CJUE, 2e ch., 28 avril 2022, n° C-79/20 P
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Yieh United Steel Corp.
Défendeur :
Commission européenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
A. Prechal (rapporteure)
Juges :
J. Passer, F. Biltgen, N. Wahl, M. L. Arastey Sahún
Avocat général :
G. Pitruzzella
Avocats :
D. Luff, G. Papaconstantinou
LA COUR (deuxième chambre),
Arrêt
1 Par son pourvoi, Yieh United Steel Corp. (ci-après « Yieh ») demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 3 décembre 2019, Yieh United Steel/Commission (T 607/15, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2019:831), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation du règlement d’exécution (UE) 2015/1429 de la Commission, du 26 août 2015, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de produits plats laminés à froid en aciers inoxydables originaires de la République populaire de Chine et de Taïwan (JO 2015, L 224, p. 10, ci-après le « règlement litigieux »).
Le cadre juridique
Le droit de l’OMC
2 Par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994) (JO 1994, L 336, p. 1), le Conseil de l’Union européenne a approuvé l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), signé à Marrakech le 15 avril 1994, ainsi que les accords figurant aux annexes 1 à 3 de cet accord, au nombre desquels figure l’accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (JO 1994, L 336, p. 103, ci-après l’« accord antidumping »).
3 L’article 2 de l’accord antidumping, intitulé « Détermination de l’existence d’un dumping », prévoit :
« 2.1 Aux fins du présent accord, un produit doit être considéré comme faisant l’objet d’un dumping, c’est-à-dire comme étant introduit sur le marché d’un autre pays à un prix inférieur à sa valeur normale, si le prix à l’exportation de ce produit, lorsqu’il est exporté d’un pays vers un autre, est inférieur au prix comparable pratiqué au cours d’opérations commerciales normales pour le produit similaire destiné à la consommation dans le pays exportateur.
2.2 Lorsque aucune vente du produit similaire n’a lieu au cours d’opérations commerciales normales sur le marché intérieur du pays exportateur ou lorsque, du fait de la situation particulière du marché ou du faible volume des ventes sur le marché intérieur du pays exportateur [...], de telles ventes ne permettent pas une comparaison valable, la marge de dumping sera déterminée par comparaison avec un prix comparable du produit similaire lorsque celui-ci est exporté à destination d’un pays tiers approprié, à condition que ce prix soit représentatif, ou avec le coût de production dans le pays d’origine majoré d’un montant raisonnable pour les frais d’administration et de commercialisation et les frais de caractère général, et pour les bénéfices.
2.2.1 Les ventes du produit similaire sur le marché intérieur du pays exportateur ou les ventes à un pays tiers à des prix inférieurs aux coûts de production unitaires (fixes et variables) majorés des frais d’administration et de commercialisation et des frais de caractère général ne pourront être considérées comme n’ayant pas lieu au cours d’opérations commerciales normales en raison de leur prix et ne pourront être écartées de la détermination de la valeur normale que si les autorités [...] déterminent que de telles ventes sont effectuées sur une longue période [...] en quantités substantielles [...] et à des prix qui ne permettent pas de couvrir tous les frais dans un délai raisonnable. Si les prix qui sont inférieurs aux coûts unitaires au moment de la vente sont supérieurs aux coûts unitaires moyens pondérés pour la période couverte par l’enquête, il sera considéré que ces prix permettent de couvrir les frais dans un délai raisonnable.
2.2.1.1 Aux fins du paragraphe 2, les frais seront normalement calculés sur la base des registres de l’exportateur ou du producteur faisant l’objet de l’enquête, à condition que ces registres soient tenus conformément aux principes comptables généralement acceptés du pays exportateur et tiennent compte raisonnablement des frais associés à la production et à la vente du produit considéré. [...]
[...] »
Le droit de l’Union
4 À la date d’adoption du règlement litigieux, les dispositions régissant l’adoption de mesures antidumping par l’Union européenne figuraient dans le règlement (CE) no 1225/2009 du Conseil, du 30 novembre 2009, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 2009, L 343, p. 51, et rectificatif JO 2010, L 7, p. 22), tel que modifié par le règlement (UE) no 765/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 13 juin 2012 (JO 2012, L 237, p. 1) (ci-après le « règlement de base »).
5 L’article 1er du règlement de base, intitulé « Principes », disposait, à ses paragraphes 1 et 2 :
« 1. Peut être soumis à un droit antidumping tout produit faisant l’objet d’un dumping lorsque sa mise en libre pratique dans la Communauté cause un préjudice.
2. Un produit est considéré comme faisant l’objet d’un dumping lorsque son prix à l’exportation vers la Communauté est inférieur au prix comparable, pratiqué au cours d’opérations commerciales normales pour un produit similaire dans le pays exportateur. »
6 Aux termes de l’article 2 dudit règlement, intitulé « Détermination de l’existence d’un dumping » :
« A. Valeur normale
1. La valeur normale est normalement basée sur les prix payés ou à payer, au cours d’opérations commerciales normales, par des acheteurs indépendants dans le pays exportateur.
[...]
2. Les ventes du produit similaire destiné à la consommation sur le marché intérieur du pays exportateur sont normalement utilisées pour déterminer la valeur normale si le volume de ces ventes représente 5 % ou plus du volume des ventes du produit considéré dans la Communauté. [...]
3. Lorsqu’aucune vente du produit similaire n’a lieu au cours d’opérations commerciales normales ou lorsque ces ventes sont insuffisantes ou lorsque, du fait de la situation particulière du marché, de telles ventes ne permettent pas une comparaison valable, la valeur normale du produit similaire est calculée sur la base du coût de production dans le pays d’origine, majoré d’un montant raisonnable pour les frais de vente, les dépenses administratives et autres frais généraux et d’une marge bénéficiaire raisonnable ou sur la base des prix à l’exportation, pratiqués au cours d’opérations commerciales normales, vers un pays tiers approprié, à condition que ces prix soient représentatifs.
Il peut être considéré qu’il existe une situation particulière du marché pour le produit concerné au sens de la phrase précédente, notamment lorsque les prix sont artificiellement bas, que l’activité de troc est importante ou qu’il existe des régimes de transformation non commerciaux.
4. Les ventes du produit similaire sur le marché intérieur du pays exportateur ou les ventes à destination d’un pays tiers à des prix inférieurs aux coûts de production unitaires (fixes et variables), majorés des frais de vente, dépenses administratives et autres frais généraux, ne peuvent être considérées comme n’ayant pas lieu au cours d’opérations commerciales normales en raison de leur prix et ne peuvent être écartées de la détermination de la valeur normale que s’il est déterminé que de telles ventes sont effectuées sur une période étendue en quantités substantielles et à des prix qui ne permettent pas de couvrir tous les frais dans un délai raisonnable.
[...]
5. Les frais sont normalement calculés sur la base des registres comptables de la partie faisant l’objet de l’enquête, à condition que ces registres soient tenus conformément aux principes comptables généralement acceptés du pays concerné et tiennent compte raisonnablement des frais liés à la production et à la vente du produit considéré.
Si les frais liés à la production et à la vente d’un produit faisant l’objet d’une enquête ne sont pas raisonnablement reflétés dans les registres de la partie concernée, ils sont ajustés ou déterminés sur la base des frais d’autres producteurs ou exportateurs du même pays, ou, lorsque ces informations ne sont pas disponibles ou ne peuvent être utilisées, sur toute autre base raisonnable, y compris les informations émanant d’autres marchés représentatifs.
Il est tenu compte d’éléments de preuve soumis concernant la juste répartition des frais, à condition qu’il soit démontré que ce type de répartition a été utilisé de manière constante dans le passé. En l’absence d’une méthode plus appropriée, la préférence est accordée à un système de répartition des frais fondé sur le chiffre d’affaires. À moins qu’il n’en ait déjà été tenu compte dans la répartition des frais visée au présent alinéa, les frais sont ajustés de manière appropriée en fonction des éléments non renouvelables des frais dont bénéficie la production future et/ou courante.
[...] »
7 L’article 6 du règlement de base, intitulé « Enquête », prévoyait, à son paragraphe 8 :
« Sauf dans les circonstances prévues à l’article 18, l’exactitude des renseignements fournis par des parties intéressées et sur lesquels les conclusions sont fondées doit être vérifiée dans la mesure du possible. »
8 L’article 10 de ce règlement, intitulé « Rétroactivité », prévoyait, à son paragraphe 4 :
« Un droit antidumping définitif peut être perçu sur des produits déclarés pour la mise à la consommation quatre-vingt-dix jours au plus avant la date d’application des mesures provisoires, mais non antérieurement à l’ouverture de l’enquête, à condition que les importations aient été enregistrées conformément à l’article 14, paragraphe 5, que la Commission [européenne] ait donné aux importateurs la possibilité de présenter leurs commentaires et :
a) que, le produit en question ait fait l’objet, dans le passé, de pratiques de dumping sur une longue durée ou que l’importateur ait eu connaissance ou eût dû avoir connaissance des pratiques de dumping, de leur importance et de celle du préjudice allégué ou établi ; [...]
