CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 13 avril 2022, n° 20/07411
PARIS
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
JA Transports (SAS)
Défendeur :
Société Nouvelle OMP (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
Mme Depelley, Mme Lignières
La société S.A.S. J.A. Transports (ci-après « la société Transports ») exerce une activité de transport routier de marchandises.
La société S.A.S. Société Nouvelle O.M.P (ci-après « la société OMP ») fabrique des pièces de fonderie en métaux non ferreux.
De mars 2014 à septembre 2019, la société OMP a confié à la société Transports des prestations de transport à destination de l'Italie, de la France, de l'Allemagne et de l'Espagne. Concernant les transports en Italie, deux trajets aller/retour hebdomadaires étaient effectués.
Le 17 septembre 2019, la société OMP, par courriel, indiquait qu'elle cessait de recourir aux prestations de la société Transports pour les transports vers l'Italie à partir du 16 septembre 2019.
Le 22 octobre 2019, la société Transports a assigné à bref délai la société OMP devant le tribunal de commerce de Lyon.
Par jugement du 14 mai 2020, le tribunal de commerce de Lyon a :
CONDAMNE la société NOUVELLE O.M.P. à payer à la société J.A. TRANSPORTS la somme de 17.294 euros HT à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales sans préavis outre les intérêts au taux légal à compter de la présente décision.
REJETE l'ensemble des demandes de la société NOUVELLE O.M.P.
PRONONCE la capitalisation des intérêts.
CONDAMNE la société NOUVELLE O.M.P. à payer à la société J.A. TRANSPORTS la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
PRONONCE l'exécution provisoire du présent jugement, nonobstant appel et sans caution.
CONDAMNE la société NOUVELLE O.M.P. aux entiers dépens de l'instance.
Le 15 juin 2020, la société Transports a interjeté appel de ce jugement.
Vu les dernières conclusions de la société Transports, appelante, déposées et notifiées le 20 décembre 2021, par lesquelles il est demandé à la Cour de :
« Rejetant toutes demandes, fins, moyens et conclusions contraires,
Vu l'article L. 442-6 ancien du code de commerce dans sa rédaction applicable au présent litige,
Vu les articles 5,7 et 16 du code de procédure civile,
Vu l'article 1343-2 du code civil,
- Prononcer la nullité du jugement rendu par le tribunal de commerce de LYON le 14 mai 2020 en ce que les premiers juges ont statué en fonction d'éléments [« données statistiques communiquées par le Comité National Routier (CNR) sur les structures de coûts des transporteurs routiers dans son bilan 2018 » ] qui n'ont pas été communiquées par les parties,
Subsidiairement,
- Réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de LYON le 14 mai 2020 en ce qu'il a condamné la société NOUVELLE OMP à payer à la société J.A. TRANSPORTS la somme de 17.294 € HT à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales sans préavis, en retenant un préavis de 5,5 mois.
Dans tous les cas, statuant à nouveau,
- Dire et juger qu'en raison de la rupture brutale, non motivée et non prévisible, la société NOUVELLE OMP a commis une faute d'une exceptionnelle gravité,
- Dire et juger que compte tenu de la durée de la relation commerciale liant la société J.A. TRANSPORTS à la société NOUVELLE OMP et du volume d'affaires, la société NOUVELLE OMP aurait dû respecter un préavis d'une durée d'un an,
- Condamner en conséquence la société NOUVELLE OMP à payer à la société J.A. TRANSPORTS la somme de 92 726,33 € à titre de dommages et intérêts, outre intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir et anatocisme par année entière, ce conformément à l'article 1343-2 du code civil,
- Condamner la société NOUVELLE OMP à payer à la société J.A. TRANSPORTS en cause d'appel la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la société NOUVELLE OMP aux entiers dépens d'instance distraits au profit de maître C., sur son affirmation de droit. »
Vu les dernières conclusions de la société OMP, intimée, déposées et notifiées le 27 septembre 2021 par lesquelles il est demandé à la Cour de :
Vu les articles 5, 7, 16, 463, 464 et 700 du Code de procédure civile,
Vu l'ancien article L. 442 -6 du Code de commerce,
- DEBOUTER la société J.A. TRANSPORTS de sa demande tendant au prononcé de la nullité du jugement rendu le 14 mai 2020 par le Tribunal de commerce de Lyon ;
- CONFIRMER en toutes ses dispositions le jugement rendu le 14 mai 2020 par le Tribunal de commerce de Lyon ;
- CONDAMNER la société J.A. TRANSPORTS à payer à la société NOUVELLE OMP la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- CONDAMNER la société J.A. TRANSPORTS aux entiers dépens d'instance.
La clôture a été prononcée par ordonnance du 25 janvier 2022.
