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Décisions

CA Angers, ch. com. A, 25 janvier 2022, n° 20/00699

ANGERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Banque CIC Est (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Conseillers :

Mme Robveille, M. Benmimoune

Avocats :

Me Guillou, Me Paulus

TJ Saumur, du 14 mai 2020

14 mai 2020

FAITS ET PROCÉDURE

Suivant acte notarié du 24 avril 2013, la société Banque CIC Est a consenti à M. G... J..., avec l'accord de son épouse Mme C... D..., commune en biens, un prêt 'investissement agricole' n° 30087 33758 00020461502 d'un montant de 460 000 euros, au taux de 4,05%, remboursable en 15 annuités de 41 517,68 euros chacune.

Le 14 mars 2019, la Banque CIC Est a fait procéder, entre les mains de la société INK BANK, à une saisie attribution à l'encontre de M. G... J... et de Mme J..., sur le fondement de l'acte notarié de prêt du 24 avril 2013.

Le procès-verbal de saisie a été dénoncé à M. J... et à Mme D... épouse J... le 15 mars 2019.

Par jugements du 11 avril 2019, le tribunal de grande instance de Saumur, statuant en matière de procédures collectives, a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de M. G... J..., exploitant agricole à titre individuel et à l'égard de Mme C... D... épouse J..., masseur kinésithérapeute.

Par acte d'huissier en date du 15 avril 2019, M. et Mme J... ont saisi le juge de l'exécution près le tribunal d'instance de Saumur, aux fins de voir prononcer la nullité de la saisie attribution ainsi pratiquée et voir en conséquence ordonner sa mainlevée.

Par jugement du 3 juillet 2019, le juge de l'exécution près le tribunal d'instance de Saumur s'est déclaré matériellement incompétent au profit du tribunal de grande instance de Saumur pour connaître de la demande présentée par M. G... J... et Mme C... D... épouse J... tendant à voir prononcer, sur le fondement de l'article L 632-2 alinéa 2 du code de commerce, la nullité de la saisie attribution pratiquée par la SA Banque CIC Est et a dit qu'à défaut d'appel dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement, le dossier sera transmis parle greffe du tribunal d'instance de Saumur au tribunal de grande instance de Saumur, conformément à l'article 82 du code de procédure civile.

Par jugement du 14 mai 2020 le tribunal judiciaire de Saumur, statuant en matière de procédures collectives, a :

- prononcé la nullité de la saisie attribution pratiquée le 14 mars 2019 par la banque entre les mains de la société ING BANK,

- ordonné la mainlevée de ladite saisie,

- condamné la Banque CIC Est à payer à Maître K... ès qualités une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la Banque CIC Est aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Par déclaration reçue au greffe le12 juin 2020, la Banque CIC Est a interjeté appel de du jugement rendu le 14 mai 2020, en ce qu'il a prononcé la nullité de la saisie attribution pratiquée le 14 mars 2019 par la banque entre les mains de la société ING BANK, ordonné la mainlevée de ladite saisie, condamné la Banque CIC Est à payer à Maître K... ès qualités une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et condamné la Banque CIC Est aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile ; intimant M. G... J..., Mme C... D... épouse J... et Maître A... K... en sa qualité de mandataire judiciaire de la procédure de redressement judiciaire de M. G... J... et de Mme C... D... épouse J....

La société Banque CIC Est a conclu.

M. G... J..., Mme C... D... épouse J... et Maître A... K... en sa qualité de mandataire judiciaire de la procédure de redressement judiciaire de M. G... J... et de Mme C... D... épouse J..., ont constitué avocat et ont conclu.

