CA Rennes, 3e ch. com., 14 mai 2019, n° 16/05243
RENNES
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Pyragric Industrie (Sa)
Défendeur :
D. Et Fils (Sas)
ARRÊT :
contradictoire, prononcé publiquement le 14 Mai 2019 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats.
APPELANTE :
SA PYRAGRIC INDUSTRIE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège.
Représentée par Me Jean-Paul R. de la SCP G.-R., postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Valérie O. L. substituant Me Jean-Pierre F. de la Selarl F.L., plaidant, avocats au barreau de LYON
INTIMÉE :
SAS D. ET FILS immatriculée au RCS de NANTES sous le n° 857 801 559, prise en la personne de son représentant légal domicilié au siège.
Représentée par Me Benoît B. de la SELARL C.V.S., postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Elisabeth L., avocat au barreau de NANTES substituant Me François H., de la SELARL CVS, plaidant, avocat au barreau de PARIS
Les sociétés D. ET FILS et PYRAGRIC INDUSTRIES sont spécialisées dans la commercialisation d'articles de fête, et notamment de bougies et articles pyrotechniques.
Dans le cadre de cette activité, la socitété D. ET FILS a déposé auprès de l'Institut National de la Propriété Industrielle, le 16 novembre 2009 et sous le numéro 095571 un modèle de cierge étincelant en forme d'étoile à cinq branches, qui sous la combustion d'un enduit pyrotechnique projette des étincelles lumineuses.
A l'approche des fêtes de fin d'année 2014, la société D. et FILS a constaté que la société PYRAGRIC commercialisait en grandes surfaces et en ligne un produit identique à son modèle déposé, sous les marques PARTY DAY et AMBIANCIA.
Par actes du 23 mars 2015, la société D. et FILS a assigné la société PYRAGRIC :
- devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Rennes aux fins de voir ordonner la cessation d'actes de contrefaçon des droits de propriété intellectuelle qu'elle tient de son modèle déposé,
- devant le tribunal de grande instance aux fins de voir cesser cette contrefaçon et indemniser le préjudice en étant résulté pour elle.
Par ordonnance du 10 septembre 2015, le juge des référés, constatant cette double saisine, s'est déclaré incompétent et a renvoyé le dossier devant le juge du fond, qui a joint les deux instances.
En défense, la société PYRAGRIC, qui ne conteste pas que les articles qu'elle a mis en vente soient visuellement similaires à la bougie dont le dessin a été déposé par la société D. et FILS, a fait valoir que le dépôt du modèle à l'INPI était frauduleux dans la mesure où il s'agissait d'un article extrèmement commun comme le démontreraient les différents catalogues qu'elle versait aux débats.
Par jugement du 27 juin 2016, le tribunal de grande instance de Rennes a :
- débouté la société PYRAGRIC de sa demande tendant à l'annulation du modèle déposé par la société D. et FILS,
- déclaré la société PYRAGRIC responsable de la contrefaçon de ce modèle pour avoir fabriqué ou fait fabriquer et pour avoir commercialisé un cierge étincelant en forme d'étoile tel que celui ayant fait l'objet du procès-verbal de constat de Me S., huissier de justice à Nantes, en date du 24 décembre 2014,
- enjoint en conséquence, sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée, à la société PYRAGRIC de cesser toute commercialisation, promotion et production de l'article contrefaisant, et de s'assurer du retrait de la vente des produits auprès de ses revendeurs et distributeurs,
- condamné la société PYRAGRIC à payer à la société D. et FILS la somme de 30 000 euros de dommages et intérêts,
- déclaré sans objet l'action en contrefaçon de droits d'auteur introduite par la société D. et FILS,
- dit n'y avoir lieu à publication du jugement,
- condamné la société PYRAGRIC au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société PYRAGRIC aux dépens avec droit de recouvrement,
- ordonné l'exécution provisoire.
Appelante de ce jugement, la société PYRAGRIC INDUSTRIES, par conclusions du 15 février 2019, a demandé que la Cour :
- infirme le jugement déféré,
- déboute la société D. et FILS de toutes ses demandes,
- déclare nul le modèle n°09 557 1 déposé à l'INPI le 16 novembre 2009 par la société D. et FILS et portant sur un cierge étincelant en forme d'étoile à cinq branches,
- fasse droit à sa demande reconventionnelle et condamne la société D. et FILS à lui payer :
- la somme de 15 000 euros pour procédure abusive et vexatoire,
- celle de 8 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamne aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement pour ceux dont il a été fait l'avance.