[...] »
Les antécédents du litige
9 Aux points 1 à 11 de l’arrêt attaqué, les antécédents du litige sont résumés comme suit :
« 1 [Yieh] est une société établie à Taïwan, active, notamment, dans la fabrication et la distribution de produits plats laminés à froid en aciers inoxydables (ci après le “produit concernéˮ).
2 Aux fins de la fabrication du produit concerné, [Yieh] utilise comme matière première des rouleaux laminés à chaud qui sont soit produits directement par elle, soit achetés à Lianzhong Stainless Steel Co. Ltd [...], société liée productrice de rouleaux laminés à chaud, établie en Chine. Le produit concerné est vendu par [Yieh] à des clients de l’Union [...] et à des clients sur son marché intérieur, lesquels comprennent des producteurs et des distributeurs en aval indépendants du produit concerné et son producteur en aval lié, la société Yieh Mau.
3 À la suite d’une plainte déposée [...] par Eurofer, Association européenne de l’acier, ASBL (ci après “Euroferˮ), la Commission [...] a publié le 26 juin 2014 un avis d’ouverture d’une procédure antidumping concernant les importations [du produit concerné] originaires de la République populaire de Chine et de Taïwan [...] conformément [au règlement de base].
[...]
6 Le 24 mars 2015, la Commission a adopté le règlement d’exécution (UE) 2015/501 instituant un droit antidumping provisoire sur les importations de produits plats laminés à froid en aciers inoxydables originaires de la République populaire de Chine et de Taïwan (JO 2015, L 79, p. 23, ci après le “règlement provisoireˮ). Le règlement provisoire a institué un droit antidumping provisoire de 10,9 % sur le produit concerné [fabriqué par] [Yieh].
7 Par lettre du 25 mars 2015, la Commission a communiqué à [Yieh] ses conclusions provisoires exposant les considérations et les faits essentiels sur la base desquels il avait été décidé d’instituer un droit antidumping provisoire (ci après les “conclusions provisoiresˮ).
8 Dans les conclusions provisoires, la Commission a abordé, notamment, la question de son refus de déduire la valeur de la ferraille recyclée du coût de production du produit concerné et la question de son refus de prendre en considération, aux fins de la détermination de la valeur normale, certaines ventes de [Yieh] dans le pays exportateur.
9 Le 20 avril 2015, [Yieh] a présenté ses observations sur les conclusions provisoires.
10 Le 23 juin 2015, la Commission a envoyé à [Yieh] ses conclusions définitives. Le 3 juillet 2015, [Yieh] a présenté ses observations sur ces conclusions.
11 Le 26 août 2015, la Commission a adopté le règlement [litigieux], qui a modifié le règlement provisoire et a institué un droit antidumping de 6,8 % sur les importations dans l’Union du produit concerné fabriqué, notamment, par [Yieh]. »
10 Le règlement litigieux n’est plus en vigueur depuis le 16 septembre 2021.
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
11 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 octobre 2015, Yieh a introduit un recours tendant à l’annulation du règlement litigieux.
12 À l’appui de son recours, Yieh a invoqué deux moyens tirés, respectivement, d’une violation de l’article 2, paragraphes 3 et 5, du règlement de base ainsi que d’un détournement de pouvoir et d’une violation de l’article 2, paragraphes 1 et 2, de ce règlement.
13 Par son premier moyen, tiré d’une violation de l’article 2, paragraphes 3 et 5, du règlement de base et d’un détournement de pouvoir, Yieh faisait valoir que, en rejetant sa demande de déduction de la valeur de la ferraille recyclée du coût de production du produit concerné, la Commission avait commis une erreur manifeste dans l’appréciation des faits.
14 Dans le cadre de ce moyen, Yieh reprochait à la Commission d’avoir violé l’article 2, paragraphe 5, du règlement de base par son refus de prendre en considération ses registres comptables ainsi que la méthode de répartition des coûts qu’elle aurait appliquée aux pertes des rouleaux laminés à chaud constatées lors de la production du produit concerné.
15 En raison de cette violation, la Commission serait parvenue à la conclusion manifestement erronée que Yieh n’aurait pas pleinement intégré la perte de production des rouleaux laminés à chaud dans le coût de production du produit concerné, de sorte que ce serait également à tort que la Commission aurait en conséquence refusé la déduction de la valeur de la ferraille recyclée du coût de production de ce produit, ce qui aurait artificiellement gonflé la valeur normale en violation de l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base.
16 Enfin, ce refus de la Commission de déduire la valeur de la ferraille recyclée constituait, selon Yieh, un détournement de pouvoir.
17 Par son second moyen, tiré d’une violation de l’article 2, paragraphes 1 et 2, du règlement de base, Yieh faisait valoir que la Commission avait, d’une part, violé l’article 2, paragraphe 1, de ce règlement en refusant sans justification adéquate de prendre en considération, aux fins de la détermination de la valeur normale, les ventes du produit concerné à son client indépendant à Taïwan effectuées au cours d’opérations commerciales normales et, d’autre part, enfreint l’article 2, paragraphe 2, dudit règlement en rejetant les ventes en cause au seul motif que le produit concerné aurait été exporté par ce client après ces ventes, alors que la Commission n’aurait pas démontré que Yieh avait l’intention de ne pas destiner ce produit à la consommation intérieure.
18 Par ordonnance du 20 juillet 2016, le président de la première chambre du Tribunal a admis l’intervention d’Eurofer au soutien des conclusions de la Commission.
19 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté les deux moyens invoqués par Yieh et, partant, le recours dans son ensemble.
Les conclusions des parties devant la Cour
20 Par son pourvoi, Yieh demande à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué ;
– d’accueillir le recours en première instance et, ainsi, d’annuler le règlement litigieux, dans la mesure où il la concerne, et
– de condamner la Commission et la partie intervenante aux dépens exposés aux fins de la procédure de première instance et de pourvoi.
21 La Commission demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi et
– de condamner Yieh aux dépens.
22 Eurofer demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi ;
– à titre subsidiaire, de rejeter le recours formé en première instance ;
– à titre plus subsidiaire, de renvoyer l’affaire au Tribunal, et
– de condamner Yieh aux dépens, dont ceux de la partie intervenante, y compris ceux de première instance.
Sur le pourvoi
23 Au soutien de son pourvoi, Yieh invoque trois moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base en ce que le Tribunal aurait écarté à tort l’application de cette disposition, le deuxième, de la violation de l’article 2, paragraphe 5, de ce règlement en ce que le Tribunal n’aurait pas procédé de manière adéquate à la mise en balance des besoins de vérification de la Commission dans le cadre de son enquête et des intérêts de Yieh, et, le troisième, de la violation de l’article 2, paragraphe 2, dudit règlement en ce que le tribunal aurait jugé que la Commission pouvait exclure des ventes réalisées sur le marché intérieur du pays exportateur (ci-après les « ventes intérieures ») du calcul de la valeur normale sans devoir établir une intention ou une connaissance spécifique du vendeur quant à l’exportation finale du produit concerné.
Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base
Argumentation des parties
24 Le premier moyen, qui vise les points 60 et 61 de l’arrêt attaqué, se subdivise en deux branches.
– Sur la première branche
25 Par la première branche du premier moyen, Yieh reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur manifeste dans l’interprétation de son argument fondé sur l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base, ce qui l’aurait conduit à écarter à tort l’application de cette disposition.
26 Serait ainsi entaché d’une erreur manifeste le point 60 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal y aurait exigé qu’une violation de l’article 2, paragraphe 4, du règlement de base doit être établie préalablement à l’invocation d’une violation de l’article 2, paragraphe 3, dudit règlement.
27 En effet, selon Yieh, l’article 2, paragraphe 4, du règlement de base n’est pas pertinent en l’espèce.
28 Le Tribunal aurait par ailleurs erronément estimé, au même point 60 de l’arrêt attaqué, que le caractère non bénéficiaire des ventes concernées aurait constitué la seule raison ayant conduit la Commission à construire la valeur normale.
