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Décisions

Cass. crim., 1 juin 2016, n° 14-86.438

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

Mme de la Lance

Avocat général :

M. Mondon

Avocats :

SCP Piwnica et Molinié, SCP Potier de La Varde et Buk-Lament

Toulouse, du 10 sept. 2014

10 septembre 2014

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 6 avril 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, Mme de la Lance, conseiller rapporteur, M. Soulard, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Guichard ;

Sur le rapport de Mme le conseiller DE LA LANCE, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIÉ, de la société civile professionnelle POTIER DE LA VARDE et BUK-LAMENT, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général MONDON ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 314-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable d'abus de confiance ;

" aux motifs que M. X... est poursuivi pour des abus de confiance sur la période du 1er août 2010 au 31 octobre 2011, que la matérialité de l'encaissement par la SAS Flogui promotion de créances clients des trois sociétés civiles immobilières n'a jamais été contestée par lui et est encore corroborée par l'étude qu'il a produite, sans que ce document ou le témoignage de M. Y...ne puisse avoir de valeur probante sur l'élément intentionnel de l'infraction ; qu'en effet, ces créances clients correspondaient au prix de vente des appartements et étaient matérialisées par des chèques remis par les acheteurs ; que, dès lors que ces chèques n'ont pas été déposés sur les comptes centralisateurs SCI/ Banque Populaire, mais ont été crédités sur le compte de la SAS Flogui promotion, M. X... a utilisé les fonds à des fins étrangères à celles contractuellement stipulées et qu'il connaissait, ce qui caractérise l'élément intentionnel du délit d'abus de confiance ; que l'élément intentionnel est encore corroboré par le fait que M. X... a, ainsi qu'il l'a lui-même déclaré, utilisé les sommes litigieuses pour les programmes immobiliers et les frais de fonctionnement de la SAS Flogui promotion, se comportant ainsi indûment comme le propriétaire de cet argent ou des chèques, ce qui est exclusif d'un droit de rétention exercé de bonne foi dans le cadre de conflit entre associés ; que le témoignage de M. Y...ainsi que le rapport qu'il a établi, outre qu'il n'est fondé que sur la base des seuls éléments communiqués par le prévenu au rang desquels ne figurait aucun bilan, sans caractère contradictoire, ne sont pas probants dès lors que les comptes des sociétés civiles de construction vente (SCCV) ont été synthétisés au 31 décembre 2012 et que ce praticien a, pour aboutir à la conclusion de la réalité de créances de la SAS Flogui promotion sur les SCCV au 31 décembre 2013, réintégré dans les comptabilités de la société civile immobilière La Grenadille et de la société civile immobilière Le Corner des factures de l'année 2013, ce qui est impropre à établir la réalité d'une créance, certaine, liquide et exigible de la SAS Flogui promotion sur les trois sociétés civiles immobilières à la période de prévention, du 1er août 2010 au 31 octobre 2011 et exclut donc toute compensation ; que l'argument avancé par M. X..., du différend entre la SAS Flogui promotion et la SARL Matea, voire le groupe Giesper auquel elle appartient n'est pas propre à dénaturer l'élément intentionnel du délit d'abus de confiance, en ce qu'il ne constitue que le mobile de l'infraction et est donc indifférent pour l'appréciation de ses éléments constitutifs, mais peut être pris en considération pour l'appréciation de la peine, spécifiquement pour un prévenu qui n'a pas d'antécédent judiciaire ;

" 1°) alors que les juges correctionnels ne peuvent entrer en voie de condamnation à l'encontre d'un prévenu du chef d'abus de confiance qu'autant qu'ils ont constaté qu'il a détourné des fonds qui lui avaient été remis à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé en sorte que les obligations du prévenu doivent être déterminées sans insuffisance ni contradiction ; que la condamnation de M. X... du chef d'abus de confiance repose sur l'hypothèse qu'il aurait détourné des fonds qui lui avaient été remis en vertu d'un contrat, cependant, qu'il résulte des constatations de la cour d'appel qu'en réalité M. X... n'était pas partie aux conventions passées entre la Banque populaire et chacune des trois sociétés civiles de construction vente stipulant l'encaissement des sommes remises par les clients de ces trois sociétés civiles de construction vente sur un compte centralisateur ouvert à la Banque populaire occitane en sorte qu'abstraction faite de motifs insuffisants ou contradictoires, la cour d'appel n'a pas constaté que M. X... ait violé des obligations mises personnellement à sa charge, privant ainsi sa décision de base légale ;

" 2°) alors que, si l'arrêt attaqué énonce que M. X... « connaissait » ces conventions, il n'a nullement constaté que les fonds lui ont été personnellement remis en application desdites conventions en sorte que la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa condamnation à son encontre du chef d'abus de confiance ;

