Cass. com., 2 février 2022, n° 20-16.985
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Medissimo (Sas)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Vallansan
Avocat général :
Mme Guinamant
Avocats :
SCP Spinosi, SCP Foussard et Froger
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 28 avril 2020), la société Medissimo a été mise en redressement judiciaire par un jugement du 1er juin 2017, publié le 14 juin suivant, un plan de redressement étant arrêté le 5 avril 2018. Le 26 juillet 2017, la direction générale des finances publiques, pôle de recouvrement spécialisé des Yvelines (le comptable public) a déclaré des créances à titre provisionnel avec la mention « une procédure administrative d'établissement de l'impôt a été mise en oeuvre ». Un avis de mise en recouvrement a été émis le 15 mai 2018 pour une créance de TVA. Un second avis a été émis le 15 février 2019 au titre des créances de crédit d'impôt recherche (CIR) après que le mandataire judiciaire eut, le 27 juin 2018, déposé son compte rendu de fin de mission.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
2. La société Medissimo fait grief à l'arrêt de dire inopposable à l'administration fiscale la forclusion pour l'établissement définitif de sa créance de CIR, alors :
« 1°) que conformément à l'article L 622-24, alinéa 4, du code de commerce, lorsqu'une procédure administrative d'établissement de l'impôt a été mise en oeuvre, l'établissement définitif des créances qui en font l'objet doit être effectué avant le dépôt au greffe du compte rendu de fin de mission par le mandataire judiciaire ; qu'en l'espèce, en jugeant que la forclusion ne pouvait être opposée à l'administration fiscale lorsqu'elle relevait que, d'une part, le compte rendu de fin de mission du mandataire judiciaire avait été déposé au greffe du tribunal de commerce de Versailles le 27 juin 2018 et que, d'autre part, l'administration fiscale avait demandé l'admission définitive de sa créance le 26 février 2019, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé par refus d'application le texte précité, ensemble l'article L 624-1 du code de commerce ;
2°) que le principe de hiérarchie des normes s'oppose à ce que des dispositions réglementaires puissent prévaloir sur celles d'un texte à valeur législative ; qu'en l'espèce, en jugeant que la forclusion prévue par l'article L 622-24 du code de commerce ne pouvait être retenue dans la mesure où les diligences prescrites par l'article R 626-39 du même code n'avaient pas été accomplies, l'administration n'ayant supposément pas été informée par le mandataire judiciaire du dépôt imminent de son compte rendu de fin de mission, la cour d'appel a violé le principe de hiérarchie des normes ensemble les textes susvisés ;
3°) que, en ne répondant pas au moyen péremptoire tiré de ce que, sauf à être contraire à l'article L 622-24 du code de commerce, qui précise les délais applicables pour l'établissement définitif des créances déclarées à titre provisionnel sans prévoir aucune exception tirée d'un défaut d'information de l'administration fiscale par le mandataire judiciaire qui s'apprête à déposer son compte rendu de fin de mission, l'article R 626-39 du code de commerce doit être interprété strictement, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de réponse à conclusions au sens de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
3. Il résulte de l'article L 622-24, alinéa 4, du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 12 mars 2014, que si une procédure administrative d'établissement de l'impôt a été engagée, l'établissement définitif des créances fiscales déclarées à titre provisionnel doit être effectué avant le dépôt au greffe du compte rendu de fin de mission par le mandataire judiciaire. L'article R. 626-39, alinéa 2, du même code, pris en application de ce texte, précise que le mandataire judiciaire, informé de la mise en oeuvre d'une telle procédure, avise le comptable public compétent, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, du dépôt de son compte-rendu de mission quinze jours au moins avant sa date. Cette dernière disposition, qui a pour finalité de porter à la connaissance du comptable public la date de l'expiration du délai qui lui est imparti, dont il ne pourrait être autrement informé, rend inopposable le délai de forclusion de l'article L. 622-24, alinéa 4, précité, du code de commerce, lorsque le mandataire judiciaire n'a pas accompli cette diligence.