29 Or, il découlerait, en particulier, du considérant 74 du règlement provisoire, d’une part, que la valeur normale a été construite pour les types de produits pour lesquels il y avait une insuffisance ou une absence de ventes, voire une absence de ventes au cours d’opérations commerciales normales, et, d’autre part, que la Commission a utilisé non pas une valeur normale construite pour les types de produits pour lesquels des ventes non bénéficiaires ont été constatées, mais plutôt un prix de vente moyen pondéré.
30 Yieh conteste en outre l’affirmation, exposée au point 61 de l’arrêt attaqué, selon laquelle « [Yieh] ne conteste pas, dans le cadre du présent recours, la méthode suivie par la Commission pour la construction de la valeur normale, telle qu’elle est indiquée à l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base ».
31 En effet, Yieh soutient avoir expressément contesté, au point 44 de son recours devant le Tribunal, la méthode de construction de la valeur normale telle qu’appliquée par la Commission, en ce que celle-ci a refusé de faire droit à sa demande de déduire la valeur de la ferraille recyclée du coût de production du produit concerné, sur le fondement de l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base.
32 La Commission soutient que, en l’absence d’éléments de preuve suffisants, elle n’a eu d’autre choix que de refuser de déduire la valeur de la ferraille recyclée du coût de production du produit concerné, dès lors qu’elle n’était pas en mesure d’établir de manière fiable, sur la base des vérifications imposées par l’article 6, paragraphe 8, du règlement de base, si la perte déclarée comprenait les coûts matériels revendiqués, ni le montant de la déduction de la valeur de la ferraille recyclée.
33 En outre, la Commission conteste la lecture retenue par Yieh des points 60 et 61 de l’arrêt attaqué.
34 Eurofer excipe de l’irrecevabilité de la première branche du premier moyen au motif que, comme le Tribunal l’aurait justement constaté au point 61 de l’arrêt attaqué, l’argument de Yieh fondé sur la nature erronée de la construction de la valeur normale n’avait pas été avancé en première instance.
35 Elle souligne, en outre, que Yieh est restée en défaut d’avancer des arguments démontrant une erreur manifeste du Tribunal dans l’examen du fond de cet argument. Elle rappelle ainsi que le refus de la Commission de déduire la valeur de la ferraille recyclée du coût de production du produit concerné aux fins du calcul de la valeur normale construite est justifié par le risque d’une double déduction et d’une réduction artificielle des coûts.
– Sur la seconde branche
36 Par la seconde branche du premier moyen, Yieh soutient que le Tribunal a considéré à tort que l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base n’a pas de caractère autonome. Ainsi, au point 60 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait subordonné le constat d’une violation de cette disposition à des constatations opérées préalablement au titre de l’article 2, paragraphe 4, ou de l’article 2, paragraphe 5, de ce règlement.
37 Or, une telle négation de la nature autonome de l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base non seulement contreviendrait à la pratique décisionnelle de l’OMC relative à la disposition correspondante de l’article 2, paragraphe 2, de l’accord antidumping, mais, de plus, ne permettrait pas à Yieh de contester uniquement la méthode de calcul utilisée par la Commission pour déterminer la valeur normale construite.
38 En outre, la portée de l’examen par la Commission de la question de la déduction de la valeur de la ferraille recyclée du coût de production du produit concerné devrait être différente selon que cet examen s’effectue dans le cadre de l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base ou dans celui de l’article 2, paragraphe 4, dudit règlement. Cette dernière disposition ne serait pas pertinente en l’espèce en raison de la nature rentable des ventes intérieures. Partant, la tâche incombant à la Commission dans le cadre de l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base ne saurait être identique à celle en lien avec l’article 2, paragraphe 4, dudit règlement, suggérée par le Tribunal aux points 78 à 80 de l’arrêt attaqué.
39 La Commission et Eurofer contestent l’interprétation retenue par Yieh du point 60 de l’arrêt attaqué. Le Tribunal aurait jugé non pas que l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base n’est pas une disposition autonome, mais plutôt que la construction de la valeur normale était la conséquence de l’application, par la Commission, de l’article 2, paragraphe 4, du règlement de base.
Appréciation de la Cour
40 Par son premier moyen, qui vise les points 60 et 61 de l’arrêt attaqué et qui est articulé en deux branches se recoupant en grande partie et qui peuvent donc être examinées ensemble, Yieh reproche au Tribunal d’avoir violé l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base.
41 À cet égard, il y a lieu de constater que, comme le fait également valoir la Commission, les différentes critiques dirigées par Yieh, dans le cadre de son premier moyen, contre les points 60 et 61 de l’arrêt attaqué reposent largement sur une lecture erronée de ces points. Or, dès lors que, dans lesdits points, le Tribunal, en réponse à l’argumentation particulière développée par Yieh, a correctement articulé l’interaction entre les dispositions de l’article 2, paragraphe 3, et celles de l’article 2, paragraphes 4 et 5, du règlement de base, il y a lieu de considérer que ces mêmes points ne sont pas entachés d’une erreur de droit.
42 En effet, contrairement à ce que soutient Yieh dans le cadre de la première branche de son premier moyen, il ne saurait être déduit des points 60 et 61 de l’arrêt attaqué que le Tribunal y aurait « écarté l’application » de l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base.
43 En outre, contrairement à ce qu’affirme Yieh dans le cadre de la seconde branche de son premier moyen, il ne saurait pas davantage être déduit de ces points 60 et 61 que le Tribunal aurait considéré que l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base n’a pas de « caractère autonome » en ce qu’il aurait subordonné le constat d’une violation de cette disposition à des constatations effectuées préalablement au titre de l’article 2, paragraphe 4, ou de l’article 2, paragraphe 5, dudit règlement permettant de conclure à une violation de ces dernières dispositions, ce qui, selon Yieh, ne lui aurait pas permis de contester uniquement la méthode de calcul utilisée par la Commission pour déterminer la valeur normale construite alors qu’elle aurait avancé un tel grief devant le Tribunal.
44 À cet égard, il importe que les points 60 et 61 de l’arrêt attaqué soient replacés dans le contexte dans lequel le Tribunal a examiné le premier moyen du recours, à savoir, essentiellement, ainsi qu’il ressort des points 29, 48, 49 et 56 de l’arrêt attaqué, au regard de l’argumentation de Yieh selon laquelle le refus de la Commission, en violation de l’article 2, paragraphe 5, du règlement de base, de déduire la valeur de la ferraille recyclée du coût de production du produit concerné a eu pour conséquence de « gonfler artificiellement » la valeur normale en violation de l’article 2, paragraphe 3, dudit règlement, ce qui aurait eu pour effet d’augmenter la part des types de produits pour lesquels la valeur normale a été construite en raison des ventes réalisées à des prix inférieurs aux coûts de fabrication.
45 Or, aux points 52 à 55 de l’arrêt attaqué, le Tribunal se réfère, à juste titre, à la jurisprudence issue de l’arrêt du 1er octobre 2014, Conseil/Alumina (C 393/13 P, EU:C:2014:2245), portant sur l’interaction entre, notamment, les dispositions de l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base et celles de l’article 2, paragraphe 4, du même règlement.
46 S’agissant d’un cas de figure tel que celui de l’espèce, cette interaction se manifeste comme suit.
47 Si, lors de son enquête, la Commission constate que certaines ventes intérieures ne sont pas bénéficiaires dès lors qu’elles ont été effectuées à des prix inférieurs au « coût de production », soit les coûts de production unitaires (fixes et variables), majorés des frais de vente, des dépenses administratives et autres frais généraux, sur une période étendue, en quantités substantielles et à des prix ne permettant pas de couvrir tous les frais dans un délai raisonnable, ces ventes sont considérées comme n’ayant pas eu lieu au cours d’« opérations commerciales normales » et doivent donc être écartées de la base de calcul servant à la détermination de la valeur normale en application de l’article 2, paragraphe 4, du règlement de base. Dans ce cas, l’article 2, paragraphe 3, de ce règlement était applicable, lequel prévoyait que, pour les types de produits concernés, une autre valeur normale, dite « construite », était calculée sur la base dudit coût de production majoré d’une marge bénéficiaire raisonnable.
48 Dans ce contexte, au point 60 de l’arrêt attaqué, le Tribunal constate que le recours de la Commission, pour certaines ventes intérieures, à une valeur normale construite ne procède pas de la constatation d’une « situation particulière du marché » tenant au fait que les prix seraient « artificiellement bas », au sens de l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base. Cette constatation, de nature essentiellement factuelle, n’est pas contestée par Yieh au stade du pourvoi.