Une ordonnance du 10 mai 2021 a clôturé l'instruction de l'affaire.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens du Crédit du Nord, il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 954 du Code de procédure civile, aux dernières conclusions des parties déposées au greffe :

- le 6 mai 2021 pour la SA CIC Est,

- le 7 mai 2021 pour M. G... J..., Mme C... D... épouse J... et Me A... K... en sa qualité de mandataire judiciaire des procédures de redressements judiciaires de M. G... J... et de Mme D... épouse J...,

aux termes desquelles elles forment les demandes qui suivent :

La SA Banque CIC Est demande à la cour de :

- écarter des débats la pièce n°5 produite par les intimés,

- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Saumur -Procédures collectives- le 14 mai 2020 en toutes ses dispositions,

statuant à nouveau,

- constater l'irrecevabilité de Mme C... D... épouse J... et de M. G... J... à l'assigner sur le fondement des nullités de la période suspecte pour défaut de qualité à agir,

- déclarer les demandes de Mme C... D... épouse J... et de M. G... J... mal fondées,

- débouter Mme C... D... épouse J... et de M. G... J... de l'ensemble de leurs moyens, fins et conclusions,

- constater que le montant de la créance due à ce jour par M. G... J... au titre du remboursement du prêt retracé en compte n° 30087 33758 00020461502 est de 507 471,14 euros selon décompte arrêté au 18 juillet 2018, outre intérêts au taux contractuel majoré, les indemnités d'assurance continuant à courir jusqu'à parfait paiement et les frais de recouvrement,

- dire et juger que les conditions prescrites par l'article L 632-2 du code de commerce ne sont pas réunies,

- débouter les intimés de l'ensemble de leurs fins, moyens et prétentions,

- condamner solidairement Mme C... D... épouse J... et de M. G... J... à lui payer une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement les mêmes aux dépens.

La Banque CIC Est soutient que le jugement d'incompétence du juge de l'exécution près le tribunal d'instance de Saumur du 3 juillet 2019 est nul pour avoir été rendu sans que les organes de la procédure collective de M. J... et de Mme D... aient été mis dans la cause et en déduit que le tribunal judiciaire de Saumur n'étant pas valablement saisi de l'affaire, le jugement rendu le 14 mai 2020 par ce tribunal est frappé de nullité.

Elle soutient également que le juge d'exécution près le tribunal d'instance de Saumur aurait dû renvoyer l'affaire devant la chambre des procédures collectives du tribunal de grande instance et non devant le tribunal de grande instance de Saumur sans autre précision et en déduit qu'à défaut de saisine régulière, le jugement rendu le 14 mai 2020 par le tribunal judiciaire de Saumur est frappé de nullité.

Elle soutient encore que le jugement du 14 mai 2020 est nul en ce qu'il a été rendu par le tribunal judiciaire de Saumur-procédures collectives, alors qu'à la suite du jugement du juge de l'exécution près le tribunal d'instance de Saumur, l'affaire a été enrôlée devant la chambre civile du tribunal de grande instance du Mans et qu'à aucun moment les parties n'ont été avisées de ce que le dossier aurait été enrôlé devant le tribunal judiciaire dans sa formation procédures collectives.

Elle conclut en outre à l'irrecevabilité de M. J... et de Mme J... en leurs demandes, à défaut de qualité à agir, en faisant valoir qu'en application de l'article L 632-4 du code de commerce, seuls l'administrateur, le mandataire judiciaire, le commissaire à l'exécution du plan ou le ministère

public ont qualité à agir sur le fondement de l'article L 632-1 du code de commerce, en nullité d'une saisie attribution pratiquée pendant la période suspecte.

Au fond, elle soutient que M. G... J... est débiteur à son égard au titre du prêt notarié n° 30087 33758 00020461502 d'une somme de 507 471,14 euros selon décompte arrêté au 18 juillet 2018, outre intérêts au taux contractuel majoré, les indemnités d'assurance continuant à courir jusqu'à parfait paiement et les frais de recouvrement, en précisant que M. J... n'ayant pas honoré les échéances de son prêt, elle a, suivant lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 18 juillet 2018, informé les époux J... du prononcé de la déchéance du terme et les a mis en demeure par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 23 juillet 2018 de lui payer la somme de 623 443,26 euros dont 507 471,14 euros au titre du prêt immobilier n°30087 33758 00020461502.

