée que dans une notification de grief complémentaire et non au stade du rapport, ni dans celui de la décision sur le fond. Au cas d'espèce, le grief retenu par la décision s'analyserait ainsi comme un nouveau grief qui n'aurait pas été régulièrement notifié à Google. En conséquence, elle aurait été privée de la possibilité d'organiser sa défense au regard de cette nouvelle qualification puisqu'elle en aurait découvert le fondement juridique à la réception de la décision seulement.

60.En second lieu, Google reproche à l'Autorité d'avoir modifié significativement le champ du grief notifié, en l'étendant à des marchés et des acteurs qui n'étaient pas visés par la notification de grief, alors que le respect du contradictoire et des droits de la défense doivent s'apprécier par rapport aux griefs notifiés qui circonscrivent le champ de l'affaire. Elle relève que la notification de grief visait spécifiquement trois marchés sur lesquels les pratiques alléguées étaient susceptibles d'avoir des effets. La décision attaquée s'est en outre appuyée sur des éléments relatifs à la société Amadeus qui ne figuraient pas au dossier au moment de l'envoi de la notification du grief et représentent plus de 2800 cotes supplémentaires versées au dossier au stade du rapport. Google aurait été dans ces circonstances dans l'incapacité de contester utilement ces extensions importantes du grief notifié durant la phase contradictoire et elle n'aurait pu présenter d'observations que sur les effets allégués sur les marchés visés initialement par la saisine de Gibmedia et non sur les autres marchés finalement retenus par la décision.

61.L'Autorité répond, en premier lieu, en renvoyant à la notification de grief dont la lettre ne permet pas, selon elle, d'étayer l'allégation de Google selon laquelle la décision aurait opéré un changement de qualification juridique par rapport à celle retenue par les services de l'instruction. Elle ajoute qu'aux termes de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 29 janvier 2009 (RG n° 2008/0255), l'éventuelle violation des droits de la défense liée à une prétendue modification des griefs postérieurement à leur notification s'apprécie en considération de la compréhension des parties de ce qui leur est reproché et de la teneur de leurs observations en défense. Elle fait valoir qu'en l'espèce, tant les observations écrites de Google en réponse à la notification des griefs que son mémoire en réponse au rapport identifient expressément la mise en oeuvre de conditions de transactions inéquitables comme l'un des fondements juridiques retenus à son encontre par le grief notifié.

62.En second lieu, l'Autorité renvoie également, s'agissant des marchés visés, au libellé de la notification de grief. Elle observe, s'agissant des annonceurs concernés, qu'il est démontré à suffisance de droit aux paragraphes 252 à 261 de la décision attaquée que le versement de pièces complémentaires relatives à Amadeus au stade du rapport n'a pas porté atteinte aux droits de la défense de Google. Elle ajoute que la Cour de cassation a jugé, dans son arrêt du 4 octobre 2017 (nos de pourvois 14-28.234 et autres) qu'aucune violation des droits de la défense ne résultait du versement au dossier de nouvelles pièces après l'envoi de la notification des griefs, dès lors que ces pièces ne révélaient aucune nouvelle pratique et ne modifiaient ni le champ ni la portée des griefs eux-mêmes.

63.Le ministre chargé de l'économie développe une analyse similaire et fait valoir qu'il n'était nullement nécessaire de procéder à une notification de grief complémentaire, dans la mesure la décision attaquée n'a pas modifié la qualification du grief et où la formulation de ce dernier correspond aux éléments retenus dans la décision. En outre, dès la notification du grief, les marchés concernés par les pratiques de Google étaient suffisamment identifiés, ainsi qu'il ressort notamment des paragraphes 542 et 624 de celle-ci, et la requérante a eu la possibilité de les discuter. Les effets des pratiques sur Amadeus avaient par ailleurs été mentionnés aux paragraphes 654 et 655 de la notification des griefs. Enfin, il doit être constaté que les pièces communiquées par la société Amadeus à la demande de l'Autorité au stade du rapport ne viennent pas étendre le champ matériel des griefs, mais en préciser le contenu.

64.La société Amadeus observe que le grief notifié comme la décision attaquée se réfère, dans leur formulation finale, aux articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE dans leur globalité.

65.Le ministère public reprend une argumentation similaire.

Sur ce, la Cour,

66.La Cour constate, en premier lieu, que la notification du grief du 30 octobre 2018 (cote 10 896) reproduit, en son paragraphe 349, l'article 102 du TFUE aux termes duquel les pratiques abusives peuvent notamment consister à :

« a) imposer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction non équitables,(...)

c) appliquer à l'égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence. »

67.De même, son paragraphe 452 fait expressément référence aux « conditions de transaction inéquitables ».

68.Le paragraphe 457 de cette notification indique, en outre, que la mise en oeuvre de la politique AdWords se caractérise à la fois par :

1) un manque d'objectivité et de transparence, qui fait l'objet de longs développements (§458 à 516) ;

2) un caractère discriminatoire (double volet champ d'application et application des règles AdWords), qui fait également l'objet de longs développements ultérieurs (§'517 à 535).

69.La Cour constate aussi que la formulation finale du grief (reproduite paragraphe 35 du présent arrêt) se réfère à l'article 102 du TFUE dans sa globalité.

70.Les services d'instruction ont ainsi retenu une qualification juridique des pratiques de Google qui concerne tout à la fois l'établissement de Règles, en ce qu'elles n'ont pas été définies de manière objective, transparente et non discriminatoire, et l'application de ces Règles, dans des conditions qui ne sont pas objectives, transparentes et non discriminatoires (voir notamment § 450 de la notification des griefs). N'ayant pas été examinées seulement sur le fondement de la discrimination, les pratiques sont donc, selon l'analyse des services de l'instruction, susceptibles d'être qualifiées d'abus de position dominante sur le fondement tant du a) que du c) de l'article 102 du TFUE.

71.Au surplus, il résulte de ses observations écrites adressées en réponse à la notification du grief que Google avait parfaitement compris que les services d'instruction avaient analysé les pratiques à l'aune notamment de l'article 102, a) du TFUE. Ainsi, au paragraphe 108 de son mémoire (cote 12417), elle observe que la notification des griefs « soutient d'une part que la définition et l'application des règles AdWords conduit à exploiter les annonceurs, en violation de l'article 102 (a) du TFUE, dans la mesure où les Règles Google Ads manqueraient d'objectivité et de transparence (NG, paragraphes 450-452, 458-516). Elle soutient d'autre part que la mise en oeuvre des Règles Google Ads est discriminatoire et a faussé la concurrence entre annonceurs, constituant ainsi une discrimination de second rang, en violation de l'article 102 (c) du TFUE (NG, paragraphes 454-456, 517-535) ».

72.Par suite, Google a, au stade de l'instruction, tout à la fois contesté le grief notifié au motif qu'il ne pouvait s'agir d'une discrimination abusive au sens de l'article 102, c) du TFUE, et fait valoir, par des développements détaillés, que les pratiques reprochées ne pouvaient être susceptibles d'être qualifiées de discriminatoires sur le fondement de l'article 102, a) du TFUE (paragraphes 113 à 130 de sa réponse à la notification des griefs cotés 12 419 à 12 426 et paragraphes 37 à 50 de sa réponse au rapport cotés 15 963 à 15967).

73.Elle ne peut donc utilement soutenir que le grief retenu par la décision attaquée s'analyserait comme un nouveau grief qui ne lui aurait pas été régulièrement notifié et qu'elle aurait été privée de la possibilité d'organiser sa défense.

74.La Cour constate, en second lieu, s'agissant des marchés visés, que la notification du grief comprend, en ses paragraphes 365 à 390, une sous-partie intitulée « 2. Le marché de la publicité sur internet lié aux recherches » qui se termine par :

« En conclusion, l'instruction considère que le marché pertinent sur lequel les 'pratiques dénoncées par Gibmedia ont été commises est le marché français de la publicité internet liée aux recherches. » (paragraphe 390)

75.La notification du grief consacre en outre ses paragraphes 418 à 432 à « la position de Google sur le marché de la publicité sur internet liée aux recherches » et ses paragraphes 542, 624 et 681 précisent que les effets des pratiques concernent de nombreux marchés, voire potentiellement l'ensemble des marchés de produits et de services fournis sur internet en France dont le modèle de revenus repose en tout ou partie sur la commercialisation d'espaces publicitaires.

76.Il ressort, de surcroît, du libellé du grief (reproduit paragraphe 35 du présent arrêt) que les pratiques visées sont intervenues sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches et ont eu des effets « notamment » sur les trois marchés « services payants en ligne d'informations juridiques et économique sur les entreprises, d'annuaires téléphoniques, d'informations métrologiques » sur lesquels Gibmedia est active, et, de façon plus générale, sur le marché de la commercialisation des espaces publicitaires sur internet.

77.En effet, ainsi que l'indique la notification du grief dès son paragraphe 36, les « constatations ne se sont pas limitées à des sites actifs dans ces trois secteurs, dans la mesure où les informations recueillies par l'instruction concernent des suspensions de sites, pour des motifs similaires, appartenant à d'autres thématiques ».

78.Google ne s'est, au demeurant, pas méprise sur le périmètre des marchés visés par la notification de grief, puisqu'aux paragraphes 329 à 355 de ses observations en réponse à la notification du grief (cotés 12493 à 12504), elle a soutenu ne pas être en position dominante « sur un hypothétique marché de la publicité en ligne liée aux recherches ».

79.Les services de l'instruction ont réaffirmé leur position dans le rapport (paragraphes 382 à 384 et 412), aux motifs que les Règles Google Ads ont vocation à s'appliquer à l'ensemble des services de publicité liés aux recherches sur internet de Google et doivent être acceptées par l'ensemble des annonceurs qui utilisent les services publicitaires Google Ads »; que les Règles relatives aux déclarations trompeuses, aux promotions indignes de confiance et à l'utilisation abusive du réseau publicitaire ont également vocation à s'appliquer sans distinction à l'ensemble des annonceurs puisqu'elles ne visent pas des rubriques spécifiques d'acteurs comme les Règles relatives aux alcools, aux jeux d'argent ou aux produits et services financiers » et que les Règles relatives à la suspension des comptes, qui en l'espèce ont abouti à des suspensions sans préavis, sont également d'application générale. Cette analyse a été contestée par Google dans ses observations en réponse au rapport (paragraphes 127 à 139 cotés 15 994 à 15 998).

80.Les auteurs du recours ne peut donc utilement soutenir que la décision attaquée étendrait le champ du grief notifié à de nouveaux marchés qui n'auraient pas été évoqués dans la notification de grief et lors de la procédure contradictoire qui a suivi.

81.La Cour constate enfin, s'agissant des annonceurs concernés, que la notification du grief fait expressément référence (paragraphes 654 et 655 cotés 11186 et 11187) à Amadeus lorsqu'elle examine l'effet des pratiques de Google, présentant notamment le site 118001.fr comme un concurrent de Gibmedia dans le secteur des annuaires. Google, dans ses observations en réponse à la notification de grief, évoque en outre (cote 11424) la suspension du compte d'Amadeus pour contester l'existence d'effets anticoncurrentiels.

82.Au vu de ces éléments, les pièces communiquées par Amadeus en réponse aux demandes d'informations des services d'instruction du 23 avril 2019 et 9 mai 2019, qui comprennent l'intégralité de ses échanges avec Google relatifs au service Google Ads, en particulier ceux relatifs à la suspension de son compte, ne visent aucune nouvelle pratique et n'étendent ni ne modifient le grief notifié à Google. Se rattachant au grief notifié, dont elles précisent le contenu et étayent la portée, elles ont ainsi pu valablement être versées au dossier.

83.Par ailleurs, ces pièces font l'objet des annexes 46 à 51 du rapport. Google a donc disposé d'un délai de deux mois, conformément à l'article L. 463-2 du code de commerce, pour formuler ses observations sur ces pièces ainsi que sur l'analyse figurant plus particulièrement aux paragraphes 204 à 219 du rapport, ce qui l'a conduite, dans son mémoire en réponse à ce dernier, à insérer une sous-partie intitulée « les éléments relatifs à Amadeus figurant dans le rapport ne démontrent pas l'existence des pratiques reprochées à Google » (paragraphes 73 à 93 cotés 15976 à 15980).

84.Google ne peut donc utilement soutenir que la décision attaquée a étendu le champ matériel du grief en y incluant la situation de la société Amadeus et que les pièces versées au dossier après la notification du grief auraient mis en évidence de nouvelles pratiques en violation de ses droits de la défense.

85.Le moyen est rejeté.

B. SUR LE DÉFAUT DE MOTIVATION ALLÉGUÉ

86.Google soutient que la modification de la qualification juridique du grief et l'extension de son champ opéré par la décision attaquée a pour corollaire une insuffisance de motivation flagrante s'agissant du caractère discriminatoire des pratiques et de leurs effets allégués, ce qui violerait les exigences du procès équitable.

87.Google prétend, en premier lieu, que la décision attaquée ne contient aucun élément de fait et de droit qui justifie l'existence d'une discrimination anticoncurrentielle, alors que l'article 1er de son dispositif sanctionne Google pour avoir mis en place des règles publicitaires, définies ou appliquées de manière non transparente, non objective et discriminatoire. Elle soutient que la décision attaquée expose le test juridique applicable aux conditions de transaction inéquitables, constate au paragraphe 355 que la notion d'iniquité ne se confond pas avec celle de discrimination et développe un raisonnement exclusivement fondé sur l'article 102, a) du TFUE qui ne permet pas de conclure à l'existence d'une discrimination anticoncurrentielle. Ceci n'aurait pas permis à Google de comprendre la nature de l'infraction retenue ni à la Cour d'exercer son contrôle.

88.Google soutient, en second lieu, que l'Autorité n'a pas démontré l'existence d'effets sur les marchés avals des services numériques, seuls les marchés des annuaires en ligne ayant été analysés. La décision attaquée ne définit pas, de surcroît, la notion de « marchés des services numériques » utilisée paragraphe 442. En concluant à l'existence d'effets anticoncurrentiels potentiels sur l'ensemble des marchés avals de services numériques sur lesquels les clients de Google sont actifs alors que seuls les marchés de Gibmedia seraient analysés, elle serait entachée d'un défaut de motivation flagrant.

89.En premier lieu, l'Autorité répond, s'agissant de la nature des pratiques, que Google a imposé aux annonceurs des Règles opaques et peu prévisibles, s'octroyant une marge de manoeuvre discriminatoire, lui permettant de les mettre en oeuvre et de les appliquer de façon aléatoire, non objective et discriminatoire. Les pratiques sont donc abusives en ce qu'elles consistent en l'imposition de règles inéquitables, mises en oeuvre, de surcroît, de façon discriminatoire. Elle fait valoir que la décision attaquée répond aux exigences de motivation puisqu'elle démontre en quoi les pratiques en cause sont inéquitables, en examinant tout d'abord s'il s'agit de mesures raisonnables pour atteindre un objectif de protection des consommateurs, notamment en déterminant si les mesures en cause sont transparentes, objectives et non discriminatoires. Puis la décision attaquée explique en quoi Google a traité des sites comparables de manière différente et en quoi les sites discriminés ont été défavorisés par rapport aux autres acteurs.

90.En second lieu, l'Autorité soutient, s'agissant des effets des pratiques, que la décision attaquée répond également aux exigences de motivation et renvoie à cette fin plus particulièrement aux paragraphes 166, 190, 193, 225, 356, 358, 435, 437 et 440 de celle-ci.

91.Le ministère public reprend une argumentation similaire.

92.Amadeus fait valoir que la décision attaquée n'encourt pas l'annulation en raison d'un prétendu défaut de motivation s'agissant du caractère discriminatoire des pratiques et de leurs effets allégués car aucune modification ni extension du grief notifié ne peut être caractérisée.

Sur ce, la Cour,

93.En premier lieu, la Cour constate, sans se prononcer à ce stade sur son bien-fondé, que la décision attaquée n'est pas, s'agissant de la qualification de l'infraction, dépourvue de motivation, puisque après avoir exposé les principes applicables (paragraphes 343 à 375), elle examine le caractère inéquitable de la définition des Règles et de leur application (paragraphes 377 à 418), puis explique pourquoi une telle pratique ne constitue pas une mesure raisonnable et n'est donc pas objectivement justifiée (paragraphes 419 à 425). Ces motifs sont suivis d'une sous-partie récapitulative argumentée intitulée « conclusion sur la nature de la pratique » (paragraphes 426 à 432).

94.La décision attaquée décrit notamment en quoi Google a traité des sites comparables de manière différente (voir les paragraphes 169 à 197 et 473 à 486 de la décision attaquée), analysant plus particulièrement le traitement différencié des sites d'annuaires de Gibmedia et d'Econometrie ainsi que des sites d'annuaires inversés suspendus (« Discretel.fr » ; « Les-pages.com ») et non suspendus (« Quipages.fr » ; « Allo-pages.fr » ; « Cquicenumero.com »). Elle retient que les éléments figurant au dossier montrent que les services rattachés aux comptes que Google a définitivement suspendus proposent des services équivalents à ceux qui ont continué d'être promus sur Google Ads et que leurs pratiques de facturation sont très similaires.

95.La décision attaquée observe aussi que Google Ads présente un caractère essentiel pour certains éditeurs de site, ceux qui ne disposent pas de véritable alternative à Google (voir notamment les paragraphes 439 à 467 de la décision attaquée). Elle relève, en outre, aux paragraphes 469 et 470 que la Règle sur la vente d'articles gratuits pourrait favoriser les sites fondés sur un modèle de gratuité par rapport aux sites payants.

96.Google ne peut dont utilement soutenir que la décision attaquée ne contiendrait aucun énoncé des considérations de fait et de droit qui fondent la constatation d'une discrimination anticoncurrentielle.

97.En second lieu, la Cour constate, sans se prononcer non plus à ce stade sur son bien-fondé, que la décision attaquée n'est pas dépourvue de motivation s'agissant des effets des pratiques, tant sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches (examinés aux paragraphes 435 à 438) que sur les marchés connexes liés à la fourniture d'informations (examinés aux paragraphes 439 à 467, lesquels renvoient notamment au paragraphe 286), du fait de la particularité de l'offre de publicité lorsqu'elle est associée aux recherches des internautes au cours desquelles ces derniers révèlent une partie de leurs préférences. Ces motifs sont suivis d'une sous-partie récapitulative argumentée intitulée « conclusion sur les effets de la pratique » (paragraphes 500 à 509).

98.La décision attaquée retient notamment qu'outre les trois marchés sur lesquels Gibmedia opère, d'autres secteurs ont été concernés par les pratiques de Google, notamment des sites dont les thématiques concernent les résultats d'examens, les concours, les calculs d'impôts, les documents administratifs, les services de cartographie, les recettes de cuisine, les horaires de train ou encore les sites santé (voir les paragraphes 166, 190, 193 et 225). Elle souligne aussi qu'en janvier 2015, Google a suspendu des sites qui fournissaient des services portant sur les prénoms d'enfants, les grossesses, l'information sportive ou encore les calculs d'honoraires (paragraphe 440).

99.La décision attaquée étend en outre l'analyse aux annonceurs dont les comptes ou les sites Google Ads n'ont pas été suspendus, mais dont les investissements ont pu être perturbés, en raison de l'incertitude présidant à la définition et à la mise en oeuvre des Règles et de l'effet inflationniste du prix des annonces, lié au surenchérissement sur des mots clé par des annonceurs qui auraient dû ne plus être présents sur Google Ads (voir les paragraphes 435 à 437). Elle identifie aussi des effets susceptibles de nuire au bien-être des internautes (voir les paragraphes 437, 502 à 505) et retient un effet doublement négatif sur les utilisateurs, les pratiques les exposant à des contenus nocifs et perturbant la concurrence sur le marché aval dont les utilisateurs sont aussi les clients (paragraphe 508).

100.La Cour rappelle, enfin, que l'obligation de motivation n'implique pas celle de suivre les parties dans le détail de leur argumentation.

101.Le moyen est rejeté.

II. SUR LA QUALIFICATION DE LA PRATIQUE

102.Dans la décision attaquée, l'Autorité retient que l'établissement et la mise en oeuvre des Règles de Google Ads applicables entre Google et les annonceurs sur le marché français de la publicité en ligne liée aux recherches constituent un abus de position dominante prohibé par les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce.

103.Elle retient, tout d'abord, que le marché de la publicité en ligne constitue un marché distinct des autres formes de publicité, et qu'il est de dimension nationale (paragraphes 275 à 302). Elle constate que les parts de marché de Google se situent à des niveaux très élevés, alors que celles de ses concurrents restent très limitées et qu'il existe de fortes barrières à l'entrée sur le marché (paragraphes 309 à 320). Google y détient donc une position largement dominante, laquelle présente, à bien des égards, les aspects « extraordinaires » relevés par la Commission européenne dans l'affaire Microsoft (décision COMP/C-3/37 du 24 mars 2004). Elle en déduit que grâce à ces atouts, les Règles deviennent la « norme de fait » pour les annonceurs souhaitant acheter des services de publicité en ligne liée aux recherches en France (paragraphe 321).

104.L'Autorité retient, ensuite, que Google a abusé de sa position dominante en imposant des conditions de transaction inéquitables par la définition et l'application de Règles qui sont dépourvues de clarté, d'objectivité et de transparence et qui, par ailleurs, sont très instables et n'ont pas fait l'objet de notification systématique, en particulier celles sur la « vente d'articles gratuits » et celles sur les « promotions indignes de confiance ». Elle considère que ces conditions ne constituent pas une mesure raisonnable pour préserver les intérêts de Google et qu'elles ne sont donc pas objectivement justifiées.

105.Elle retient enfin que le comportement de Google a eu des effets, à tout le moins potentiels, sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches mais également dans un grand nombre de marchés aval.

106.Google ne discute pas l'applicabilité du droit de l'Union, ni ne présente d'argument visant à contester l'analyse du marché pertinent et de sa position dominante sur ce marché menée par l'Autorité, mais demande l'annulation de la décision attaquée en ce qu'elle n'établit pas des conditions de transaction inéquitables et en ce qu'elle n'établit aucun effet anticoncurrentiel.

A. SUR L'ABUS DE POSITION DOMINANTE PAR L'IMPOSITION DE CONDITIONS DE TRANSACTION INÉQUITABLES

107.Dans un premier temps, l'Autorité, dans la décision attaquée expose « les principes applicables ». Elle déduit de plusieurs arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne (ci-après « CJUE ») traitant de cas dans lesquels, en application de l'article 102 (a) du TFUE, des conditions de transaction non équitables imposées par l'opérateur dominant ont été considérées comme abusives, quelle que soit la nature de la pratique d'exploitation commise, que le standard de preuve reste le même, et consiste à apprécier si les comportements de l'entreprise dominante ont été accomplis dans une « mesure raisonnable ».

108.Elle expose aussi que la jurisprudence examine si les conditions de transaction inéquitables sont à la fois nécessaires et proportionnées pour remplir l'objectif poursuivi par l'entreprise dominante ou la réalisation sociale. Elle constate que les dispositions de l'article 102 (a) du TFUE ne prévoient pas spécifiquement que les pratiques en cause infligent un désavantage dans la concurrence.

109.Dans un second temps, l'Autorité examine « le caractère inéquitable de la définition et de l'application des Règles ».

110.Google soutient que la décision attaquée doit être annulée en ce qu'elle n'établit pas de conditions de transaction inéquitables. Elle fait valoir que la jurisprudence impose des conditions strictes pour démontrer un abus d'exploitation et soutient que la décision applique un test juridique manifestement erroné. Elle estime que la décision attaquée doit être annulée car elle ne démontre ni l'avantage obtenu par Google, ni le lien de causalité entre la position dominante alléguée et les pratiques, ni que les conditions de transaction peuvent objectivement être qualifiées d'inéquitables.

1. Sur l'exigence alléguée d'un avantage nécessaire à la caractérisation d'un abus de position dominante

111.Google soutient que la décision attaquée n'appliquerait pas le test juridique requis par la jurisprudence (CJUE, arrêt du 14 février 1978, United Brands, C-27/76, paragraphes 248-249, CA Paris, arrêt du 14 novembre 2019, RG n° 18/23992, Sanicorse, paragraphes 92 à 95) pour démontrer un abus d'exploitation au sens de l'article 102 (a) du TFUE, lequel exigerait d'établir non seulement le caractère objectivement inéquitable de conditions de transaction mais également que l'entreprise dominante a utilisé sa position dominante pour obtenir un avantage en imposant de telles conditions ' qu'elle n'aurait pas obtenues autrement ' et que l'avantage en question doit être dépourvu de tout rapport raisonnable avec l'objectif légitime poursuivi. Une entreprise en position dominante ne peut pas, selon Google, exploiter un partenaire commercial si elle n'en retire aucun avantage, cette condition étant inhérente au concept d'exploitation.

112.Google soutient n'avoir obtenu aucun avantage des pratiques qui lui sont reprochées. Elle fait valoir que la rationalité économique qu'elle poursuit est l'amélioration de l'expérience des utilisateurs et la défense des annonceurs de bonne foi. Elle ajoute que lorsqu'elle suspend les comptes des annonceurs qui contreviennent aux règles Google Ads, elle se prive des revenus publicitaires immédiats générés par ces annonceurs. Lorsqu'à l'inverse ne sont pas suspendus les annonceurs malveillants, les utilisateurs (comme l'a reconnu selon elle a décision attaquée au paragraphe 438, sont dissuadés de cliquer sur les annonces publicitaires, en raison du phénomène d'ad blindness (cécité des utilisateurs aux annonces), entraînant mécaniquement des pertes de revenus publicitaires sans pour autant améliorer l'expérience des utilisateurs sur le moteur de recherche. Elle soutient que la présence d'annonceurs malveillants risque donc de dissuader les utilisateurs de cliquer sur les annonces sur l'ensemble de la plateforme, ce qui peut entraîner des pertes de revenus sans commune mesure pour Google, et constitue une forte incitation à contrôler et retirer les annonces malveillantes.

113.L'Autorité fait valoir en réponse que la caractérisation de conditions de transaction inéquitables n'exigeait pas en l'espèce de démontrer que les Règles de fonctionnement de la plateforme publicitaire Google Ads étaient « sans rapport » avec l'objectif de protection des consommateurs, mais simplement d'établir qu'elles présentaient un caractère déraisonnable pour protéger les intérêts commerciaux de Google.

114.Elle renvoie à l'arrêt United Brands précité dans lequel la CJUE a précisé, en son paragraphe 189, que l'existence d'une dominance ne prive pas une entreprise placée dans cette position du droit de préserver ses propres intérêts commerciaux lorsque ceux-ci sont menacés, et que cette entreprise a la faculté, dans une mesure raisonnable, d'accomplir les actes qu'elle juge appropriés en vue de protéger ses intérêts. Elle souligne que l'arrêt du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Park/ Commission (n° T-83/91), met aussi en évidence, en son paragraphe 140, le caractère inéquitable des conditions de transaction par rapport à l'objectif poursuivi, les clauses litigieuses étant dépourvues de tout caractère raisonnable à cet égard, et excédant également le droit reconnu à une entreprise en position dominante de protéger ses intérêts commerciaux.

115.L'Autorité considère, en outre, qu'elle n'avait pas à démontrer l'existence d'un avantage au profit de l'entreprise dominante qui a mis en oeuvre des pratiques abusives, une telle condition n'étant pas exigée pour établir l'existence de conditions de transaction inéquitables. Elle souligne que dans la décision n° 2000/12/CE du 20 juillet 1999, la Commission européenne a indiqué que « si les preuves qu'une entreprise dominante s'est procuré un avantage financier ou concurrentiel par suite de ses activités peuvent établir l'existence d'un abus, elles ne sont pas essentielles pour en faire le constat » (paragraphe 102), ce qui l'a conduit à condamner la Comité français d'organisation de la coupe du monde de football 1988 (CFO) pour abus de position dominante pour avoir imposé des conditions de transactions inéquitables aux consommateurs résidant hors de France, après avoir relevé que cet organisme n'avait retiré aucun avantage commercial de ses pratiques.

116.Elle ajoute qu'en tout état de cause, la décision attaquée a établi en son paragraphe 374 que Google retire des avantages des pratiques anticoncurrentielles qu'elle met en oeuvre. Loin de servir l'objectif affiché de protection des consommateurs, le manque d'objectivité et de transparence des Règles, ainsi que leur caractère discriminatoire, ont surtout permis à Google de percevoir des sommes importantes de sites qui auraient dû être suspendus, si les Règles avaient été correctement définies et appliquées.

117.L'Autorité soutient que de façon plus générale, Google opère une confusion entre, d'une part, la capacité d'une entreprise en position dominante d'influencer la structure du marché par le recours à des moyens différents de ceux qui résultent d'une compétition basée sur les mérites, et d'autre part, les moyens abusifs mis en oeuvre par l'entreprise dominante en question.

118.Le ministre chargé de l'économie indique partager la position de l'Autorité.

119.Il estime qu'en recherchant si les Règles Google Ads ont été définies de manière raisonnable et proportionnée à l'objectif légitime de protection des internautes et des annonceurs de bonne foi, la décision attaquée n'a pas empiété sur la liberté commerciale de Google. Elle n'a fait qu'appliquer le test juridique requis par la jurisprudence en matière d'abus d'exploitation, tout en tenant compte de la responsabilité importante que confère à Google son extraordinaire pouvoir de marché.

120.Le ministre ajoute que les Règles, insuffisamment claires et objectives, permettent à Google de s'abstenir d'intervenir contre des clients de Google Ads peu scrupuleux, ce qui a d'ailleurs pu être observé pour certains d'entre eux, qui ont bénéficié d'un accompagnement personnalisé. Cet accompagnement a conduit à ce qu'une part assez substantielle de leur chiffre d'affaires soit consacrée aux investissements publicitaires sur Google Ads, si bien que l'on peut considérer que Google est le premier bénéficiaire de leurs pratiques.

121.Le ministère public est aussi d'avis que l'interprétation que propose Google des conditions requises pour démontrer un abus d'exploitation doit être écartée. En effet, et comme le rappelle la décision attaquée, la démonstration d'un avantage disproportionné au profit de l'entreprise dominante n'est pas nécessaire à la démonstration d'une pratique d'abus (paragraphe 372). Il souligne que l'Autorité a en outre étayé de façon pertinente son raisonnement en se référant à l'affaire Tetra Park II, la décision de la Commission CFE n° 2000/12/CE et l'arrêt de la CJUE du 21 mars 1974, concernant l'affaire BRT/SABAM (C-127/73), précités. Il ajoute que les requérantes n'apportent en toute hypothèse aucun élément précis sur les règles de ses concurrents, ou sur la mise en oeuvre d'une procédure de suspension différenciée selon les annonceurs placés dans une situation similaire.

122.Amadeus souligne que dans l'affaire BRT précitée, la CJUE n'a fait aucune mention des deux conditions cumulatives à respecter, selon Google, pour démontrer l'abus. Doivent être pris en considération tous les intérêts en présence, dans l'équilibre à assurer entre le maximum de liberté et la gestion efficace de leurs droits, ce qui conduit à rechercher si les pratiques litigieuses dépassent les limites de ce qui est indispensable dans ce but (paragraphes 6 à 11). Amadeus en déduit que la détermination d'un abus d'exploitation repose sur l'examen du caractère raisonnable des pratiques, et non pas, en outre, sur la démonstration de l'existence d'un avantage au profit de l'entreprise dominante qui a mis en oeuvre des pratiques abusives.

Sur ce, la Cour,

123.L'article 102 du TFUE relatif à la prohibition de l'abus de position dominante dispose en son alinéa 2 :

« Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à :

a) imposer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction non équitables ;

b) limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs ;

c) appliquer à l'égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence ;

d) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats. »

124.La jurisprudence, nationale comme européenne, distingue usuellement les abus dits « d'exploitation » des abus dits « d'exclusion », sans que ces catégories ne soient limitatives ni ne recouvrent de manière exhaustive tous les comportements susceptibles de relever de la prohibition des abus de position dominante.

125.S'agissant des abus d'exclusion, cette notion vise les comportements d'une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d'un marché où, à la suite précisément de la présence de l'entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou des services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence (CJUE, arrêts du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, C-85/76, point 91 ; du 3 juillet 1991, AKZO/Commission, C-62/86, point 69, et du 11 décembre 2008, Kanal 5 et TV 4, C-52/07, point 25).

