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Décisions

Cass. crim., 20 avril 2022, n° 20-87.248

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Rapporteur :

M. Seys

Avocat général :

M. Lesclous

Avocats :

SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Piwnica et Molinié, SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre

TGI Paris, JLD, du 3 avr. 2019

3 avril 2019

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Par ordonnance du 3 avril 2019, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris, saisi par requête du rapporteur général de l'Autorité de la concurrence, a autorisé ce dernier, au visa de l'article L. 450-4 du code de commerce, à procéder à des opérations de visite et de saisie en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles et délivré commission rogatoire aux juges territorialement compétents hors du ressort du tribunal de Paris.

3. Cette décision visait les locaux des sociétés [4] (la société [3]), [4] (la société [7]), [6] et [2].

4. Deux autres ordonnances ont en outre été prises, par les juges des libertés et de la détention des tribunaux judiciaires de Bordeaux, le 4 avril 2019, et Créteil, le 8 avril 2019.

5. Les visites domiciliaires et les opérations de saisies documentaires ont donné lieu à l'établissement de plusieurs procès-verbaux, des 9 et 10 avril 2019 en ce qui concerne les opérations initiales, puis des 14, 15 et 28 mai 2019, s'agissant de l'exploitation des scellés.

6. Des recours ont été exercés par chacune des sociétés contre les ordonnances ci-dessus et le déroulement des opérations de visite et saisie.

Examen des moyens

Sur les premier, deuxième et quatrième moyens proposés pour la société [3], le premier moyen proposé pour la société [7] et les premier moyen et second moyen, pris en ses première et deuxième branches, proposés pour les sociétés [6] et [2]

7. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le troisième moyen proposé pour la société [3], le deuxième moyen proposé pour la société [7] et le second moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, proposé pour les sociétés [6] et [2]

Énoncé des moyens

8. Le moyen proposé pour la société [3] critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a ordonné à l'Autorité de la concurrence la seule restitution des pièces saisies numérotées 2.20, 2.23 et 2.51 et a rejeté le surplus de son recours, alors « que l'ensemble des correspondances échangées entre un avocat et son client est couvert par le secret professionnel et se trouve, à ce titre, insaisissable, quelle que soit l'affaire à laquelle elles se rattachent ; qu'en l'espèce, pour rejeter les demandes de la société [3] tendant à l'annulation des saisies de documents couverts par le secret des correspondances entre avocat et client, identifiés et recensés par les soins de celle-ci dans les tableaux produits en pièces n° 13.00000 à 13.08365 (pour des dossiers ne relevant pas du droit de la concurrence), n°16.00000 à 16.00757 (pour des dossiers relevant du droit de la concurrence) et n° 23.00000 à 23.00074 (pour des correspondances « non localisées » par les agents), le délégué du premier président a estimé, d'une part, que les correspondances entre un avocat et son client n'étaient protégées par le secret professionnel, en matière d'atteinte à l'ordre public économique, qu'à la condition d'avoir été émises ou adressées par un avocat indépendant de l'entreprise et pour l'exercice des droits de la défense « en rapport avec l'objet même de l'enquête déterminée d'après les indices d'infraction au droit de la concurrence », d'autre part, que les courriers identifiés par la société [3] et dont elle sollicitait la restitution ne correspondaient pas à un échange entre avocat et client concernant sa défense dans l'enquête ; qu'en statuant de la sorte, donc en ajoutant à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, prise de la restriction du secret des correspondances aux seuls échanges en rapport avec l'objet même de l'enquête déterminé d'après les indices d'infraction au droit de la concurrence, le délégué du premier président de la cour d'appel a violé les articles 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 et L. 450-4 du code de commerce, ensemble les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

9. Le moyen proposé pour la société [7] critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté son recours tendant, à titre principal, à l'annulation des opérations de visite et saisie réalisées les 9 et 10 avril et 14 et 15 mai 2019 dans ses locaux et à la restitution de l'intégralité des pièces saisies et de leurs copies et, à titre subsidiaire, à l'annulation de la saisie des documents visés aux pièces n° 13, 14, 15 et 18, et à leur restitution, alors :