SUR CE, LA COUR,
Sur la nullité du jugement
La société Transports demande la nullité du jugement déféré en faisant valoir que les juges de première instance ont évalué le montant des dommages et intérêts à allouer à la société Transports en se référant à des données statistiques du Comité National Routier qui n'ont pas été communiquées en première instance, que ce soit par la société Transports ou par la société OMP. Or, la société Transports soutient que cela constitue un manquement au débat contradictoire. De plus, la société Transports soutient que les juges disposaient de tous les éléments leur permettant d'apprécier le préjudice subi par la société Transports, étant donné que l'appelant précise avoir fourni les éléments nécessaires et précis.
La société Transports considère que la procédure prévue aux articles 463 et 464 du Code de procédure civile n'est pas applicable en l'espèce puisque le juge n'a pas jugé extra petita, mais sur des pièces non soumises aux débats contradictoires.
La société OMP réplique que les éléments présentés par la société Transports ont été soumis au débat contradictoire, que les attestations de l'expert-comptable de Transport ne tenaient pas compte des autres charges variables directes, que le tribunal était donc en droit de se référer aux données statistiques du Comité National Routier pour l'évaluation du préjudice.
Sur ce,
Il sera rappelé que lorsque la nullité alléguée concerne non pas la saisine du premier juge mais, comme en l'espèce, une défectuosité de la procédure suivie devant celui-ci, le juge d'appel, saisi de l'entier litige, est tenu de se prononcer sur le fond du droit, sans même devoir statuer préalablement sur le moyen tiré de l'irrégularité du jugement.
En l'espèce, il sera donc procédé directement à l'examen du fond du droit.
Sur la rupture brutale de la relation commerciale
Sur les textes applicables à la rupture litigieuse
L'appelante fonde sa demande en indemnisation pour rupture brutale sur les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce et sollicite en appel une augmentation du quantum de l'indemnisation équivalent à 12 mois de préavis manquant, alors que l'intimée invoque l'application du décret n° 2017-461 du 31 mars 2017 régissant le contrat type en matière de transports qui indique en son article 26 les délais de préavis à respecter avant de rompre une relation commerciale, fixant un plafond à 6 mois.
La société Transports conteste l'application dudit décret de 2017 en ce qu'il ne serait pas applicable à une relation nouée antérieurement à son entrée en vigueur, en vertu du principe de non rétroactivité de la loi.
Sur ce,
Le Décret n° 2017-461 du 31 mars 2017 relatif à l'annexe II à la partie 3 réglementaire du code des transports prévoit le contrat type applicable aux transports publics routiers de marchandises pour lesquels il n'existe pas de contrat type spécifique, et en son article 26-2° stipule :
« 26.2. Dans le cas de relations suivies à durée indéterminée, chacune des parties peut y mettre un terme par l'envoi d'une lettre recommandée avec avis de réception moyennant un préavis se calculant comme suit :
1 mois quand la durée de la relation est inférieure ou égale à 6 mois ;
2 mois quand la durée de la relation est supérieure à 6 mois et inférieure ou égale à 1 an ;
3 mois quand la durée de la relation est supérieure à un an et inférieure ou égale à 3 ans ;
4 mois quand la durée de la relation est supérieure à 3 ans, auxquels s'ajoute une semaine par année complète de relations commerciales, sans pouvoir excéder une durée maximale de 6 mois ».
L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
Mais cet article qui instaure une responsabilité de nature délictuelle, ne s'applique pas dans le cadre des relations commerciales de transports publics de marchandise, lorsque le contrat-type prévoit, comme en l'espèce, une durée de préavis de rupture.
Pour s'opposer à l'application au présent litige, la société Transports n'invoque que les règles de l'application dans le temps, or, le décret 2017-461 régissant le contrat type en matière de transport s'applique aux contrats en cours après son entrée en vigueur le 1er mai 2017, et serait donc applicable à la rupture entre les parties intervenue le 17 septembre 2019.
Les parties ne discutent pas le fait que leur relation doit être qualifiée de contrat de transport.
L'article 26 du contrat-type régi par le décret de 2017 prévoit de manière supplétive de volonté la durée de ce préavis, or, la Cour relève qu'en l'espèce, les parties n'ont pas prévu un délai contractuel de préavis.
Avant d'appliquer les délais de préavis prévus par le décret de 2017, il convient de vérifier si les parties entretenaient des relations suivies à durée indéterminée et si la rupture est bien imputable à l'intimée.
Sur l'existence de relations suivies à durée indéterminée
Il n'est pas discuté entre les parties le fait qu'elles ont entretenu des relations suivies à durée indéterminée de mars 2014 à septembre 2019, soit sur une durée totale de près de 5 années et demi.
