CA Lyon, 3e ch. a, 14 avril 2022, n° 18/07500
LYON
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
MICEL (Sasu)
Défendeur :
NEXODIA (Sarl)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme ESPARBÈS
Conseillers :
Mme CLERC, M. FAIVRE
EXPOSÉ DU LITIGE
Pour les besoins de son activité de conception, transformation, découpe d'isolants et de films techniques pour l'industrie, la société Micel SAS a commandé une machine destinée à la découpe sur mesure de baguettes fabriquées en produit « Nomex » (matériau résistant à de grandes variations de température) auprès de la société Nexodia SARL consultant en ingénierie, le 11 mars 2015, en acceptation d'un devis (n°3) du 27 février 2015 et pour un montant HT de 76 564€.
Un litige est survenu entre les parties et la machine n'a pas été livrée.
Par acte d'huissier de justice du 22 mars 2017, la société Micel a fait assigner la société Nexodia aux fins d'obtenir la résolution du contrat aux torts exclusifs de celle-ci, la voir condamner à restituer les acomptes perçus d'un montant de 55 126,08€ ainsi qu'au paiement de la somme de 55 650€ au titre de l'indemnisation de ses préjudices et, subsidiairement, voir ordonner une expertise judiciaire.
La société Nexodia a formé une demande reconventionnelle en résiliation du contrat aux torts de la société Micel en sollicitant sa condamnation à lui payer une somme de 15 312,80€ pour solde dû à la réception provisoire de la machine et le débouté de l'adversaire de toutes ses demandes.
Par jugement du 5 septembre 2018, le tribunal de commerce de Lyon a :
• débouté la société Micel de toutes ses demandes,
• prononcé la résolution du contrat aux torts exclusifs de la société Micel,
• condamné la société Micel à payer à la société Nexodia la somme de 15 312,80€ au titre de la facturation prévue à l'occasion de la réception provisoire qu'elle a refusé de réaliser sans fondement le 9 février 2016,
• condamné la société Micel à payer à la société Nexodia la somme de 3 000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
• et aux dépens.
La société Micel a interjeté appel par acte du 26 octobre 2018.
Une requête en autorisation d'assignation à jour fixe a été rejetée par ordonnance du magistrat délégué par le premier président le 7 novembre 2018.
Par ordonnance du 21 mai 2019, le conseiller de la mise en état a rejeté l'incident tendant à l'organisation d'une expertise présentée par la société Micel et l'a autorisée à mandater à ses frais avancés un huissier de justice pour se rendre au siège de la société Nexodia à Chasse-sur-Rhône (38670) afin d'apposition de scellés sur la machine de découpe Nomex stockée dans ces locaux, scellés destinés à garantir l'intégrité de la machine jusqu'à la décision de la cour sur l'organisation éventuelle d'une expertise, rejeté les autres mesures provisoires sollicitées par la société Micel, dit que les dépens de l'incident suivront le sort du principal et dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
Un huissier de justice a apposé les scellés sur la machine suivant procès-verbal du 17 juillet 2019.
