CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 18 décembre 2009, n° 08/09863
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Yotta (Sarl)
Défendeur :
M. Policarpo
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Girardet
Conseillers :
Mme Darbois, Mme Saint-Schroeder
Avoués :
SCP Fisselier - Chiloux - Boulay, SCP Gerigny-Freneaux
Avocats :
Me Poupat, Me Lesaffre
ARRÊT :
- contradictoire
- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Alain GIRARDET, président et Mademoiselle Sandra PEIGNIER, greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
La société YOTTA est une agence de communication dont la gérante est Madame Aurélie MEZIANE. Elle déclare avoir créé et intégré en 2004 le groupe INEA qu'a rejoint Monsieur Kossi AGUESSY, designer, dans le but de s'associer avec elle au sein d'une nouvelle entité dénommée MBVA. Monsieur AGUESSY a commencé à travailler sur un flacon de parfum à partir de la fin de l'année 2004. Au mois de janvier 2005, Monsieur Sébastien MALLEVILLE a intégré l'agence en qualité de designer free lance et a participé à la conception de ce flacon. Le 9 mars 2005, la société YOTTA déposait sous le n 33 45 832la marque semi figurative KOSSI AGUESSY, composée du nom et de la signature de Monsieur AGUESSY.
Au mois de septembre 2005, Monsieur MALEVILLE a été rejoint sur ce projet de flacon par Monsieur Sergio POLICARPO.
Le flacon fera l'objet, par la société YOTTA, du dépôt d'une enveloppe Soleau au mois de mars 2005 puis d'un dépôt de dessin et modèle au nom de Madame MEZIANE le 28 février 2006 sous le n 06 1010.
Monsieur AGUESSY a brusquement quitté les locaux de la société YOTTA au mois de mars 2005 et mis par là même un terme à leur collaboration. Messieurs MALEVILLE et POLICARPO ont quitté la société à la fin du mois de mars 2006.
Reprochant à Madame MEZIANE le dépôt de modèle du flacon, Messieurs AGUESSY, MALEVILLE et POLICARPO ont assigné celle-ci et la société YOTTA pour dépôt de modèle frauduleux et contrefaçon, Monsieur AGUESSY alléguant, en outre, le dépôt de la marque n 33 45 832 dans les mêmes conditions.
Par jugement contradictoire du 25 mars 2008, la troisième chambre du tribunal de grande instance de Paris a dit que le flacon, objet du modèle n 06 1010 déposé par Madame MEZIANE, était l'œuvre de collaboration de Messieurs AGUESSY, MALEVILLE et POLICARPO, que Madame MEZIANE avait déposé frauduleusement le modèle n 06 1010 à son nom et a ordonné le transfert de ce modèle au nom de Messieurs AGUESSY, MALEVILLE et POLICARPO. Il a, en outre, condamné in solidum Madame MEZIANE et la société YOTTA à payer à Messieurs AGUESSY, MALEVILLE et POLICARPO la somme de 1 500 euros chacun en réparation du préjudice subi du fait du dépôt frauduleux, pris acte de ce que la société YOTTA acceptait de céder gracieusement la marque semi-figurative n 33 45 832 au profit de Monsieur AGUESSY, a, en tant que de besoin, ordonné le transfert de la marque semi-figurative n 33 45 832 au profit de Monsieur AGUESSY, a débouté ce dernier de sa demande de dommages-intérêts formée du chef de dépôt frauduleux de marque et condamné in solidum la société YOTTA et Madame MEZIANE à payer à chacun des demandeurs la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans leurs dernières conclusions signifiées le 31 octobre 2008, Madame MEZIANE et la société YOTTA, appelantes, prient la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il les a condamnées pour le dépôt frauduleux du modèle n 06 1010, de le confirmer en ses dispositions portant sur le dépôt de la marque et de condamner Messieurs AGUESSY, MALEVILLE et POLICARPO chacun à leur payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Messieurs AGUESSY, MALEVILLE et POLICARPO, intimés, concluent dans leurs dernières écritures du 26 janvier 2009 à la confirmation de la décision déférée en ce qu'elle a déclaré que le flacon litigieux était une œuvre de collaboration réalisée par les intimés ensemble, que son dépôt en tant que modèle n 06 1010 par Madame MEZIANE était frauduleux et a ordonné son transfert à leur profit et concluent à l'infirmation pour le surplus. Ils demandent à la cour de déclarer frauduleux le dépôt par la société YOTTA de la marque semi figurative n 33 45 832, d'en ordonner le transfert au profit de Monsieur AGUESSY, de condamner la société YOTTA à payer à Monsieur AGUESSY la somme de 7 500 euros à titre de dommages et intérêts, de prononcer des mesures d'interdiction concernant le flacon et la signature de Monsieur AGUESSY et de condamner in solidum Madame MEZIANE et la société YOTTA à leur verser la somme de 7 500 euros chacun en réparation du préjudice subi du fait du dépôt frauduleux outre celle de 2 500 euros chacun au titre de leurs frais irrépétibles d'appel.