Sur l'imputabilité de la rupture et le préavis manquant
Il n'est pas contesté, en l'espèce, que la société OMP a annulé la prestation vers l'Italie du 16 septembre 2019 par courriel du 13 septembre 2019, puis par courriel du 17 septembre 2019 a informé qu'elle avait changé de prestataire pour ce transport régulier vers l'Italie et qu'elle ne demanderait plus pour l'avenir à la société Transports d'effectuer cette prestation. Il n'est pas non plus contesté que les transports vers des destinations autres que l'Italie effectués par la société Transports à la demande de la société OMP avaient un caractère ponctuel. Il n'est, en tout état de cause, pas contesté que plus aucune autre prestation après septembre 2019 n'a été commandée par la société OMP à la société Transports.
C'est donc bien par courriel du 17 septembre 2019 que la société OMP a, sans préavis, mis un terme immédiat à ses relations suivies avec la société Transports, alors que le contrat type s'appliquant à la relation des parties prévoyait en son article 26-2 un préavis obligatoire de 1 à 6 mois selon la durée de la relation et qu'aucune faute envers son cocontractant n'est invoquée pour justifier cette rupture sans préavis.
Dès lors, il y a lieu de considérer qu'en ne respectant aucun préavis, la société OMP a rompu, de manière fautive, les relations suivies à durée indéterminée qu'elle entretenait avec la société Transports.
Sur l'évaluation du préjudice
L'appelante soutient que le préavis de 5,5 mois fixé par le tribunal est insuffisant, que du fait de la durée, de l'intensité de la relation et de son état de dépendance économique (62% de son chiffre d'affaires global en août 2019) à la date de la rupture, un préavis de 12 mois aurait été nécessaire pour lui permettre de se réorganiser.
Cependant, le délai de préavis doit être fixé conformément aux dispositions de l'article 26-2 du décret 2017-461 régissant le contrat type en matière de transport, tel que précité.
En l'espèce, s'agissant d'une relation suivie de 5 années complètes, le préavis qui aurait dû être accordé par la société OMP à son cocontractant avant de rompre devait être de 4 mois et 2 semaines.
Le préjudice subi par la société Transports du fait de la rupture fautive de la part de la société OMP équivaut au gain manqué pendant la période du préavis qui aurait dû être respecté. Ce gain manqué correspond à la perte de marge sur coûts variables pendant 4 mois et demi subie par l'appelante.
Cette dernière verse aux débats une attestation de son expert comptable en pièce n° 9 sur laquelle ont été déduits seulement les coûts de péage et carburant pour calculer la marge sur coûts variables.
Or, les premiers juges ont, à bon escient, relevé que doivent être retenus dans le domaine des transports non seulement le carburant et le péage, mais également les salaires chargés des chauffeurs ainsi que les frais de maintenance et réparation des véhicules. Les premiers juges ont évalué à bon droit sur la base des coûts totaux d'exploitation de la société Transports sur les trois derniers exercices avant la rupture au vu des pièces comptables versées au dossier (bilans en pièces 10 à 12 de l'appelante), un taux de marge sur coûts variables moyen de 30,6%.
Il convient donc d'appliquer ce taux de marge sur le chiffre d'affaires moyen annuel des trois derniers exercices complets de la société Transports tirés de sa relation avec la société OMP, tels qu'indiqués par l'appelante et non contestés utilement par l'intimée, soit :
-107 171 € HT au titre de l'exercice 2015
-113 434 € HT au titre de l'exercice 2016
-127 250 € HT au titre de l'exercice 2017.
Il en ressort un chiffre d'affaires moyen annuel de 115 951 euros et une moyenne mensuelle de 9662,6 euros, soit une marge perdue à la somme arrondie de 13 305 euros (30,6 % de 4,5 mois x 9662,6).
Dès lors, la société OMP sera condamnée à payer à la société Transports la somme de 13 305 euros euros à titre d'indemnité en réparation de la rupture sans préavis de la relation et le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société OMP aux dépens de première instance et à payer à la société Transports la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Transports, succombant pour l'essentiel en appel dans sa demande en augmentation du quantum d'indemnisation, sera condamnée aux dépens d'appel.
En application de l'article 700 du code de procédure civile en appel, la société Transports sera déboutée de sa demande et condamnée à payer à la société OMP la somme de 2 000 euros.
PAR CES MOTIFS
INFIRME le jugement, sauf sur les frais et dépens,
Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
CONDAMNE la SOCIÉTÉ NOUVELLE OMP à payer à la société J.A.TRANSPORTS la somme de 13 305 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture sans préavis des relations suivies,
CONDAMNE la société J.A.TRANSPORTS aux dépens d'appel,
CONDAMNE la société J.A.TRANSPORTS à payer à la SOCIÉTÉ NOUVELLE OMP la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE toute autre demande.