Par conclusions du 4 octobre 2019 fondées sur les articles 1134, 1147, 1184 du code civil (devenus 1103, 1231-1 et 1217), 1787 et suivants du code civil, ainsi que sur l'article 144 du code de procédure civile, la société Micel demande à la cour de :
• infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré,
• statuant à nouveau,
• juger que le contrat portant sur la fabrication et la livraison par la société Nexodia d'une « Machine de Découpe Nomex » moyennant son paiement d'une somme de 76.564€ HT constitue un contrat d'entreprise,
• juger que les obligations souscrites par la société Nexodia, soit la fabrication d'une machine apte à découper des baguettes en Nomex et sa livraison à la date du 19 mai 2015, prévue à la commande du 11 mars 2015, constituent des obligations de résultat,
• juger que la société Nexodia a manqué à ses obligations contractuelles du fait du défaut de livraison d'une machine conforme à la commande du 11 mars 2015, soit apte à la découpe de baguettes en Nomex et fonctionnelle,
• et en ne livrant pas la machine qu'elle avait commandée dans le délai contractuel soit le 19 mai 2015 et à tout le moins dans un délai raisonnable à compter de la commande,
• juger que l'e-mail de la société Nexodia du 1er mars 2017 et l'échéancier de même date qui était joint, portant engagement de lui restituer la somme de 33.000€ sur les acomptes versés, valent incontestablement reconnaissance de responsabilité par la société Nexodia,
• juger qu'elle-même n'a pas manqué à ses obligations d'information et de coopération, dès lors qu'elle a bien communiqué les informations et documents requis à la société Nexodia et débouter la société Nexodia de ses prétentions non fondées à ce titre,
• prononcer la résolution du contrat aux torts et griefs exclusifs de la société Nexodia, du fait de cette incapacité à livrer une machine conforme aux exigences contractuelles,
• condamner en conséquence la société Nexodia à lui restituer les acomptes qu'elle lui a versés au titre dudit contrat, soit 55 126,08€, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 22 mars 2017,
• la juger bien fondée à demander à la société Nexodia la réparation des préjudices subis du fait de ses manquements contractuels et notamment de la perte de chance d'obtenir un contrat,
• condamner en conséquence la société Nexodia à lui payer la somme de 55 650€ soit 40 650€ au titre de son préjudice commercial et financier et celle de 15 000€ au titre de son préjudice moral,
• débouter la société Nexodia de sa demande reconventionnelle,
• à titre subsidiaire,
• désigner un expert (suit l'énoncé d'une mission suggérée),
• en tout état de cause,
• débouter la société Nexodia de ses demandes,
• condamner la société Nexodia à lui payer la somme de 10.000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile,
• et aux entiers dépens de première instance et d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, en ce compris le coût du procès-verbal de constat d'huissier du 17 juillet 2019.
Par conclusions du 1er octobre 2019 fondées sur les articles 1134 ancien ainsi que 1179 et suivants du code civil, la société Nexodia demande à la cour de :
• infirmer le jugement déféré en ce qu'il a prononcé la résolution du contrat aux torts exclusifs de la société Micel alors qu'il devait prononcer sa résiliation, le confirmer quant au surplus,
• juger que le contrat régularisé est un contrat d'entreprise,
• juger qu'elle n'était pas engagée par le délai indicatif de 14 semaines prévu au contrat,
• juger qu'elle a réalisé un prototype en état de fonctionnement et réceptionnable lors de la réception provisoire du 9 février 2016,
• juger qu'elle a parfaitement respecté ses obligations contractuelles,
• juger que la société Micel n'a pas respecté son obligation de coopération et de
• communication,
• juger que la société Micel a abusivement refusé de réceptionner la machine lors de la réception provisoire,
• juger qu'elle n'était pas tenue à une obligation de résultat devant réaliser un prototype, en l'absence d'expression suffisante et précise des besoins et en présence d'un changement systématique de l'expression des besoins,
• juger que la société Micel ne rapporte certainement pas la preuve d'un défaut de livraison et encore moins d'un défaut de livraison d'une machine conforme puisqu'elle a abusivement refusé toute réception provisoire le 9 février 2016,
• juger que la société Micel n'est pas fondée à solliciter la restitution de la somme de 55 126,08€ TTC au titre des échéances versées,
• juger à titre principal que la société Micel n'a pas subi de préjudice et à titre subsidiaire, que si elle avait subi un préjudice, celle-ci en serait à l'origine,
• par conséquent,
• débouter la société Micel de tous ses fins, moyens et prétentions, la résiliation du contrat étant aux torts exclusifs de celle-ci,
• condamner la société Micel au paiement de la somme de 15.312,80€ HT, somme due à la réception provisoire,
• débouter la société Micel de sa demande subsidiaire d'expertise,
• et de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
• condamner la société Micel à lui payer la somme de 10.000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile,
• condamner la société Micel aux entiers dépens tant de première instance que d'appel incluant le coût du procès-verbal de constat d'huissier du 11 mars 2019.