Il est renvoyé aux dernières conclusions précitées des parties en date des 31 octobre 2008 et 26 janvier 2009 pour plus ample exposé de leurs moyens et prétentions et ce, conformément aux dispositions des articles 455 et 753 du Code de procédure civile.
SUR CE
Sur le modèle de flacon
Considérant que les appelantes font grief aux premiers juges d'avoir attribué la paternité du flacon qui a fait l'objet d'un dépôt le 28 février 2006 sous le n°06 1010 à Messieurs AGUESSY, MALEVILLE et POLICARPO et d'avoir qualifié ce flacon d'œuvre de collaboration alors qu'il constitue selon elles une oeuvre collective, et d'avoir déclaré frauduleux le dépôt de modèle de ce flacon par Madame MEZIANE en son nom propre ; que les intimés répliquent que le flacon a été dessiné par Monsieur AGUESSY puis modélisé en trois dimensions par Monsieur MALEVILLE qui l'a fait évoluer avec la collaboration « sous la lampe » de Monsieur POLICARPO et qu'ils ont refusé de céder leurs droits d'auteur à la société YOTTA.
Considérant, ceci exposé, que constitue une oeuvre collective, telle que définie par l'article L.113-2 du Code de la propriété intellectuelle, l'oeuvre créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé ;
qu'il appartient ainsi à la société YOTTA d'établir que le flacon litigieux a été créé sur son initiative étant relevé qu'il n'est pas contesté que les trois intimés ont participé à l'élaboration du flacon ;
que pour parvenir à cette fin, celle-ci produit plusieurs attestations émanant pour l'une de Madame Sibel YURDAGUL, qui se présente comme la conjointe de Monsieur Alexis VEZIA, directeur artistique de la société YOTTA, qui indique que cette société a financé l'aménagement d'une partie de ses locaux au bénéfice de Monsieur AGUESSY, designer indépendant, et de Monsieur MALLEVILLE et que Monsieur VEZIA a pris les décisions, contrôlé et orienté son équipe sur les créations graphiques et a donné à Messieurs MALEVILLE et POLICARPO les directives relatives au flacon litigieux ;
que Monsieur Antoine COLOMBIN, attaché de presse et directeur de l'agence MOCCA qui partage les locaux de la société YOTTA dont il est actionnaire principal aux côtés de Monsieur VEZIA, certifie, pour sa part, avoir entendu à plusieurs reprises Monsieur VEZIA donner « son impulsion créative, briefer et orienter ses équipes sur le flacon » ; qu'il ajoute avoir suggéré à Monsieur VEZIA de proposer ce flacon dans le cadre du développement d'un parfum par la société DIESEL qui venait de signer un partenariat avec la société L'OREAL et l'avoir vu et entendu donner des ordres et des orientations artistiques pour répondre aux spécificités DIESEL ; qu'il témoigne que « Messieurs MALEVILLE et POLICARPO n'ont fait qu'exécuter les propositions créatrices de Monsieur VEZIA, y appliquant les choix de couleurs, de matières et de formes en se conformant aux instructions » de ce dernier.
Mais considérant qu'il ressort de l'attestation précise de Monsieur Isaac SINCLAIR, exerçant la profession de parfumeur, que celui-ci a reçu à la fin de l'année 2004 un courrier électronique de la part de Monsieur AGUESSY comportant l'image d'un flacon composé d'une structure métallique au milieu de laquelle était placée une poche destinée à recevoir le parfum; que sur cette poche était portée l'inscription « TONI&GUY » ; qu'il explique qu'ils avaient rendez-vous « avec Tony & Guy pour leur proposer un parfum » ;
que cette description correspond au flacon contenu dans l'enveloppe Soleau déposée par la société YOTTA à l'INPI le 11 mars 2005 ;
que le témoignage de Monsieur SINCLAIR est conforté par celui de Monsieur Badr HAJJI, commercial de profession, qui atteste avoir été présent au mois de janvier 2005 quand Monsieur AGUESSY a apporté dans les locaux de la société YOTTA les premiers dessins à main levée du flacon qui partait de l'inspiration d'une poche translucide de transfusion d'hôpital entourée d'un cadre en métal et qu'il a reproduit dans son attestation ; qu'il poursuit en indiquant avoir vu, « quelques jours après, la modélisation du produit sur ordinateur fait par l'assistant graphiste designer Sébastien de Kossi AGUESSY pour une présentation d'un projet de parfum avec « Tony and Guy » (inscrit sur le flacon) » ;
que les déclarations de Monsieur Christophe LE BRETON, également commercial, corroborent les témoignages précédents ; qu'en effet, Monsieur LE BRETON affirme, en joignant à son attestation la photographie numérisée du flacon, avoir reçu et reproduit pour Monsieur AGUESSY le dessin dont s'agit.
