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Décisions

CA Papeete, premier président, 6 avril 2022, n° 21/00004

PAPEETE

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

JL Polynésie (Sté)

Défendeur :

Autorité polynésienne de la concurrence, Ministère public

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Polle

Avocats :

Me Jalabert-Doury, Me Dubau

TI Papeete, JLD, du 6 mai 2019

6 mai 2019

Exposé du litige:

Saisi par requête du rapporteur général de l’Autorité Polynésienne de la Concurrence, en date du 2 mai 2019, le Juge des Libertés et de la Détention au Tribunal de première instance de Papeete a, suivant ordonnance du 6 mai 2019, autorisé cette dernière à faire procéder et à procéder aux visites et saisies prévues par les dispositions de l’article 5 de l’ordonnance n°2017-157 du 9 février 2017, afin de rechercher la preuve des agissements qui entrent dans le champ des pratiques prohibées par l’article LP 200-1 du code de la concurrence de Polynésie française, relevés dans le secteur des travaux routiers de bitumage, dans les locaux des entreprises (personnes morales de droit privé ou public, associations, syndicats, organismes professionnels divers, domiciles de personnes physiques) suivantes:

- Bernard Travaux Polynésie,

- Enrobage-Concassage et Infrastructure,

- Interoute,

- Poly-Goudronnage,

- J.L. Polynésie,

- Bitupac.

Suivant déclaration enregistrée au greffe du Juge des libertés et de la détention le 29 mai 2019, la Société JL POLYNESIE a interjeté appel de ladite ordonnance.

Par arrêt en date du 16 juin 2021, la chambre criminelle de la Cour de cassation a:

- cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l’ordonnance du Premier Président du 4 décembre 2019, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi;

- renvoyé la cause et les parties devant la juridiction du Premier Président de la cour d’appel de Papeete, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil

- dit n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale;

- ordonné l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe du Premier Président et sa mention en marge ou à la suite de l’ordonnance annulée.

Aux termes de ses conclusions d’appel La Société JL POLYNÉSIE demande:

- de DEBOUTER la Rapporteure Générale de l’Autorité polynésienne de la concurrence de ses moyens aux fins de faire déclarer nulles et irrecevables la déclaration d’appel et les conclusions de la Société JL POLYNESIE et, en conséquence, de JUGER que celles-ci sont régulières et recevables;

- de CONSTATER que les droits de la défense de la société JLP ont été violés et, en conséquence, d’ANNULER l’ordonnance du Juge des libertés et de la détention de Papeete du 6 mai 2019, dès lors qu’elle a été adoptée en violation du principe du contradictoire et sur la base d’éléments irrégulièrement détenus, et que les éléments régulièrement présentés sont insusceptibles de justifier des visites et saisies

- d’ANNULER l’ordonnance du Juge des libertés et de la détention de Papeete du 6 mai 2019, en ce qu’elle ne satisfait pas à l’exigence de présomptions suffisantes justifiant des visites et saisies, et de JUGER que la Requête de la Rapporteure Générale de l’Autorité polynésienne de concurrence était infondée pour le même motif:

- d’ANNULER l’ordonnance du Juge des libertés en ce qu’elle ne satisfait pas à l’exigence de délimitation stricte du champ des visites et de JUGER que la Requête de la Rapporteure Générale de l’Autorité polynésienne de concurrence était infondée pour le même motif.

A TITRE SUBSIDIAIRE

- de JUGER, en tout état de cause, que le champ des opérations de visite et saisies n’a pas été défini à suffisance de précision, en l’absence de tout indice concernant les marchés privés de travaux, le marché amont de la production des enrobés, les autres îles de la Polynésie française, les travaux relatifs aux aéroports et/ou aux parkings, les métiers du blancs et d’autres présomptions que celles d’échanges d’information dans le cadre de deux marchés publics (les marchés de travaux routiers concernant les routes de Moorea de 2015 et des routes de Tahiti 2016);

- d’ANNULER l’autorisation délivrée de procéder à des visites et saisies au-delà du champ de ces deux présomptions d’échanges d’information dans le cadre des deux marchés de travaux routiers concernant les routes de Moorea de 2015 et des routes de Tahiti 2016;

EN CONSEQUENCE

- de DÉCLARER la nullité du procès-verbal de visite et saisie du 21 mai 2019;

- d’INTERDIRE toute utilisation subséquente du procès-verbal de visite et saisie du 21 mai 2019 et des pièces irrégulièrement saisies;

- d’ORDONNER la restitution à la Société JL POLYNESIE de l’original et toutes copies éventuelles de l’intégralité des pièces saisies sous scellés n° I à IV annexés au procès-verbal du 21 mai 2019.