Par conclusions du 19 février 2019, la société D. et FILS a demandé que la Cour :
- confirme le jugement déféré sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts et les mesures réparatoires,
- statuant à nouveau:
- condamne la société PYRAGRIC au paiement de la somme de 100 000 euros de dommages et intérêts,
- ordonne aux frais de la société PYRAGRIC la publication du dispositif du jugement déféré et de l'arrêt à intervenir sur un bandeau en haut de la page d'accueil du site internet: www.pyragric.fr en caractères gras, police 14, pendant une durée d'un mois à compter de la mise en ligne qui devra intervenir dans les huit jours de la signification de l'arrêt et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ensuite,
- ordonne aux frais de la société PYRAGRIC la publication du dispositif du jugement et de l'arrêt à intervenir dans trois journaux nationaux au choix de la société D. et FILS dans la limite de 5 000 euros par insertion,
- condamne la société PYRAGRIC au paiement de la somme de 8 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamne aux dépens comprenant le coût des procès-verbaux de constat des 19 et 24 décembre 2014, avec droit de recouvrement pour ceux dont il a été fait l'avance.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, la Cour renvoie aux conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DECISION :
En vertu des dispositions des articles L. 511-2 et suivants du code de la propriété intellectuelle, seul peut être protégé le dessin ou modèle qui est nouveau et présente un caractère propre. Un dessin ou modèle est regardé comme nouveau si, à la date de dépôt de la demande d'enregistrement ou à la date de la priorité revendiquée, aucun dessin ou modèle identique n'a été divulgué. Des dessins ou modèles sont considérés comme identiques lorsque leurs caractéristiques ne diffèrent que par des détails insignifiants. Un dessin ou modèle a un caractère propre lorsque l'impression visuelle d'ensemble qu'il suscite chez l'observateur averti diffère de celle produite par tout dessin ou modèle divulgué avant la date de dépôt de la demande d'enregistrement ou avant la date de priorité revendiquée. Un dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué s'il a été rendu accessible au public par une publication, un usage ou tout autre moyen. Il n'y a pas divulgation lorsque le dessin ou modèle n'a pu être raisonnablement connu, selon la pratique courante des affaires dans le secteur intéressé, par des professionnels agissant dans la Communauté européenne, avant la date du dépôt de la demande d'enregistrement ou avant la date de priorité revendiquée.
Le 16 novembre 2009, la société D. et FILS a déposé un dessin de «cierge étincelant», c'est-à-dire de bougie constituée d'un manche surmontée d'une étoile à cinq branches produisant des étincelles quand elle est allumée :
Pour sa part, la société PYRAGRIC démontre qu'était commercialisée au sein de la communauté européenne à la date du 08 novembre 2007 une bougie d'une configuration très proche, sous la dénomination «cierge magique» :
En effet, le 08 Novembre 2007, la société WECO, société de droit allemand commercialisant des articles de pyrotechnie a déposé auprès du gouvernement allemand une demande d'homologation du cierge magique dont le dessin est reproduit ci-dessus, fabriqué par la société DRUTEP immatriculée en République Tchèque, qu'elle souhaitait pouvoir importer sur le territoire de la République Fédérale d'Allemagne, homologation qui lui a été accordée le 14 juillet 2008.
La société D. ET FILS conclut que cette pièce ne démontre pas la commercialisation effective du cierge magique par la société WECO à la date du 16 novembre 2008, soit une année avant qu'elle-même ne dépose son dessin.
Toutefois, cette demande démontre la commercialisation effective du cierge à la date du 08 novembre 2007 par la société DRUTEP, puisque la demande d'homologation de la société WECO suppose que le cierge ait été antérieurement proposé à l'exportation par son fabricant.
Or, la société DRUTEP est elle-même située en République Tchèque, ce dont il résulte que la condition prévue par les dispositions de l'article L. 511-6 du code de la propriété intellectuelle, à savoir une divulgation du dessin au sein de la Communauté Economique Européenne est remplie, un article pyrotechnique à destination du grand public proposé à l'exportation par une entreprise située au sein de la CEE pouvant être considéré comme raisonnablement connu selon la pratique courante des affaires par les professionnels de la pyrotechnie agissant dans la Communauté.
La société D. et FILS fait aussi valoir que le dessin du cierge magique importé par la société WECO présenterait des différences notables avec son cierge étincelant, dans la mesure où la branche supérieure de son étoile est arrondie tandis que celle de l'étoile WECO est pointue et où le manche de son cierge présente un renflement à sa base, tandis que celui de la société WECO n'en possède pas.
Un dessin présente un caractère propre lorsque l'impression visuelle d'ensemble qu'il suscite chez l'observateur averti diffère de celle produite par un dessin divulgué avant la date de dépôt de la date d'enregistrement.
En l'espèce, les deux détails mis en exergue par la société D. et FILS sont insuffisants à contredire la similarité des deux visions d'ensemble des produits, s'agissant d'étoiles à cinq branches orientées dans le même sens, dont les manches s'emboitent au même endroit et dont les pointes se caractérisent, pour les deux dessins, par leur caractère peu pointu, donnant pour les deux dessins une impression de compacité des étoiles, par ailleurs destinées toutes deux à s'enflammer. Les différences entre elles sont donc insignifiantes.
Il en résulte la démonstration par la société PYRAGRIC que le dessin litigieux était dépourvu de caractère propre et n'était pas nouveau à la date à laquelle a été déposée sa demande d'enregistrement par la société D. et FILS.
Dès lors, il y a lieu de faire droit à la demande d'annulation totale du modèle déposé par la société D. ET FILS, celui-ci ne présentant pas de caractère nouveau ni propre et d'infirmer dans toutes ses dispositions le jugement déféré.
La société D. et FILS est consécutivement déboutée de l'intégralité de ses demandes.
Le premier juge ayant fait droit aux prétentions de la société D. ET FILS, la procédure introduite par cette dernière ne peut être qualifiée d'abusive et la demande indemnitaire présentée sur ce fondement par la société PYRAGRIC est rejetée.
La société D. et FILS, qui succombe, supportera la charge des dépens de première instance et d'appel et paiera à la société PYRAGRIC la somme de 8 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Infirme le jugement déféré.
Statuant à nouveau :
Déclare nul le dessin enregistré à l'INPI sous le numéro 095571 selon un dépôt du 16 novembre 2009 par la SAS D. et FILS.
Déboute les parties du solde de leurs demandes.
Condamne la SAS D. ET FILS aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement pour ceux dont il a été fait l'avance.
Condamne la SAS D. ET FILS à payer à la SA PYRAGRIC INDUSTRIE la somme de 8 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.