126.S'agissant des abus d'exploitation, cette notion vise, notamment, l'hypothèse dans laquelle une entreprise en position dominante utilise les possibilités qui découlent de cette position pour obtenir des avantages de transactions qu'elle n'aurait pas obtenus en cas de concurrence praticable et suffisamment efficace (CJUE, arrêts du 14 février 1978, United Brands et United Brands Continentaal/Commission, C-27/76, paragraphe 249, et Kanal 5 et TV 4, précité, paragraphe 27), ce qui recouvre notamment les pratiques visées à l'article 102, sous a), du TFUE.

127.Peuvent constituer des abus d'exploitation l'imposition de prix d'achat excessivement bas (CJUE, arrêt du 28 mars 1985, CICCE/Commission, C-298/83) ou l'imposition d'autres conditions de transaction non équitables (CJUE, arrêts du 5 octobre 1988, Alsatel, C-247/86'point 10 ; arrêt du 25 novembre 2020, SABAM, C-372/19, point 25).

128.Il ne peut être exclu qu'une même pratique soit constitutive à la fois d'un abus d'exclusion et d'un abus d'exploitation (en ce sens, Tribunal de l'Union européenne, arrêt du 24 mai 2007, Duales System Deutschland/Commission, T-151/01, point 119).

129.Toutefois, premièrement, comme l'a justement relevé la décision attaquée (§351 et 352), quelle que soit la nature de la pratique d'exploitation commise, le standard de preuve reste identique.

130.Il implique d'apprécier si les comportements de l'entreprise dominante ont été accomplis dans une « mesure raisonnable » (CJUE, arrêt précités United Brands, paragraphe 189 et Kanal 5 et TV 4, paragraphe 26), et sur la base d'une « justification objective » (CJUE, arrêt du 16 septembre 2008, C-468/06, Sot. Lélos kai Sia, paragraphe 34) en vérifiant le caractère à la fois nécessaire et proportionné du comportement pour remplir l'objectif poursuivi par l'entreprise dominante.

131.Deuxièmement, la référence à l'avantage obtenu, dans la jurisprudence citée plus haut et invoquée par Google relative aux conditions tarifaires, s'explique par la seule nature de la pratique en cause, laquelle implique en elle-même un avantage ou une contrepartie (le prix). Il ne saurait en être déduit la nécessité d'une démonstration préalable et systématique d'un avantage pour caractériser un abus d'exploitation, quelque soit le comportement reproché.

132.L'Autorité n'avait donc pas, pour démontrer l'existence de conditions de transaction inéquitables, à établir au cas présent que l'entreprise dominante retirait un avantage des pratiques.

133.À titre surabondant, il peut être observé que les fonctionnalités proposées par les sites « annuaires-inverse.net » et « pages-annuaires.net » (édités par Gibmedia), « inverseannuaire.com » (édité par Ace Telecom) et « quipage.fr » (édité par Dispobiz) sont relativement similaires (voir paragraphes 76 et 77 de la décision attaquée) et étaient susceptibles de relever, selon la terminologie de Google, de « promotions dignes de confiance ». Or, ainsi que le souligne l'Autorité au paragraphe 374 de la décision attaquée, le volume de leurs investissements publicitaires, au regard de leur chiffre d'affaires, est particulièrement élevé (plus de la moitié du chiffre d'affaires de Gibmedia en 2013 et en 2014 et d'Ace Telecom en 2013, un montant proche du chiffre d'affaires pour le site quipage.fr en 2015). Google a aussi, à compter de juin 2014, fait bénéficier le site d'annuaire d'Ecométrie d'un traitement particulier, alors qu'il était identifié comme « se situant en zone grise » (cote 928). Ce site a ensuite fait l'objet d'un accompagnement personnalisé à partir de 2015, ce qui lui a permis d'enregistrer une croissance très importante via Google Ads.

134.Il s'en déduit que Google a retiré des revenus publicitaires significatifs de la promotion sur sa plateforme de sites douteux ou aux pratiques similaires à ceux désignés comme non conformes.

135.La Cour fait sienne l'analyse de l'Autorité développée paragraphe 373 de la décision attaquée selon laquelle d'un point de vue commercial, l'intérêt de Google est de maximiser ses revenus publicitaires à l'égard de l'ensemble des annonceurs, quitte à accepter la promotion de sites susceptibles de nuire au consommateur sur la plateforme Google Ads, tant que cela ne conduit pas à des pertes de revenus, liées à une désaffection des utilisateurs, qui excéderaient ce gain. Google est même, dans certains cas, le premier bénéficiaire des pratiques, en retirant des revenus publicitaires significatifs de la promotion sur sa plateforme de sites ayant des modèles économiques similaires à ceux désignés comme pratiquant des « promotions dignes de confiance ». Or elle n'aurait pas perçu ces revenus publicitaires si elle avait défini des Règles suffisamment claires et objectives et les avaient appliquées de manière cohérente. Elle a donc, en l'espèce, obtenu des avantages de transaction.

136.Le moyen est rejeté.

2. Sur le lien existant entre la position dominante et l'abus reproché

137.Google fait valoir que la décision attaquée ne démontre pas que Google a utilisé les possibilités qui découlent de cette position sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches pour mettre en oeuvre les pratiques alléguées.

138.Elle produit à l'appui (pièce 14) des captures d'écran de règles des services publicitaires Microsoft Ads, Yahoo et Yandex, desquelles il ressort, selon elle, que les autres moteurs de recherche conditionnent l'utilisation de leur plateforme publicitaire au respect de règles similaires à sa Règle sur les promotions indignes de confiance et que ces règles sont définies de manière large et emploient des termes génériques sans décrire l'ensemble des pratiques prohibées. Ils prévoient également la possibilité de suspendre le compte des annonceurs qui violent les règles, y compris de manière immédiate et sans justification, sans préciser les procédures de suspension de compte applicable. Google fait valoir que de manière plus générale, la plupart des acteurs fournissant des services publicitaires en ligne (Twitter, LinkedIn Ads, Snapchat) procèdent ainsi.

139.Elle considère que le fait que les autres moteurs de recherche et les autres acteurs du numérique établissent des règles similaires aux siennes démontre, bien au contraire, l'absence de tout lien de causalité. Or il ressort de la pratique décisionnelle de l'Autorité (affaires n° 09-D-31, 06-D-22 et 01-D-70) qu'un abus d'exploitation ne peut être retenu si aucun lien de causalité n'est établi, étant observé qu'en l'espèce, un lien de causalité est d'autant plus requis que l'Autorité reproche à Google un abus sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches dont les effets affectent prétendument l'ensemble des marchés sur lesquels les annonceurs sont actifs.

140.Google fait valoir, enfin, que la responsabilité particulière inhérente aux entreprises en position dominante ne saurait dispenser l'Autorité de démontrer un lien de causalité. Le fait que les concurrents de Google mettent en oeuvre des règles similaires montre que Google n'a pas utilisé sa position dominante pour mettre en oeuvre les Règles.

141.L'Autorité conteste qu'il soit nécessaire de démontrer formellement un lien de causalité entre la position dominante et les pratiques. Elle relève qu'il ressort de la jurisprudence européenne qu'une entreprise dominante ne peut s'exonérer des pratiques abusives qu'elle a commises en arguant du fait que les pratiques n'ont pu être obtenues grâce à sa position sur le marché. Elle se prévaut notamment de l'arrêt du TUE du 1er juillet 2010, T-321/05, aff. Astra Zeneca (paragraphe 267) aux termes duquel « en matière de pratiques visant à exclure ou diminuer la concurrence, un comportement ne doit pas nécessairement, pour être qualifié d'abus de position dominante, procéder de ou être rendu possible par la puissance économique de l'entreprise, aucun lien de causalité n'étant requis entre la position dominante et son exploitation abusive ».

142.Selon elle, une telle condition apparaît en effet redondante avec le pouvoir de marché dont bénéficie l'entreprise dominante, qui la met en capacité de commettre des pratiques d'abus. Elle se prévaut en ce sens de l'arrêt Sanicorse, précité, dans lequel la cour d'appel a relevé que « les hausses importantes appliquées sur une période relativement courte par la société Sanicorse [pratiques en cause en l'espèce] ont été rendues possibles par le monopole de fait dont elle jouissait pour l'élimination des DASRI par inertage, dont il a résulté qu'elle n'avait pas à craindre que ses clients se tournent vers d'autres prestataires » (paragraphe 93). La démonstration formelle d'un lien de causalité n'était donc pas nécessaire aux fins de la démonstration du caractère abusif de la pratique.

143.Elle observe qu'en l'espèce, il a été démontré, aux paragraphes 443 à 466 de la décision attaquée, que les services de Google Ads revêtaient un caractère incontournable pour les acteurs qui ne disposent pas de la notoriété suffisante pour entrer ou se maintenir sur le marché de vente en ligne, fait qui a mis Google en capacité d'édicter et de mettre en oeuvre des Règles inéquitables à leur égard.

144.Elle ajoute qu'en toute hypothèse, Google n'apporte aucun élément précis sur les conditions exactes des règles de ses concurrents, leur stabilité à l'égard des annonceurs, leur interprétation par les exploitants de moteurs de recherche concernés, leur mise en oeuvre, différenciée ou non selon les annonceurs qui proposent des services équivalents aux consommateurs.

145.Le ministre chargé de l'économie soutient que le fait que les concurrents de Google qui fournissent eux aussi des services de publicité liés aux recherches aient établi, le cas échéant, des règles similaires, ne sauraient constituer la preuve de l'absence de lien de causalité entre la position dominante de Google sur ce marché et les pratiques. Le pouvoir de marché de Google ne l'autorise pas à perturber le marché de la publicité en ligne liée aux recherches et les marchés avals ou les annonceurs sont actifs, en mettant en oeuvre ses Règles de manière incohérente, aléatoire et discrétionnaire.

146.Il ajoute que sur le marché dominé, c'est bien grâce à la position dominante de Google que ce dernier peut définir et appliquer des Règles inéquitables, susceptibles de produire des effets anticoncurrentiels, sans risque de perte de parts de marché. Le lien de causalité entre le pouvoir de marché de Google sur ce marché et les pratiques est donc démontré.

147.S'agissant des marchés connexes avals où interviennent les éditeurs de sites de services numériques sur internet qui sont clients de Google, le ministre observe que la décision attaquée a tout d'abord démontré, aux paragraphes 441 et suivants, qu'il existe un lien de connexité suffisant entre ces marchés et le marché dominé par Google. Ce lien de connexité résulte de l'offre de publicité liée aux recherches des internautes consistant à mettre en avant le site internet d'un éditeur en vue d'une transaction. La commercialisation ou le succès du lancement de services numériques proposés par les sites internet dépend des résultats de recherche des internautes sur les mots clés et donc des liens commerciaux proposés par le moteur de recherche. Dans ce contexte, un certain nombre d'éditeurs ne disposent pas d'alternative à Google en raison de la capacité particulière de Google Ads à développer fortement le trafic de certains sites puisque les principaux moteurs de recherche alternatifs à Google, Bing et Yahoo Search, connaissent une fréquentation entre 15 et 40 fois moins élevée que Google.

148.Le ministère public reprend une analyse similaire.

Sur ce, la Cour,

149.L'existence d'une position dominante est caractérisée par la position de puissance économique détenue par une entreprise, qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants, dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et finalement des consommateurs. Si la détention d'une position dominante n'est pas critiquable en elle-même, il incombe à la société détentrice d'une telle position la responsabilité particulière de ne pas porter atteinte, par son comportement, à une concurrence effective.

150.Il n'est pas contesté que le comportement abusif reproché à Google est intervenu sur le marché qu'elle domine. En outre, comme il sera vu dans la sous-partie B qui suit, la décision attaquée a établi que ce comportement pouvait produire des effets sur les marchés connexes sur lesquels interviennent les annonceurs, clients de Google. Le lien entre la position dominante et l'abus reproché s'infère nécessairement de ces constats.

151.Le fait que d'autres opérateurs concurrents aient adopté un comportement similaire au sien « à supposer même cette circonstance établie, ce qui n'est pas le cas en l'espèce » n'est pas de nature à l'exonérer de sa responsabilité particulière et tend au contraire à confirmer que les concurrents peuvent difficilement s'écarter de la politique commerciale mise en oeuvre par l'opérateur dominant.

152.À titre surabondant, il doit être constaté que Google n'apporte aucun élément précis sur la stabilité des règles de ses concurrents à l'égard des annonceurs, leur interprétation par les exploitants de moteurs de recherche concernés, leur mise en oeuvre, différenciée ou non selon les annonceurs placés dans une situation similaire.

153.La plateforme Google Ads, revêt, du fait de la position occupée par Google tant sur le marché des moteurs de recherche en ligne que sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches, un caractère incontournable pour les éditeurs de services numériques qui ne disposent pas de la notoriété suffisante pour entrer ou se maintenir sur le marché de la vente en ligne, en raison de sa capacité particulière à développer fortement le trafic de certains sites. Cet opérateur peut ainsi, en raison de son pouvoir de marché, définir et appliquer, sans risque de perte de parts de marché, des Règles objectivement inéquitables, lesquelles constituent la « norme de fait » puisque Google conditionne l'utilisation de sa plateforme à leur respect.

154.Les autres acteurs qui proposent ce type de publicité en ligne ont des parts de marché plus de 10 fois inférieures à celle de Google en France. Ces opérateurs gestionnaires de moteur de recherche n'étant pas en position dominante sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches, leur responsabilité n'est pas en cause du point de vue du droit de la concurrence à raison des règles qu'ils édictent, quand bien même elles seraient similaires à cette « norme de fait ».

155.La Cour retient en conséquence que Google ne peut s'exonérer des pratiques abusives qui lui sont reprochées en arguant que ces dernières n'ont pas été obtenues grâce à sa position dominante sur le marché.

156.Le moyen est rejeté.

3. Sur le caractère objectivement inéquitable de la définition et de l'application des Règles

157.Google fait valoir que, si la décision attaquée formule un certain nombre de critiques à l'encontre des conditions de mise en oeuvre des Règles, elle reconnaît (paragraphe 542) que Google ne poursuivait aucune stratégie anticoncurrentielle et elle admet (paragraphe 335) que la mise en oeuvre desdites Règles poursuivait un objectif légitime, à savoir la protection des utilisateurs contre les annonces malveillantes (voir aussi décisions de l'Autorité n° 13-D-07 du 28 février 2013, E-Kanopi, paragraphe 46 ; n° 10-MC-01 du 30 juin 2010, Navx, paragraphe 179 ; n° 15-D-13, Gibmedia, paragraphe 179 et n° 19-MC-01 du 31 janvier 2019, Amadeus, paragraphe 180). Google ajoute que ce dispositif protège légitimement aussi les annonceurs de bonne foi et que la décision attaquée ne démontre pas en quoi la mise en oeuvre des Règles pouvait être objectivement qualifiée de non équitable, alors qu'en l'absence de stratégie anticoncurrentielle de sa part, l'Autorité aurait dû au moins établir que les Règles étaient'sans rapport raisonnable avec l'objectif légitime de protection des utilisateurs et des annonceurs de bonne foi, poursuivi par elle.

158.En particulier, Google soutient, en premier lieu, qu'au regard de cet objectif légitime, la définition des Règles n'est pas inéquitable.

159.Elle fait valoir se trouver dans l'obligation de recourir à des notions suffisamment générales pour édicter ses Règles de fonctionnement, afin de couvrir une très grande variété de comportements « constamment évolutifs » susceptibles de nuire aux consommateurs. Selon Google, une définition trop précise des Règles de fonctionnement de sa plateforme publicitaire permettrait aux annonceurs malveillants de les contourner plus facilement, en adoptant des comportements trompeurs qui ne correspondraient pas à la lettre de la règle. Elle ajoute que pour être efficaces, les Règles édictent des principes qui précisent ce qui est attendu des annonceurs. Il serait néanmoins impossible d'établir une liste exhaustive des comportements interdits et des pratiques d'« arnaques », des Règles trop précises permettant aux annonceurs de mauvaise foi d'adapter plus facilement leurs pratiques et en créer des nouvelles pour abuser de la confiance des utilisateurs. Google reproche en conséquence à l'Autorité ne pas avoir démontré que les termes employés dans la définition des Règles sur la « Vente d'articles gratuits » et sur les « Promotions indignes de confiance », très généraux, étaient dans ces circonstances dépourvus de tout rapport raisonnable avec l'objectif de protection des utilisateurs et des annonceurs de bonne foi.

160.Google soutient aussi que l'instabilité des Règles n'est pas démontrée, la décision tirant cette conclusion générale à partir de l'examen de trois Règles entre 2012 et 2019. En réalité, seules les dispositions relatives à la vente d'articles gratuits ont connu des évolutions importantes depuis septembre 2014. Google a en outre veillé au cours de ces dernières années à prendre en compte les critiques de l'Autorité. Ainsi par exemple, en mars 2018, Google a déplacé les dispositions sur la vente d'articles gratuits dans la section sur les « Autres activités soumises à restriction » afin qu'une violation n'emporte plus de suspension de compte immédiate, comme cela lui était demandé par les services d'instruction de l'Autorité lors des discussions d'engagements. Google a également précisé la définition en remplaçant la notion de produits ou services « normalement gratuits » qui était critiquée par ces mêmes services. En septembre 2019, Google a annoncé que la promotion des services de renseignements téléphoniques, de mises en relations et d'enregistrements d'appels serait interdite sur Google Ads, tirant les conséquences de l'affaire Amadeus.

161.Elle ajoute que la décision attaquée n'explique pas, en outre, en quoi la mise à jour fréquente des Règles serait sans rapport avec l'objectif de protection des utilisateurs et des annonceurs de bonne foi. Elle considère que la critique de la décision est à cet égard contradictoire, car il ne peut pas être reproché à Google de changer les Règles trop fréquemment et en même temps de demander à Google de définir les Règles de façon plus précise.

162.En deuxième lieu, Google fait valoir que l'application des Règles n'est pas inéquitable et qu'il n'est pas démontré que leur mise en oeuvre était sans rapport raisonnable avec l'objectif légitime poursuivi par elle.

163.Elle soutient que la décision attaquée montre que certains annonceurs ont été suspendus alors que d'autres ne l'ont pas été, sans toutefois établir que les annonceurs maintenus sur sa plateforme publicitaire violeraient les Règles ni que ces violations auraient été détectées par les outils de contrôle de Google. Sont fournis des exemples de sites d'annuaires qui utiliseraient la solution Contact +. Or, selon Google, cette solution n'était pas contraire aux Règles en tant que telle, dans la mesure où elle n'était pas utilisée pour abuser de la confiance des utilisateurs. En réalité, les traitements prétendument différenciés critiqués par la décision attaquée sont directement en lien avec la nécessité d'appliquer les Règles à tous les annonceurs de façon effective. Compte tenu du volume d'annonces publiées chaque jour, une application au fur et à mesure que les violations sont détectées par Google ne saurait être considérée comme sans rapport raisonnable avec l'objectif de protection des utilisateurs.

164.Google reproche ensuite à la décision attaquée d'avoir porté son examen sur son organisation interne en ce que celle-ci empêcherait les annonceurs d'avoir accès aux équipes de Trust & Safety, sans démontrer en quoi cette organisation serait sans rapport raisonnable avec l'objectif légitime poursuivi. Elle fait valoir qu'en réalité, cette organisation permet à Google de s'assurer que les Règles sont appliquées indépendamment de toute considération commerciale.

165.Google soutient aussi que la décision attaquée paraît lui interdire, et ce de manière infondée, de proposer des services d'accompagnement aux annonceurs (tels Econometrie) qui ont violé les Règles dans le passé. La décision attaquée ne chercherait pas à démontrer que le comportement de Google était objectivement inéquitable. Dès lors qu'un annonceur a remédié aux violations pour lesquelles il avait été suspendu ou apporté des explications justifiant la levée de sa suspension, il n'est pas justifié, selon elle, de l'exclure de toute possibilité de bénéficier d'un programme d'accompagnement à l'avenir.

166.Enfin, Google considère qu'aucune analyse de la proportionnalité des mesures prises par Google n'a été menée par rapport à l'objectif légitime de protection des utilisateurs. Il n'est pas expliqué à partir de quel seuil la définition et l'application des Règles seraient considérées comme raisonnables, permettant à Google de s'assurer d'être en conformité avec l'article 102, a) du TFUE.

167.L'Autorité soutient en réponse que la décision attaquée a examiné le caractère raisonnable des Règles et de leur mise en oeuvre pour atteindre l'objectif de protection des consommateurs avancé par Google, en vérifiant leur caractère stable, transparent, objectif et non discriminatoire. L'Autorité a constaté que ni la définition des Règles, ni leur application ne répondaient à ces critères, et en a valablement conclu que les pratiques outrepassaient ce qui correspondait à un usage nécessaire et proportionné à l'objectif, légitime, de protection du consommateur. Au contraire, loin d'être utilisées pour répondre à cet objectif, la teneur et la mise en oeuvre des Règles permettaient à Google de bénéficier d'un pouvoir discrétionnaire à l'égard des annonceurs. Le caractère inéquitable des Règles résulte ainsi de leur caractère aléatoire, non transparent, non objectif et discriminatoire.

168.S'agissant de l'absence d'objectivité et de transparence des Règles, l'Autorité observe qu'il n'est pas reproché à Google d'avoir édicté des Règles de portée générale, mais de les avoir rédigées et appliquées de manière non-objective, non-transparente et discriminatoire. Ainsi, confirmant la décision de mesures conservatoires que l'Autorité a adopté dans l'affaire Amadeus, la cour d'appel de Paris a, par arrêt n° 19/3274 du 4 avril 2019, jugé que l'obligation de Google de définir certaines Règles de fonctionnement de sa plateforme de manière objective, transparente et non-discriminatoire ne portait pas atteinte au caractère général des Règles, pas plus qu'à leur capacité d'adaptation aux nouvelles pratiques des annonceurs.

169.L'Autorité soutient qu'en l'espèce, comme indiqué dans la décision attaquée, l'absence de clarté des Règles sur la vente d'articles gratuits et des promotions indignes de confiance ne permettait pas aux annonceurs d'identifier clairement les pratiques dont la promotion était interdite sur Google Ads et de comprendre les conséquences d'un éventuel manquement. Elle rappelle que cette absence de transparence et d'objectivité des Règles résulte de l'utilisation de formulations ambiguës ou particulièrement génériques (paragraphes 380 à 384 de la décision attaquée), de l'incapacité de Google d'apporter des explications cohérentes pour définir la portée des Règles (paragraphes 395 à 399), du caractère imprécis du périmètre d'application des Règles (paragraphes 400 à 408), des interprétations variables des Règles qui permettent à Google d'autoriser un annonceur à diffuser des publicités sur sa plateforme puis de l'exclure dans un laps de temps très rapproché, alors même que cet annonceur n'a pas modifié son modèle commercial'(paragraphes 409 à 410), et de la modification du contenu de certaines Règles sans notification préalable (paragraphes 412 à 415).

170.S'agissant de l'application inéquitable des Règles, l'Autorité fait valoir qu'il a été démontré, contrairement à ce que soutient Google, que les traitements différenciés des annonceurs étaient injustifiés, les sites suspendus de Google Ads proposant des services et des modes de facturation équivalents à ceux maintenus sur la plateforme publicitaire de Google. La figure 8 de la page 51 de la décision attaquée présente ainsi les similitudes entre les sites d'annuaires inversés édités par les sociétés Ecométrie (site promu sur Google Ads) et Gibmedia (site exclu de Google Ads), tenant à la nature des services qu'ils proposent aux internautes, aux modes de facturation qu'ils utilisent et à l'existence de suspensions préalables de ces sites pour des manquements aux Règles. Pourtant, si Google a définitivement suspendu les sites édités par Gibmedia en janvier 2015, le site édité par Ecométrie a fait l'objet cette même année et les années suivantes d'un accompagnement personnalisé de Google visant à développer ses ventes. De même, la figure 14 de la page 61 permet de synthétiser le traitement aléatoire et incohérent auquel se livre Google en matière de suspension de sites qui ont des modèles commerciaux pourtant similaires, en cas de violation alléguée de certaines de ses Règles par les annonceurs.

171.L'Autorité ajoute que la décision attaquée n'interdit pas à Google, contrairement à ce qui est soutenu, de proposer des services d'accompagnement à des annonceurs qui auraient violé les Règles dans le passé et se seraient mis en conformité par la suite. Il est seulement relevé qu'à l'égard des annonceurs, le comportement de Google est facteur de confusion : les équipes commerciales de Google ne peuvent pas contribuer activement à promouvoir les services d'un annonceur en participant à la rédaction des annonces et à la page d'accueil de son site, alors même que l'offre de l'annonceur est considérée par d'autres équipes comme violant les Règles. Un tel comportement est inéquitable en ce qu'il revient à exposer l'annonceur à des sanctions pour une offre configurée par les propres équipes de Google (paragraphes 241, 242 et 425). L'existence de tels comportements démontre en outre le caractère opaque et imprévisible de l'application des Règles, lorsque les équipes commerciales de Google n'étaient pas en mesure détecter la méconnaissance des règles qui résulteraient du contenu des sites, voire ont contribué à rédiger ces contenus « illicites ».

172.Le ministre chargé de l'économie soutient que la décision de l'Autorité se devait simplement de démontrer que ces règles n'étaient pas transparentes, nécessaires et proportionnées à l'objectif légitime poursuivi.

173.S'agissant de la Règle relative à la « vente d'articles gratuits », qui s'applique à la vente de tout service numérique accessible gratuitement ailleurs sur internet, même lorsque le client est informé du caractère payant du service, le ministre relève qu'elle permet à Google de suspendre l'éditeur en cause alors que la décision a montré qu'elle n'était pas appliquée systématiquement, ou qu'elle l'était très tardivement, plusieurs mois après la découverte du cas d'application de la règle.

174.De même, le ministre observe que le périmètre de la Règle Promotion indigne de confiance est si incertain qu'il entraîne une incidence sur la nature de la procédure applicable en cas de violation de celle-ci. Il en déduit que Google est en capacité de requalifier la nature des manquements et de suspendre sans préavis le compte de l'annonceur visé, alors que cette possibilité n'est pas prévue au contrat.

175.Le ministre fait valoir que la décision attaquée a également montré que l'instabilité des Règles a pour effet de maintenir certains annonceurs dans une situation d'insécurité juridique et économique d'autant plus grande que Google peut modifier son interprétation des Règles sans modifier leur contenu, ou modifier le contenu d'une règle sans notifier systématiquement cette modification aux annonceurs concernés.

176.Il en déduit que la décision attaquée a établi à suffisance le caractère potentiellement et effectivement inéquitable de l'application des conditions de transaction entre Google et les annonceurs. Selon lui, cette situation est sans rapport avec l'objectif légitime de protection des utilisateurs et des annonceurs de bonne foi du service Google Ads. Il estime qu'il est ressorti des constats de la décision qu'au contraire, cette situation a permis de promouvoir des modèles économiques peu respectueux des droits des internautes et consommateurs ou de mettre un terme à des modèles économiques qui pouvaient faire concurrence à l'écosystème de Google, ce au détriment de la communauté des autres annonceurs et opérateurs.

177.Le ministère public développe une argumentation similaire.

178.Amadeus observe que les Règles sont présentées sous la forme d'une arborescence dont chaque onglet renvoie à une nouvelle page, qui elle-même contient de nouveaux onglets ouvrant sur de nouvelles pages et que cette présentation ne facilite pas la compréhension des Règles applicables aux annonceurs. En outre, à l'époque où ses comptes Google Ads ont été suspendus, les titres étaient généraux et peu clairs. Des Règles telles que par exemple celle intitulée « Pertinence du contenu peu évidente » ou encore la pratique de « Promotions de produits, services ou offres difficilement identifiables sur la page de destination » sont nécessairement, du fait même des termes employés, des Règles subjectives difficilement compréhensibles par l'annonceur. À la rubrique « suspension du compte » il est mentionné que le compte est susceptible d'être suspendu si l'annonceur enfreint les Règles « à plusieurs reprises ou de façon particulièrement grave », ce qui pose des difficultés d'interprétation, étant observé qu'à aucun endroit de cette page n'est décrit quel comportement entraîne une suspension du compte, ni si celle-ci est immédiate ou non.

179.Amadeus ajoute avoir été confronté également à des modifications nombreuses, opaques et unilatérales. La publication au Journal des modifications est lacunaire et ne précise ni les comportements visés avec précision, ni les conséquences de cette modification en terme de suspension. À titre d'exemple, la modification de mars 2018 concernant la « Vente d'articles gratuits » était perdue dans la notification d'une modification plus large.

180.Amadeus souligne que la suspension de ses comptes Google Ads a été d'autant plus brutale et incompréhensible qu'ainsi qu'elle en justifie (pièces produites n° 5, 6, 10, 12, 14 à 16, 36), elle était accompagnée presque quotidiennement par les équipes commerciales de Google, lesquelles validaient sa rédaction des annonces et lui fournissaient des listes de mots-clés. Elle ajoute avoir d'abord bénéficié du programme Google Digital Growth, puis du programme appelé Mid Market Sales. Il lui a ensuite été annoncé par un courriel du 21 décembre 2016 qu'un expert en stratégie et optimisation de Google avait optimisé ses campagnes. Dans le cadre de cet accompagnement personnalisé, Amadeus était aidée par ses chargés de comptes Google à chaque étape de publication des annonces Google Ads.

181.L'intervention des équipes de Google dans la promotion d'Amadeus était particulièrement importante. Ces équipes ont participé régulièrement à la configuration des annonces en modifiant la structure de celles-ci ou leurs paramètres. Elles intervenaient parfois directement dans la rédaction des annonces d'Amadeus en lui fournissant des « annonces toutes faites » (selon le terme employé par un représentant de Google dans un courriel à Amadeus du 25 juillet 2017). De plus, des rencontres ont été organisées entre les équipes de Google et Amadeus. À ces occasions, le bilan des performances d'Amadeus mais également les évolutions du marché étaient présentées par Google. Les équipes de Google ont aussi réalisé de nombreuses analyses personnalisées pour Amadeus, comme des analyses de performance ou des audits de la vitesse des services d'Amadeus.

182.Par ailleurs, ces équipes ont fourni à Amadeus des listes de mots-clés ciblés par les internautes afin d'améliorer l'effectivité de ses annonces. Les équipes de Google précisaient quels mots-clés paraissaient les plus pertinents, ainsi par exemple dans un courriel du 2 mai 2016. Les équipes de Google conseillaient également Amadeus sur la conformité de ses annonces aux Règles Google Ads. Ainsi, le 17 mai 2017, son correspondant Google lui confirmé la conformité de l'usage de marques dans les annonces en ajoutant : « Aucun risque de suspension du pdv (point de vente) Google sur ce point. Donc on peut souffler ».

183.Amadeus tire deux conséquences de l'accompagnement particulièrement actif des chargés de compte de Google auprès d'elle : d'une part, Google connaissait parfaitement la teneur des annonces passées par Amadeus puisque ses équipes les rédigeaient directement ou participaient à leur rédaction et, d'autre part, les violations des Règles Google Ads invoquées par Google ne peuvent être reprochées à Amadeus puisqu'elles correspondent en réalité aux pratiques encouragées par les propres équipes de Google.

184.Enfin, Amadeus fait valoir que du fait des Règles opaques, elle n'est toujours pas en mesure de déterminer pourquoi son compte a été supprimé alors qu'il est démontré que des annonces, reprenant exactement les mêmes termes, ont été maintenues, créant ainsi une discrimination dans la concurrence que se livrent Amadeus et les autres acteurs du marché. Elle cite notamment comme exemple les opérateurs de renseignements téléphoniques en 118, concurrents directs d'Amadeus, qui ont diffusé le 21 février 2019 leurs annonces lorsque l'internaute saisissait les mots-clés « service client ryanair », « service client hop » ou encore « service client easyjet », alors qu'au même moment, les annonces d'Amadeus comportant les mêmes caractéristiques (textes d'annonces, pages de destination et mots-clés) étaient refusées. Il en est de même, selon elle, de concurrents publiant des annonces contenant les mots-clés « service client colissimo », alors que cette même annonce, qu'elle se proposait de poster, était refusée par Google le 4 mars 2019.

185.Gibmedia fait valoir que les pratiques abusives se trouvent résumées dès la décision 10-MC-01 rendue le 30 juin 2010 par l'Autorité de la concurrence, dans l'affaire Navax :

« La liberté dont dispose Google pour définir sa politique de contenu Adwords n'exonère pas cette entreprise de l'obligation de mettre en oeuvre cette politique dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires. Elle doit notamment (i) définir des règles générales et dénuées d'ambiguïté, (ii) informer clairement les annonceurs de leur existence, et, le cas échéant, faire évoluer ces règles en informant de façon également claire les annonceurs, en leur laissant un préavis suffisant avant leur entrée en vigueur, (iii) définir une procédure de contrôle et de suspension des comptes, également objective et transparente, et (iv) garantir une application non discriminatoire des règles et procédures ainsi définies » (paragraphe 248).

