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Décisions

ADLC, 12 avril 2022, n° 22-D-10

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

relative à la situation de la société Compagnie Financière Européenne de Prises de Participation au regard de l’article L. 430-8 du Code de commerce

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Juliette Ogez, rapporteure et l’intervention de Mme Laure Gauthier, rapporteure générale adjointe, par M. Henri Piffaut, vice-président, président de séance, M. Savinien Grignon-Dumoulin et M. Jérôme Pouyet, membres

ADLC n° 22-D-10

11 avril 2022

L’Autorité de la concurrence (section IV),

Vu la décision n° 20-SO-04 du 13 octobre 2020 relative à la prise de contrôle exclusif de Marie Brizard Wine & Spirits (MBWS) par la Compagnie Financière Européenne de Prises de Participation (COFEPP), enregistrée sous le numéro 20/0097 F ;

Vu le livre IV du code de commerce, et notamment son article L. 430-8 ;

Vu la décision de l’Autorité n° 19-DCC-36 du 28 février 2019 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Marie Brizard Wine & Spirits par la société Compagnie Financière Européenne de Prises de Participation ;

Vu le procès-verbal de transaction du 3 décembre 2021 signé par la rapporteure générale adjointe et la société Compagnie Financière Européenne de Prises de Participation en application des dispositions du III de l’article L. 464-2 du code de commerce ;

Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ;

La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, les représentants de la société Compagnie Financière Européenne de Prises de Participation et le commissaire du Gouvernement entendus lors de la séance de l’Autorité de la concurrence du 27 janvier 2022 ;

Adopte la décision suivante :

Résumé1

En application du I et du II de l’article L. 430-8 du code de commerce, l’Autorité de la concurrence a sanctionné la société Compagnie Financière Européenne de Prises de Participation (ci-après « COFEPP ») à hauteur de 7 millions d’euros pour la réalisation sans notification et la réalisation avant autorisation d’une opération de concentration dans le secteur des spiritueux. L’opération de prise de contrôle de la société Marie Brizard Wine & Spirits (ci-après MBWS) par COFEPP avait été notifiée en 2019, postérieurement à sa réalisation.

Lorsqu’elle dépasse certains seuils, une opération de concentration doit être notifiée à l’Autorité et sa réalisation effective ne peut intervenir qu’après l’accord de celle-ci. Ainsi, la procédure de contrôle des concentrations suspend la réalisation des opérations de concentration. Dans ce cadre, le I et le II de l'article L. 430-8 du code de commerce concourent tous deux à assurer l’effectivité du contrôle des concentrations en empêchant que les parties à l’opération cessent, respectivement avant la date de notification et avant la date d’autorisation, de se comporter comme des concurrents pour agir comme une entité unique et que l’acquéreur exerce de manière anticipée un contrôle de droit ou de fait sur la cible, remettant ainsi en cause l’effectivité du contrôle des concentrations.

La réalisation d’une opération de concentration avant sa notification ou son autorisation peut être qualifiée d’effective lorsque la propriété de tout ou partie des actifs de la cible, et les droits qui y sont attachés, sont effectivement transférés à l’acquéreur avant l’autorisation de l’Autorité. Elle peut également être qualifiée d’effective lorsque, sans que la propriété des actifs soit transférée (ou avant le transfert de ces actifs), l’acquéreur exerce néanmoins une influence déterminante sur tout ou partie des activités de la cible.

Au cas d’espèce, COFEPP a exercé une influence déterminante sur la cible avant la notification et l’autorisation de l’opération, notamment en nommant le nouveau directeur général de MBWS, en négociant avec les fournisseurs de MBWS à la place des dirigeants de celle-ci, en participant directement à l’établissement de la politique commerciale et budgétaire de MBWS et en intervenant dans plusieurs décisions de gestion opérationnelle de la société.

I. Constatations

A.    LES ENTREPRISES ET L’OPERATION EN CAUSE

1. La société  Compagnie  Financière  Européenne  de  Prises  de  Participation  (ci-après

« COFEPP ») est une holding familiale à la tête d’un groupe de sociétés produisant et distribuant des spiritueux et, dans une moindre mesure, des vins, sirops et jus de fruits. Elle est contrôlée principalement par la famille Cayard.

2. La société Marie Brizard Wine & Spirits (ci-après « MBWS ») est un groupe produisant et distribuant des spiritueux et, dans une moindre mesure, des vins et sirops. Au 3 janvier 2019, son actionnaire principal était COFEPP (29,47 % du capital social), devant la société de droit marocain Diana Holding, active dans le secteur viticole (13,9 %). Ces deux actionnaires étaient les seuls à détenir plus de 5 % du capital social et des droits de vote de MBWS.

3. Le 3 janvier 2019, COFEPP a notifié un projet de prise de contrôle exclusif de MBWS au service des concentrations de l'Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité »). Cette notification faisait suite à un protocole d’accord du 21 décembre 2018, aux termes duquel COFEPP s’engageait à souscrire à une augmentation de capital réservée d’un montant de 37,7 millions d’euros, et à l’issue de laquelle COFEPP détiendrait 47,08 % du capital et 47,51 % des droits de vote de MBWS.

4. Par une décision n° 19-DCC-36 du 28 février 2019, l’Autorité a autorisé cette opération, sous réserve d’engagements portant sur les marchés de la production de porto et de tequila à destination des circuits de grande distribution.

5. L’opération a été officiellement réalisée le 1er mars 2019.

B.    LA PROCEDURE

6. Les services d’instruction ont mené des opérations de visite et saisie le 9 avril 2019 dans les locaux des sociétés COFEPP, MBWS, Castel et Copagef, après autorisation du juge des libertés et de la détention du TGI de Paris du 3 avril 2019, prise sur le fondement de l’article

L. 450-4 du code de commerce et autorisation du juge des libertés et de la détention du TGI de Créteil du 8 avril 2019 rendue sur commission rogatoire.

7. Par décision n° 20-SO-04 du 13 octobre 2020, relative à la prise de contrôle exclusif de Marie Brizard Wine & Spirits (MBWS) par la Compagnie Financière Européenne de Prises de Participation (COFEPP), l'Autorité s'est saisie d'office, sur le fondement du III de l’article

L. 462-5 du code de commerce, de la situation de COFEPP au regard de l'article L. 430-8 du code de commerce2. La saisine d’office porte le numéro 20/0097F.

8. Le 1er octobre 2021, les services d’instruction ont notifié un rapport à COFEPP conformément aux dispositions de l’alinéa 2 de l’article L. 463-2 du code de commerce.

9. Il y était reproché à COFEPP d’avoir :

« - réalisé une opération de concentration sans l’avoir préalablement notifiée, ce qui constitue une infraction au regard du I de l’article L. 430-8 du code de commerce ;

- procédé à la réalisation effective de l’opération de concentration relative à la prise de contrôle exclusif de MBWS par la Cofepp avant la date d’autorisation de cette opération par l’Autorité, ce qui constitue une infraction au regard du II de l’article L. 430-8 du code de commerce. »

10. La société mise en cause, en qualité d’auteur, n’a pas contesté la réalité des infractions notifiées et a signé le 3 décembre 2021 un procès-verbal de transaction avec la rapporteure générale adjointe de l’Autorité.

11. Lors de son intervention orale à l’occasion de la séance du 27 janvier 2022, le conseil de COFEPP a confirmé, en toute connaissance de cause, le plein accord de cette dernière avec les termes de la transaction.

C. LES COMPORTEMENTS CONSTATES

12. Les pratiques constatées concernent un rapprochement graduel entre COFEPP et MBWS de 2015 à 2019. COFEPP est montée progressivement au capital de MBWS, ce qui lui a permis d’obtenir des postes d’administrateur et ainsi d’avoir accès à des informations sensibles sur les activités de MBWS. Cette pratique s’est amplifiée après la signature d’un accord de confidentialité entre ces deux sociétés dans le cadre du projet de rachat de MBWS par COFEPP (1). En parallèle, COFEPP est devenue un fournisseur, un partenaire financier et un distributeur important de MBWS (2). Enfin, à partir de 2018, COFEPP est intervenue dans plusieurs décisions stratégiques et opérationnelles de MBWS (3).

