Livv
Décisions

CJUE, 2eme ch., 27 avril 2022, n° C-674/20

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Airbnb Ireland UC

Défendeur :

Région de Bruxelles-Capitale

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Prechal

Juges :

M. Passer, M. Biltgen, M. Wahl (rapporteur) , Mme Arastey Sahún

Avocat général :

M. Szpunar

Avocats :

Me Van Liedekerke, Me Laes, Me Van Lierde

CJUE n° C-674/20

26 avril 2022

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 5, sous a), et de l’article 15, paragraphe 2, de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique ») (JO 2000, L 178, p. 1), des articles 1er à 3 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36), ainsi que de l’article 56 TFUE.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un recours en annulation de l’article 12 de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 23 décembre 2016, relative à la taxe régionale sur les établissements d’hébergement touristique, introduit par Airbnb Ireland UC.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive 2000/31

3 Aux termes du considérant 12 de la directive 2000/31 :

« Il est nécessaire d’exclure du champ d’application de la présente directive certaines activités compte tenu du fait que la libre prestation des services dans ces domaines ne peut être, à ce stade, garantie au regard du traité ou du droit communautaire dérivé existant. Cette exclusion doit être sans préjudice des éventuels instruments qui pourraient s’avérer nécessaires pour le bon fonctionnement du marché intérieur. La fiscalité, notamment la taxe sur la valeur ajoutée frappant un grand nombre des services visés par la présente directive, doit être exclue du champ d’application de la présente directive. »

4 Le considérant 13 de cette directive est ainsi libellé :

« La présente directive n’a pas pour but d’établir des règles en matière d’obligations fiscales ni ne préjuge de l’élaboration d’instruments communautaires relatifs aux aspects fiscaux du commerce électronique. »

5 Le considérant 21 de ladite directive énonce :

« La portée du domaine coordonné est sans préjudice d’une future harmonisation communautaire concernant les services de la société de l’information et de futures législations adoptées au niveau national conformément au droit communautaire. Le domaine coordonné ne couvre que les exigences relatives aux activités en ligne, telles que l’information en ligne, la publicité en ligne, les achats en ligne, la conclusion de contrats en ligne [...] »

6 L’article 1er de la directive 2000/31, intitulé « Objectif et champ d’application », dispose :

« 1. La présente directive a pour objectif de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur en assurant la libre circulation des services de la société de l’information entre les États membres.

2. La présente directive rapproche, dans la mesure nécessaire à la réalisation de l’objectif visé au paragraphe 1, certaines dispositions nationales applicables aux services de la société de l’information et qui concernent le marché intérieur, l’établissement des prestataires, les communications commerciales, les contrats par voie électronique, la responsabilité des intermédiaires, les codes de conduite, le règlement extrajudiciaire des litiges, les recours juridictionnels et la coopération entre États membres.

[...]

5. La présente directive n’est pas applicable :

a) au domaine de la fiscalité ;

[...] »

7 L’article 3, paragraphe 2, de cette directive énonce :

« Les États membres ne peuvent, pour des raisons relevant du domaine coordonné, restreindre la libre circulation des services de la société de l’information en provenance d’un autre État membre. »

8 Conformément à l’article 3, paragraphe 4, de ladite directive, une dérogation à cette interdiction n’est possible, sous réserve de son caractère proportionné au vu de l’objectif poursuivi, que pour des raisons tenant à l’ordre public, à la protection de la santé publique, à la sécurité publique ou à la protection des consommateurs.

9 L’article 15, paragraphe 2, de cette même directive est ainsi libellé :

« Les États membres peuvent instaurer, pour les prestataires de services de la société de l’information, l’obligation d’informer promptement les autorités publiques compétentes d’activités illicites alléguées qu’exerceraient les destinataires de leurs services ou d’informations illicites alléguées que ces derniers fourniraient ou de communiquer aux autorités compétentes, à leur demande, les informations permettant d’identifier les destinataires de leurs services avec lesquels ils ont conclu un accord d’hébergement. »

La directive 2006/123

10 L’article 1er, intitulé « Objet », de la directive 2006/123 dispose :

« 1. La présente directive établit les dispositions générales permettant de faciliter l’exercice de la liberté d’établissement des prestataires ainsi que la libre circulation des services, tout en garantissant un niveau de qualité élevé pour les services.