186.Elle estime que, pourtant, pendant plus de neuf ans, le comportement anti-concurrentiel de Google n'a pas évolué, cette société abusant de sa position dominante pour imposer à ses partenaires des Règles conçues et appliquées de manière discriminatoire.

187.Gibmedia soutient plus spécifiquement, tout d'abord, que ces Règles sont si morcelées et qu'il en existe tellement, disséminées à divers endroits - sans que l'on sache à quoi elles correspondent, comment elles s'articulent entre elles et quelles sont leurs spécificités ' qu'elles en deviennent incompréhensibles. Elle observe qu'aucune Règle ne figure sur la page d'accueil de Google Adwords, la rubrique « conditions » portant sur les conditions d'utilisation de Google. Pour bénéficier de règles plus spécifiques, il faut réussir à accéder au « Centre d'aide AdWords ». Elle précise que dans ce dernier, existe une page « Règles AdWords » mentionnant les contenus interdits, les pratiques interdites, les contenus à diffusion contrôlée, les exigences rédactionnelles et techniques, mais qu'aucune de ces règles ne mentionne les « promotions indignes de confiance », ni n'explique les violations et les étapes pouvant mener à la suppression d'un compte AdWords. Elle estime qu'aucune règle contractuelle claire, sous forme par exemple de conditions générales de vente AdWords, n'est donc accessible par une navigation normale.

188.Gibmedia fait valoir que l'unique raison de la coupure de son compte réside dans le fait que, selon Google, elle proposait des services qui sont normalement gratuits. Or la tarification des services qu'elle offre est transparente, puisqu'elle se fait via l'offre Contact + qui est proposée par l'opérateur de téléphonie français qui a le plus d'abonnés, à savoir Orange. Les internautes expriment en outre par deux fois leur consentement, et cet opérateur affiche le temps écoulé et le tarif en bas de la page pendant toute la navigation du client. Gibmedia ajoute n'avoir, contrairement à Google, jamais fait l'objet d'aucune poursuite, ni d'une association de consommateurs, ni de la CNIL, ni de la DGCCRF.

189.Gibmedia soutient aussi plus spécifiquement que, dans ses secteurs d'activité, aucun service n'est « normalement gratuit » (voir paragraphes 389 à 391 de la décision attaquée) : dans le secteur de l'information légale et économique sur les entreprises, les services sont généralement fournis contre rémunération par les sites (voir paragraphe 62). L'information légale sur les entreprises est, par exemple, accessible à l'acte sur le site infogreffe.fr aux tarifs fixés par le décret n° 2007-812 relatif au tarif des greffiers des tribunaux de commerce et modifiant le code de commerce. Dans le secteur de l'information météorologique, les sites offrent un nombre important d'informations gratuites, mais les acteurs les plus importants du marché français, tels Météo France ou de Meteo Consult, proposent également des services payants spécifiques, depuis plus d'une dizaine d'années (voir paragraphes 85 et 86). Dans le secteur des services d'annuaire téléphonique, les numéros de téléphone sont généralement fournis sur les sites sans contrepartie financière des utilisateurs, mais plusieurs acteurs proposent également des services complémentaires payants (voir paragraphes 69 et suivants).

190.Elle souligne en outre avoir payé pour acquérir ces informations. À titre d'exemple, l'INSEE lui a facturé, le 1er juillet 2014, une somme de 133 624 € H.T. pour obtenir les informations financières des entreprises pendant un période d'un an. La présentation de services de météo (webservice, météo des plages et des stations de ski, et les bulletins météo en vidéo) coûte plus de 2 600 € H.T. par mois, facturé par une société Previmeteo, et à cette somme s'ajoute un droit d'entrée pour la mise en service. Il n'est donc pas choquant selon elle qu'outre des informations mises gratuitement en ligne, elle propose des services complémentaires payants, d'autant que les services proposés ont aussi nécessité des développements informatiques.

191.Gibmedia fait valoir que le modèle de Google fondé sur la publicité n'est pas plus vertueux qu'un modèle clairement payant. En éliminant les sociétés qui ne s'articulent pas facilement avec ses Règles sur le « normalement gratuit », selon elle, Google ne cherche pas à protéger l'utilisateur mais à imposer son modèle. Elle estime que Google cherche avant tout à favoriser sa croissance et ses propres services et fait observer que Google a coupé les comptes de Gibmedia précisément au moment où elle-même commençait à intervenir directement dans le domaine de la météo et de l'annuaire. Elle relève que Google propose désormais aux internautes certains services identiques aux siens, par l'entremise de la société weather.com dont celle-ci est la régie publicitaire. En excluant ainsi des sociétés telles que Gibmedia, pour favoriser des entreprises partenaires aux résultats desquels Google est directement intéressée, elle se favorise en déséquilibrant le marché.

Sur ce, la Cour,

192.La Cour renvoie, pour la présentation des versions successives des Règles applicables aux annonceurs, aux paragraphes 96 à 134 de la décision attaquée et, pour les moyens mis en oeuvre par Google pour les faire appliquer, aux paragraphes 135 à 157, qui ne sont pas, en eux-mêmes, contestés.

193.Il sera seulement rappelé qu'il s'agit de Règles variées, puisque relatives aux « promotions indignes de confiance », aux « facturations douteuses », aux « techniques de dissimulation », aux « manipulations de système », aux « omissions d'informations pertinentes », aux « manipulations du réseau Google », à la « vente d'articles gratuits », aux « informations manquantes », aux « contournements des systèmes ».

194.Elles ont été comprises, selon les cas et les périodes, dans la première rubrique (les contenus interdits), dans la deuxième (les pratiques interdites, dont relèvent les « déclarations trompeuses »), ou dans la troisième (les contenus à diffusion contrôlée dont font partie les « autres activités soumises à restriction »). Elles sont détaillées dans les tableaux figurant p. 30 à 37 de la décision attaquée.

195.Sont également concernées les Règles relatives aux procédures de mises en garde et de suspension, lesquelles sont applicables, de façon indifférenciée, à tous les annonceurs.

196.La Cour observe qu'en tant qu'acteur dominant, Google dispose d'une forte capacité d'attraction à l'égard des annonceurs et est en capacité d'exercer un important pouvoir régulateur sur ces derniers. Cette position dominante sur le marché génère une responsabilité particulière lui imposant de mettre en oeuvre sa politique à l'égard des annonceurs dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires, de sorte que la liberté commerciale de Google n'est pas absolue. L'adoption et l'application de Règles de nature à protéger les internautes d'une exposition à des sites susceptibles de porter atteinte à leurs intérêts est légitime, mais la liberté dont dispose Google pour définir sa politique en matière de Règles se trouve nécessairement limitée par les obligations qui découlent de la position dominante qu'elle occupe sur le marché.

197.Il n'appartient pas à l'Autorité de se substituer aux organes de direction de l'entreprise en position dominante pour déterminer quelle doit être sa politique sur le marché pertinent, mais d'établir que les conditions de transaction litigieuses peuvent, au vu de l'ensemble des circonstances de la cause, être objectivement qualifiées de non équitables.

198.Il convient donc de déterminer si les éléments retenus par l'Autorité, quant à la définition des Régles et à leur mise en oeuvre, permettent d'établir qu'elles n'ont pas été définies et appliquée de manière raisonnable et proportionnée à l'objectif légitime de protection des internautes et des annonceurs de bonne foi.

199.La Cour précise que, pour ce faire, il n'est pas nécessaire d'examiner toutes les Règles, la caractérisation de l'abus de position dominante reproché n'exigeant pas cette recherche.

200.S'agissant, en premier lieu, de la définition des Règles applicables aux annonceurs, il ressort des constats opérés à raison par la décision attaquée que plusieurs d'entre elles présentent, tout d'abord, une formulation particulièrement générique, sans description précise des comportements reprochés si ce n'est à titre d'exemples non exhaustifs, ce qui les rend à certains égards peu claires et donc peu intelligibles.

201.Ainsi, à titre d'exemple, la formulation de la Règle sur la « vente des articles gratuits » d'avril 2013, qui est reprise dans le tableau figurant paragraphe 103 de la décision attaquée, ne permet pas de délimiter clairement son champ d'application. Google semble en circonscrire la portée aux situations où l'internaute n'est pas informé clairement des conditions de facturation d'un service qui est disponible sans contrepartie financière ailleurs, mais une telle restriction ne ressort pas de la formulation générale utilisée. La Règle indique en outre que n'est pas prohibée la promotion de sites facturant des frais pour des « services associés à des produits ou services disponibles gratuitement ailleurs », mais n'apporte aucune précision sur les types de services visés. Il est aussi mentionné que les annonces et les pages de destination « ne peuvent pas promouvoir des services qui offrent peu ou pas de valeur ajoutée pour l'utilisateur » sans que la notion de valeur ajoutée ne soit définie, laquelle est laissée à l'appréciation discrétionnaire de Google.

202.La reformulation de cette Règle en septembre 2014, sous la forme d'une interdiction de « facturer des frais aux utilisateurs pour des produits ou services qui sont normalement gratuits », sans que ne soit défini ce qui est normalement gratuit, reste également peu satisfaisante.

203.Sa formulation lapidaire, qui n'est de surcroît pas assortie d'illustrations concrètes, ne permet pas d'identifier de façon suffisamment claire les services qui sont interdits sur la plateforme publicitaire. Elle n'est pas plus précise et semble toujours pouvoir s'appliquer à la vente de tout service numérique accessible sans contrepartie financière ailleurs sur internet, et ce même si le client est informé clairement du caractère payant de ce service.

204.Le libellé de la Règle en vigueur depuis mars 2018 est plus détaillé, mais il fait référence à la gratuité « ou à un prix réduit » des produits ou services concernés, disponibles auprès d'une source soit gouvernementale, soit « publique », si bien que son champ d'application demeure toujours incertain. La Règle paraît viser plus spécifiquement les services dits « officiels », mais il est fait référence, à titre d'exemple parmi d'autres, au cas du prestataire de services de télévision associant du contenu « accessible au public » à du contenu payant. Aucune restriction ne limite non plus la portée de cette Règle aux situations où l'internaute n'est pas informé clairement des conditions de facturation d'un service qui est disponible sans contrepartie ailleurs.

205.L'accès à internet étant public, une lecture extensive de cette Règle permet de considérer que tout service numérique payant est susceptible de tomber sous le coup de la prohibition de la vente d'articles gratuits dès lors qu'ils sont disponibles sans contrepartie financière ailleurs sur internet. Or, outre le fait qu'un internaute est a priori libre de choisir de payer un service qu'il pourrait obtenir gratuitement et que Google semble circonscrire la portée de la Règle aux situations où l'internaute n'est pas clairement informé des conditions de facturation, une telle restriction ne ressort pas du libellé précité. Sa portée demeure donc difficile à appréhender et ne permet pas de délimiter de manière précise la rubrique des services numériques qu'elle recouvre (voir paragraphes 395 à 398 de la décision attaquée).

206.La Cour constate également, parmi les illustrations justement relevées dans la décision attaquée, portant sur l'imprécision des Règles, que le qualificatif de « malveillant » mentionné à la rubrique « pratiques interdites », s'il est fréquemment utilisé par Google dans ses écritures pour évoquer certains annonceurs ou certains sites, n'est explicité à aucun moment.

207.Ensuite, il doit être observé que la formulation générique des Règles, lorsqu'elle crée une incertitude sur leur périmètre précis, a une incidence sur la nature de la procédure applicable en cas de violation.

208.Ainsi, la Règle sur les promotions indignes de confiance vise les situations où l'annonceur « cache ou déforme des informations » mais elle couvrirait aussi, selon les explications apportées par Google lors de l'instruction, les pratiques visant à cacher ou déformer des informations relatives aux conditions de facturation et les techniques de dissimulation (cote 11341). Pour autant, ces pratiques relèvent aussi des déclarations trompeuses dénommées « omission d'informations pertinentes », d'une part, et des « manipulations du réseau Google » d'autre part, qui n'étaient pas qualifiées de « sévères infractions » par les Règles en vigueur en septembre 2014 et n'entraînaient pas la suspension immédiate du compte des annonceurs contrairement aux promotions indignes de confiance (voir paragraphes 404 à 408 de la décision attaquée).

209.En cas de violation « grave ou répétée », le compte de l'annonceur peut être suspendu en application de l'article 12 des conditions générales de publicité, mais le caractère grave d'une violation n'est défini ni dans les conditions générales, ni dans les Règles. Aucune liste des Règles entrant dans la rubrique des violations graves n'est publiée.

210.Selon Google, certaines violations peuvent, par ailleurs, être considérées comme des circonstances aggravantes, sans cependant qu'une incidence sur les délais de préavis soit clairement indiquée (voir paragraphes 130 et 132 de la décision attaquée). Il n'existe pas de description des différentes étapes menant à la suspension d'un compte, en distinguant les procédures appliquées par Google pour sanctionner les manquements graves et celles qu'elle met en oeuvre pour sanctionner les manquements non graves.

211.Enfin, il doit être constaté que Google a, au cours de la période litigieuse, fait évoluer unilatéralement le contenu des Règles à de nombreuses reprises et que les moyens utilisés pour en avertir les annonceurs apparaissent impropres à assurer une information complète et fiable.

212.L'historique des modifications accessibles sur le centre d'aide Google Ads révèle notamment une liste de 18 modifications en 2018, étant observé qu'une même rubrique de Règles peut évoluer plusieurs fois dans l'année (par exemple, la Règle « autres activités soumises à restriction » a évolué à quatre reprises cette année là).

213.Ainsi qu'il est exposé paragraphe 22 du présent arrêt, la marche à suivre en cas de modifications consiste pour les annonceurs à accepter à nouveau les conditions générales pour continuer d'utiliser Google Ads et veiller à consulter très régulièrement le centre d'information des Règles afin de s'assurer, à chaque fois, que leurs annonces, leurs sites web et leurs activités seront conformes aux nouvelles exigences.

214.Or, si certains messages sont spécifiques à une Règle (ainsi la vente d'articles gratuits visée par des messages publiés le 5 juin 2013 et le 19 mars 2013 reproduits au paragraphe 136 de la décision attaquée), un autre, diffusé en juin 2014, annonce une refonte plus générale de l'ensemble des Règles, en septembre 2014, suite à la mise en place d'un « nouveau centre de règles adWords optimisé ».

215.Cette annonce est formulée en des termes généraux et rassurants reproduits au paragraphe 137 de la décision attaquée (« (N)ous souhaitons rendre les règles AdWords plus conviviales, accessibles et incitatives pour les annonceurs comme pour les utilisateurs. Nous espérons qu'elles vous donneront une image plus claire des intentions et des motivations de Google. Voici ce que vous pouvez en attendre : des règles AdWords simplifiées et moins nombreuses, une plus grande transparence vis-à-vis de l'objectif de chaque règle, une meilleure compréhension de l'impact potentiel de chaque règle sur vos annonces »), sans évoquer spécifiquement la Règle sur les promotions indignes de confiance qui a été cependant impactée. La seule Règle spécifiée nommément dans ce message concerne les « restrictions concernant les armes, le tabac et les feux d'artifice, qui seront reprises dans notre nouvelle règle sur les produits dangereux ».

216.La modification de la Règle relative à la vente d'articles gratuits a fait, elle aussi, partie d'une notification plus large :

« En mars 2018, nous allons renommer et réorganiser certaines de nos règles et pages Google Ads afin qu'elles soient plus faciles à lire et à comprendre. (…).

Quelques exemples de nouveautés : suite à la réorganisation, les annonceurs constateront que certaines de nos règles font partie de la règle « Autres activités soumises à restriction ». C'est le cas par exemple d'une règle concernant la facturation de produits normalement gratuits, actuellement classée dans la rubrique « comportement non fiable » dans la règle relative au déclarations trompeuses.

Nous remplacerons également l'intitulé « comportement non fiable » par « pratiques commerciales inacceptables » » (paragraphe 138 de la décision attaquée).

217.Il s'en déduit que les annonceurs ne peuvent pas aisément comprendre le sens et la portée de certaines Règles et déterminer si leur comportement y est conforme, et ce alors que l'existence d'une position dominante impose à l'entreprise concernée une responsabilité particulière sur le marché.

218.La formulation générique des Règles, leur manque de clarté et de cohérence, l'absence de distinction nette entre elles, la possibilité de les modifier à la discrétion de Google et ce fréquemment, la manière dont les changements sont portés à la connaissance des annonceurs, leur confère un caractère non transparent et rend difficile l'anticipation par les opérateurs de la conformité de leurs annonces.

219.Au regard des éléments qui viennent d'être exposés, les justifications apportées par Google pour soutenir que les Règles, et plus particulièrement celles sur la vente d'articles gratuits et sur les promotions indignes de confiance, ont été définies de manière raisonnable et proportionnée à l'objectif légitime de protection des internautes et des annonceurs de bonne foi, sont insuffisantes.

220.Force est de constater que les Règles qui, concernent, d'une part, l'interdiction de vendre des services disponibles gratuitement ailleurs sur internet et, d'autre part, les obligations d'informations sur les conditions de facturation que doivent respecter les sites internet qui proposent des services payants au consommateur, sont énoncées au détour d'autres Règles et ont fréquemment varié, sans gagner en précision. Les termes utilisés à la suite des modifications se substituent aux précédents et rendent sans objet certaines interrogations, mais apportent aussi une part d'incertitude nouvelle. Ces Règles restent ambiguës du fait des choix rédactionnels de Google dans leur formulation et elles évoluent sans que les annonceurs en soient informés de façon suffisamment adéquate.

221.Les Règles relatives aux procédures de mises en garde et de suspension présentent également des insuffisances.

222.S'il est légitime que Google ait recours à des notions suffisamment générales afin de couvrir une très grande variété de comportements susceptibles de nuire aux consommateurs et qu'il cherche à en améliorer la teneur desdites Règles par des modifications de celles-ci afin de s'adapter aux nouvelles pratiques des annonceurs, les procédés utilisés outrepassent ce qui correspond à un usage nécessaire et proportionné à l'objectif, légitime, de protection des internautes et place tous les annonceurs, y compris ceux de bonne foi, dans une réelle incertitude.

223.S'agissant, en second lieu, de l'application des Règles, la Cour constate qu'il ressort des clauses examinées que Google s'est octroyée une marge d'appréciation discrétionnaire et que cette latitude l'a conduite à des différences de traitement injustifiées.

224.Tout d'abord, les services d'instruction ont collecté des éléments convergents qui témoignent de la difficulté pour les annonceurs, en dépit de contacts nourris avec, selon les cas, le service d'assistance, les équipes commerciales, ou leur chargé de compte, à appréhender la substance des Règles telles qu'appliquées et interprétées par Google, et partant, à comprendre ce qui est attendu d'eux.

225.Les échanges versés au dossier (décrits paragraphes 198 à 223 de la décision attaquée) montrent par exemple que le caractère répété des violations relatives aux ventes d'articles gratuits reprochées au site'« annuaire.com » édité par une filiale de La Poste résulte, non pas d'une réitération de manquements à une même règle constante, mais d'évolutions de cette Règle ou de variations de son interprétation par les équipes de Google et ce, sur une période inférieure à un an.

226.Il a ainsi été établi qu'après deux suspensions, en juillet puis septembre 2012 pour violation de ladite Règle, la raison d'une troisième suspension en novembre de la même année, communiquée après réclamation et consultation des « spécialistes » par le service d'assistance de Google, est la suivante » : « il y a eu un changement dans notre règlement : il est maintenant nécessaire que le lien redirige exactement vers la page présentant le numéro de téléphone concerné » (cotes 1308-1309). Toutefois, l'étude du Journal des modifications du centre d'aide de Google ne fait pas apparaître de notification de changement de Règle entre le 19 octobre 2012, date de la dernière réactivation du site « annuaire.com », et le 23 novembre 2012, date de cette troisième suspension.

227.Le 21 mai 2013, ce site connaît une nouvelle suspension de son compte. Son agence marketing digital fait valoir auprès de Google que « c'est la 3e fois cette année que nos comptes sont bloqués alors qu'aucun changement n'a été effectué de notre côté. Nous sommes en conformité avec vos policy depuis Août dernier, nous avons été approuvés » (voir §214 de la décision attaquée). Elle est informée par le service d'assistance que c'est en raison d'une nouvelle mise à jour de la Règle en matière de vente de services officiels et d'articles gratuits intervenue le 19 avril : « Ce nouveau règlement précise notamment que Vos annonces et pages de destination ne peuvent pas promouvoir des services qui offrent peu ou pas de valeur ajoutée pour l'utilisateur par rapport au processus de demande d'origine, automatisé ou officiel en ligne. » (voir §215 de la décision attaquée). En réponse, l'éditeur du site a demandé le 28 mai 2013 à « pouvoir discuter avec une personne de [l']équipe éditoriale en France. je ne vois pas pourquoi l'ARCEP et SVA+ (l'association des services à valeur ajoutée) et enfin le GESTE (Groupement des éditeurs) ont considéré que nous avions une valeur ajoutée pour le consommateur et Google a décidé seul, sans prévenir que nous n'en n'avions pas » (§ 217 de la décision attaquée), ce qui a amené Google à lui préciser qu'elle se réservait la possibilité d'appliquer des critères plus restrictifs que la loi et ce indépendamment de l'appréciation d'associations et groupements ayant un avis contraire (voir §219 de la décision attaquée).

228.Les reproches portent ensuite sur deux problèmes distincts, tenant au fait que « les informations de facturation pour les numéros surtaxés ne sont pour l'instant pas assez claires et visibles » et que le site n'apporte pas une « valeur ajoutée suffisante » pour justifier la surtaxation de numéros gratuits. Après avoir entrepris les actions correctrices demandées pour améliorer la lisibilité de ses conditions de facturation, La Poste se voit informée que le problème de « facturation douteuse » est réglé, mais que la suspension du site annuaire.com ne peut être levée car demeure toujours la violation de la Règle en matière de vente d'articles et de services gratuits, sans pour autant que lui soit précisé en quoi son site ne présente pas de valeur ajoutée.

229.Ce n'est que le 24 juin 2013 que cet annonceur est avisé que « ce n'est pas l'expérience du client sur votre site internet en général qui est prise en compte, mais celle proposée lorsque le numéro de téléphone est composé. Ainsi même si votre site propose des fiches d'information très complètes, informations financées entre autre par des numéros de téléphones surtaxés, lorsque je compare l'expérience de l'utilisateur lorsqu'il utilise un numéro gratuit et lorsqu'il utilise la version surtaxée, aucune valeur ajoutée n'est proposée » (§ 223 de la décision attaquée).

230.La difficulté pour un annonceur, malgré des contacts suivis avec le service d'assistance de Google, d'appréhender la substance des Règles, d'en détecter les violations et de se mettre en conformité, a aussi été rencontrée par exemple par Audiovox, ainsi qu'il est développé au paragraphe 154 de la décision attaquée.

231.Le sentiment d'insécurité de l'annonceur en cas de changement d'interlocuteur, à la perspective que sa situation ne soit plus appréciée de la même manière, et son besoin d'être rassuré à cet égard, ressort par ailleurs d'un échange par courriel en date des 22 et 23 octobre 2014 entre la société Econometrie et son gestionnaire de compte sur le départ. Le représentant d'Econométrie dit s'en être inquiété dans les termes suivants : « Toi seul avait pu faire entendre raison à la Policy lors de nos déboires. (...) Ainsi, devoir retisser un lien de confiance et re-exposer notre valeur ajoutée m'inquiète quelque peu, a fortiori si cela devait être dans le cadre d'une éventuelle suspension de notre compte ». Il lui a été répondu : « ne vous inquiétez pas, j'ai mes quartiers un étage en dessous de Mehdi et une ligne directe avec Leah (en plus de celle que je conserve avec Policy). Si le moindre souci advient j'organise une « war room » avec eux. Ce sera comme si j'étais là ! » (voir paragraphe 156 de la décision attaquée).

232.Ensuite, l'examen des conditions d'application des Règles montre que Google a aussi utilisé de manière aléatoire et donc imprévisible et incohérente sa marge d'appréciation, de manière discrétionnaire, dans l'application des Règles et qu'elle a établi des différences de traitement entre opérateurs comparables et adopté, à l'égard des mêmes annonceurs, des revirements de position renforçant le caractère non transparent des Règles.

233.L'instruction a ainsi établi que Google a suspendu les comptes rattachés aux sites d'annuaires inversé édités par Gibmédia et Ace Telecom (« discretel »), pour violation de la règle sur les promotions indignes de confiance en 2015, alors que les sites d'annuaires inversés édités par les sociétés Econométrie (« annuaire-inverse-France »), Nathacom (« inverseannuaire »), Links Lab (« allo-pages »), Somnus (« cquicenumero ») et Dispofi (« quipage ») ont continué à être promus sur Google. Or, ces différences de traitement ne peuvent être justifiées par des différences notables en termes de service ou de présentation de conditions de facturation.

234.Les services numériques payants proposés par Econometrie et Gibmedia étaient équivalents en terme de contenus (géolocalisation des numéros de téléphone fixes non indexés dans leur base, écoute anonyme des messageries des abonnés mobiles) et de mode de facturation, chacun des sites d'annuaires inversés utilisant en particulier la solution de paiement Contact + d'Orange en 2015. Or, si Google a définitivement suspendu les sites édités par Gibmedia en janvier 2015, le site édité par Econométrie a fait l'objet cette même année et les années suivantes d'un accompagnement personnalisé de Google visant à développer ses ventes (voir paragraphes 170 et suivants de la décision attaquée). De même, le site d'annuaire inversé édité par Ace Telecom, suspendu sur Google Ads en 2014 et le site d'annuaire inversé édité par Nathacom, maintenu sur Google Ads, proposaient en 2014 des services numériques payants équivalents (identifications des numéros mobiles par l'écoute anonyme de leur messagerie d'accueil) et, en 2015, Nathacom a opté pour un mode de facturation identique, à savoir la solution de paiement Contact + d'Orange (voir paragraphe 183 de la décision attaquée).

235.En outre, les sites d'annuaires inversés « quipage », « allo-pages » et « les-pages » utilisaient tous les trois des solutions de paiement identiques pour la consultation du répondeur d'un numéro mobile (captures d'écran figurant cotes 785 et 11357). Or, le site « les-pages » a été définitivement suspendu par Google en mars 2015 pour violation de la Règle sur les promotions indignes de confiance, tandis que les deux autres continuaient d'être promus (vois paragraphes 186, 190 et 191 de la décision attaquée). Google soutient dans ses écritures que la solution Contact +, (décrite paragraphe 483, qui présente la particularité d'être activée par défaut, ce que l'internaute peut de fait ignorer), n'était pas contraire aux Règles en tant que telle, « dans la mesure où elle n'était pas utilisée pour abuser de la confiance des utilisateurs ». Elle n'explicite cependant aucunement pour quelles raisons précises, éléments factuels à l'appui, elle a pu considérer que « les-pages » abusaient de la confiance des internautes et que « quipage » et « allo-pages », au modèle économique similaire et qui utilisaient aussi la solution de paiement Contact+, n'en abusaient pas.

236.Enfin, les explications apportées par Google selon lesquelles les mesures qu'elle prend sont directement en lien avec la nécessité d'appliquer les Règles à tous les annonceurs de façon effective, et sont proportionnées à l'objectif légitime poursuivi, ne résistent pas à l'examen.

237.Si certaines différences de traitement d'annonceurs peuvent s'expliquer par le fait que les outils de contrôle ne parviennent pas à détecter la totalité des annonces non conformes à un instant donné, les éléments figurant au dossier démontrent que d'autres auraient pu être résolues si Google avait choisi de mettre en place des mécanismes complémentaires pour lui permettre de détecter certaines non conformités, et ce afin d'assurer un traitement équitable de ses partenaires commerciaux.

238.Ainsi, comme démontré aux paragraphes 498 et 499 de la décision attaquée, l'incapacité de Google à détecter les pratiques de facturation Contact + provient principalement du fait que ses équipes de contrôle ne pouvaient pas accéder aux sites dans des conditions analogues aux abonnés d'Orange, faute de souscription d'un abonnement avec ce fournisseur.

239.Il doit être aussi constaté (comme l'expose la décision attaquée aux paragraphes 237 à 246) que Google a poursuivi la promotion de services numériques ayant fait l'objet d'une mise en garde des pouvoirs publics (DGCCRF et Direction Interministérielle du Numérique et du Système d'Information et de Communication DINSIC), tels que notamment les sites de la société Securiweb BV et ses filiales qui commercialisent des documents administratifs alors que ces documents sont fournis gratuitement par l'administration (courrier du 31 mai 2016 cotes 14987 et 15582) ainsi que les sites assurant la promotion des numéros de renseignements téléphoniques comprenant les chiffres 118 à facturation payante (message du 24 janvier 2017 cote 12082). Google a donc, en connaissance de cause, choisi de ne pas tenir compte de ces mises en garde institutionnelles, lesquelles étaient pourtant de nature à lui faciliter la détection des sites susceptibles de violer ses Règles et le traitement uniforme de ces violations, concourant ainsi à maintenir l'opacité du contenu de sa politique.

240.Il est établi par des captures d'écran réalisées par les services de l'instruction (reproduites aux pages 72 et 73 de la décision attaquée) que des annonces relatives à des services de cartes grise, d'actes de naissance et de demandes de visas ESTA pour les États-Unis, bénéficiaient en 2019 d'un référencement publicitaire Google Ads, et que Google n'avait donc suspendu ni les annonces, ni les comptes fournissant les services précisément dénoncés par les pouvoirs publics (cotes 15437 et 15438). Il ressort par ailleurs des pièces du dossier qu'Ace Telecom a contesté la suspension de son site « Discretel.fr » le 29 mai 2014 au moyen de captures d'écran visant notamment à établir la présence sur Google Ads de sites concurrents présentant les mêmes caractéristiques, ceux de Gibmedia et d'Econometrie (cotes 3340), lesquels ont cependant fait l'objet d'un traitement très différent par Google (voir le tableau inséré au paragraphe 177 de la décision attaquée).

241.Il est démontré, par ailleurs, que les équipes commerciales de Google sont intervenues de manière proactive auprès de sites pour promouvoir leurs services sur sa plateforme publicitaire, en leur proposant un « accompagnement personnalisé », alors même que les sites concernés avaient été préalablement suspendus pour des manquements aux Règles (prestations d'accompagnement proposées à Interactive-DigiMedia paragraphes 225 et 226 de la décision attaquée, à Econometrie paragraphes 227 à 230, à Somnus paragraphes 231 à 236). Les équipes de Google ont proposé à ces sites un soutien commercial payant destiné à développer leur activité en ligne et à maximiser leur mise en relation avec des internautes effectuant des recherches sur des mots-clés correspondant à l'offre de ces sites, alors que ces sites n'avaient pas modifié leur modèle commercial pour se conformer aux Règles, ce qui constitue un comportement, comme l'indique l'Autorité au paragraphe 247 de la décision attaquée, très ambigu, voire incohérent.

242.Choisir de fermer aux annonceurs l'accès aux services Trust & Safety relève de l'exercice légitime de la liberté commerciale de Google, de même qu'il lui revient d'organiser et dimensionner ces services de la façon qui lui paraît la plus pertinente. Il est critiquable, en revanche, que les seuls interlocuteurs de Google disponibles pour les annonceurs, à savoir les services d'assistance et les chargés de compte Google, éprouvent parfois eux-mêmes des difficultés à comprendre la teneur et la portée des Règles, ce qui peut les amener à recommander une levée de suspension du site sans avoir aucune garantie que la mise en conformité avec les Règles soit jugée suffisante par les équipes Trust & Safety. Les annonceurs ne sont donc pas en mesure de dialoguer avec des personnes chargées de les éclairer de façon effective et de traiter leur cas et leurs demandes de manière appropriée et complète.

243.Les gestionnaires de comptes auxquels certains annonceurs ont accès peuvent par ailleurs être amenés à privilégier une approche commerciale et à fragiliser les clients qu'ils accompagnent vis-à-vis des Règles. Dans le cas d'Amadeus, les équipes commerciales de Google ont contribué activement à promouvoir ses services sur Google Ads, en participant à la rédaction des annonces et à la page d'accueil de son site, et en l'assistant, dans la configuration de son offre jusqu'à la fin de l'année 2017, étant rappelé que la suspension de son compte est intervenue le 10 janvier 2018. Ils lui ont ainsi régulièrement, et de façon considérée a posteriori comme erronée par un autre service de Google, apporté des garanties relatives à la conformité de ses campagnes avec les Règles.