1.    LA MONTEE PROGRESSIVE DE COFEPP AU CAPITAL DE MBWS

13. Entre 2015 et 2017, COFEPP est montée progressivement au capital de MBWS, ce qui a eu pour effet de lui accorder une place croissante au sein de l’assemblée générale et du conseil d’administration de MBWS (a), et ainsi d’avoir accès, de manière officielle et officieuse, à des informations sensibles concernant ce concurrent (b).

a)   La place croissante de COFEPP au sein de l’assemblée générale et du conseil d’administration de MBWS

14. Entre 2015 et 2017, COFEPP a déclaré à six reprises à l’Autorité des marchés financiers avoir franchi à la hausse des seuils en procédant à des acquisitions d’actions de MBWS3 :

 

Date

Seuil franchi

Capital et droits de vote détenus dans MBWS

26 juin 2015

5 %

5,06 % et 5,01 %

11 mars 2016

10 %

11,12 % et 11 %

4 août 2016

15 %

16,05 % et 15,90 %

13 février 2017

20 %

21,89 % et 21,70 %

3 août 2017

25 %

26,74 % et 26,58 %

21 septembre 2017

27,5 %

29,47 % et 29,78 %

15. COFEPP a ainsi occupé une place croissante au sein de l’assemblée générale de MBWS, allant jusqu’à représenter, à l’assemblée générale du 27 juin 2017, entre 38 % et 45 % des voix exprimées selon le mode de calcul retenu4. Elle est devenue alors le premier actionnaire de MBWS, devant Diana Holding et DF Holding (société du groupe Castel actif dans la production et la distribution de vins français et étrangers), qui représentaient respectivement 21 % et 7 % des voix.

16. COFEPP a également acquis une place croissante au sein du conseil d’administration. Elle était ainsi représentée par un administrateur sur dix entre juin 2015 et juin 2016, deux administrateurs sur onze entre juin 2016 et juin 2017, et trois administrateurs sur onze entre juin 2017 et janvier 2019. Ces derniers étaient le président du directoire de COFEPP, la vice-présidente du conseil de surveillance de COFEPP et la directrice générale et directrice marketing international de COFEPP.

b)   L’accès de COFEPP à des informations sensibles

17. Les administrateurs représentant COFEPP au conseil d’administration de MBWS ont bénéficié, en cette qualité, d’informations sensibles sur l’activité de leur concurrent.

18. Tout d’abord, à partir de juin 2015, ils ont eu communication des projets de budget de MBWS lors de leur examen par le conseil d’administration. Ces projets de budget comprenaient des prévisions en termes de volumes, de ventes et de profitabilité pour la France, et faisaient état du budget de communication par marque et par pays5.

19. De plus, les membres du  conseil d’administration  de MBWS recevaient  chaque mois  des

« board packs » contenant des informations sur les perspectives commerciales et marketing de MBWS, avec des données détaillées par marques et par zones géographiques. Les administrateurs représentant COFEPP disposaient ainsi, dès juin 2015, d’informations sur le comportement commercial futur de l’un de leurs concurrents.

20. Il résulte par ailleurs des notes manuscrites prises par le directeur juridique de MBWS lors du conseil d’administration de MBWS du 29 juin 2018 que les administrateurs représentant COFEPP pouvaient, en cette qualité, avoir accès à des informations précises concernant les volumes de vente6. Ces notes font ainsi mention d’une intervention orale de la vice-présidente du conseil de surveillance de COFEPP témoignant d’une connaissance des volumes de vente de la marque William Peel.

21. En parallèle, d’autres administrateurs de MBWS, dont le président du conseil d’administration, ont donné accès aux administrateurs représentant COFEPP à des informations relatives à la politique commerciale de MBWS. Ainsi, un échange téléphonique intervenu le 22 mars 2017 entre une administratrice indépendante de MBWS et la vice-présidente du conseil de surveillance de COFEPP a permis à cette dernière de disposer d’un compte rendu d’une réunion du comité exécutif de MBWS au cours de laquelle les performances détaillées des différentes marques du groupe avaient été discutées7. Par la suite, une réunion tenue en octobre 2017 entre deux administrateurs représentant COFEPP et le président du conseil d’administration a eu pour objet de « procéder à une analyse critique de la politique commerciale suivie » par MBWS8.

22. Enfin, les administrateurs représentant COFEPP au conseil d’administration de MBWS n’ont pas respecté diverses dispositions visant à prévenir les échanges d’informations sensibles entre COFEPP et MBWS. Ces dispositions relevaient du règlement intérieur de MBWS, ainsi que de l’accord de confidentialité, signé le 12 juillet 2018 entre COFEPP et MBWS9.

23. D’une part, ces administrateurs ont méconnu les dispositions du règlement intérieur de MBWS faisant obligation à tout administrateur qui exercerait des fonctions au sein d’une entité fabriquant et/ou commercialisant un produit directement concurrent à ceux de MBWS de quitter la séance du conseil d’administration jusqu’à la fin des délibérations concernées. Ils n’ont ainsi quitté la salle qu’à trois reprises sur les 56 conseils d’administration de MBWS ayant eu lieu entre juin 2015 et février 201910, et sont restés présents à plusieurs occasions, alors même que des informations sensibles étaient discutées11.

24. D’autre part, ces mêmes administrateurs n’ont pas davantage respecté les dispositions du règlement intérieur de MBWS les contraignant au secret professionnel s’agissant des informations non publiques acquises dans le cadre de ces fonctions. Ils ont en effet à plusieurs reprises communiqué de telles informations à leurs collaborateurs au sein de COFEPP12.

25. COFEPP n’a, enfin, pas  respecté les  stipulations  de l’accord  de confidentialité signé le 12 juillet 2018 entre COFEPP et MBWS. Cet accord résultait de la pré-notification adressée par COFEPP au service des concentrations de l’Autorité en juillet 2018 et portant sur la prise de contrôle exclusif de MBWS. Il prévoyait notamment que les informations sensibles de MBWS ne devaient être divulguées qu’aux représentants de COFEPP membres d’une

« clean team ». La seule exception à ce principe concernait les analyses, études, conclusions ou recommandations, qui pouvaient être adressées à des représentants non membres de la « clean team » mais seulement après retraitement et sous réserve de l’accord de MBWS. Les administrateurs représentant COFEPP au conseil d’administration de MBWS, dont le président du directoire de COFEPP, n’étaient pas membres de la « clean team ». Or, les stipulations de l’accord de confidentialité du 12 juillet 2018 n’ont pas été respectées, ainsi que le révèlent les documents saisis, récapitulés ci-dessous.

 

Tableau 1 – Échanges intervenus après la signature de l’accord de confidentialité

Date

Document

 

 

12 juillet 2018

Signature de l’accord de confidentialité.

Courriel adressé par un membre de la « clean team » COFEPP aux administrateurs représentant COFEPP au conseil d’administration de MBWS dans lequel sont divulguées des informations sensibles non retraitées13.

 

 

 

 

 

 

23 juillet 2018

Courriel adressé par la vice-présidente du conseil de surveillance de COFEPP, membre du conseil d’administration de MBWS, au président du conseil d’administration de MBWS indiquant : « Merci de préciser si l’ordre du jour [du prochain conseil d’administration] que vous venez d’adresser inclut bien les sujets précis que j’avais demandés de porter à l’ordre du jour »14.

Le président du conseil d’administration lui répond qu’ « il apparaît que certaines informations précises dont la communication est demandée concernent des données sensibles au regard du droit de la concurrence qui ne peuvent donc être communiquées en l’état »15, révélant ainsi que ces sujets précis portaient sur des informations sensibles concernant MBWS, dont la vice-présidente du conseil de surveillance de COFEPP avait connaissance.

 

 

 

11 et 27 septembre 2018

Courriels adressés par le président du conseil d’administration et directeur général par intérim de MBWS au président du directoire de COFEPP, lui transmettant l’intégralité des courriels échangés avec le représentant du principal fournisseur en whisky de MBWS portant sur les négociations en cours et contenant des informations relatives aux prix, aux délais de paiement et aux volumes16.