« 1°/ qu'il résulte de l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 qu'en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention « officielle », les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel ; qu'il se déduit de ce texte que sont insaisissables par l'Autorité de la concurrence toutes les correspondances échangées entre l'entreprise sujette à une visite domiciliaire et son avocat, sans qu'il faille limiter la portée de cette insaisissabilité aux seules correspondances en relation avec l'exercice des droits de la défense, ni à celles dont l'objet est en relation avec celui de l'enquête pour les besoins de laquelle l'Autorité de la concurrence a été autorisée à procéder à une visite et saisie domiciliaires, ni enfin aux seuls documents dont l'avocat serait l'auteur ou l'expéditeur ; qu'en jugeant néanmoins qu'en matière d'atteintes à l'ordre public économique, les conseils des avocats à leurs clients ne peuvent bénéficier de cette protection qu'à la condition qu'ils aient été émis par un avocat indépendant de l'entreprise et pour l'exercice des droits de la défense en rapport avec l'objet même de l'enquête déterminée d'après les indices d'infractions au droit de la concurrence, puis en jugeant que tel n'était pas le cas des correspondances énumérées par les pièces n° 13, 13.1, 13.2 et 14 dont la société [7] sollicitait l'expurgation des scellés définitifs, le premier président a violé le texte susvisé en y introduisant des restrictions incompatibles avec sa rédaction, ensemble l'article 591 du code de procédure pénale et les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ qu'à supposer même que le champ d'application de l'insaisissabilité des correspondances entre un avocat et son client doive être limité à celles qui ont un lien avec l'exercice des droits de la défense, il n'en demeurerait pas moins que le premier président ne pouvait restreindre la portée de cette insaisissabilité aux seuls documents en rapport avec l'objet même de l'enquête mise en oeuvre par l'Autorité de la concurrence, de sorte qu'en se prononçant comme il l'a fait, le premier président a violé l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, ensemble l'article 591 du code de procédure pénale et les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

3°/ que la protection du secret des correspondances échangées entre un avocat et son client ainsi que celle du droit d'accès au juge ne peuvent être effectives qu'à la condition que l'autorité poursuivante s'interdise, par des moyens adéquats et contrôlables, de prendre connaissance de telles correspondances avant que l'entreprise ayant fait l'objet d'une visite domiciliaire ait été mise en mesure d'en contester la saisie et de faire trancher cette contestation par une juridiction ; qu'en l'espèce, la société [7] exposait dans ses écritures que seule une partie des documents appréhendés par les services de l'instruction de l'Autorité consécutivement à la visite domiciliaire effectuée en ses locaux avait été placée sous des scellés provisoires ; qu'elle rappelait en effet qu'après avoir émis une réquisition pour obtenir la communication de documents dont ils n'étaient parvenus à prendre une copie informatique et recueilli sur procès-verbal la déclaration du représentant de l'entreprise selon laquelle les documents réquisitionnés étaient eux aussi susceptibles de renfermer des correspondances protégées par le secret avocat-client, le rapporteur général de l'Autorité avait néanmoins, par un courrier du 18 avril 2019, expressément refusé de mettre en oeuvre une mesure de protection des documents réquisitionnés par leur placement sous un scellé provisoire, de sorte que les services de l'instruction de l'Autorité avaient ainsi eu tout loisir de consulter sans contrainte l'ensemble de ces documents ; que, pour rejeter le moyen par lequel la société [7] demandait de sanctionner l'atteinte irrémédiable ainsi portée par l'Autorité au secret des correspondances avocat-client à raison de son refus de mettre en oeuvre une mesure provisoire de protection des documents réquisitionnés, le premier président s'est borné à énoncer « qu'il résulte des termes des procès-verbaux que les agents ont régulièrement invité le représentant de la société [7] à désigner ceux des documents couverts par la confidentialité des communications entre avocats et clients » et que la société [7] ne rapportait pas la preuve de ce que les agents de l'Autorité aient été au-delà d'un examen sommaire des correspondances en cause « avant de décider de la saisie des correspondances, de leur conservation, ni du refus qu'ils auraient opposé à une demande précise de retrait de documents » ; qu'en se déterminant par de tels motifs impropres à écarter l'atteinte irrémédiable portée au secret des correspondances entre avocats et clients qui résultait du refus, lui-même dûment documenté, des services de l'instruction de placer les documents réquisitionnés sous des scellés provisoires, le premier président a violé l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, ensemble l'article 591 du code de procédure pénale et les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

10. Le moyen proposé pour les sociétés [6] et [2] critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté les recours en annulation du procès-verbal établi le 9 avril 2019 à [Localité 1] et du procès-verbal établi le 10 avril 2019 à [Localité 8], sauf à ordonner à l'Autorité de la concurrence de restituer à la société [6] les seuls documents numérotés 253, 271, 305, 312, 314 et 509, alors :

« 3°/ que l'insaisissabilité des documents couverts par le secret professionnel s'étend à l'ensemble des correspondances échangées entre un avocat et son client et liées à l'exercice des droits de la défense et ne se limite pas à ceux qui relèveraient de l'exercice des droits de la défense dans le présent dossier de concurrence ; qu'en décidant au contraire que seuls étaient insaisissables les courriers émis ou adressés par un avocat « pour l'exercice des droits de la défense en rapport avec l'objet même de l'enquête déterminée d'après les indices d'infraction au droit de la concurrence » ou encore ceux « concernant la matière du droit de la concurrence ou se rapportant l'exercice des droits de la défense relatif à l'objet de l'enquête », le conseiller délégué a violé les articles 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 L. 450-4 du code de commerce, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ que la violation du secret professionnel intervient dès la saisie d'un document, et la restitution des documents irrégulièrement saisis dont l'Autorité de la concurrence a pu prendre connaissance et qu'elle a pu analyser ne suffit pas à rétablir la société dans ses droits ; que la pratique des scellés provisoires est précisément destinée à garantir le secret professionnel en écartant de la saisie les documents couverts par le privilège légal avant que l'Autorité de la concurrence ait eu la possibilité de les analyser ; qu'en décidant que l'Autorité avait pu refuser à la société [6] le droit de bénéficier de la procédure de scellés provisoires s'agissant de la saisie de la messagerie de Mme [J], sans que ce refus ne lui cause de préjudice, tandis qu'elle avait souligné que cette messagerie comportait des documents couverts par le secret professionnel, dont l'Autorité ne pouvait pas librement prendre connaissance, le conseiller délégué a méconnu les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 450-4 du code de commerce, 591 et 293 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

11. Les moyens sont réunis.

12. Pour rejeter les recours contre le déroulement des opérations de visite et saisie, pris des atteintes au secret de la correspondance avocat-client, l'ordonnance attaquée énonce que, si les conseils des avocats à leurs clients sont protégés par le secret professionnel et par principe insaisissables quel que soit le circuit de leur échange ou leur support, c'est cependant, en matière d'atteinte à l'ordre public économique, à la condition que soit caractérisée la preuve qu'ils sont émis ou adressés par un avocat indépendant de l'entreprise et pour l'exercice des droits de la défense en rapport avec l'objet même de l'enquête déterminée d'après les indices d'infraction au droit de la concurrence.

13. Le premier président, analysant les documents dont la saisie était contestée par la société [3], relève que les agents autorisés à rechercher les preuves des indices de pratiques anticoncurrentielles ne peuvent être restreints, a priori, par le volume des documents concernés et qu'il appartient aux entreprises de désigner avec suffisamment de précision ceux des documents dont l'objet relève du secret avocat-client qu'elles entendent opposer.

14. Il précise qu'après avoir placé l'ensemble des pièces saisies sous scellé provisoire, l'Autorité de la concurrence, qui a imparti à la société [3], pour formuler ses observations, un délai jusqu'au 29 avril 2019, limite repoussée au 6 mai, était fondée à refuser d'examiner et d'exclure de la saisie les documents qui n'étaient pas désignés précisément comme couverts par le secret susvisé.

15. Il ajoute que, connaissance prise des autres documents visés par la société [3] dans ses conclusions, aucun d'entre eux ne procède d'échanges entre avocat et client en lien avec l'enquête.

16. L'ordonnance attaquée, en ce qui concerne les saisies opérées dans les locaux de la société [7], énonce que les agents qui sont intervenus ont invité le représentant de cette société à désigner ceux des documents couverts par la confidentialité des communications entre avocats et clients et qu'il ne se déduit pas de la conduite et de la chronologie de la procédure que les agents n'ont pas adapté leurs demandes ou leurs refus à la désignation ou l'absence de désignation, par cette société, des documents dont elle contestait la saisie et n'ont pas écarté ceux d'entre eux qui intéressaient l'exercice des droits de la défense dans l'enquête en cours.

17. Le premier président relève qu'il n'est pas interdit aux agents de l'Autorité de la concurrence de procéder à un examen des documents appréhendés, alors que la société [7] n'allègue pas l'existence de circonstances dans lesquelles ces mêmes agents seraient allés au-delà de cet examen sommaire ou auraient rejeté une demande précise de retrait de documents.

18. Il ajoute que, connaissance prise par la juridiction, il ne s'évince pas des correspondances désignées par la société [7] la preuve que ces documents entrent dans la protection du secret de l'échange avocat-client en lien avec l'enquête.

19. En ce qui concerne la société [6], l'ordonnance attaquée énonce que la messagerie de Mme [J] étant hébergée sur un site basé au Luxembourg, l'obtention d'une copie d'une partie des messages électroniques n'a pas été possible immédiatement et que la société, qui a elle-même transmis plus tard à l'Autorité de la concurrence les documents concernés, ne démontre pas que l'absence de scellé provisoire lui aurait personnellement causé le moindre préjudice.

20. Le premier président, rappelant que cette société conteste les conditions dans lesquelles les agents de l'Autorité de la concurrence, procédant au tri des courriels extraits de cette même messagerie, ont retenu certains d'entre eux qui étaient pourtant protégés par la confidentialité avocat-client, relève que, connaissance prise desdits documents, la plupart d'entre eux ne concernent pas la matière du droit de la concurrence ou ne se rapportent pas à l'exercice des droits de la défense relatifs à l'objet de l'enquête, à l'exception de six d'entre eux qui, seuls, seront restitués.

21. S'agissant de la société [2], le premier président, rappelant que cette société reproche à l'Autorité de la concurrence de n'avoir retiré qu'une partie des courriers échangés entre la requérante et ses avocats et portant sur des problèmes juridiques sans rapport avec le droit de la concurrence, observe que, connaissance prise desdits documents, la plupart d'entre eux ne concernent pas la matière du droit de la concurrence ou ne se rapportent pas à l'exercice des droits de la défense relativement à l'objet de l'enquête

22. C'est à tort que le premier président retient que seuls sont insaisissables les documents qui relèvent de l'exercice des droits de la défense dans un dossier de concurrence, alors que c'est dans toutes les procédures où un avocat assure la défense de son client qu'est protégé le secret des correspondances échangées entre eux et qui y sont liées.

23. L'ordonnance n'encourt pour autant pas la censure, pour les motifs qui suivent.

24. D'une part, aucune des sociétés susvisées ne dénonçait une atteinte aux droits de la défense en dehors de la seule procédure concernée.

25. D'autre part, la confection des scellés provisoires est une faculté laissée à l'appréciation des enquêteurs.

26. Enfin, la présence, parmi les documents saisis, de pièces couvertes par le secret ne saurait avoir pour effet d'invalider la saisie de tous les autres documents.

27. Ainsi, les moyens seront écartés.

Sur le troisième moyen proposé pour la société [7]

Énoncé du moyen

28. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté le recours tendant, à titre principal, à l'annulation des opérations de visite et saisie réalisées les 9 et 10 avril et 14 et 15 mai 2019 et à la restitution de l'intégralité des pièces saisies et de leurs copies et, à titre subsidiaire, à l'annulation de la saisie des documents visés aux pièces n° 13, 14, 15 et 18, et à leur restitution, alors « qu'il résulte de l'article L. 611-15 du code de commerce que toute personne qui est appelée à la procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc ou qui, par ses fonctions, en a connaissance est tenue à la confidentialité ; qu'en outre l'arrêté du garde des sceaux du 18 juillet 2018 portant approbation des règles professionnelles établies par le [5] et des mandataires judiciaires dispose que dans le cadre des missions et mandats qui leur sont confiés, l'administrateur judiciaire et le mandataire judiciaire sont tenus au secret professionnel dans les conditions prévues par les articles 226-13 et 226-14 du code pénal, ce secret couvrant tout ce qui est venu à leur connaissance dans l'exercice de leur activité ; qu'en l'espèce, la société [7] faisait valoir qu'elle avait fait l'objet de plusieurs procédures de conciliation et de mandat ad hoc ouvertes par le tribunal de commerce de Paris en 2018 et en 2019 dans le cadre de la prévention de ses difficultés financières et que, compte tenu du secret professionnel auquel était astreint l'administrateur judiciaire désigné successivement en qualité de conciliateur et de mandataire ad hoc, les correspondances et documents échangées entre elle et ce dernier ne pouvaient être régulièrement saisis par les services de l'instruction de l'Autorité ; qu'en énonçant, pour rejeter ce moyen, que « la procédure de l'article L. 450-4 du code de commerce dans le cadre de laquelle les documents de ces auxiliaires de justice ont été saisis n'investit pas les entreprises de la qualité pour opposer ce secret professionnel, de sorte que la société [7] n'est pas recevable à l'invoquer », alors que le secret professionnel auquel sont astreints les mandataires de justice dans le cadre des procédures de conciliation et de mandat ad hoc instituées par les articles L. 611-3 et suivants du code de commerce a précisément vocation à protéger l'entreprise concernée par ces procédures, le délégué du premier président a violé l'ensemble des textes susvisés, ensemble l'article 591 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

29. Contrairement à ce que soutient le moyen, l'obligation de confidentialité qui s'impose à toute personne appelée à une procédure de conciliation ou de mandat ad hoc, ou qui en a connaissance par ses fonctions, ou le secret professionnel applicable aux mandataires judiciaires, ne sont pas opposables aux enquêteurs de l'Autorité de la concurrence, en l'absence de disposition expresse.

30. De surcroît, les droits de l'entreprise concernée au regard d'un risque de divulgation, à des tiers, des documents saisis ou fournis par elle, sont protégés par les articles L. 463-4 et L. 463-6 du code de commerce.

31. Ainsi, le moyen sera rejeté.

Mais sur le second moyen, pris en sa cinquième branche, proposé pour les sociétés [6] et [2]

Enoncé du moyen

32. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté les recours en annulation du procès-verbal établi le 9 avril 2019 à [Localité 1] et du procès-verbal établi le 10 avril 2019 à [Localité 8], sauf à ordonner à l'Autorité de la concurrence de restituer à la société [6] les seuls documents numérotés 253, 271, 305, 312, 314 et 509, alors :

« 5°/ que la société [6] avait précisément fait valoir que de nombreux éléments de la messagerie de Mme [J] étaient étrangers au champ de l'ordonnance d'autorisation de visite et devaient donc être restitués ; qu'en rejetant le recours de ce chef, sans examiner ce moyen déterminant, le conseiller délégué qui a entaché sa décision d'un défaut de motifs, a violé les articles L. 450-4 du code de commerce, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 593 du code de procédure pénale :

33. Tout jugement, arrêt ou ordonnance doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

34. Pour contester la saisie de certains documents par les agents de l'Autorité de la concurrence, les sociétés [6] et [2], au soutien d'explications précises et d'un document électronique récapitulatif, ont fait valoir que certains des courriels saisis dans la messagerie de Mme [J], directrice des ressources humaines de cette dernière société, ayant trait à une activité commerciale dans le marché de la bière, étaient sans rapport avec l'objet de l'ordonnance, qui visait des comportements anticoncurrentiels affectant le marché des vins et spiritueux.

35. En rejetant le recours ainsi formulé, sans répondre aux moyens péremptoires des conclusions dont il était saisi, le premier président n'a pas justifié sa décision.

36. La cassation est de ce fait encourue.

Portée et conséquence de la cassation

37. La cassation à intervenir ne portera que sur les dispositions de l'ordonnance rejetant le recours contre les saisies effectuées sur la messagerie de Mme [J].

38. Les dispositions de l'article 618-1 du code de procédure pénale sont applicables en cas de rejet du pourvoi, qu'il soit total ou partiel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur les pourvois formés par les sociétés [4] :

LES REJETTE ;

Sur le pourvoi formé par les sociétés [6] et [2] :

CASSE et ANNULE l'ordonnance susvisée du premier président de la cour d'appel de Paris, en date du 9 décembre 2020, mais en ses seules dispositions relatives aux saisies opérées sur la messagerie électronique de Mme [J], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la juridiction du premier président de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.