" 3°) alors que les juges correctionnels ne peuvent entrer en voie de condamnation à l'encontre d'un prévenu du chef d'abus de confiance qu'autant qu'ils constatent dans leur décision sans insuffisance ni contradiction qu'il a procédé de mauvaise foi, en utilisant les fonds qui lui avaient été remis à une interversion de la possession à son profit ; que les motifs sont contradictoires puisque d'un côté, la cour d'appel a constaté que les sommes litigieuses avaient été remises sur un compte d'attente, opération qui, par elle-même, exclut toute interversion de mauvaise foi de la possession et que d'un autre côté elle a constaté à l'inverse que ces sommes avaient été utilisées pour les programmes immobiliers et les frais de la société Flogui promotion, société dont M. X... est le président ;

" 4°) alors que l'existence d'un différend entre les associés – la société Flogui promotion et la société Matea, voire le groupe Giesper auquel elle appartient –, admise par l'arrêt attaqué, justifiait par elle-même l'opération de placement par M. X... des fonds qui lui avaient été remis sur un compte d'attente se traduisant, ainsi qu'il l'avait expliqué au cours de l'enquête, par l'inscription au passif de la société dont il était le gérant des sommes destinées par lui à être restituées aux trois sociétés civiles de construction vente ;

" 5°) alors que l'existence d'un différend entre associés, constatée par la cour d'appel, et l'inscription des sommes litigieuses sur un compte d'attente exclut toute mauvaise foi en sorte que l'arrêt attaqué, concernant la constatation de l'intention frauduleuse, repose, là encore, sur une contradiction de motifs " ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, caractérisé, en tous ses éléments, tant matériel qu'intentionnel, le délit d'abus de confiance dont elle a déclaré le prévenu coupable ;

D'où il suit que le moyen, qui revient à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être accueilli ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 314-1 du code pénal, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré recevable la constitution de partie civile de la société à responsabilité limitée SARL Matea et a condamné M. X... à lui verser la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts ;

" aux motifs que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal correctionnel, la constitution de partie civile de la SARL est recevable en sa qualité d'associé des trois sociétés civiles de construction vente (SCCV), dès lors que la spécificité de ces sociétés civiles immobilières veut que chaque associé soit responsable sur ses biens personnels des dettes de la société ; que la SARL demande 94 043, 64 euros correspondant au travail de quatre personnes pendant dix-huit mois pour « faire face à la carence et au délit commis » par M. X... et verse aux débats une attestation du commissaire aux comptes en ce sens ; que, toutefois, s'il est légitime que la SARL Matea soit indemnisée des conséquences du délit commis par M. X..., le tableau joint à l'attestation montre qu'ont été comptabilisées des sommes qui y sont soit totalement étrangères (dossier de préparation en défense de plainte contre M. Z...) (préparation audience devant le tribunal civil) soit qui ne sont qu'en lien indirect (traitement des assignations en paiement et en référé reçues des entreprises) ; que, dès lors, au regard des pièces produites et de la réalité de la désorganisation des sociétés civiles immobilières suite aux détournements de M. X..., la cour dispose des éléments suffisants d'appréciation pour évaluer ce préjudice à 50 000 euros ;

" alors qu'aux termes de l'article 2 du code de procédure pénale, l'action civile en réparation du dommage causé par un crime ou un délit n'appartient qu'à ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ; que quand bien même l'associé d'une société civile immobilière a un intérêt à la répression d'un abus de confiance commis au préjudice de cette personne morale du fait qu'il est responsable sur ses biens personnels des dettes de celle-ci, il ne peut se prévaloir de ce fait que d'un préjudice indirect en sorte que son action civile devant la juridiction répressive est irrecevable " ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt que la société Matea gérée par M. Z...et la société Flogui promotion présidée par M. X... se sont associées à 50 % dans trois sociétés civiles immobilières (SCI) pour la réalisation d'opérations immobilières et la vente de biens immobiliers en l'état futur d'achèvement et qu'un compte centralisateur a été ouvert pour encaisser le produit des ventes réalisées ; que M. X... a été déclaré coupable d'abus de confiance pour avoir encaissé les chèques, remis par les clients des SCI, non sur le compte centralisateur de ces dernières mais sur celui de la société Flogui promotion ;

Attendu que l'arrêt a déclaré recevable la constitution de partie civile des trois SCI et également, infirmant le jugement déféré sur ce point, celle de la société Matea en sa qualité d'associée de ces trois SCI, la spécificité de celles-ci voulant que chaque associé soit responsable sur ses biens personnels des dettes de la société ;

Attendu qu'en statuant ainsi, et dès lors que l'abus de confiance commis par un associé d'une société civile immobilière est susceptible de causer un préjudice direct et personnel aux autres associés, et pas seulement à la société elle-même, la cour d'appel a fait l'exacte application des articles 2 et 3 du code de procédure pénale ;

Qu'ainsi, le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 000 euros la somme globale que M. X... devra payer à la société Matea et aux sociétés civiles immobilières La Grenadille, Le Corner et Le Flogui-Urban, au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale.