CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 15 avril 2022, n° 20/07813
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Made In Design (SAS), K. Ideas For Friends GmbH (Sté)
Défendeur :
Société d'Exploitation T.B. (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Chokron
Conseillers :
Mme Lehmann, Mme Marcade
Par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Mme Brigitte CHOKRON, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
Vu le jugement contradictoire rendu le 6 février 2020 rectifié par jugement du 11 février 2021 par le tribunal judiciaire de Paris.
Vu l'appel interjeté le 27 mai 2020 par la société Made in Design contre le jugement du 6 février 2020.
Vu l'ordonnance sur incident du 7 janvier 2021 rendue par le conseiller de la mise en état de radiation de l'affaire du rôle.
Vu la réinscription de cette affaire au rôle sous le n° RG 21/1481.
Vu l'appel interjeté le 23 juin 2020 par la société K. Ideas for Friends contre le jugement du 6 février 2020.
Vu l'ordonnance de jonction du 9 septembre 2021 sous le n° RG 20/7813 rendue par le conseiller de la mise en état.
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 13 décembre 2021 par la société K. Ideas for Friends (K.), appelante.
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 12 janvier 2022 par la société Made in Design, appelante.
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 11 janvier 2022 par la société d'Exploitation T.B. (T.B.), intimée et appelante incidente.
Vu l'ordonnance de clôture du 13 janvier 2022.
Vu les conclusions d'incident remises au greffe et notifiées par voie électronique le 17 février 2022 par la société K. Ideas for Friends.
Vu les conclusions d'incident remises au greffe et notifiées par voie électronique le 21 février 2022 par la société Made in Design.
SUR CE, LA COUR,
Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.
La société T.B. conçoit, fabrique et commercialise des couverts de table. A ce titre, elle se présente comme l'un des leaders français de la coutellerie « made in France » depuis 1962.
Elle expose avoir créé, entre octobre 2010 et février 2011, une gamme de couteaux commercialisée depuis le mois de janvier 2012 sous la marque « Furtif ».
Cette gamme comprend un couteau à viande, un couteau japonais, un couteau de cuisine, un couteau à poisson, un couteau à steak et un couteau d'office, l'unité de la gamme étant caractérisée par la forme du manche.
La société T.B. revendique la protection du manche de cette gamme de couteaux par le droit d'auteur.
La société de droit allemand K. se présente comme spécialisée dans la création d'objets au design novateur pour la maison, la décoration et la vie quotidienne.
La société Made in Design se présente quant à elle comme l'un des leaders français et européen de la vente en ligne de mobilier design, de luminaires et d'objets de décoration. Elle exploite le site internet de vente en ligne à l'adresse www.madeindesign.com et édite également des sites de commerce électronique sous les marques d'autres fabricants, tels que K., à l'adresse www.k.-shop.fr.
En janvier 2017, la société T.B. expose avoir constaté sur le site internet www.k.-shop.fr la commercialisation d'une gamme dénommée « Pablo », sous la marque K., proposant des couteaux à steak qu'elle considère comme portant atteinte aux droits d'auteur dont elle estime être titulaire sur les manches des couteaux de la gamme « Furtif ».
Un procès-verbal de constat sur internet a été dressé le 12 janvier 2017 et un constat de réception de colis a été établi le 7 février suivant.
Aussi, la société T.B. a, par acte en date du 5 décembre 2017, fait assigner les sociétés K. et Made in Design devant le tribunal de grande instance (devenu tribunal judiciaire) de Paris en contrefaçon de ses droits d'auteur sur les manches de sa gamme de couteaux « Furtif ».
Une action en contrefaçon de modèle de l'Union européenne a été initiée par la société T.B. le 3 mai 2016 devant les juridictions allemandes. Le jugement du tribunal de Francfort qui avait rejeté sa demande a été infirmé en appel, la cour ayant considéré que l'impression générale donnée par chacun de ces couteaux, pour un utilisateur averti, n'était pas différente. La Cour suprême allemande a rejeté le recours de la société K. par décision du 27 juin 2019.