Elle prétend qu'elle était fondée à faire pratiquer le 14 mars 2019 une saisie attribution sur le fondement de l'acte notarié constituant un titre exécutoire, pour le recouvrement de la dette de M. G... J... au titre du solde restant dû sur le prêt n°30087 33758 00020461502.

Elle rappelle que la nullité d'une saisie attribution effectuée au cours de la période suspecte n'est pas de droit mais relève des nullités facultatives et que, pour être prononcée, la preuve de ce qu'elle connaissait l'état de cessation des paiements du débiteur doit être rapportée.

Elle fait valoir que le tribunal judiciaire de Saumur a considéré qu'elle était informée de l'état de cessation des paiements de M. J... en se fondant principalement sur le rapport de M. M..., versé aux débats par les époux J..., en violation du caractère confidentiel de ce document tenant à la confidentialité de la procédure de règlement amiable agricole prévu par l'article L 351-7 du code rural et de la pêche.

Elle soutient que ce principe de confidentialité est absolu et qu'à défaut d'une communication à la demande du ministère public ou du tribunal lors de l'ouverture de la procédure collective, le rapport ne peut plus être communiqué.

Elle demande en conséquence à la cour d'écarter la pièce n°5 des débats, à savoir le rapport de M. M... qui avait été nommé en qualité de conciliateur dans la procédure de règlement amiable agricole de M. J... et dans la procédure de conciliation concernant Mme D... épouse J....

Elle soutient que la preuve de la connaissance de l'état de cessation des paiements de M. J... n'est pas rapportée par d'autres éléments et en déduit qu'elle est fondée à voir rejeter la demande de nullité de la saisie attribution pratiquée le 14 mars 2019.

M. G... J..., Mme C... D... épouse J... et Maître A... K... en sa
qualité de mandataire judiciaire des procédures de redressements judiciaires de M. Olivier
Vigneron et de Mme D... épouse J... demandent à la cour de :

- dire que le CIC Est est irrecevable et mal fondé en son appel et en ses demandes et au contraire Maître K... ès qualités recevable et fondé en ses demandes,

en conséquence,

- dire irrecevable et en tout cas mal fondée la demande de rejet des débats de la pièce n°5 formulée pour la première fois par conclusions du 6 mai 2021 et la rejeter,

- confirmer le jugement critiqué en toutes ses dispositions,

- débouter le CIC Est de l'intégralité de ses prétentions,

- condamner le CIC Est à payer à Maître K... ès qualités une somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner le CIC Est aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

En réponse au moyen tiré de l'irrecevabilité de la demande de nullité de la saisie attribution introduite par les époux J..., les intimés font valoir que Maître K..., en sa qualité de mandataire judiciaire de M. J... et de Mme J..., est intervenu volontairement à la procédure et a repris les demandes, de sorte que la situation a été régularisée avant que la juridiction statue sur le fond, précisant que le jugement d'incompétence n'a pas mis fin à l'instance qui s'est poursuivie devant le tribunal judiciaire de Saumur.

Ils font valoir en outre que la nullité d'un jugement est régie par l'article 458 du code de procédure civile qui énumère les causes de nullité dont ne fait pas partie l'absence du mandataire judiciaire à la procédure et concluent que le jugement rendu par le juge de l'exécution près le tribunal d'instance de Saumur n'étant pas entaché de nullité, le jugement du 14 mai 2020, rendu après renvoi de la juridiction incompétente, n'est pas non plus entaché d'une cause de nullité.

Ils relèvent que la saisie attribution litigieuse a été pratiquée pendant la période suspecte qui a couru pour M. J... du 7 janvier 2019, date à laquelle son état de cessation des paiements a été arrêté, jusqu'au 11 avril 2019, date d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire à son égard et pour Mme J... du 4 octobre 2018, date à laquelle son état de cessation des paiements a été arrêté, jusqu'au 11 avril 2019, date de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire à son égard.