 

 

9 novembre 2018

Réunion entre le nouveau directeur général de MBWS et deux des trois administrateurs représentant COFEPP au conseil d’administration de MBWS portant sur « les hypothèses budgétaires 2019 » et sur « les projets clés »17.

 

 

28 décembre 2018

Réunion entre le nouveau directeur général de MBWS et le président du directoire de COFEPP pour échanger sur les « messages [à donner] aux équipes MBWS France »18  et  « la  construction  du  business  plan  à  3 ans »19.

3 janvier 2019

Notification de l’opération de concentration aux services de l’Autorité.

 

 

15 février 2019

Réunion entre le directeur international de COFEPP et le directeur du cluster Western Europe, Middle East et Africa chez MBWS, qui n’étaient pas membres de « clean teams », pour passer en revue les synergies possibles sur les zones Europe, Moyen-Orient, Afrique et Scandinavie20.

 

 

18 février 2019

Courriel du directeur général de MBWS à la vice-présidente du conseil de surveillance de COFEPP faisant état d’échanges d’information sensibles entre d’autres collaborateurs de COFEPP et de MBWS, non membres de « clean teams »21.

 

2.  L’INTENSIFICATION  DES  RELATIONS  COMMERCIALES  ET  FINANCIERES  ENTRE

COFEPP ET MBWS

a)   La montée en puissance de COFEPP en tant que fournisseur de MBWS

26. COFEPP et MBWS ont d’abord signé, le 12 mars 2016, un contrat de fourniture de whisky pour la période 2017-2020, avec, à l’issue de cette période, une tacite reconduction annuelle22. Ce contrat, complété par un avenant le 16 juin 201623, a fait de COFEPP le deuxième fournisseur de whisky de MBWS, derrière la société britannique Angus Dundee.

27. COFEPP et MBWS ont ensuite signé, le 3 mai 2018, un contrat de fourniture de porto pour une durée de deux ans avec tacite reconduction annuelle.

28. Le crédit fournisseur dont a bénéficié MBWS de la part de COFEPP dans le cadre de ces relations commerciales a, selon le directeur général de MBWS, joué un rôle essentiel dans le maintien d’une situation de trésorerie positive du groupe24.

b)   Le resserrement des liens financiers et commerciaux entre COFEPP et MBWS

29. Entre 2017 et 2018, COFEPP a apporté son soutien à MBWS alors que celle-ci cherchait à recouvrer une créance d’un montant nominal de 25 millions d’euros détenue auprès de la Clico Investment Bank de Trinidad et Tobago, en difficulté financière. Le président du directoire de COFEPP a d’abord proposé en mars 201725 au directeur général de MBWS de prendre conjointement le contrôle de la Clico Investment Bank26, opération qui leur aurait permis de récupérer la créance litigieuse27 et de prendre le contrôle de la marque de rhum Angostura28. Le soutien de COFEPP à MBWS pour récupérer l’intégralité de la créance a persisté même après l’échec de cette opération en 201829, échec lié en partie à l’opposition du gouvernement trinidadien30.

30. À la suite de difficultés de trésorerie rencontrées par MBWS, COFEPP a consenti le    29 mai 2018 à MBWS une avance en compte  courant d’actionnaire d’un montant de 7,5 millions d’euros au principal amortissable au 30 avril 201931.

31. Ce soutien financier de MBWS par COFEPP lui a permis de peser dans les négociations, entamées dès le 1er septembre 2015, visant à confier à une filiale de COFEPP la distribution des produits de MBWS en Espagne32.

3. L’INTERVENTION DE COFEPP DANS LES DECISIONS STRATEGIQUES ET OPERATIONNELLES DE MBWS

32. COFEPP a manifesté dès 2017 son intention de prendre le contrôle de MBWS. Les documents saisis attestent ainsi de discussions entre COFEPP et ses partenaires bancaires au sujet de la prise de contrôle de MBWS, en mars33 puis en octobre34 de cette année. COFEPP a également bénéficié le 13 octobre 2017 d’une note du cabinet de conseil Accuracy, présentant une analyse concurrentielle de l’opération visant à la prise de contrôle de MBWS35. Un courriel du président du directoire de COFEPP du 21 juillet 2017 évoque enfin la perspective de présenter en septembre 2017 à l’Autorité « un dossier de pré-notification sur un éventuel rapprochement »36, témoignant de la connaissance par COFEPP des règles relatives au contrôle des concentrations.

33. À partir de 2018, COFEPP est intervenue dans les décisions stratégiques (a) et opérationnelles (b) de MBWS.

a) L’intervention de COFEPP dans les décisions stratégiques de MBWS

34. Dès 2018, soit antérieurement à la réalisation de l’opération de concentration, COFEPP est intervenue dans plusieurs décisions stratégiques de MBWS relatives tant au choix de son nouveau directeur général qu’à sa politique commerciale et budgétaire, ainsi que le révèlent les documents saisis récapitulés ci-dessous.

Tableau 2 – Éléments attestant de l’intervention de COFEPP dans les décisions stratégiques de MBWS

Date

Document

Intervention dans le choix du nouveau directeur général de MBWS

 

 

13 avril 2018

Courrier du président du conseil d’administration et directeur général intérimaire de MBWS aux trois administrateurs représentant COFEPP au conseil d’administration de MBWS, dans lequel il leur recommande de rencontrer trois candidats, présélectionnés et classés par lui-même et par deux autres administrateurs indépendants, et où il précise : « Ne voulant pas influencer votre décision je m’en tiens là pour le moment »37.

 

 

26 avril 2018

Courriel d’une administratrice indépendante de MBWS où elle écrit avoir indiqué à deux des trois administrateurs représentant COFEPP au conseil d’administration de MBWS qu’« il fallait qu’ils choisissent le CEO et que c’était urgent »38.

 

 

3 mai 2018

Rencontre entre le premier candidat présélectionné et deux des trois administrateurs représentant COFEPP au conseil d’administration de MBWS

(le   président    du    directoire    de    COFEPP    et    la    vice-présidente du conseil de surveillance de COFEPP)39.

 

7 mai 2018

Rencontre entre le deuxième candidat présélectionné et ces mêmes administrateurs - le troisième candidat s’étant désisté40.

 

 

18 mai 2018

Déjeuner entre le président du conseil d’administration et directeur général intérimaire de MBWS, le premier des candidats présélectionnés, et deux des trois administrateurs représentant COFEPP au conseil d’administration de MBWS (le président du directoire de COFEPP et la vice-présidente du conseil de surveillance de COFEPP)41.

 

 

16 juillet 2018

Lettre de mandat à destination du premier candidat présélectionné, M. X…, adressée par le président du conseil d’administration et directeur général intérimaire de MBWS aux membres du conseil d’administration de MBWS pour solliciter l’accord de ceux-ci42.

 

19 juillet 2018

Le président du directoire de COFEPP indique « donner [s]on accord sur la proposition faite à X… » au nom des trois administrateurs représentant COFEPP au conseil d’administration de MBWS43.

19 juillet 2018

Courriel d’une administratrice indépendante de MBWS où elle écrit :

« Maintenant que [le  président du directoire  de COFEPP] a  bougé,  [le

 

Date

Document

 

président du conseil d’administration de MBWS] peut  avancer  avec X… »44.

 

27 juillet 2018

Annonce de la nomination de M. X… en tant que directeur général de MBWS, pour une prise de fonction au 29 octobre 2018.

Intervention dans la politique commerciale et budgétaire de MBWS

 

 

30 juin et 19 octobre 2018

Courriels envoyés par le président du directoire de COFEPP au président du conseil d’administration de MBWS dans lesquels il conditionne tout soutien financier de COFEPP à la renégociation du contrat liant MBWS à son principal fournisseur de whisky, Angus Dundee45.

 

 

3 juillet 2018

Courrier envoyé par le président du directoire de COFEPP à MBWS dans lequel il indique ce que doivent être, selon lui, les bases d’un « contrat raisonnable » à négocier avec Angus Dundee – avec des consignes de prix et de volume46.

12 juillet 2018

Signature de l’accord de confidentialité entre COFEPP et MBWS.

 

 

13 juillet et 22 août 2018

Courriels envoyés par le président du directoire de COFEPP au président du conseil d’administration de MBWS dans lesquels il évoque sa rencontre, ces mêmes jours, avec le dirigeant d’Angus Dundee, afin de renégocier le contrat liant ce groupe à MBWS47.

 

 

31 octobre 2018

Courriels envoyés par le nouveau directeur général de MBWS au président du directoire de COFEPP et à la vice-présidente du conseil de surveillance de COFEPP afin de convenir d’un rendez-vous pour échanger sur « le marketing MBWS »48 et sur « les hypothèses budgétaires 2019 »49. Le rendez-vous est intervenu le 9 novembre 201850.

 

 

 

21 décembre 2018

Courriels envoyés par le directeur général de MBWS au président du directoire de COFEPP afin de convenir d’un rendez-vous pour échanger sur les « messages [à donner] aux équipes MBWS France » et les

« synergies [à prévoir] dans le cadre du plan à 3 ans »51. Le rendez-vous est intervenu le 28 décembre 201852 et a porté également sur « la structure du département CHR »53 et sur « la construction du business plan à 3 ans »54.

 

Date

Document

3 janvier 2019

Notification de l’opération à l’Autorité.

 

 

 

 

4 février 2019

Courriel du président du directoire de COFEPP au directeur général de MBWS, qui n’étaient pas membres de « clean teams », « afin de préparer la version finale du plan stratégique, qui devra prendre en compte toutes les synergies possibles pour viser, en plus des économies internes à mener, un EBITDA proche de zéro en 2019 »55 - alors même que le conseil d’administration du 31 janvier 2019 avait rappelé « l’importance de l’obtention d’un accord des autorités de concurrence afin que les équipes puissent (…) travailler et affiner ce plan au vu des éventuelles synergies à établir en lien avec Cofepp »56, et que l’accord de l’Autorité n’est intervenu que le 28 février 2019.

 

 

15 février 2019

Réunion entre le directeur international de COFEPP et le directeur du cluster Western Europe, Middle East et Africa chez MBWS pour passer en revue les synergies possibles sur les zones Europe, Moyen-Orient, Afrique et Scandinavie57, alors même qu’ils n’étaient pas membres de

« clean teams » et que l’Autorité n’avait pas encore donné son accord à l’opération de concentration.

 

 

21 février 2019

Réunion entre le président du directoire de COFEPP, un cabinet de conseil en stratégie, et les équipes de MBWS, dont son directeur administratif et financier, sur les synergies à établir dans le cadre de l’opération de concentration58, alors même que l’Autorité n’avait pas encore donné son accord à celle-ci.

 

b)   L’intervention de COFEPP dans la gestion opérationnelle de MBWS

35. Les documents saisis récapitulés ci-dessous révèlent que COFEPP est intervenue dès 2018 dans la gestion opérationnelle de MBWS, notamment en matière de gestion des relations avec les investisseurs, ainsi que sur diverses questions techniques.

Tableau 3 – Éléments attestant de l’intervention de COFEPP dans la gestion opérationnelle de MBWS

 

Date

Document

Immixtion en matière de relation avec les investisseurs

12 juillet 2018

Signature de l’accord de confidentialité.

 

 

25 septembre 2018

Courriel du président du conseil d’administration et directeur général intérimaire de MBWS au président du directoire de COFEPP l’invitant à rencontrer ensemble des investisseurs potentiels, invitation à laquelle est apportée une réponse favorable59.

 

 

28 décembre 2018

Courriel du nouveau directeur général de MBWS au président du conseil d’administration de MBWS et au président du directoire de COFEPP dans lequel il indique s’être « mis d’accord [avec ce dernier] pour faire ensemble des calls ou réunions avec les principaux actionnaires minoritaires  »  de  MBWS60.  Une   telle   réunion  est  intervenue   le  18 janvier 201961.

3 janvier 2019

Notification de l’opération aux services de l’Autorité.

 

8 janvier 2019

Courriel du président du directoire de COFEPP à la responsable des relations investisseurs chez MBWS lui demandant « de tenir un état des contacts investisseurs avec leur nom, le % qu’ils détiennent»62.

Immixtion sur diverses questions techniques

 

 

15 mars 2018

Courriel de la vice-présidente du conseil de surveillance de COFEPP au président du conseil d’administration de MBWS lui conseillant, à propos d’un nouvel emballage de vodka pour la Pologne, de « ne pas trop embouteiller et faire de stock avec ce nouveau pack très risqué »63.

12 juillet 2018

Signature de l’accord de confidentialité entre COFEPP et MBWS.

3 janvier 2019

Notification de l’opération aux services de l’Autorité.

 

 

13 février 2019

Courriel du président du conseil d’administration de MBWS à une administratrice indépendante lui indiquant que la décision relative à la fixation du montant des indemnités de loyer à verser au nouveau directeur général de MBWS était à la discrétion du président du directoire de COFEPP64.

 

18 février 2019

Courriel de la vice-présidente du conseil de surveillance de COFEPP adressé, entre autres, au président du conseil d’administration de MBWS

et au directeur général de MBWS, indiquant qu’un projet d’investissement de  MBWS  dans  une  verrerie  en  Pologne  « sera  mis  en  attente pour

 

Date

Document

 

l’instant »65. Le même jour, une réponse du directeur général de MBWS prend note de cette instruction66.

 

 

22 février 2019

Courriel du président du directoire de COFEPP au directeur général de MBWS dans lequel il indique avoir demandé au cabinet de conseil en stratégie qui avait rencontré la veille les équipes de MBWS, à l’initiative du directeur général, de « revoir [son] prix de 200 000€ qui [lui] parait très excessif »67.

1er mars 2019

Décision de l’Autorité autorisant la transaction.

36. En conclusion, l’ensemble des éléments récapitulés ci-dessus permettent d’aboutir aux constatations suivantes :

-    COFEPP a eu accès depuis juin 2015 à des informations relatives à la politique commerciale et budgétaire passée et future de MBWS ;

-    COFEPP est devenue, en mars 2016, l’un des principaux fournisseurs de MBWS, et a encore intensifié ses liens financiers et commerciaux avec MBWS à partir de  mars 2017 ;

-    COFEPP est intervenue, entre avril et juillet 2018, dans le processus de nomination du nouveau directeur général de MBWS ;

-    COFEPP exerce une influence depuis juin 2018 sur les décisions commerciales et budgétaires de MBWS, ainsi que sur les relations entretenues par MBWS avec ses investisseurs et sur la gestion courante de la société.

II. Discussion

A. RAPPEL DES DISPOSITIONS ET PRINCIPES APPLICABLES

37. Conformément aux dispositions de l’article L. 430-3 du code de commerce, une opération de concentration doit être notifiée à l’Autorité de la concurrence avant sa réalisation. Aux termes du I de l’article L. 430-8 du code de commerce :

« Si une opération de concentration a été réalisée sans être notifiée, l'Autorité de la concurrence enjoint sous astreinte, dans la limite prévue au II de l'article L. 464-2, aux parties de notifier l'opération, à moins de revenir à l'état antérieur à la concentration. La procédure prévue aux articles L. 430-5 à L. 430-7 est alors applicable. / En outre, l'Autorité peut infliger aux personnes auxquelles incombait la charge de la notification une sanction pécuniaire dont le montant maximum s'élève, pour les personnes morales, à 5 % de leur chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France lors du dernier exercice clos, augmenté, le cas échéant, de celui qu'a réalisé en France durant la même période la partie acquise et, pour les personnes physiques, à 1,5 million d'euros. »

38. La prohibition de la réalisation de l’opération sans notification, résultant de ces dispositions, constitue un préalable nécessaire à l’exercice par l’Autorité de la mission de contrôle des concentrations qui lui est confiée par les articles L. 430-3 et suivants du code de commerce.

