Livv
Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 6 février 2004

PARIS

CA Paris

5 février 2004

La cour est saisie d'appels interjetés par les sociétés DIRAMODE (exerçant sous l'enseigne PIMKIE) et T BIRDY à l'encontre d'un jugement en date du 14 septembre 2001 rendu par le tribunal de commerce de PARIS dans un litige les opposant à la société R.B. FASHION SARL, exerçant sous le nom commercial et l'enseigne TOBACCO. R.B.FASHION, se prévalant de droits d'auteur sur une pantalon "COOL", créé, selon elle, en 1998 et estimant que DIRAMODE commercialisait un pantalon "SYRAH" qui en serait la contrefaçon, a, après avoir fait procéder à une saisie contrefaçon le 10 décembre 1999, assigné devant le tribunal de commerce de PARIS, le 24 décembre 1999, cette société pour obtenir sur le fondement de la contrefaçon et de la concurrence déloyale, outre des mesures d'interdiction, de confiscation et de publication, paiement de dommages et intérêts.

DIRAMODE a, par acte d'huissier du 25 février 2000, assigné son fournisseur, la société TOBOGGAN afin d'être garantie de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre.

Par le jugement déféré, le tribunal a :

- "dit que le modèle de pantalon référencé "COOL" appartenant à la SARL R.B. FASHION est original et nouveau et susceptible de bénéficier de la protection des dispositions des Livres I et III du Code de la propriété intellectuelle,

- dit que la SA DIRAMODE et la SARL TOBOGGAN se sont rendues coupables de contrefaçon du modèle "COOL",

- condamné la SA DIRAMODE au paiement à la SARL R.B. FASHION de la somme de 99 091,86 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon,

- interdit à la SA DIRAMODE ainsi qu'à ses sous-traitants, notamment TOBOGGAN, de faire fabriquer et/ou faire commercialiser des vêtements contrefaisant le modèle "COOL", ce, sous astreinte définitive de 152,45 euros par infraction constatée et par jour à compter de la date de signification du jugement, le tribunal se réservant de liquider l'astreinte,

- ordonné la confiscation et la destruction aux frais de DIRAMODE des pantalons contrefaisant portant la référence "99E143" ou "SYRAH",

- condamné la SARL TOBOGGAN à apporter à la SA DIRAMODE sa garantie solidaire pour les condamnations ci-dessus prononcées,

- dit que DIRAMODE s'est rendue coupable de concurrence déloyale au détriment de la SARL FASHION,

- condamné DIRAMODE à payer à FASHION la somme de 121 959,21 euros, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale,

- ordonné la publication du jugement dans cinq journaux au choix de FASHION, sans que le coût de chaque insertion n'excède la somme de 3 811,22 euros,

- condamné la SA DIRAMODE au paiement de la somme de 7 622,45 euros à FASHION au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- dit mal fondée la demande de la SA DIRAMODE de condamnation de la SARL TOBOGGAN au paiement de dommages et intérêts,

- débouté DIRAMODE de cette demande,

- débouté les parties de leurs demandes autres et en surplus,

- ordonné l'exécution provisoire à charge pour FASHION de fournir une caution bancaire de 228 673,52 euros, sauf pour les mesures de destruction et de publication".

Par ses dernières écritures en date du 4 septembre 2003, DIRAMODE, appelante, demande à la cour de :

"Vu les Livres I, III et V du code de la propriété intellectuelle,

Vu les articles 1382 et suivants du code civil,

- recevoir DIRAMODE dans ses arguments et demandes, constatant que la démonstration de l'absence de caractère probant des pièces de la société RB FASHION relatives à un hypothétique styliste pour le vêtement implique l'absence d'une création personnelle, condition sans laquelle un objet ne peut recevoir la qualification d'oeuvre originale ou de modèle nouveau,

- réformer la décision du tribunal de commerce en ce qu'elle a reconnu une nouveauté à un objet ne se distinguant pas de l'art antérieur et n'ayant pas de caractère propre,

- réformer la décision en ce qu'elle a reconnu un hypothétique acte de concurrence déloyale distinct des hypothétiques actes de contrefaçon alors qu'il n'y a aucune faute imputable à DIRAMODE et que FASHION ne justifie d'aucun préjudice, en tout état de cause,

- dire et juger qu'il n'existe pas en l'espèce d'actes distincts de concurrence déloyale, considérant que la différence flagrante et intrinsèque de clientèle entre DIRAMODE et FASHION, de circuits de distribution et de matériau utilisé faisant qu'il n'a pu y avoir de déplacement objectif de clientèle de FASHION vers DIRAMODE,

- dire et juger que l'indemnisation du titulaire du dessin ou du modèle doit couvrir exactement le préjudice subi et qu'elle ne doit pas constituer pour lui une source de profit,

- constater que FASHION n'apporte aucune preuve d'un préjudice par la fourniture d'une étude qui laisserait apparaître une perte de commande par rapport aux années précédentes et en tout état de cause ne fournit aucun élément susceptible d'apprécier sa marge nette sur les produits vendus,