Ils soutiennent que la Banque CIC Est avait nécessairement connaissance à la date du 14 mars 2019, à laquelle la saisie litigieuse a été pratiquée, de l'état de cessation des paiements des époux J..., pour en être en partie à l'origine.

Ils affirment que l'échec de la procédure de règlement amiable, auquel la Banque CIC Est n'est selon eux pas étrangère, a rendu exigible l'ensemble du passif bancaire des époux J... dont le créancier principal n'est autre que l'appelante et conduit le tribunal de grande instance de Saumur à ouvrir des procédures de redressement judiciaire.

Ils soulignent que dans le cadre de la procédure de règlement amiable, la Banque CIC Est avait, notamment par la lecture des rapports adressés par le conciliateur, M. M..., une parfaite connaissance de l'étendue du passif exigible et de la masse active qui était pour l'essentiel indisponible.

Ils concluent à l'irrecevabilité de la demande de la Banque CIC Est tendant à voir écarter le rapport de M. M... versé aux débats par eux ( pièce 5 ) comme étant une demande nouvelle en cause d'appel prohibée par l'article 564 du code de procédure civile.

Subsidiairement, ils font valoir que l'évocation de la procédure de règlement amiable dans le cadre de la présente procédure a seulement pour objet de démontrer un fait, à savoir la connaissance de l'état de cessation des paiements par la banque, consécutive à l'échec du règlement amiable dans lequel elle a pu avoir connaissance de l'étendue de l'actif et du passif des débiteurs.

Ils soutiennent que la confidentialité de la procédure de règlement amiable ne saurait être opposée dans le cadre d'un débat entre parties au règlement amiable, devant la juridiction qui a ouvert cette procédure.

Ils soulignent que le tribunal de grande instance de Saumur évoque le rapport de M. M..., dans les jugements d'ouverture des procédures de redressement judiciaire de M. J..., de Mme J... et de L'EARL J..., sans que cela ait suscité la moindre réaction de la Banque CIC Est.

Ils concluent n'y avoir lieu à écarter le rapport de M. M... des débats.

Ils ajoutent que l'existence même de la procédure de règlement amiable à laquelle la Banque CIC Est a participé suffit à démontrer la connaissance par celle-ci de la situation des débiteurs.

Ils concluent que Maître K... ès qualités est fondé en sa demande de nullité de la saisie attribution pratiquée le 14 mars 2019, dénoncée le 15 mars 2019 et en sa demande consécutive de mainlevée.

MOTIFS

A titre liminaire :

Aux termes de l'article 542 du code de procédure civile, l'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel.

En outre, il est rappelé que, conformément à l'article 954 du code de procédure civile, la cour n'est tenue de répondre qu'aux prétentions formulées dans le dispositif des dernières écritures de chaque partie.

En l'espèce, il convient d'observer que toute la première partie des conclusions de la Banque CIC Est est consacrée à des développements relatifs à la prétendue nullité du jugement critiqué tirée de la prétendue saisine irrégulière du tribunal qui l'a rendu, en sollicitant pour conclure (page 9), que la cour constate la nullité du jugement du 14 mai 2020.

Toutefois, aux termes du dispositif de ses conclusions qui seul saisit la cour, la Banque CIC Est ne poursuit que l'infirmation du jugement critiqué et nullement son annulation, en sollicitant de la cour qu'elle constate l'irrecevabilité de Mme C... D... épouse J... et de M. G... J... à l'assigner sur le fondement des nullités de la période suspecte pour défaut de qualité à agir ou subsidiairement qu'elle déclare leurs demandes mal fondées et les en déboute.

Il n'y a dés lors pas lieu de répondre aux développements de la Banque CIC-Est sur la nullité du jugement critiqué tirée de la prétendue saisine irrégulière du tribunal qui l'a rendu.