39. Aux termes du II de l’article L. 430-8 du code de commerce :

« Si une opération de concentration notifiée et ne bénéficiant pas de la dérogation prévue au deuxième alinéa de l'article L. 430-4 a été réalisée avant l'intervention de la décision prévue au premier alinéa du même article, l'Autorité de la concurrence peut infliger aux personnes ayant procédé à la notification une sanction pécuniaire qui ne peut dépasser le montant défini au I. »

40. La prohibition de la réalisation anticipée de l’opération, résultant de ces dispositions législatives, vise à empêcher que les parties à l’opération cessent, avant la date d’autorisation, de se comporter comme des concurrents pour agir comme une entité unique et que l’acquéreur exerce de manière anticipée un contrôle de droit ou de fait sur la cible. Elle garantit qu’aucun changement structurel ou échange d’informations ne pourra se produire alors même que les parties à cette opération sont susceptibles de renoncer à l’opération, soit du fait même de la procédure de contrôle des concentrations, soit pour des raisons qui leur sont propres. Elle garantit, en outre, qu’une opération de concentration ne commence pas à produire ses effets sur les marchés concernés avant que l’Autorité ait été en mesure de les apprécier et, si besoin, de rendre des remèdes obligatoires. Enfin, elle incite les entreprises à coopérer avec l’Autorité tout au long de la procédure68.

41. Dans la situation où une entreprise notifie une concentration avant sa réalisation, il demeure possible que cette entreprise méconnaisse le II de l’article L. 430-8 du code de commerce dans l’hypothèse où elle réaliserait cette concentration avant qu’intervienne l'accord de l'Autorité de la concurrence.

42. Il en découle que les obligations de notifier une opération, d’une part, et de ne pas procéder à sa réalisation anticipée avant autorisation, d’autre part, constituent deux obligations distinctes, qui poursuivent des objectifs autonomes. Le I de l’article L. 430-8 du code de commerce prévoit une obligation de faire, qui est instantanée, alors que le II du même article prévoit une obligation de ne pas faire, qui est continue69. En cas de méconnaissance de ces deux obligations, l’imposition de deux amendes distinctes se justifie donc70.

43. La réalisation d’une opération de concentration peut être qualifiée d’effective lorsque la propriété de tout ou partie des actifs de la cible, et les droits qui y sont attachés, sont effectivement transférés à l’acquéreur, auquel cas la situation de fait (le contrôle) se confond avec la situation de droit (les titres de propriété).

44. Ainsi que l’a précisé l’Autorité dans sa décision n° 16-D-2471, la réalisation d’une opération de concentration peut également être qualifiée d’effective lorsque, sans que la propriété des actifs soit transférée (ou avant même le transfert de ces actifs), l’acquéreur acquiert néanmoins une influence déterminante sur tout ou partie des activités de la cible. En pareil cas, il convient de retenir la situation de fait, quand bien même celle-ci précède la situation de droit. L’acquisition d’une influence déterminante doit alors être appréciée au regard de toutes les circonstances de droit et de fait, sur la base d’une grille d’analyse analogue à celle utilisée pour apprécier le caractère concentratif d’une opération, et notamment du comportement concret des parties à l’opération. À cet égard, la réalisation de l’opération pourra être caractérisée au regard, notamment, d’un changement structurel, de la mise en œuvre de relations commerciales ou d’échanges d’informations ayant pour objet ou pour effet de rendre effective cette réalisation.

45. L’exercice d’une influence déterminante s’entend comme le pouvoir de contrôler la prise de décisions stratégiques mais ne suppose pas nécessairement que l’entreprise contrôlante ait le pouvoir de déterminer la gestion courante de l’entreprise contrôlée72. Dans ses lignes directrices, l’Autorité définit les décisions stratégiques comme étant celles relatives :

-    au plan stratégique ;

-    aux investissements en-deçà d’un certain montant ;

-    au budget ;

-    à la nomination et à la révocation des principaux dirigeants73.

46. Les interventions de l’entreprise contrôlante dans la gestion quotidienne de l’entreprise contrôlée (par exemple sa politique commerciale ou son organisation interne) peuvent être également considérées comme des manifestations de l’exercice d’une influence déterminante dans la mesure où elles affectent directement ou indirectement le comportement de l’entreprise contrôlée sur les marchés74.

47. Pour déterminer si un actionnaire minoritaire dispose d’une influence déterminante, l’Autorité apprécie notamment, selon la méthode du faisceau d’indices, les droits qui lui sont conférés et leurs modalités d’exercice, l’éparpillement de l’actionnariat, ainsi que les liens économiques entre l’actionnaire et l’entreprise concernée75.

48. C’est à la lumière de ces principes et dispositions qu’il convient d’examiner l’opération en cause.

B.    APPLICATION AU CAS D’ESPECE

49. Au regard des faits constatés, sont réunis, d’une part, les éléments constitutifs d’un défaut de notification d’une opération de concentration, sanctionné au I de l’article L. 430-8 du code de commerce (1) et, d’autre part, les éléments constitutifs d’une réalisation sans autorisation d’une opération de concentration notifiée, sanctionnée au II du même article (2).

1. LES ELEMENTS CONSTITUTIFS D’UN DEFAUT DE NOTIFICATION D’UNE OPERATION DE CONCENTRATION

50. L’application au cas d’espèce des principes et dispositions applicables présentés ci-dessus impose d’examiner si COFEPP exerçait un contrôle de fait sur MBWS antérieurement à la notification de l’opération de concentration, intervenue le 3 janvier 2019. L’exercice par COFEPP d’une influence déterminante sur MBWS est susceptible de se déduire d’un ensemble de circonstances de droit et de fait détaillées ci-après et appréciées selon la méthode du faisceau d'indices, parmi lesquelles la position significative de COFEPP au capital de MBWS (a), les échanges d’informations sensibles survenus entre COFEPP et MBWS (b), les relations commerciales et financières étroites entre les deux sociétés (c), et enfin les interventions de COFEPP dans les décisions stratégiques et opérationnelles de MBWS : intervention directe dans le choix de son dirigeant (d), contrôle de sa politique commerciale et budgétaire (e), immixtion dans sa gestion courante (f).

a)   La position significative de COFEPP au capital de MBWS

51. À partir de 2017, COFEPP est devenu le premier actionnaire de MBWS en termes de capital comme de droits de vote détenus. Elle détenait ainsi 29,47 % du capital de MBWS en septembre 2017, le reste de l’actionnariat restant dispersé et purement financier, en majorité. Cette circonstance permettait ainsi à COFEPP d’avoir la quasi-certitude de voir approuver les décisions stratégiques pour lesquelles elle votait lors des assemblées générales.

52. En conséquence de cette détention capitalistique, COFEPP a acquis une place croissante au sein du conseil d’administration de MBWS, allant jusqu’à y compter trois administrateurs à partir de juin 2017. La position significative de COFEPP au capital de MBWS et la présence de ces trois représentants au conseil d’administration de MBWS, participent des indices permettant d’établir l’existence d’un contrôle de l'activité de MBWS par COFEPP.

b)   Les échanges d’informations sensibles entre COFEPP et MBWS

53. Des échanges fréquents d’informations sensibles ont eu lieu entre COFEPP et MBWS alors même que l’opération de concentration n’avait pas encore été notifiée. Ces transferts d’informations ont été rendus possibles par la présence de COFEPP au conseil d’administration de MBWS dès 2015.

54. Les administrateurs représentant COFEPP avaient accès en cette qualité à des informations budgétaires et commerciales détaillées, comprenant des données prévisionnelles. En méconnaissance des dispositions du règlement intérieur de MBWS, ces administrateurs se sont abstenus de quitter les séances des conseils d’administration lors de la discussion de telles informations sensibles, et les ont transmis à leurs collaborateurs au sein de COFEPP.

55. Les représentants de COFEPP ont en outre eu accès à des informations concernant MBWS, en dehors de tout cadre officiel, par le biais de contacts privilégiés avec le président du conseil d’administration, avec des administrateurs indépendants ou encore avec les directeurs généraux successifs de MBWS.