Le jugement dont appel a :
- Rejeté les demandes d'annulation des procès-verbaux de constat ;
- Dit que le modelé de manche des couteaux commercialisés par la société d'exploitation T.B. sous la marque « Furtif » est original et constitue une œuvre de l'esprit protégeable sur le fondement du droit d'auteur ;
- Dit que le manche des couteaux commercialisés en France sous la dénomination « Pablo » par la société K. Ideas for Friends GmbH et par la société Made in Design, notamment sur les sites internet www.k.-shop.fr, www.madeindesign.com et www.absolumentdesign.com, constitue la contrefaçon du modèle de manche de couteaux commercialisés sous la marque « Furtif » sur lequel la société d'exploitation T.B. est titulaire de droits d'auteur ;
- Dit qu'en fabriquant, en offrant en vente en France, en commercialisant et en livrant en France les couteaux à steak « Pablo », notamment sur les sites internet www.k.-shop.fr. www.madeindesign.com et www.absolumentdesign.com, la société K. Ideas for Friends et la société Made in Design ont commis des actes de contrefaçon de droits d'auteur au préjudice de la société d'exploitation T.B. ;
- Fait défense aux sociétés K. Ideas for Friends et par la société Made In Design de fabriquer, d'offrir en vente en France, de commercialiser et de livrer en France, notamment sur les sites internet www.k.-shop.fr, www.madeindesign.com et www.absolumentdesign.com, les couteaux à steak « Pablo », ainsi que plus généralement tout autre modèle de couteau dont le manche reproduit les caractéristiques du modèle de manche des couteaux commercialisés par la société d'exploitation T.B. sous la marque « Furtif », et ce sous astreinte provisoire de 500 euros par infraction constatée (par couteau contrefaisant) courant à l'expiration d'un délai de 30 jours suivant la signification de la présente décision et pendant six mois (à compter de la signification) ;
- Enjoint à la société K. Ideas for Friends de produire et communiquer à la société d'exploitation T.B. un document certifié par son commissaire aux comptes faisant apparaître la totalité des ventes et des livraisons en France des modèles de couteaux à steak « Pablo », en quantité et en chiffre d'affaires, ainsi que les bénéfices retirés de ces ventes, réalisées année par année depuis le 8 décembre 2012 jusqu'à la date du jugement à intervenir, et ce sous astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard à exécuter la présente décision, courant à l'expiration d'un délai de 30 jours suivant sa signification ;
- S'est réservé la liquidation des astreintes prononcées ;
- Renvoyé les parties à la détermination amiable du préjudice résultant du manque à gagner subi et à défaut par le tribunal après une nouvelle saisine par assignation ;
- Condamné in solidum les sociétés K. Ideas for Friends et Made in Design à payer à la société d'exploitation T.B. la somme de 5.000 euros à titre de provision sur les dommages et intérêts dus en réparation du manque à gagner subi du fait des actes de contrefaçon de droits d'auteur ;
- Condamné in solidum les sociétés K. Ideas for Friends et Made in Design à payer à la société d'exploitation T.B. la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait des actes de contrefaçon de droits d'auteur ;
- Condamné in solidum les sociétés K. Ideas for Friends et Made in Design à payer à la société d'exploitation T.B. la somme 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels réalisées par les sociétés K. Ideas for Friends et Made in Design ;
- Débouté la société K. Ideas for Friends de ses demandes reconventionnelles fondées sur les pratiques commerciales trompeuses et déloyales ;
- Rejeté les demandes de publication du jugement ;
- Condamné in solidum les sociétés K. Ideas for Friends et Made in Design à payer à la société d'exploitation T.B. la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, cette somme incluant les frais de constats ;
- Condamné in solidum les sociétés K. Ideas for Friends et Made in Design aux dépens, et autorisé la SELARL A. G. S. à recouvrer directement ceux dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision ;
- Ordonné l'exécution provisoire.
Les sociétés K. et Made in Design on interjeté appel de ce jugement.
Par jugement rectificatif en date du 11 février 2021, le tribunal a :
- Complété le dispositif du jugement du 6 février 2020 en ce sens qu'il conviendra d'y lire dans une dernière ligne :
- Dit que dans leurs rapports entre elles, l'ensemble des sommes mises à leur charge in solidum seront réparties entre elles à concurrence de 1/3 à la charge de la société Made In design et 2/3 à la charge de la société K. ;
- Dit que la présente décision rectificative sera mentionnée sur la minute et sur les expéditions du jugement ;
- Laissé les dépens de l'instance rectificative à la charge du Trésor public.
Par ses dernières conclusions, la société K. demande à la cour de :
- Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il a déclaré le procès-verbal du 7 février 2017 dénué de toute force probante en ce qui concerne la commercialisation des couteaux litigieux ;
- Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il a rejeté les demandes de publication judiciaire formulées par la société T.B. ;
- Infirmer en toutes ses autres dispositions le jugement prononcé par le tribunal judiciaire de Paris ;
Et statuant à nouveau,
A Sur les actes de contrefaçon qui lui sont reprochés :
A titre principal et avant tout débat au fond, déclarer irrecevable la société T.B. en ses demandes, fins et prétentions sur le fondement de la contrefaçon, à raison de l'absence de démonstration d'une démarche créative dans la création des couteaux Furtif ;
A titre subsidiaire,
- Débouter la société T.B. de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions sur le fondement de la contrefaçon, à raison :
- De l'absence d'originalité des manches de couteaux commercialisés sous la marque Furtif, compte tenu de l'absence d'effort créatif dans leur conception, de leur design dicté par des considérations techniques, et qui s'inscrit dans un courant artistique à la mode ;
- De la volonté de la société T.B. de s'approprier un genre, un concept ou une idée ;
- De l'absence de caractère contrefaisant des couteaux de la gamme Pablo, à défaut de reprise des caractéristiques du couteau Furtif ;
- De l'absence de caractérisation d'un préjudice par la société T.B. ;
- Débouter la société T.B. de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions au titre du droit à l'information.
Sur les actes de concurrence déloyale qui lui sont reprochés :
- Débouter la société T.B. de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions sur le fondement d'actes de concurrence déloyale, à raison :
- Du caractère insusceptible de sanction de la reprise d'une idée, sur le fondement de la concurrence déloyale.
- De l'absence de démonstration de l'existence d'un risque de confusion.
- De l'absence de démonstration de la captation indue d'une valeur économique.
- Débouter la société T.B. de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions au titre du droit a l'information.