En outre, pour conclure à la nullité du jugement frappé d'appel rendu le 14 mai 2020 à raison de l'irrégularité de la saisine de la juridiction qui l'a rendu, la Banque CIC Est soutient que cette irrégularité résulterait en premier lieu de la nullité du jugement rendu le 3 juillet 2019 par le juge de l'exécution près le tribunal d'instance de Saumur qui s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Saumur pour connaître de la demande présentée par M. G... J... et Mme C... D... épouse J... tendant à voir prononcer, sur le fondement de l'article L 632-2 alinéa 2 du code de commerce, la nullité de la saisie attribution pratiquée par la SA Banque CIC, aux motifs que les organes de la procédure collective des époux J... n'auraient pas été préalablement mis dans la cause et que le juge de l'exécution aurait omis la précision du renvoi devant la chambre des procédures collectives du tribunal de grande instance de Saumur.

Cependant, la cour d'appel n'est pas saisie de l'appel du jugement rendu le 3 juillet 2019 par le juge de l'exécution près le tribunal d'instance de Saumur, mais d'un appel du jugement rendu le 14 mai 2020 par le tribunal judiciaire de Saumur, statuant en matière de procédures collectives.

Il n'appartient pas à la cour, à l'occasion de l'appel du jugement rendu le 14 mai 2020, de se prononcer sur la nullité du jugement rendu le 3 juillet 2019, alors que la seule voie d'annulation de ce jugement était celle d'un recours contre cette décision, qui n'a pas été exercé.

Dans ces conditions, la saisine de la juridiction qui a rendu le jugement du 14 mai 2020 consécutive à la décision d'incompétence du 3 juillet 2019 ne saurait être considérée comme irrégulière et le jugement n'encourt pas la nullité de ce chef.

La Banque CIC Est soutient encore que le jugement du 14 mai 2020 est entaché de nullité en ce qu'il a été rendu par le tribunal judiciaire de Saumur statuant en matière de procédures collectives, alors qu'à la suite du jugement d'incompétence du juge de l'exécution près le tribunal d'instance de Saumur, l'affaire aurait été enrôlée devant la chambre civile du tribunal de grande instance du Mans et qu'à aucun moment les parties n'auraient été avisées de ce que le dossier aurait été enrôlé devant le tribunal judiciaire dans sa formation pour les procédures collectives.

Ce moyen, tiré de la prétendue nullité du jugement de première instance pour un motif qui n'est pas tiré d'une irrégularité de l'acte introductif d'instance, est dépourvu d'intérêt puisque la cour d'appel se trouve, par l'effet dévolutif de l'appel, saisie du litige en son entier et devait statuer sur le fond par application de l'article 562 du code de procédure civile, même si elle annulait le jugement du 14 mai 2020.

Sur l'irrecevabilité de la demande présentée par M. G... J... et Mme C... Protin
épouse J... tendant à voir prononcer, sur le fondement de l'article L 632-2 alinéa 2 du
code de commerce, la nullité de la saisie attribution pratiquée par la SA Banque CIC Est

En application de l'article L 632-4 du code de commerce, seuls l'administrateur, le mandataire judiciaire, le commissaire à l'exécution du plan ou le ministère public ont qualité à agir en nullité d'une saisie attribution pratiquée pendant la période suspecte.

En l'espèce, à l'origine, la demande de nullité de la saisie attribution pratiquée par la SA Banque CIC Est a été formée par M. G... J... et par Mme C... D... épouse J... aux termes d'une assignation délivrée, à leur requête, le 15 avril 2019, à la Banque CIC Est d'avoir à comparaître devant le juge de l'exécution près le tribunal d'instance de Saumur.

Le juge de l'exécution près le tribunal d'instance de Saumur a rendu le 3 juillet 2019 une décision aux termes de laquelle il s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Saumur, sans que le mandataire judiciaire aux procédures collectives de M. G... J... et de Mme C... D... épouse J..., désigné par jugements du 11 avril 2019 ouvrant des procédures de redressement judiciaire à l'égard des intéressés, ait été appelé à la procédure.