En réponse à la demande de la cour relativement à la requalification éventuelle du contrat litigieux en contrat de vente, les conseils ont répondu chacun par courrier du 7 avril 2022.
MOTIFS
A titre liminaire, il est rappelé que le litige est soumis au droit ancien des contrats en référence à la convention litigieuse du 11 mars 2015 constituée de l'acceptation du devis du 27 février 2015.
Sur la demande d'expertise
La cour trouvant dans le dossier des éléments permettant de statuer au fond du litige dont l'ancienneté remonte de plus à 2016, la mesure d'expertise sollicitée subsidiairement par Micel est jugée infondée. Elle est donc écartée.
Sur la caractérisation de la machine (prototype)
La machine commandée le 11 mars 2015 auprès de Nexodia par Micel, destinée à la découpe sur mesure de baguettes en Nomex, est basée sur un devis du 27 février 2015 portant un montant HT de 76 564€.
Les échanges préparatoires entre les 2 sociétés attestent qu'il s'est agi certes d'une «'machine spéciale », ainsi notée sur la commande de Micel et sur les factures émises par Nexodia, nécessitant donc un stade de développement à charge du fabricant et inclus dans le prix, mais surtout d'une machine devant être fonctionnelle comme destinée à devenir un élément d'équipement de Micel. Comme rappelé à l'article 2 du devis, Nexodia était informée de l'objectif de Micel de n'avoir plus à recourir aux services d'un sous-traitant en vue de la découpe sur mesure de ces baguettes de Nomex.
La qualification de «'prototype'» soulignée par Nexodia au visa d'une prétendue commune intention des parties, celle-ci en concluant qu'elle n'était pas tenue à l'obligation de résultat que lui impute son adversaire, qualification qui définit un exemplaire d'essai réalisé avant une fabrication en série, s'avère étrangère à l'affaire car non mentionnée ni dans le devis émis par Nexodia ni dans la commande passée par Micel, dont les stipulations sont claires et ne nécessitent aucune interprétation.
L'objet du contrat est donc une machine censée remplir une fonction de production visant la découpe de baguettes en Nomex, à fabriquer spécialement par Nexodia qui a accepté la commande.
Sur la qualification du contrat
Les parties se sont accordées dans leurs écritures à qualifier le contrat qui les lie de «'contrat d'entreprise ».
Cependant, l'objet du devis accepté est une commande de machine moyennant versement d'un prix, ce qui correspond à la définition du contrat de vente comme le vise l'article 1582 du code civil évoquant «'une convention par laquelle l'un s'oblige à livrer une chose et l'autre à la payer », peu important l'exigence de l'acheteur de mettre en œuvre des conditions particulières que Nexodia n'a pas discutées lors de la transaction et a acceptées.
Il ne s'agit pas d'un contrat d'entreprise portant sur un ouvrage exécuté par un entrepreneur en indépendance vis-à-vis d'un maître d'oeuvre tel que mentionné à l'article 1787 du même code.
Au demeurant, la dernière page du devis émis par Nexodia stipule des «'conditions générales de vente », que Nexodia vise dans ses écritures (page 6).
En conséquence, par application de l'article 12 du code de procédure civile visant le devoir du juge de restituer l'exacte qualification aux actes litigieux et au regard des observations des parties sur ce changement de qualification, la convention conclue par celles-ci est qualifiée de vente, rendant sans objet la notion d'obligation de résultat invoquée par Micel et les conséquences qu'elle en tire quant aux obligations imputées à Nexodia.
Sur les manquements contractuels de Nexodia
En qualité de vendeur, Nexodia doit remplir 2 obligations principales, celle de délivrer et celle de garantir la chose vendue (article 1603 du code civil). Seule la première est en jeu en l'espèce, aucun vice caché n'étant allégué.