EN TOUT ETAT DE CAUSE

- de REJETER la demande de la Rapporteure générale de l’Autorité polynésienne de la concurrence de condamner la Société JL POLYNESIE au paiement des entiers dépens.

- de CONDAMNER l’Autorité polynésienne de la concurrence au paiement des entiers dépens.

La société JLP se concentre après renvoi sur les moyens suivants:

- la déclaration d’appel de JLP a été valablement formée et enregistrée par le greffe et n’encourt ni nullité, ni irrecevabilité;

- Les droits de la défense de JLP ont été irrémédiablement compromis dès lors que le Juge des libertés s’est appuyé sur des pièces qui ont été soustraites du débat contradictoire et n’ont pas été obtenues de manière licite;

- Les éléments annexés à la Requête du Service d’instruction ne permettaient de fonder aucune présomption de nature à justifier des opérations de visites ait saisies

- le champ de l’enquête a été défini par le premier juge de manière excessivement large et totalement déconnectée des prétendus indices, ce qui a permis aux enquêteurs de conduire une véritable « fishing expedition », en violation de leurs obligations élémentaires en la matière et des droits fondamentaux de JLP.

Le rapporteur de l’Autorité polynésienne de la concurrence demande à la juridiction de:

A titre principal,

- Confirmer l’ordonnance d’autorisation rendue le 6 mai 2019 par le JLD du TPI de Papeete;

- Rejeter toute demande de la société J.L. Polynésie;

En tout état de cause,

- Condamner la société J.L. Polynésie aux entiers dépens;

- Condamner la société J.L. Polynésie au paiement de la somme de 250 000 F CFP en application des dispositions de l’article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française.

Le procureur général a conclu qu’il plaise à la cour:

A titre principal,

- Confirmer l’ordonnance d’autorisation rendue le 6 mai 2019 par le JLD du TPI de Papeete;

- Rejeter toute demande de la société J.L. Polynésie;;

En tout état de cause,

- Condamner la société J.L. Polynésie aux entiers dépens;

- Condamner la société J.L. Polynésie au paiement de la somme de 250 000 F CFP en application des dispositions de l’article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française.

Il est renvoyé à ces écritures pour plus ample exposé des moyens des parties.

MOTIFS DE LA DÉCISION:

Il est soutenu que le président de I’APC se serait personnellement investi dans l’enquête du service d’instruction en violation du principe de séparation des pouvoirs entre les fonctions d’instructions et de décision.

Il est invoqué que le président de I’APC a lui-même appuyé une demande de communication de pièces directement en lien avec les présomptions visées dans l’ordonnance relatives au marché public du bitumage.

Toutefois, il n’est pas allégué de faits précis caractérisant la partialité du service instruction de I’APC à l’endroit de la Société JL POLYNESIE dans les actes de la procédure objet du présent recours qui seraient de nature à vicier l’ordonnance du juge des libertés et de la détention.

Il n’est pas plus démontré que le courrier précité ait concouru à l’obtention de pièces de manière illicite.

Sur la demande tendant à constater que les droits de la défense de la société JLP ont été violés et, en conséquence, annuler l’ordonnance du Juge des libertés et de la détention de Papeete du 6 mai 2019, dès lors qu’elle a été adoptée en violation du principe du contradictoire et sur la base d’éléments irrégulièrement détenus, et que les éléments régulièrement présentés sont insusceptibles de justifier des visites et saisies:

Il convient de constater que l’annulation poursuivie suppose démontrée, outre la violation du principe du contradictoire résultant de l’occultation de certaines pièces, l’absence d’indices de pratiques anticoncurrentielles résultant des pièces régulièrement produites et soumises au débat contradictoire entre les parties.