Reconventionnellement, sur les pratiques commerciales déloyales commises par la société T.B. :
- Dire que la commercialisation par la société T.B. de sets de « 6 couteaux à steak Furtif 11 cm et bloc de rangement », désignés par la marque Furtif et présentés comme « Made in France », constitue une pratique commerciale déloyale, les produits livrés au client étant en réalité des couteaux importés depuis l'étranger, revêtus de la marque Lisadalban ;
Par conséquent :
- Condamner la société T.B. à lui verser la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts, sauf à parfaire, afin de l'indemniser du préjudice subi par la commission d'actes de concurrence déloyale, caractérisée par la commercialisation par la société T.B. de sets de « 6 couteaux a steak Furtif 11 cm et bloc de rangement », désignés par la marque Furtif et présentés comme « Made in France », alors que les produits livrés au client sont des couteaux importés depuis l'étranger, revêtus de la marque Lisadalban ;
- Condamner la société T.B., sous une astreinte définitive de 5.000 euros par jour de retard, à publier sur les sites Internet http://www.tb- groupe.fr/ et http://couteaux-Furtif.fr/, en page d'accueil pendant 120 jours consécutifs le communiqué suivant :
« Par une décision de la Cour d'appel de Paris, la société T.B. a été condamnée pour concurrence déloyale a' raison de pratiques commerciales déloyales caractérisée par l'emploi de la marque Furtif et de la mention « made in France » pour désigner des couteaux fabriqués dans un pays étranger et de marque LISADALBAN ».
- Ordonner la publication de ce communiqué dans 3 périodiques de son choix aux frais de la société T.B. dans la limite de 30.000 euros HT pour les trois insertions, la société K. Ideas For Friends étant autorisée à faire l'avance du coût des insertions, qui lui sera remboursé par la société T.B. ;
En tout état de cause :
- Débouter la société T.B. de l'ensemble de ses demandes formulées dans son appel incident ;
- Débouter la société Made in Design de son appel en garantie à son égard ainsi que de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société T.B. à lui verser la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction.
Par ses dernières conclusions, la société Made in Design demande à la cour de :
- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement prononcé par le tribunal judiciaire de Paris le 6 février 2020 et le jugement rectificatif du 11 février 2021 dans le dossier enrôlé sous le numéro 18/02342, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de publication judiciaire formulée par la société T.B..
Et statuant à nouveau,
A titre principal,
Sur la demande de nullité des procès-verbaux d'huissier et de la saisie :
- Juger qu'aucune commande n'a été effectuée par Me A., ni même par un tiers en sa présence, ni sur le site internet http://www.k.-shop.fr/ ni sur le site www.madeindesign.com/ lors du constat en date du 12 janvier 2017 ;
- Juger que le constat de réception et d'ouverture de colis du 7 février 2017 ne peut concerner un colis acheté le 12 janvier 2017 lors du constat effectué à cette date ;
- Juger qu'à défaut d'autorisation judiciaire préalable permettant à la société T.B. de procéder à une saisie-contrefaçon, les procès-verbaux dressés par Me A. le 12 janvier 2017 et le 7 février 2017 sont assimilés à une saisie-contrefaçon déguisée, nul d'effet ;
- Prononcer la nullité des procès-verbaux des 12 janvier et 7 février 2017 et des opérations subséquentes, et en conséquence :
- Ordonner la main levée de la saisie ;
Sur l'absence d'originalité du manche des couteaux de la gamme Furtif :
- Juger que la société T.B. ne démontre pas l'originalité du manche des couteaux commercialisés sous la marque « Furtif » ;
- Juger que la forme du manche des couteaux de la gamme Furtif résulte exclusivement de sa fonction, et en conséquence, que le manche des couteaux de la gamme Furtif n'est pas éligible à la protection par le droit d'auteur ;
Sur l'absence de matérialité de la contrefaçon :
- Juger que le manche des couteaux « Pablo » ne présente pas de ressemblance de nature à contrefaire le manche des couteaux de la gamme Furtif ;
- Juger qu'en commercialisant les produits « Pablo », elle n'a commis aucun acte de contrefaçon ;
Sur l'absence de concurrence déloyale et de parasitisme :
- Juger qu'elle n'est pas en situation de concurrence avec la société T.B. ;
- Juger qu'aucun acte de concurrence déloyale ni acte de parasitisme n'ont été commis par elle ;
Sur l'absence de préjudice :
- Juger que la société T.B. ne justifie pas du quantum du préjudice prétendument subi ;
- Juger que n'étant pas le fabricant du produit Pablo, elle ne peut être condamné à indemniser un préjudice résulté par les économies d'investissement réalisées ;
- Juger que sa marge brute sur la vente des 8 produits Pablo s'élève à 127,52 euros ;
Par conséquent :
- Débouter la société T.B. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ; - condamner la société T.B. à lui payer la somme de 15.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société T.B. aux entiers dépens.
A titre subsidiaire,
- Juger sa demande dirigée contre la société K. bien fondée, et en conséquence :
- Condamner la société K. à la garantir de toutes condamnations qui pourraient, le cas échéant, être prononcées à son encontre, en principal, intérêts et frais ;
- Condamner la société K. à lui payer la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société K., au paiement de tous les dépens.