Micel recherche la résolution du contrat aux torts de Nexodia pour solliciter la restitution de ses paiements, outre l'indemnisation de ses préjudices, en se fondant sur un défaut de livraison d'une machine conforme à la commande du 11 mars 2015, soit une machine apte à la découpe de baguettes en Nomex et fonctionnelle, et sur une livraison qui n'a pas été opérée dans le délai contractuel, soit le 19 mai 2015, et à tout le moins dans un délai raisonnable à compter de la commande.
Nexodia vise au contraire la résiliation du contrat aux torts de Micel, pour valider les paiements d'acomptes de cette dernière et réclamer un solde dû à la date de la réception provisoire du 9 février 2016, en soutenant avoir rempli ses obligations de livraison et de délai puisqu'à ses dires, c'est Micel, défaillante dans son obligation de coopération et de communication qui a refusé cette réception provisoire.
Demanderesse à l'action, la charge de la preuve des manquements contractuels que Micel impute à sa cocontractante lui revient dès lors que, contrairement à ce qu'elle soutient, aucune responsabilité de plein droit ne s'attache aux obligations de Nexodia, ni même une présomption de faute.
Sur le délai de livraison
Le devis du 27 février 2015 porte la mention suivante : «'le délai actuel hors congés à réception de commande est de 14 semaines ». Le terme « actuel » et la nécessité de considération des périodes de congés signifient que ce délai n'était qu'indicatif. De plus, l'article 9 du devis rappelle que «'le délai annoncé est donné à titre indicatif, il est susceptible d'être révisé à réception de la commande », ce qui ressort en outre des conditions générales (article 5) stipulant que «'ce délai ne constitue pas un délai de rigueur ».
La commande du 11 mars 2015 émise par Micel notant un «'délai 19/05/2015 », qui n'a pas été accepté par l'offrant n'est pas plus impératif.
Micel accepte d'examiner l'éventualité d'un délai raisonnable, ce qui est en effet pertinent s'agissant de la fabrication et livraison d'une machine spéciale.
Elle soutient alors l'incapacité de Nexodia tant à la réunion du 9 février 2016 qu'avant la date de report du 31 décembre 2016 qu'elle a consentie, de livrer une machine fonctionnelle.
Il est ainsi admis que Micel a accepté un report de délai de livraison à cette date du 31 décembre 2016, entrée dans le champ contractuel.
La retenue du grief allégué contre Nexodia quant à ce dernier délai étant lié à celui visant le défaut de conformité, ce grief doit être examiné.
Sur le défaut de conformité
Nexodia s'est engagée à fabriquer pour la vendre à Micel une machine selon les spécifications convenues entre elles.
La commande prévoit le phasage suivant (article 4.1 du devis) à la charge de Nexodia :
- une visite sur site pour la présentation du projet, échange de documents et informations,
- l'étude de l'ensemble de la machine de découpe de baguettes Nomex,
- la fabrication de la machine,
- les différents tests et vérifications réalisables dans les ateliers de Nexodia,
- la livraison de l'ensemble de la machine dans les ateliers de Micel,
- l'intervention de mise en service sur site,
- la formation des opérateurs et personnels du service de maintenance,
- la fourniture d'une documentation comprenant un descriptif technique, une notice d'entretien avec pièces de rechange, les modes opératoires et le certificat CE.
L'article 4.2 stipule à la charge de Micel :
- toutes prestations non détaillées dans la proposition,
- nous fournir toutes les informations nécessaires pour mener à bien cette affaire,
- la validation des cotes d'encombrement de la structure,
- et de l'adéquation avec le cahier des charges avant réalisation,
- la mise à disposition des alimentations nécessaires au fonctionnement du poste de travail,
- le déchargement de la machine lors de la livraison.
Le contrat décrit précisément les baguettes de Nomex et leurs caractéristiques (matériau, longueur, largeur, épaisseur (article 2).