Il est relevé par le juge des libertés et de la détention qu’une analyse des prix unitaires proposés par le groupement BTP/PLG/JLPOLYNESIE et la société lnteroute a été menée par le service d’instruction de l’Autorité polynésienne de la concurrence, sur la base des détails estimatifs joints au règlement particulier d’appel d’offres dûment complétés paraphés et signés par les candidats:

- que pour les travaux du marché de 2016 concernant les routes de Tahiti les prix unitaires proposés par le groupement BTP/PLG/JLP (annexe 28 de la requête) en 2016 sont en grande partie (72 % des cas) identiques à ceux proposés par le groupement BTP/PLG/JLP Interoute (annexe 29 de la requête) en 2013:

- les prix proposés par Interoute (annexe 30) sont en majorité (71 % des cas) supérieurs de 3 % aux prix unitaires proposés par le groupement en 2013, soit également supérieurs de 3 % aux prix unitaires proposés par le groupement en 2016;

- que le marché des routes de Tahiti 2016 comporte un nouveau bloc de «travaux génie civil» (partie - 4) qui n’avait pas été mis en concurrence dans le marché précédent; que sur cette nouvelle partie pour laquelle les membres du groupement de 2013 ne disposaient pas a priori d’informations communes les prix unitaires formulés par INTEROUTE sont également, dans une grande majorité des cas (83 %) supérieurs de 3 % à la proposition de prix unitaires du groupement BTP/PLG/JLP;

La Société JL POLYNÈSIE fait valoir que le tableau comparatif des offres préparé par le Service d’instruction (Annexe 27 de la Requête, pièce n°2) montre cependant clairement que sa thèse n’est pas vérifiée. En effet, elle relève que de très nombreux prix d’lnteroute sont soit supérieurs de plus de 3 %, soit inférieurs (parfois très significativement) aux prix proposés par le groupement, ce qui infirme selon elle manifestement la thèse de la concertation : elle soutient que sur la base du tableau produit, il y a tout lieu de penser qu’lnteroute a élaboré son offre sur la base d’études et non en appliquant mécaniquement un coefficient de 3 % sur les prix du groupement concurrent, dont rien n’indique non plus qu’elle y aurait eu accès.

La Société JL POLYNÉSIE invoque par ailleurs que BTP (mandataire du groupement sur le marché des routes de Tahiti) et Interoute ont remporté en groupement le marché des travaux de revêtement de chaussées de Moorea, attribué peu avant celui des routes de Tahiti, et avaient donc nécessairement élaboré ensemble peu auparavant des propositions sur la base des références communes.

La Société JL POLYNÉS1E soutient que cette corrélation ne serait pas probante d’une offre de couverture car les trois offres sont extrêmement proches : l’adjudicataire (le groupement BTP/lnteroute) a selon elle remporté le marché à 703990 000 Fcp, suivie par l’offre de JL Polynésie a 722358094 (donc un écart avec l’adjudicataire de seulement 2,6 %) et l’offre de Polygoudronnage à 733471 644 (donc un écart avec l’adjudicataire de seulement 4, 1 %), et que si un certain nombre de lignes sont identiques entre les deux soumissionnaires écartés, elles sont aussi et très souvent identiques avec le groupement qui a remporté le marché.

Il est dès lors soutenu par la Société JL POLYNÉSIE que ce qui est en cause ici est l’utilisation du bordereau de prix du marché précédent (Routes de Moorea 2015) que chacun a ensuite modifié à la hausse ou à la baisse selon les postes pour avoir les meilleures chances de l’emporter tout en assurant sa rentabilité.

Il n’en demeure pas moins que la corrélation de 3% avec de nombreuses rubriques de la proposition du groupement BTP/PLG/JLP n’est pas contestable et constitue en soi un indice suffisant d’un échange préalable au dépôt des offres, n’appartenant pas au juge de rechercher à ce stade si cet indice constitue la preuve suffisante d’une pratique anticoncurrentielle, ni à se prononcer sur l’explication de la société JL POLYNESIE tirée d’une possible référence au bordereau de prix d’un marché précédent.

Le service de l’instruction de l’autorité invoque un indice résultant d’erreurs techniques identiques figurant dans les offres du groupement BTPIPLG/JLP et l’entreprise INTEROUTE:

- les deux offres proposent des liants hydrocarbonés non conformes aux attentes, erreur mentionnée par l’administration lors de l’analyse des appels d’offre, de même que l’omission de transmettre la même fiche technique relative aux panneaux de signalisation.

Sur ce point, la Société JL POLYNÉSIE invoque que le rapport d’ouverture des plis serait inexploitable du fait des occultations opérées et doit être écarté.

Il convient toutefois de relever que les occultations ne concernent pas les points:

1) liants hydrocarbonés et 9) panneaux de signalisation qui en sont indemnes, page 5 du rapport de présentation faisant l’objet de l’annexe 18, et ont donc été soumis à la contradiction, en sorte que le juge peut en tirer des éléments de détermination.