Par ses dernières conclusions la société T.B. demande à la cour de :
- La dire et juger recevable et bien fondée en ses demandes ;
- Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris en date du 6 février 2020 en ce qu'il a :
- Rejeté les demandes d'annulation des procès-verbaux de constat ;
- Dit que le modèle de manche des couteaux commercialisés par elle sous la marque « Furtif » est original et constitue une œuvre de l'esprit protégeable sur le fondement du droit d'auteur ;
- Dit que le manche des couteaux commercialisés en France sous la dénomination « Pablo » par la société K. et par la société Made in Design, notamment sur les sites internet www.k.-shop.fr, www.madeindesign.com et www.absolumentdesign.com, constitue la contrefaçon du modèle de manche des couteaux commercialisés sous la marque « Furtif » sur lequel elle est titulaire de droits d'auteur ;
- Dit qu'en fabriquant, en offrant en vente en France, en commercialisant et en livrant en France les couteaux à steak « Pablo », notamment sur les sites internet www.k.-shop.fr. www.madeindesign.com et www.absolumentdesign.com, la société K. et la société Made in Design ont commis des actes de contrefaçon de droits d'auteur à son préjudice ;
- Fait défense aux sociétés K. et Made in Design de fabriquer, d'offrir en vente en France, de commercialiser et de livrer en France, notamment sur les sites internet www.k.-shop.fr, www.madeindesign.com et www.absolumentdesign.com, les couteaux à steak « Pablo », ainsi que plus généralement tout autre modèle de couteau dont le manche reproduit les caractéristiques du modèle de manche des couteaux commercialisés par elle sous la marque « Furtif », et ce sous astreinte provisoire de 500 euros par infraction constatée (par couteau contrefaisant) courant à l'expiration d'un délai de 30 jours suivant la signification de la présente décision et pendant six mois (à compter de la signification) ;
- Enjoint à la société K. de produire et lui communiquer un document certifié par son commissaire aux comptes faisant apparaître la totalité des ventes et des livraisons en France des modèles de couteaux à steak « Pablo », en quantité et en chiffre d'affaires, ainsi que les bénéfices retirés de ces ventes, réalisées année par année depuis le 8 décembre 2012 jusqu'à la date du jugement à intervenir, et ce sous astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard à exécuter la présente décision, courant à l'expiration d'un délai de 30 jours suivant sa signification ;
- S'est réservé la liquidation des astreintes prononcées ;
- Renvoyé les parties à la détermination amiable du préjudice résultant du manque à gagner subi et à défaut par le tribunal après une nouvelle saisine par assignation ;
- Condamné in solidum les sociétés K. et Made in Design à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de provision sur les dommages et intérêts dus en réparation du manque à gagner subi du fait des actes de contrefaçon de droits d'auteur ;
- Condamné in solidum les sociétés K. et Made in Design à lui payer la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait des actes de contrefaçon de droits d'auteur ;
- Condamné in solidum les sociétés K. et Made in Design à lui payer la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels réalisées par les sociétés K. et Made in Design ;
- Débouté la société K. de ses demandes reconventionnelles fondées sur les pratiques commerciales trompeuses et déloyales ;
- Condamné in solidum les sociétés K. et Made in Design à lui paver la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, cette somme incluant les frais de constats ;
- Condamné in solidum les société s K. et Made in Design aux dépens, et autorisé la Selarl A. G. S. à recouvrer directement ceux dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision ;
- Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement ;
Infirmer le jugement pour le surplus ;
Et statuant à nouveau :
A titre principal :
- Réformer le jugement quant au quantum de certaines condamnations prononcées par le jugement du tribunal judiciaire de Paris ;
- Réformer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de publication judiciaire ;
En conséquence :
- Condamner in solidum la société K. et la société Made in Design à lui verser la somme de 100.000 euros à titre de provision sur dommages et intérêts en réparation du préjudice commercial consistant en son manque à gagner subi du fait des actes de contrefaçon de droits d'auteur, sauf à parfaire en fonction des chiffres communiqués par la société K. et par la société Made in Design ;
- Condamner in solidum la société K. et la société Made in Design à lui verser la somme de 60.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels réalisées par la société K. et par la société Made in Design ;
- Ordonner la publication du jugement à intervenir dans 3 journaux ou périodiques de son choix et aux frais de la société K. et de la société Made in Design, sans que le coût global des insertions ne puisse excéder la somme de 30.000 euros H.T., ainsi que sur la page d'accueil des sites internet www.k.-shop.fr et www.madeindesign.com et de tout autre site internet exploité par la société K. et par la société Made in Design, dans un encart qui ne saurait être inférieur à 20 cm2 et dans une police de taille 12, pendant une durée d'un mois, dans un délai de 8 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, et ce sous astreinte provisoire de 500 euros par jour de retard ;
- Se réserver le pouvoir de liquider les astreintes à titre provisoire ;
- Condamner in solidum la société K. et la société Made in Design à lui verser la somme de 30.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, conformément aux justificatifs qu'elle a versés aux débats, et à rembourser les frais d'huissier des procès-verbaux de constat internet et de réception et d'ouverture de colis en date des 12 janvier et 7 février 2017, et les frais d'huissier des procès- verbaux de constat internet et d'ouverture de colis en date des 21 décembre 2018 et 3 janvier 2019 ;
A titre subsidiaire :
- Dire et juger qu'en fabriquant, en offrant en vente en France, en commercialisant et en livrant en France les couteaux a steak « Pablo », notamment sur les sites internet www.k.- shop.fr, www.madeindesign.com et www.absolumentdesign.com, la société K. et la société Made in Design ont commis des actes de concurrence déloyale à son préjudice ;
- Dire et juger qu'en fabriquant, en offrant en vente en France, en commercialisant et en livrant en France les couteaux à steak « Pablo », notamment sur les sites internet www.k.- shop.fr, www.madeindesign.com et www.absolumentdesign.com, la société K. et la Made in Design ont commis des actes de parasitisme à son préjudice ;
En conséquence :
- Condamner in solidum la société K. et la société Made in Design à lui verser la somme de 100.000 euros à titre de provision sur dommages et intérêts en réparation du préjudice commercial consistant en son manque à gagner subi du fait des actes de concurrence déloyale, sauf à parfaire en fonction des chiffres communiqués par la société K. et par la société Made in Design ;
- Condamner in solidum la société K. et la société Made in Design à lui verser la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait des actes de concurrence déloyale ;
- Condamner in solidum la société K. et la société Made in Design à lui verser la somme de 60.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de parasitisme ;
En tout état de cause :
- Débouter la société Made in Design de ses demandes, en toutes fins qu'elles comportent ;
- Ordonner le rappel des circuits commerciaux et la destruction, aux frais in solidum des sociétés K. et Made in Design, de tous les couteaux à steak « Pablo » ainsi que plus généralement tout autre modèle de couteau dont le manche reproduit les caractéristiques du modèle de manche des couteaux commercialisés par elle sous le signe « Furtif », dans un délai de 8 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte provisoire de 500 euros par infraction constatée ;
- Se réserver le pouvoir de liquider les astreintes ;
- Condamner in solidum la société K. et la société Made in Design à lui verser la somme de 20.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;
- Condamner in solidum la société K. et la société Made in Design aux entiers dépens d'appel, et dire qu'ils pourront être recouvrés directement.