244.Ces équipes commerciales de Google se sont par ailleurs inquiétées des conditions dans lesquelles les comptes d'Amadeus ont été suspendus, faisant valoir en interne qu'une interprétation défavorable à l'égard d'Amadeus devrait être la même pour l'ensemble du secteur (paragraphe 160 de la décision n° 19-MC-01). Elles sont allées jusqu'à alerter explicitement le service Trust & Safety, mais sans succès, du risque d'application discriminatoire des Règles.

245.Elles n'ont donc pas été en mesure de détecter la méconnaissance des Règles résultant du contenu des sites, voire ont contribué à rédiger les annonces identifiées postérieurement comme non conformes par d'autres équipes de Google, et selon une méthodologie qui n'est pas explicitée, y compris aux équipes commerciales, ce qui caractérise un manque de cohérence qui rend le comportement de Google particulièrement peu lisible pour les annonceurs et participe à l'opacité de la politique de contenu de Google.

246.Google soutient que les Règles ont été appliquées de manière raisonnable et proportionnée à l'objectif légitime de protection des internautes et des annonceurs de bonne foi, mais les justifications qu'elle apporte sont insuffisantes au regard des éléments circonstanciés qui viennent d'être exposés et de la responsabilité particulière qui pèse sur elle en tant qu'acteur dominant.

247.Force est de constater que Google, de fait, détient un véritable droit de contrôle sur les sites qui souhaitent publier des annonces. Considérées isolément ou dans leur ensemble, ces Règles, imposées par Google et modifiées à discrétion, ont été appliquées et interprétées de façon différenciée selon les sites des annonceurs et les circonstances, alors qu'ils étaient placés dans des situations comparables.

248.S'il est légitime que Google ait, pour détecter les violations des Règles, recours à des outils automatiques de contrôle, parfois complétés par des contrôles manuels dans les cas les plus complexes, la manière dont elle applique et interprète les Règles ne répond pas à l'objectif, légitime, de protection des internautes, et expose tous les annonceurs, y compris ceux de bonne foi, à des variations de position de Google qu'ils n'ont pu anticiper ou prévenir par un comportement déterminé. L'annonceur de bonne foi n'est ainsi pas mis en mesure de déterminer si les annonces qu'il diffuse sont conformes aux Règles.

249.Il résulte de l'ensemble des développements qui précédent que les Règles de la plateforme publicitaire Google Ads ont été définies et appliquées de manière non objective, non transparente et discriminatoire et qu'elles présentent, au vu de l'ensemble des circonstances de la cause, un caractère objectivement non équitable.

250.Le moyen est rejeté.

B. SUR LES EFFETS ANTICONCURRENTIELS

251.Dans la décision attaquée, l'Autorité retient, en premier lieu, que le manque d'équité affectant la mise en oeuvre des Règles produit des effets sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches car « l'investissement des annonceurs qui se conforment aux Règles est perturbé par le maintien des annonceurs qui ne les respectent pas et par l'incertitude liée à la mise en oeuvre des Règles » (paragraphes 435 à 438).

252.Elle analyse, en deuxième lieu, les effets des pratiques de Google sur les marchés connexes et retient que ces pratiques sont susceptibles de produire des effets sur l'ensemble des marchés où interviennent les éditeurs des sites de services numériques sur internet (paragraphes 441- 442). Elle explique que tous les éditeurs ne disposent pas d'une véritable alternative à Google Ads et que cette plateforme publicitaire doit être considérée comme un vecteur essentiel de trafic'pour une partie d'entre eux, à savoir ceux qui disposent d'une faible notoriété et veulent entrer ou se maintenir sur un marché de fourniture de services numériques (paragraphes 443 à 467).

253.L'Autorité retient en outre que la Règle sur la vente des articles gratuits peut conduire certains éditeurs à abandonner la fourniture de services payants au profit de modèles de revenus exclusivement fondés sur la commercialisation d'espaces publicitaires, activité dans laquelle Google intervient en qualité d'intermédiaire et détient une position dominante (paragraphe 469). Or, précise-t-elle, le fait qu'un service ou un contenu soit accessible gratuitement sur internet n'implique pas pour autant que sa commercialisation sous une forme payante soit dépourvue de « valeur ajoutée » pour le consommateur, par exemple en réduisant son exposition à la publicité ou en facilitant ou structurant l'accès des informations qui peuvent être éparpillées sur plusieurs sources sur internet (paragraphe 502).

254.L'Autorité estime par ailleurs qu'en n'étant ni objectives, ni transparentes, ni appliquées uniformément entre les annonceurs, les Règles pouvaient conduire Google à maintenir certains sites potentiellement nocifs pour le consommateur qui auraient dû être exclus de la plateforme et aussi évincer à tort des sites qui n'auraient pas pu prévoir de bonne foi qu'ils n'étaient pas en conformité avec les Règles (paragraphes 503 à 505).

255.Google soutient que la décision attaquée n'a pas démontré l'existence d'effets anticoncurrentiels ni sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches, ni sur les marchés situés en aval sur lesquels les annonceurs sont présents. Or, pour établir l'existence d'un abus de position dominante, l'Autorité était tenue de démontrer que les pratiques alléguées sont susceptibles de produire des effets anticoncurrentiels, au moins potentiels, sur les marchés prétendument affectés.

256.Google estime que l'analyse du dommage par la décision attaquée est en réalité entièrement abstraite. La décision ne démontrerait pas comment/par quels mécanismes les effets potentiels allégués auraient pu se produire sur les marchés. Selon elle, l'Autorité et le ministre, dans leurs observations, prétendent que la décision attaquée aurait montré que Google a indûment perçu des revenus publicitaires d'annonceurs « douteux » mais n'identifient aucun de ces annonceurs. Ils n'indiquent pas s'ils considèrent que Gibmedia ou Amadeus faisaient partie des acteurs « douteux » et donc s'ils ont été suspendus à raison. N'aurait de surcroît été identifié aucun annonceur fournissant des services « innovants » ou « présentant de la valeur ajoutée pour les utilisateurs », ou simplement qui respectait les Règles, et qui aurait été indûment suspendu.

257.S'agissant du marché en ligne lié aux recherches, la décision attaquée mettrait en avant des effets qui ne se rapporteraient pas directement à l'abus d'exploitation retenu, à savoir la mise en oeuvre des Règles de manière aléatoire et incohérente. De plus, elle ne démontrerait pas que les annonceurs « malveillants » maintenus sur Google Ads placent des enchères supérieures à celles des annonceurs respectant les Règles, contraignant ainsi ces derniers à devoir augmenter les montants de leurs enchères pour être affichés parmi les liens commerciaux. Au contraire, la décision attaquée affirme que les nouveaux entrants ou acteurs sans notoriété ne disposent pas de véritable alternative à Google Ads, ce qui devrait les conduire à placer des enchères élevées. L'Autorité ne démontrerait pas non plus que des annonceurs « de bonne foi » perdent des enchères face à des annonceurs violant les Règles. Enfin, elle ne démontrerait pas en quoi le maintien d'annonces malveillantes, non suspendues, serait susceptible de perturber le fonctionnement concurrentiel du marché de la publicité en ligne liée aux recherches. Selon Google, le phénomène d'ad blindness ne saurait être utilisé au soutien de cette théorie dès lors que Google en est la première victime, ses revenus publicitaires étant liés au nombre de clics sur les annonces.

258.S'agissant des marchés aval affectés, qui n'auraient au demeurant pas été définis précisément, Google fait valoir, premièrement, que la décision attaquée surestime largement l'importance de Google Ads et ne démontre pas concrètement en quoi le service Google Ads constitue un vecteur essentiel et encore moins un facteur décisif de concurrence.

259.Google soutient que l'Autorité n'a pas répondu à l'étude économique qu'elle a produite et qui montre que les clics sur des liens payants de Google Ads ne représentent qu'une part minimale du trafic sur chacun des marchés (services d'annuaires, d'information météorologique et d'information juridique et économique sur les entreprises), la grande majorité provenant du référencement naturel.

260.Elle fait valoir tout d'abord que le fait que la totalité ou quasi-totalité du trafic à destination des sites appartenant à des grands groupes soient issues d'autres sources que les services de Google démontre que l'accès à Google Ads n'est pas un facteur essentiel de la concurrence sur ces marchés. Ensuite, l'Autorité ne lui parait pas fondée à exclure de son analyse les requêtes dites de navigation, car il est nécessaire de prendre en compte toutes les sources de trafic, comme le fait l'étude. Au demeurant, le volume de clics résultant des requêtes de navigation est notamment lié à la force de la marque d'un éditeur et à la qualité de ses services, qui sont des paramètres de la concurrence sur les marchés. Enfin, Google soutient que les données figurant dans la décision attaquée sont fortement biaisées par la présence des sites édités par Gibmedia, qui seraient les seuls à dépendre de façon aussi forte de Google Ads et qui ne sont aucunement représentatifs du marché. En reproduisant les calculs de la décision attaquée mais en excluant ces sites et ceux des autres annonceurs, les données montreraient que Google Ads ne représente qu'une part très modérée du trafic reçu par les sites actifs sur ces marchés, et ce y compris pendant la phase de lancement et de croissance de ces sites.

261.Google souligne qu'il ressort de la note produite par un autre cabinet économique à l'appui du recours que la décision attaquée ne démontre aucun lien de causalité entre la croissance du trafic d'un site et l'utilisation de Google Ads, seule une corrélation entre ces deux variables étant susceptible d'être mise en évidence. Elle ajoute que cette allégation n'est en outre pas vérifiée ; par exemple, le trafic sur le marché de l'information météorologique a fortement augmenté en 2012 et 2013 alors que la proportion de clics payants est restée faible. En outre, le rôle supposé de Google Ads pour les nouveaux entrants serait spécifique aux sites dont le référencement sur Google Ads a été suspendu. Ces sites ne seraient en effet en aucune façon représentatifs du marché, car ils avaient la particularité de générer l'intégralité de leur trafic via Google Ads, même après plusieurs années d'existence, ce qui selon Google est logique s'agissant de sites qui n'apportent aucune valeur ajoutée réelle et reposent sur des pratiques publicitaires trompeuses.

262.Deuxièmement, Google soutient que la décision attaquée ne démontrerait pas que la mise en oeuvre des Règles était susceptible de décourager l'innovation et de favoriser certains annonceurs. Elle n'expliquerait pas par quels mécanismes, et dans quelle mesure, la définition et l'application des Règles a pu décourager l'innovation. En outre, elle ne fournit aucune explication au-delà de l'exemple de la vente des articles gratuits. Au demeurant, il serait irrationnel pour Google de chercher à restreindre l'innovation. Elle a tout intérêt à attirer le plus grand nombre de sites innovants possibles pour pouvoir répondre au mieux aux requêtes de ses utilisateurs et ainsi, accroître l'attractivité de sa plateforme publicitaire et de son moteur de recherche.

263.Google expose que la dépendance totale de Gibmedia à Google Ads, laquelle ressort de la note économique qu'elle a produite à l'appui de son recours, confirme que ces sites n'offraient aucun service répondant aux attentes des consommateurs et ne pérennisaient leur activité qu'au moyen de stratagèmes publicitaires peu scrupuleux, le mode opératoire des sociétés de ce groupe consistant généralement à faire payer les utilisateurs à leur insu pour une information ou un service qui n'a pas ou peu de valeur ajoutée ou qui est fictif.

264.Troisièmement, Google soutient que l'application des Règles n'a pas pu favoriser certains annonceurs au détriment d'autres, faussant la concurrence sur le marché aval. L'étude économique qu'elle fournit dans le cadre du recours démontre, selon elle, que les annonceurs dont les comptes Google Ads n'ont pas été suspendus, n'auraient bénéficié d'aucun report de trafic depuis les sites Gibmedia et autres annonceurs dont les comptes Google Ads ont été suspendus. La décision attaquée reconnaît d'ailleurs que les marchés prétendument affectés sont particulièrement concurrentiels et caractérisés par la présence de nombreux acteurs importants et de nouveaux entrants de petite taille.

265.L'Autorité demande que les arguments de Google tendant à remettre en cause les effets concurrentiels caractérisés dans la décision attaquée soient écartés.

266.S'agissant des effets de la pratique sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches, elle fait valoir que la décision attaquée démontre qu'en n'étant ni objectives, ni transparentes, ni appliquées uniformément entre les annonceurs, les Règles pouvaient conduire Google à maintenir certains sites potentiellement nocifs pour le consommateur qui auraient dû être exclus de la plateforme et aussi à évincer à tort des sites qui n'auraient pas pu prévoir de bonne foi qu'ils n'étaient pas en conformité avec les Règles (paragraphes 503 à 505).

267.Elle ajoute que les paragraphes 436 et 437 de la décision attaquée expliquent en quoi le maintien d'annonceurs violant les Règles était susceptible d'altérer la mise en concurrence des annonceurs dans le cadre du système d'enchères de Google Ads en conduisant, soit à une inflation artificielle des prix des annonces sur Google Ads au détriment des annonceurs respectant les Règles, soit à ce que des annonceurs respectant les Règles perdent des enchères face à des annonceurs ne les respectant pas.

268.Il était selon elle d'autant moins nécessaire de démontrer des effets réels des pratiques que, dans son mémoire, Google ne produit aucun élément montrant que ces effets potentiels n'existeraient pas ou pourraient être contrebalancés par d'autres effets.

269.S'agissant, en second lieu, des effets sur les marchés connexes, l'Autorité renvoie, premièrement, à la démonstration figurant dans la décision attaquée aux paragraphes 443 et suivants, et fait valoir que la plateforme Google Ads est incontournable pour les nouveaux entrants ou les acteurs sans notoriété qui n'apparaissent pas de manière visible sur Internet.

270.Elle fait valoir que contrairement à ce que soutient Google, le fait que la plateforme Google Ads ne joue pas un rôle essentiel pour tous les acteurs des marchés connexes, en particulier les acteurs adossés à un grand groupe qui disposent déjà d'une forte notoriété, ne permet pas de déduire que les Règles régissant les services Google Ads et leurs modalités d'application ne peuvent pas avoir d'effets sur ces marchés. En effet, l'analyse des alternatives à Google Ads pour les éditeurs (référencement naturel sur Google, référencement naturel sur d'autres moteurs de recherche, développement des visites directes pour développer leur trafic) montre que l'optimisation du référencement naturel n'est de fait pas réalisable pour tous les éditeurs de sites simultanément. Le constat selon lequel il n'existe pas, pour certains sites, d'alternatives à Google Ads est corroboré, selon elle, par le fait que plusieurs des sites dont les comptes Google Ads ont été suspendus ont connu de fortes diminutions de trafic, ce qui confirme leur difficulté à trouver des sources alternatives de trafic. En réponse à l'étude économique de Google, elle relève que la décision attaquée a par ailleurs souligné qu'une proportion significative des sites non adossés à des grands groupes a recouru de façon intensive au référencement payant dans les trois secteurs concernés par l'étude économique sur la période 2004-2018. Selon l'Autorité, Il n'y a donc pas de contradiction entre le constat de l'importance de Google Ads pour générer du trafic pour une partie seulement des acteurs présents sur des marchés aval et celui de la potentialité d'effets anticoncurrentiels sur ces mêmes marchés.

271.L'Autorité considère qu'il était pertinent, contrairement à ce que soutient Google, d'exclure de l'analyse, d'une part, les sites internet appartenant à un grand groupe qui disposent déjà d'une forte notoriété et, d'autre part, les requêtes dites de navigation. En effet, selon elle, pour apprécier les proportions relatives de clics payants et de clics gratuits et donc l'influence et le poids de Google Ads sur chacun des marchés en cause, il n'y a pas lieu de prendre en compte les sites appartenant à des grands groupes dont la situation est très spécifique et peu reproductible par des acteurs de taille plus modeste. Cette exclusion est d'autant plus justifiée, précise-t-elle, que les calculs réalisés par Google dans son étude économique et repris par la décision attaquée consistent en la réalisation de moyennes des taux de clics payants par site, pondérées par le trafic reçu par chaque site. Le maintien de sites particulièrement renommés et recueillant un grand nombre de clics gratuits pourrait conduire à minorer artificiellement l'importance de Google Ads pour des sites ne recevant qu'un nombre de visites, payantes ou gratuites, très inférieur.

272.De plus, s'agissant de l'exclusion des requêtes de navigation, elle estime que, si la qualité de service peut jouer un rôle sur la fréquence des requêtes, puisque la fidélisation qu'elle permet peut se traduire par de telles requêtes, d'autres paramètres affectent vraisemblablement cette fréquence, au premier rang desquels la notoriété du site ou de son éditeur. Il ne peut donc être considéré, contrairement à ce que suggère Google, que tous les éditeurs seraient sur un pied d'égalité pour obtenir des requêtes de navigation. En outre, Google ne conteste pas l'argument de la décision attaquée selon lequel l'inclusion des requêtes de navigation dans l'analyse des clics payants et gratuits serait peu pertinente pour apprécier les moyens dont disposent les sites Internet pour conquérir de nouveaux clients. En tout état de cause, elle précise ne pas avoir été en mesure d'exclure les clics payants provenant des requêtes de navigation dans les graphiques figurant dans la décision attaquée, faute de données disponibles, de sorte que son calcul du poids de Google Ads dans l'acquisition de clientèle a été minoré.

273.Enfin, l'Autorité s'appuie sur une note économique confidentielle qu'elle annexe à ses écritures, pour soutenir que le retraitement proposé par Google, consistant à exclure de l'analyse les sites de la saisissante, est dépourvu de justifications.

274.Deuxièmement, l'Autorité fait valoir que les acteurs pour lesquels la plateforme Google Ads est un vecteur essentiel pour entrer ou se maintenir sur un marché de fourniture de services numériques peuvent contribuer à animer la concurrence sur internet, à tout le moins en diversifiant l'offre proposée aux internautes, mais aussi, pour certains, en proposant des services innovants, répondant à certaines préférences des internautes ou de meilleure qualité par rapport à ceux qui sont affichés dans les premiers résultats de la page de recherche de Google. Elle renvoie, s'agissant des effets potentiels affectant l'émergence de nouveaux modèles et l'innovation, aux paragraphes 311, 468, 501 et 502 de la décision attaquée.

275.Troisièmement, l'Autorité observe qu'il a déjà été répondu aux arguments de Google sur reports de trafic intervenus suite aux suspensions de certains sites dans le rapport, au paragraphe 322.

276.Elle déduit de l'ensemble de ces développements qu'elle a démontré à suffisance de droit l'existence d'effets anticoncurrentiels liés aux pratiques de Google.

277.Le ministre chargé de l'économie estime que les effets cités par la décision attaquée sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches ont un rapport direct avec l'abus d'exploitation découlant de la définition et de l'application inéquitable des Règles Google Ads au sens de l'article 102, a) du TFUE. Il partage aussi le point de vue de l'Autorité s'agissant des marchés avals ou connexes, estimant que les effets affectent des secteurs particulièrement sensibles aux offres malveillantes, qui découragent les opérateurs sérieux et détournent les internautes des offres fiables. Les effets sont démontrés au-delà des seuls sites opérés par Gibmédia, correspondant à des secteurs particuliers, tel que celui des annuaires en ligne, où certains opérateurs aux pratiques similaires ont été traités de manières différenciées.

278.Le ministre considère que la démonstration de l'importance du service Google Ads pour les annonceurs de faible notoriété est faite à suffisance de droit aux paragraphes 442 à 467 de la décision attaquée. Il souligne que cette dernière a relevé, pour démontrer que le service Google Ads est un vecteur essentiel pour les annonceurs de faible notoriété, le caractère incontournable du recours au service Google Ads pour les sites dont la notoriété est faible et dont l'entrée sur le marché est récente, le référencement payant étant plus employé par les éditeurs dans les premières années du lancement de leur site internet. Elle a aussi mis en exergue, dans le domaine des services d'annuaires en ligne, l'exemple de la société Amadeus, nouvel entrant qui a connu une forte croissance en recourant au service Google Ads au point de rattraper rapidement un opérateur bénéficiant de la notoriété de l'ancien opérateur historique des renseignements téléphoniques en France (le site 118712.fr, édité par Orange). Elle a observé que plusieurs sites, dont les comptes Google Ads ont été suspendus, ont connu une forte diminution de leur trafic. Elle a relevé que le contrat d'acquisition de la société Écométrie prévoyait une réduction du prix d'achat en cas de coupure de tout ou partie de ses comptes Google Ads pendant une durée de 60 jours, cette clause montrant l'importance qu'accordaient l'acquéreur et le vendeur au maintien des comptes Google Ads de cette entreprise.

279.Le ministre fait valoir qu'il n'y a pas lieu, en outre, de prendre en compte les clics relatifs au référencement naturel et les requêtes de navigation, ces éléments n'étant pas pertinents pour apprécier le poids de Google Ads. Le référencement naturel n'est en effet accessible qu'à une partie restreinte des sites ayant les moyens de développer leur visibilité et parce que les requêtes de navigation sont formulées par les internautes ayant une connaissance préalable du site à visiter.

280.Le ministère public développe une argumentation similaire.

281.Amadeus observe que l'Autorité a déjà estimé, dans sa décision n° 10-MC-01 précitée, que le manque de transparence et d'objectivité ainsi que l'application discriminatoire des politiques Adwords par Google sont susceptibles d'avoir des effets anticoncurrentiels (paragraphe 240).

282.Elle soutient qu'en l'espèce, le refus systématique de la publication d'annonces d'Amadeus par Google, alors que les annonces de ses concurrents directs étaient publiées, a eu pour conséquence la baisse immédiate du volume des appels vers les numéros exploités par Amadeus et partant la baisse de son chiffre d'affaires et de ses profits. Elle en déduit que la distorsion de concurrence est manifeste, d'autant que les pratiques ont eu un effet sur l'un des opérateurs importants du marché des renseignements téléphoniques (deuxième opérateur en 2017).

283.Amadeus ajoute que Google Ads constitue un outil particulièrement incontournable pour les fournisseurs de renseignements téléphoniques. Aucune solution de promotion n'est comparable en terme d'efficacité rapportée aux coûts. Les solutions de promotion traditionnelle sont plus onéreuses. Elle indique avoir essayé de publier des annonces sur d'autres moteurs de recherches ou plateformes en ligne comme Bing ou Facebook, mais ces annonces n'ont donné aucun résultat sur son chiffre d'affaires. Elle estime que les constats d'huissier en date des 4 septembre et 2 décembre 2020 qu'elle produit (pièces 53 et 54) démontrent qu'il s'agissait d'annonces similaires à celles constatées sur le moteur de recherche Google.

284.Gibmedia fait valoir que nul ne peut plus aujourd'hui pratiquer le e-commerce sans Google. Cet opérateur est un mode d'accès utilisé par 90'% des internautes et une entreprise du e-commerce ne peut exister si elle n'a pas accès à adWords sur internet. L'effet anticoncurrentiel de la pratique est absolu puisqu'il entraîne la fermeture du marché global du e-commerce à l'acteur évincé. Elle estime être dans ce cas puisque ses services sont exclusivement en ligne, de sorte qu'il n'existe pas d'autre circuit de distribution qu'internet.

Sur ce, la Cour,

285.Il résulte d'une jurisprudence européenne constante, rendue au visa de l'article 102 du TFUE, qu'« il n'est pas nécessaire de démontrer que l'abus considéré a eu un effet concret sur les marchés concernés ». Il suffit, à cet égard, de démontrer que le comportement abusif est « de nature ou susceptible d'avoir eu un effet » anticoncurrentiel (arrêts du TUE du 17 décembre 2003, British Airways, C-322/81, paragraphe 293, du 3 septembre 2003, Michelin II, T-203/01, paragraphe 239 et du 9 septembre 2010, Torma T-155/06, paragraphe 289).

286.Ainsi, s'il est nécessaire de démontrer l'existence d'un effet anticoncurrentiel au moins potentiel, la preuve d'une perturbation effective et quantifiable du fonctionnement des marchés concernés n'a pas à être rapportée.

287.S'agissant, en premier lieu, des effets des pratiques sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches, la Cour estime que l'investissement publicitaire des annonceurs qui se conforment aux Règles a été, à tout le moins potentiellement, perturbé par l'application non équitable et discriminatoire des Règles, qui a conduit à la suspension aléatoire de certains sites et au maintien d'annonceurs qui ne respectaient pas les Règles, voire, selon la formule utilisé par Google en juin 2014 (cote 928) qui se trouvaient « en zone grise ».

288.L'acquisition d'espaces publicitaires sur Google Ads repose sur un système d'enchères entre les annonceurs sur des mots clés. Ces espaces s'affichent sur les pages des résultats d'une recherche incluant ces mots clés et génèrent ainsi un trafic sur leur site, ces visites sur leur site constituant une source de revenus issus de la vente de biens ou de services et/ou des revenus publicitaires. La mise en oeuvre inéquitable des Règles a permis à des annonceurs qui ne les avaient pas respectées de se maintenir sur la plateforme et partant, de participer à ce système enchères, ce qui a nécessairement faussé le résultat de celles-ci.

289.La participation à ces enchères des annonceurs n'ayant pas respecté les Règles est susceptible d'avoir entraîné, ainsi que l'a à juste titre retenu la décision attaquée, une hausse artificielle des prix à l'égard de ceux qui ont respecté les règles puisque ces derniers sont amenés potentiellement à surenchérir sur des enchères faites par des annonceurs qui auraient dû en être exclus et qu'ils peuvent, en outre, perdre un espace publicitaire pour lequel un annonceur ne respectant les Règles a pu surenchérir.

290.L'Autorité a ainsi démontré à suffisance l'effet potentiel qu'elle a identifié, en lien direct avec l'abus reproché, c'est à dire, la définition et l'application inéquitables des Règles, et ce, sans qu'il soit nécessaire de démontrer concrètement que les enchères placées par des annonceurs maintenues à tort dans le système avaient entraîné une augmentation des prix ou une perte de placement publicitaire par les annonceurs de bonne foi, contrairement à ce que soutient Google.

291.Aucune définition du site malveillant n'étant donnée par Google, et la « zone grise » dépendant elle aussi de l'appréciation discrétionnaire de Google, l'Autorité n'avait pas non plus, à rechercher si, selon sa propre analyse, tel ou tel annonceur nommément désigné était ou non de bonne foi, et s'il avait ou non promu un site devant être considéré comme malveillant ou douteux.

292.À titre surabondant, la Cour observe qu'en l'absence de prévisibilité des Règles et de certitude sur la conformité des sites, les conditions d'application de ces Règles ont été de surcroît de nature à conduire à la suspension de sites d'annonceurs de bonne foi, qui auraient pu participer aux enchères, obtenir des visites supplémentaires à l'origine d' un trafic générant des revenus issus de la vente de services et/ou des revenus publicitaires et impacter de manière plus globale la mise en concurrence des annonceurs dans le cadre des enchères.

293.Enfin, c'est à juste titre que l'Autorité a retenu, au paragraphe 438, que l'investissement publicitaire des annonceurs qui se conforment aux Règles a pu être perturbé, au moins potentiellement, par l'exposition des internautes à des annonces renvoyant sur des sites malveillants. La réputation de l'ensemble des annonceurs vendant des services similaires à ceux recherchés par l'utilisateur lors de la formulation de ses mots clés est susceptible d'en avoir été affectée. Les internautes ont pu être dissuadés de recourir à des annonces Google Ads lors d'achats de services analogues dans le futur, de peur d'être exposés de nouveau à des désagréments.

294.Qu'un tel effet puisse porter préjudice à Google, en raison d'un nombre de clics potentiellement plus réduit par annonce et donc de revenus publicitaires moins importants, n'empêche pas que puisse exister parallèlement un impact sur les annonceurs. Ces derniers, bien qu'ayant exposé des coûts importants pour développer leur site et s'assurer une visibilité, sont en effet susceptibles de ne pas avoir pu bénéficier d'un retour sur investissement en proportion, en raison de la désaffection d'une partie des internautes (voir à cet égard paragraphe 135 du présent arrêt).

295.S'agissant, en second lieu, des effets sur les marchés connexes, il doit être observé, à titre liminaire, que la jurisprudence admet qu'une entreprise en position dominante sur un marché donné puisse se voir reprocher un abus dont les effets affectent d'autres marchés, dès lors que le marché sur lequel elle exerce une domination et les marchés sur lesquels l'abus déploie ses effets revêtent un lien de connexité suffisant (CJUE, 6 mars 1974, Instituto Chemioterapico Italiano, C-6/73, paragraphe 22 ; 3 octobre 1985, Centre belge d'études de marché, C-311/84, paragraphe 26).

296.En l'espèce, cette connexité est caractérisée sur des marchés avals, en raison de l'offre particulière de publicité lorsqu'elle est associée aux recherches des internautes. En effet, une annonce de publicité ne consiste pas « que ce soit dans les trois secteurs d'activité concernés par la saisine de Gibmedia, dans les secteurs des autres services évoqués paragraphes 225 et 440 de la décision attaquée, et plus généralement dans les marchés liés à la fourniture d'informations et à la commercialisation de services numériques proposés par des sites » à mettre directement en avant un produit ou une marque, comme le font les offres de publicité en ligne non associées aux recherches. L'annonce vise à promouvoir le site internet d'un éditeur en vue de réaliser une transaction, par l'affichage de liens commerciaux sur la première page des résultats de recherches des internautes. La commercialisation ou le succès du lancement de services numériques proposés par les éditeurs qui veulent développer le trafic de leurs sites internet dépend donc des mots-clés sélectionnés. Les pratiques de Google sont ainsi susceptibles de produire des effets sur l'ensemble des marchés où interviennent ces éditeurs.

297.En conséquence, il n'y a pas lieu, pour démontrer les effets des pratiques, de définir de manière exhaustive l'ensemble des marchés avals connexes au marché de la publicité en ligne liée aux recherches.

298.Au soutien de son moyen contestant l'existence d'effets sur les marchés avals, Google allègue, premièrement, que l'importance de Google Ads est largement surestimée.

299.Cependant, l'Autorité démontre à juste titre, dans la décision attaquée, que Google Ads est un vecteur essentiel pour certains sites à faible notoriété qui souhaitent entrer ou se maintenir sur le marché.

300.Elle relève tout d'abord que les alternatives à Google Ads pour augmenter le trafic des sites internet présentent des particularités qui en limitent la pertinence pour les annonceurs et, à tout le moins, leur caractère substituable à Google Ads. Des études sur le comportement des internautes ont montré que le taux de clics sur la première page est extrêmement majoritaire, alors que la première page de résultats n'affiche que dix liens. Plus encore, le taux de clics diminue rapidement sur la première page elle-même': selon les études en question, les trois premiers liens sont ainsi au moins 3 fois plus visités que les 3 liens suivants. En outre, selon une étude de juin 2017 (cote 43), près de la moitié ' 45 % ' des internautes qui utilisent le moteur de recherches Google cliquent le plus souvent sur les résultats sponsorisés par Google Ads (et non pas sur les liens, gratuits pour les éditeurs, correspondant au référencement naturel) et la proportion de ceux qui ne cliquent jamais sur les liens commerciaux Google Ads n'est que de 20 %. Par ailleurs, la fréquentation des moteurs de recherche alternatifs est faible et les visites directes nécessitent des investissements importants et prolongés dans le temps, consacrés à d'autres formes de publicité que la publicité liée aux recherches, ces dernières ne présentant pas de surcroît l'intérêt de toucher des internautes dans une démarche de recherche active permettant de générer des ventes immédiates (voir paragraphes 447 à 452 de la décision attaquée).

301.Comme l'a justement relevé l'Autorité au paragraphe 444 de la décision attaquée, l'un des rôles de Google Ads est au demeurant de générer du trafic pour les nombreux sites peu visibles, ainsi que l'observe l'un des directeurs de clientèle de Google entendus lors de l'instruction.

302.Ces données, bien que non spécifiques aux marchés avals, permettent à l'Autorité de procéder à une analyse concrète du rôle joué par Google Ads pour permettre à certains sites à faible notoriété d'entrer ou de se maintenir sur le marché. Ce rôle majeur est en outre illustré par plusieurs exemples de sites évoqués au dossier, ceux développés par Gibmedia et Amadeus, mais aussi notamment par Audiovox Econometrie, Links Lab et Ace Telecom (voir paragraphes 446 et 452 de la décision attaquée).