49 Il importe de relever que, au même point 60, s’agissant précisément de l’interaction rappelée au point 47 du présent arrêt, le Tribunal affirme, à bon droit, que ce recours à une valeur normale construite « est la conséquence directe » de la constatation par la Commission que certaines ventes intérieures ont été effectuées à des prix inférieurs aux coûts de production, au sens de l’article 2, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de base, « à la suite du rejet par la Commission de la demande de déduction de la ferraille présentée par la requérante ».
50 Comme le confirme le point 56 de l’arrêt attaqué, au point 60 de cet arrêt, le Tribunal a procédé à un constat factuel, à savoir que, en l’occurrence, l’utilisation par la Commission, pour une « minorité » de ventes intérieures, d’une valeur normale construite, conformément à l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base, découle directement du fait que, à la suite du rejet par la Commission de la demande de déduction de la valeur de la ferraille recyclée du coût de production du produit concerné qu’avait sollicitée Yieh, ces ventes intérieures ont été considérées comme ayant été effectuées à des prix inférieurs au coût de production, au sens de l’article 2, paragraphe 4, dudit règlement, alors qu’elles auraient été bénéficiaires et n’auraient donc pas été écartées en vertu de cette dernière disposition si la Commission avait accueilli cette demande de déduction et avait réduit en conséquence ledit coût de production à concurrence des montants réclamés et, partant, la valeur normale.
51 Ce constat factuel, en ce qu’il ne concerne qu’un « certain nombre d’opérations commerciales déclarées par [Yieh] », ne saurait, contrairement à ce que celle-ci affirme, être interprété en ce sens qu’une valeur normale n’aurait été construite que dans les seuls cas de ventes non bénéficiaires. Il n’existe donc aucune contradiction entre le point 60 de l’arrêt attaqué et le considérant 74 du règlement provisoire qui indique qu’une valeur construite a également été utilisée en cas de ventes internes insuffisantes, au sens de l’article 2, paragraphe 2, du règlement de base.
52 Si, par son premier moyen, Yieh remet en cause ce même constat factuel, il convient, à titre liminaire, de rappeler, en premier lieu, que, conformément à l’article 256, paragraphe 1, TFUE et à l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi est limité aux questions de droit. Le Tribunal est seul compétent, d’une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où l’inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d’autre part, pour apprécier ces faits ainsi que les éléments de preuve. L’appréciation de ces faits et éléments de preuve ne constitue donc pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi (voir, en ce sens, arrêts du 26 septembre 2018, Philips et Philips France/Commission, C 98/17 P, non publié, EU:C:2018:774, point 40, ainsi que du 11 novembre 2021, Autostrada Wielkopolska/Commission et Pologne, C 933/19 P, EU:C:2021:905, points 92 et 93 ainsi que jurisprudence citée).
53 En outre, lorsqu’il allègue une dénaturation des faits ou des éléments de preuve par le Tribunal, un requérant doit, en application de l’article 256 TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 168, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure de la Cour, indiquer de façon précise les éléments qui auraient été dénaturés par celui-ci et démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit le Tribunal à cette dénaturation. Par ailleurs, il est de jurisprudence constante qu’une dénaturation doit ressortir de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (arrêt du 11 novembre 2021, Autostrada Wielkopolska/Commission et Pologne, C 933/19 P, EU:C:2021:905, point 94 ainsi que jurisprudence citée).
54 La Cour en a déduit qu’elle n’est pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l’appui de ces faits. Dès lors que ces preuves ont été obtenues régulièrement, que les principes généraux du droit ainsi que les règles de procédure applicables en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectés, il appartient au seul Tribunal d’apprécier la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments qui lui ont été soumis. Cette appréciation ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (arrêt du 2 juin 2016, Photo USA Electronic Graphic/Conseil, C 31/15 P, non publié, EU:C:2016:390, point 51 et jurisprudence citée).
55 En second lieu, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, dans le domaine de la politique commerciale commune, et tout particulièrement en matière de mesures de défense commerciale, les institutions de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation en raison de la complexité des situations économiques et politiques qu’elles doivent examiner (arrêt du 20 janvier 2022, Commission/Hubei Xinyegang Special Tube, C 891/19 P, EU:C:2022:38, point 35 et jurisprudence citée).
56 Il est également de jurisprudence constante que le contrôle juridictionnel de ce large pouvoir d’appréciation doit être limité à la vérification du respect des règles de procédure, de l’exactitude matérielle des faits retenus, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation de ces faits ou de l’absence de détournement de pouvoir (voir, en ce sens, arrêt du 20 janvier 2022, Commission/Hubei Xinyegang Special Tube, C 891/19 P, EU:C:2022:38 point 36 et jurisprudence citée).
57 Comme l’a affirmé le Tribunal au point 68 de l’arrêt attaqué, ce contrôle juridictionnel limité s’étend, en particulier, au choix entre différentes méthodes de calcul de la marge de dumping et à l’appréciation de la valeur normale d’un produit.
58 La Cour a aussi itérativement jugé que le contrôle par le Tribunal des éléments de preuve sur lesquels les institutions de l’Union fondent leurs constatations ne constitue pas une nouvelle appréciation des faits remplaçant celle de ces institutions. Ce contrôle n’empiète pas sur le large pouvoir d’appréciation desdites institutions dans le domaine de la politique commerciale, mais se limite à relever si ces éléments sont de nature à étayer les conclusions tirées par celles-ci. Il appartient, dès lors, au Tribunal non seulement de vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également de contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à fonder les conclusions qui en sont tirées (arrêt du 20 janvier 2022, Commission/Hubei Xinyegang Special Tube, C 891/19 P, EU:C:2022:38, point 37 et jurisprudence citée).
59 Eu égard à cette jurisprudence, le constat factuel opéré par le Tribunal au point 60 de l’arrêt attaqué ne pourrait être remis en cause que s’il était démontré que son inexactitude matérielle résulte des pièces du dossier qui ont été soumises au Tribunal. Or, en l’occurrence, Yieh n’a pas démontré que tel est le cas.
60 En outre, Yieh n’allègue ni ne prouve une dénaturation des faits par le Tribunal lors de l’appréciation de ceux-ci.
61 Elle ne démontre pas non plus qu’il pourrait être reproché au Tribunal d’avoir omis de constater que la Commission, en application de la jurisprudence rappelée au point 56 du présent arrêt, s’est livrée à une erreur manifeste d’appréciation de ces faits.
62 Par ailleurs, il ne ressort pas du considérant 74 du règlement provisoire que, comme le soutient Yieh, la Commission ait utilisé non pas une valeur normale construite pour les types de produits pour lesquels des ventes non bénéficiaires ont été constatées, mais plutôt un prix de vente moyen pondéré. En effet, ce considérant se limite à indiquer qu’une valeur normale construite a été utilisée également compte tenu de « l’absence de ventes au cours d’opérations commerciales normales ».
63 Enfin, contrairement à ce que fait valoir Yieh, le Tribunal a, au point 61 de l’arrêt attaqué, effectivement examiné son argument tiré d’une violation de l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base.
64 Le Tribunal a en effet, à ce point, déduit de l’exclusion, dans le règlement litigieux, de certaines ventes intérieures de la détermination de la valeur normale, en raison de la constatation de leur caractère non bénéficiaire en application de l’article 2, paragraphe 4, du règlement de base, qu’« une violation de l’article 2, paragraphe 3, [de ce règlement], en ce qu’il énumère les différentes situations déterminant l’obligation, pour l’autorité chargée de l’enquête, de construire la valeur normale du produit concerné du producteur-exportateur, ne saurait, en tout état de cause, être établie aux fins de l’annulation du règlement [litigieux] indépendamment de la constatation d’une méconnaissance de l’article 2, paragraphe 4, du même règlement ». Il a ajouté que, « pour le surplus, [Yieh] ne conteste pas, dans le cadre du [présent recours en première instance], la méthode suivie par la Commission pour la construction de la valeur normale, telle qu’elle est indiquée à l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base ».
65 Si, au point 61 de l’arrêt attaqué, le Tribunal ne conclut pas au rejet du grief tiré de la violation de l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base, ce rejet est clairement énoncé au point 111 de cet arrêt après que, aux points 62 à 110 du même arrêt, le Tribunal a procédé à l’examen exhaustif et au rejet du grief tiré de la violation de l’article 2, paragraphe 5, de ce règlement.
66 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le premier moyen.
Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 2, paragraphe 5, du règlement de base
Argumentation des parties
67 Par son deuxième moyen, Yieh fait valoir que le Tribunal n’a pas procédé de manière adéquate à la mise en balance de ses intérêts et des besoins de vérification de la Commission dans le cadre de son enquête, ce qui serait constitutif d’une violation de l’article 2, paragraphe 5, du règlement de base.