[...] »

11 Aux termes de l’article 2, intitulé « Champ d’application », de cette directive :

« 1. La présente directive s’applique aux services fournis par les prestataires ayant leur établissement dans un État membre.

[...]

3. La présente directive ne s’applique pas en matière fiscale. »

12 L’article 3 de la même directive, intitulé « Relation avec les autres dispositions du droit [de l’Union] », prévoit :

« 1. Si les dispositions de la présente directive sont en conflit avec une disposition d’un autre acte [de l’Union] régissant des aspects spécifiques de l’accès à une activité de services ou à son exercice dans des secteurs spécifiques ou pour des professions spécifiques, la disposition de l’autre acte [de l’Union] prévaut et s’applique à ces secteurs ou professions spécifiques. [...]

[...]

3. Les États membres appliquent les dispositions de la présente directive conformément aux règles du traité régissant le droit d’établissement et la libre circulation des services. »

Le droit belge

13 L’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 23 décembre 2016, relative à la taxe régionale sur les établissements d’hébergement touristique (Moniteur belge, 6 janvier 2017, p. 509, ci-après l’« ordonnance du 23 décembre 2016 »), instaure une taxe forfaitaire par nuitée d’occupation due par tout exploitant d’un établissement d’hébergement touristique, ce dernier comprenant l’hébergement à domicile de touristes lorsqu’il est effectué à titre onéreux (ci-après la « taxe touristique forfaitaire »).

14 Aux termes de l’article 2, point 8, de l’ordonnance du 23 décembre 2016, est définie comme intermédiaire « toute personne physique ou morale qui, contre rémunération, intervient pour mettre à disposition une unité d’hébergement sur le marché touristique, pour assurer la promotion touristique d’un établissement d’hébergement touristique ou pour proposer des services par voie desquels les exploitants et les touristes peuvent entrer directement en contact les uns avec les autres ».

15 Conformément à l’article 3 de cette ordonnance, la taxe touristique forfaitaire est calculée en multipliant un montant de base par unité d’hébergement, réduit pour les lieux d’hébergement à domicile, par le nombre de nuitées que les touristes ont passées dans cette unité d’hébergement.

16 Il ressort de l’article 4 de ladite ordonnance que la taxe touristique forfaitaire est due par l’exploitant de l’établissement d’hébergement touristique ou, s’il est insolvable ou inconnu, par le propriétaire de l’immeuble, et de l’article 7 de la même ordonnance que le redevable de cette taxe doit soumettre une déclaration mensuelle à l’administration fiscale.

17 L’article 12 de l’ordonnance du 23 décembre 2016 prévoit :

« Les intermédiaires doivent, pour les établissements d’hébergement touristique situés en Région de Bruxelles-Capitale pour lesquels ils se posent en intermédiaire ou mènent une politique de promotion, communiquer, sur demande écrite, les données de l’exploitant et les coordonnées des établissements d’hébergement touristique, ainsi que le nombre de nuitées et d’unités d’hébergement exploitées durant l’année écoulée, aux fonctionnaires désignés par le gouvernement.

Une amende administrative de 10 000 euros peut être infligée à l’intermédiaire qui ne donne pas suite à la demande écrite, visée à l’alinéa précédent. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

18 À la suite de l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 23 décembre 2016, l’administration fiscale de la Région de Bruxelles-Capitale a adressé à Airbnb Ireland, le 10 février 2017, une demande d’informations concernant les redevables de la taxe touristique forfaitaire utilisant ses services (ci-après la « première demande d’informations »).

19 Le 31 mars 2017, Airbnb Ireland a émis des réserves quant à cette demande et a proposé d’en discuter avec les autorités régionales. Le 8 août 2017, cette administration lui a fait parvenir une nouvelle demande d’informations, plus ciblée, concernant neuf établissements d’hébergement touristique situés dans la Région de Bruxelles-Capitale (ci-après la « seconde demande d’informations »).

20 Le 8 septembre 2017, Airbnb Ireland a indiqué qu’elle n’y donnerait pas suite, en conséquence de quoi, le 10 novembre 2017, l’administration fiscale de la Région de Bruxelles-Capitale lui a infligé neuf amendes d’un montant de 10 000 euros chacune.