56. Les transferts d’informations depuis MBWS vers COFEPP se sont poursuivis alors même que les deux sociétés avaient acté le principe d’un rapprochement entre elles en signant le 12 juillet 2018 un accord de confidentialité, conséquence de la pré-notification adressée par COFEPP au service des concentrations de l’Autorité. Cet accord de confidentialité prévoyait la mise en place de « clean teams » chargées de retraiter les informations sensibles susceptibles d’être transmises d’une partie à l’autre. Or, les administrateurs représentant COFEPP au conseil d’administration de MBWS se sont vu transmettre, tantôt par leur propre

« clean team », tantôt par le directeur général de MBWS, des informations sensibles n’ayant fait l’objet d’aucun traitement.

57. Les représentants de COFEPP ont ainsi pu bénéficier d’informations détaillées sur le contenu précis des négociations commerciales entre MBWS et son principal fournisseur de whisky, sur les hypothèses budgétaires de MBWS pour l’année future, ou encore sur les projets relatifs à la stratégie et la politique commerciale de MBWS.

58. L’accès privilégié à des informations détaillées et régulières a permis à COFEPP d’effectuer un suivi étroit de l’intégralité des activités de MBWS et d’interférer dans certaines prises de décisions, notamment celles relatives à la politique commerciale et marketing suivie par MBWS. Il constitue à ce titre un des indices à prendre en compte afin d’apprécier l’exercice d’une influence déterminante de COFEPP sur MBWS.

c)    L’existence de relations commerciales et financières étroites entre COFEPP et MBWS

59. Les relations commerciales entre COFEPP et MBWS se sont intensifiées au fil du temps, antérieurement à la notification de l’opération de concentration. COFEPP est ainsi devenue l’un des principaux  fournisseurs de MBWS en  whisky,  au  titre d’un  contrat signé le    12 mars 2016, et en porto, au titre d’un contrat signé le 3 mai 2018.

60. Dans le cadre de ces relations commerciales, MBWS a bénéficié d’un important crédit fournisseur. Selon le directeur général de MBWS, cette circonstance a été déterminante dans le maintien d’une situation de trésorerie positive du groupe, lequel connaissait alors des difficultés financières. Pour faire face à ces difficultés, MBWS a aussi bénéficié d’une avance en compte courant d’actionnaire consentie le 29 mai 2018 par COFEPP, d’un montant de 7,5 millions d’euros.

61. COFEPP a enfin apporté un soutien financier à MBWS alors que celle-ci cherchait à recouvrer une créance d’un montant nominal de 25 millions d’euros détenue auprès de la Clico Investment Bank de Trinidad et Tobago, allant jusqu’à envisager la prise de contrôle conjointe de cette banque.

62. Ce soutien financier a permis à COFEPP de peser dans les négociations visant à confier à l’une de ses filiales la distribution des produits de MBWS en Espagne.

63. L’étroitesse des relations commerciales et financières ainsi entretenues entre COFEPP et MBWS, et l’appui apporté par la première société à la seconde dans le cadre de ces relations, participent du faisceau d’indices révélant l’influence déterminante de COFEPP sur MBWS antérieurement à la notification de l’opération de concentration.

d)   L’intervention directe de COFEPP dans le choix du dirigeant de MBWS

64. COFEPP est intervenue dans le processus de nomination du directeur général de MBWS à partir du 13 avril 2018, date à laquelle les trois administrateurs représentant COFEPP au conseil d’administration de MBWS se sont vu proposer par le président du conseil d’administration de choisir ce dirigeant parmi une liste de candidats pré-sélectionnés par lui-même et par deux autres administrateurs indépendants.

65. Le président du directoire de COFEPP a rencontré les candidats pré-sélectionnés par le président du conseil d’administration de MBWS. Il ressort des constatations effectuées, et

notamment des échanges entretenus entre les différentes parties impliquées, que COFEPP a joué un rôle déterminant dans le choix final du directeur général de MBWS.

66. Il s’agit à nouveau d’une intervention de COFEPP dans une décision revêtant un caractère stratégique au sens des lignes directrices de l’Autorité relatives au contrôle des concentrations. Cette circonstance participe ainsi du faisceau d’indices révélant l’influence déterminante de COFEPP sur MBWS alors que l’opération de concentration n’avait pas été notifiée.

e)    Le contrôle par COFEPP de la politique commerciale et budgétaire de MBWS

67. COFEPP est intervenue directement dans la politique commerciale de MBWS, en particulier en cherchant à renégocier le contrat liant MBWS à son principal fournisseur de whisky, Angus Dundee. À ce titre, le président du directoire de COFEPP est allé jusqu’à engager à partir de juillet 2018 des négociations directes avec le dirigeant d’Angus Dundee.

68. COFEPP est également intervenue à partir de novembre 2018 dans les orientations marketing et budgétaires de MBWS, et à partir de décembre 2018 dans l’élaboration du plan stratégique à trois ans de MBWS. Cette intervention dans l’élaboration du plan stratégique a conduit COFEPP à fixer à MBWS une cible en termes de profitabilité pour 2019.

69. De telles interventions dans des décisions revêtant un caractère stratégique, au sens des lignes directrices de l’Autorité relatives au contrôle des concentrations, constituent des indices de l’influence déterminante exercée par COFEPP sur MBWS alors même que l’opération de concentration n’avait pas été notifiée à l’Autorité.

f)    L’immixtion de COFEPP dans la gestion opérationnelle de MBWS

70. COFEPP s’est enfin immiscée à de multiples reprises dans la gestion opérationnelle de MBWS, intervenant sur un large spectre de thématiques alors même que l’opération n’avait pas été notifiée à l’Autorité par les parties.

71. Ainsi, en mars 2018, la vice-présidente du conseil de surveillance de COFEPP a prodigué ses conseils au président du conseil d’administration de MBWS sur la position à adopter concernant la commercialisation d’un nouvel emballage de vodka pour la Pologne. En septembre 2018, le président du directoire de COFEPP a rencontré, avec le directeur général de MBWS, les investisseurs potentiels et actionnaires minoritaires de MBWS, allant jusqu’à donner des instructions à la responsable des relations investisseurs chez MBWS sur les modalités de suivi de ces investisseurs.

72. Ces interventions sur des questions relevant de la gestion opérationnelle de MBWS constituent autant d’indices de l’influence déterminante exercée par COFEPP sur cette société.

g)   Conclusion

73. Il résulte de l’ensemble des circonstances de droit et de fait exposées ci-dessus que COFEPP a exercé un contrôle de fait sur MBWS, cible de l’opération de concentration, plusieurs mois avant la notification de cette opération. À ce titre, il est possible de fixer la réalisation effective de l’opération au 13 avril 2018, date à laquelle s’est révélée l’influence déterminante de COFEPP dans le choix du nouveau directeur général de MBWS, alors même qu’à cette date COFEPP était déjà le premier actionnaire de MBWS, qu’elle bénéficiait d’informations confidentielles sur la politique commerciale et budgétaire de MBWS, et que les deux sociétés entretenaient d’étroites relations financières et commerciales. Durant la période suivant la réalisation effective de l’opération, l’influence déterminante de COFEPP s’est étendue à différents domaines d’activité de MBWS, COFEPP intervenant notamment dans les négociations commerciales entre MBWS et son principal fournisseur de whisky ainsi que dans l’élaboration du plan stratégique de la société à trois ans.

74. Ainsi, la réalisation effective de l’opération de prise de contrôle exclusif de MBWS par COFEPP a  été  antérieure  à  la  notification  de  l’opération  à  l’Autorité,  intervenue  le  3 janvier 2019. Dès lors, cette opération a été réalisée sans être notifiée, en violation du I de l’article L. 430-8 du code de commerce.