303.En revanche, ainsi qu'il est exposé à raison au paragraphe 455 de la décision attaquée, la situation des sites appartenant à des grands groupes est spécifique. De tels sites peuvent en effet, en s'appuyant sur les moyens de leur groupe, optimiser plus aisément le référencement naturel ou développer leur notoriété via, par exemple, la publicité hors ligne, de sorte qu'il leur est plus facile de se passer du référencement payant.

304.Pour autant, le fait que la plateforme Google Ads ne joue pas un rôle essentiel pour tous les acteurs des marchés connexes, en particulier les acteurs adossés à un grand groupe qui disposent déjà d'une forte notoriété, ne permet pas de déduire que les Règles régissant les services Google Ads et leurs modalités d'application ne peuvent pas avoir d'effets sur ces marchés. Le constat selon lequel le service Google Ads est un vecteur essentiel pour les acteurs sans notoriété présents sur des marchés avals ou dont l'entrée sur le marché est récente suffit à caractériser la potentialité d'effets anticoncurrentiels sur ces mêmes marchés.

305.L'étude économique versée le 19 septembre 2019 par Google en annexe de ses observations en réponse au rapport conteste ce constat, en procédant à une analyse des clics d'utilisateurs sur les marchés des services d'annuaires, des informations météorologiques et des informations sur les entreprises, mais il convient d'observer qu'elle pose d'importantes questions de méthodologie qui ne sont pas corrigées par l'étude complémentaire du 10 juillet 2020 produite à l'appui du recours.

306.En effet, l'étude a calculé la proportion de clics payants et gratuits en considérant l'ensemble des requêtes effectuées par les internautes sur le moteur de recherche Google. Ce faisant, elle a pris en compte les requêtes dites de navigation pour lesquelles l'internaute tape le nom d'un site afin de pouvoir, via le moteur de recherche, cliquer sur son adresse précise. Or, ces requêtes ne sont pas pertinentes pour apprécier les moyens de conquête d'un client, car l'utilisateur effectuant une requête dite de navigation connaît déjà le site sur lequel il veut aller. Il ne peut être considéré, en outre, comme le suggère Google, que tous les éditeurs seraient sur un pied d'égalité pour obtenir des requêtes de navigation, car leur fréquence est en grande partie liée à la notoriété du site ou de son éditeur. Enfin, l'argument de Google selon lequel le volume de ces requêtes serait généralement lié à la qualité des services n'est pas plus étayé dans la première que dans la seconde étude.

307.De surcroît, ces études fondent leur analyse sur des données collectées sur une période de près de 15 ans, d'une part, et ne prennent pas en compte les sites de Gibmedia et des autres annonceurs exclus de Google Ads, d'autre part, en ne présentant pourtant aucune justification sérieuse permettant de retenir ces postulats. Il s'en déduit que les constats posés par l'Autorité aux paragraphes 458 à 461 la décision attaquée ne sont pas utilement critiqués par ces études.

308.Enfin, s'agissant du lien de causalité entre le référencement sur Google Ads et la croissance du trafic des sites et sur le rôle de Google Ads dans les premières années des sites, les éléments avancés par Google dans l'étude économique complémentaire du 10 juillet 2020 sont contredites de façon pertinente par l'Autorité dans sa note économique confidentielle du 11 janvier 2021. Il y est relevé, notamment, que Google étaye'l'absence de causalité alléguée en s'appuyant sur des chiffres qui, pour les besoins de la démonstration, prennent en compte les sites de Gibmedia (météo), ou les excluent (informations sur les entreprises), cette instabilité des modes de calcul utilisés leur conférant un caractère arbitraire et opportuniste. Par ailleurs l'analyse économique de Google ne tient pas compte du fait que les clics payants ont pu générer les années suivantes des clics sur les liens naturels d'un domaine web, alors que c'est le cas pour d'autres sites.

309.Il s'en déduit que tant pour les sites d'informations météorologiques'que pour les sites d'information sur les entreprises, la part des clics payants a été bien plus importante en période de lancement et de croissance des sites qu'après. En outre, les taux de clics payants sont toujours substantiels au-delà de l'année de lancement des sites, et ce même dans l'hypothèse, injustifiée, où l'on exclut les sites de Gibmedia et où l'on inclut les sites des grands groupes.

310.Il s'en suit que les figures présentées par Google dans les études économiques qu'elle a produites ne sont pas pertinentes pour apprécier le rôle joué par Google dans l'animation concurrentielle des marchés avals. Les données collectées confirment l'importance de Google Ads pour une partie des sites internet, ce qui suffit à caractériser la potentialité d'effets anticoncurrentiels sur ces mêmes marchés.

311.Deuxièmement, Google allègue que la définition et l'application des Règles ne dissuadent pas l'innovation.

312.Cependant, il doit être constaté que l'incertitude entourant la définition et l'application des Règles a pu influencer des annonceurs dans la construction de leur modèle économique, ces derniers pouvant être dissuadés de proposer certains services potentiellement innovants aux internautes de crainte qu'ils soient interdits par les Règles, alors que ces services ne présentent pas nécessairement de risques pour les internautes ou répondent à certaines de leurs préférences. À titre préventif, ces éditeurs de sites ont pu privilégier, de ce fait, la reproduction ou la continuation des services déjà existants sur les trois secteurs concernés par la saisine ou sur les autres marchés liés à la fourniture d'informations. L'incertitude a ainsi diminué les incitations des annonceurs à lancer des modèles d'activité innovants qui pouvaient risquer d'être jugés non conformes aux Règles, ce qui a eu pour effet potentiel de réduire la diversité de l'offre.

313.C'est de façon justifiée que la décision attaquée fait référence à cet égard aux modèles économiques dans le cadre desquels l'internaute accepte de payer pour accéder à un contenu en contrepartie d'une moindre exposition à la publicité dite display (les bannières publicitaires notamment), voire d'une transmission moindre de données personnelles (paragraphe 468).

314.L'Autorité évoque aussi valablement un effet dissuasif potentiel sur les éditeurs de sites, notamment innovants, qui développent des modèles reposant sur la facturation des utilisateurs et qui sont susceptibles d'être concernés par le Règle sur la vente d'articles gratuits.

315.Le fait qu'un service ou un contenu soit accessible gratuitement sur internet n'implique pas pour autant que sa commercialisation sous une forme payante soit dépourvue de « valeur ajoutée » pour le consommateur, par exemple en réduisant son exposition à la publicité ou en facilitant ou structurant l'accès des informations qui peuvent être éparpillées sur plusieurs sources sur internet. Or ainsi qu'il a déjà été évoqué aux paragraphes 227 et suivants du présent arrêt, cela n'a pas été la position de Google à l'égard par exemple, en 2013, du site d'annuaire de La Poste, pourtant considéré par l'ARCEP, SVA+ (l'association des services à valeur ajoutée) et le GESTE (Groupement des éditeurs) comme ayant une valeur ajoutée pour le consommateur.

316.La circonstance que des annonceurs renoncent à lancer des modèles d'activité innovants mais payants, et susceptibles à ce titre d'être sanctionnés pour violation de la Règle sur la vente d'articles gratuits, est de surcroît de nature à favoriser indirectement le recours à l'intermédiation publicitaire, marché sur lequel Google est actif. Définir une Règle susceptible de favoriser les sites fondés sur le modèles de la gratuité à l'égard des internautes 'exposés corrélativement à de la publicité , et de défavoriser en conséquence les sites reposant sur une facturation des utilisateurs, n'est donc pas dépourvu de rationalité économique.

317.L'Autorité a ainsi démontré à suffisance l'effet potentiel de diminution des incitations des éditeurs de sites à lancer des modèles d'activités innovants, qu'elle a identifié.

318.Google conteste, troisièmement, que l'application des Règles ait pu favoriser certains annonceurs au détriment d'autres.

319.Cependant, l'existence d'effets anticoncurrentiels causés par les pratiques est établie dans le secteur des annuaires en ligne, la preuve de différences de traitement entre opérateurs comparables dans ce secteur étant rapportée ainsi qu'il a été exposé aux paragraphes 233 à 235 du présent arrêt. Il doit de surcroît être observé que l'étude économique du 19 septembre 2019, à laquelle Google se réfère pour sa démonstration, ne permet pas d'isoler les effets des pratiques de la tendance naturelle du trafic vers les sites non suspendus. De plus, l'analyse des éventuels reports des clics payants des sites suspendus vers quelques autres acteurs présents sur les marchés (les sites d'Orange, de Meteoconsult, d'Infogreffe, de La Poste') n'est pas pertinente, car ces reports de clics ont vocation à être dispersés sur l'ensemble des concurrents sur les marchés concernés et seront donc naturellement faibles.

320.Par ailleurs, le comportement de Google a également eu un effet négatif sur les utilisateurs, dès lors que la définition et l'application inéquitables des Règles n'ont pas permis d'exclure'des sites potentiellement nocifs pour le consommateur.

321.Les Règles, telles qu'elles sont conçues et appliquées, ne permettent pas d'éviter la création et le développement de sites qui vendent des services normalement gratuits à des prix abusifs, avec des conditions de facturation complexes, sans fournir de valeur ajoutée pour le consommateur, dans la mesure où le coût d'entrée de ce type de sites est non significatif et que leur recherche de profit est « court-termiste ». Les pratiques de Google ne permettent donc pas de supprimer efficacement du résultat des recherches des internautes les sites « malveillants », notamment ceux qui leur vendent des services que les utilisateurs ne pensaient pas payants quand ils ont lancé leur recherche, ou qui ne les informent pas clairement de leur prix. Au contraire, certains de ces sites ont pu bénéficier d'un accompagnement personnalisé des équipes commerciales de Google pour se développer sur Google Ads, qu'il s'agisse de sites ayant déjà fait l'objet de suspensions préalables en raison de manquements aux Règles (voir paragraphes 224 à 236 de la décision attaquée) ou de services numériques ayant fait l'objet d'une mise en garde par les pouvoirs publics (voir paragraphes 237 à 247). La qualité de l'offre sur les marchés considérés s'en ressent, alors que l'application objective de Règles claires aurait pu inciter des sites innovants à se développer et donc avoir un effet vertueux sur les marchés.

322.Il résulte de l'ensemble des développements qui précèdent que les pratiques de Google ont comporté des effets anticoncurrentiels, à tout le moins potentiels, sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches mais également dans un certain nombre de marchés aval.

323.Le moyen est rejeté.

III. SUR LA DURÉE DE LA PRATIQUE ET SON IMPUTABILITÉ

A. SUR LA DURÉE DE LA PRATIQUE

324.L'Autorité retient, dans la décision attaquée, que l'infraction a débuté le 24 juillet 2012, date à laquelle Google aurait demandé au site annuaire.com, édité par une filiale de La Poste'd'inclure des liens hypertextes renvoyant à son propre service Google Maps, et a pris fin le 30 octobre 2018, date de l'envoi de la notification du grief (paragraphe 514).

325.Google soutient que la démonstration d'un abus d'exploitation n'est pas menée pour la totalité de la durée de l'infraction. Elle fait valoir que les faits à l'origine de la saisine de Gibmedia remontent au mois de janvier 2015 et que cette dernière ne faisait référence à aucune pratique antérieure. La décision attaquée étendrait artificiellement la durée des pratiques en retenant le 24 juillet 2012 comme date du début des pratiques, en s'appuyant sur le cas d'un seul annonceur, La Poste, qui ne s'est par ailleurs jamais plaint à l'Autorité.

326.L'Autorité aurait en outre fixé de manière arbitraire la fin de la pratique au mois d'octobre 2018, alors que Google avait pourtant déplacé l'interdiction de vente d'articles gratuits dans la rubrique « Autres activités soumises à restriction » en mars 2018, de sorte qu'une violation n'entraînait plus la suspension immédiate du compte de l'annonceur. Elle avait également modifié la définition de la Règle pour ne plus faire référence à la notion de produits ou services « normalement gratuits » et préciser que l'interdiction concerne le fait de « facturer des produits ou services alors que l'offre principale est disponible gratuitement, ou à un prix réduit, auprès d'une source gouvernementale ou publique ».

327.L'Autorité, le ministre chargé de l'économie et le ministère public soutiennent que la décision attaquée a démontré à suffisance de droit que le 24 juillet 2012 constitue la date du début des pratiques en raison d'une application discriminatoire de la Règle sur la vente des articles gratuits alors en vigueur, au détriment de l'éditeur du site annuaire.com. Ils estiment qu'il est également établi que la date de notification du grief constitue la date de fin du constat des pratiques, les modifications apportées à cette Règle en mars 2018 étant insuffisantes pour qu'il soit considéré que les pratiques ont cessé.

Sur ce, la Cour,

328.S'agissant du début des pratiques, il n'y a pas lieu, comme le sollicite Google, de retenir la date de suspension du compte de Gibmedia en 2015 pour violation de la Règle relative aux « Promotions indignes de confiance », car l'instruction a permis de mettre en évidence que sur une période antérieure, un ensemble de Règles visant notamment la vente d'articles gratuits et dont le contenu est selon Google équivalent, avait donné lieu à des pratiques similaires à celles dénoncées par Gibmedia.

329.L'Autorité a, dans la décision attaquée, ainsi relevé qu'en juillet 2012, Google a informé La Poste de la suspension des annonces Google Ads vers son site « annuaire.com » pour violation de la Règle sur la Vente d'articles gratuits et de services officiels (cote 3652). S'en sont suivis plusieurs échanges à l'issue desquels la solution retenue a été de rediriger l'internaute vers le service de cartographie Google Maps avec le numéro recherché, disponible gratuitement (cotes 1291 - 1292). Il s'agit du premier cas recensé au dossier de manque d'objectivité et de transparence des procédures de suspension de comptes appliquées par Google, pratique ayant le même objet et le même effet que celles dénoncées par Gibmédia.

330.L'Autorité, qui n'est pas liée par les demandes et qualifications de la partie saisissante, était donc fondée à retenir la date du 24 juillet 2012 correspondant aux pratiques révélées à l'égard du site annuaire.com édité par La Poste, ayant le même objet et le même effet que celles dénoncées dans la plainte de Gibmedia.

331.S'agissant de la fin des pratiques, ainsi que le retient à juste titre l'Autorité au paragraphe 519 de la décision attaquée, il doit être constaté que Google a modifié en mars 2018 la Règle relative aux Promotions indignes de confiance (devenues « comportements non fiables »), afin que celle-ci ne recouvre plus la Règle sur la vente d'articles gratuits et que sa violation n'entraîne plus la suspension immédiate d'un compte. Cette Règle a été réintroduite dans une autre rubrique de Règles dénommée « autres activités soumises à restriction ». Cependant, bien que son libellé ait été reformulé, elle ne répond toujours pas aux critères d'objectivité et de transparence, dans la mesure où sa portée demeure difficile à appréhender et ne permet pas de délimiter de manière précise la rubrique de services numériques qu'elle recouvre (voir paragraphes 20, 204 et 205 du présent arrêt).

332.Il s'en déduit que les pratiques étaient toujours mises en oeuvre à la date de la notification du grief, le 30 octobre 2018, date de fin de constat des pratiques.

333.Le moyen est rejeté.

B. SUR L'IMPUTABILITÉ DE LA PRATIQUE À GOOGLE FRANCE

334.Les pratiques ont, dans la décision attaquée, été imputées, en qualité d'auteurs, à Google Inc, Google Ireland, Google France (paragraphes 524 à 526). Seuls les motifs retenus contre cette dernière font l'objet d'une discussion, lesquels indiquent que Google France peut être impliquée dans les enquêtes présidant à la suspension des sites ou des comptes, et qu'elle l'a notamment été dans l'enquête interne concernant Gibmedia.

335.Google France soutient que le service Google Ads est exploité en Europe par la seule société Google Ireland Ltd, unique cocontractante des annonceurs et que le simple échange de courriels impliquant le département juridique de la société Google France pour organiser la venue d'huissiers de justice en vue de constater les violations des Règles par la société Gibmedia est insuffisant pour lui imputer les pratiques.

336.Elle observe que la saisine au fond de l'Autorité et la demande de mesures conservatoires formulée par la société Gibmedia ne visaient pas la société Google France, et que la décision de rejet de mesures conservatoires de l'Autorité dans la présente affaire, ainsi que les décisions de rejet de mesures conservatoires et d'engagements dans l'affaire Navx comme la décision de rejet n° 13-D-30 du 28 février 2013 dans l'affaire e-Kanopi ne mentionnaient pas non plus la société Google France. Elle fait aussi valoir que la cour d'appel de Paris, dans l'arrêt du 11 mai 2011 (RG n° 08/21207) a mis hors de cause la société Google France dans le cadre d'une affaire de concurrence déloyale concernant des annonces Google Ads, considérant que « la société Google France se (bornait) à intervenir en qualité de sous-traitant de la société Google Ireland et (n'était) en charge que d'une simple mission d'assistance auprès de la clientèle française ».

337.L'Autorité soutient que Google France n'a pas seulement participé à la procédure de suspension du site de Gibmedia. Elle a aussi organisé à plusieurs reprises des réunions de présentation des services de Google Ads dans ses locaux, notamment en juillet 2017 (cote 13456) et le 7 octobre 2016 (cote 13853), ce qui prouve que cette société a participé aux pratiques.

338.Le ministre chargé de l'économie s'en remet à la sagesse de la Cour pour apprécier s'il convient d'imputer le grief à la société Google France.

339.Le ministère public sollicite le rejet du moyen.

Sur ce, la Cour,

340.Google France, selon les informations communiquées par Google lors de l'instruction, « fournit des services marketing, de soutien aux ventes et de recherche et développement à d'autres entités Google installées hors de France. Google France n'a pas les droits pour gérer les produits et service Google en France. ».

341.Il ressort des conditions générales de publicité, inchangées sur ce point, que les annonceurs, pour utiliser le service Google Ads, contractent avec Google Ireland Ltd.

342.Les factures étaient en conséquence émises par Google Ireland Ltd, ainsi qu'il ressort des pièces versées.

343.Il est également établi que les annonceurs procédaient en général au règlement des factures par virement électronique sur le compte Citybank de Google Ireland Ltd ouvert à Dublin. En cas de paiement par chèque, un courrier devait être envoyé à Google Office, Cash Operations, à une adresse située à Cracovie en Pologne.

344.Les échanges avec les équipes du service d'assistance de Google, les équipes commerciales et les gestionnaires de compte avaient lieu, en français, de façon exclusivement virtuelle. Ne serait-ce que de manière indirecte (par exemple par l'adresse mail, par la référence à un lieu au cours des échanges ou par certaines indications dans la signature), les nombreux documents versés aux débats n'apportent toutefois pas de précisions sur les liens que les personnes composant ces équipes entretenaient avec Google France.

345.Il est constant, par ailleurs, que le libellé des Règles et les modalités de contrôle des annonceurs sont définies au niveau mondial par les « départements en charge de la conformité des publicités (...) placés sous la responsabilité du directeur juridique de Google » (réponse de Google à demande d'information du 34 février 2016 cotée 1473).

346.Eu égard aux éléments précités qui établissent le rôle très circonscrit de la filiale française, l'organisation ponctuelle de réunions de présentation des services de Google Ads dans les locaux de Google France et le rôle joué par le département juridique de Google France dans la venue d'huissiers de justice chargés d'établir des constats de violations des Règles, qui tendent à établir qu'elle se bornait à une simple mission d'assistance des entités auxquelles ont été reprochées les pratiques, ne permettent pas de retenir, comme l'a fait la décision attaquée, que les pratiques peuvent lui être imputées en qualité d'auteur.

347.Force est ainsi de constater que ne figure au dossier aucun élément permettant d'établir que Google France a pu participer à la définition des Règles et intervenir dans leur application discriminatoire.

348.Il convient donc de réformer la décision en ce qu'elle a dit que Google France a enfreint les dispositions des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE.

IV. SUR LES SANCTIONS PÉCUNIAIRES

349.Google soutient que la décision doit être annulée, et à défaut réformée, en ce qu'elle lui impose une amende de 150 millions d'euros qui ne serait ni justifiée, ni proportionnée.

A. SUR LE CARACTÈRE INÉDIT ALLÉGUÉ DE L'INFRACTION

350.Google fait valoir qu'aucune amende ne peut lui être infligée, en raison de l'imprévisibilité du caractère infractionnel de l'abus de position dominante reproché. Celui-ci, consistant en un abus d'exploitation par négligence en l'absence d'objet anticoncurrentiel ou d'avantage obtenu par l'entreprise en position dominante, serait inédit en droit français et européen de la concurrence.

351.Elle affirme ensuite que l'Autorité a sanctionné la société Google pour abus de position dominante du fait d'un défaut d'objectivité ou de transparence dans la rédaction et l'application de termes contractuels, alors que rien dans sa pratique décisionnelle ou celle de la Commission ne prévoyait une telle hypothèse. Cette théorie se distingue du choix opéré par l'Autorité dans ses décisions s'agissant des règles Google Ads d'appréhender ces termes contractuels sous l'angle de la discrimination de second rang au sens de l'article 102, c) du TFUE, et non sur le fondement des conditions de transaction inéquitables.

352.Google rappelle que dans des situations analogues de pratiques inédites en matière d'abus de position dominante, l'Autorité comme la Cour, ont considéré que le montant des sanctions devait être limité en raison de l'imprévisibilité du caractère infractionnel des pratiques (CA Paris, arrêt n° 2013/01006 du 19 mai 2016 page 39). Dans un cas d'entente verticale, la cour d'appel de Paris dans un arrêt n° 2013/00714 du 13 mars 2014 a réduit le montant de l'amende de près de 99 % en raison de l'incertitude relative à la qualification juridique des pratiques, qui conduisait à en relativiser la gravité. De même, la Commission européenne et la CJUE considèrent de façon constante qu'il n'est pas approprié d'imposer une amende lorsque l'infraction est fondée sur une nouvelle théorie du dommage (CJCE, arrêt du 28 février 2002, Compagnie générale maritime e.a. c/ Commission, aff. T-86/95, paragraphes 484-485, 488 ; CJCE, arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line AB e.a. c/ Commission, aff. T-191/98 paragraphes 1611, 1617).

353.L'Autorité souligne que dans un arrêt du 5 avril 2018 (pourvois n° 16-19.186 et 16-19.274), la chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé que le caractère inédit d'une qualification d'abus de position dominante « ne fait pas disparaître ni même n'atténue la contrariété au droit de la concurrence'des pratiques reprochées (...), avec les conséquences qui s'y attachent en ce qui concerne la responsabilité ». Dans cet arrêt, la Cour de cassation a ainsi approuvé la cour d'appel de ne pas avoir prononcé d'amende symbolique, ainsi que le demandait les opérateurs concernés.

354.Le ministre chargé de l'économie estime que l'infraction reprochée à Google par la décision attaquée n'est ni imprévisible ni inédite. Il fait valoir qu'elle a rappelé, paragraphes 325 et suivants, que l'importance de la dominance constitue un critère d'appréciation de la responsabilité de l'entreprise. Elle a ensuite détaillé en quoi la responsabilité de Google était particulière, ou plus exactement extraordinaire, en raison de ses parts de marché très élevées et stables, de la croissance continue et soutenue du service Google Ads'et des fortes barrières à l'entrée existant sur le marché pertinent compte tenu de la position très dominante, là encore, de Google sur le marché des moteurs de recherche. Cette position confère à Google un pouvoir de régulation de fait à l'égard des annonceurs au point qu'elle est en capacité d'orienter leur modèle économique, de limiter leur liberté d'entreprendre et d'influencer sur la qualité et la diversité de l'offre proposée aux internautes. Dans ce contexte, il résulte de la décision du 27 juin 2017, AT 39740, Google Shopping, paragraphes 722 et suivants, que la Commission européenne peut sanctionner un abus de position dominante de Google, que cet abus ait été commis intentionnellement ou par négligence.

355.Le ministère public demande également que la Cour fasse sienne l'analyse de l'Autorité, telle que développée aux paragraphes 325 et suivants de la décision attaquée. Cette dernière assimile la dominance de Google à un pouvoir de régulation de fait à l'égard des annonceurs, lui permettant d'orienter leur modèle économique, de limiter leur liberté d'entreprendre, et d'influer sur la qualité et la diversité de l'offre proposée aux internautes. Il souligne que l'Autorité avait d'ailleurs retenu dans la décision n° 19-MC-01 du 31 janvier 2019, en s'appuyant sur sa pratique décisionnelle, que « la liberté dont dispose Google pour définir sa politique de contenu Adwords n'exonère pas cette entreprise de l'obligation de mettre en oeuvre cette politique dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires ».

356.Amadeus soutient que Google ne saurait invoquer le caractère inédit et imprévisible de l'infraction dès lors que les préoccupations de concurrence avaient déjà été émises par l'Autorité s'agissant de la définition des Règles par le passé, notamment à l'occasion de l'affaire Navax précitée.

357.Gibmedia fait valoir que Google a été sommée à plusieurs reprises de respecter une procédure précise, objective et transparente, avant de procéder à une suspension de compte AdWords. Outre la décision Navax précitée, l'Autorité a adressé une nouvelle mise en garde à Google dans la décision du 28 février 2013 e-Kanopi n° 13-D-07 (paragraphes 83 à 86), puis à l'occasion de la demande de mesures conservatoires formée par Gibmedia, la décision n° 15-D-13 du 9 septembre 2015 contenant les paragraphes suivants':

« 180. À ce stade de la procédure, il apparaît que Google, qui est susceptible de disposer d'une position dominante sur le marché français de la publicité en ligne liée aux recherches, a mis en oeuvre la suspension du compte Adwords dans des conditions d'information difficilement compréhensibles pour Gibmedia.

181. La mise en oeuvre de la politique AdWords en l'espèce est donc susceptible de révéler un manquement aux obligations d'objectivité, de transparence et de non-discrimination. L'Autorité considère ainsi que les pratiques de Google qui sont dénoncées par Gibmedia sont susceptibles d'être prohibées par l'article L. 420-2 du code de commerce. ».

358.Or Google a persisté dans ses abus, justifiant une nouvelle mise en garde de l'Autorité dans sa décision Amadeus 19-MC-01 du 31 janvier 2019.

359.Pour Gibmedia, l'infraction ne présente donc aucun caractère inédit. Au contraire, l'Autorité a fait preuve vis-à-vis de Google d'une patience remarquable et sans doute excessive.

Sur ce, la Cour,

360.En premier lieu, il doit être observé que les pratiques abusives sanctionnées au titre de l'article 102, a) du TFUE sur le fondement, non pas des prix non équitables ou excessifs, mais des « autres conditions de transaction inéquitables », ne sont pas inédites en droit de la concurrence. La décision attaquée, aux paragraphes 347 à 349, fait notamment référence, de façon appropriée, à trois arrêts de la CJUE qui ont retenu ce fondement (du 21 mars 1974 BRT précité relatif à une société détenant un monopole de gestion des droits d'auteur ; du 5 octobre 1988 Alstel n° C-247/86 relatif à un installateur ; du 16 juillet 2015 Huawei Technologies n° C-170/13 relatif au titulaire d'un brevet essentiel à une norme).

361.Par ailleurs, nonobstant le fait que la démonstration préalable et systématique d'un avantage obtenu par l'entreprise en position dominante n'est pas nécessaire à la caractérisation d'un abus de position dominante portant sur des conditions de transaction inéquitables, la Cour a déjà relevé en partie II-A-1 du présent arrêt, à titre surabondant, que Google tirait, en tout état de cause, avantage des conditions de transaction inéquitables imposées aux annonceurs, de sorte que Google invoque en vain le fait que l'Autorité aurait sanctionné pour la première fois un abus de position dominante portant sur des conditions de transaction inéquitables qui n'auraient généré aucun avantage au bénéfice de l'entreprise mise en cause.

362.En second lieu, comme elle l'a justement relevé aux paragraphes 536, 537 et 543 de la décision attaquée, l'Autorité avait déjà émis des préoccupations de concurrence sur le caractère non-transparent, non-objectif et discriminatoire des Règles dans des affaires passées, auxquelles Google avait souhaité répondre en proposant des engagements rendus obligatoires en 2010, suite à la décision n° 10-MC-01 du 30 juin 2010 relative à la demande de mesures conservatoires présentée par la société Navx (point 248 de cette décision reproduit paragraphe 185 du présent arrêt).

363.Ces engagements étaient limités certes au seul secteur des bases de données de radars, mais l'Autorité avait donné acte à Google, dans la décision n° 10-D-30 du 28 octobre 2010 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la publicité sur Internet, que les améliorations et clarifications appliquées suite à ces engagements seraient, comme Google l'avait proposé lors de la séance du 4 octobre 2010, appliquées à tous les contenus et à toutes les règles du service AdWords dans tous les pays concernés par ce service. Google exprimait donc à l'époque la volonté d'apporter davantage de transparence et de prévisibilité aux annonceurs au-delà du cas individuel qui lui avait été soumis. Cette question avait été à nouveau abordée dans le cadre de la décision n° 13-D-07 du 28 février 2013 relative à une saisine de la société E-Kanopi (paragraphes 77 à 86 intitulés « sur le non respect des engagements »), l'Autorité émettant alors des doutes sur le dispositif mis en place.

364.Ainsi qu'il a été exposé paragraphes 239 et 240 du présent arrêt, Google a fait également l'objet de plusieurs alertes des services de la DINSIC et de la DGCCRF concernant des sites proposant des services d'accès à des documents administratifs accessibles gratuitement par les internautes auprès des organismes officiels.

365.Eu égard à ces circonstances particulières, Google ne pouvait donc, même si son comportement n'avait pas encore été qualifié et sanctionné avant l'adoption de la décision attaquée, en ignorer les risques au regard des règles de concurrence. Il s'en déduit que le caractère infractionnel des pratiques mises en oeuvre ne présente aucun caractère imprévisible susceptible de justifier l'absence de prononcé d'une sanction ou une limitation du montant de celle-ci.

366.Le moyen est rejeté.

B. SUR LE RECOURS À LA MÉTHODE FORFAITAIRE

367.Dans la décision attaquée, l'Autorité retient que les circonstances de l'espèce la conduisent à écarter le Communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (ci-après « communiqué sanctions ») car son application aurait eu pour conséquence de fixer une sanction qui ne serait pas proportionnée à la gravité des faits et à l'importance du dommage à l'économie, et qui serait dépourvue de tout caractère dissuasif et répressif (paragraphe 532).

368.Elle considère, en l'espèce, que les pratiques en cause ont concerné l'ensemble des Règles et l'ensemble de la clientèle de Google et que la valeur des ventes ne peut donc être réduite à celles des services publicitaires de Google Ads sur les trois marchés concernés par la saisine (paragraphe 534).

369.Elle retient également qu'en raison du contexte des pratiques, une moindre sanction ne permettrait pas de répondre à la nécessité de fixer des sanctions à un montant suffisamment répressif et dissuasif. À cet égard, elle rappelle que les problèmes de concurrence relatifs à la clarté et à l'application des Règles aux éditeurs de sites ne constituent pas un sujet nouveau pour elle. En effet, dans le cadre de l'affaire Navx, des mesures conservatoires ont été prises et des engagements ont été rendus obligatoires et à l'occasion de l'affaire e-Kanopi, soit dès 2013, l'Autorité avait prévenu Google du risque juridique que ses pratiques comportaient (paragraphes 535 à 537).

370.Elle estime qu'il importe de tenir compte du fait que Google constitue une entreprise dont la dominance présente des caractéristiques extraordinaires (paragraphe 538).

371.Elle déduit de ces éléments qu'il convient d'adopter une méthode forfaitaire (paragraphe 539).

372.Google relève à titre liminaire, au paragraphe 221 de ses écritures, qu'il doit être observé que le recours à une méthode forfaitaire n'a jamais été évoqué ni par les services d'instruction, ni lors de la séance devant le Collège de l'Autorité, de sorte que Google n'a pas pu présenter d'observations sur ce point. Elle soutient que la décision attaquée viole ainsi, de façon irrémédiable, les droits de la défense de Google et le principe du contradictoire.

373.Google fait ensuite valoir que l'Autorité est en principe liée par la méthodologie de son communiqué sanctions (Com., 18 octobre 2016, pourvoi n° 15-10.384 ; Com., 27 mars 2019, pourvois n° 16-26472, 16-26470 et 16-26471 ; CA Paris, 20 décembre 2018, RG n° 18/07722 ; CA Paris, 13 juin 2019, RG n° 18/20229). Par exception, le paragraphe 7 de ce communiqué prévoit que l'Autorité peut s'en écarter si elle explique les « circonstances particulières ou les raisons d'intérêt général ». Cette approche est aussi celle des juridictions européennes qui estiment que lorsque la Commission européenne choisit de s'écarter de la méthodologie exposée dans ses lignes directrices sur le calcul des amendes, l'exigence de motivation s'impose « avec d'autant plus de vigueur ». La Cour de justice a récemment rappelé à cet égard qu'une motivation « sommaire » ne saurait suffire en l'absence de pratique décisionnelle constante (CJUE, C-39/18 arrêt du 10 juillet 2019, Icap, Paragraphe 28).