Cet élément constitue un indice suffisant d’échange préalable au dépôt des offres.

II convient de retenir en outre un indice tiré de la répartition géographique entre les quatre acteurs historiques du secteur résultant de la liste des avis d’attribution des marchés publics des travaux routiers de bitumage de 2015 à 2018 dont il résulte que les travaux routiers de Bora-Bora sont toujours réalisés par la société J.L. Polynésie, des Tuamotu sont toujours réalisés par la société BTP, seule ou en groupement, de Raiatea et Huahine réalisés par la société Poly-Goudronnage.

Il n’y a en revanche pas lieu de retenir les éléments figurant dans l’annexe 39 concernant le marché des routes de Moorea lancé en 2015 compte tenu des occultations sur cette pièce des prix unitaires proposés par les entreprises PLG et JLP, pièce qui doit en conséquence être écartée des débats, sans régularisation possible.

Il convient de constater néanmoins que les autres indices discutés plus haut concernant le marché de 2016 et la répartition géographique ont bien été soumis à la contradiction des parties.

Il n’y a pas lieu en conséquence à annulation de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention pour violation des droits de la défense. Et c’est en conséquence de manière fondée que le juge des libertés et de la détention a estimé que pour les travaux du marché de 2016 concernant les routes de Tahiti la corrélation de 3 % avec de nombreuses rubriques de la proposition du groupement BTP/PLG/JLP et le fait que les erreurs techniques identiques apparaissent dans les propositions des candidats constituent des indices suffisamment sérieux pour permettre de suspecter l’existence de pratiques anticoncurrentielles.

Sur la demande d’annuler l’ordonnance du Juge des libertés en ce qu’elle ne satisfait pas à l’exigence de délimitation stricte du champ des visites:

L’ordonnance entreprise autorise le rapporteur général de l’Autorité polynésienne de la concurrence à faire procéder et à procéder aux visites et aux saisies prévues par les dispositions de l’article 5 de l’ordonnance n° 2017-157 afin de rechercher la preuve des agissements qui entrent dans le champ des pratiques prohibées par l’article LP 200-1 du code de la concurrence de la Polynésie française, relevés dans le secteur des travaux routiers de bitumage en Polynésie française. ainsi que toute manifestation de ces comportements prohibés, dans les locaux des entreprises (personnes morales de droit privé ou public, associations, syndicats, organismes professionnels divers, domiciles de personnes physiques).

La Société JL POLYNÉSIE soutient que le champ des opérations de visite et de saisie n’étant pas suffisamment délimité l’ordonnance encourt l’annulation sur ce fondement.

En l’espèce, la demande est relative aux pratiques susceptibles d’être relevées dans le secteur des travaux routiers de bitumage en Polynésie française.

Au vu des indices de pratiques prohibées retenus, et notamment l’indice de répartition géographique il existe des motifs de suspecter que des agissements répréhensibles au titre des ententes prohibées sont susceptibles d’avoir été commis dans ce secteur d’activité dans divers lieux de la Polynésie française.

Il n’y avait par ailleurs pas lieu de restreindre le champ de l’autorisation aux seuls marchés directement concernés par les présomptions retenues.

En effet ces présomptions constituent des illustrations non exhaustives de la pratique prohibée dont la preuve peut être plus largement recherchée dans d’autres marchés relevant du secteur des travaux routiers de bitumage.

Le dispositif de l’ordonnance en ce qu’il est délimité au secteur d’activité concerné par la mesure, les travaux routiers de bitumage, aux sociétés concernées par les mesures autorisées identifiées par l’ordonnance, et le secteur géographique de la Polynésie française, ne constitue dès lors pas une autorisation générale et disproportionnée.

Il n’y a pas lieu à annulation de ce chef.

L’ordonnance entreprise sera confirmée en toute ses dispositions.

L’équité ne commande pas de faire application de l’article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement et contradictoirement;

Disons n’y avoir lieu à annulation de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention du 6 mai 2019;

Confirmons l’ordonnance d’autorisation rendue le 6 mai 2019 par le juge des libertés et de la détention;

Déboutons le rapporteur de l’Autorité polynésienne de la concurrence de sa demande fondée sur l’article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française;

Condamnons la Société JL POLYNÉSIE aux dépens.