En suite de l'ordonnance de clôture en date du 13 janvier 2022, les sociétés K. et Made in Design ont fait signifier des conclusions d'incident aux fins de révocation de l'ordonnance de clôture et de mesures d'instruction permettant à la cour de prendre une connaissance personnelle des pièces n° 2 et 9-2 de la société T.B. et 6 de la société K. constituées des couteaux objets du présent litige qui ne peuvent être apportées à la cour en raison des mesures de sécurité mises en œuvres rendant impossible l'introduction de couteaux dans l'enceinte de la cour d'appel.
A l'audience de plaidoiries du 23 février 2022, la cour a rejeté les conclusions de procédure aux fins de révocation de l'ordonnance de clôture et dit que la mesure d'instruction sollicitée sera organisée dans le cadre d'un transport sur les lieux à l'occasion duquel la cour ou l'un de ses membres pourra procéder à la vérification de l'ensemble des couteaux qui constituent les pièces du dossier.
Ce transport sur les lieux a été organisé le 21 mars 2022 dans les locaux du cabinet de Me D., conseil de la société K., où le conseiller rapporteur s'est rendu avec Mme le greffier, et a procédé à l'examen contradictoire des pièces susvisées en présence des conseils des parties, ce dont il a été dressé procès-verbal.
- Sur la valeur probante des procès-verbaux de constat du 12 janvier 2017 et du 7 février 2017.
Les sociétés K. et Made In Design critiquent le procès-verbal de constat dressé par huissier de justice le 12 janvier 2017 par lequel l'huissier instrumentaire, à la demande de la société T.B., constate la commercialisation du produit « Pablo » constitué de 4 couteaux à steak et d'un support au prix de 39,95 euros sur le site k.-shop.fr et le procès-verbal de constat dressé le 7 février 2017 par lequel l'huissier de justice constate l'ouverture d'un colis portant le nom de 'Made in design', expédié par la société du même nom et réceptionné par M. Jean-Christophe L.-X., conseil en propriété industrielle, dans lequel se trouve une boîte en carton contenant quatre couteaux et leur support portant la mention K..
Ainsi que le relèvent les sociétés K. et Made in Design, le premier procès-verbal de constat dressé le 12 janvier 2017 ne fait état d'aucun achat par l'huissier de justice ou par un tiers du produit « Pablo » sur le site internet k.-shop.fr et se contente de constater la commercialisation de cet article sur le site en cause, ce qui n'est d'ailleurs pas discuté par la société K. et la société Made in Design. Ce procès-verbal n'est donc pas critiquable, l'huissier instrumentaire, en se bornant à des constatations purement matérielles, n'a pas outrepassé ses pouvoirs qu'il tient de l'ordonnance du 2 novembre 1945.
Le procès-verbal de constat du 7 février 2017 qui reprend les déclarations du conseil en propriété industrielle de la société T.B. selon lesquelles « elle avait intérêt à faire constater la réception du colis contenant les couteaux commandés sur le site intemet http://www.k.-shop.fr commande objet de mon constat de mon étude en date du 12 janvier 2017, ainsi que le contenu de ce colis », ne revient pas remettre en cause la validité du premier constat, l'huissier instrumentaire n'ayant pas procédé à un achat sur ce site.
Ce second procès-verbal de constat du 7 février 2017 qui comporte la mention susmentionnée ne fait toutefois que reprendre les déclarations du conseil en propriété industrielle de la société requérante qui sont certes inexactes mais n'entachent pas de nullité ledit procès-verbal en ce que l'huissier de justice n'a pas outrepassé sa mission et s'est borné à constater l'ouverture du colis apporté par la conseil en propriété industrielle, son contenu sans description détaillée de celui-ci et à noter ses déclarations préalables. Toutefois, il ne peut être considéré comme ayant force probante en ce qu'il porte une mention inexacte qui n'est pas corroborée par les constatations auxquelles il a procédé par l'ouverture du colis.
Il résulte de ce qui précède que les procès-verbaux critiqués ne peuvent être considérés comme des procès-verbaux de constat d'achat voire de saisie-contrefaçon, le premier se bornant à constater la présence d'un produit commercialisé sur un site internet, le second l'ouverture d'un colis réceptionné par le conseil en propriété industrielle de la société T.B., ce quand bien même l'huissier de justice a scellé la boîte contenant les couteaux ainsi que les couteaux pris séparément, étant rappelé que, contrairement à ce qu'apparaît soutenir la société Made in Design, la contrefaçon de droit d'auteur, fait juridique, peut être rapportée par tous moyens et qu'il n'est pas nécessaire de faire procéder à des opérations de saisie-contrefaçon.
De même, la société Made in Design ne peut soutenir la nullité du procès-verbal de constat du 7 février 2017 aux motifs qu'il ne comporterait pas les éléments d'identification de la personne morale à défaut d'indication du RCS et de l'adresse du siège du requérant. En effet, l'absence de ces mentions est une nullité de forme supposant la démonstration d'un grief que la société Made in Design n'offre pas de rapporter.