374.En premier lieu, Google observe que le communiqué sanctions prévoit des raisons justifiant que l'Autorité s'écarte de sa méthode de calcul traditionnelle, mais que la dissuasion n'en fait pas partie. Le paragraphe 39 du communiqué vise spécifiquement des situations où la valeur des ventes réalisée sur le marché affecté n'est pas la référence appropriée, par exemple lorsque les entreprises réalisent des revenus par le biais de commissions ou lorsque l'infraction est un cartel entre acheteurs pour s'abstenir d'effectuer des ventes en France. La dissuasion ne saurait, en outre, justifier que l'Autorité s'écarte de la méthodologie puisque cette dernière prévoit expressément, au paragraphe 47, la possibilité d'ajuster le montant de base de l'amende à des fins dissuasives.

375.Ensuite, Google fait valoir qu'il ressort de la pratique décisionnelle de l'Autorité qu'elle ne s'est jamais écartée du communiqué sanctions à des fins dissuasive et répressive. Il n'a été fait recours à la méthode forfaitaire que dans un sens favorable aux entreprises concernées, afin de ne pas les sanctionner trop sévèrement au regard des circonstances particulières ou de la nature de l'infraction. De fait, l'amende maximale que l'Autorité a imposée en appliquant la méthode forfaitaire est de 5 millions d'euros (Décision n° 15-D-10 du 11 juin 2015). En l'espèce, la sanction pécuniaire imposée à Google est environ 200 fois plus élevée que si l'Autorité avait appliqué le communiqué sanctions sur la base des trois marchés visés spécifiquement par la décision attaquée.

376.En deuxième lieu, Google considère que, sous prétexte de dissuasion, l'Autorité élargit artificiellement, au stade de la sanction, le champ des pratiques alléguées. Elle soutient que la décision attaquée ne produit pas d'analyse ou élément de preuve de nature à démontrer que les pratiques en cause auraient affecté la concurrence au-delà des trois marchés concernés par la saisine de Gibmedia. En considérant que les pratiques ont concerné toutes les Règles et tous les annonceurs, elle procéderait par affirmation manifestement infondée. Enfin, alors que le grief notifié et les effets anticoncurrentiels potentiels des comportements reprochés n'aurait été évalués que sur les trois marchés concernés par cette saisine, c'est à tort que l'Autorité aurait élargi le champ des pratiques alléguées au stade de la sanction sous prétexte de dissuasion.

377.En troisième lieu, s'agissant du contexte des pratiques alléguées, elle fait valoir tout d'abord que les décisions rendues dans les affaires Navax et E-Kanopi ne peuvent être valablement invoquées pour considérer que Google connaissait les risques concurrentiels liés à la mise en oeuvre des Règles. Ces décisions étaient fondées sur la notion de discrimination de second rang et n'ont en toute hypothèse jamais constaté d'infraction au droit de la concurrence. Dans l'affaire Navx, la décision de mesures conservatoires a été suivie d'une décision d'engagements qui par nature n'établit pas d'infraction. En outre, dans cette décision, l'Autorité a réitéré que Google était libre de définir ses Règles. Dans l'affaire E-Kanopi, l'Autorité a rejeté les allégations d'abus de position dominante. Elle a aussi rappelé que les Règles, en partie la vente d'article gratuit, étaient légitimes.

378.Google soutient ensuite que s'appuyer sur les prétendues « caractéristiques extraordinaires » de la position dominante de Google sous-entend que cette position est condamnable en soi. Or dans un arrêt n° 16/1270 du 19 juillet 2018, la cour d'appel de Paris a souligné que « la constatation de l'existence d'une position dominante n'implique en soi aucun reproche à l'égard de l'entreprise concernée ».

379.L'Autorité fait valoir que la circonstance que les ventes de l'entreprise ne constituent pas une référence appropriée permettant de refléter l'ampleur d'une infraction peut justifier de s'écarter du communiqué sanctions en prenant en compte un périmètre des ventes plus large que celui des ventes réalisées sur le marché où l'infraction a eu lieu. Elle observe que la méthode forfaitaire appliquée est plus favorable que celle préconisée par les services d'instruction qui proposaient de retenir, comme montant de base de l'amende, la totalité des chiffres d'affaires français relatifs aux services publicitaires de Google liés aux recherches sur Internet (paragraphe 386 du rapport, cote 15'625), ce qui aurait conduit à prononcer une amende beaucoup plus élevée à l'encontre de Google.

380.Le fait d'élargir le périmètre de valeur des ventes à l'ensemble des ventes de services publicitaires liées aux recherches conduirait à infliger à Google une amende très largement supérieure à 150 millions d'euros, oscillant entre 350 millions et 1 milliard, et cela même si l'on retient, pour la fourchette basse de l'amende, les facteurs les plus favorables qui ont été appliqués jusqu'à présent par l'Autorité en matière de sanction d'abus de position dominante (hors cas de transaction). Ces références ont servi de points de référence lors de la détermination de la sanction par méthode forfaitaire, avec l'objectif que le montant final de sanction soit à la fois proportionné à l'infraction commise et suffisamment dissuasif.

381.Pour justifier le choix de s'écarter du communiqué sanctions, l'Autorité a relevé que les pratiques commises s'étendaient à de nombreux secteurs différents que ceux sur lesquels intervenait le plaignant. Contrairement à ce que soutient Google, plusieurs pièces du dossier permettent, selon elle, d'étayer des cas de suspension de sites ou de comptes qui ne concernent pas les secteurs spécifiques sur lesquels la société Gibmedia intervenait':

- au début du mois de janvier 2015, Google a suspendu des sites qui appartiennent à d'autres thématiques, et qui sont, selon Google, des services « officiels », tels que les résultats d'examen ou les procédures administratives, et des services « non officiels » comme des services portant sur les prénoms d'enfants ou l'information sportive (cote 2011) ;

- la société Interactiv a reçu des messages le 7 janvier 2015, annonçant la suspension des annonces de six sites édités par ses soins (« mes-idees-recettes.com ; « infos-plans.com' » ; « traduction-rapide.net' » ; « revisioncode.com' » ; « score-qi.com »). La société Interactiv a tenté de faire réactiver ses comptes en excipant des différences de traitement avec des sites non-suspendus, qui proposaient des services similaires au sien dans le secteur de la cartographie, des recettes de cuisine, des résultats d'examens, des services de santé, des horaires de trains notamment (cote 4546) ;

- Dispobiz a déclaré que certains sites concernés par la problématique « ventes d'articles gratuits », ont été suspendus par Google (impots-facile.com, résultat-bac-brevet.fr) ;

- Plusieurs sites édités par la société Link Labs ont fait l'objet de suspensions de compte. Le site « bilan-imc.fr » a fait l'objet d'une suspension le 18 novembre 2015, qui a été levée le jour même, sans explication. Le site « publi-examen.fr » a fait l'objet d'une suspension de diffusion des annonces le 7 juillet 2015, en raison d'une violation des « règles relatives à la qualité du site », ainsi que d'une violation de l'interdiction du recours aux techniques de dissimulation (cloaking). Le site « itineraire.info », un service de cartographie et d'itinéraires, a fait l'objet d'une suspension, mais Links Lab n'a reçu aucun courrier électronique de Google afférent à cette suspension. Links Lab a déclaré qu'un salarié de Google lui avait indiqué que le site avait été suspendu car il utilisait l'interface de Bing Maps et n'apportait pas de valeur ajoutée. La suspension aurait été levée après des changements visuels du site et l'ajout de pages de contenu.

382.L'Autorité relève, en outre, que Google n'a pas inclus le chiffre d'affaires afférent aux services de renseignement téléphoniques dans ses tableaux renseignant les valeurs des ventes, ce qui revient à minorer fortement la valeur des ventes réalisées par les concurrents directs de Gibmedia. Ainsi, Amadeus a déclaré avoir versé à Google 9,1 millions d'euros en 2017 au titre de ses investissements publicitaires, cette somme représentant à elle seule plus de 6 fois la valeur renseignée dans le tableau de valeur des ventes de Google dans le secteur des annuaires.

383.Le ministre chargé de l'économie cite l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 10 octobre 2013 (RG n° 2012/07909) aux termes duquel la méthode de détermination des sanctions du communiqué sanctions « ne constitue qu'une directive, comme telle dépourvue de valeur normative, il revient seulement à la Cour d'apprécier si, en définitive, l'Autorité de la concurrence a bien déterminé les sanctions pécuniaires qui ont été infligées aux requérantes au titre des pratiques anticoncurrentielles poursuivies en application des dispositions précitées de l'article L. 464-2 du code de commerce ».

384.En l'espèce, la décision attaquée justifie son écart par le fait que les pratiques de Google ont affecté d'autres secteurs que les seuls marchés visés par la saisine. L'Autorité a également expliqué que l'application du communiqué ne permettrait pas la prise d'une sanction proportionnée à la gravité et au dommage à l'économie, de telle sorte le caractère dissuasif de celle-ci ne serait pas assuré.

385.Le ministre considère que la décision attaquée justifie à suffisance la nécessité de donner un caractère dissuasif, dans la mesure où Google avait été avertie de longue date sur les risques juridiques que lui faisait encourir l'application des règles Google Ads aux éditeurs de sites internet par plusieurs décisions antérieures. Le fait qu'elles aient été dépourvues de sanctions ne leur enlève pas leur valeur d'avertissement. Il ajoute qu'adopter la méthode forfaitaire aboutit au demeurant à un chiffrage plus favorable que celui proposé par le rapporteur. Il considère enfin que l'argument selon lequel l'Autorité sanctionnerait la position dominante « en soi » de Google doit être écarté. Il s'agit seulement d'une adaptation de la sanction à la taille du groupe considéré.

386.Le ministère public développe des arguments similaires.

Sur ce, la Cour,

387.Le troisième alinéa du I de l'article L. 464-2 du code de commerce dispose :

« Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionnée ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction.».

388.L'Autorité applique les critères fixés dans cet article selon les modalités décrites dans son communiqué sanctions du 16 mai 2011, « sauf à ce qu'elle explique, dans la motivation de sa décision, les circonstances particulières ou les raisons d'intérêt général la conduisant à s'en écarter dans un cas donné. » (paragraphe 7).

389.Le principe de la contradiction et les droits de la défense n'exigent pas que l'Autorité, au stade de la détermination de la sanction qu'elle entend infliger à une entreprise, lui notifie au préalable son intention de s'écarter de son communiqué sanction, les motifs pour lesquels elle décide de s'en écarter, mentionnés dans la décision attaquée notifiée, pouvant être discutés dans le cadre du recours formé contre cette décision.

390.En outre, la Cour rappelle que le paragraphe 11 du communiqué sanctions précise que « ces sanctions visent à punir les auteurs d'infractions aux règles de concurrence et à dissuader les agents économiques de se livrer à de telles pratiques. Leur détermination au cas par cas, en vertu des critères prévus par le code de commerce et dans le respect des principes généraux du droit, répond donc à un double objectif de répression et de dissuasion tant individuelle, c'est-à-dire vis-à-vis de l'entreprise ou de l'organisme concerné, que générale, c'est-à-dire vis-à-vis des autres agents économiques. ».

391.Il se déduit des paragraphes 7 et 11 du communiqué sanctions que l'Autorité peut s'écarter de ce communiqué, après avoir exposé les circonstances particulières qui le justifient, dès lors que son application ne permettrait pas de conférer à la sanction un caractère dissuasif et répressif à la hauteur de la gravité des faits et de l'importance du dommage à l'économie.

392.L'effectivité des sanctions prononcées par l'Autorité doit en effet être garantie notamment lorsque des circonstances particulières rendent inadaptée la méthode habituellement suivie par l'Autorité.

393.La faculté prévue au paragraphe 7 du communiqué sanctions peut conduire l'Autorité à fixer une sanction pécuniaire forfaitaire sans avoir à procéder à des calculs impliquant la détermination d'un montant de base. Dès lors, contrairement à ce qu'allègue Google, la disposition prévue à l'article 47 de ce communiqué selon laquelle l'Autorité, une fois le montant de base calculé, peut l'ajuster à la hausse à des fins dissuasives, ne peut être interprétée comme excluant la prise en compte de la dissuasion dans toute autre circonstance, et notamment lorsque l'Autorité n'applique pas la méthode passant par la détermination d'un montant de base.

394.L'Autorité a à suffisance expliqué, aux paragraphes 532 à 538 de la décision attaquée, les motifs pour lesquels elle s'est écartée de la méthode décrite dans le communiqué sanctions, afin de garantir le caractère dissuasif et répressif de la sanction, tenant compte, en l'espèce, notamment, des caractéristiques « extraordinaires » de la position dominante de Google, du contexte et de l'ampleur de l'infraction, rendant inappropriée la prise en compte d'une valeur des ventes réduite à celles des services publicitaires de Google Ads sur les trois marchés visés par la saisine, alors que les pratiques ont concerné l'ensemble des Règles et de la clientèle de Google.

395.S'agissant de l'élargissement artificiel du champ des pratiques qui, selon Google, aurait été opéré, sous couvert de dissuasion, au stade de la sanction, la Cour constate que les pratiques anticoncurrentielles de Google n'ont pas seulement affecté les secteurs des services en ligne payants d'informations météorologiques, d'information juridique et économique pour les entreprises et d'annuaires téléphoniques dans lesquels elles sont intervenues mais ont eu également une incidence sur d'autres secteurs, tels que les secteurs concernant les résultats d'examens, les concours, les calculs d'impôts, les documents administratifs, les services de cartographie, les recettes de cuisine, les sites santé, les horaires de train.

396.Ce constat ressort notamment des pièces du dossier révélant l'existence de suspensions de sites relatifs à des secteurs très variés, comme celui de bilan-imc.fr édité par Links Lab qui a fait l'objet d'une suspension le 18 novembre 2015 (cote 797), ceux de la société Interactiv (« mes-idées-recettes.com », « infos-plans.com », « traduction-rapide.net », « révisioncode.com » et « score-qi.com ») annoncée le 7 janvier 2015 au motif d'une violation des Règles relatives aux Promotions indignes de confiance (cote 7690) ou encore ceux de la société Dispobiz (« impots-facile.com » et « résultat-bac-brevet.fr ») suspendus par Google pour vente d'articles gratuits (cote 671).

397.La pratique abusive n'est en outre pas liée à l'édiction d'une règle particulière, à l'égard d'annonceurs intervenant sur un marché particulier, mais au fait que les Règles d'accès et de fonctionnement de la plateforme Google Ads, dans leur ensemble, sont définies et appliqués de manière inéquitable.

398.Il est établi, enfin, que le comportement de Google dans la définition et l'application des Règles, a comporté des effets anticoncurrentiels, à tout le moins potentiels, sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches mais également dans un certain nombre de marchés avals.

399.S'agissant du contexte dans lequel se sont inscrites les pratiques, la décision attaquée l'a à suffisance pris en compte, en relevant, d'une part, les préoccupations de concurrence déjà portées à sa connaissance et, d'autre part, l'importance de la fonction dissuasive de la sanction qui doit être infligée pour éviter la réitération d'une infraction d'une telle ampleur, à l'égard d'un opérateur dont la dominance sur le marché présente des caractéristiques qualifiées, à juste titre, d'extraordinaires par l'Autorité et qui, à ce titre, supporte une responsabilité toute aussi particulière.

400.Ainsi qu'il a déjà été exposé aux paragraphes 362 et 363 du présent arrêt, Google ne pouvait ignorer les risques que son comportement lui faisait courir au regard des règles de concurrence, dans la mesure où elle a pris des engagements pour clarifier les règles de fonctionnement de sa plateforme publicitaire dans la décision précitée n° 10-D-30. Les problèmes de concurrence relatifs à la clarté des Règles et à leur application aux éditeurs de sites ne constituent donc pas un sujet nouveau pour Google.

401.En 2010, l'Autorité a pris acte de la volonté de Google d'apporter davantage de transparence et de prévisibilité aux annonceurs au-delà du cas individuel qui lui avait été soumis et dès 2013 lui a fait part à nouveau des préoccupations de concurrence latentes que le comportement de cet opérateur risquait de soulever, le prévenant, ainsi qu'elle le relève paragraphe 537 de la décision attaquée, du risque juridique que ses pratiques comportaient.

402.Le fait qu'ait été privilégiée la voie de la mise en conformité par une démarche volontaire et que les décisions antérieures aient été dépourvues de sanctions ne leur enlève pas leur valeur d'avertissement.

403.Il ne peut être déduit, enfin, du paragraphe 538 de la décision attaquée que l'Autorité a entendu sanctionner la position dominante de Google, mais qu'elle a souhaité tenir compte, à juste titre, de la responsabilité particulière de cette entreprise au regard de sa dominance « extraordinaire », ce que l'application du communiqué sanctions ne permettait pas de faire.

404.Le moyen est écarté.

C. SUR LE MONTANT DE LA SANCTION

405.Dans la décision attaquée, l'Autorité prend en considération chacun des critères légaux mentionnés au troisième alinéa du I de l'article L. 464-2 du code de commerce, à savoir la gravité des faits (paragraphes 541 à 545), le dommage à l'économie (paragraphes 546 à 556) et la situation individuelle de Google (paragraphes 557 à 560).

406.Elle retient une gravité avérée des pratiques en se fondant sur la nature des pratiques, sur le contexte dans lequel elles s'inscrivent et sur leurs effets.

407.Elle apprécie le dommage à l'économie au regard de l'ampleur de l'infraction, aux caractéristiques pertinentes du secteur et aux conséquences conjoncturelles et structurelles des pratiques de Google. Elle identifie aussi deux facteurs importants d'atténuation du dommage, l'existence de certains sites qui parviennent à se développer sans nécessairement utiliser Google Ads et la circonstance que l'effet dommageable de l'opacité des Règles mises en [...] et leur application aléatoire n'est pas de la même ampleur pour tous les secteurs.

408.Elle observe enfin, pour apprécier la puissance et la capacité contributive des entreprises, que les sociétés auteurs des pratiques ont réalisé, en 2017, un chiffre d'affaires en France sur le marché de la publicité liée aux recherches d'environ ['] d'euros et que le groupe Google a réalisé, en 2017, un chiffre d'affaires mondial consolidé de 98,328 milliards d'euros et de 116 milliards d'euros pour l'année 2018. Elle considère, compte tenu de ces éléments et alors que l'efficacité de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles requiert que la sanction soit effectivement dissuasive, le montant de la sanction pécuniaire infligée doit être notablement augmenté.

409.Google considère que la décision est entachée d'un défaut de motivation flagrante en ce qui concerne la méthode de calcul de la sanction pécuniaire.

410.Elle soutient aussi que le montant de l'amende forfaitaire n'est ni justifié, ni proportionné, ce qui justifie à tout le moins qu'elle soit significativement réduite.

1. Sur la méthode de calcul de la sanction forfaitaire

411.Google fait valoir que la décision ne comporte aucune explication quant à la méthode de calcul utilisée pour arriver au montant forfaitaire de 150 millions d'euros. Elle se réfère à l'arrêt du TUE du 10 novembre 2017, Icap, n° 180/15, paragraphe 293, de laquelle il ressortirait que l''« assurance générale » donnée par la Commission que les montants de base reflétaient la gravité, la durée et la nature de la participation de l'entreprise en cause ainsi que la nécessité de garantir que les amendes ont un effet suffisamment dissuasif ne saurait constituer une motivation suffisante. Or la décision attaquée ne contiendrait aucun élément quantitatif permettant d'identifier et de comprendre la pertinence et la pondération des éléments effectivement retenus pour aboutir au montant forfaitaire. Elle serait donc insuffisamment motivée.

412.Consciente de cet écueil, l'Autorité aurait tenté de fournir a posteriori, dans ses écritures, une justification à la méthodologie de calcul suivie, en indiquant que deux points de référence ont été pris en compte, à savoir le chiffre d'affaires de Google réalisé sur les marchés visés par Gibmedia et son chiffre d'affaires sur le marché de la publicité en ligne liées aux recherches en France. Google considère que ces justifications, non seulement sont trop tardives, mais n'apportent en toute hypothèse aucune clarté quant à la méthode de calcul utilisée compte tenu de l'écart extrêmement significatif entre les deux montants évoqués. Ils ne font au contraire que confirmer que l'amende infligée par la décision a été fixée de façon arbitraire.

413.L'Autorité fait valoir qu'il a été fait référence, aux paragraphes 547 et 559 de la décision attaquée, au chiffre d'affaires réalisé par Google sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches en 2017 (plus d'un milliard d'euros en moyenne sur la période des pratiques). L'Autorité s'est également référée au chiffre d'affaires mondial de Google pour apprécier ses capacités contributives et fixer un niveau d'amende suffisamment dissuasif au regard de sa puissance financière.

414.Contrairement à ce que soutient Google, elle n'était pas tenue d'expliciter en détail la méthode chiffrée pour calculer le montant de l'amende. Si l'obligation de motivation impose à l'Autorité de faire apparaître d'une façon claire et non équivoque, dans la décision, les éléments pris en compte dans la détermination du montant de l'amende, aucun principe, disposition légale, jurisprudence, ou ligne directrice n'impose qu'une sanction forfaitaire soit déterminée en décrivant précisément, de façon chiffrée, chaque étape de la méthodologie suivie pour déterminer le montant de la sanction prononcée.

415.Le ministre chargé de l'économie que la décision attaquée a justifié à bon droit les éléments motivant le montant retenu au regard des critères légaux.

Sur ce, la Cour,

416.L'exigence de motivation d'une décision ayant le caractère de punition est remplie dès lors que cette décision indique les éléments d'appréciation des critères légaux mentionnés au quatrième alinéa du I de l'article L. 464-2 du code de commerce, que sont la gravité des faits reprochés, l'importance du dommage causé à l'économie, la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre.

417.Tenue par le communiqué sanctions qu'elle a publié et qui s'impose à elle, l'Autorité doit motiver le choix de s'en écarter.

418.Lorsque, comme en l'espèce, l'Autorité choisit, de manière justifiée, d'écarter l'application de son communiqué sanctions, pour fixer de manière forfaitaire le montant de la sanction, elle n'est pas tenue d'indiquer la traduction chiffrée de son appréciation de chacun de ces critères.

419.La Cour constate que la décision attaquée précise les éléments tenant à la nature et aux caractéristiques des pratiques sur lesquels elle s'est fondée pour apprécier la gravité des faits. Elle précise également les éléments tenant aux caractéristiques économiques du secteur et aux conséquences conjoncturelles et structurelles des pratiques, pour apprécier le dommage qu'elles ont causé à l'économie.

420.Enfin, elle indique le chiffres d'affaires réalisé par Google en France en 2017 sur le marché de la publicité liée aux recherches qui lui a permis d'apprécier ses capacités contributives et relève son appartenance à un groupe d'envergure internationale dont elle a rappelé le montant du chiffre d'affaires mondial consolidé de 2017.

421.La décision attaquée répond donc à l'exigence de motivation requise en ce qu'elle indique l'ensemble des éléments ayant permis à l'Autorité de proportionner la sanction à chacun des critères légaux précités.

422.Le moyen est écarté.

2. Sur le caractère proportionné de la sanction pécuniaire

423.En premier lieu, Google soutient que la gravité avérée des pratiques telle que retenue par l'Autorité n'est pas démontrée. Elle fait valoir, s'agissant de la nature et des caractéristiques de l'infraction, que la décision attaquée a reconnu que les Règles poursuivraient un objectif légitime de protection des internautes et que le dossier ne faisait pas apparaître de stratégie délibérée et globale de sa part visant à perturber la concurrence de sorte que les pratiques qui lui sont imputées relèveraient davantage de négligence de sa part que d'une intention de fausser le jeu de la concurrence.

424.Google soutient, s'agissant du contexte, qu'elle ne pouvait pas anticiper le risque concurrentiel sanctionné, car aucune des décisions antérieures des autorités de concurrence européennes et françaises ne concernaient les Règles, ni un abus d'exploitation résultant de conditions de transaction inéquitables. Aucune des décisions de la Commission européenne citées par la décision attaquée (affaires A.T 39740 Google Search (Shopping) ; A.T 40099 Google Androîd ; AT 40411 Google Search (AdSense) ne concerne les Règles Google Ads, ni n'implique de pratiques d'abus d'exploitation résultant de conditions de transaction inéquitables. Ces décisions font de plus l'objet d'un recours toujours pendant. Google souligne aussi la bonne volonté dont elle aurait fait preuve pour répondre aux préoccupations de l'Autorité de concurrence en proposant des engagements que les services d'instruction ont refusés. Elle aurait d'ailleurs modifié certaines de ses règles dans le sens souhaité en dépit de l'échec de la procédure négociée.

425.Enfin, s'agissant des effets des pratiques, Google considère que la décision attaquée a retenu à tort que les pratiques sont graves parce qu'elles sont susceptibles d'avoir affecté l'ensemble des annonceurs et en particulier les entrants de petite taille ainsi que les consommateurs vulnérables, ce qu'elle n'a pas démontré, faute d'analyse concrète ou prévue des effets actuels ou potentiels des pratiques alléguées sur la concurrence, a fortiori en dehors des trois « marchés » d'activité de Gibmédia. En outre, il ne serait pas démontré que les annonceurs suspendus proposaient des modèles innovants. Au contraire, le modèle de ces annonceurs malveillants consistait à tromper les utilisateurs.

426.En deuxième lieu, Google soutient que l'existence d'un dommage à l'économie n'est pas établie. S'agissant de l'ampleur de l'infraction, elle fait valoir qu'il n'est pas démontré que les pratiques ont affecté l'ensemble des annonceurs, la décision attaquée ne concluant qu'à des effets dans le secteur des annuaires en ligne sans analyser d'autres marchés. S'agissant des caractéristiques économiques du secteur, Google souligne que la décision attaquée reconnaît en outre que certains sites internet parviennent à se développer sans nécessairement utiliser Google Ads, constat confirmant les analyses économiques produites par Google. S'agissant des conséquences conjoncturelles et structurelles des pratiques alléguées, elle soutient que la décision ne fournit pas d'analyse concrète permettant d'étayer l'affirmation selon laquelle les pratiques ont pu nuire à l'animation concurrentielle des marchés en ligne.

427.Les pratiques reprochées n'auraient, enfin, eu aucun impact sur les prix et l'innovation, les annonceurs sanctionnés facturant aux internautes des services gratuits provenant de sources publiques et leur modèle économique consistant à tromper les utilisateurs.

428.À titre subsidiaire, Google demande que la nouvelle amende soit prononcée selon la méthodologie du communiqué sanctions. Celle-ci devrait être calculée sur la base tout au plus de la valeur des ventes réalisée par Google en lien avec les trois marchés décrits par la décision attaquée. En outre, l'amende devrait tenir compte du caractère très limité des pratiques et de l'absence de dommage à l'économie.

429.L'Autorité se réfère à la motivation de la décision attaquée s'agissant de la gravité avérée des pratiques.

430.S'agissant du dommage à l'économie, elle rappelle, à titre liminaire, que selon une pratique décisionnelle et une jurisprudence constantes, l'Autorité apprécie l'importance du dommage causé à l'économie de façon objective, au vu de l'ensemble des éléments pertinents du cas d'espèce, sans être toutefois tenue de le chiffrer. Les éléments qu'elle prend en considération sont généralement de nature qualitative, mais peuvent également être de nature quantitative lorsque de tels éléments sont disponibles et fiables.

431.Elle ajoute avoir tenu compte de l'ampleur de l'infraction qui concerne de nombreux autres secteurs que ceux sur lesquels Gibmedia intervient. La décision attaquée comprend de nombreux exemples de sites d'annonceurs suspendus dans des secteurs d'activités autres que ceux sur lesquels Gibmedia intervient (voir aussi paragraphe 381 du présent arrêt). Contrairement à ce qu'affirme Google, l'Autorité a dans la décision attaquée détaillé les raisons pour lesquelles les pratiques étaient susceptibles de nuire à l'animation concurrentielle des marchés de la vente en ligne (paragraphes 439 à 509).

432.Elle fait valoir que contrairement à ce que soutient Google, la décision attaquée explique aussi, aux paragraphes 436 à 438 et 504 à 508, en quoi la mise en oeuvre inéquitable des Règles permet de continuer à référencer certains sites dont l'offre trompe les consommateurs. Il existe un effet doublement négatif des pratiques sur les utilisateurs, en les exposant à des contenus nocifs et en perturbant la concurrence sur les marchés aval dont les utilisateurs sont aussi des clients.

433.Le ministre chargé de l'économie estime que la décision attaquée a suffisamment motivé sa conclusion sur la gravité des pratiques. Le fait que les règles Google Ads poursuivent un objectif légitime de protection des internautes n'enlève rien au fait que celles-ci ont été mal définies et appliquées dans des conditions ambiguës. La promotion de modèles économiques trompeurs pour les consommateurs les plus vulnérables a ainsi coexisté avec un discours public de Google de protection des consommateurs. La protection des internautes est devenue un « prétexte servant à parer l'abus de position dominante de Google des beaux atours d'un objectif légitime », mais elle ne peut être la justification de règles lâches, floues et d'application discrétionnaire et discriminatoire. En outre, si le bénéfice du doute commanderait de s'en tenir à la simple négligence, celle-ci ne peut être une excuse pour un groupe tel que Google qui dispose de moyens puissants, notamment de ressources juridiques, et qui, en France comme dans le reste du monde, soulevant des préoccupations de concurrence, est particulièrement averti en la matière. En tout état de cause, il ne peut y avoir « négligence » lorsqu'on a été averti plusieurs fois antérieurement sur ces problématiques.

434.S'agissant par ailleurs de la bonne volonté dont aurait fait preuve Google durant la procédure négociée qui a précédé la présente procédure contentieuse, le ministre estime que cet argument est réversible. Si les services d'instruction de l'Autorité ont rejeté les engagements proposés par Google, c'est précisément parce qu'ils ne répondaient pas à leurs préoccupations de concurrence, les règles Google Ads n'étant toujours pas clairement définies, laissant ainsi la possibilité d'une application pour le moins opportuniste.

435.S'agissant du dommage à l'économie, le ministre évoque le fait que la publicité liée aux recherches est une source primordiale de trafic pour une partie des sites, notamment durant leurs premières années d'activité, tant qu'ils ne disposent pas d'alternative performante pour générer du trafic.

436.Il retient également :

- la corrélation entre la baisse très importante de trafic et de chiffre d'affaires des sites dont les comptes Google Ads avaient été suspendus ou supprimés par rapport à la croissance fulgurante qu'ils connaissaient lorsque ce service leur était ouvert ;

- le caractère flou des Règles et leur application discrétionnaire qui ont rendu très incertain le recours durable à ce service pour les éditeurs de sites ayant choisi un modèle payant, au risque de dissuader certains d'entre eux de recourir à ce modèle ;

- l'opacité des règles qui a contribué à l'incertitude pour les opérateurs, lequels ne savent plus clairement quels sont les modèles admis et ceux qui ne le sont pas.

437.Le ministère public fait valoir que l'Autorité a respecté les critères légaux prévus à l'article L. 464-2 du code de commerce et suffisamment motivé le montant de la sanction infligée et sollicite le rejet du moyen.

Sur ce, la Cour,

438.En premier lieu, afin d'apprécier la gravité des faits, il convient d'examiner les différents éléments d'appréciation contestés, à savoir la nature et les caractéristiques de l'infraction, son contexte ainsi que la qualité des personnes susceptibles d'être affectées.

439.S'agissant de la nature et du contexte des pratiques, ainsi que la justement relevé l'Autorité paragraphe 542, il ressort du dossier que le manque d'objectivité et de transparence dans la mise en oeuvre des Règles a permis à Google d'afficher publiquement un objectif de protection du consommateur, tout en continuant à percevoir des revenus de sites qui auraient eu vocation à être suspendus, si les Règles avaient été correctement définies et appliquées. Il est aussi établi que les équipes commerciales de Google ont contribué activement à la mise en place de pratiques que Google a qualifiées elle-même de nocives pour le consommateur, tout en percevant des revenus significatifs générés par de telles pratiques sous forme de budget publicitaire.

