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Décisions

Cass. crim., 20 juillet 2011, n° 10-87.348

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Louvel

Rapporteur :

M. Finidori

Avocat général :

M. Berkani

Avocat :

SCP Gatineau et Fattaccini

Rennes, du 23 sept. 2010

23 septembre 2010

Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. Roland X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de RENNES, 3e chambre, en date du 23 septembre 2010, qui, pour prêt illicite de main-d'oeuvre, l'a condamné à 1 500 euros d'amende ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 121-1 du code pénal, L. 1224-1, L. 8241-1, L. 8243-1 du code du travail, 459, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable de prêt illicite de main-d'oeuvre ;

" aux motifs que s'il peut être admis, comme le soutient M. X..., que la durée et la fin d'une délégation de pouvoirs ne coïncident pas avec celles d'un contrat de travail, il n'en reste pas moins que le transfert du contrat de travail qui lie le salarié à un nouvel employeur en application de l'article 122-12 du code du travail, ne modifie en rien les droits et obligations de ce dernier vis-à-vis de son nouvel employeur ; qu'il s'en déduit que les obligations de M. X... à l'égard de son employeur et résultant de sa délégation de pouvoirs ont perduré dès lors qu'il a gardé la même position hiérarchique au sein de la société, le nouveau président-directeur général, M. Y... étant son supérieur hiérarchique direct comme était le PDG de la société Honoré M. Z..., et que l'établissement de Brest se trouvait sous sa responsabilité dans la première comme dans la deuxième entité ; qu'il convient donc de confirmer, mais pour d'autres motifs, le jugement qui a retenu la responsabilité pénale de M. X..., tant sur sa culpabilité que sur la peine qui tient exactement compte de la gravité des faits et de la personnalité de son auteur ;

" 1) alors que le titulaire d'une délégation de pouvoir ne peut voir sa responsabilité pénale engagée du chef de prêt illicite de main d'oeuvre qu'à la condition que la délégation de pouvoirs qui lui a été consentie ne soit pas devenue caduque au moment des faits reprochés ; qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que la délégation de pouvoirs invoquée par les parties poursuivantes avait été consentie à M. X... par le président-directeur général de la société des Etablissements Honoré Lorient, antérieurement à sa dissolution et à sa radiation du registre du commerce et des sociétés, suite à l'opération de fusion-absorption intervenue le 1er juillet 2002 au profit de la société JCO ; qu'en l'espèce, après avoir expressément admis que la durée et la fin d'une délégation de pouvoir ne coïncidaient pas avec celles d'un contrat de travail, la cour d'appel a néanmoins considéré que les obligations de M. X... résultant de sa délégation de pouvoir avaient perduré en raison du transfert de son contrat de travail en application de l'article L. 122-12 du code du travail (devenu L. 1224-1), alors même qu'il résultait des propres termes de la délégation de pouvoir, non incluse au contrat de travail, que « les présents pouvoirs ne sont valables que pour la durée de votre responsabilité au sein de la société des Etablissements Honoré Lorient » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a non seulement dénaturé les termes de la délégation de pouvoirs mais s'est de surcroît abstenue de tirer les conséquences légales de ses propres constatations en violation des textes visés au moyen ;

" 2) alors que la délégation de pouvoirs consentie à un salarié antérieurement à une opération de fusion-absorption par l'ancien président-directeur général de la société absorbée est nécessairement remise en cause lorsque le transfert d'entreprise a non seulement eu pour conséquence de faire disparaître la société dont le président était le délégant mais encore d'étendre le périmètre d'intervention du salarié délégataire ; que, dès lors qu'il n'était pas contesté, d'une part, que le nouveau président-directeur général de la société absorbante n'avait pas établi de nouvelle délégation, et, d'autre part, que les conditions de travail de M. X... avaient été profondément modifiées à compter du 1er juillet 2002, notamment en ce qui concerne ses domaines d'activité et son périmètre géographique, la cour d'appel ne pouvait se borner à relever que M. X... avait gardé la même position hiérarchique au sein de la société, sans s'expliquer ni sur le changement intervenu au niveau du délégant, ni sur l'extension du périmètre d'intervention du salarié délégataire ; qu'en se déterminant ainsi, sans davantage s'expliquer sur les conditions et effets de la délégation de pouvoirs invoquée, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

" 3) alors que les juges du fond sont tenus de répondre aux chefs péremptoires des conclusions dont ils sont régulièrement saisis ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions régulièrement déposées, M. X... faisait valoir que la caducité de la délégation de pouvoirs consentie par l'ancienne direction était mise en évidence par le fait que non seulement le marché de la piscine de Recouvrance comme la commande de travaux de sous-traitance visés par les poursuites, avaient été négociés, conclus et signés par M. A..., chargé d'affaires de la société JCO, mais encore que le contrat de sous-traitance entre la société JCO et la société KFB avait également été signé par M. A... ; qu'en s'abstenant de toute réponse à ce chef péremptoire des conclusions du prévenu de nature à démontrer qu'au moment des faits, il n'était, à l'évidence, plus titulaire d'une délégation de pouvoirs, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes visés au moyen ;

" 4) alors que nul n'est responsable pénalement que de son propre fait ; qu'en retenant la culpabilité de M. X... du chef de prêt illicite de main-d'oeuvre s'agissant de l'emploi de salariés polonais de l'entreprise KFB pour l'exécution de travaux sur le chantier de la piscine de Recouvrance sur le seul et unique fondement d'une délégation de pouvoirs devenue caduque, sans qu'aucun élément de l'arrêt attaqué ne permette d'établir une quelconque participation directe et personnelle de M. X... aux faits reprochés, la cour d'appel a méconnu le principe fondamental de la responsabilité personnelle et privé sa décision de toute base légale " ;

Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction de motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, pour dire M. X..., salarié de la société des Etablissements Honoré Lorient, devenue par fusion-absorption la société Johnson controls ouest, et responsable de l'établissement de Brest, coupable de prêt illicite de main-d'oeuvre, sur le fondement d'une délégation de pouvoirs qui lui avait été consentie par le dirigeant de la société absorbée, l'arrêt attaqué retient que le transfert du contrat de travail, qui lie le salarié à un nouvel employeur, en application de l'article L. 122-12 devenu L. 1224-1 du code du travail, ne modifie pas les droits et obligations de ce dernier vis à vis de son nouvel employeur ; que les juges en déduisent que les obligations du prévenu à l'égard de son employeur et résultant de sa délégation de pouvoirs ont perduré dès lors qu'il a gardé la même position hiérarchique au sein de la société, le nouveau président étant son supérieur hiérarchique direct comme l'était le président de la société absorbée, et que l'établissement de Brest se trouvait sous sa responsabilité dans la première comme dans la deuxième entité ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si la fusion-absorption invoquée, qui avait donné lieu à la création d'une société distincte de la précédente et à un changement de dirigeant social, n'avait pas eu pour effet d'entraîner la caducité de la délégation de pouvoirs accordée pour la durée de la responsabilité de M. X... au sein de la société absorbée, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes, en date du 23 septembre 2010, en ses seules dispositions concernant M. X..., toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Caen, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.