Le jugement déféré doit en conséquence être confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de nullité des procès-verbaux de constat du 12 janvier 2017 et du 7 février 2017.
- Sur la contrefaçon de droit d'auteur.
Sur l'originalité du manche de couteau « Furtif ».
Il résulte des dispositions des articles L. 111-1, L. 112-1 et L. 112-2 10° du code de la propriété intellectuelle que l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, que ce droit est conféré à l'auteur de toute œuvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination et que sont considérées comme des œuvres de l'esprit, les œuvres d'arts appliqués.
Les sociétés K. et Made in Design ne discutent pas la titularité des droits de la société T.B. et contestent uniquement l'originalité du modèle de couteau « Furtif » qui lui est opposé, sauf à relever que la société T.B. après avoir exposé que ce modèle de couteau avait été créé entre octobre 2010 et février 2011, indique désormais que celui-ci a été créé entre le début de l'année 2010 et l'année 2011 sur une durée d'environ un an, sans étayer ces nouvelles affirmations par des éléments concrets.
Elles font valoir que la société T.B. échoue à démontrer le caractère original du manche du couteau allégué et critiquent le jugement entrepris en ce qu'il a retenu cette originalité sans que soit établi un effort créatif, un parti pris esthétique mettant en évidence l'empreinte de la personnalité de l'auteur.
Il appartient à la société T.B. qui revendique une protection au titre du droit d'auteur sur un modèle de couteau dont l'originalité est contestée de préciser en quoi l'œuvre revendiquée porte l'empreinte de la personnalité de son auteur.
Le manche de couteau « Furtif » se présente sous la forme suivante :
Loin de se contenter de procéder à une simple description objective du modèle de manche de couteau en cause, la société T.B. énumère les caractéristiques du manche de couteau sur laquelle des droits d'auteur sont revendiqués : extrémité biseautée, aspect polyédrique sous forme de deux pyramides de quatre faces chacune dont l'un des sommets se trouve au niveau de la mitre et l'autre sommet proche de l'extrémité, les deux pyramides partageant des faces communes, et les choix créatifs qui ont été retenus, la combinaison de ses caractéristiques ayant pour objet de conférer au manche l'apparence épurée d'un diamant taillé ou inspiré de la forme des avions dits « furtifs F 117 ».
Ces choix arbitraires et esthétiques même s'ils empruntent au style polyédrique et adamantin, font que l'aspect global de l'œuvre prise dans la combinaison de chacun de ses éléments, fussent-ils connus, en font un modèle de couteau au style contemporain et épuré qui porte l'empreinte de la personnalité de son auteur.
A cet égard, la circonstance que la société T.B. ne montre pas l'ensemble du processus créatif ayant abouti au manche de couteau sur lequel la protection est revendiquée, seuls les travaux en fin de processus du bureau de design de cette dernière étant fournis (pièces 4-1 à 4-5 T.B.) est indifférent et ne conduit pas à considérer que ce manche de couteau est dépourvu d'originalité.
De même, cette forme de manche n'est nullement imposée par des considérations techniques ainsi que l'affirment à tort les sociétés K. et Made in Design sans le démontrer, le fait qu'une partie du manche, au niveau de la mitre, présente des facettes dont l'orientation permet une meilleure prise en main s'agissant du couteau de cuisine (pièce 9 K.), que l'ergonomie soit pensée pour une meilleure prise en main ou encore que cette forme ait été créée à l'aide d'un logiciel qui n'exclut pas les choix arbitraires opérés par l'auteur, n'ôtent pas au manche de couteau en cause, pris dans son ensemble, l'originalité ci-avant relevée.
La société K. invoque également que l'aspect polyédrique et adamantin revendiqué s'inscrit dans un courant de la mode consistant à donner aux objets décoratifs un aspect anguleux aux bords marqués et invoque particulièrement un article de presse paru en 2008 intitulé « Tendance polygone/diamant : l'explosion » (pièce 23 K.), le modèle de cutter « Maketicus » de la société de design russe Art L. (pièces 27 à 32 K.) et la gamme de couverts anguleux commercialisée en 1958 par la société Gio Ponti sous l'appellation « Diamond Sterling Silver Flatware ».
Néanmoins, il convient de rappeler que la notion d'antériorité est indifférente en droit d'auteur, « celui qui se prévaut de cette protection devant justifier de ce que l'œuvre revendiquée présente une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et reflétant l'empreinte de la personnalité de son auteur.
Si l'originalité peut toutefois être appréciée au regard d'œuvres déjà connues afin de déterminer si la création revendiquée s'en dégage d'une manière suffisamment nette et significative et si ces différences résultent d'un effort de création, marquant l'œuvre revendiquée de l'empreinte de la personnalité de son auteur, le seul fait que le manche de couteau s'inspire des tendances du moment consistant à donner aux objets de décoration un aspect anguleux aux bords marqués, l'article de 2008 précité produit au débat par la société K. ne concernant pas les arts de la table, n'est pas suffisant à caractériser l'absence d'effort de création ci-avant relevé. De même, les projets de manche de cutter publiés sur le site de la société Art L., à supposer qu'ils aient été diffusés en 2010 ce qui n'est pas discuté par la société T.B., apparaissent concomitants à la création du manche de couteau en cause et ne remet pas plus en question l'originalité du modèle de manche de couteau « Furtif » dont la forme apparaît beaucoup plus épurée que celle du cutter opposé par la société K. constitué de multiples facettes. De même, le couteau « Keramikus » de la société Art L. divulgué le 21 octobre 2013 postérieurement au couteau « Furtif » n'a pas à être pris en considération et ne remet pas en cause l'originalité de modèle de la société T.B.. Enfin, à supposer établi que la société T.B. s'est contentée de moderniser la gamme antérieure Gio Ponti ainsi que l'affirme la société K., cette 'modernisation' n'est pas exclusive d'effort créateur étant relevé avec la société T.B. que la forme de ces couverts mélangeant les lignes arrondies et anguleuses est très éloignée de celle du manche de couteau « Furtif ».