68 Le Tribunal aurait pourtant lui-même reconnu, en conformité avec l’annexe II de l’accord antidumping et la pratique décisionnelle y relative, la nécessité d’un tel équilibre entre les besoins de vérification de la Commission et les droits de Yieh tirés de l’article 2, paragraphe 5, du règlement de base.
69 En l’espèce, selon Yieh, le Tribunal a fait pencher la balance en faveur des besoins de vérification de la Commission, en concluant que, en raison de l’importance de la question de la rentabilité des ventes intérieures dans le cadre de l’enquête antidumping, la Commission était en droit d’obtenir des informations très précises sur les coûts de Yieh et qu’elle avait pu à bon droit écarter la méthode de comptabilisation des coûts utilisée par cette dernière aux fins de comptabiliser la perte de production de la ferraille.
70 Par ailleurs, le Tribunal, en rejetant, au point 94 de l’arrêt attaqué, l’argument selon lequel la collecte de données précises relatives aux volumes des rouleaux laminés à chaud aurait entraîné une charge de travail disproportionnée dans le chef de Yieh, aurait omis de procéder à une appréciation factuelle de cette charge de travail et aurait manqué de mettre en balance celle-ci avec les besoins de l’enquête.
71 La Commission et Eurofer contestent la recevabilité de certains des arguments avancés par Yieh au titre de son deuxième moyen et soutiennent que, en tout état de cause, ce moyen n’est pas fondé.
Appréciation de la Cour
72 Par son deuxième moyen, Yieh critique l’examen, effectué par le Tribunal aux points 69 à 111 de l’arrêt attaqué, de son moyen tiré de la violation de l’article 2, paragraphe 5, du règlement de base et dirigé contre le refus de la Commission de faire droit à sa demande de déduire des coûts de production du produit concerné une valeur déterminée de ferraille recyclée.
73 À cet égard, Yieh fait grief au Tribunal, d’une part, de ne pas avoir procédé de manière adéquate à la mise en balance de ses intérêts et des besoins de vérification de la Commission dans le cadre de son enquête, ce qui serait constitutif d’une violation de ladite disposition.
74 D’autre part, Yieh soutient que le Tribunal, lorsqu’il a rejeté au point 94 de l’arrêt attaqué son argument selon lequel la collecte de données relatives au volume exact des rouleaux laminés à chaud acheté pour fabriquer précisément le produit concerné aurait entraîné, pour elle, une charge de travail disproportionnée, a omis de procéder à une appréciation factuelle de cette charge de travail et a manqué de mettre en balance celle-ci avec les besoins de l’enquête.
75 À cet égard, force est d’abord de constater que ce deuxième moyen ne vise, à l’exception du point 94 de l’arrêt attaqué, aucun point particulier dudit arrêt.
76 Or, selon une jurisprudence constante de la Cour, il découle de l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 168, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande. À cet égard, il est exigé, à l’article 169, paragraphe 2, de ce règlement, que les moyens et les arguments de droit invoqués identifient avec précision les points des motifs de la décision du Tribunal qui sont contestés (arrêt du 28 février 2018, mobile.de/EUIPO, C 418/16 P, EU:C:2018:128, point 35 et jurisprudence citée).
77 Le respect de cette dernière exigence est d’autant plus important en l’espèce que le moyen en cause concerne potentiellement un large ensemble d’appréciations de nature essentiellement factuelle, opérées au regard des dispositions de l’article 2, paragraphe 5, du règlement de base et contenues aux points 69 à 111 de l’arrêt attaqué dans le cadre d’un raisonnement circonstancié.
78 Il s’ensuit que le deuxième moyen, en tant qu’il ne vise aucun autre point de l’arrêt attaqué que le point 94 de celui-ci, est irrecevable.
79 Ensuite, en tant qu’il vise ce point 94, il ressort des termes même de celui-ci que le Tribunal y a examiné puis rejeté l’argument, soulevé par Yieh en réponse à une question écrite du Tribunal ainsi qu’au cours de l’audience, selon lequel, d’une part, la recherche des informations concernant le volume exact des rouleaux laminés à chaud achetés pour fabriquer précisément le produit concerné aurait impliqué une charge de travail disproportionnée et, d’autre part, en l’absence d’insistance de la part de la Commission, elle pouvait légitimement considérer que ces informations n’étaient plus nécessaires.
80 À cet égard, le Tribunal a constaté audit point 94 que, d’une part, à aucun moment, la Commission n’avait exprimé une quelconque intention de renoncer à obtenir ladite information et que, d’autre part, la requérante n’avait pas eu la diligence de vérifier auprès de ladite institution si la renonciation présumée à l’information demandée était avérée. Il a également ajouté au même point 94 que la Commission avait relevé à juste titre qu’elle n’était pas revenue sur ladite demande d’information dans son questionnaire complémentaire établi après la visite de vérification dès lors que celui-ci ne concernait que les ventes à l’exportation et n’avait aucune incidence sur la demande en cause.
81 Le point 94 de l’arrêt attaqué doit, en outre, être compris dans le contexte du raisonnement circonstancié développé aux points 69 à 111 de cet arrêt par lequel le Tribunal a mis en exergue que, selon son appréciation des éléments de preuve, la Commission ne pouvait être critiquée pour avoir rejeté la demande de déduction de la valeur de la ferraille recyclée du coût de production du produit concerné au motif que, en l’absence d’informations complètes et fiables relatives aux volumes des rouleaux laminés à chaud achetés pour fabriquer le produit concerné, informations qu’elle avait pourtant demandées, celle-ci n’était pas en mesure de vérifier l’exactitude de cette déduction.
82 Au point 105 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a résumé son appréciation relative aux différents arguments de Yieh visant à contester le refus de la Commission de faire droit à sa demande de déduction de la valeur de la ferraille recyclée du coût de production du produit concerné en soulignant que, si Yieh avait bien fourni certaines informations supplémentaires, même après la visite de vérification sur place ainsi qu’après l’adoption du règlement provisoire, elle n’avait, en revanche, jamais fourni les informations relatives à la quantité exacte de rouleaux laminés à chaud consommés pour la fabrication du produit concerné que la Commission pouvait considérer comme indispensables aux fins de l’accomplissement de sa mission de vérification dans la mesure, notamment, où la demande de déduction de la valeur de la ferraille recyclée du coût de production du produit concerné était liée au volume de rouleaux laminés à chaud consommés dans le cadre de la fabrication du produit concerné.
83 Toutefois, ces différentes appréciations de nature essentiellement factuelle auxquelles s’est livré le Tribunal, y compris au point 94 de l’arrêt attaqué, ne peuvent être remises en cause par Yieh sur le fondement d’un grief tiré d’une mise en balance prétendument inadéquate des intérêts en présence.
84 En effet, ainsi qu’il a été rappelé au point 52 du présent arrêt, l’appréciation des faits par le Tribunal ne constitue pas, sous réserve de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi.
85 Or, en l’occurrence, Yieh n’ayant pas démontré une telle dénaturation, son moyen tiré d’une mise en balance inadéquate par le Tribunal, au point 94 de l’arrêt attaqué, des intérêts en présence est irrecevable au stade du pourvoi.
86 Au vu de ce qui précède, le deuxième moyen doit être rejeté comme étant irrecevable dans son ensemble.
Sur le troisième moyen, tiré de la violation de l’article 2, paragraphe 2, du règlement de base
Argumentation des parties
87 Par son troisième moyen, Yieh soutient que le Tribunal a violé l’article 2, paragraphe 2, du règlement de base en jugeant, en substance, aux points 129 à 135 de l’arrêt attaqué, que la Commission pouvait refuser de prendre en compte, aux fins de la détermination de la valeur normale, des ventes intérieures au motif que les produits en cause n’étaient pas destinés à la consommation sur ce marché, mais étaient destinés à l’exportation sans que cette institution soit tenue de démontrer une intention ou une connaissance spécifique dans le chef du producteur-exportateur quant à cette destination au moment de la vente.
88 Premièrement, Yieh conteste que l’analyse des différentes versions linguistiques de l’article 2, paragraphe 2, du règlement de base, opérée aux points 129 et 130 de l’arrêt attaqué, puisse confirmer la conclusion du Tribunal selon laquelle cette disposition n’impose pas à la Commission de prouver la connaissance ou l’intention du producteur-exportateur quant à la destination finale des produits en cause au moment de la vente.
