CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 13 avril 2022, n° 19/22193
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
La Vie Claire (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
Mme Depelley, Mme Lignières
FAITS ET PROCEDURE
La société S.A.R.L. X (ci-après « la société GCP ») est une société chargée d'enlever chaque semaine des palettes en bois et de fournir des palettes à la vente.
La société S.A. La Vie Claire (ci-après « la société La Vie Claire ») est une société dont l'activité est la distribution de produits d'alimentation naturelle et biologique, de produits diététiques, de compléments alimentaires et de produits d'hygiène-beauté.
Les parties entretenaient des relations commerciales depuis novembre 2007.
La société GCP était chargée d'enlever chaque semaine des palettes en bois et de fournir des palettes à la vente.
Par un courrier du 16 octobre 2013, la société La Vie Claire a mis fin à ses relations commerciales avec la société GCP à compter du 31 octobre 2013.
Par l'intermédiaire de son conseil, la société GCP a demandé à la société La Vie Claire de respecter un préavis de 12 mois et d'indemniser son préjudice, mais en vain.
Le 15 octobre 2018, la société GCP a assigné la société La Vie Claire devant le tribunal de commerce de Lyon.
Par jugement du 29 octobre 2019, le tribunal de commerce de Lyon a :
Jugé que la société La Vie Claire a engagé sa responsabilité en rompant brutalement ses relations commerciales établies avec la société X.
Jugé que la faute commise par la société La Vie Claire a causé un préjudice à la société X.
Condamné la société La Vie Claire à payer à la société X la somme de 1 500,10 € au titre des dommages et intérêts liés au préjudice subi, du fait de la rupture brutale des relations commerciales.
Condamné la société La Vie Claire à régler à la société X la somme de 750 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Condamné La Vie Claire aux entiers dépens de l'instance.
Rejeté l'ensemble des demandes de La Vie Claire.
Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement nonobstant l'appel.
Dit que dans l'hypothèse où, à défaut de règlement spontané des condamnation prononcées dans la décision à intervenir, l'exécution forcée devra être réalisée par l'intermédiaire d'un huissier, le montant des sommes par lui retenues en application de l'article 10 du décret du 8 mars 2001, portant modification du décret du 12 décembre 1996 n° 96/1080, devra être supporté par les requis en sus de l'application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par déclaration reçue au greffe le 2 décembre 2019, la société GCP a interjeté appel du jugement.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 1er février 2022.
Aux termes des dernières conclusions, déposées et notifiées le 15 juillet 2020, la société GCP demande à la Cour de :
Vu l'article 1242 du code civil,
Vu l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce,
Déboutant LA VIE CLAIRE de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions et de son appel incident tendant à voir dire que c'est à tort que le Tribunal de Commerce a dit qu'elle avait rompu brutalement sa relation avec GCP et de l'avoir condamnée à payer 1 500,10 euros de dommages et intérêts.
Déboutant LA VIE CLAIRE de sa demande subsidiaire tendant à voir ramené le montant de la condamnation à 1 125 euros.
Confirmer le jugement rendu le 29 octobre 2019 par le Tribunal de commerce de LYON en ce qu'il :
- Juge que la société LA VIE CLAIRE a engagé sa responsabilité en rompant brutalement ses relations commerciales établies avec la société X,
- Juge que la faute commise par la société LA VIE CLAIRE cause un préjudice à la société X,
- Rejette l'ensemble des demandes de la société LA VIE CLAIRE,
- Condamne la société LA VIE CLAIRE aux entiers dépens de première instance,
Infirmer le jugement rendu le 29 octobre 2019 par le Tribunal de commerce de LYON en ce qu'il a :
- Limite la condamnation de la société LA VIE CLAIRE à payer à la société X la somme de 1 500, 10 € au titre des dommages et intérêts liés au préjudice subi, du fait de la rupture brutale des relations commerciales,
- Limite la condamnation de la société LA VIE CLAIRE à régler à la société X la somme de 750 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Statuant à nouveau,
Condamner la société LA VIE CLAIRE à payer à la société X, sous astreinte de 100 € par jour commençant à courir 15 jours à compter de la signification de l'arrêt :
- À titre de dommages et intérêts, la somme forfaitaire de 20 000 €
- Sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile 3 000 €
Y ajoutant :
Condamner la société LA VIE CLAIRE aux entiers dépens de première instance.
Condamner la société LA VIE CLAIRE à payer à la société X la somme de 6 000 € conformément à l'article 700 du CPC au titre de l'instance d'appel.