2. LES ELEMENTS CONSTITUTIFS D’UNE REALISATION SANS AUTORISATION D’UNE OPERATION DE CONCENTRATION NOTIFIEE

75. COFEPP a notifié  le  projet  de  prise  de  contrôle  exclusif  de  MBWS  à  l’Autorité  le  3 janvier 2019. Cette notification a fait suite  à  la signature d’un protocole d’accord du    21 décembre 2018, aux termes duquel COFEPP s’engageait à souscrire à une augmentation de capital réservée à l’issue de laquelle elle détiendrait 47,08 % du capital et 47,51 % des droits de vote de MBWS. L’opération en cause n’a pas fait l’objet de la demande de dérogation à l’effet suspensif du contrôle des concentrations prévue à l’article L. 430-4 du code de commerce.

76. Ainsi qu’il a été démontré ci-dessus, la réalisation effective de l’opération de concentration a été antérieure à la notification de l’opération à l’Autorité, intervenue le 3 janvier 2019, et par conséquent antérieure à l’autorisation de l’opération par la décision de l’Autorité précitée en date du 28 février 2019. Dès lors, cette opération a été réalisée de manière anticipée, en violation du II de l’article L. 430-8 du code de commerce.

77. Il peut être relevé au surplus que les différents comportements ayant permis d’établir l’influence déterminante de COFEPP sur MBWS antérieurement à la notification de l’opération se sont poursuivis durant la période séparant cette notification de la décision de l’Autorité autorisant l’opération.

78. Des échanges d’informations sensibles entre MBWS et COFEPP se sont ainsi poursuivis postérieurement à la notification de l’opération de concentration aux services de l’Autorité, dans le cadre de la recherche de synergie entre les deux sociétés. Les échanges ont eu lieu entre des employés des deux sociétés qui n’appartenaient pas aux « clean teams » mises en place dans le cadre de l’accord de confidentialité du 12 juillet 2018.

79. Ce travail d’identification des synergies, mené par des directeurs à l’international des deux groupes, a participé du contrôle par COFEPP de la politique commerciale et budgétaire de MBWS, dès lors qu’il impliquait une réorientation de la politique commerciale de MBWS en fonction de celle de COFEPP.

80. L’immixtion de COFEPP dans la gestion opérationnelle de MBWS s’est même intensifiée après la notification de l’opération de concentration. Ainsi, le 18 février 2019, la vice-présidente du conseil de surveillance a donné instruction au directeur général et au président du conseil d’administration de MBWS de mettre en attente un projet d’investissement dans une verrerie en Pologne. Le 22 février, le président du directoire de COFEPP, discutant l’initiative du directeur général de MBWS d’avoir recours à un cabinet de conseil en stratégie, a demandé unilatéralement à ce cabinet de revoir le prix de ses prestations.

81. Tous ces éléments constituent autant d’indices de la coordination entre COFEPP et MBWS et de la volonté d’anticiper les effets de l’opération post-concentration, alors même que l’opération était encore en cours d’instruction par l’Autorité.

C.   CONCLUSION GENERALE AU SUJET DE L’OPERATION COFEPP-MBWS

82. Il résulte de tout ce qui précède que COFEPP a commis chacune des deux infractions définies respectivement au I et au II de l’article L. 430-8 du code de commerce. Elle a ainsi manqué, le 13 avril 2018, à son obligation de notifier l’opération de concentration visant MBWS, opération réalisée de manière effective ce même jour. Puis, entre le 3 janvier 2019, date de notification de l’opération aux services de l’Autorité, et le 28 février 2019, date de la décision par laquelle l’Autorité a autorisé l’opération, COFEPP a manqué à son obligation consistant à ne pas réaliser l’opération notifiée avant qu’une telle décision d’autorisation soit intervenue.

III. Sanction

A. RAPPEL DES REGLES APPLICABLES

83. Dans le cas où une opération de concentration a été réalisée sans être notifiée, le I de l'article

L. 430-8 du code de commerce prévoit que « (…) l'autorité peut infliger aux personnes auxquelles incombait la charge de la notification une sanction pécuniaire dont le montant maximum s'élève, pour les personnes morales, à 5 % de leur chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France lors du dernier exercice clos, augmenté, le cas échéant, de celui qu'a réalisé en France durant la même période la partie acquise et, pour les personnes physiques, à 1,5 million d'euros ».

84. Dans le cas où une opération de concentration a été réalisée avant d'avoir été autorisée, le II de l'article L. 430-8 du code de commerce prévoit que « l'Autorité de la concurrence peut infliger aux personnes ayant procédé à la notification une sanction pécuniaire qui ne peut dépasser le montant défini au I ».

B.    L’IMPUTABILITE DE LA SANCTION

85. Comme l’a relevé l’Autorité dans le cadre de procédures pour défaut de notification76 et pour réalisation anticipée77, les infractions au I et au II de l’article L. 430-8 du code de commerce doivent être imputées à la société qui acquiert de façon ultime le contrôle de la cible.

86. En l’espèce, l’opération de concentration COFEPP-MBWS a été notifiée à l’Autorité par COFEPP, société mère du groupe La Martiniquaise-Bardinet, à laquelle incombait la responsabilité de cette notification. En conséquence, il y a lieu d’imputer les infractions au I et au II de l’article L. 430-8 du code de commerce à la société COFEPP, immatriculée au RCS de Créteil sous le numéro 572 056 331.

C.   LE PLAFOND DE LA SANCTION

1.    AU TITRE DU DEFAUT DE NOTIFICATION

87. Aux termes du I de l’article L. 430-8 du code de commerce, le montant maximum de la sanction encourue pour défaut de notification « s'élève, pour les personnes morales, à 5 % de leur chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France lors du dernier exercice clos, augmenté, le cas échéant, de celui qu'a réalisé en France durant la même période la partie acquise (…) ».

88. Il convient donc de prendre en compte le montant du chiffre d’affaires réalisé en France par COFEPP pour l’exercice clos au 31 décembre 2020, augmenté du chiffre d’affaires réalisé en France par MBWS pour ce même exercice, soit un total de [700-800] millions d’euros78.

89. Ainsi, le montant maximum de la sanction au titre du défaut de  notification  est  de  [35-40] millions d’euros.

2. AU TITRE DE LA REALISATION AVANT AUTORISATION DE L’OPERATION DE CONCENTRATION

90. En application du II de l’article L. 430-8 du code de commerce, le montant maximum de la sanction au titre de la réalisation avant autorisation de l’opération de concentration correspond au montant maximum de la sanction au titre du défaut de notification. Il est donc en l’espèce de [35-40] millions d’euros.

D.    LES DETERMINANTS DE LA SANCTION

1.    LA GRAVITE DES INFRACTIONS

91. Le non-respect des obligations prévues aux I et II de l'article L. 430-8 du code de commerce constitue, par nature, une infraction grave à l'ordre public économique, dans la mesure où ce manquement prive l'Autorité de la possibilité effective de contrôler, comme le prévoit le code de commerce, un projet de concentration préalablement à sa réalisation, et ce, quels que puissent être les effets possibles de l’opération projetée sur la concurrence. Le législateur a en effet fixé le principe d'un contrôle préalable et préventif des opérations de concentration au-delà de certains seuils de chiffre d'affaires.

92. Il résulte de la loi que l’Autorité peut sanctionner une infraction à l’article L. 430-8 sans avoir à démontrer que cette infraction aurait eu des effets sur la concurrence. Au demeurant, il est loisible à l’Autorité, comme elle a déjà eu l’occasion de l’indiquer, de tenir compte, pour la détermination de la sanction, de ce que l’infraction a, par ailleurs et en outre, eu des effets sur la concurrence79.

93. En l’espèce, l’opération de concentration n’a été autorisée par l’Autorité que sous réserve d’engagements pris par COFEPP relatifs à des cessions de marques afin d’écarter les risques concurrentiels identifiés par l’Autorité sur les marchés du porto et de la tequila. Les infractions commises ont donc été susceptibles d’avoir eu des effets sur la concurrence. Un cabinet de conseil économique, dans une analyse économique de l’opération commandée par COFEPP, avait, en octobre 2017, identifié ces risques concurrentiels. Ces derniers étaient donc connus de la société.