Cependant, Maître A... K... en sa qualité de mandataire judiciaire de M. G... J... et de Mme C... D... épouse J... est intervenu volontairement à l'instance qui s'est poursuivie devant le tribunal judiciaire de Saumur statuant en matière de procédures collectives, avant que le jugement critiqué soit rendu, en reprenant les demandes, de sorte que la procédure a été régularisée.

En appel, Maître A... K..., en sa qualité de mandataire judiciaire de M. G... J... et de Mme C... D... épouse J..., intimé par la Banque CIC-Est, a constitué avocat et conclu en sollicitant, ès qualités, la nullité de la saisie attribution pratiquée le 14 mars 2019 par l'appelante, tandis que les époux J... ne forment plus cette demande en leurs noms.

Ainsi, la cour étant saisie d'une demande de nullité de la saisie attribution pratiquée par la Banque CIC Est formée par le seul Maître A... K..., ès qualités, la demande tendant à voir constater l'irrecevabilité de Mme C... D... épouse J... et de M. G... J... à assigner la Banque CIC Est sur le fondement des nullités de la période suspecte pour défaut de qualité à agir, est sans objet .

Sur la demande de nullité de la saisie attribution pratiquée le 14 mars 2019 par la Banque CIC
Est.

Il résulte des dispositions de l'article L 632-2 du code de commerce que toute saisie attribution peut être annulée lorsqu'elle a été pratiquée par un créancier à compter de la date de cessation des paiements et en connaissance de celle-ci.

En l'espèce, le jugement d'ouverture de la procédure collective de M. G... J... du 11 avril 2019 a fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 4 octobre 2018, celui du même jour qui a ouvert une procédure collective de Mme C... D... épouse J... a fixé la date de cessation des paiements au 7 janvier 2019.

La saisie attribution litigieuse a donc été pratiquée entre les mains de la société INK BANK postérieurement à la date de cessation des paiements de M. J... et de Mme J....

La première condition exigée pour l'application de l'article L 632-2 est donc remplie.

Il convient de déterminer si le 14 mars 2019, date de la signification de la saisie attribution litigieuse au tiers saisi qui opère attribution immédiate des sommes saisies, la Banque CIC Est avait connaissance, au sens du texte précité, de l'état de cessation des paiements de M. G... J... et de Mme C... D..., ce qui est formellement contesté par l'appelante.

La charge de la preuve de la connaissance par le créancier de l'état de cessation des paiements repose sur le demandeur à l'action en nullité.

Au soutien de sa demande de nullité de la saisie, Me K... verse notamment aux débats le rapport de M. M..., désigné en qualité de conciliateur dans les procédure de règlement amiable de M. J..., de L'EARL J... et dans la procédure de conciliation de Mme J..., établi le 24 janvier 2019 (pièce n° 5).

La société Banque CIC Est demande que cette pièce soit écartée des débats à raison de la confidentialité de la procédure de règlement amiable agricole prévu par l'article L 351-7 du code rural et de la pêche.

Me K... ès qualités conclut à l'irrecevabilité d'une telle demande et subsidiairement au rejet de celle-ci.

* Sur la recevabilité de la demande tendant à voir écarter la pièce n° 5 versée aux débats par Maître K... :

Aux termes de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver, conformément à la loi, les faits nécessaires au succès de ses prétentions.

L'article 563 du code de procédure civile dispose que 'pour justifier en appel les prétentions qu'elles
avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de
nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves.

L'article 564 du code de procédure civile dispose qu''à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les
parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer
compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de
l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

La demande tendant à voir écarter une pièce des débats pour un motif tiré du prétendu caractère confidentiel de ladite pièce soulevé pour la première fois en appel, qui est relative à la preuve d'une prétention déjà présentée en première instance, ne constitue pas une prétention nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile.

Elle est recevable.

* Sur le bien fondé de la demande tendant à voir écarter la pièce n° 5 versée aux débats par Maître K... :

Aux termes de l'article L 351-7 du code rural et de la pêche maritime et de l'article L 611-15 du code de commerce, toute personne qui est appelée à la procédure de règlement amiable ou à la procédure de conciliation ou qui, par ses fonctions, en a connaissance, est tenue à la confidentialité.