21 Entre la première demande d’informations et la seconde demande d’informations, Airbnb Ireland avait saisi, le 10 juillet 2017, la juridiction de renvoi, à savoir la Cour constitutionnelle (Belgique), d’un recours en annulation de l’article 12 de l’ordonnance du 23 décembre 2016.

22 La juridiction de renvoi, après avoir relevé qu’il ressortait des travaux parlementaires que l’ordonnance du 23 décembre 2016 avait pour but, en instaurant la taxe touristique forfaitaire, de faire participer le secteur touristique aux charges financières engendrées par le tourisme et d’harmoniser la taxation des établissements d’hébergement touristique de la Région de Bruxelles-Capitale, a pris soin de préciser que les intermédiaires, dont fait partie Airbnb Ireland, n’étaient ni redevables de ladite taxe ni chargés de la percevoir, l’article 12 de cette ordonnance les soumettant en revanche à un devoir d’information, sur demande écrite de l’administration fiscale, l’inobservation de ce devoir leur faisant encourir une amende administrative d’un montant de 10 000 euros.

23 Indiquant que, selon la jurisprudence de la Cour, un service d’intermédiation qui a pour objet, au moyen d’une plateforme électronique, de mettre en relation, contre rémunération, des locataires potentiels avec des loueurs professionnels ou non professionnels proposant des prestations d’hébergement de courte durée, tout en fournissant également un certain nombre de prestations accessoires à ce service d’intermédiation, doit être qualifié de « service de la société de l’information », relevant de la directive 2000/31 (arrêt du 19 décembre 2019, Airbnb Ireland, C 390/18, EU:C:2019:1112, point 69), la juridiction de renvoi, qui estime que les intermédiaires visés par l’ordonnance du 23 décembre 2016 sont principalement les prestataires d’un tel service d’intermédiation, s’interroge sur la pertinence, dans la présente affaire, de ladite directive, étant donné que l’article 1er, paragraphe 5, sous a), de cette dernière prévoit qu’elle n’est pas applicable « au domaine de la fiscalité ».

24 La juridiction de renvoi s’interroge en particulier sur l’interprétation de ces termes et sur la qualification qu’il convient de donner à l’article 12 de l’ordonnance du 23 décembre 2016 à cet égard. Cet article fait partie d’une réglementation fiscale, mais Airbnb Ireland soutient, néanmoins, que l’exclusion que prévoit l’article 1er, paragraphe 5, sous a), de la directive 2000/31, d’interprétation stricte, n’est pas applicable en l’occurrence, de sorte que l’article 12 de ladite ordonnance relève du champ d’application de cette directive. Or, cet article 12, par l’obligation de communication qu’il impose, ne satisferait pas aux conditions, prévues à l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31, dans lesquelles il est permis aux États membres d’adopter des mesures restreignant la libre circulation des services de la société de l’information.

25 Dans ces conditions, la Cour constitutionnelle a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 1er, paragraphe 5, [sous] a), de la directive [2000/31] doit-il être interprété en ce sens qu’une législation nationale qui oblige les prestataires d’un service d’intermédiation qui a pour objet, au moyen d’une plateforme électronique, de mettre en relation, contre rémunération, des locataires potentiels avec des loueurs professionnels ou non professionnels proposant des prestations d’hébergement de courte durée à communiquer, sur demande écrite de l’administration fiscale et sous peine d’amende administrative, “les données de l’exploitant et les coordonnées des établissements d’hébergement touristique, ainsi que le nombre de nuitées et d’unités d’hébergement exploitées durant l’année écoulée”, dans le but d’identifier les redevables d’une taxe régionale sur les établissements d’hébergement touristique et leurs revenus imposables, relève du “domaine de la fiscalité” et doit, par conséquent, être considérée comme étant exclue du champ d’application de cette directive ?

2) En cas de réponse affirmative à la première question, les articles 1er à 3 de la directive [2006/123] doivent-ils être interprétés en ce sens que cette directive s’applique à une législation nationale telle que celle qui est décrite à la première question préjudicielle ? Le cas échéant, l’article 56 [TFUE] doit-il être interprété comme s’appliquant à une telle législation ?

