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Décisions

Cass. crim., 13 avril 2022, n° 21-80.653

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Rapporteur :

Mme Fouquet

Avocat général :

Mme Chauvelot

Avocat :

SCP Foussard et Froger

Versailles, du 21 janv. 2021

21 janvier 2021

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 6 novembre 2014, M. [D] a déposé plainte avec constitution de partie civile du chef de recel d'abus de biens sociaux qui aurait notamment été commis par la société [1] à l'occasion d'une opération de promotion immobilière s'étant déroulée à compter de 1991.

3. Le 30 novembre 2005, la société [2], alors actionnaire unique de la société [1], avait décidé de la dissolution par anticipation de cette dernière et la transmission universelle de son patrimoine à son propre bénéfice.

4. Le 27 mai 2020, le juge d'instruction a ordonné un non-lieu.

5. M. [D] a formé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le second moyen

6. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, confirmant l'ordonnance entreprise, dit n'y avoir lieu à poursuivre alors « que la société absorbante peut être déclarée coupable et condamnée à une peine d'amende ou de confiscation pour des faits commis par la société absorbée ; que si le principe de prévisibilité juridique s'oppose à ce que cette règle soit appliquée aux fusions antérieures au 25 novembre 2020, réserve est cependant faite des cas de fraude ; qu'en décidant que la responsabilité pénale de la société [2], absorbante, ne pouvait être recherchée pour des faits de recel d'abus de biens sociaux commis par la société [1], absorbée, y compris lorsque la fusion-absorption procédait d'une fraude, les juges du fond ont violé l'article 121-1 du code pénal. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 121-2 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :

8. Selon le second de ces textes, tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

9. Selon le premier, les personnes morales, à l'exclusion de l'Etat, sont responsables pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants.

10. La Cour de cassation juge (Crim., 25 novembre 2020, pourvoi n° 18-86.955) qu'en cas de fusion-absorption d'une société par une autre société, la société absorbante peut être condamnée pénalement pour des faits constitutifs d'une infraction commise par la société absorbée avant l'opération dans deux hypothèses :

- lorsque l'opération, conclue postérieurement au 25 novembre 2020, entre dans le champ de l'application de la directive 78/855/CEE du Conseil du 9 octobre 1978 relative à la fusion des sociétés anonymes, codifiée en dernier lieu par la directive (UE) 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017. Dans ce cas seule une peine d'amende ou de confiscation peut être prononcée à l'encontre de la société absorbante ;

- lorsque l'opération, quelle que soit sa date et quelle que soit la nature des sociétés concernées, a eu pour objectif de faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale et qu'elle constitue ainsi une fraude à la loi. Dans ce cas, toute peine encourue peut être prononcée.

11. Il s'en déduit que les juridictions d'instruction ne sauraient prononcer une décision de non-lieu fondée sur la dissolution de la société absorbée contre laquelle elles relèvent des charges suffisantes d'avoir commis les faits dont elles sont saisies, sans vérifier, soit d'office, soit à la demande d'une partie qui l'invoque, au besoin en ordonnant un supplément d'information, si les conditions pour exercer des poursuites à l'encontre de la société absorbante ne sont pas susceptibles d'être remplies.

12. En l'espèce, pour confirmer l'ordonnance de non-lieu du juge d'instruction, l'arrêt attaqué relève que la société [1], qui se serait rendue coupable du recel d'abus de bien social dénoncé à compter de 1991, a fait l'objet d'une fusion ayant consisté en une dissolution sans liquidation et un transfert universel de ses actifs et passifs à la société [2] à la date du 5 décembre 2005.

13. Il énonce que l'article 121-1 du code pénal pose le principe selon lequel nul n'est responsable pénalement que de son propre fait et que selon la jurisprudence alors constante de la Cour de cassation, ce principe s'opposait à ce que la société absorbante soit poursuivie et condamnée pour des faits commis par la société absorbée antérieurement à une opération de fusion absorption, cette société ayant perdu sa personnalité juridique par l'effet de la fusion, de sorte que l'action publique était éteinte à son encontre.

14. Il précise que cette jurisprudence a été maintenue par la Cour de cassation après un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 5 mars 2015 ayant dit pour droit qu'une fusion par absorption entraîne la transmission à la société absorbante de l'obligation de payer une amende infligée après cette fusion pour des infractions commises par la société absorbée avant la fusion.

15. Les juges ajoutent que le Conseil constitutionnel a néanmoins rappelé qu'en dehors de la matière pénale, le principe de la responsabilité personnelle pouvait faire l'objet d'adaptations, justifiées par la nature de la sanction et par l'objet qu'elle poursuit, et que la responsabilité de la personne morale a par ailleurs évolué, même en matière pénale.

16. Ils relèvent que l'appelant demande à la cour de retenir une nouvelle interprétation de la responsabilité pénale des personnes morales au regard des réalités économiques de la fusion-absorption et du fait qu'elle peut constituer un moyen pour une société d'échapper aux conséquences des infractions qu'elle aurait commises.

17. La cour d'appel considère qu'une telle interprétation ne saurait cependant, sans porter atteinte au principe de prévisibilité juridique garanti par l'article 7 de la convention européenne des droits de l'homme, s'appliquer à une opération conduite en 1991, suivie d'une fusion-absorption à une date où seule l'interprétation classique de la responsabilité pénale des personnes morales pouvait être envisagée par les acteurs et bénéficiaires de cette opération économique.

18. Elle en déduit que la responsabilité pénale de la société [2] ne peut dès lors être recherchée du fait de recels d'abus de biens sociaux commis par la société [1].

19. En statuant ainsi, sans se prononcer sur l'existence d'une éventuelle fraude à la loi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

20. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 21 janvier 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize avril deux mille vingt-deux.