89 Deuxièmement, Yieh s’oppose à l’interprétation contextuelle et téléologique du règlement de base retenue par le Tribunal aux points 132 et 135 de l’arrêt attaqué. Elle estime que, s’il découle du règlement de base que le dumping, le préjudice et le contournement, au sens de ce règlement, peuvent être constatés indépendamment de l’intention du producteur-exportateur, il n’en demeure pas moins qu’il existe un élément subjectif dans l’application d’une mesure antidumping dès lors qu’il s’agit de sanctionner un comportement « déloyal » des producteurs-exportateurs concernés. Par ailleurs, d’autres dispositions du règlement de base et d’autres instruments de défense commerciale, notamment les « règles antisubvention », imposeraient à l’autorité chargée de l’enquête de vérifier la connaissance subjective et l’intention des producteurs-exportateurs.
90 Troisièmement, serait circulaire le raisonnement suivi par le Tribunal, au point 134 de l’arrêt attaqué, consistant à considérer que la nécessité de prouver l’intention ou la connaissance effective du vendeur au moment de la vente quant à la destination finale du produit en cause reviendrait à permettre la prise en compte, aux fins de la détermination de la valeur normale, des prix de produits exportés susceptibles de fausser celle-ci.
91 La Commission et Eurofer contestent les arguments de Yieh et soutiennent que le troisième moyen doit être rejeté dès lors que l’analyse effectuée par le Tribunal n’est entachée d’aucune erreur de droit.
Appréciation de la Cour
92 À titre liminaire, il y a lieu d’indiquer qu’il résulte de la règle, prévue à l’article 2, paragraphe 1, du règlement de base, selon laquelle « [l]a valeur normale est normalement basée sur les prix payés ou à payer, au cours d’opérations commerciales normales, par des acheteurs indépendants dans le pays exportateur », et de celle, énoncée à l’article 2, paragraphe 2, de ce règlement, selon laquelle « [l]es ventes du produit similaire destiné à la consommation sur le marché intérieur du pays exportateur sont normalement utilisées pour déterminer la valeur normale », que ne sont pas prises en compte aux fins de la détermination de la valeur normale les ventes intérieures lorsque les produits concernés par ces ventes sont destinés non pas à la consommation sur ce marché, mais à une autre finalité telle que leur exportation.
93 Se pose donc la question de savoir si, comme le soutient Yieh, l’expression « destiné à la consommation », au sens de l’article 2, paragraphe 2, du règlement de base, implique l’existence d’un élément subjectif.
94 Selon l’approche « subjective », telle que soutenue par Yieh dans le cadre de son troisième moyen, cette expression doit être comprise en ce sens que les ventes intérieures ne pourraient être exclues de la base de calcul servant à la détermination de la valeur normale que si la Commission démontre que, au moment où elles sont conclues, le vendeur avait l’intention que le produit concerné soit ultérieurement exporté ou qu’il avait une connaissance effective de cette exportation.
95 À l’inverse, selon l’approche « objective », retenue, en substance, par le Tribunal aux points 136 à 142 de l’arrêt attaqué, afin de pouvoir exclure certaines ventes intérieures de la base de calcul servant à la détermination de la valeur normale, il suffirait que la Commission dispose de suffisamment d’éléments de preuve objectifs attestant que les ventes en cause sont en réalité des ventes à l’exportation.
96 À cet égard, aux points 128 et 129 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a correctement pris comme point de départ de son raisonnement le constat que la version en langue anglaise de l’article 2, paragraphe 2, du règlement de base, en ce qu’elle comporte les mots « intended for consumption », est libellée de manière à pouvoir suggérer que l’intention du vendeur est le critère pertinent, ce qui semble pouvoir plaider en faveur de l’approche subjective évoquée au point 94 du présent arrêt. Il peut être ajouté que la version en langue suédoise, en ce qu’elle utilise la notion « avsedd », correspond à cet égard au mot « intended » qu’emploie la version en langue anglaise.
97 En revanche, milite plutôt pour l’approche objective, évoquée au point 95 du présent arrêt, le fait que, dans la majorité des versions linguistiques, en particulier dans les huit versions, dont la version en langue française, auxquelles se réfère le Tribunal et auxquelles peuvent être ajoutées les versions en langues portugaise et roumaine qui emploient, respectivement, les mots « destinado » et « destinat », sont utilisées des notions se référant à la destination du produit et non pas ou non pas nécessairement à l’intention ou à la connaissance du producteur-exportateur.
98 À cet égard, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 51 de ses conclusions, l’expression « destiné à la consommation sur le marché intérieur », employée à l’article 2, paragraphe 2, du règlement de base, signifie, selon son acception habituelle, qu’il faut, pour que des ventes dans le pays exportateur puissent être incluses dans la base de calcul servant à la détermination de la valeur normale, que les produits faisant l’objet de ces ventes soient « assignés », « réservés » ou « affectés » à la consommation intérieure.
99 En présence de telles disparités entre différentes versions linguistiques de l’article 2, paragraphe 2, du règlement de base, s’agissant en particulier de l’expression « destiné à la consommation », cette disposition doit, selon la jurisprudence constante de la Cour, être interprétée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2021, Banco de Portugal e.a., C 504/19, EU:C:2021:335, point 41).
100 Il y a donc lieu d’examiner les différents éléments contextuels et téléologiques avancés par le Tribunal aux points 130 à 135 de l’arrêt attaqué au soutien d’une interprétation objective de l’expression « destiné à la consommation », au sens de l’article 2, paragraphe 2, du règlement de base, qui, pour certains, sont critiqués par Yieh.
101 Toutefois, à titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la primauté des accords internationaux conclus par l’Union sur les textes de droit dérivé de l’Union commande d’interpréter ces derniers, dans la mesure du possible, en conformité avec ces accords (voir, notamment, arrêt du 20 janvier 2022, Commission/Hubei Xinyegang Special Tube, C 891/19 P, EU:C:2022:38, point 31 et jurisprudence citée).
102 Par ailleurs, la Cour s’est déjà référée à des rapports d’un groupe spécial de l’OMC ou de l’organe d’appel institué au sein de l’OMC au soutien de son interprétation de dispositions d’accords figurant à l’annexe de l’accord instituant l’OMC, signé à Marrakech le 15 avril 1994 (voir, notamment, arrêt du 20 janvier 2022, Commission/Hubei Xinyegang Special Tube, C 891/19 P, EU:C:2022:38, point 33 et jurisprudence citée).
103 Cela étant précisé, il importe de constater, en premier lieu, que, comme l’observe à bon droit le Tribunal au point 130 de l’arrêt attaqué, l’article 2.1 de l’accord antidumping dont les termes correspondent à ceux de l’article 2, paragraphe 2, du règlement de base utilise, dans les trois langues officielles du secrétariat de l’OMC, les expressions, respectivement, « destined for consumption » dans la version en langue anglaise, « destiné à la consommation » dans la version en langue française et « destinado al consumo » dans la version en langue espagnole.
104 En deuxième lieu, c’est également à juste titre que le Tribunal a jugé en substance, au point 131 de l’arrêt attaqué, que, si la preuve de l’intention ou de la connaissance effective du producteur-exportateur quant à l’exportation ultérieure du produit en cause suffit pour conclure que la vente ne peut être qualifiée de vente destinée à la consommation intérieure et ne peut, dès lors, être incluse dans la base de calcul servant à la détermination de la valeur normale, il ne saurait en être déduit que l’absence de connaissance effective dans son chef du fait que le produit en cause est destiné à l’exportation conduit nécessairement à considérer la vente en cause comme étant destinée à la consommation intérieure et comme devant donc être incluse dans ladite base de calcul, alors même que ce produit a fait l’objet d’une exportation.
105 Ainsi, contrairement à l’approche subjective soutenue par Yieh, la preuve de l’intention ou de la connaissance effective dans le chef du producteur-exportateur, au moment de la vente, quant à l’exportation ultérieure du produit en cause ne constitue pas une condition devant nécessairement être remplie aux fins de l’exclusion, par la Commission, de la vente concernée de la base de calcul servant à la détermination de la valeur normale.
106 Dans ce contexte, ainsi qu’il ressort en substance du point 131 de l’arrêt attaqué, ne saurait appuyer l’approche subjective avancée par Yieh la seule observation émise par le groupe spécial de l’OMC, dans la note en bas de page no 339 de son rapport, du 16 novembre 2007, établi dans le cadre du différend « Communautés européennes – Mesure antidumping visant le saumon d’élevage en provenance de Norvège » (WT/DS 337/R), selon laquelle, lorsqu’un producteur vendait un produit à un exportateur ou à un négociant indépendant « en sachant que ce produit sera[it] exporté », cette vente ne pouvait être qualifiée de vente destinée à la consommation intérieure.