4. Ayant constaté qu'il n'était pas justifié que le mandataire judiciaire eût adressé l'information requise au comptable public, la cour d'appel en a déduit à bon droit, et en répondant aux conclusions invoquées par la troisième branche, que la forclusion était inopposable à ce dernier.
5. Le moyen n'est donc pas fondé.
Et sur le second moyen
Enoncé du moyen
6. La société Medissimo fait grief à l'arrêt d'admettre définitivement la créance de TVA alors, selon le moyen :
« 1°) que, conformément à l'article L 622-24, alinéa 4, du code de commerce, le délai de déclaration définitive d'une créance fiscale peut être prolongé dans le cas de procédures judiciaires ou administratives en cours ; que sauf à priver de portée les dispositions tendant à limiter dans le temps l'établissement définitif par l'administration fiscale de ses créances, tel ne saurait être le cas en l'absence de réclamation contentieuse formulée par le contribuable ; qu'en l'espèce, en jugeant que le courrier adressé le 31 juillet 2017 par la société Medissimo avait eu à lui seul pour effet de prolonger le délai de déclaration définitive de la créance fiscale, lorsque ce courrier se bornait à solliciter à titre gracieux la prise en compte d'un crédit de TVA, la cour d'appel a violé le texte précité, ensemble l'article L 624-1 du code de commerce ;
2°) qu'en tout état de cause, le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les éléments de la cause ; qu'en l'espèce, pour admettre la créance de TVA litigieuse, l'arrêt énonce que dans sa réponse du 31 juillet 2017, le contribuable a contesté toutes les rectifications proposées, de sorte qu'une procédure administrative d'établissement de l'impôt au sens de l'article L 622-24 alinéa 4 du code de commerce avait bien été mise en oeuvre ; qu'en statuant ainsi, alors que, dans cette lettre, après avoir exposé que « concernant le redressement de Taxe sur la Valeur Ajoutée, nous n'avons pas d'observations sur les calculs et résultats auxquels vous avez abouti », la société Medissimo se bornait à solliciter à titre gracieux une annulation partielle de redressement fondée sur un aménagement des modalités de paiement d'un crédit de TVA, de sorte que celle-ci n'avait formulé aucune réclamation de nature contentieuse, la cour d'appel a dénaturé ladite lettre et violé le principe susvisé ;
3°) qu'en énonçant que le contribuable a contesté toutes les rectifications proposées, pour en déduire qu'une procédure administrative d'établissement de l'impôt au sens de l'article L 622-24 alinéa 4 du code de commerce avait bien été mise en oeuvre, sans jamais examiner, ne serait-ce que sommairement, le courrier adressé le 27 octobre 2017 par l'administration fiscale à la société Medissimo, dont il résultait que " le service prend acte de ce que la société n'a pas d'observations sur les calculs et résultats auxquels le service a abouti concernant le rappel en matière de TVA déductible", la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ».
Réponse de la Cour
7. Il résulte de l'article L 622-24, alinéa 4, du code de commerce que la possibilité pour l'administration fiscale d'établir définitivement ses créances jusqu'au dépôt au greffe du compte rendu de fin de mission du mandataire judiciaire, lorsqu'une procédure administrative d'établissement de l'impôt a été mise en oeuvre, a pour finalité de proroger le délai de déclaration définitive de la créance fiscale dans le cas d'engagement d'une procédure de contrôle ou de rectification de l'impôt.
8. Après avoir constaté, sans dénaturation, que la société Medissimo avait fait l'objet d'une procédure de vérification de comptabilité, le contrôle ayant donné lieu à une proposition de rectification que la société Medissimo avait contestée, en demandant à bénéficier de voies de recours hiérarchiques ainsi que, le cas échéant, de la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur les chiffres d'affaires, l'arrêt retient à bon droit qu'une procédure administrative d'établissement de l'impôt avait été mise en oeuvre, permettant au comptable public de bénéficier du délai prorogé de l'alinéa 4 de l'article L 622-24 du code de commerce pour l'établissement définitif de la créance de TVA.
9. Le moyen n'est donc pas fondé
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.