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Décisions

Cass. com., 1 mars 2011, n° 10-14.967

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Avocats :

SCP Hémery et Thomas-Raquin, SCP Tiffreau et Corlay

Douai, du 19 janv. 2010

19 janvier 2010

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 19 janvier 2010), que la société Agatha Diffusion (Agatha), titulaire d'une marque figurative consistant en la représentation stylisée d'un petit chien scottish-terrier vu de profil et enregistrée pour désigner divers produits en classe 3,14,18 et 25, a assigné la société Etablissement René Martin (société René Martin) sur le fondement de l'article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle, lui reprochant de commercialiser des colliers et laisses pour chiens comportant un motif imitant cette marque ;

Attendu que la société Agatha fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de ses demandes, alors, selon le moyen :

1°) que l'atteinte ou le risque d'atteinte au caractère distinctif d'une marque de renommée, qui consiste en une dilution ou banalisation de celle-ci, doit être apprécié globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce parmi lesquels figurent notamment l'intensité de la renommée et le degré de caractère distinctif de la marque, le degré de similitude entre les marques en conflit ainsi que la nature et le degré de proximité des produits ou services et le public concerné par ceux-ci ; que l'atteinte ou le risque d'une atteinte portée au caractère distinctif d'une marque renommée sont d'autant plus importants que le caractère distinctif ou la renommée de la marque le sont eux-mêmes et qu'est immédiate et forte l'évocation de la marque par le signe incriminé ; que la modification ou le risque de modification du comportement économique du consommateur moyen des produits pour lesquels la marque est enregistrée, que, au vu des critères susvisés, l'usage de signe incriminé est susceptible d'entraîner, est de nature à établir l'atteinte portée au caractère distinctif de celle-ci ; qu'en l'espèce, après avoir établi la grande renommée de sa marque, la forte similitude du signe incriminé avec celle-ci et le lien que le public serait conduit à faire entre ledit signe et sa marque, la société Agatha en déduisait que l'usage par la société René Martin du signe incriminé portait atteinte au caractère distinctif de sa marque en la banalisant de telle façon qu'était «réduit l'effet que peut avoir sur la clientèle l'importance des très coûteuses publicités (qu'elle) consacre depuis 20 ans à sa marque du scottish terrier, notamment dans ses catalogues» ; que pour retenir que la société Agatha ne rapporterait pas la preuve d'une dilution du caractère distinctif de sa marque ou même d'un tel risque, la cour d'appel s'est bornée à retenir que cette société ne démontrerait pas une diminution de la valeur économique de sa marque ou des possibilités de déspécialisation ni un risque de confusion, et que les produits commercialisés par la société René Martin seraient tellement différents par leur nature, leur destination et par leur circuit de distribution qu'ils ne pourraient ternir l'image de la marque, alors que bon nombre de produits animaliers sont décorés de petits chiens type scottish terrier plus ou moins stylisés, en rapport direct avec le produit ; qu'en statuant ainsi sans se livrer à une appréciation globale de l'atteinte portée au caractère distinctif de la marque qui, tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce, devait la conduire à rechercher si l'intensité de la renommée de la marque, la forte ressemblance entre les signes, le fait que les produits, pour être différents, s'adressent pour partie au même public, à savoir des femmes et jeunes filles qui font un lien entre le signe incriminé et la marque, n'étaient pas de nature à démontrer un risque de banalisation de la marque de la société Agatha entraînant une réduction de l'effet de celle-ci sur sa clientèle et partant, un risque de modification du comportement économique du consommateur moyen des produits pour lesquels la marque est enregistrée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle, tel qu'il doit s'interpréter au regard de l'article 5 § 2 de la directive CE 89/104 du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques ;

2°) que l'atteinte portée à la renommée d'une marque, qui consiste en une atteinte portée à son image, notamment au regard de la nature des produits vendus sous le signe incriminé, doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce parmi lesquels figurent notamment l'intensité de la renommée de la marque, le degré de similitude entre les marques en conflit et le public concerné par les produits en cause ; qu'en l'espèce, la société Agatha invoquait une dévalorisation de sa marque de renommée, visant le domaine de la bijouterie, par le signe incriminé qui, présentant une forte similitude avec sa marque, était appliqué à des articles pour chiens ; qu'en retenant que les produits pour chiens commercialisés par la société René Martin ne pourraient ternir l'image de la marque de la société Agatha parce qu'ils seraient très différents par leur nature, leur destination et leur circuit de distribution et que bon nombre de produits animaliers sont décorés de petits chiens type scottish terrier plus ou moins stylisés en rapport direct avec le produit, sans prendre compte ni l'intensité de la renommée de la marque, ni le fait par elle constaté que, pour être différents, les produits portant le signe incriminé étaient destinés dans une certaine mesure au même public que celui de la marque, à savoir des femmes et des jeunes filles, ni le fait, par elle également constaté, que le motif de chien figurant sur les articles de la société René Martin présentait une forte ressemblance avec la marque, la cour d'appel, qui ne s'est pas livrée à une appréciation globale de l'atteinte portée à la renommée de la marque, a violé l'article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle, tel qu'il doit s'interpréter au regard de l'article 5 § 2 de la directive CE 89/104 du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques ;