- dire et juger que la double argumentation retenue par le tribunal au titre d'affaires manquées et de pression sur le prix de vente est en conséquence irrecevable en raison du caractère parfaitement étanche existant d'un côté entre la clientèle de DIRAMODE et son mode de vente par correspondance et de l'autre côté la clientèle de FASHION et son circuit de distribution,

- réformer la décision en ce qu'elle a évalué le préjudice subi par FASHION à 500 000 francs,

- en raison de l'absence d'investissement de la société FASHION pour la promotion de l'article vestimentaire querellé, ce dernier ne pouvant être susceptible d'identifier directement FASHION, dire que l'atteinte à l'image de marque de FASHION n'est pas démontrée et n'est pas pertinente,

- réformer la décision en ce qu'il a alloué 200 000 francs au titre d'un préjudice inexistant,

- réformer la décision en ce qu'elle a ordonné une publication à hauteur de 100 000 francs qui s'analyse en une peine civile prohibée et non en une mesure de réparation en nature".

Par écritures du 1er mars 2002, TOBOGGAN prie la cour de :

"Vu les dispositions de l'article L 511-5 du Code de la propriété intellectuelle,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté DIRAMODE de sa demande de dommages et intérêts contre elle,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté DIRAMODE de sa demande de garantie contre TOBOGGAN au titre d'actes de concurrence déloyale reprochés par FASHION,

- infirmer le jugement en ce qu'il a jugé original et nouveau le modèle de pantalon "COOL" fabriqué par FASHION et donc de nature à bénéficier de la protection des Livres I et III du Code de la propriété intellectuelle,

- infirmer le jugement en ce qu'il a jugé que le pantalon "99E143" fabriqué par TOBOGGAN commercialisé par DIRAMODE sous la référence "SYRAH" est la contrefaçon du pantalon "COOL" fabriqué par FASHION, commercialisé par DIRAMODE sous la référence "SAUTERNES", statuant à nouveau,

- dire et juger que le pantalon "99E143" fabriqué par TOBOGGAN commercialisé par DIRAMODE sous la référence "SYRAH" n'est aucunement la contrefaçon du pantalon "COOL" fabriqué par RB FASHION, commercialisé par DIRAMODE sous la référence "SAUTERNES",

- débouter FASHION de l'ensemble de ses demandes (dommages et intérêts, confiscation et destruction de pantalons litigieux, publication judiciaire, etc...) sur le fondement de prétendus actes de contrefaçon de son modèle de pantalon "COOL" dont se seraient rendues coupables les sociétés DIRAMODE et TOBOGGAN,

- condamner FASHION à payer à TOBOGGAN la somme de 5000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile".

FASHION, par ses dernières écritures du 24 novembre 2003, a conclu à la confirmation du jugement sauf sur le montant des dommages et intérêts alloués et sur l'étendue des mesures de publication. Formant appel incident de ces chefs, elle demande à la cour de :

- infirmer le jugement,

- condamner solidairement DIRAMODE et TOBOGGAN à lui verser :

- la somme de 60 979,61 euros pour l'atteinte portée à son image,

- la somme de 45 734,71 euros,en réparation de l'atteinte portée aux investissements exposés par elle,

- la somme de 196 245,79 euros en réparation du manque à gagner subi par elle,

- condamner DIRAMODE à lui verser la somme de 304 898,03 euros en réparation du préjudice subi du fait de la concurrence déloyale et parasitaire,

- fixer à dix, les journaux ou publications professionnelles au choix de FASHION et aux frais de DIRAMODE dans lesquels FASHION pourra publier l'arrêt à intervenir sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 4 573,47 euros HT soit la somme totale de 45 734,71 euros HT,

- condamner DIRAMODE et TOBOGGAN à verser à FASHION la somme de 22 867,35 euros HT en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Considérant qu'il est soutenu par DIRAMODE, dans l'exposé de ses moyens, que la saisie contrefaçon pratiquée le 19 décembre 1999 par le ministère de la SCP GEESEN serait affectée d'une nullité dans la mesure où ont été saisies des pièces comptables, alors que la saisie contrefaçon doit être limitée à la préhension des exemplaires argués de contrefaçon et non pas à celle de documents qui ne servent pas à établir la matérialité de la contrefaçon mais l'importance du préjudice ;

Mais considérant que d'une part, l'ordonnance sur requête avait autorisé la saisie de documents comptables, d'autre part, les documents en cause étaient relatifs à la vente des pantalons litigieux et non pas à des pièces extérieures au litige ; qu'en outre, la matérialité de la contrefaçon prote nécessairement sur l'étendue de celle-ci ; que cette demande sera en conséquence rejetée ;