L'article 3 détaille l'opération de découpe des plaques de Nomex en baguettes par la machine assurant :
- la réalisation des angles des baguettes,
- le tronçonnage de 50 baguettes par plaque,
- l'aspiration des poussières de découpe,
- chacune de ces opérations étant précisément décrite ; s'agissant du tronçonnage, la largeur de la coupe est visée à ± 1 mm et la valeur de l'IT à ± 0,15 mm.
Ce devis ne mentionne aucune réserve quant à la faisabilité des prestations et ne mentionne pas plus un aléa, dû par exemple à la spécificité du Nomex.
Les échanges antérieurs entre les représentants concernés des 2 sociétés, révélés par des courriels versés au dossier, attestent de leurs discussions relatives notamment aux formats du Nomex et des baguettes, aux épaisseur et largeur de celles-ci, eu égard à la particularité du matériau dont Micel a clairement énoncé la non-planéité et la dureté, et ils confirment la tolérance de largeur des baguettes sollicitée « idéalement » à ± 0,15 mm, sinon à ± 0,5 mm. Micel a également expressément interrogé Nexodia sur le respect des tolérances stipulées, le stockage des poussières, encore sur les cadences estimées. Nexodia a dit, s'agissant de la tolérance, sa prévoyance « d'être meilleur que ± 0,5 mm ».
Leurs échanges ultérieurs faisant suite à la commande de mars 2015 indiquent les difficultés techniques auxquelles Nexodia se heurte, annonçant le 2 septembre 2015 une réception provisoire semaine 44 et une mise en service semaine 45. Ces difficultés persistantes, cette réception a été décalée du 25 novembre 2015 à la semaine 3 de 2016.
Le 22 janvier 2016, Micel a informé Nexodia d'une tolérance donnée par son fournisseur des plaques de Nomex à ± 3,2 mm pour leur longueur et largeur, ce dont Nexodia aurait dû s'enquérir en sa qualité de professionnelle de l'ingénierie industrielle et donc titulaire d'un devoir d'information et de conseil à l'égard du partenaire, si elle considérait ce point comme un élément déterminant dans la construction de la machine. Son allégation d'une telle contrainte supplémentaire est écartée.
Une « réception provisoire » a été organisée par Nexodia le 9 février 2016.
Il résulte de la confrontation des attestations communiquées par les 2 parties rédigées par des personnes présentes, émanant pour Micel de M. R. (directeur général adjoint de Micel et porteur du projet), M. D. (responsable industriel) et Mme D. (opératrice), et pour Nexodia de M. N. (gérant de la société Esyla fournisseur de Nexodia) et de M. B. (salarié de la société Esyla), attestations à apprécier selon le lien de subordination ou de partenariat avec les parties, que les difficultés de Nexodia précitées sont effectives. Aucune découpe de baguette n'a été opérée devant les présents, et les échantillons de baguettes préalablement découpées étaient de mauvaise qualité comportant une couleur jaune, visible sur la totalité du flanc de la baguette comme en justifie la photographie produite par Nexodia. Micel attribue cette couleur à des brûlures dues à une surchauffe, tandis que ce jaunissement des baguettes n'est pour Nexodia qu'un simple désordre esthétique, ce qui est infondé. Il s'est au contraire agi d'un désordre réel, excluant que soit reconnue la fonctionnalité de la machine sur le prétendu constat de la seule nécessité d'améliorations, et qui légitime le refus de Micel de procéder à d'autres essais à supposer que Micel ait effectivement énoncé un tel refus. Par la suite, aucune réception n'a été opérée, ni signée, même avec réserves, et Nexodia n'a pas mis en demeure Micel de procéder à une réception en application du contrat.