La Condamner aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 6 mai 2020, la société La Vie Claire demande à la Cour de :
Vu l'article L. 442-6, I, 5 du Code de commerce,
Vu les pièces versées aux débats,
Vu la jurisprudence citée,
Infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a dit que la société LA VIE CLAIRE avait rompu brutalement sa relation avec la société X ;
Infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a condamné la société LA VIE CLAIRE à verser à la société X la somme de 1 500,10 euros à titre de dommages et intérêts ;
Débouter la société X de l'ensemble de ses demandes ;
A titre subsidiaire, si par extraordinaire la Cour confirmait le jugement de première instance en ce qu'il a dit qu'un préavis total de deux mois aurait dû être accordé à la société GILBERT C. PLATTES, RAMENER le montant de la condamnation à la somme de 1125 euros ;
Condamner la société X au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
Sur la demande de dommages-intérêts au titre de la rupture brutale de la relation commerciale
L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels
Les parties ne contestent pas avoir noué une relation commerciale établie depuis 2007 mais s'opposent sur la brutalité de la rupture.
Sur la brutalité de la rupture
Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis. Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.
La société GCP soutient que la rupture de la relation commerciale ne résulte pas d'une répercussion économique, mais d'un choix délibéré et brutal de la société La Vie Claire qui, par lettre de résiliation rédigée en des termes définitifs, ne présente aucun motif et n'octroie un préavis que de 15 jours analysé comme une absence de préavis. Elle prétend que le délai raisonnable de préavis devait être de douze mois et compte tenu de la durée de la relation commerciale de 6 années et du chiffre d'affaires annuel moyen réalisé de 18 487 euros, évalue son préjudice à la somme forfaitaire de 20 000 euros.
La société La Vie Claire considère qu'il n'y avait donc pas de relation commerciale suivie et stable entre les deux sociétés, mais, à l'inverse, une relation dégressive allant vers une rupture. Dès lors, la société La Vie Claire estime que le tribunal de commerce de Lyon a dit, à tort, que la rupture n'aurait été précédée d'aucun signe avant-coureur et a retenu, à tort, une rupture brutale alors même que seule une diminution régulière de la relation commerciale sur 4 ans avant la fin définitive de la relation ne peut valablement être retenue. Elle ajoute que compte tenu du comportement de GCP à l'égard de la société La Vie Claire et de ses manquements, ce préavis de 15 jours était amplement suffisant, ou à tout le moins déduit du préavis de 2 mois retenu par le tribunal. Elle rappelle qu'en matière de rupture, le préjudice se calcule sur la base de la marge brute réalisée au cours des trois années précédant la rupture et non sur la base d'un chiffre d'affaires moyen.
Sur ce,
Il n'est pas contesté que le chiffre d'affaires annuel entre les parties a été le suivant :
- 2010 : 35 505,89 euros
- 2011 : 24 672,04 euros
- 2012 : 19 047,96 euros
- 2013 (octobre) : 11 883,46 euros
Comme l'a justement relevé le tribunal, la durée des relations commerciales entre les deux sociétés de juin 2007 à octobre 2013, soit six années sans interruption nonobstant la constatation d'une baisse régulière du chiffre d'affaires atteste du caractère suivi, stable et habituel de ces relations.
La société La Vie Claire a notifié la résiliation de la relation commerciale par lettre du 16 octobre 2013 au 31 octobre 2013. L'attestation produite aux débats par la société La Vie Claire (pièce n°4) est insuffisante à établir l'existence de manquements graves à ses obligations de la part de la société GCP pour justifier un préavis aussi réduit, voire inexistant.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu la rupture brutale de la relation commerciale engageant la responsabilité de la société La Vie Claire.
S'il est justifié d'une relation commerciale établie depuis 6 années, en revanche la société GCP ne produit aucune information sur la part de chiffre d'affaires réalisée avec La Vie Claire au regard de son chiffre d'affaires global. Selon la société La Vie Claire, non utilement contredite par la société GCP, le chiffre d'affaires total de cette dernière s'élevait à la somme de 754 900 euros au 31 décembre 2013 (pièce n° 3). Par ailleurs la société GCP ne donne aucun élément particulier sur une éventuelle difficulté à trouver un nouveau partenaire pour justifier un préavis de 12 mois.
Dès lors le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu une absence de préavis nécessaire mais suffisant de deux mois.
Sur le préjudice
Seul est indemnisable le préjudice résultant de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même.
Il est constant que le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture.
La société GCP se borne à produire le chiffre d'affaires réalisé avec la société La Vie Claire de 2010 à 2013 et de réclamer la somme forfaitaire de 20 000 euros.
Le préjudice tel qu'évalué par le tribunal, n'est pas utilement contredit par les parties, et sera retenu, soit la somme de 1 500,10 euros de dommages-intérêts.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société La Vie Claire aux dépens de première instance et à payer la somme de 750 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société GCP, succombant en son appel, sera condamnée aux dépens.
En application de l'article 700 du code de procédure civile en appel, la société GCP sera déboutée de sa demande et condamnée à payer à la société La Vie Claire la somme de 5 000 euros.
PAR CES MOTIFS
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
CONDAMNE la société X aux dépens d'appel,
CONDAMNE la société X à payer à la société LA VIE CLAIRE la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE toute autre demande.