3) L’article 15, paragraphe 2, de la directive [2000/31] doit-il être interprété comme s’appliquant à une législation nationale telle que celle qui est décrite à la première question préjudicielle et comme autorisant une telle législation ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

26 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 5, sous a), de la directive 2000/31 doit être interprété en ce sens qu’une disposition d’une réglementation fiscale d’un État membre faisant obligation aux intermédiaires, s’agissant des établissements d’hébergement touristique situés dans une région de cet État membre pour lesquels ils se posent en intermédiaire ou mènent une politique de promotion, de communiquer à l’administration fiscale, à la demande écrite de cette dernière, les données de l’exploitant et les coordonnées des établissements d’hébergement touristique, ainsi que le nombre de nuitées et d’unités d’hébergement exploitées au cours de l’année écoulée, doit être considérée comme étant indissociable, quant à sa nature, de la réglementation dont elle fait partie et, partant, relève du « domaine de la fiscalité », qui est expressément exclu du champ d’application de cette directive.

27 Premièrement, il y a lieu de rappeler que la directive 2000/31 a été adoptée sur le fondement, notamment, de l’article 95 CE, dont les termes ont été repris à l’article 114 TFUE, qui exclut de son champ d’application, à son paragraphe 2, les « dispositions fiscales ». Dans l’arrêt du 29 avril 2004, Commission/Conseil (C 338/01, EU:C:2004:253, point 63), la Cour a indiqué que ces termes couvraient non seulement tous les domaines de la fiscalité, sans distinguer les types d’impôts ou de taxes concernés, mais aussi tous les aspects de cette matière, qu’il s’agisse de règles matérielles ou procédurales. Elle a également précisé que les modalités de recouvrement des impositions de quelque nature que ce soit ne pouvaient être dissociées du système de taxation ou d’imposition auquel celles ci se rattachent (arrêt du 29 avril 2004, Commission/Conseil, C 338/01, EU:C:2004:253, point 66).

28 Deuxièmement, cette interprétation ressort également de la place de ces dispositions au sein des traités. L’article 114, paragraphe 2, TFUE fait en effet partie du chapitre 3, intitulé « Le rapprochement des législations », qui suit un chapitre 2, dénommé « Dispositions fiscales », au sein du titre VII, ayant pour objet « [l]es règles communes sur la concurrence, la fiscalité et le rapprochement des législations », du traité FUE. Par conséquent, tout ce qui a trait audit chapitre 3, à savoir le rapprochement des législations, ne porte pas, et ne peut porter, sur ce qui relève dudit chapitre 2, à savoir les dispositions fiscales.

29 Troisièmement, le même raisonnement prévaut s’agissant du droit dérivé adopté sur le fondement de l’article 95 CE, puis de l’article 114 TFUE. C’est, en outre, ce qui ressort de l’interprétation littérale des termes vastes employés à l’article 1er, paragraphe 5, sous a), de la directive 2000/31, à savoir le « domaine de la fiscalité », lesquels appellent donc une interprétation large, comme la Cour l’a reconnu, par exemple, au sujet de la notion de « domaine des transports », plus étendue que celle de « services de transports » (arrêt du 15 octobre 2015, Grupo Itevelesa e.a. C 168/14, EU:C:2015:685, point 41).

30 Quatrièmement, ces considérations sont corroborées par la lecture des considérants 12 et 13 de la directive 2000/31, qui énoncent que cette directive exclut de son champ d’application « la fiscalité » et que ladite directive « n’a pas pour but d’établir des règles en matière d’obligations fiscales ».

31 En l’occurrence, il est constant que des services tels que ceux fournis par Airbnb Ireland sont des services de la société de l’information, relevant de la directive 2000/31, la Cour ayant ainsi défini un service d’intermédiation ayant pour objet, au moyen d’une plateforme électronique, de mettre en relation, contre rémunération, des locataires potentiels avec des loueurs professionnels ou non professionnels proposant des prestations d’hébergement de courte durée, tout en fournissant également un certain nombre de prestations accessoires à ce service d’intermédiation (arrêt du 19 décembre 2019, Airbnb Ireland, C 390/18, EU:C:2019:1112, points 49 et 69).

32 Toutefois, ainsi que la juridiction de renvoi l’a relevé, l’applicabilité de cette directive au litige au principal est subordonnée à la condition que l’article 12 de l’ordonnance du 23 décembre 2016, qui fait obligation aux intermédiaires, pour les établissements d’hébergement touristique situés dans la Région de Bruxelles-Capitale pour lesquels ils se posent en intermédiaire ou mènent une politique de promotion, de communiquer à l’administration fiscale, sur demande écrite de cette dernière, les données de l’exploitant et les coordonnées des établissements d’hébergement touristique, ainsi que le nombre de nuitées et d’unités d’hébergement exploitées durant l’année écoulée, ne puisse être considéré comme relevant du « domaine de la fiscalité », à défaut de quoi il se trouverait hors du champ d’application de la directive 2000/31, conformément à l’article 1er, paragraphe 5, sous a), de cette dernière.

33 À cet égard, il convient de souligner que, s’il est exact que l’article 12 de l’ordonnance du 23 décembre 2016 s’adresse non pas en lui-même aux redevables de la taxe touristique forfaitaire, mais aux personnes ayant joué un rôle d’intermédiaire dans l’exploitation d’un hébergement touristique à titre onéreux, et que son objet est la fourniture d’informations à l’administration de la Région de Bruxelles-Capitale, sous peine d’amende, il n’en demeure pas moins que, en premier lieu, l’administration destinataire de ces informations est l’administration fiscale, en deuxième lieu, comme la juridiction de renvoi le souligne elle-même, cet article fait partie d’une réglementation fiscale, à savoir l’ordonnance du 23 décembre 2016, et, en troisième lieu, les informations dont cette disposition impose la transmission sont indissociables, quant à leur substance, de ladite réglementation, puisqu’elles seules sont de nature à identifier le redevable effectif de ladite taxe, l’assiette de cette dernière, à savoir le lieu de l’hébergement à domicile, le nombre d’unités d’hébergement ainsi que le nombre de nuitées et, par conséquent, son montant.

34 Il convient donc de répondre à la première question qu’une disposition d’une réglementation fiscale d’un État membre faisant obligation aux intermédiaires, s’agissant des établissements d’hébergement touristique situés dans une région de cet État membre pour lesquels ils se posent en intermédiaire ou mènent une politique de promotion, de communiquer à l’administration fiscale régionale, à la demande écrite de cette dernière, les données de l’exploitant et les coordonnées des établissements d’hébergement touristique, ainsi que le nombre de nuitées et d’unités d’hébergement exploitées au cours de l’année écoulée, doit être considérée comme étant indissociable, quant à sa nature, de la réglementation dont elle fait partie et, partant, relève du « domaine de la fiscalité », qui est expressément exclu du champ d’application de la directive 2000/31.

Sur la deuxième question

Sur la recevabilité

35 Les gouvernements italien et autrichien estiment que la deuxième question est irrecevable dans la mesure où la juridiction de renvoi n’a pas apporté les précisions requises à l’article 94, sous c), du règlement de procédure de la Cour à l’appui de l’invocation des articles 1er à 3 de la directive 2006/123 ainsi que de l’article 56 TFUE et n’a pas précisé quelles conséquences elle entendait tirer pour la résolution du litige au principal de l’interprétation souhaitée de ces dispositions. La nécessité de cette question ne ressortirait donc pas de la décision de renvoi.

36 Il y a lieu de constater que la deuxième question se subdivise en deux parties, la première partie visant à savoir si les articles 1er à 3 de la directive 2006/123 s’opposent à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal et la seconde portant sur la compatibilité d’une telle réglementation avec l’article 56 TFUE.

37 S’agissant de la première partie de la deuxième question, il est exact que la juridiction de renvoi n’a fourni aucune indication au soutien de la mention des articles 1er à 3 de la directive 2006/123, de sorte que la Cour ne connaît pas les raisons qui ont conduit cette juridiction à s’interroger sur l’interprétation de ces dispositions ni le lien qu’elle établit entre ces dernières et l’article 12 de l’ordonnance du 23 décembre 2016, contrairement aux exigences fixées à l’article 94, sous c), du règlement de procédure (voir, en ce sens, ordonnance du 30 juin 2020, Airbnb Ireland et Airbnb Payments UK, C 723/19, non publiée, EU:C:2020:509, point 29). Cette première partie de la deuxième question préjudicielle est donc irrecevable.