Le 9 mars 2016, Nexodia a énoncé qu'une équipe R&D recherchait des solutions aux difficultés techniques et financières du projet, prévoyait de prochaines actions pour viser une livraison et mise en service semaine 22 en concluant la non-maîtrise du matériau par les spécialistes de la coupe. Le 13 mai 2016, Nexodia a informé Micel d'un retour d'expériences apporté par les derniers essais «'qui n'ont pas été concluants (lames trop fragiles, encrassement très rapide) ». Le 25 juin 2016, pour donner suite à une réunion du 23 juin, Micel a demandé une réponse ferme pour connaître l'issue de sa commande au 25 juillet 2016, et elle a saisi son conseil.
Finalement, Micel a communiqué à Nexodia un dernier délai de finalisation de la commande au 31 décembre 2016, resté vain, et le 1er mars 2017, dans le cadre des négociations entre les parties antérieurement à la délivrance de l'assignation, Nexodia a adressé à Micel un courriel disant «'suite à notre entretien de la semaine dernière concernant notre litige en cours, nous vous prions de bien vouloir trouver, ci-joint, l'échéancier que nous nous efforcerons d'honorer pour résoudre au mieux et mettre un terme à cette situation inconfortable pour chacun'», auquel était joint un échéancier totalisant un avoir de 33 000€ TTC à payer en 11 mensualités depuis le 20 mai 2017 jusqu'au 20 novembre 2019. Sans valoir reconnaissance de responsabilité comme l'estime Micel, un tel engagement corrobore le fait manifeste des difficultés de Nexodia à assurer la commande.
Les autres moyens contraires développés par Nexodia doivent être écartés :
- les photographies communiquées par Nexodia datant de la «'réception provisoire'» du 9 février 2016 tout comme celles résultant d'un constat du 11 mars 2019 visualisent certes une machine montée dans différentes composantes, « en excellent état d'entretien et de conservation » comme l'a dit l'huissier, mais sans justification de son état entier ni de sa fonctionnalité ce qui aurait requis des investigations techniques, non demandées à cet huissier qui n'avait pas compétence pour ce faire, et non mises en oeuvre par Nexodia,
- l'acompte de 40'% a été payé par Micel tout comme l'étude en 3D, théorique, qui n'augure rien de la mise en oeuvre de la machine, ces paiements ayant permis à Nexodia l'acquisition des matériaux nécessaires à débuter la fabrication,
- il n'est pas justifié par Nexodia que Micel ait manqué à son devoir d'information et de coopération, ayant conduit à un blocage, alors que les besoins de Micel étaient clairement identifiés, que la commande était précise, que Nexodia avait reçu des échantillons de Nomex avant la conclusion du contrat et avait été informée de la particularité de ce matériau, peu important que Micel ait été spécialiste des produits Nomex'; les productions des parties démontrent que Micel a collaboré activement aux étapes menées par Nexodia, en communiquant diverses informations que Nexodia n'a pas contestées, ni jugé insuffisantes, celle-ci ne justifiant d'aucunes demandes auxquelles Micel n'aurait pas répondu'; en outre, Micel a accepté un large report de délais démontrant sa compréhension quant aux difficultés supportées par Nexodia ; encore, si Nexodia se plaint désormais de l'absence d'établissement d'un «'cahier des charges et d'une étude de faisabilité'», ces défauts lui sont imputés, en étant considéré que l'ensemble des éléments communiqués par Micel à Nexodia en tenait lieu.
Il résulte de ces constatations et considérations que la machine, destinée à assurer la coupe des baguettes de Nomex comme convenu à la commande, qui n'a jamais fait l'objet d'une tentative de livraison effective dans les locaux de Micel, n'est pas en état de fonctionner, aucun document technique ne l'établissant et Nexodia n'offrant pas la preuve contraire.
Il est ainsi démontré que Nexodia a manqué à son obligation de délivrance conforme, ce qui compte tenu de l'absence de toute livraison attendue comporte un caractère de gravité qui conduit à admettre la résolution du contrat aux torts de Nexodia, contrairement à l'appréciation du premier juge.