440.Si la mise en oeuvre des pratiques ne résulte pas d'une stratégie délibérée de la part de Google mais davantage d'une négligence, ainsi que l'Autorité l'a relevé, une telle circonstance n'est toutefois pas de nature à atténuer la gravité de son comportement infractionnel en raison du contexte dans lequel il s'est inscrit. En effet, comme il a déjà été relevé, Google avait été alertée en 2010 sur les préoccupations de concurrence relatifs relatives à la clarté et à l'application des Règles aux éditeurs de sites par la décision de l'Autorité n° 10-D-30 précitée. Elle pouvait donc anticiper le risque concurrentiel en cause et était tenue à une vigilance particulière dans la définition et l'application des Règles, d'autant plus que l'Autorité avait, dans la décision n° 13-D-07 précitée de 2013, souligné « l'importance de l'ensemble des engagements pris par Google dans le cadre de l'affaire ayant débouché sur la décision n° 10-D-30, l'Autorité se montrera vigilante quant à leur respect. En particulier, une interprétation par trop restrictive, à l'égard de tel ou tel acteur du marché, de l'engagement dont il a été donné acte à Google par l'article 2 de la décision n° 10-D-30 du 28 octobre 2010 serait susceptible de soulever de la part de l'Autorité de la concurrence des préoccupations sur l'apparition de possibles distorsions de concurrence ».

441.S'agissant des personnes susceptibles d'être affectées par les pratiques, ainsi que la justement relevé l'Autorité au paragraphe 544 de la décision attaquée, il doit être constaté que les Règles s'appliquent à l'ensemble des annonceurs, dont la taille et la puissance économique sont très variables. Les effets des pratiques sont de surcroît particulièrement nocifs pour les nouveaux entrants de petite taille ou qui proposent des modèles innovants qui souhaitent être référencés sur Google Ads pour acquérir de la notoriété et se développer sur internet. En effet, la forte instabilité de ces Règles et le caractère difficilement accessible des différentes versions sont susceptibles de dissuader des acteurs d'investir dans le développement de nouveaux services numériques innovants. Ainsi qu'il a été exposé aux paragraphes 312 et suivants du présent arrêt, tel était notamment le cas de ceux qui, tels que la Poste, loin de proposer des sites malveillants, se sont vu opposer la Règle sur la vente d'articles gratuits, alors que la commercialisation sous une forme payante de certains services peut présenter une valeur ajoutée pour le consommateur, par exemple en réduisant son exposition à la publicité ou en facilitant ou structurant l'accès à des informations qui peuvent être éparpillées sur plusieurs sources sur internet ou présentées de façon parcellaire ou peu ergonomiques.

442.En outre, l'application aléatoire des Règles est susceptible de porter atteinte aux intérêts des consommateurs, en ce qu'elle a pour effet, à tout le moins potentiel, de maintenir l'exposition publicitaire de sites qui auraient du être suspendus si les Règles avaient été correctement appliquées.

443.Par suite, les pratiques présentent un caractère de gravité avérée.

444.En deuxième lieu, afin d'apprécier l'importance du dommage à l'économie, que Google conteste également, il convient d'examiner l'ampleur de l'infraction, les caractéristiques économiques pertinentes du secteur ainsi que les conséquences conjoncturelles et structurelles des pratiques.

445.Ainsi que l'a à juste titre retenu l'Autorité aux paragraphes 547 à 549 de la décision attaquée, les Règles sont applicables à l'ensemble des annonceurs utilisant les services GoogleAds. En effet, Internet est devenu le premier media publicitaire et le commerce en ligne constitue un relais de croissance important pour beaucoup d'acteurs économiques. Or les Règles concernent l'ensemble des annonceurs constituant la demande de Google sur le marché français de la publicité liée aux recherches, lequel détient une part de marché dix fois plus élevée que celle de son premier concurrent.

446.Les effets des pratiques ne se limitent pas en outre, contrairement à ce qui est allégué, au secteur des annuaires en ligne (ainsi qu'il a déjà été exposé partie II-C sur les effets). La circonstance que certains acteurs adossés à un grand groupe parviennent à se développer sans nécessairement utiliser Google Ads a par ailleurs justement été prise en compte par la décision attaquée, lorsqu'elle a considéré, en renvoyant aux paragraphes 445 et suivants, que la publicité liée aux recherches était une source primordiale pour une partie des sites, en particulier pendant leurs premières années, lorsqu'il leur est difficile de disposer d'alternatives performantes pour générer du trafic.

447.Il s'agit donc d'une infraction d'ampleur, dans un secteur qui connaît une dynamique forte.

448.Les pratiques de Google ont, de surcroît, eu des conséquences conjoncturelles et structurelles.

449.En effet, il a été constaté que les suspensions ou fermetures de comptes Google Ads résultant de l'application des Règles se sont traduites par des diminutions très substantielles des trafics et des chiffres d'affaires des sites internet concernés, contrastant avec les croissances affichées par ces sites lorsqu'ils avaient accès à Google Ads. Ainsi, le chiffre d'affaires et le trafic de pages-annuaires.net ont été divisés par près de 5 entre 2014 et 2015, année de la suspension de son compte AdWords, En 2016, son chiffre d'affaires a été d'un montant environ 12 fois inférieur à celui de 2013. Entre 2014 et 2015, le chiffre d'affaires et le trafic d'« annuaires-inverse.net » ont été divisés par 1,7 et 2,6 (voir cote 11162). Le site d'Audivox « les-pages.com » a vu son chiffre de visiteurs divisé par 12.

450.Ainsi qu'il a été exposé dans la partie II-C, les Règles ont en outre créé une incertitude quant à la possibilité de recourir durablement aux services Google Ads pour des éditeurs faisant le choix d'un modèle payant. Au surplus, Google pouvait tirer avantage d'une telle incitation à adopter un modèle « gratuit », avec un financement des sites par la publicité, dans la mesure où il propose aux éditeurs de sites des services de vente de leurs espaces publicitaires (Google AdSense).

451.En limitant ainsi les possibilités de différenciation des modèles économiques entre sites, les Règles ont pu entraver la croissance de nouveaux entrants ou d'acteurs aux moyens limités au bénéfice des acteurs en place. Le maintien d'annonceurs douteux sur la plateforme Google Ads est aussi de nature à entraîner des surprix sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches et une dégradation de l'investissement publicitaire des annonceurs de bonne foi, dans la mesure où ces derniers, en raison des modalités de vente des espaces publicitaires sur Google, doivent potentiellement surenchérir sur des annonceurs violant les Règles pour obtenir un spot publicitaire.

452.L'Autorité a donc, à suffisance, démontré aux paragraphes 550 à 555 de la décision attaquée, que les pratiques ont pu nuire à l'animation concurrentielle des marchés en ligne et au paragraphe 502 qu'elles ont pu modifier les incitations des éditeurs de sites, notamment innovants.

453.Le dommage à l'économie est aussi renforcé par la position dominante très forte qu'occupe Google sur le marché des services de recherche sur internet, si bien que les effets des pratiques sur les référencements des sites sur Google Ads n'ont pas conduit à une diminution du nombre d'utilisateurs du moteur de recherche Google. En particulier, ni le référencement de services sans valeur ajoutée que Google a parfois laissé se développer, ni le non-référencement de services potentiellement valorisés par les consommateurs mais en violation des Règles ne lui ont fait perdre un nombre significatif d'utilisateurs, ni affecté la croissance de ses revenus.

454.Par suite, le dommage à l'économie présente un caractère certain.

455.Deux facteurs importants d'atténuation de ce dommage sont cependant à prendre en compte. D'une part et ainsi qu'il a été exposé de façon pertinente au paragraphe 556 de la décision attaquée, certains sites parviennent à se développer sans nécessairement utiliser Google Ads. D'une part, selon les secteurs, la probabilité que des sites optant pour un modèle payant plutôt que pour un modèle gratuit financé par la publicité aient souhaité se développer est plus ou moins forte, si bien que l'effet dommageable de l'opacité des Règles mises en place par Google et leur application aléatoire n'est pas de la même ampleur pour tous les secteurs, d'autre part.

456.En troisième lieu, la Cour rappelle que la décision attaquée, ce qui n'est pas contesté, a adapté la sanction à la taille, à la puissance économique et aux ressources globales des sociétés Google LLC et Google Ireland Ltd en tant qu'auteur et de la société Alphablet Inc en tant que société mère, lesquelles constituent, prises ensemble, une entreprise au sens du droit de la concurrence appartenant à un groupe d'envergure internationale. La Cour précise que la mise hors de cause de la société Google France est dépourvue de toute incidence sur ce point.

457.En conclusion, eu égard à ce qui précède, et considération prise, donc, premièrement de la gravité certaine des faits, deuxièmement de l'importance du dommage à l'économie, une fois prise en compte des facteurs d'atténuation figurant paragraphe 455 du présent arrêt, et troisièmement de la situation de l'entreprise Google, la Cour retient que la sanction pécuniaire solidaire de 150 000 000 euros infligée aux sociétés Google LLC et GoogleIreland Ltd est justifiée et proportionnée au sens de l'article L. 464-2, I, alinéa 3 du code de commerce.

458.La responsabilité d'Alphabet Inc. ayant également été retenue en sa qualité de société mère, depuis le 2 octobre 2015, c'est à juste titre que l'Autorité a prononcé à son égard une condamnation au paiement solidaire de cette sanction, dans la limite de 72 000 000 euros, correspondant à la quote-part de la sanction précitée devant être supportée par Alphabet Inc.. qui tient compte de la durée limitée de sa participation à l'infraction, non contestée, d'une durée de 3 ans.

459.Le moyen est rejeté.

V. SUR LES INJONCTIONS

460.L'Autorité retient, au paragraphe 564 de la décision attaquée, que le prononcé d'injonctions est essentiel lorsque l'atteinte à la concurrence résulte de stipulations contractuelles toujours en vigueur. Ces injonctions visent à s'assurer que l'entreprise sanctionnée modifiera son comportement pour l'avenir, afin de faire cesser l'atteinte portée à la concurrence.

461.Elle ordonne aux sociétés condamnées de se conformer aux injonctions suivantes':

« a) Les injonctions concernant la clarification des Règles Google Ads

566. - Premièrement, Google doit clarifier la rédaction des Règles Google Ads qui ont pour objet de protéger les utilisateurs de son moteur de recherche en ligne Google Search contre les annonces et les sites malveillants (ci-après : les 'Règles Protectrices des Internautes').

567. À cet égard, la formulation des Règles Protectrices des Internautes doit comprendre non seulement leur définition, mais aussi leur nature en précisant le degré de gravité du manquement.

568. La liste des Règles Protectrices des Internautes dont le manquement est considéré comme grave, et qui permet pour cette raison d'appliquer une procédure accélérée de suspension, doit être limitée à ce qui est strictement nécessaire et proportionné à l'objectif de protection du consommateur. Dans tous les cas, les Règles Protectrices des Internautes doivent reposer sur des critères objectifs, transparents et non discriminatoires d'identification des manquements éventuels.

569. - Deuxièmement, Google doit revoir ses procédures d'information concernant les modifications des Règles Protectrices des Internautes qu'elle entend mettre en place.

570. En cas de changement d'une Règle Protectrice des Internautes, les annonceurs concernés par ce changement doivent être systématiquement destinataires d'une notification individuelle, par voie électronique ou postale, les informant au moins deux mois à l'avance :'

- de son contenu précis, en précisant si celle-ci se rattache à un manquement grave ;

- des changements induits par rapport à l'ancienne version ;

- des changements éventuels sur les autres Règles Protectrices des Internautes ; et

- de la date d'entrée en vigueur du changement.

571. La mise à jour du 'journal des modifications' doit accompagner les notifications individuelles et dans les mêmes délais.

572. Un délai de préavis inférieur à deux mois pourra s'appliquer aux changements dans le cas où la législation nationale imposerait à Google une modification dans un délai incompatible avec le respect du préavis de deux mois indiqué plus haut.

573. La présente section (le deuxièmement de cette injonction) est applicable en cas de modification des procédures de suspension de comptes qui seraient envisagées par Google, dans le respect de l'injonction ci-dessous.

b) Les injonctions concernant l'application des procédures de suspension

574. Google doit clarifier les procédures de suspension qu'elle applique dans le respect des règles suivantes.

575. La suspension immédiate d'un compte n'est possible qu'en cas de manquement grave. Le manquement grave est constitué lorsque certaines Règles, dont la liste exhaustive est précisée par Google en vertu de l'injonction précédente et dans le respect des critères de nécessité et de proportionnalité, ont été enfreintes. Il peut également être constitué lorsque trois' manquements à la même Règle ont été constatés, et confirmés en cas d'appel' par Google au' cours d'une période de deux ans. Google assure une notification d'alerte du détenteur du compte concomitante de la suspension, qui précise de manière exhaustive les Règles dont' Google a constaté la violation et met en mesure le détenteur du compte de justifier ce manquement, d'y remédier ou de demander des explications sur la nature de ce qui lui est reproché.

576. En cas de manquement non grave, la procédure de suspension de compte devra prévoir, une semaine avant toute suspension, l'envoi d'un avertissement qui (a) précisera de manière exhaustive les Règles dont Google a constaté la violation, (b) précisera les conséquences que peuvent entraîner des violations multiples de cette politique en ce qui concerne la suspension du compte Google Ads concerné ou de tout autre compte lié et (c) dirigera les clients Google Ads vers le centre d'aide Google Ads. Cet avertissement prévoira un délai suffisant avant toute' suspension de compte, permettant à l'annonceur, le cas échéant, de justifier ce manquement, d'y remédier ou de demander des explications sur la nature de ce qui lui est reproché.

577. Il y a lieu d'enjoindre à Google de publier un document unique, téléchargeable sur un espace du site Google Ads facilement accessible depuis le compte Google Ads de l'annonceur (par exemple, via un lien html), qui précise les motifs et les différentes étapes pouvant mener à la suspension d'un compte. Ce document devra comprendre :

- une définition de la notion de violations graves dont la constatation est susceptible d'entraîner une suspension immédiate du compte Google Ads d'un annonceur. Cette définition sera complétée par la liste exhaustive des Règles Google Ads rentrant dans la catégorie des violations graves ; et

- une description des différentes étapes menant à une suspension d'un compte en distinguant les procédures appliquées par Google pour sanctionner les manquements graves et les procédures appliquées par Google pour sanctionner les manquements non-graves.

c) Les mesures de prévention, de détection et de traitement des violations aux Règles Google Ads

578. En premier lieu, afin d'éviter que les violations aux Règles soient provoquées ou entretenues par les propres équipes commerciales de Google, il apparaît nécessaire que celles-ci soient suffisamment informées du contenu et de la portée des Règles Google Ads et des risques que leurs clients et les utilisateurs encourent s'ils ne les respectent pas.

579. Google devra organiser une formation annuelle obligatoire à destination des personnels chargés de l'accompagnement personnalisé des entreprises présentes sur Google Ads.

580. En deuxième lieu, afin de faciliter la détection des manquements aux Règles Google Ads et leur application, Google mettra en place une procédure permettant aux consommateurs de dénoncer les manquements aux Règles Google Ads et à la réglementation. Cette procédure devra être facilement accessible pour le consommateur. Elle pourrait par exemple être accessible par un lien spécifique sur les pages de recherche des versions françaises des sites du moteur de recherche Google, à côté des liens renvoyant vers les conditions d'utilisation et les Règles de confidentialité de Google.

581. En troisième lieu, afin que l'Autorité puisse vérifier que les mesures de suspension prononcées par Google sont en adéquation avec l'objectif de protection des consommateurs qu'elle poursuit, Google lui communiquera, sur une base annuelle, un rapport contenant les informations suivantes :

i)' le' nombre total de sites qui ont fait l'objet de plaintes déposées par les internautes français auprès de Google en vertu de la procédure visée au paragraphe 580, en indiquant le nombre total de comptes qui ont été suspendus à la suite de ces plaintes ;

ii)' le nombre total de sites promus sur Google Ads en France dont les annonces ou les comptes ont été suspendus par Google pour des raisons tenant à la protection des internautes, en précisant pour chacun de ces sites :

- son nom de domaine ;

- le numéro de compte Google Ads auquel ce site est associé ;

- la thématique qu'il traite ;

- la ou les Règles violées par l'annonceur ;

- le mode de détection de la violation : à la suite de plaintes des internautes, ou par d'autres moyens à identifier ;

- la nature de la suspension (suspension d'annonces, suspension de comptes, etc..), la date à laquelle cette mesure de suspension a été annoncée, et, le cas échéant, la date de la levée de la mesure de suspension.

582. Google devra communiquer ce rapport à l'Autorité,sur une base annuelle, au plus tard le dernier jour du premier trimestre de l'année civile (31 mars). Google publiera sur le site Google Ads une version non-confidentielle de ce rapport qui précisera les mesures qu'elle a mises en oeuvre pour protéger les internautes.

583. Ce rapport permettra s'agissant des informations visées au i), d'analyser les suites que réserve Google aux plaintes qui sont déposées par les consommateurs à l'encontre des sites promus sur Google Ads. Les informations visées au point ii) permettront de vérifier que les moyens' mis en oeuvre et les mesures de suspensions prononcées par Google sont en adéquation avec sa politique de protection des consommateurs.

584. Les informations figurant dans ce rapport devront être étayées par des éléments justificatifs (par exemple, les échanges entre Google et les annonceurs concernant la suspension de leurs comptes), afin que l'Autorité puisse en vérifier l'exactitude.

585. Google pourra néanmoins se soustraire à cette obligation de communication de documents justificatifs, en désignant un tiers indépendant, présenté et préalablement agréé par l'Autorité, qui sera en charge de contrôler l'exactitude des informations contenues dans ce rapport. Un tel tiers indépendant devra être présenté avec le projet de mandat à l'approbation de l'Autorité dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision. » (Surlignements par la Cour).

462.Google estime que ces injonctions, qui sont sans précédent dans leur portée et leur détail, ne respectent pas les critères fixés par la jurisprudence pour l'application des dispositions de l'article L. 464-2 I du Code de commerce.

A.SUR LA PORTÉE DES INJONCTIONS

463.L'Autorité retient, au paragraphe 566 de la décision attaquée, que les injonctions visées aux points a), b) et c) concernent l'ensemble des stipulations contractuelles conclues entre Google et les annonceurs sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches sur le marché français. Ce dernier critère est vérifié soit par l'adresse de facturation de l'annonceur, soit par l'adresse IP des internautes ayant cliqué sur le lien de l'annonce. Si le lieu de facturation se situe en France ou si l'adresse IP est française, les injonctions s'appliquent.

464.Google fait valoir que la portée des injonctions « va bien au-delà des pratiques alléguées ».

465.Elle allègue, en premier lieu, que le champ d'application géographique des injonctions est sans lien avec l'abus. Les injonctions auraient une portée extraterritoriale, en ce qu'elles concernent des annonces sur lesquelles ont cliqué des internautes dont l'adresse IP est française, alors que les pratiques sanctionnées sont limitées à la France. Lorsqu'un annonceur lance une campagne publicitaire, ses annonces sont par défaut diffusées dans tous les pays, Google ne pourrait donc pas prévoir quels annonceurs vont générer des clics d'internautes français. Une telle injonction serait sans lien avec l'abus reproché qui ne concernerait que les relations entre Google et les annonceurs et non pas les relations entre Google et les internautes.

466.Google soutient, en second lieu, que le champ d'application matériel est sans lien avec l'abus allégué dans la décision attaquée.

467.Elle fait valoir que les développements relatifs aux Règles dans la décision attaquée se concentrent sur la définition d'une seule Règle, celle sur les Promotions indignes de confiance, désormais appelées Pratiques commerciales inacceptables, et plus particulièrement l'exemple interdisant la Vente d'articles gratuits. Aucune autre ne serait citée comme inéquitable. Or l'injonction ordonne la clarification des « Règles protectrices des internautes ». En outre, plusieurs autres injonctions portent de manière générale sur les « Règles Google Ads » ou les « Règles » dans leur ensemble. Cela lui paraît sans précédent': les injonctions prononcées dans la décision précitée Amadeus n° 19-MC-01 étaient limitées dans le temps puisque prises à titre de mesures conservatoires et elles ne portaient que sur un seul secteur d'activité, les services payants de renseignements par voie téléphonique. De manière similaire, Google ne s'était engagée à clarifier la teneur d'une seule Règle dans la décision Navx précitée n° 10-D-30 et ces engagements étaient valables pour une durée de trois ans.

468.Seraient en outre sans lien avec l'abus allégué les injonctions sur l'application des procédures de suspension de comptes, « afin d'éviter que celles-ci revêtent un caractère brutal et injustifié » (paragraphe 565), alors que la décision ne mentionne nullement de ruptures de ce type. Il en serait de même des injonctions dont l'objectif affiché est de protéger les consommateurs des annonces malveillantes, telles la mise en place d'un outil permettant aux internautes de dénoncer non seulement les manquements aux règles Google Ads, mais aussi à « la réglementation » et la communication d'un rapport annuel détaillant les mesures prises pour protéger les internautes à la suite de ces plaintes. L'Autorité s'arrogerait une compétence en matière de protection des consommateurs alors que ces missions sont légalement limitées au respect de la concurrence.

469.L'Autorité observe, en premier lieu, que les Règles font déjà l'objet de déclinaisons locales pour la vente de certains produits, en fonction du pays où l'annonce est diffusée. À titre d'exemple, la Règle sur les alcools prévoit que':'« certains types d'annonces liées à l'alcool sont autorisées, dès lors que ces dernières respectent les règles ci-dessous et ne ciblent que les pays où la vente d'alcool est explicitement autorisée ». Google est donc parfaitement en mesure de circonscrire l'application des injonctions, en fonction du pays où l'annonce est diffusée en utilisant le critère de l'adresse IP des internautes. Ce critère est de surcroît conforme au principe de territorialité défini par la jurisprudence de la cour d'appel de Paris (Arrêt Microsoft du 15 mars 2016 (RG n° 14/01359).

470.En second lieu, elle fait valoir que la cour d'appel de Paris a confirmé le bien-fondé d'une injonction similaire dans l'arrêt Amadeus, précité, du 4 avril 2019 (RG n° 19/03274).

471.Le ministre chargé de l'économie soutient que c'est bien à l'ensemble des Règles qu'il convient de s'intéresser, car ce sont celles-ci qui ont été mises en oeuvre incorrectement par Google. S'en tenir aux seules règles relatives à la Vente d'articles gratuits ou aux Promotions indignes de confiance serait insuffisant pour assurer l'efficacité des injonctions, ces deux aspects n'ayant été mis en exergue qu'à titre d'illustration particulière dans la décision attaquée aux paragraphes 377 et 378.

472.Il considère que le critère de l'adresse IP française est en rapport suffisant avec les pratiques sanctionnées. Il ajoute que les injonctions concernant l'application des procédures de suspension ont un rapport évident avec les pratiques sanctionnées.

473.Il estime enfin que demander à Google de mettre en place une procédure permettant aux consommateurs de dénoncer les manquements non seulement aux Règles protectrices des internautes, mais aussi à la réglementation, semble excéder le champ des pratiques constatées.

474.Le ministère public fait valoir qu'il ressort de la décision attaquée qu'« au cours de l'instruction, Google a précisé qu'elle réalisait des contrôles de sites français en dehors de France, notamment à partir de la République d'Irlande. S'agissant des annonceurs susceptibles d'avoir des pages de destination différentes en fonction des pays, des fournisseurs d'accès à internet ou des appareils (ou une combinaison de ceux-ci), Google peut utiliser des [outils à distance]. » (paragraphe 14). Ainsi, les contrôles de la société Google fondés sur les Règles Google Ads peuvent être réalisés en dehors du territoire français, ce qui justifie le champ d'application géographique des injonctions. L'adresse IP des utilisateurs est en outre en lien direct avec l'objet de l'abus allégué. Il soutient, de plus, que la dominance de Google sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches est assises sur le comportement des internautes.

475.Il invite cependant la Cour à ne pas maintenir l'injonction de mise en place d'une procédure de dénonciation.

476.Amadeus souligne que les mesures conservatoires ordonnées suite à sa saisine avaient déjà pour objectif d'imposer à Google de clarifier les Règles Google Ads et de revoir la procédure de suspension des comptes des annonceurs, par l'instauration d'un avertissement formel et un préavis suffisant, lesquelles ont été jugées nécessaires et proportionnées par la cour d'appel de Paris.

Sur ce, la Cour,

477.L'article L. 464-2 I du code de commerce dispose':

« L'Autorité de la concurrence peut ordonner des injonctions aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. ».

478.S'agissant, en premier lieu, du champ d'application géographique des injonctions, la Cour retient que le périmètre d'application des injonctions prononcées à l'encontre de Google doit être défini dans des conditions garantissant l'efficacité de la mesure sur le marché français de la publicité liée aux recherches, afin de protéger, d'une part, les annonceurs de bonne foi qui sont actifs sur ce marché et, d'autre part, les internautes qui accèdent de France aux annonces diffusées sur Google Ads.

479.Ce critère territorial est, dans le cas le plus courant, vérifié par l'adresse de facturation de l'annonceur.

480.Il apparaît nécessaire, en outre, que les injonctions prononcées à l'encontre de Google s'appliquent aux annonceurs qui diffusent des annonces publicitaires auprès des internautes présents sur le marché français, même si ces annonceurs sont facturés par Google hors de France.

481.Chaque internaute est précisément identifié et localisé par Google grâce à son adresse IP. Cette adresse est donc à même de limiter l'application des Règles aux sites qui diffusent des annonces en France.

482.En effet, lorsque l'annonceur définit un ciblage géographique pour sa campagne publicitaire, les adresses IP permettent à Google'Ads d'identifier les internautes qui utilisent un ordinateur dans la région ciblée. L'hypothèse, évoquée par Google dans ses écritures, où l'annonceur n'a pas limité son annonce à une zone géographique donnée, correspond au cas où ce dernier a entendu faire une campagne mondiale, soit une campagne visant aussi le marché français. En faisant ce choix, l'annonceur a donc estimé devoir être actif notamment sur le marché français.

483.C'est donc de façon fondée que l'Autorité a retenu qu'il était nécessaire, pour circonscrire l'application des injonctions au marché français, d'utiliser tant le critère du lieu de facturation de l'annonceur que celui de l'adresse IP française des internautes (paragraphe 586 de la décision attaquée).

484.S'agissant, en second lieu, du champ d'application matériel des injonctions, la décision attaquée retient qu'est compris dans le périmètre des injonctions « l'ensemble des stipulations contractuelles conclues entre Google et les annonceurs sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches sur le marché français » (paragraphe 586 de la décision attaquée). Il s'en déduit que toutes les Règles mises en ligne dans le Centre d'aide Google Ads sont concernées, que ce périmètre est susceptible de s'étendre à tous les supports, soit aux éventuelles Règles qui figureraient dans d'autres stipulations contractuelles, et qu'il n'est pas limité aux secteurs sur lesquels Gibmedia et Amadeus sont actifs. Ce champ matériel est le même pour les injonctions a), b) et c).

485.Concernant, premièrement, le périmètre des Règles visées par les injonctions, la Cour observe que contrairement à ce qu'allègue Google, la pratique abusive n'est pas liée à l'édiction d'une Règle en particulier mais à la constatation de l'absence de définition adéquate des comportements interdits laissant place à une appréciation discrétionnaire de Google, à une interprétation variable des Règles et à des différences de traitement dans leur mise en oeuvre, notamment concernant la suspension des comptes. ll ressort en effet des éléments recueillis au cours de l'instruction qu'un certain nombre de Règles d'accès et de fonctionnement de la plateforme publicitaire Google Ads sont définies et appliquées de manière non-objective, non-transparente et discriminatoire.

486.C'est donc la méthodologie générale suivie par Google dans la rédaction de ses clauses qui est au coeur des pratiques, de sorte que c'est à tort qu'elle allègue que les injonctions excéderaient leur champ faute pour l'Autorité d'avoir examiné la définition et l'application de chacune des Règles Google Ads.

487.Il est par ailleurs établi que Google crée régulièrement de nouvelles Règles, d'une part et modifie fréquemment les Règles existantes, d'autre part. Dresser une liste exhaustive des Règles concernées par les injonctions serait inadapté, dès lors qu'une réorganisation du corpus ou un intitulé différent serait de nature à faire échec à leur inclusion dans le champ des injonctions, sans égard pour l'objet de la Règle concernée.

488.La Cour observe, de plus, que contrairement à ce qui est allégué, aucune injonction ne porte de manière générale sur les « Règles Google Ads » ou les « Règles » dans leur ensemble, ces formulations étant employées, dans les injonctions, en référence et par renvoi aux règles qui ont pour objet de protéger les utilisateurs de son moteur de recherche en ligne Google Search contre les annonces et les sites malveillants, dites Règles protectrices des internautes visées au paragraphe 566. Or, ces injonctions concernent la clarification de Règles qui, telles qu'elles seront interprétées aux paragraphes 523 et 525 du présent arrêt, ont un rapport étroit avec les pratiques sanctionnées.

489.Le périmètre des injonctions est ainsi délimité par les § 566 et 586 de la décision attaquée et en lien avec les pratiques.

490.Concernant, deuxièmement, le support des Règles concernées, la Cour constate que les stipulations contractuelles relatives aux conditions requises pour diffuser de la publicité sur le réseau Google sont actuellement fixées à l'article 3 des conditions générales de publicité relatives aux « politiques et règlements de Google disponibles à l'adresse www.google.com/ads/policies », publié sur le Centre d'aide en ligne Google Ads.

491.Google étant amené à modifier très fréquemment ses Règles et étant susceptible de nouer des relations commerciales avec un même partenaire au moyen de plusieurs contrats différents, auxquelles les Règles visées aux § 566 et 586 pourraient être intégrées, l'efficacité de l'injonction justifie la rédaction adoptée, qui ne circonscrit pas les stipulations contractuelles concernées à celles mises en ligne sur le Centre d'aide en ligne Google Ads.

492.Concernant, troisièmement, les secteurs concernés par ces Règles, il est démontré que les pratiques ont eu une ampleur plus large que les trois secteurs visés par la plainte, de sorte que la référence à l'ensemble des stipulations contractuelles, sans restriction de secteur, est appropriée pour répondre à l'ampleur des pratiques observées.

493.Concernant, quatrièmement, le lien entre les pratiques et les injonctions b), la Cour rappelle qu'il est établi que certains annonceurs ont été maintenus dans une situation d'insécurité juridique et économique, car exposés à la suspension de leur site, voire de leur compte, sans pouvoir anticiper, ni prévenir cette sanction par un comportement déterminé, en raison du caractère instable et de l'application aléatoire et différenciée des Règles.

494.L'Autorité a donc prévu de façon justifiée, aux paragraphes 575 et 576 de la décision attaquée, des injonctions consistant à modifier les procédures de suspension de compte, lesquelles se rapportent directement aux pratiques sanctionnées.

495.L'injonction visée au paragraphe 577, en ce qu'elle assure la transparence des Règles de suspension du compte, est également en lien avec les pratiques. Elle ne méconnaît en rien la liberté contractuelle de Google, dès lors qu'elle se borne à assurer la transparence des règles sans en imposer la nature, et s'avère proportionnée dès lors qu'elle se borne à préserver l'accessibilité des Règles applicables.

496.Concernant, cinquièmement, le lien entre les pratiques et les injonctions c) relatives aux mesures de prévention, de détection et de traitement des violations des Règles (telles qu'interprétées aux paragraphes 523 et 525), il peut être observé que ces dernières comportent trois volets.

497.Le premier, prévu aux § 578 et 579 de la décision attaquée, concerne l'action de formation requise pour remédier aux différences d'interprétation et de traitement entre les annonceurs. Il vise à « éviter que les violations soient provoquées ou entretenues par les propres équipes commerciales de Google » et concerne plus particulièrement les personnes « chargées de l'accompagnement personnalisé » des entreprises ayant recours à Google Ads.

498.Ce volet présente ainsi un rapport direct avec l'abus sanctionné, et un caractère approprié pour y mettre fin.

499.Les deuxième volet, prévu aux paragraphes 580, 581 i) et 583, ce dernier visant le paragraphe 581, i), de la décision attaquée, concerne l'injonction de mettre en place une procédure permettant aux consommateurs de dénoncer les manquements aux Règles Google Ads et à la réglementation, et les informations y afférentes qui doivent être communiquées à l'Autorité.

500.Les pratiques consistant en une application discrétionnaire et discriminatoire des Règles Google Ads dans ses relations avec les annonceurs, et non avec les consommateurs, cette injonction n'est pas en rapport direct avec les pratiques.