Considérant qu'il est établi, par ailleurs, que Messieurs MALEVILLE et POLICARPO, tous deux dessinateurs indépendants, faisaient partie de l'équipe de Monsieur AGUESSY et que les honoraires qui leur ont été versés par la société YOTTA l'ont été en raison de la défaillance de Monsieur AGUESSY qui sollicita de nombreuses aides financières auprès des membres de la société YOTTA avant de quitter précipitamment les locaux de cette société au mois de mars 2005 ;
qu'il est constant que le flacon n'a pas été exploité sous le nom de la société YOTTA ; que la présentation en 2006 à la société DIESEL du flacon, dont la reproduction n'est pas produite et les caractéristiques ne sont pas définies alors qu'il est fait état d'une évolution du modèle par rapport à ce qu'il était à l'époque de son dépôt sous enveloppe Soleau au mois de mars 2005, ne peut être regardée comme une exploitation sous son nom de ce produit.
Considérant qu'il suit de ces développements que la société YOTTA ne démontre pas avoir pris l'initiative de la création du flacon de parfum, objet du présent litige, ni avoir divulgué celui-ci sous son nom ; que cette oeuvre ne peut donc être qualifiée d' oeuvre collective comme l'a jugé à bon droit le tribunal qui a retenu qu'il s'agissait d'une oeuvre de collaboration de Messieurs AGUESSY, MALEVILLE et POLICARPO lesquels n'ont pas signé de contrat de cession de leurs droits sur ce flacon avec la société YOTTA.
Considérant que le modèle déposé à l'INPI le 28 février 2006 par Madame MEZIANE est semblable à celui qui fut remis par la société YOTTA le 11 mars 2005 dans l'enveloppe Soleau à l'exception de la mention « FREEZONE TONI&GUY » ; que s'y retrouve le même cadre métallique comportant pareillement quatre attaches fixées aux angles et deux sur les bords latéraux destinées à retenir la poche transparente laquelle est identique à celle figurant dans l'enveloppe Soleau ;
que le jugement entrepris sera, en conséquence, confirmé en ce qu'il a dit que le flacon déposé par Madame MEZIANE constituait l'œuvre de collaboration des intimés, que celle-ci avait déposé le modèle n°06 1010 à son nom en fraude de leurs droits, en a ordonné le transfert au nom des intimés et a alloué des dommages-intérêts à ces derniers à hauteur de 1 500 euros chacun, somme qui répare de façon suffisante le préjudice de chacun des coauteurs en l'absence d'exploitation de l'œuvre par les appelantes sans qu'il soit nécessaire, par ailleurs, d'ordonner une mesure d'interdiction.
Sur le dépôt de la marque Kossi AGUESSY
Considérant que Monsieur Kossi AGUESSY critique la décision déférée en ce qu'elle n'a pas retenu le dépôt frauduleux de son nom et de sa signature à titre de marque semi-figurative par la société YOTTA.
Considérant que l'existence de pourparlers aux fins d'aboutir à une association entre Monsieur AGUESSY et la société YOTTA n'autorisait pas celle-ci à déposer, de surcroît à son seul nom, sans en informer Monsieur AGUESSY, les nom et prénom de celui-ci accompagnés de sa signature ; que ce dépôt intervenu le 9 mars 2005 quelques jours avant le départ de Monsieur AGUESSY dans le but manifeste de priver ce dernier d'un signe nécessaire à son activité, la société YOTTA ayant d'ailleurs reconnu dans ses écritures de première instance qu'elle n'avait aucun droit sur une telle marque, revêt un caractère frauduleux ;
que le jugement entrepris sera infirmé de ce chef, le transfert de la marque ordonné au profit de Monsieur AGUESSY et la société YOTTA condamnée à verser à celui-ci la somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts, la société appelante n'ayant fait aucun usage de la marque revendiquée postérieurement à son dépôt ; que pour cette même raison, la mesure d'interdiction sollicitée n'apparaît pas justifiée.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
Considérant que l'équité commande d'allouer à chacun des intimés la somme de 1 000 euros au titre de leurs frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté Monsieur AGUESSY de sa demande de dommages-intérêts pour dépôt frauduleux de marque et ordonné, en tant que de besoin, le transfert de la marque semi-figurative n°33 45 832 au profit de Monsieur Kossi AGUESSY,
Statuant à nouveau de ces chefs,
Déclare frauduleux le dépôt de la marque semi-figurative n° 33 45 832 « KOSSI AGUESSY » effectuée le 9 mars 2005 par la société YOTTA,
En ordonne le transfert au nom de Monsieur Kossi AGUESSY.
Condamne la société YOTTA à verser la somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts à Monsieur Kossi AGUESSY.
Rejette le surplus des demandes formées par celui-ci.
Condamne in solidum la société YOTTA et Madame Aurélie MEZIANE à verser à chacun des intimés la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Les condamne sous la même solidarité aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile par la SCP GERIGNY FRENEAUX, avoué.