Considérant que FASHION agit en contrefaçon en invoquant des droits d'auteur sur un pantalon "COOL"(objet d'un dépôt simplifié à l'INPI le 28 janvier 1999) qu'elle décrit de cette sorte : "pantalon droit en matière artificielle souple, cousu au dessus de la taille un élastique large présentant l'aspect d'un sous-vêtement, l'élastique présentant des inscriptions de large calligraphie et ayant un effet trompe l'oeil" ;

Qu'elle précise qu'elle agit sur le seul fondement du droit d'auteur des Livres I et III du CPI, le dépôt simplifié donnant seulement date certaine à sa création mais ne lui permettant pas d'agir sur le fondement du Livre V du CPI ;

Considérant que la cour ne peut que constater que l'action n'étant pas fondée sur les dispositions du Livre V, la fin de non recevoir des appelantes tirée de l'absence de justification d'un dépôt de modèle à l'INPI est dénuée de toute pertinence ; que c'est en application des Livres I et III du CPI que le bien fondé de l'action en contrefaçon sera examiné, au regard du caractère original de l'oeuvre alléguée (l'examen de la nouveauté relevant du livre V du CPI) ;

Considérant que DIRAMODE conteste les droits de propriété intellectuelle de FASHION, soutenant que cette dernière a versé aux débats une attestation d'une de ses stylistes, Mme R qui dit avoir créé ce pantalon, sans produire l'acte de cession de droits à son profit ;

Mais considérant que, selon les dispositions de l'article L. 113-1 du Code de la propriété intellectuelle, "la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée"; qu'ainsi, en l'absence de toute revendication de la part de la personne physique qui aurait créé l'oeuvre, des actes de possession résultant de la commercialisation sous son nom de créations litigieuses, font présumer à l'égard de sociétés poursuivies pour contrefaçon que la société demanderesse est titulaire sur les oeuvres invoquées, quelle qu'en soit la qualification, des droits de propriété incorporelle de l'auteur ;

Que FASHION qui démontre par les pièces versées aux débats (factures au nom de cette société portant mention du pantalon COOL, dont une en date du 22 décembre 1998 et publication sous son nom de ce vêtement dans le magazine TELE CLUB PLUS de février 1999) avoir commercialisé le pantalon COOL sous son nom, est présumée être titulaire des droits d'auteur sur l'oeuvre alléguée ; que la discussion sur la réalité de la cession de droits entre la styliste salariée de FASHION et cette société est en conséquence dénuée de pertinence ;

Considérant que les appelantes critiquent le jugement en ce qu'il a retenu que le pantalon COOL était original alors que ce pantalon ne fait qu'associer deux éléments du domaine public dans un ensemble d'une grande banalité ;

Considérant que FASHION fait observer exactement que l'originalité d'un modèle peut résulter de l'assemblage d'éléments banals ; qu'il convient, néanmoins, que se révèle dans cette association l'empreinte de la personnalité de l'auteur qui confère à l'ensemble son originalité ;

Considérant que l'appréciation de l'originalité doit, en conséquence, tenir compte de ce qui appartient au domaine public ; que sur ce point, les appelantes font exactement remarquer qu'une des tendances de la mode, dans les années précédant la création invoquée, consistait à faire dépasser d'un pantalon à taille basse, une bande élastique rappelant celle d'un sous-vêtement, sans voir le sous-vêtement lui-même, la bande élastique étant décorée de motifs divers, y compris des calligraphies ;

Considérant que la cour relève au regard des documents mis aux débats que le seul apport de FASHION est technique puisque la bande a été attachée à l'intérieur du pantalon au lieu d'être lié au sous-vêtement ; que néanmoins l'aspect extérieur des vêtements est identique comme le prouve notamment le modèle RALPH LAUREN (reproduit dans la revue 20 ans d'octobre 1995) qui, contrairement à ce qu'ont dit les premiers juges assimilant ce vêtement à un sous-vêtement en le qualifiant de caleçon, appartient au même genre de vêtement, des pantalons étant qualifiés de caleçons en raison de leur ligne moulante ; que le pantalon FASHION ne présente en lui-même aucun caractère spécifique s'agissant d'une ligne classique ; qu'ainsi, l'association d'une bande élastique à un pantalon banal ne révèle pas l'empreinte de la personnalité de l'auteur et est dépourvu d'originalité ; que dans ces conditions, la demande en contrefaçon sera rejetée ainsi que toutes les demandes qui lui sont liées ; que le jugement sera en conséquence réformé ;

Considérant que le jugement sera également réformé en ce qu'il a retenu des actes de concurrence déloyale, étant sur ce point au surplus observé que les pantalons incriminés ne présentent pas une calligraphie identique sur la bande élastique ni la même forme de pantalon l'un se terminant par un rebord en bas des jambes de pantalon et l'autre n'ayant pas de rebord ;

Considérant que l'équité ne commande pas que soit allouée une indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS :

Réforme le jugement en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau ;

Déboute la société RB FASHION de toutes ses demandes ;

Rejette toutes autres demandes ;

Condamne la société RB FASHION aux entiers dépens ;

Autorise les avoués concernés à recouvrer les dépens d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.