107 Certes, comme l’a également relevé M. l’avocat général au point 43 de ses conclusions, il ressort de cette observation que la connaissance effective par l’exportateur-producteur du fait que le produit en cause est destiné à l’exportation n’est pas dépourvue de pertinence aux fins de l’application de l’article 2, paragraphe 2, du règlement de base dès lors que celle-ci, à elle seule, doit nécessairement conduire à exclure les ventes en cause de la base de calcul servant à la détermination de la valeur normale.
108 Toutefois, ainsi que l’a également observé, en substance, M. l’avocat général au point 44 de ses conclusions, il ne peut être déduit d’une telle observation, qui présente un caractère ponctuel et factuel, que la preuve d’une telle connaissance effective quant à l’exportation du produit en cause serait une condition devant, dans chaque cas, être remplie pour que l’autorité chargée de l’enquête soit tenue d’exclure une vente de la détermination de la base de calcul servant à la détermination de la valeur normale en raison du fait que le produit en cause est destiné à l’exportation.
109 En troisième lieu, comme l’a à juste titre observé le Tribunal au point 132 de l’arrêt attaqué, les notions de « dumping », de « préjudice » et de « contournement », telles que définies dans le règlement de base, requièrent la réunion de conditions objectives qui sont, en principe, indépendantes d’une intention ou d’une connaissance spécifique de l’opérateur.
110 En particulier, s’agissant du calcul de la marge de dumping, l’article 2, paragraphe 2, du règlement de base, relatif à la détermination de la valeur normale, tout comme l’article 2, paragraphe 8, de ce règlement, relatif à la détermination du prix à l’exportation, ne se réfèrent aucunement à la connaissance par l’intéressé de la destination du produit en cause.
111 S’il est vrai que, comme le relève Yieh et l’a constaté le Tribunal au point 132 de l’arrêt attaqué, l’article 10, paragraphe 4, du règlement de base comportait un critère de nature subjective, en ce que l’application rétroactive d’un droit antidumping nécessitait que « l’importateur ait eu connaissance ou eût dû avoir connaissance des pratiques de dumping, de leur importance et de celle du préjudice allégué ou établi », il s’agit, comme le soutient à bon droit la Commission, plutôt d’une exception expressément prévue par le règlement de base, qui confirme le caractère objectif d’une enquête antidumping.
112 En tout état de cause, même cette disposition, en ce qu’elle est également applicable lorsque l’importateur « eût dû avoir connaissance » des éléments qui y sont visés, ne requiert pas nécessairement une connaissance effective dans le chef du producteur-exportateur et ne corrobore donc pas la thèse subjective soutenue par Yieh.
113 Par ailleurs, contrairement à ce que fait valoir Yieh, l’interprétation subjective qu’elle soutient ne saurait pas non plus se fonder sur la circonstance que la Commission est tenue de prendre en compte le comportement individuel des exportateurs coopérant à l’enquête.
114 En effet, si la nécessité d’une évaluation individuelle pour chaque producteur-exportateur des importations faisant l’objet d’un dumping a, notamment, pour conséquence qu’une marge de dumping individuelle doit être calculée pour chaque exportateur, pourvu qu’il ait coopéré à l’enquête, cela n’implique pas pour autant que ces importations devraient être évaluées sur une base subjective.
115 En quatrième lieu, c’est à bon droit que, au point 133 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté qu’une interprétation de l’article 2, paragraphe 2, du règlement de base selon laquelle il n’est pas nécessaire de rechercher une intention ou une connaissance spécifique ou effective du vendeur quant à la destination finale du produit en cause est également conforme à la finalité de l’enquête antidumping.
116 En effet, celle-ci vise, essentiellement, à ce que, sur la base des réponses apportées au questionnaire antidumping des opérateurs coopérants, des éventuelles vérifications sur place et des observations des intéressés, la Commission puisse établir, de manière objective, un ensemble d’éléments avant de pouvoir imposer un droit antidumping, en particulier l’existence d’un dumping après avoir déterminé la valeur normale du produit concerné conformément à l’article 2 du règlement de base.
117 Or, comme l’a observé le Tribunal au point 134 de l’arrêt attaqué, cette finalité risquerait d’être compromise si, comme le soutient Yieh, l’existence d’une intention ou d’une connaissance spécifique ou effective du vendeur quant à la destination finale du produit en cause devait être systématiquement démontrée par la Commission.
118 En effet, une telle preuve risquerait, en pratique, de se révéler fréquemment impossible à rapporter, ce qui reviendrait en définitive à permettre la prise en compte, aux fins de la détermination de la valeur normale conformément à l’article 2 du règlement de base, des prix de produits exportés susceptibles de fausser et de compromettre la détermination correcte de ladite valeur normale.
119 Contrairement à ce que soutient Yieh, le raisonnement ainsi tenu par le Tribunal au point 134 de l’arrêt attaqué ne saurait être considéré comme étant circulaire.
120 À cet égard, il importe de relever que l’interprétation du règlement de base que préconise Yieh risque, en pratique, de rendre difficile, voire impossible, la poursuite efficace d’une enquête antidumping.
121 Par ailleurs, une analyse de la finalité de l’article 2, paragraphe 2, du règlement de base confirme, elle aussi, que l’interprétation subjective de l’expression « destiné à la consommation » qui y figure, telle que soutenue par Yieh, ne saurait être retenue.
122 En effet, l’article 2, paragraphe 2, du règlement de base vise à assurer que la valeur normale d’un produit corresponde, au mieux, au prix normal du produit similaire sur le marché intérieur du pays exportateur. Or, si une vente est conclue selon des termes et des conditions qui ne correspondent pas à la pratique commerciale concernant les ventes du produit similaire dans ce marché au moment pertinent pour la détermination de l’existence ou non d’un dumping, elle ne constitue pas une base appropriée pour déterminer la valeur normale du produit similaire dans ledit marché (voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 2014, Conseil/Alumina, C 393/13 P, EU:C:2014:2245, point 28).
123 En cinquième et dernier lieu, le Tribunal a jugé à juste titre, au point 135 de l’arrêt attaqué, qu’une interprétation de l’article 2, paragraphe 2, du règlement de base selon laquelle il n’est pas nécessaire de rechercher une intention ou une connaissance spécifique ou effective du vendeur quant à la destination finale du produit en cause est compatible avec les principes de prévisibilité et de sécurité juridique invoqués par Yieh, alors que l’interprétation subjective préconisée par cette dernière exigerait la preuve de l’existence d’un élément subjectif qui risquerait, en pratique, de se révéler aléatoire, voire, ainsi qu’il a été relevé au point 120 du présent arrêt, impossible à établir.
124 Cela étant, une approche fondée sur une interprétation purement objective de la notion de « ventes du produit similaire destiné à la consommation sur le marché intérieur du pays exportateur », au sens de l’article 2, paragraphe 2, du règlement de base, implique que la simple preuve que, à tout moment après la vente initiale des produits concernés par le producteur-exportateur sur le marché intérieur, un opérateur en aval de la chaîne de distribution ait exporté ceux-ci suffirait pour que la Commission puisse considérer que ces produits étaient, au moment de leur vente initiale, « destinés » à l’exportation et étaient donc, comme l’affirme le Tribunal au point 143 de l’arrêt attaqué, « en réalité des ventes à l’exportation » devant en conséquence être exclues de la base de calcul servant à la détermination de la valeur normale.
125 Or, une telle interprétation purement objective, en ce qu’elle n’attache aucune importance à l’existence d’un lien entre les caractéristiques de la vente initiale par l’exportateur-producteur dont, en tout premier lieu, le prix et l’exportation ultérieure par son client ou un autre opérateur en aval de la chaîne de distribution du produit en cause, aboutit, comme le soutient Yieh, à ce que les principes de prévisibilité et de sécurité juridique ne soient pas pleinement respectés dès lors que cette interprétation permettrait à la Commission d’imposer des droits antidumping indépendamment de la politique des prix du producteur-exportateur et obligerait ce dernier à répondre des politiques de marketing de ses clients indépendants que celui-ci n’est, en principe, pas en mesure de contrôler.
126 À cet égard, si, pour les raisons exposées aux points 103 à 123 du présent arrêt, l’interprétation purement subjective de la notion de « ventes du produit similaire destiné à la consommation sur le marché intérieur du pays exportateur », au sens de l’article 2, paragraphe 2, du règlement de base, ne saurait être retenue, il n’en découle cependant pas qu’il faille nécessairement retenir une interprétation purement objective de ladite notion.