L'originalité de l'œuvre dont la protection est revendiquée est caractérisée par l'appelante et le couteau en cause est bien éligible à la protection par le droit d'auteur.
Le jugement entrepris mérite confirmation de ce chef.
- Sur les actes de contrefaçon.
Selon les dispositions de l'article L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droits ou ayant cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.
Les couteaux à steak sont commercialisés sous la dénomination « Pablo » au prix de 39,95 euros pour un set de 4 couteaux accompagné de leur support en forme de taureau par la société K. et la société Made in Design sur le site internet k.-shop.fr, ainsi qu'il ressort du procès-verbal de constat du 12 janvier 2017, et sur le site madeindesign.com ce qui n'est pas discuté par les appelantes.
Le modèle de couteau « Pablo » critiqué est représenté comme suit :
S'il reprend au modèle de couteau « Furtif » sur lequel la société T.B. est titulaire de droits d'auteur l'extrémité biseautée du manche et un aspect polyédrique de chaque face latérale du manche, il convient de relever avec les appelantes que ces seules ressemblances ne sont pas suffisantes à caractériser la contrefaçon, le modèle de couteau Pablo qu'elles commercialisent ne présentant pas les autres caractéristiques revendiquées par l'intimée que sont les deux pyramides de quatre faces chacune dont l'un des sommets se trouve au niveau de la mitre et l'autre sommet proche de l'extrémité, les deux pyramides partageant des faces communes. En effet, les huit facettes composant chaque côté du manche du couteau « Pablo » étant de formes différentes formant des quadrilatères et des triangles, et l'extrémité biseautée comportant deux côtés et non un seul conférant à l'aspect global du manche un caractère plus complexe et non une apparence épurée d'un diamant taillé ou inspiré de la forme des avions dits « furtifs F 117 ».
Aussi la combinaison des caractéristiques siège de l'originalité du couteau argué de contrefaçon n'étant pas reprise dans le modèle de couteau « Pablo », la contrefaçon de droit d'auteur n'est pas caractérisée et l'ensemble des demandes à ce titre de la société T.B. doivent être rejetées.
Le jugement entrepris qui a retenu la contrefaçon de droit d'auteur doit en conséquence être infirmé.
Sur la concurrence déloyale et parasitaire.
La société T.B. forme à titre subsidiaire des demandes au fondement de la concurrence déloyale et parasitaire qui doit être examinée dès lors que la demande principale formée au fondement de contrefaçon a été rejetée par la cour.
Le principe de la liberté du commerce implique qu'un produit qui n'est pas l'objet de droits privatifs peut être librement reproduit et commercialisé à moins que la reproduction ou l'imitation du produit ait pour objet ou pour effet de créer un risque de confusion entre les produits dans l'esprit du public, comportement déloyal constitutif d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil.
Le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.
La demande en concurrence déloyale et parasitaire présente un fondement délictuel et il incombe en conséquence à la société T.B. de rapporter la preuve d'un agissement fautif des sociétés K. et Made in Design commis à son préjudice par la création d'un risque de confusion et / ou la captation des investissements consentis pour développer un produit phare.
Il découle des motifs qui précèdent que le couteau « Pablo » en cause est différent et exclusif d'un risque de confusion avec le modèle de couteau « Furtif » et n'en constitue nullement la copie « quasi-servile » ainsi que le soutient la société T.B.. En effet, si l'imitation devient fautive lorsqu'elle révèle une volonté de créer une confusion dans l'esprit du consommateur entre deux produits, il ressort de ce qui précède que les principales ressemblances entre les deux couteaux sont insuffisantes à caractériser un tel comportement ce quand bien même les produits sont destinés à la même clientèle, celles-ci s'inscrivant dans une tendance de la mode « polygone/diamant » ayant cours dans le domaine des objets de décoration à l'époque des faits reprochés ainsi qu'il a été montré par les appelantes. La concurrence déloyale qui pour être établie suppose la démonstration d'une faute par la création d'un risque de confusion doit être, en conséquence, écartée.
La société T.B. justifie (pièce 14) que la gamme de couteaux « Furtif » a fait l'objet en 2013 d'articles ou encarts parus dans la presse spécialisée ou, plus rarement générale. Certains d'entre eux lui sont spécialement consacrés, mais la plupart de ces articles font toutefois état de nombreux produits destinés à la cuisine. Ces quelques articles ne montrent pas que ce modèle de couteau Furtif constitue pour la société T.B. une valeur économique individualisée.
En outre, les factures qu'elle produit pour justifier des investissements publicitaires consacrés à la gamme de couteaux « Furtif » (pièce 15) ne peuvent être prises en considération. En effet, si ces factures démontrent que la société T.B. investit dans la publicité et participe à des salons professionnels, elles ne font référence, pour la majorité d'entre elles, qu'à des prestations générales sans qu'il soit possible de les relier à la gamme de couteaux en cause.
La société T.B. fournit également une attestation de son expert-comptable faisant état d'un chiffre d'affaires réalisé avec les couteaux de la gamme Furtif de 1.448.957 euros entre le 17 octobre 2013 et le 17 novembre 2017, soit 4 ans, et d'une marge brute retirée sur cette période de 551.283 euros. Néanmoins, ces chiffres qui ne permettent pas à la cour d'apprécier s'ils constituent une partie importante du chiffre d'affaires global de la société T.B. ne montrent pas à eux seuls que le couteau Furtif rencontre un grand succès commercial.