L'intérêt de cette confidentialité ne cesse pas du seul fait de l'ouverture d'une procédure collective en suite d'une procédure de conciliation ou de règlement amiable, y compris lorsque la désignation d'un conciliateur est un préalable obligatoire à l'ouverture de la procédure collective à l'égard d'un débiteur exerçant une activité agricole, sur saisine d'un créancier , sauf à dissuader les parties, dont les créanciers, d'y prendre part ou d'y coopérer s'ils savent que les discussions, les négociations et propositions et tout ce qu'ils ont pu révéler dans ce cadre pourra être utilisé ultérieurement contre eux en cas d'échec de la procédure.

Dés lors qu'elle a notamment pour objet de préserver le secret sur le déroulement de la négociation et les concessions éventuellement faites, avec la garantie que ces éléments ne seront pas utilisés dans un autre litige, la confidentialité doit pouvoir être invoquée entre deux personnes ayant pris part à la conciliation ou entre une personne qui y a pris part et une autre personne qui en a eu connaissance par ses fonctions.

En outre, si la loi organise à l'article L 621-1 du code de commerce, relatif aux débats devant le tribunal saisi d'une demande d'ouverture d'une procédure collective, la possibilité d'obtenir, dans certaines conditions et sur l'initiative du tribunal, d'office, ou à la demande du ministère public, la communication des actes et pièces relatifs à la conciliation nonobstant les dispositions de l'article L611-15, en dehors de ces cas particuliers, la confidentialité reste la règle.

Il en résulte qu'en l'espèce, le rapport final du 24 janvier 2019 établi par M. M..., en qualité de conciliateur dans les procédures de règlements amiables de M J... et de L'EARL J... et dans la procédure de conciliation de Mme J..., produit par Me K... en sa qualité de mandataire judiciaire de M. G... J... et de Mme J..., dans un litige relatif à la validité de la saisie attribution pratiquée par la Banque CIC Est durant la période suspecte après que le tribunal de grande instance de Saumur, statuant en matière de procédures collectives, a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de M. G... J... et à l'égard de Mme C... D... épouse J..., se trouve couverte par la confidentialité prévue par les articles sus cités.

Elle devra dés lors être écartée des débats.

Il sera précisé que dans la mesure où, à la suite de l'ouverture des procédures de redressement judiciaire à l'égard de M. J... et de Mme J..., leurs difficultés sont connues des tiers, il est permis au mandataire judiciaire de faire état au soutien de sa demande de nullité de la saisie attribution pratiquée par la Banque CIC Est à leur encontre, du fait qu'un règlement amiable ait été tenté préalablement à l'égard de M. J... et de Mme J..., en produisant pour en justifier les ordonnances qui ont désigné le conciliateur et celle qui a prolongé sa mission dont d'ailleurs le retrait n'est pas sollicité.

Si le fait qu'une procédure de règlement amiable ait été ouverte à l'égard de M. J..., à la requête de celui-ci, le 7 juillet 2016 et qu'une procédure de conciliation ait été ouverte à l'égard de Mme J... le 15 décembre 2016, à sa requête, n'est pas à lui seul susceptible d'établir la connaissance par la Banque CIC Est de la cessation des paiements des débiteurs, il est néanmoins de nature à conforter sa connaissance de difficultés de M et Mme J..., étant rappelé que l'ouverture de ces procédures n'est pas incompatible avec un état de cessation des paiements.

La Banque CIC Est qui se qualifie dans ses écritures de 'banquier historique' de l'ensemble des ' sociétés du groupe J...', de M. J... et de son épouse, a consenti à M. G... J..., suivant acte notarié du 24 avril 2013, un prêt 'investissement agricole' n°30087 33758 00020461502 d'un montant conséquent de 460 000 euros, remboursable en 15 annuités de 41 517,68 euros chacune, pour financer l'acquisition de bâtiments agricoles, ainsi qu'un prêt ' investissement agricole' 300873375800020464503 dont il est fait mention sur le décompte détaillé des sommes réclamées à M. J... le 18 juillet 2018 pour un solde de 115 978,12 euros.