Sur les effets de la résolution du contrat aux torts de Nexodia.
La résolution du contrat entraîne la remise des parties à l'état antérieur, ce qui justifie la demande de Micel de voir condamner Nexodia à lui restituer les acomptes versés de 55 126,08€, montant que Nexodia ne critique pas, outre intérêts moratoires au taux légal à compter de l'assignation du 22 mars 2017.
Micel sollicite en outre, au visa de l'article 1147 du code civil, de voir réparer les préjudices subis consistant d'une part, au titre d'un préjudice commercial et financier, en une perte de chance d'obtenir un contrat estimée à la somme de 40.650€ et au titre d'un préjudice moral celle de 15 000€.
Cette dernière demande, que Micel explicite comme visant un préjudice résultant des promesses non tenues et de la mauvaise foi de Nexodia qui a procédé à des reports successifs de date de livraison la laissant sans aucune visibilité et dans une totale incertitude en raison de l'absence d'informations fiables, n'est assortie d'aucune preuve, et doit donc être rejetée.
Quant au préjudice commercial et financier, en rappelant, ce qui est exact, que la machine litigieuse devait lui permettre de réaliser ses propres découpes de baguettes Nomex dans ses ateliers de sorte à être plus réactive face aux besoins de ses clients, Micel soutient ne pas avoir, du fait des manquements contractuels imputés à Nexodia, été en mesure de répondre aux demandes de ses clients. Elle précise qu'elle a été écartée d'un marché «M7» avec la société Alstom portant sur des transformateurs de traction dont les baguettes Nomex sont un composant stratégique, qui a entraîné une perte de marge nette évaluée aux 40 650€ précités.
Cependant, les courriels de juin et juillet 2016 qu'elle communique au regard d'une commande n° 334696 ne permettent pas de justifier que la commande d'une part, concernait ces baguettes de Nomex supposées traitées par la machine litigieuse et d'autre part, qu'elle a été perdue du fait des délais que Micel dit avoir dû prendre du fait de son obligation de contracter un sous-traitant.
Sa demande à ce second titre est donc également rejetée.
Sur la demande reconventionnelle de Nexodia
Eu égard aux torts attribués à Nexodia, celle-ci est infondée à réclamer à l'encontre de la société Micel le paiement de la somme de 15 312,80€ HT due à la réception provisoire. Elle est déboutée de sa demande.
Sur l'article 700 du code de procédure civile, les dépens et les constats d'huissier
Partie perdante, Nexodia a la charge des dépens de première instance et d'appel avec pour ceux-ci droit de recouvrement au profit du conseil de Micel, outre celle de ses frais non répétibles tant pour la cause de première instance que d'appel.
Elle a en outre la charge d'une indemnité de procédure à verser à Micel, outre le coût du constat d'huissier du 11 mars 2019 qu'elle a initié ainsi que du constat d'huissier du 17 juillet 2019 (apposition de scellés) sollicité par Micel à la suite de l'ordonnance du conseiller de la mise en état, et qui ne sont pas inclus dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et ajoutant,
Déboutant la société Micel de sa demande d'expertise judiciaire,
Prononce la résolution du contrat litigieux aux torts de la société Nexodia eu égard à l'absence de délivrance conforme de la machine litigieuse,
En conséquence, condamne la société Nexodia à restituer à la société Micel les acomptes versés pour un montant de 55 126,08€ outre intérêts moratoires au taux légal à compter du 22 mars 2017,
Déboute la société Micel de ses demandes au titre de ses préjudices,
Déboute la société Nexodia de sa demande de paiement de la somme de 15 312,80€ HT,
Déboute la société Nexodia de ses demandes d'indemnités de procédure tant pour la cause de première instance que d'appel,
Condamne la société Nexodia à verser à la société Micel une indemnité de procédure de 10 000€,
Condamne la société Nexodia à supporter le coût des constats d'huissier des 11 mars et 17 juillet 2019, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers avec droit de recouvrement.