501.Cette injonction n'apparaît donc pas nécessaire. Il en va d'autant plus ainsi que les injonctions a) et b) répondent à la nécessité de faire cesser l'application discrétionnaire et discriminatoire des Règles.

502.La décision doit donc être réformée sur ce point.

503.Le troisième volet, visé aux § 581 et suivants de la décision attaquée, concerne les informations que Google doit communiquer l'Autorité afin qu'elle puisse être mise en mesure de vérifier que les mesures de suspension prononcées sont en adéquation avec l'objectif de protection des internautes.

504.Ce volet (§ 581, sous ii, à l'exclusion du i, et § 583, en ce qu'il vise le i) et non le ii) n'est pas dénué de tout lien avec l'abus sanctionné. Son caractère nécessaire et proportionné sera examiné aux paragraphes 555 et 556 du présent arrêt.

505.Il s'ensuit que le moyen est accueilli, mais seulement s'agissant des injonctions prévues aux paragraphes 580, 581 i) et 583 de la décision attaquée, en ce qu'il vise le i) du paragraphe 581.

B. SUR LA CLARTÉ ET LA PRÉCISION DES INJONCTIONS

506.Google soutient que les injonctions ne sont pas claires et précises.

507.Elle fait valoir, en premier lieu, que les injonctions a) concernant la clarification des Règles contiennent des ambiguïtés qui laissent une marge d'appréciation trop élevée à l'Autorité. La décision attaquée n'explique pas selon quels principes ces Règles devraient être « clarifiées », elle ne donne aucune directive permettant de comprendre dans quelles conditions de rédaction une Règle sera jugée suffisamment objective et transparente et ne fournit aucune formulation alternative qui serait jugée acceptable. Google se réfère, à titre de précédent, à une ordonnance n° 20/03760 du 1er juillet 2020 rendue par le délégué du premier président de la cour d'appel de Paris qui a suspendu l'exécution d'une injonction de l'Autorité au motif que celle-ci était « particulièrement imprécise quant à son exécution ».

508.Google souligne que la décision attaquée parait suggérer que toutes les Règles pourraient être concernées puisqu'il est indiqué au paragraphe 566 que les Règles Google Ads poursuivent un objectif de protection des utilisateurs. Ni cette décision, ni les observations de l'Autorité ne fournissent une indication quant au seuil à partir duquel il sera estimé qu'une Règle est suffisamment objective et transparente pour ne plus être considérée comme abusive au sens de l'article 102, a) du TFUE. Ne sont pas définis non plus les « annonceurs concernés » destinataires de la notification ciblée en cas de modification apportée à une Règle.

509.Google soutient qu'il semble, en deuxième lieu, à la lecture des injonctions b) concernant les procédures de suspension, qu'elle doive toujours offrir à l'annonceur la possibilité de remédier à tout manquement grave et répété et le cas échéant réactiver son compte. Si tel est le cas, un annonceur malveillant pourrait indéfiniment poursuivre son activité sur Google Ads en se mettant provisoirement en conformité avec les Règles à chaque fois qu'un manquement est détecté par Google.

510.Google critique, en troisième lieu, les mesures c) de prévention, de détection et de traitement des violations des Règles ordonnées. Elle fait valoir que le champ des informations devant figurer dans le rapport annuel destiné à l'Autorité n'est pas clairement défini. Elle fait valoir que la notion de « sites promus sur Google Ads France » n'est pas non plus définie, ni reliée de manière claire à la notion de « Règles Protectrices des Internautes », d'une part, aux critères d'application géographiques des injonctions d'autre part. Elle observe que la notion d »annonces suspendues » n'existe pas dans les procédures de Google et ne fait référence à aucun développement dans le reste de la décision attaquée. Elle considère que si les observations de l'Autorité n'apportent aucune clarification sur la notion d'annonces ou comptes suspendus « pour des raisons tenant à la protection des internautes ».

511.L'Autorité répond, en premier lieu, que l'exigence a) de clarification des Règles apporte une réponse concrète à un problème méthodologique, attaché à l'ensemble des Règles de Google, qui consiste à adopter des Règles peu claires et à les modifier constamment. L'injonction ne porte en revanche pas, en tant que telle, sur le contenu de Règles spécifiques faisant partie d'un périmètre défini.

512.Elle fait valoir que le périmètre des injonctions est d'autant plus approprié au regard de l'abus retenu, que des injonctions trop ciblées auraient été inefficaces. En effet, compte tenu de l'évolution constante des Règles, de nouvelles Règles étant régulièrement créées ou celles existantes modifiées, une délimitation matérielle figée, correspondant à une liste exhaustive des Règles concernées par l'injonction, aurait été inadaptée. Une telle solution n'aurait pas permis aux injonctions de s'appliquer aux nouvelles Règles créées ou modifiées par Google postérieurement à l'adoption de la décision attaquée. Elle, a pour ces raisons, retenu un critère d'application général, à savoir le critère de protection des internautes, pour définir le champ d'application matériel des injonctions relatif à la clarification des Règles.

513.L'Autorité ajoute, s'agissant du contenu de l'injonction, que les paragraphes 567 et 568 de la décision attaquée précisent les principes que doit suivre Google pour clarifier le contenu des Règles protectrices des internautes (prévoir une définition, définir le degré de gravité de la règle et utiliser des formulations transparentes, objectives et non-discriminatoires). La cour d'appel de Paris a, au demeurant, eu l'occasion de confirmer le bien-fondé des injonctions de clarification des Règles relatives aux « déclarations trompeuses », aux « comportements non fiables ou promotions indignes des confiance » dans son arrêt du 4 avril 2019, sans que la clarté ou la précision de ces injonctions ne soient remises en cause.

514.L'Autorité relève enfin, s'agissant des annonceurs concernés, que la décision attaquée prévoit que Google doit informer les annonceurs concernés via une notification ciblée. Les annonceurs concernés varient selon que la règle s'applique à un secteur d'activité particulier (ex : Règles sur les alcools, médicaments, etc') ou s'applique à tout annonceur quel que soit son secteur d'activité (ex : Règles sur les déclarations trompeuses). Dans ce deuxième cas de figure, Google doit, pour se conformer aux injonctions, notifier à l'ensemble des annonceurs qui diffusent des annonces publicitaires Google Ads en France le changement de règle envisagé.

515.L'Autorité fait valoir, s'agissant en deuxième lieu des injonctions b) relatives à la suspension des comptes, que l'argument de Google manque en fait. En effet, l'injonction précise que l'annonceur commettant une violation grave doit recevoir une notification lui permettant « d'y remédier ou de demander des explications sur ce qui lui est reproché ». L'emploi de la conjonction « ou » signifie que Google n'est pas obligée d'offrir à l'annonceur la possibilité de remédier à son comportement, cette solution constituant une simple alternative à la fourniture d'explications demandées par l'annonceur.

516.S'agissant en troisième lieu des injonctions c) relatives aux mesures de prévention, de détection et de traitement des violations aux Règles, l'Autorité soutient que le champ géographique est clairement défini au paragraphe 586 de la décision attaquée (qui couvrent les injonctions visées au point c). Par ailleurs, les paragraphes 126 et 127 distinguent deux cas de suspensions, celui où Google suspend les annonces attachées à un site donné (désactivation de domaine) et celui où la suspension s'applique aux annonces de plusieurs sites rattachées à un même compte (suspension de comptes). Elle ajoute que les injonctions visées au point c) s'appliquent à ces deux cas de figure.

517.Le ministère public considère que l'Autorité a, aux paragraphes 563 à 590 de la décision attaquée, donné une description détaillée des injonctions ordonnées et de ses attentes. Il ajoute que l'obligation de notification n'entraîne pas, malgré les dires de Google, une impossibilité de mettre fin aux relations avec un annonceur malveillant. En effet, l'injonction précise que s'il ne peut être remédié au manquement, la société Google peut demander des explications, d'où pourra s'ensuivre une rupture des relations commerciales.

518.Amadeus fait valoir que l'ordonnance n° 20/3760 du 1er juillet 2020 citée par Google à l'appui de ses prétentions concerne une injonction bien moins précise et explicité que celles imposées en l'espèce puisqu'elle consistait à simplement à « mettre en conformité (des documents contractuels)'avec le droit de la concurrence ».

Sur ce, la Cour,

519.S'agissant, en premier lieu, des injonctions a) concernant la clarification des « Règles protectrices des internautes », il convient de constater que l'Autorité a retenu un critère d'application général, lequel, aux termes du paragraphe 566 de la décision attaquée, vise « l'ensemble des Règles Google Ads qui ont pour objet de protéger les utilisateurs de son moteur de recherche en ligne Google Search contre les annonces et les sites malveillants ».

520.Cependant, force est de constater, tout d'abord, que l'ensemble des Règles relatives aux trois premières catégories du corpus (contenu interdit, pratiques interdites et contenu à diffusion contrôlée) sont, selon la pièce 3 de Google, instaurées pour protéger les utilisateurs du moteur de recherche. Les Règles relatives aux exigences rédactionnelles et techniques, qui relèvent de la quatrième et dernière catégorie, sont par ailleurs présentées comme destinées à aider à la fois les utilisateurs et les annonceurs, dans le but d' « attirer les utilisateurs, sans pour autant les importuner », afin de « fournir une expérience de qualité aux utilisateurs ». L'ensemble des Règles a donc pour objectif, au moins partiel, de protéger les internautes.

521.Force est de constater, ensuite, que ni les Règles Google Ads, ni la décision attaquée, ne comprennent de définition des « annonces et sites malveillants » contre lesquels les utilisateurs du moteur de recherche doivent être protégés.

522.Il s'ensuit que le périmètre des Règles concernées par l'injonction a) de clarification n'est pas défini de manière précise par la décision attaquée.

523.La Cour retient, en conséquence, que l'injonction sous a) relative aux « Règles Google Ads qui ont pour objet de protéger les utilisateurs du moteur de recherche en ligne Google Search contre les annonces et les sites malveillants » doit être interprétée comme comprenant, tout d'abord, les règles comportant dans leur intitulé ou leur contenu une référence aux comportements trompeurs, non fiables, aux promotions indignes de confiance et aux pratiques commerciales inacceptables, en cohérence et dans la continuité de la mesure conservatoire n° 1 définie par la décision n° 19-MC-01 du 31 janvier 2019, qui répondait aux mêmes préoccupations de concurrence.

524.Il existe en effet un lien de connexité entre ces procédures, confirmé par la décision n° 20-D-14 du 26 octobre 2020, par laquelle l'Autorité a retenu que les faits dénoncés par la société Amadeus avaient déjà été traités, qualifiés et sanctionnés dans le cadre de la décision attaquée et que les injonctions imposées à Google dans cette décision venaient encadrer les pratiques que cette société avait dénoncées, à l'instar des mesures conservatoires imposées dans la décision n° 19-MC-01. La Cour a d'ailleurs déjà relevé l'existence d'un lien de rattachement entre les mesures conservatoires prononcées par la décision n° 19-MC-01 et les injonctions de la décision attaquée, dans son arrêt du 7 janvier 2021 ayant admis l'intervention de la société Amadeus.

525.Compte tenu des pratiques observées lors de l'instruction au fond, ces injonctions doivent être interprétées comme comprenant, ensuite, les Règles comportant dans leur intitulé ou leur contenu une référence aux facturations douteuses, aux omissions d'informations pertinentes, à la vente d'articles gratuits et aux informations manquantes. Les éléments issus de la présente procédure au fond et les tableaux récapitulatifs insérés pages 30 à 38 de la décision attaquée permettent d'illustrer de façon suffisamment précise les comportements visés par ces intitulés et contenus et qui sont compris, en conséquence, dans le champ matériel des injonctions.

526.La Cour constate, en outre, que les paragraphes 567 et 568 de la décision attaquée précisent à suffisance les principes que doit suivre Google pour clarifier le contenu des Règles protectrices des internautes.

527.Il lui est ainsi prescrit, pour chacune de ces Règles, premièrement de prévoir une définition, deuxièmement de définir le degré de gravité du manquement et troisièmement de faire reposer les Règles sur des critères objectifs, transparents et non-discriminatoires d'identification de leurs manquements éventuels.

528.La Cour rappelle que les injonctions visent, en application de l'article L. 464-2 du code de commerce, à mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles, lesquelles ont été décrites et analysées dans la décision attaquée et le sont dans le cadre de la présente décision. Il s'ensuit que le degré de précision et de clarté des indications visant, par des injonctions, à remédier aux insuffisances mises en exergue, est suffisant pour permettre à Google de procéder à une clarification des Règles protectrices des internautes.

529.C'est à tort, enfin, que Google relève que les « annonceurs concernés » (visés au paragraphe 570) destinataires de la notification ciblée en cas de modifications apportées par une Règle ne seraient pas définis. L'ensemble des Règles sont applicables, de façon indifférenciée, à tous les annonceurs. Ces derniers sont donc tous concernés.

530.S'agissant, en deuxième lieu, des injonctions b) concernant les procédures de suspension, l'Autorité précise de façon appropriée, dans la décision attaquée, la nature des clarifications attendues, en posant des règles définissant précisément les cas dans lesquels peut intervenir une suspension immédiate (§ 575 de la décision attaquée) et les conditions dans lesquelles une suspension peut être mise en oeuvre en présence d'un manquement non grave (§ 576).

531.Les injonctions prévues aux paragraphes 575 et 576, en ce qu'elles tendent à informer l'annonceur des risques de suspension qu'il encourt et lui permettent le cas échéant de régulariser, ne font pas obstacle à la suspension lorsque Google constate que la situation ne permet pas de maintenir le compte. Elles ne remettent en cause ni le principe, ni l'effectivité de la suspension qu'elle entend mettre en oeuvre dans certaines situations, en cas de manquement. Elles ne visent qu'à encadrer la liberté contractuelle de Google, qui ne saurait être absolue, pour éviter qu'elle ne dégénère en abus.

532.S'agissant, en troisième lieu, du troisième volet des injonctions c) relatives aux mesures de prévention, de détection et de traitement des violations aux Règles, les critiques formulées sont sans objet eu égard à la réformation retenue aux paragraphes 556 et 557 du présent arrêt.

533.Le moyen est rejeté.

C. SUR LA PROPORTIONNALITÉ DE L'INGÉRENCE DE L'AUTORITÉ DANS LA LIBERTÉ CONTRACTUELLE ET COMMERCIALE DE GOOGLE

534.Google considère que les injonctions, « par leur caractère global, vague et intrusif », constitue une ingérence disproportionnée dans la liberté contractuelle et commerciale de Google.

535.Elle soutient, en premier lieu, que la décision attaquée lui impose de redéfinir une grande partie des termes contractuels avec les annonceurs alors que la définition et l'application de ces termes relèvent de l'exercice de sa liberté contractuelle, un droit protégé par la Constitution (décision du Conseil constitutionnel du 19 décembre 2000, n° 2000-437 DC), ce qui constitue une ingérence disproportionnée de l'Autorité dans sa relation avec les annonceurs.

536.Elle fait valoir, en deuxième lieu, que les injonctions privent Google de la flexibilité qui est nécessaire pour réagir le plus efficacement possible aux pratiques malveillantes des annonceurs. En particulier, l'obligation de publier la liste exhaustive des règles dont la violation peut constituer un manquement grave susceptible d'entraîner une suspension immédiate la prive de la possibilité de réagir immédiatement au comportement d'un annonceur qu'il considère comme particulièrement nuisible dès lors que la Règle violée ne fait pas partie de cette liste. Il en serait de même du préavis systématique d'au moins deux mois pour informer les annonceurs avant toute modification de Règles, y compris au demeurant en cas de changement favorable aux annonceurs.

537.Google soutient en troisième lieu que la décision attaquée met à sa charge des obligations d'information de l'Autorité et du public disproportionnées, en l'obligeant à fournir un rapport annuel durant 5 ans et à en publier une version non-confidentielle. Ceci reviendrait à donner à l'Autorité (et au public dans son ensemble) un droit de regard pendant cinq ans sur la manière dont Google gère sa relation avec tous les annonceurs Google Ads actifs en France. Il n'est fourni aucune indication, au demeurant, sur les raisons pour lesquelles une surveillance aussi longue et en partie publique serait nécessaire. La version non-confidentielle du rapport sera également un outil très utile pour les annonceurs malveillants voulant contourner les Règles.

538.Google considère en outre que les informations très détaillées à fournir dans ce rapport constitueraient une contrainte matérielle démesurée compte tenu de la quantité d'annonces refusées (2,7 milliards en 2019 au plan mondial) et de comptes suspendus chaque année (plus d'un million de comptes d'annonceurs). Google estime que le nombre important de justificatifs à fournir et un tel niveau de détail rendrait le document inexploitable par l'Autorité.

539.L'Autorité fait valoir en réponse, en premier lieu, que les injonctions sont proportionnées à l'objectif poursuivi en l'espèce, qui consiste à limiter la marge d'arbitraire de Google dans l'édiction et la mise en oeuvre de ses Règles.

540.Elle souligne, en deuxième lieu, que les injonctions concernant l'application des procédures de suspension encadrent la faculté de résiliation unilatérale pour éviter toute mise en oeuvre arbitraire.

541.L'Autorité soutient, en troisième lieu, que les obligations d'information imposées à Google permettent de contrôler le respect des injonctions par Google et apparaissent strictement proportionnées au regard des atteintes à la concurrence identifiées dans la décision attaquée. Elle fait valoir que le rapport annuel qui devra être communiqué à l'Autorité pendant 5 ans lui permettra d'analyser les suites que réserve Google aux plaintes qui sont déposées par les consommateurs à l'encontre des sites promus sur Google Ads et de s'assurer que les moyens mis en oeuvre et les mesures de suspensions prononcées par Google sont en adéquation avec sa politique de protection des consommateurs. Elle soutient que la décision attaquée permet à Google de recours à un mandataire indépendant, mais qu'elle n'a pas souhaité utiliser cette faculté, si bien qu'elle ne saurait critiquer l'obligation qui lui est faite de fournir à l'Autorité les éléments justificatifs pour chacun des sites mentionnés dans son rapport, en raison d'une charge de travail disproportionnée pour elle. Elle s'interroge sur cette argumentation, s'agissant d'une entreprise dont la capitalisation et les revenus le situent aux tous premiers rangs mondiaux, et alors que le chiffre d'affaires sur la publicité en ligne de Google en France est supérieure à [1,5 - 3] milliards d'euros en 2017.

542.La publication d'un rapport sur le site de Google apparaît également nécessaire à l'Autorité, afin que les annonceurs puissent, le cas échéant, l'alerter sur un problème particulier concernant la mise en oeuvre des injonctions. L'Autorité fait valoir que Google n'explique pas en quoi ce rapport pourrait être utile à des annonceurs malveillants, l'obligation imposée se limitant à la publication d'une simple version non-confidentielle du rapport.

543.Le ministre chargé de l'économie estime que l'injonction de publier la liste exhaustive des violations des règles Google Ads considérées comme graves a un rapport suffisant avec les pratiques sanctionnées. Les modalités de rédaction de ces dernières ne devraient toutefois pas obérer la possibilité pour Google d'appréhender des pratiques nouvelles.

544.Il soutient en outre que l'injonction relative au rapport est proportionnée. Au reste, la décision attaquée a prévu la faculté pour Google de présenter un tiers indépendant, préalablement agréé par l'Autorité, qui se chargerait du contrôle de ce rapport et dispenserait Google de lui transmettre les pièces justificatives prévues par l'injonction. Le recours à ce tiers indépendant donnerait aussi toute garantie à Google contre ce qu'elle estime être un risque d'ingérence dans sa liberté commerciale et contractuelle. Toutefois le ministre émet des réserves quant à l'obligation de publier la version non-confidentielle du rapport, qu'il estime inutile, dès lors que c'est Google qui décide du périmètre des informations confidentielles.

545.Le ministère public conteste toute ingérence disproportionnée de l'Autorité dans la liberté contractuelle et commerciale de Google et soutient que les injonctions n'imposent pas à Google de modifier la teneur de ses règles dans un certain sens, ou d'imposer des relations contractuelles avec certains annonceurs. Ces injonctions se limitent à clarifier les règles Google Ads, appliquées de manière inéquitables, provoquant des effets anticoncurrentiels sur les marchés en cause. L'Autorité se contente de subordonner la réécriture des règles Google Ads au standard d'objectivité, de transparence et de non discrimination. La société Google peut donc utiliser des termes suffisamment généraux, tant qu'ils respectent ce standard, afin de pouvoir s'adapter aux comportements des annonceurs malveillants.

546.Le ministère public invite la Cour à ne maintenir l'injonction relative à l'établissement d'un rapport que dans la mesure où un tiers indépendant est nécessairement nommé pour l'établissement d'un tel rapport, et indique partager l'avis du ministre chargé de l'économie s'agissant de la non nécessité de publier une version non-confidentielle du rapport dans la mesure où la société Google détermine ce qui relèverait du secret des affaires.

Sur ce, la Cour,

547.En premier lieu, il doit être relevé que les injonctions a) et b) retenues n'imposent pas à Google de modifier substantiellement la teneur de ses règles Google Ads ou de les rédiger dans un sens prédéfini, mais uniquement de clarifier la portée des Règles protectrices des internautes sur les points et selon les règles définies aux paragraphes 567, 568, 575 et 576 de la décision attaquée, afin que les opérateurs soient en mesure de les comprendre et d'en anticiper l'application.

548.Ces injonctions, qui ne portent que sur les Règles dites protectrices des internautes telles qu'interprétées aux paragraphes 523 et 525 du présent arrêt, sont justifiées par la nécessité de mettre un terme aux pratiques et proportionnées à cet objectif, sans constituer une ingérence disproportionnée de l'Autorité dans sa relation avec les annonceurs, dès lors qu'elles se bornent à fixer une méthodologie mais ne définissent elles-mêmes ni n'imposent la nature des Règles en cause.

549.En deuxième lieu, il y a lieu de constater qu'en application des injonctions b), Google demeure libre de suspendre le compte d'un annonceur immédiatement, lorsqu'il commet un manquement grave aux Règles.

550.L'injonction relative à la notification individuelle prévue au paragraphe 570 de la décision attaquée ne remet pas en cause la liberté contractuelle de Google, car cette injonction assure pleinement la transparence des Règles qui régissent les relations contractuelles avec chaque annonceur, laquelle n'est pas assurée par la seule mise en ligne sur le site « centre d'aide Google Ads », des Règles modifiées, sans tableau de concordance, compte tenu de la fréquence des modifications et du volume des Règles. Elle ne vise qu'à encadrer la liberté contractuelle de Google, qui ne saurait être absolue, pour éviter qu'elle ne dégénère en abus.

551.Google doit préciser, de manière exhaustive, les Règles dont la violation est susceptible d'être considérée comme grave, si bien que cette exigence ne lui permet pas de mettre fin immédiatement à de nouveaux comportements nuisibles pour les internautes dans une hypothèse très particulière, celle où il conviendrait au préalable, pour y parvenir, d'instaurer sur le champ une Règle nouvelle, ou de modifier en urgence le niveau de gravité d'une Règle préexistante.

552.Cependant, il peut être observé, tout d'abord, que ce cas, qui n'est pas spécifiquement documenté par Google, paraît d'autant plus exceptionnel qu'il ne s'agit pas de l'hypothèse où la suspension immédiate est la seule mesure efficace pour empêcher une activité illégale, puisqu'il est prévu au paragraphe 572 de la décision attaquée que Google peut s'exonérer du préavis indiqué lorsque celui-ci est incompatible avec la législation du pays concerné.

553.Ensuite, le légitime souci de réactivité de Google doit être mise en balance avec les autres intérêts en présence, lesquels justifient la mise en place de critères objectifs, transparents et non discriminatoires de suspension de compte, reposant sur des définitions claires. Il n'est pas établi que cette exigence assure une protection moins efficace du consommateur que celle consistant pour Google à agir de manière unilatérale en s'appuyant sur sa seule appréciation.

554.Il s'en déduit que les injonctions b), si elles limitent la capacité de Google à réagir de façon discrétionnaire aux comportements qu'elle considère comme malveillants, sont proportionnées au regard des atteintes à la concurrence identifiées dans la décision attaquée et auxquelles elles permettent de mettre un terme.

555.En troisième lieu, la décision attaquée impose à Google, par les injonctions c) de détection et de traitement des violations aux Règles, de fournir à l'Autorité un rapport devant contenir un grand nombre d'informations (énumérées au ii) du paragraphe 581 de la décision attaquée) sur chacun des sites promus sur Google Ads en France dont les sites ou les comptes ont été suspendus pour des raisons tenant à la protection des internautes. Ces informations doivent être étayées par des éléments justificatifs, par exemple les échanges entre Google et les annonceurs concernant la suspension de leurs comptes et sont accessibles au public dans le cadre de la publication d'une version non-confidentielle du rapport.

556.La Cour retient que la clarification des Règles protectrices des internautes et des procédures de suspension prévues dans le cadre des injonctions a) et b) constituent déjà, en elles-mêmes, des mesures importantes et qui sont de nature à remédier, à la source, aux difficultés constatées. Les mesures de détection et de prévention des violations Google Ads prévues aux paragraphes 581 et suivants de la décision attaquée n'apparaissent donc ni nécessaires, ni proportionnées pour faire cesser la pratique.

557.La décision doit donc être réformée sur ce point.

558.En quatrième lieu, la Cour retient que les injonctions, qui expirent le 1er janvier 2025 (paragraphe 587 de la décision attaquée) sont limitées dans le temps, et que leur durée est justifiée par la nécessité que le suivi des mesures ordonnées puisse se dérouler sur un temps suffisant, compte tenu des précédentes mesures ordonnées qui n'ont pas permis de résoudre les préoccupations antérieurement exprimées.

559.La décision attaquée, telle que réformée, ne met donc, dans le temps imparti, à la charge de Google aucune obligation disproportionnée.

560.Il s'ensuit que le moyen est accueilli, mais seulement s'agissant des injonctions prévues aux paragraphes 581 à 585, lesquelles sont supprimées.

D. SUR LA NÉCESSITÉ ET LA PROPORTIONNALITÉ DE L'INJONCTION DE PUBLICATION

561.Par l'article 3 de la décision attaquée, lequel renvoie au paragraphe 590, l'Autorité a ordonné à Google, sur le fondement du I de l'article L. 464-2 du code de commerce, de publier le résumé de la décision dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision.

562.Il est constant que Google a exécuté l'injonction le 20 juillet 2020, en publiant un lien intitulé « Google condamnée par l'Autorité de la concurrence » renvoyant vers le résumé de la Décision sur la page d'accueil des sites www.google.fr, www.google.com et www.ads.google.com accessibles de France.

563.Google soutient que l'injonction de publication d'un lien vers le résumé de la décision, sur la page d'accueil de Google Search (google.fr et google.com) et de son site wws.ads.google.com, n'est ni nécessaire ni proportionnée, compte tenu de sa disponibilité sur le site internet de l'Autorité et de la couverture médiatique importante dont elle fait l'objet tant en France qu'à l'étranger.

564.L'Autorité souligne, à titre préliminaire, que conformément à la jurisprudence (CA Paris, 21 mai 2015, EDF, RG n° 2014/02694, page 27), la demande d'annulation de Google est devenue sans objet et doit être rejetée.

565.Elle fait valoir, en outre, que l'injonction de publication prononcée par l'Autorité n'est pas inédite, le tribunal judiciaire de Paris ayant ordonné une injonction similaire dans un jugement du 12 février 2019, que Google a accepté d'exécuter le 11 décembre 2020 en publiant un lien vers cette décision sous la barre de recherche de la page d'accueil de son moteur de recherche.

566.Elle souligne que la présente injonction, déjà exécutée par Google, a permis d'informer les annonceurs référencés sur la plateforme Google Ads de l'abus de position dominante commis par Google dans la définition et mise en oeuvre des Règles de fonctionnement de sa plateforme publicitaire et des injonctions ordonnées par l'Autorité pour que Google se conforme au droit de la concurrence. Elle en déduit que les annonceurs seront mieux à même de faire valoir leurs droits, si Google réitérait de telles pratiques à leur encontre, notamment en saisissant l'Autorité. Elle fait valoir qu'il était également nécessaire que l'injonction de publication de Google s'adresse aux internautes, dans la mesure où ces derniers peuvent également être victimes des pratiques de Google en étant exposés à des annonces malveillantes, du fait de la mauvaise application par Google de ses propres Règles. L'injonction de publication sur le site des moteurs de recherches de Google répond ainsi, de façon proportionnée, aux pratiques d'abus sanctionnées.

567.L'injonction de publication sur la page d'accueil des moteurs de recherche de Google constitue enfin, selon l'Autorité, un moyen d'information moderne et efficace, qui apparaît particulièrement adapté en l'espèce, compte tenu des services offerts par Google et de la nature des pratiques qui lui sont reprochées.

568.Le ministre de l'économie fait valoir que l'injonction de publication est proportionnée à l'objectif recherché. Elle ne saurait nuire gravement à l'image de Google auprès des internautes français, tant sa notoriété est déjà importante et, en tout état de cause, ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer une juste publicité à la décision et aux faits d'intérêt public qu'elle mentionne.

569.Le ministère public formule des observations similaires.

570.Amadeus considère que l'injonction de publication sur les sites google.fr et google.com s'inscrit en parfaite adéquation avec l'objectif de protection des consommateurs d'ailleurs longuement mis en avant par Google pour tenter de justifier ses pratiques. Ces derniers doivent être informés des risques auxquels ils sont confrontés en raison de l'application non objective, non transparente et discriminatoire des Règles envers les annonceurs.

Sur ce, la Cour,

571.La Cour constate que Google, qui disposait d'une droit d'accès effectif au juge, n'a pas sollicité, comme elle en avait la faculté, qu'il soit sursis à exécution de la mesure de publication. À l'issue de la période de suspension des délais durant la période d'urgence sanitaire prévue par l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 et l'article 1er de l'ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020, elle a exécuté l'injonction de publication ordonnée par la décision attaquée pour une durée de 7 jours consécutifs. Sa demande est donc sans objet.

572.À titre surabondant, la cour retient qu'il était nécessaire en l'espèce, en raison du caractère biface des marchés concernés, d'informer tant les annonceurs que les utilisateurs du moteur de recherche du comportement prohibé de Google et de la décision de sanction prononcée par l'Autorité. L'injonction de publication ordonnée était donc proportionnée à l'objectif recherché.

573.Le moyen est rejeté.

VI. SUR LES FRAIS IRRÉPETIBLES ET LES DÉPENS

574.L'équité commande que Google, qui succombe quasi-totalement en ses prétentions, soit déboutée de ses demandes et soit condamnée à payer tant à Amadeus qu'à Gibemdia la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

575.Google aura en outre à supporter la charge des dépens.

PAR CES MOTIFS

REJETTE la demande d'annulation tirée des moyens pris de la violation des droits de la défense des sociétés Alphabet Inc, Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France et du défaut de motivation de la décision n° 19-D-26 de l'Autorité de la concurrence ;

RÉFORME l'article 1er de cette décision en ce qu'il a dit établi que la société Google France a enfreint les dispositions des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE ;

RÉFORME l'article 2 de la même décision en ce qu'il a prononcé des sanctions solidaires incluant cette société,

Statuant à nouveau,

MET hors de cause la société Google France au titre de l'infraction visée à l'article 1 de ladite décision ;

INFLIGE aux sociétés Google LLC et Google Ireland une sanction solidaire de 150 000 000 € au titre des pratiques visées à l'article 1er, dont la société Alphabet Inc sera également solidairement tenue au paiement dans la limite de 72 000 000 euros ;

RÉFORME l'article 3 de la décision n° 19-D-26 précitée en supprimant les injonctions relatives à la détection et au traitement des violations des Règles protectrices des internautes prévues aux paragraphes 580 à 585 de cette décision ;

COMPLÈTE, pour le surplus, cet article 3 en disant que les « Règles protectrices des internautes » sur lesquelles portent les injonctions qui y sont prévues doivent être interprétées comme comprenant les règles Google Ads'qui comportent, dans leur intitulé ou leur contenu, « une référence à des comportements trompeurs, non fiables, aux promotions indignes de confiance, aux pratiques commerciales inacceptables, aux facturations douteuses, aux omissions d'informations pertinentes, à la vente d'articles gratuits et aux informations manquantes »;

REJETTE les autres moyens de réformation ;

CONDAMNE solidairement les sociétés Google LLC, Google Ireland et Alphabet Inc à payer à la société Amadeus la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE solidairement les sociétés Google LLC, Google Ireland et Alphabet Inc à payer à la société Gibmedia la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Les CONDAMNE solidairement aux dépens.

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