38 S’agissant de la seconde partie de la deuxième question, en revanche, la demande de décision préjudicielle mentionne à plusieurs reprises l’article 56 TFUE dans le résumé, par la juridiction de renvoi, de l’ensemble des moyens invoqués par Airbnb Ireland. Par conséquent, la Cour est en mesure d’identifier le lien exact qu’établit cette juridiction, dans le cadre spécifique de l’affaire au principal, entre cette disposition et l’article 12 de l’ordonnance du 23 décembre 2016. Il y a donc lieu de considérer comme étant recevable la seconde partie de la deuxième question et d’y répondre sur le fond.

Sur le fond

39 Par la seconde partie de sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si une réglementation telle que celle en cause au principal, qui fait obligation aux prestataires de services d’intermédiation immobilière, indépendamment de leur lieu d’établissement et de la manière dont ils s’entremettent, s’agissant des établissements d’hébergement touristique situés dans une région de l’État membre concerné pour lesquels ils se posent en intermédiaire ou mènent une politique de promotion, de communiquer à l’administration fiscale régionale, à la demande écrite de cette dernière, les données de l’exploitant et les coordonnées des établissements d’hébergement touristique, ainsi que le nombre de nuitées et d’unités d’hébergement exploitées au cours de l’année écoulée, se heurte ou non à l’interdiction posée à l’article 56 TFUE.

40 Tout d’abord, il convient de souligner que l’article 12 de l’ordonnance du 23 décembre 2016 instaure une obligation de donner suite à une demande d’informations des autorités fiscales à l’égard de tous les intermédiaires dont l’activité concerne des établissements d’hébergement touristique situés dans la Région de Bruxelles-Capitale, indépendamment du lieu d’établissement de ces intermédiaires et, par conséquent, quel que soit l’État membre dans lequel ils sont établis, sans que soit non plus pertinente la manière dont ces opérateurs économiques s’entremettent, par voie numérique ou selon d’autres modes de mise en relation.

41 Une telle réglementation n’est donc pas discriminatoire et ne porte pas, en tant que telle, sur les conditions de la prestation de services d’intermédiation, mais fait seulement obligation aux prestataires de services, une fois cette prestation réalisée, d’en conserver les données aux fins de l’exacte perception des taxes se rapportant à la location des biens en cause auprès des propriétaires concernés.

42 À ce sujet, il ressort d’une jurisprudence constante qu’une législation nationale opposable à tous les opérateurs exerçant des activités sur le territoire national, n’ayant pas pour objet de régler les conditions concernant l’exercice de la prestation des services des entreprises concernées et dont les effets restrictifs qu’elle pourrait produire sur la libre prestation des services sont trop aléatoires et trop indirects pour que l’obligation qu’elle édicte puisse être regardée comme étant de nature à entraver cette liberté, ne se heurte pas à l’interdiction posée à l’article 56 TFUE (arrêt du 8 mai 2014, Pelckmans Turnhout, C 483/12, EU:C:2014:304, point 25 et jurisprudence citée).

43 Tout en admettant ce caractère non discriminatoire en théorie, Airbnb Ireland estime que, en pratique, l’article 12 de l’ordonnance du 23 décembre 2016 affecte plus particulièrement des services d’intermédiation tels que ceux qu’elle assure.

44 Certes, l’évolution des moyens technologiques ainsi que la configuration actuelle du marché de la prestation de services d’intermédiation immobilière aboutissent au constat que les intermédiaires fournissant leurs prestations au moyen d’un portail télématique sont susceptibles de faire face, en application d’une réglementation telle que celle en cause au principal, à une obligation de transmission de données à l’administration fiscale plus fréquente et plus importante que celle pesant sur d’autres intermédiaires. Toutefois, cette obligation plus grande n’est que le reflet d’un nombre de transactions plus important auxquelles lesdits intermédiaires procèdent et de leur part de marché respective. Il n’en résulte, par conséquent, aucune discrimination.