Elle a prononcé l'exigibilité anticipée de ces deux prêts consentis à M. J... G..., par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 18 juillet 2018, mettant alors en demeure celui-ci de lui régler la somme globale de 623 449,26 euros.

Selon relevé des échéances en retard produit par la banque, M. G... J... s'est révélé défaillant dans le remboursement du prêt de 460 000 euros, à compter de l'échéance annuelle du 25 juin 2016, de sorte que lorsque la déchéance du terme a été prononcée, l'arriéré s'élevait à 85 456,47 euros, hors intérêts de retard, étant précisé que le débiteur avait demandé à deux reprises depuis le 24 avril 2013, à modifier la date de règlement de l'échéance annuelle pour la voir passer du 25 mars de l'année au 25 avril de l'année, puis au 25 juin.

La saisie attribution litigieuse a été pratiquée près de huit mois après la délivrance de la mise en demeure restée infructueuse.

La banque qui a prêté les fonds à M. J... pour acquérir un ensemble immobilier composé d'une maison à restaurer, d'un grand hangar agricole, d'anciens bâtiments de ferme réhabilités en écurie, de 7 boxes pour une surface totale de 76 a 02 ca, d'une cour, d'un jardin potager et de la moitié indivise d'un terrain supportant un puits, n'ignorait pas que le patrimoine immobilier du débiteur n'entrait pas dans l'actif disponible pour l'appréciation d'un éventuel état de cessation des paiements.

Le cumul et l'ancienneté des incidents de paiement du prêt important de 460 000 euros portant sur des biens immobiliers essentiels à l'activité agricole de M. G... J..., l'impossibilité pour ce dernier de répondre à la mise en demeure du 18 juillet 2018 et l'ouverture de procédures de conciliation qui se sont soldées par un échec début 2019, permettent de conclure que la Banque CIC Est ne pouvait ignorer l'état de cessation des paiements de M. G... J... et de son épouse, lorsqu'elle a fait procéder à la saisie attribution du 14 mars 2019.

C'est donc à bon droit que le premier juge a considéré que la Banque CIC Est a procédé à la saisie attribution en connaissance de l'état de cession de paiement dont le tribunal, dans les jugements d'ouverture des procédures collectives, a constaté l'existence au 7 janvier 2019 pour Mme J... et au 4 octobre 2018 pour M. J....

La banque fait valoir que la nullité encourue est seulement facultative, sans toutefois développer aucun argument pour voir dire en quoi la nullité ne devrait pas être prononcée en l'espèce.

Il convient en outre de relever que la somme saisie par la banque entre les mains de la société INK BANK, soit 34 911,38 euros, n'est pas négligeable et est de nature à rompre l'égalité des créanciers.

Le jugement qui a prononcé, sur le fondement du deuxième alinéa de l'article L 632-2 du code de

commerce précité, la nullité de ladite saisie attribution pratiquée le 14 mars 2019 par la société Banque CIC Est doit donc être confirmé.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Il convient de confirmer le jugement critiqué en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles.

Partie perdante, la Banque CIC Est sera en outre déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles, sera condamnés aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile et à payer à Maître K... ès qualités la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant par arrêt contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe,

DÉCLARE recevable la demande de nullité de la saisie-attribution ;

ECARTE des débats la pièce n° 5 versée aux débats par Maître K... ès qualité, à savoir le rapport final du 24 janvier 2019 établi par M. M..., en qualité de conciliateur dans les procédures de règlements amiables de M. J... et de L'EARL J... et dans la procédure de conciliation de Mme J... ;

CONFIRME le jugement du 14 mai 2020 du tribunal judiciaire de Saumur, procédures collectives, en toutes ses dispositions ;

y ajoutant,

CONDAMNE la Banque CIC Est aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile et à payer à Maître K... ès qualités la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.