Aussi, la société T.B. échoue à démontrer l'importance des investissements qu'elle aurait consacrés pour la réalisation et la promotion du couteau « Furtif », que ce produit constitue l'un de ses produits phares bénéficiant d'une notoriété, dont les sociétés K. et Made in Design auraient cherché à bénéficier sans bourse délier, la seule antériorité de commercialisation ne suffisant pas à caractériser la captation de la valeur économique d'autrui, ce quand bien même la société T.B. se présente comme un des leaders du marché.
Les agissements contraires à la loyauté du commerce ne sont pas caractérisés et l'ensemble des demandes de la société T.B. au titre de la concurrence déloyale et parasitaire doivent être rejetées.
L'ensemble des demandes de la société T.B. ayant été rejeté, il convient de dire que la demande en garantie formée par la société Made in Design à l'égard de la société K. est sans objet, comme le jugement rectificatif du 11 février 2021, dont la cour constate que ni la société K., ni la société Made in Design, n'a relevé appel.
Sur les demandes de la société K. au titre des pratiques déloyales et trompeuses de la société T.B.
La société K. se basant sur un procès-verbal de constat d'achat et d'ouverture de colis dressé les 5 et 18 juillet 2018 par huissier de justice sur le site tb-groupe.fr (pièce 16 K.), reproche à la société T.B. de commercialiser un set de 6 couteaux à steak de la gamme Furtif revêtu de la marque Lisadalban fabriqué à l'étranger, en laissant croire que ces couteaux sont des produits de la marque Furtif et fabriqués en France, le site internet de la société T.B. insistant sur les couteaux « Furtif » « made in France » et la fabrication de ses couteaux à Thiers.
Elle fait valoir sur le fondement des articles L. 121-1 et suivants du code de la consommation, que ces pratiques trompent le consommateur notamment sur l'origine du produit, le consommateur n'étant pas informé que certains couteaux « Furtif » ne sont pas fabriqués en France, ces agissements étant constitutifs de pratiques commerciales trompeuses et de concurrence déloyale.
Il n'est pas discuté par la société T.B. que les « 6 couteaux à steak Furtif 11cm et bloc de rangement » commercialisés au prix de 25 euros sur le site internet de vente en ligne qu'elle édite ne sont pas fabriqués en France mais qu'il s'agit de couteaux importés. L'offre de ce set de 6 couteaux est accompagnée du commentaire suivant : « Imaginés et élaborés à Thiers par le coutelier français T.B., les outils de la gamme Furtif sont inimitables et reconnaissables au premier coup d'œil. Arborant une allure contemporaine et avant-gardiste, ils bénéficient d'une qualité de conception exceptionnelle. Ces 6 couteaux à steak rangés dans un bloc protecteur n'échappent pas à la règle, leur lame en acier inoxydable très dure leur garantit un pouvoir de coupe sans équivalent tandis que leur manche en ABS fait preuve d'une ergonomie parfaite pour une prise en main naturelle ».
Néanmoins, s'il ressort du procès-verbal de constat susvisé que la société T.B. présente certes ses couteaux Furtif haut de gamme, dont le prix de 219 euros est en conséquence, comme fabriqués en France, tel n'est pas le cas du set de 6 couteaux au prix de 29 euros critiqué par l'appelante, aucune mention Made in France ou fabriqué en France ou à Thiers n'apparaissant pour promouvoir ce set, la mention descriptive l'accompagnant insistant sur le lieu de création de la gamme et non de sa fabrication.
En conséquence, il n'est nullement montré que la présentation du set de couteau en cause induit le consommateur en erreur sur l'origine des produits et est susceptible de l'amener à prendre une décision commerciale qu'il n'aurait pas prise autrement. De même aucune pratique déloyale n'est établie.
La société K. sera en conséquence déboutée de ses demandes au titre des pratiques commerciales trompeuses et au titre de la concurrence déloyale, en ce compris sa demande de publication judiciaire et le jugement confirmé de ces chefs.
Sur les autres demandes,
Les dispositions du jugement concernant les dépens et les frais irrépétibles sont infirmés.
Partie perdante, la société T.B. est condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la société K. et à la société Made in Design, en application de l'article 700 du code de procédure civile, une indemnité qui sera, en équité, fixée à la somme de 10.000 euros, à chacune.
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les demandes de nullité des procès-verbaux de constat, a dit que le modèle de manche des couteaux commercialisés par la société d'Exploitation T.B. sous la marque « Furtif » est original et constitue une œuvre de l'esprit protégeable sur le fondement du droit d'auteur, débouté la société K. Ideas for Friends de ses demandes reconventionnelles fondées sur les pratiques commerciales trompeuses et déloyales et rejeté les demandes de publication du jugement ;
Infirmant pour le surplus et statuant à nouveau.
Rejette les demandes de la société d'Exploitation T.B. au titre de la contrefaçon de droit d'auteur ;
Rejette les demandes de la société d'Exploitation T.B. au titre de la concurrence déloyale et parasitaire ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société d'Exploitation T.B. à payer à la société K. Ideas for Friends la somme de 10.000 euros.
Condamne la société d'Exploitation T.B. à payer à la société Made in Design la somme de 10.000 euros.
Condamne la société d'Exploitation T.B. aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La Greffière La Présidente,
Décision(s) antérieure(s),
• Tribunal judiciaire PARIS 3ème chambre 1ère section 06 février 2020 18/02342.