45 Ensuite, il y a lieu de relever que, par leur nature même, les obligations fiscales entraînent des charges supplémentaires pour les prestataires de services.

46 Or, la Cour a eu l’occasion de souligner que ne sont pas visées à l’article 56 TFUE des mesures dont le seul effet est d’engendrer des coûts supplémentaires pour la prestation en cause et qui affectent de la même manière la prestation de services entre les États membres et celle interne à un État membre (voir arrêt du 22 novembre 2018, Vorarlberger Landes- und Hypothekenbank, C 625/17, EU:C:2018:939, point 32 et jurisprudence citée).

47 Enfin, même si l’obligation faite à tous les intermédiaires de fournir des informations à l’administration fiscale, lorsque celle-ci en fait la demande, concernant les données de l’exploitant et les coordonnées des établissements d’hébergement touristique, ainsi que le nombre de nuitées et d’unités d’hébergement exploitées au cours de l’année écoulée, peut engendrer des coûts supplémentaires, notamment liés à la recherche et au stockage des données concernées, il convient de remarquer, surtout dans le cas de services d’intermédiation fournis par voie numérique, que les données en cause sont mémorisées par des intermédiaires tels que Airbnb Ireland, de sorte que, en toute hypothèse, le coût supplémentaire qu’engendre cette obligation pour ces intermédiaires apparaît réduit.

48 Il suffit, à cet égard, de se reporter aux déclarations de celle-ci dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 19 décembre 2019, Airbnb Ireland (C 390/18, EU:C:2019:1112), selon lesquelles elle indiquait offrir en tant que service « un système de notation des loueurs et des locataires accessible aux futurs loueurs et locataires », ce qui implique, mécaniquement, la conservation des données s’y rapportant.

49 Il y a donc lieu de répondre à la seconde partie de la deuxième question qu’une réglementation telle que celle en cause au principal, qui fait obligation aux prestataires de services d’intermédiation immobilière, indépendamment de leur lieu d’établissement et de la manière dont ils s’entremettent, s’agissant des établissements d’hébergement touristique situés dans une région de l’État membre concerné pour lesquels ils se posent en intermédiaire ou mènent une politique de promotion, de communiquer à l’administration fiscale régionale, à la demande écrite de cette dernière, les données de l’exploitant et les coordonnées des établissements d’hébergement touristique, ainsi que le nombre de nuitées et d’unités d’hébergement exploitées au cours de l’année écoulée, ne se heurte pas à l’interdiction posée à l’article 56 TFUE.

Sur la troisième question

50 La troisième question préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 15, paragraphe 2, de la directive 2000/31 et repose sur la prémisse selon laquelle cette dernière est applicable au litige au principal. Or, il résulte de la réponse apportée à la première question que tel n’est pas le cas. Il n’y a donc pas lieu de répondre à la troisième question.

Sur les dépens

51 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

1) Une disposition d’une réglementation fiscale d’un État membre faisant obligation aux intermédiaires, s’agissant des établissements d’hébergement touristique situés dans une région de cet État membre pour lesquels ils se posent en intermédiaire ou mènent une politique de promotion, de communiquer à l’administration fiscale régionale, à la demande écrite de cette dernière, les données de l’exploitant et les coordonnées des établissements d’hébergement touristique, ainsi que le nombre de nuitées et d’unités d’hébergement exploitées au cours de l’année écoulée, doit être considérée comme étant indissociable, quant à sa nature, de la réglementation dont elle fait partie et, partant, relève du « domaine de la fiscalité », qui est expressément exclu du champ d’application de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »).

2) Une réglementation qui fait obligation aux prestataires de services d’intermédiation immobilière, indépendamment de leur lieu d’établissement et de la manière dont ils s’entremettent, s’agissant des établissements d’hébergement touristique situés dans une région de l’État membre concerné pour lesquels ils se posent en intermédiaire ou mènent une politique de promotion, de communiquer à l’administration fiscale régionale, à la demande écrite de cette dernière, les données de l’exploitant et les coordonnées des établissements d’hébergement touristique, ainsi que le nombre de nuitées et d’unités d’hébergement exploitées au cours de l’année écoulée, ne se heurte pas à l’interdiction posée à l’article 56 TFUE.