94. Enfin, si l’article L. 430-8 du code du commerce ne se limite pas aux infractions intentionnelles mais concerne également les infractions résultant d’une négligence80, le caractère délibéré d’une violation de ces dispositions est susceptible de constituer une circonstance aggravante et doit donc être examiné à ce titre. L'Autorité a par ailleurs déjà considéré que le caractère évident d'une infraction à l'article L. 430-8 pouvait constituer un facteur aggravant81.

95. Or, en l’espèce, la réalisation de l’opération sans notification et sans autorisation a découlé d’une accumulation de comportements traduisant une volonté délibérée de procéder à la réalisation effective de l’opération et d’un mépris des règles de concurrence s’agissant, notamment, des interventions directes de COFEPP dans la politique commerciale de MBWS, dans le choix de son dirigeant, ou encore des échanges d’informations commercialement sensibles.

96. La volonté de COFEPP de déposer un dossier de pré-notification dès septembre 2017, les études dont elle disposait et dans lesquelles la nécessité d’obtenir l’autorisation de l’Autorité était précisée, le dépôt effectif d’une pré-notification en juillet 2018, la signature d’un accord de confidentialité et la mise en place d’une « clean team », témoignent au demeurant d’un parfaite connaissance par COFEPP des obligations, relatives à la prise de contrôle exclusif de MBWS, qui pesaient sur elle et qu’elle a méconnues.

2.  LA DUREE DES INFRACTIONS

97. Une infraction instantanée se définit comme une infraction dont l’acte matériel s’accomplit en un trait de temps. Une sous-catégorie de ce type d’infractions est constituée par les infractions dites permanentes, dont l’acte matériel s’exécute également en un trait de temps, mais dont les effets se prolongent dans la durée, sans nouvelle intervention de l’auteur des faits. Dans la mesure où les faits visés au I de l’article L. 430-8 concernent l’omission d’une notification devant intervenir à un moment précis, soit au plus tard dans un délai suffisant pour permettre à l’Autorité d’exercer son contrôle dans les délais prévus par la loi, et où la réalisation d’une opération de concentration économique intervient en un trait de temps, même si ses effets sont appelés à se poursuivre, il y a lieu de considérer que la réalisation d’une opération de concentration sans qu’elle ait été notifiée préalablement constitue une infraction permanente82. La méconnaissance par COFEPP du I de l’article L. 430-8 du code de commerce le 13 avril 2018, établie ci-dessus, relève donc du régime des infractions instantanées.

98. Par contraste, la méconnaissance du II de l’article L. 430-8 du code de commerce constitue une infraction continue qui dure aussi longtemps que l’Autorité n'autorise pas l’opération. En l’espèce, la durée de l’infraction doit être considérée comme maximale, en ce qu’elle couvre l’intégralité de la période suspensive, soit du 3 janvier 2019, date de notification de l’opération aux services de l’Autorité, au 28 février 2019, date de la décision par laquelle l’Autorité a autorisé l’opération. Les comportements constatés ont en effet commencé dès avant la notification des opérations et se sont prolongés pendant toute la durée du contrôle, avec un renforcement notable de l’immixtion dans les décisions stratégiques et opérationnelles et dans les échanges d’informations au cours du temps.

E. LE MONTANT FINAL DE LA SANCTION

99. Au vu de l’ensemble de ces éléments et dans le respect des termes de la transaction, le montant de la sanction infligée à COFEPP est fixé à 7 000 000 euros.

DÉCISION

Article 1er : Il est établi que la société COFEPP a enfreint les dispositions du I et du II de l'article L. 430-8 du code de commerce.

Article 2 : Une sanction pécuniaire de 7 000 000 euros est infligée à la société COFEPP.

 

NOTES :

1 Ce résumé a un caractère strictement informatif. Seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après.

2 Cote 2.

3 Documents de référence de MBWS pour 2015 (page 156), pour 2016  (pages  150-152)  et pour  2017 (pages 208-209).

4 Cofepp a indiqué dans sa réponse en date du 17 novembre 2020 avoir représenté 45 % des voix lors de l’assemblée générale de juin 2017. Ce chiffre est confirmé par un document du Crédit Agricole en date du 7 mai 2018. Dans un courriel du 13 janvier 2021, Cofepp a réévalué ce taux à 38 %, en vertu d’un nouveau calcul fondé sur les données de la base CACEIS, organisme en charge des assemblées générales de MBWS.

5 Cotes 5809 à 5859.

6 Cotes 1492 à 1496.

7 Cotes 8000 et 8931 à 8994.

8 Cote 8122.

9 Cotes 11160 à 11171.

10 Cotes 1047, 11475 et 11470.

11 Cotes 1046, 1047, 11419 et 11747.

12 Cotes 5931, 5935 et 5389.

13 Cotes 6518 et 6519.

14 Cote 6533.

15 Cote 6533.

16 Cotes 8829 à 8834 et 4060 à 4069.

17 Cotes 8406 et 7327.

18 Cote 7382.

19 Cote 6672.

20 Cotes 7697 à 7700.

21 Cote 8548.

22 Cote 6376.

23 Cotes 11854 et 11855.

24 Cote 2582.

25 Cote 8402.

26 Cote 7260.

27 Cote 9086.

28 Cote 9059.

29 Cotes 7732 et 7733.

30 Cotes 6669 et 11964.

31 Cote 11001.

32 Cotes 5865 et 8672.

33 Cotes 5126 à 5174.

34 Cote 7987.

35 Cotes 3084 à 3136.

36 Cotes 4854 et 4855.

37 Cote 7902.

38 Cote 8668.

39 Cote 7263.

40 Cote 11966.

41 Cotes 8856, 8857 et 11966.

42 Cote 8600.

43 Cote 8599.

44 Cote 8599.

45 Cote 7270.

46 Cotes 4046 à 4048.

47 Cote 8643.

48 Cote 7327.

49 Cote 8406.

50 Cotes 7325 et 7326.

51 Cote 7382.

52 Cotes 7381 et 7382.

53 Cote 7381.

54 Cote 6672.

55 Cotes 8033 et 8034.

56 Cotes 11329 et 11330.

57 Cotes 7697 à 7700.

58 Cotes 9785 à 9787.

59 Cote 8839.

60 Cote 6672.

61 Cote 9659.

62 Cote 7255.

63 Cote 7973.

64 Cote 8759.

65 Cote 8563.

66 Cote 8548.

67 Cotes 6588 et 11967.

68 Décision n° 16-D-24 du 8 novembre 2016 relative à la situation du groupe Altice au regard du II de l’article

L. 430-8 du code de commerce, paragraphes 182 à 186.

69 Voir par analogie l’arrêt du 4 mars 2020, Marine Harvest/Commission, C‑10/18 P, point 103.

70 Voir par analogie l’arrêt du 22 septembre 2021, Altice Europe NV/Commission, T-425/18, points 56 et 57.

71 Décision n° 16-D-24 du 8 novembre 2016, paragraphes 193 à 195.

72 Lignes directrices relatives au contrôle des concentrations (2020), paragraphe 33.

73 Lignes directrices précitées, paragraphe 35.

74 Décision n° 16-D-24 du 8 novembre 2016, paragraphe 197.

75 Lignes directrices précitées, paragraphes 36 à 48.

76 Décision n° 12-D-12 du 11 mai 2012 relative à la situation du groupe Colruyt au regard du I de l'article L. 430-8 du code de commerce 77 Décision n° 16-D-24 précitée. 78 Cote 12375.

79 Décision n° 12-D-15 du 9 juillet 2012 relative au respect des engagements figurant dans la décision autorisant l’acquisition de Socopa Viandes par Groupe Bigard.

80 Décision de sanction du ministre de l’économie n° C2006-103 du 8 décembre 2006 relative à une concentration dans le secteur du saumon.

81 Décision n° 13-D-22 du 20 décembre 2013 relative à la situation du groupe Castel au regard du I de l’article L. 430-8 du code de commerce.

82 Décision n° 12-D-12 du 11 mai 2012 relative à la situation du groupe Colruyt au regard du I de l’article L. 4308 du code de commerce.