3°) que l'existence d'un profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée d'une marque doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce, parmi lesquels figurent notamment l'intensité de la renommée de la marque et son degré de distinctivité intrinsèque ou acquis par l'usage, le degré de similitude entre les marques en conflit ainsi que la nature et le degré de proximité des produits ou des services concernés et le public concerné par ceux-ci ; que le risque que l'utilisation du signe tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque est d'autant plus grand que le caractère distinctif et la renommée de la marque le sont et qu'est immédiate et forte l'évocation de la marque par le signe incriminé ; que l'existence ou le risque sérieux d'un profit indûment tiré de la renommée de la marque par l'usage du signe incriminé ne présupposent ni l'existence d'un risque de confusion ni celle d'un préjudice porté au caractère distinctif ou à la renommée de la marque et se trouvent caractérisés dès lors que cet usage permet au tiers, ou qu'il existe un risque sérieux qu'il en soit ainsi dans le futur, de se placer dans le sillage de la marque afin de pouvoir bénéficier du pouvoir d'attraction, de la réputation ou du prestige de celle-ci et d'exploiter sans compensation financière l'effort commercial déployé par le titulaire de la marque pour créer ou entretenir l'image de celle-ci ; qu'en se bornant en l'espèce à affirmer de façon générale qu'il appartenait à la société Agatha de démontrer l'avantage tiré par le tiers de l'usage du signe identique ou similaire et que celle-ci ne rapporterait pas cette preuve qui ne pouvait être déduite de la seule utilisation du signe contesté, sans rechercher, comme elle le devait, en se livrant à une appréciation globale des faits de l'espèce, si l'intensité de la renommée de la marque de la société Agatha, la forte ressemblance qu'elle avait constatée entre celle-ci et le signe incriminé ainsi que le fait que, pour être différents, les signes, comme elle l'avait par ailleurs relevé, s'adressaient dans une certaine mesure au même public, à savoir des femmes et des jeunes filles, ne démontraient pas que, par l'usage du signe incriminé, la société René Martin tirait indûment profit ou risquait de tirer indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle, tel qu'il doit s'interpréter au regard de l'article 5 § 2 de la directive CE 89/104 du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques ;

Mais attendu, d'une part, que la preuve que l'usage d'un signe similaire à une marque antérieure de renommée porte ou risque de porter préjudice au caractère distinctif de cette marque suppose qu'il soit démontré que le comportement économique du consommateur moyen des produits pour lesquels la marque est enregistrée a été modifié consécutivement à l'usage de ce signe ; qu'il incombe au demandeur de rapporter cette preuve ; que l'arrêt après avoir retenu que la marque de la société Agatha devait être qualifiée de renommée et après avoir relevé que le motif de chien figurant sur les articles incriminés était très ressemblant à la marque invoquée et que le consommateur moyen des articles vendus par la société Agatha pouvait être amené à établir un lien entre les deux signes, en dépit de la différence des produits en cause, retient que cette société ne rapporte pas la preuve d'une dilution ou d'un risque de dilution du caractère distinctif de sa marque ; que la cour d'appel qui a pris en compte tous les facteurs pertinents du cas d'espèce et qui n'était pas tenue de prendre en considération une simple allégation visant à déduire cette preuve de la réduction de l'effet que pouvait avoir sur la clientèle les publicités consacrées à la marque du scottish terrier, a légalement justifié sa décision ;

Attendu, d'autre part, que l'arrêt, après avoir relevé que le motif de chien figurant sur les articles incriminés était très ressemblant à la marque de renommée de la société Agatha et que les femmes et les jeunes filles constituaient dans une certaine mesure le public visé tant par la marque de la société Agatha que par les articles commercialisés par la société René Martin, retient que ceux-ci étaient très différents par leur nature, leur destination et leur circuit de distribution de ceux de la société Agatha et que de nombreux produits animaliers étaient décorés de petits chiens type scottish terrier ; que de ces constatations et appréciations la cour d'appel a pu déduire que le motif de chien stylisé figurant sur les articles de la société René Martin ne diminuait pas la force d'attraction de la marque de la société Agatha auprès de ce consommateur et n'exerçait pas davantage une influence négative sur l'image de cette marque ;

Attendu enfin que le profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée d'une marque ne pouvant résulter du seul usage d'un signe identique ou similaire à cette marque pour des produits non similaires à ceux pour lesquels cette marque a été enregistrée, la cour d'appel, qui a relevé que la société Agatha, à qui il incombait de rapporter la preuve de son préjudice, se bornait sur ce point à soutenir que la société René Martin avait tiré profit, sans justification, de la renommée de la marque par l'apposition sur des articles pour chiens de la reproduction très voisine de la silhouette stylisée d'un chien type scottish terrier, a légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.