127 En effet, afin de garantir, notamment, que les principes de prévisibilité et de sécurité juridique soient pleinement respectés, la notion de « ventes du produit similaire destiné à la consommation sur le marché intérieur du pays exportateur », au sens de l’article 2, paragraphe 2, du règlement de base, doit être interprétée en ce sens que, comme l’a également relevé M. l’avocat général au point 58 de ses conclusions, la Commission ne peut exclure une vente intérieure de la base de calcul servant à la détermination de la valeur normale que si elle établit l’existence d’un facteur de rattachement objectif entre cette vente et une destination du produit en cause autre que la consommation intérieure.
128 Comme l’a également relevé M. l’avocat général au même point 58 de ses conclusions, une telle interprétation de cette disposition s’impose également en raison de la finalité de celle-ci qui, ainsi qu’il est rappelé au point 122 du présent arrêt, vise à assurer que la valeur normale d’un produit corresponde, au mieux, au prix normal du produit similaire sur le marché intérieur du pays exportateur.
129 Il s’ensuit que la Commission n’est en droit d’exclure une vente de la base de calcul servant à la détermination de la valeur normale au motif de l’exportation du produit en cause que si elle démontre qu’il découle des circonstances objectives entourant cette vente dont, en tout premier lieu, le prix, que les produits concernés par ladite vente ont une destination autre que la consommation sur le marché intérieur du pays exportateur, telle que l’exportation.
130 En effet, si la Commission établit l’existence de telles circonstances rattachées à la vente initiale, il peut être considéré que le producteur-exportateur en cause devait raisonnablement savoir, au moment de la conclusion de la vente, que, selon toute probabilité, la destination finale du produit en cause était l’exportation et non la consommation sur le marché intérieur du pays exportateur.
131 Une telle connaissance de nature « imputée », notion dont il convient de souligner le caractère foncièrement différent de celle d’intention ou de connaissance effective, peut, par exemple, être inférée d’éléments de preuve objectifs démontrant que l’exportateur a vendu les produits concernés sur la base de sa liste de prix à l’exportation ou que le producteur-exportateur savait ou devait raisonnablement savoir que son client était exclusivement ou principalement actif dans le commerce à l’exportation des produits en cause.
132 Partant, comme l’a observé M. l’avocat général au point 53 de ses conclusions, il est tout à fait concevable que, indépendamment de la preuve d’une volonté ou d’une connaissance effective dans le chef du producteur-exportateur quant au fait que les produits en cause sont destinés à l’exportation, il puisse être déduit de certains éléments objectifs relatifs aux ventes ou à l’acheteur qui acquiert ces produits la conclusion que ceux-ci sont destinés, c’est-à-dire « assignés » ou « affectés », à l’exportation.
133 Or, tel est précisément le cas en l’espèce, ainsi qu’il ressort des points 136 à 142 de l’arrêt attaqué dans lesquels le Tribunal a examiné l’approche précise qu’a adoptée la Commission dans le règlement litigieux et qui l’a conduite à écarter de la base de calcul servant à la détermination de la valeur normale les ventes réalisées par Yieh, à Taïwan, auprès de son client indépendant, à hauteur de 120 000 tonnes du produit concerné.
134 En effet, ainsi que l’a relevé le Tribunal au point 136 de l’arrêt attaqué, dans le règlement provisoire, la Commission avait initialement adopté une approche « prudente », consistant à écarter de cette base de calcul la totalité des ventes de Yieh du produit concerné à certains distributeurs établis à Taïwan.
135 Toutefois, ainsi qu’il ressort du point 137 de l’arrêt attaqué, par la suite, la Commission, comme elle l’a indiqué au considérant 59 du règlement litigieux, a remplacé cette approche « globale » par une approche consistant à n’écarter de la base de calcul servant à la détermination de la valeur normale que les ventes intérieures pour lesquelles elle disposait de « suffisamment d’éléments de preuve objectifs de leur exportation réelle ». En revanche, selon ce point 137 de l’arrêt attaqué, il ressort également de ce même considérant 59 du règlement litigieux que « des éléments subjectifs comme l’intention ou la connaissance, ou le manque de connaissance du producteur-exportateur, n’ont en l’espèce joué aucun rôle dans l’évaluation objective réalisée par la Commission, contrairement à l’existence de réductions liées à l’exportation qui a, notamment, été utilisée comme élément de preuve pertinent ».
136 À ce dernier égard, comme l’a indiqué, en substance, le Tribunal aux points 138 et 140 de l’arrêt attaqué, par référence au considérant 64 du règlement provisoire, l’enquête de la Commission a révélé que, en l’espèce, un nombre important de ventes déclarées par Yieh comme intérieures avaient fait l’objet d’un rabais à l’exportation qui était destiné à fournir une incitation aux distributeurs à exporter les produits en cause après leur transformation impliquant, tout au plus, des opérations mineures sans que le produit en résultant soit modifié au point de ne plus relever de la définition du produit concerné.
137 Au point 141 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a ajouté, notamment, qu’il ressortait des pièces du dossier que ledit rabais concernait, à titre d’exemple, 40 % des ventes de Yieh à son plus gros client à Taïwan au cours du mois de décembre 2013.
138 Au point 142 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a en outre souligné que, ainsi qu’il ressort du considérant 59 du règlement litigieux, d’« autres preuves objectives de l’exportation réelle de produits de ventes déclarées comme étant des ventes intérieures » ont pu être rassemblées.
139 En particulier, audit point 142, le Tribunal a relevé que l’enquête avait démontré que le client le plus important de Yieh à Taïwan « n’avait vendu qu’une partie négligeable du produit concerné sur le marché intérieur » du pays exportateur, ce dont il peut être déduit, comme l’a également relevé M. l’avocat général au point 68 de ses conclusions, que ce client était principalement actif dans le secteur de l’exportation du produit concerné, circonstance que Yieh ne pouvait pas raisonnablement ignorer.
140 Le Tribunal en a conclu, au point 143 de l’arrêt attaqué, que Yieh n’avait pas démontré que la Commission avait commis une erreur de droit ou une erreur d’appréciation manifeste des faits en refusant de prendre en considération les ventes de Yieh à son client indépendant aux fins de la détermination de la valeur normale, au motif qu’il existait « des éléments de preuve objectifs selon lesquels lesdites ventes étaient en réalité des ventes à l’exportation, qui plus est lorsqu’il est établi qu’une partie des ventes en question a fait l’objet d’un système de rabais à l’exportation, tel que celui appliqué par [Yieh], et était, dès lors, conclue à des prix inférieurs au prix du produit concerné destiné à la consommation sur le marché intérieur, en sachant que ces prix encourageaient l’exportation du produit concerné ».
141 À cet égard, au vu de l’interprétation de la notion de « ventes du produit similaire destiné à la consommation sur le marché intérieur du pays exportateur », au sens de l’article 2, paragraphe 2, du règlement de base, retenue au point 129 du présent arrêt, il y a lieu de constater que la circonstance selon laquelle une partie des ventes intérieures de Yieh a fait l’objet d’un système de rabais à l’exportation constitue une circonstance objective entourant ces ventes et afférente, en particulier, à leur prix dont il découle que les produits concernés par lesdites ventes étaient destinés à l’exportation, et non à la consommation sur le marché intérieur.
142 Partant, conformément à ce qui ressort du point 130 du présent arrêt, Yieh devait raisonnablement savoir, au moment de la conclusion de ces mêmes ventes, que la destination finale du produit concerné était, selon toute probabilité, l’exportation, et non la consommation sur le marché intérieur du pays exportateur.
143 De même, au regard des points 129 et 130 du présent arrêt, il découle de la circonstance objective relevée au point 142 de l’arrêt attaqué et rappelée au point 139 du présent arrêt, selon laquelle le client le plus important de Yieh à Taïwan était principalement actif dans le secteur de l’exportation du produit concerné, que les ventes de Yieh à ce client concernaient, en règle générale, des produits destinés à l’exportation, et non à la consommation sur le marché intérieur, et que, partant, Yieh devait raisonnablement savoir, au moment de la conclusion des ventes en cause, la destination finale du produit concerné, à savoir, selon toute probabilité, l’exportation.
144 Par conséquent, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant, au point 144 de l’arrêt attaqué, que « la Commission pouvait légalement et sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation écarter les ventes en cause de la [base de calcul servant à la] détermination de la valeur normale en application de l’article 2, paragraphes 1 et 2, du règlement de base ».
145 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de rejeter le troisième moyen et, partant, le pourvoi dans son ensemble.
Sur les dépens
146 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens.
147 La Commission et Eurofer ayant conclu à la condamnation de Yieh aux dépens et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission et par Eurofer.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Yieh United Steel Corp. est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne et par Eurofer, Association européenne de l’acier, ASBL.